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Annales du Midi : revue

archéologique, historique et
philologique de la France
méridionale

Le représentant Porte (1759-1835)


Louis-Jean Adher

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Adher Louis-Jean. Le représentant Porte (1759-1835). In: Annales du Midi : revue archéologique, historique et philologique de
la France méridionale, Tome 45, N°177, 1933. pp. 32-65;

doi : https://doi.org/10.3406/anami.1933.5173

https://www.persee.fr/doc/anami_0003-4398_1933_num_45_177_5173

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LE REPRESENTANT PORTE

1759-18351.

Ancienne famille bourgeoise, que de flatteuses


ont plusieurs fois unie à la petite noblesse de la
Gascogne toulousaine, les Porte occupent, depuis un
au moins, l'office notarial de Pelleport, lorsque, le
9 octobre 175?, naît, au dit lieu, « de maître
Porte, avocat au Parlement, et de demoiselle
Moreau », un enfant mâle auquel furent imposés
les noms de Jean-Gilles-Denis'.
Aux profits de l'office notarial, à ceux, plus modiques
sans doute, de la jugerie de Launac, Jean-Baptiste Porte
joint les revenus d'une assez belle propriété rurale qui,
dans la seule communauté de Pelleport, couvre une
d'arpents des meilleures terres'.

1. Principales sources : Manuscrits : Archives de Pelleport


(État civil, cadastres, etc.); État civil de Toulouse; Archives du
ministère de la Guerre (dossiers Porte, Rougé, Verdun, séries B*,
B* et ? **); Archives départementales delà Haute-Garonne (série L);
Archives nationales (séries G, D1X, F1 bu, Ficin^ ADXVI").
: Ghuquet, Dugommier, Paris, 1904 ; Fervel, Campagnes de la
Révolution dans les Pyrénées-Orientales, 2" édit. Paris, 1861, 2 vol.;
Doppet, Mémoires politiques et militaires, Paris, 1824; Aulard, Recueil
des Actes da Comité de Salut Public, t. XIV, Paris, 1901 ; Barras,
Mémoires, t. III, Paris, 1896; Tableau des pensions sur le Trésor royal,
t. IX, Paris, 1817; Collections du Moniteur universel; de V
; Procès-verbaux du Conseil des Cinq-Cents ; Impression des
rapports, discours et motions de Porte au Conseil des Cinq-Cents, etc.
2. État civil de Pelleport, canton de Cadours (Haute-Garonne).
La famille maternelle est originaire d'Aucamville, canton de Verdun
(Tarn-et-Garonne) .
3. Livre des charges et décharges du lieu et communauté de
Pelleport, 1784 (Arch.. Pelleport).
LE REPRESENTANT PORTE. 33

L'année 1789 trouve Jean-Gilles-Denis Porte au barreau


du Parlement de Toulouse. A ses fonctions d'avocat, il
réunit celles de juge de la baronnie de Launac. Le
12 février, il épouse à Toulouse, Jeanne-Delphine-Nesto-
rine Echau, fille d'un ingénieur de la province de
Languedoc. Un fils et deux filles naîtront de cette union1.
Une maladie l'empêche, en avril 1789, de participer
aux opérations de l'assemblée primaire de Launac, dont
ses fonctions judiciaires lui confèrent la présidence*.
Mais lorsque, après la prise de la Bastille, s'organiseront
les gardes nationales, le juge de Launac servira, « avec
la plus grande exactitude et le plus grand zèle' », comme
grenadier, et plus tard comme lieutenant, dans la légion
toulousaine de la Pierre.
Le 9 septembre 1790, le futur représentant du peuple
est élu, par 63 voix sur 80 votants, procureur-syndic du
district de Grenade4.
Un tableau, même sommaire, de l'action administra-

1. Jean-Baptiste-Louis-Marguerite-Clément, né à Pelleport le
18 novembre 1789; Marie-Louise-Victoire, née à Grenade le 28
1791 et Toinette, née à Pelleport le 2? ventôse an IV (i3 mars
1796). Marie-Louise-Victoire devait épouser, le i4 janvier 1817, *e
sous-inspecteur aux revues Pierre-Marie-Verdun (1782-1864). Nous
n'avons pu déterminer la date et le lieu du décès des trois enfants
de Porte, non plus que de celui de Jeanne Echau qui survécut à son
mari.
2. Rumeau : Cahier de dotéances de Launac et de Thil. Toulouse,
1892.
3. Certificat délivré le 10 mai 179? par Amiel, ancien major de la
légion de la Pierre, et Ferrât, commandant (Arch. Guerre : dossier
Porte).
4. Procès- verbal de l'assemblée électorale du district de Grenade
(Arch. Haute-Garonne, série L).
Annalks du Midi. XLV. 3
34 L.-J. ADHER.
tive de Porte nous conduirait à retracer l'histoire du
de Grenade en des temps- troublés et excéderait le
cadre de cette étude. Retenons seulement le témoignage
qu'au 2? mars 179? le conseil général de la commune de
Grenade portera sur le procureur-syndic du district :
Il « n'a cessé de donner les preuves les plus évidentes du
civisme et de son amour pour la liberté et l'égalité; ...
ses discours, ses écrits, ses actions, soit dans le poste
honorable qu'il occupe avec tant de distinction, soit dans
le dehors, ont toujours respiré la fermeté et le courage
qui caractérisent le vrai républicain1 ». A la même épo-,
que, Porte déclarera avec quelque fierté : J'ai exercé le
pouvoir « de manière à ne pas redouter la moindre
plainte ; cependant si quelque ennemi secret* profitait
lâchement de mon absence pour m'attaquer, j'ai
de croire que vous tous, citoyens, qui me
et vous surtout, mes confrères, entreprendriez ma
défense; ma conduite de tous les jours est consignée dans
vos registres; vous y trouverez des armes assez puissantes
pour repousser les traits de la calomnie, que je méprise
autant que je hais le despotisme3 »... Ses compatriotes

1. Certificat de civisme délivré le 2? mai 179? par le Conseil


de la commune de Grenade-sur-Garonne (A. Guerre, ibid.).
2. Cet « ennemi secret » s'était déjà manifesté : le 6
1792, tandis que les électeurs du département, assemblés à Rieux,
allaient procéder à l'élection du troisième député à la Convention
nationale, le président, Julien, reçut de Toulouse une lettre, signée
Lafosse, dans laquelle Porte était « atrocement inculpé ».
faisant justice d' « un libelle aussi absurde », félicita la
du district de Grenade « d'avoir aussi bien mérité la
haine des scélérats qui conspirent contre la patrie et ses défenseurs ».
(Procès-verbal des élections à la Convention nationale, Arch,
? 178, Haute-Garonne).
3. Le Procureur-syndic du district de Grenade partant pour
à ses concitoyens. A Toulouse, de l'imprimerie de Pigon,
imprimeur du district de Grenade, 179?, affiche. (Arch. Guerre,
ibid.).
LE REPRÉSENTANT PORTE. 35
de Pelleport lui rendront cet hommage naïf : Il« a
fait ici nos délices par le pur civisme dont nous
serons toujours pénétrés J ».

*
* *

Le 4 septembre 1792, les électeurs de la Hante-Garonne,


réunis pour procéder à l'élection de leurs représentants à
la Convention nationale, ont pris la résolution « de
s'exposer à mourir les armes à la main toutes les fois que
l'honneur ou la gloire de la patrie pourront l'exiger» ».
Porte est de ceux qui n'oublieront pas le serment prêté
dans un instant d'exaltation patriotique. Le 5 novembre,
abandonnant le mandat de procureur-syndic, dont les
électeurs du district l'ont à nouveau investi, le 8
par 82 voix sur 92 votants3, il « saisit avec avidité
l'occasion qu'il épiait depuis longtemps d'aller dans
» et s'engage comme simple chasseur dans la
légion des Pyrénées5.

1 . Le maire et les officiers municipaux de la commune de


au ..,.. président de la Convention nationale, 7 messidor
an II (Arch. Nationales, D<" 89, Pelleport).
2. Procès-verbal des élections à la Convention nationale, précité.
3. Arch. Haute-Garonne, série L.
4. Porte au ministre de la guerre, 2? mars 179? (Arch. Guerre, ibid.).
5. Instituée par décret du 16 septembre 1792, la légion nationale
des Pyrénées comprenait, sous le commandement d'un colonel,
1.600 chasseurs à pied formés en deux bataillons, 600 chasseurs à
cheval répartis en quatre escadrons, 200 artilleurs et 100 ouvriers.
Les officiers depuis le grade de capitaine et tous les membres de
l'état-major étaient à la nomination du pouvoir exécutif; les autres
gradés devaient être élus. (Collection du Louvre, t. XIV; Hennel :
[Réimpression de ?] État militaire de la France pour l'année 1793.
Paris, 190?.) L'état-major s'établit à Auch au mois de décembre 1792
et les opérations de recrutement se prolongèrent, non sans
jusqu'à la fin du mois d'avril 179? (Cf. Bregail, La garnison.
d'Auch au XVIII* siècle. Bulletin de la Société Archéologique du Gers,
1911).
36 L.-J ADHER.

Dans une curieuse proclamation qui, au début de cette


année 179?, jette un jour singulier sur l'état de l'opinion
dans le district de Grenade, le procureur-syndic invite ses
concitoyens à suivre son exemple. Mais, le brûlant
de Porte dissimule mal le doute qu'il éprouve
le résultat de ses exhortations. Il ne tente pas
chez ses commettants les hauts sentiments dont lui-
même se réclame. Il fera seulement appel à leurs intérêts
matériels en leur dépeignant les horreurs de l'invasion
étrangère : « La Patrie appelle à son secours des défenseurs;
il est impossible à mon cur d'être sourd à sa voix
C'est... la Patrie, c'est la Liberté, c'est le territoire
de la République, c'est mon Epouse, ce sont mes enfants que
je vais défendre aux combats. J'y vole ; c'est un devoir
trop sacré pour être confié à un autre... Citoyens, si le
feu prenoit à vos maisons, vous quitteriez tout pour aller
l'éteindre ; hésiterez-vous quand on vous menace de plus
grandes calamités? D'ailleurs, citoyens, ne vous le
pas, les phalanges des Despotes marchent toujours,
avec des torches. Si les Hommes libres, si les vrais
comme vous balancent un instant à se réunir
pour aller les arracher de leurs mains, c'en est fait; vos
récoltes vont devenir la proie des flammes, vos demeures
le but de leurs brigandages, vos Epouses et vos Enfants les
objets de leur férocité... Puissent des intérêts si chers
électriser toutes les âmes1... »
Tout ce pays, où six ans plus tard des bandés royales
se levèrent dans chaque village, est travaillé par les
et les prêtres réfractaires qui s'efforcent d'entraver
la levée des troupes. « Je connais, dit Porte à ses
toutes les manuvres qu'emploie l'aristocratie

1. Le Procureur-syndic du district de Grenade... à ses concitoyens,


précité.
LE REPRÉSENTANT PORTE. ?7
pour enchaîner votre zèle et votre courage1... Que votre
imagination ne s'effraie point des dangers chimériques
que les ennemis de la Patrie nous peignent avec tant de
complaisance... Soyons pleins de confiance en nos
; ils nous conduiront aux champs de l'honneur, et
non à ces boucheries dont vous menace l'Aristocratie*. »
Le Ier février 179?, sur la présentation de Pérignon et
de Servan, Monge et Beurnonville, nomment Porte au
commandement d'une compagnie vacante dans la légion
des Pyrénées3. « Je partirai demain soir pour me rendre
au corps, écrit-il le 2? mars à Beurnonville. J'y porte les
sentiments d'un homme décidé à vaincre ou à périr pour
la liberté... Puissent les circonstances me mettre à même
de vous donner des preuves de mon zèle dans la nouvelle
carrière que vous venez de m'ouvrir et que je vous jure
de parcourir d'un pas ferme et assuré jusqu'à mon
soupir*... »

Au début du mois de mai 179? la légion des Pyrénées


quitte Auch5 et rallie l'armée des Pyrénées-Orientales qui,
entre Elne et Thuir, s'efforce de couvrir Perpignan. La
légion que, Pérignon « se piquait d'avoir chaque jour

i . Ces manuvres Porte les avait vu jouer dans sa propre famille ;


ses trois surs manifestèrent, en effet, une violente opposition à son
départ pour l'armée (Le Maire et les officiers municipaux de
au... président de la Convention nationale, précité.)
2. Le Procureur-syndic du district de Grenade... à ses concitoyens,
précité.
3. Exposé de ses états de service 3 pluviôse an IV. Porte... au
de la guerre, 4e jour complémentaire an IV (Arch. Guerre, ibid.).
4. Porte au ministre de la guerre, 2? mars 179?, précité.
5. Exposé de ses états de service, précité. Bregail, op. cit. Nous
suivons, pour l'exposé de la campagne des Pyrénées-Orientales, le
récit de Chuquet qui résume avec beaucoup de clarté l'ouvrage
de Fervel. Les détails concernant Porte sont seuls empruntés
aux documents originaux.
38 L.-J. ADHER.
présenté à l'ennemi... non sans succès1 » est de toutes
les affaires, au cours de cette rude campagne de l'été de
179? où, l'armée refoulée sur Perpignan, dès le 19 mai,
finira par être coupée en trois tronçons.
Le i3 septembre d'Aoust, qui défend Perpignan avec le
gros de l'armée, choisit pour aide de camp le capitaine
Porte, A l'attaque du camp de Peyrestortes le 17 celui-ci
aura, aux côtés du général, son cheval tué sous lui par
un boulet'.
Le 11 octobre 179?, tandis que d'Aoust tente vainement
de forcer, au Boulou, les lignes de la Tech sur lesquelles
il a refoulé l'armée espagnole, les représentants Fabre et
Gaston nomment Porte adjudant-général chef de bataillon.
Le i4 brumaire an II (4 novembre 179?) il sera, toujours
en qualité d'adjudant-général, promu chef de brigade3.
Pendant les derniers mois de 179?, diverses missions le
tiendront éloigné de l'armée. C'est ainsi qu'à la fin de
brumaire (18-19 novembre 179?), il conduit de Toulouse
à Castelnaudary, pour y être incorporées dans le 22e
de chasseurs à cheval, les compagnies de chasseurs
de Perpignan et de dragons de la Dordogne que leurs
chefs poussaient à se mutiner4. Cette mission accomplie,
il reviendra dans la région toulousaine pour
les fourrages dont l'armée a le plus grand besoin.
Heureusement secondé par les administrations civiles et
les sociétés populaires, il réunira jusqu'à la fin du mois
de décembre d'abondants approvisionnements5.

1. Chuquet, op. cit., p. 199.


2. Porte... au ministre de la guerre, 4e jour complémentaire an IV
précité.
3. Exposé de ses états de service, précité. Rappelons que dans les
armées de la Révolution, le grade de chef de brigade remplace celui
de colonel .
4. Arch. Guerre, B** 84-
5. Ibid.
LE REPRÉSENTANT PORTE. ?9
Le 11 pluviôse an II (3o janvier 1794). il reçoit l'ordre
de se rendre à Mont-Louis pour remplir les fonctions de
son grade auprès du général de division Gharlet1.
Porte va désormais participer à cette obscure et
campagne de Cerdagne à laquelle l'énergie de
et l'âpre résistance des populations ont conféré de si
farouches couleurs. Par sa position topographique, grâce
à la personnalité de Dagobert et de Doppet, qui tous deux
ont commandé l'armée, la division de Mont-Louis, plus
tard division n° 5, fait figure d'armée autonome.
Rappelons brièvement les opérations qui ont précédé
l'arrivée de Porte. Dès le mois d'août 179?, Dagobert,
isolé dans Mont-Louis, a forcé le col de la Perche et
occupé la haute vallée du Sègre jusqu'à trois lieues de la
Seo d'Urgel*. Un peu plus tard, son lieutenant Gilly
par la prise de Villefranche-de-Gonflent, les
avec Perpignan. Après la suspension de
(12 novembre 179?), la rigueur de la saison
Charlet de se replier sur Puigcerda et la frontière
française.
Au moment où Porte arrive à Mont-Louis, Dagobert a
été réintégré dans son commandement et désormais la
guerre va prendre un caractère atroce. Aux cruautés des
« somaten3 » qui torturent et mutilent leurs prisonniers,
le chef français répondra par l'incendie et le pillage.
les paysans iront en masse grossir les forces
ceux qui resteront encercleront l'armée
d'un réseau d'espions. L'exaspération sera telle dans

1. Arch. Guerre, B** io4.


2. Nous suivons pour les noms de lieu l'orthographe adoptée par
les cartes françaises d'état-major au 1/80.000" (feuille n° 2 56, l'Hospi-
talet), et au i/3ao.oooe (feuille n° 3o, Toulouse).
3. Les « somaten » constituent, en Catalogne, une sorte de garde
civique, mais l'état-major français étendait cette dénomination à tous
les irréguliers de l'armée espagnole.
4o L.-J. ADHER.

les rangs de la division de Mont-Louis qu'elle réclamera,


au représentant Chaudron-Rousseau, l'extension aux
du décret de guerre à mort pris contre les Anglais
et les Hanovriens.
Le 6 avril 1794, Dagobert commence, en prenant Bell-
ver, sa dernière campagne. Sous la neige, il marche sur
la Seo d'Urgel, où il entre le 10. Au milieu des
il se replie sur Bellver, y parvient, à bout de forces,
le i3 et meurt le 18 à Puigcerda.
Pour cette armée, que d'âpres hauteurs isolent sur le
versant méridional des Pyrénées, le ravitaillement
un problème angoissant. De hardies expéditions en
territoire ennemi y pourvoieront et Porte révélera, dans
ces coups de main, de si brillantes qualités militaires,
que la plupart lui seront confiés.
Le 26 germinal an II (i5 avril 1794), Charlet,
par interim la division de Mont-Louis, le charge
d'opérer, à la tête de l'avant-garde, une expédition de ce
genre, à l'ouest de Bellver. Porte répartit sa troupe en
trois colonnes qui, munies de vivres pour deux jours,
quittent Bellver à 5 heures du soir. Par Prullans et le
l'adjudant général Quenin pénètre, avec la colonne
de droite, dans le val de Llosa et, après avoir bivouaqué
à Traverseras, va fouiller les villages qui entourent Liés.
Sur la gauche, l'adjudant général Devaux gagne Mon-
tellâ, y passe la nuit et, le lendemain, explore les vallées
qui, de la Sierra del Cadi, s'inclinent vers le Ségre. Au
centre, Porte, lui-même, va coucher au Martinet, y
un poste destiné à protéger, avec sa retraite, celle de
Quenin et, le 27 à 8 heures, occupe, à 6 lieues de
le village de Bar. Sans rencontrer d'opposition, les
détachements dépouillent les villages environnants
Pont de Bar. Au soir, apparaissent quelques mi-
quelets que les grenadiers de Porte reconduisent à coups
LE REPRÉSENTANT PORTE. 4l

de crosse jusqu'aux faubourgs de la Seo d'Urgel. C'est


seulement à la fin de la journée que la colonne se replie
sur le Martinet avec son butin : Porte, à l'arrière-garde,
couvre la retraite. Le 29, la colonne du centre rentre à
Bellver où Quenin ramène un butin aussi important que
celui de Porte. Seul, Devaux a éprouvé quelque
au village d'Estana : ne pouvant, faute de mulets
en nombre suffisant, rapporter tout le grain recueilli, il
a livré aux flammes les maisons qui le contenaient. Cette
promenade militaire, où « la gaieté a partout
le soldat » et qui « n'a pas coûté une seule cartouche
à la République » fait entrer 1.200 sacs de blé dans les
magasins de l'armée. Le surplus du butin, bovins, porcs
et moulons, est aliéné par l'administration de la guerre
dans des conditions qui d'ailleurs soulèvent les
des soldats ayant participé à l'expédition1.
« L'intelligence de l'adjudant général Porte, nous
assure de nouvelles découvertes... Continue à apporter
du zèle et de l'activité dans cette expédition* », écrit, le
6 floréal (27 avril 1794), Dugommier à Charlet. Dès le
lendemain, Doppet qui, entre temps, a pris le
de la division de Mont-Louis, charge Porte, dont
il connaît «le patriotisme incorruptible » et les « talents
militaires3 », de faire une nouvelle expédition en
de Montellâ.
Témoignant d'une « modestie rare et louable4 », Porte
crut devoir s'adjoindre, outre l'adjudant général Devaux,
le chef de brigade Brousse dont la connaissance
du pays pouvait être précieuse. Le 7 floréal (26 avril),

1. Rapport de... Porte au général Charlet, 20 germinal an II


(Arch. Guerre : B* i4).
2. Dugommier à Charlet, 6 floréal an II (Arch. Guerre : B** 122).
3. Rapport fait par... Porte au général Doppet, 12 floréal an II
(Arch. Guerre : B* i5).
4. Fervel, op. cit., t. II, p, 60, note.
42 L.-J. ADHER.

à 4 heures du soir, il part de Bellver, avec 2.000


Il cantonne à Montellâ, y établit un poste pour
sa retraite et, à l'aube du 8, dépouillant
le pays traversé, se porte sur le village d'Al-
queu, en avant duquel les troupes espagnoles, renforcées
par la population se sont établies. Sans attendre l'attaque
des trois colonnes, entre lesquelles Porte a réparti ses
hommes, les Espagnols se replient sur Cava. Un
français, coupant par la montagne encore couverte
de neige, tente de tourner cette position, devant laquelle
les habitants du village sont venus grossir les rangs des
troupes régulières. A la vue des Français, l'ennemi
en désordre, poursuivi par les colonnes de Porte
dont la fatigue arrête seule l'élan.
Pendant la journée du 9 et la matinée du 10, Porte
réunit des approvisionnements qu'il évacue sur Bellver.
Dans l'après-midi de ce dernier jour, profitant de l'éloi-
gnement de Devaux qui a poussé une pointe sur Villa-
nova, l'ennemi attaque la gauche des positions que
avec une soixantaine d'hommes, le chef de brigade
Brousse. Après une vive fusillade, les assaillants se
Dans la nuit, Porte fait mettre le feu au village
de Cava, en represaille de l'attitude des habitants, qui
ayant « tous pris les armes contre la République...
à envenimer la haine du soldat espagnol contre
le Français ». Le 11 au matin, pour les mêmes motifs, le
village d'Alqueu subit le même sort et, ayant recueilli un
butin presque aussi important qu'au mois de germinal,
la colonne française regagne Bellver1.
Lorsque, au mois de juin 1794, Doppet tentera, avec le
gros de sa division, de rejoindre Augereau dans la vallée

1. Rapport fait par .. Porte au général Doppet, précité, Fervel, loc,


cit., Chuquet, op. cit., p. 269.
LE REPRÉSENTANT PORTE. 43

de la Muga, Porte couvrira, à Bellver, la route de


et de la Cerdagne française.
Bellver, « boulevard des deux Cerdagne1 », s'abritait
derrière la triple défense d'une enceinte, d'une redoute
avancée et d'un camp retranché. « Les murailles de
construites sur un escarpement du Sègre, entre
deux ravins, étaient solides. A une portée de fusil, sur un
tertre nommé le Pain de Sucre qui dominait Bellver,
s'élevait la redoute. Au pied de cette redoute s'étendait le
camp retranché dit camp de Montarros, appuyé à gauche
par des hauteurs, flanqué à droite par une butte
d'une batterie, et protégé sur son front par un pli
de terrain qui formait comme un avant-chemin couvert.
Des détachements occupaient deux villages environnants :
sur la rive gauche du Sègre, le village de Pi et sur
rive le village de Talltendre, où il y avait même
quelques ouvrages de campagne*. »
Le 16 prairial an II (4 juin 1794), Doppet, quittant
confie à Porte « le commandement des troupes de
la République dans les deux Cerdagnes ». Celui-ci se hâte'
de « rassembler dans... les points principaux, les restes,
épars des bataillons » dont il dispose et concentre à
Bellver l'élite de ses forces. Lorsque, le 19 prairial
(7 juin), par une feinte attaque dirigée contre le poste
d'Ail, entre Puigcerda et Bellver, les espagnols tenteront
de l'amener à dégarnir cette dernière place, il se gardera
de modifier la répartition de ses troupes.
Dans la nuit du 19 au 20, les avant-postes de Bellver,
vivement attaqués, se replient en bon ordre sur les
retranchements de la ville, à l'abri desquels Porte a rangé
toutes ses forces : 1.?00 à i.4oo hommes. A l'aube, un

1. Rapport de... Porte... au général Dugommier, 21 prairial an H


(Arch. Guerre : B1 i5).
2. Chuquet, op. cit., p. 346.
44 L.-J. ADHER.

détachement de 200 cavaliers, appuyé par deux régiments


d'infanterie, vient se déployer en bataille à deux portées
de fusil des Français, dont la ferme contenance
l'ennemi. Celui-ci n'ose attaquer et, comme s'il
ignorait sa présence, Porte fait faire à ses hommes
et le maniement des armes. Sous la pluie torrentielle
quelques poignées de tirailleurs harcèlent les Espagnols
et les contraignent de se replier sur Santa Eugenia.
Cependant des colonnes de paysans, masquant les
de Pi et de Talltendre, se sont efforcés, en arrière de
Bellver, de gagner Puigcerda. Après six heures de
les chasseurs de Porte parviennent à les disperser.
Au soir, tandis que les chants républicains retentissent
sur tout le front de Bellver, les Espagnols battent en
retraite. La crue des ruisseaux, l'infériorité de ses forces
empêchent Porte de les poursuivre. Au cours de la nuit,
une trentaine de Suisses au service de l'Espagne passent
aux Français avec armes et bagages : redoutant une
générale, La Cuesta qui commande l'armée
n'a, de toute la journée, osé engager leur

L'échec subi par Doppet dans son expédition de Ripoll,


le désir de s'assurer la possession de la récolte de la
plaine de Puigcerda, « l'une des plus belles dont il y ait
mémoire dans le pays' », allaient inciter les Espagnols à
tenter sur Bellver une nouvelle et plus sérieuse attaque.
Le représentant Chaudron-Roussau a pu conduire en
Cerdagne quelques renforts, mais l'infériorité des
demeure considérable3 ; vainement, pour prévenir

1. Rapport de... Porte au général Dugommier, précité.


op. cit., p. 346.
2. Le représentant... [Chaudron-Roussau] au Comité de Salut
Public, 11 messidor an III (Rec. Aulard, t. XIV, p. 6o4).
3. Ibid.
LE REPRÉSENTANT PORTE. 45

une agression, Porte a détruit le pont du Martinet1. Dans


la nuit du 7 messidor (26 juin), La Cuesta attaque Bellver
avec ?.000 hommes de troupes régulières et 7.000 «
». Une colonne de cavalerie et d'infanterie, forçant
le poste de Talltendre, gagne, à deux lieues de Puigcerda,
le village d'Ail. Sur la gauche, Dessaix, qui défend Pi
avec ses Allobroges, doit, faute de munitions, se replier
sur le camp de Montarros : l'ennemi le suit de près et
tente, vers Tallo, de tourner la redoute du Pain de Sucre.
En même temps, une forte colonne attaque le camp de
front, y pénètre, mais est contrainte de se disperser sous
le feu des Français. Une charge à la baïonnette va
Dessaix près d'être accablé à Tallo. Poursuivi jusqu'à
Montellà par un détachement français, La Cuesta bat en
retraite, sans se soucier des 4ooo hommes qui, par AU,
ont tenté de gagner Puigcerda. Refoulés par la garnison
de cette place, où l'avant-garde de Doppet vient de
à marche forcée, ceux-ci se jettent dans les
Porte, avec 200 hommes, les attaque sur les
de la Bastide et poursuit jusqu'à dix heures du
soir leurs bataillons dispersés dans les neiges1.
« Cette journée qui pouvait être fatale à cette frontière
a tourné à la honte et à la ruine des esclaves castillans » ;
elle « assure à la République la possession de la
et la conservation de sa récolte », écrit Chaudron-
Roussau au Comité du Salut Public et il ajoute : « Il
existe sur cette frontière un officier du premier mérite,
l'adj udant général Porte ; ... il a coopéré plus que person ne
au succès de la journée du 8. C'est un sujet qui mérite
le grade de général de brigade par ses talents, son cou-

1 . Dugommier. . . à . . . Porte, 1 ? messidor an III (Arch . Guerre, B** 137).


2. Rapport de... Porte au général Charlet, 10 messidor an II
(Arch. Guerre : B* i5). Le représentant... [Chaudron-Roussau] au
Comité de Salut Public, précité. Chuquet, loc. cit.
46 L.-J. ADHER.

rage et son patriotisme; ce grade m'a été demandé pour


lui par les soldats et les généraux... il en est digne1. »
« Cette vigoureuse leçon donnée aux Castillans* »
devait longtemps assurer la tranquillité de la Cerdagne.
La campagne ne reprendra sérieusement qu'à la veille de
la paix, alors que Porte aura quitté l'armée. Mais
qui succède à Doppet à la tête de la division, ne cesse
de harceler les Espagnols et, dans ces combats
Porte continue à se distinguer à la tête de l'avant-
garde.
Le 2 brumaire an III (2? octobre 1794), Charlet
de Porte, quitte Puigcerda à la tête des chasseurs
et des grenadiers de la division. Son but est de sonder sur
sa gauche la force de l'ennemi et de provoquer la
des Suisses servant dans l'armée espagnole. Par le
pla Anyella, il gagne le camp de Tosas, où l'ennemi,
par un espion, n'a laissé que 200 hommes. Après
une décharge générale ceux-ci se dispersent; Charlet
détruit le camp et se dirige vers le village de Tosas où
?00 paysans et 48 Suisses résistent déjà à la colonne
que l'adjudant général Gilly a conduite de Villalo-»
bent par la croix de Mayens. L'impétuosité des grenadiers
de Charlet fait échouer le mouvement tournant par lequel
le général tente de couper la retraite à l'ennemi. Celui-ci
se dérobe, tandis que huit Suisses passent aux Français.
Après avoir détaché une partie de la colonne Gilly
dans la direction de Doria, Charlet marche sur Castellar
de Nue qui passe pour imprenable. Noailles, en 1696,
Doppet l'été précédent, ont vainement canonné ce bourg
dont la vaillante population de contrebandiers a reçu du

1. Le représentant... [Chaudron-Roussau] au Comité de Salut


Public, précité.
2. Milhaud, représentant du peuple... au Comité de Salut Public,
? messidor an II (Rec. Aulard, t. XIV, p. 600).
LE REPRÉSENTANT PORTE. 47
roi,' en témoignage de reconnaissance, une garnison de
cent hommes et un drapeau aux armes du royaume. La
position est d'ailleurs très forte : l'agglomération, qu'une
grosse rivière découpe en trois îlots, est entourée d'un
cercle de maisons crénelées et chaque venelle, à son
débouché dans la campagne, a été barrée d'un mur;
sept lignes de rochers forment autant de retranchements
naturels; un bois couvre la retraite. Sans s'attarder à
tirailler « avec des gens qui tirent mieux qu'eux, les
chasseurs et les grenadiers, sous le commandement de
Porte, donnent l'assaut. En moins d'une heure le bourg
est pris. Porte, dont le cheval a été tué, reçoit deux
: un coup de baïonnette perce sa jambe gauche, un
coup de feu l'atteint à la cuisse droite1. Le lendemain,
la petite colonne française rentre à Puigcerda après avoir
brûlé les vivres et les munitions abandonnés à Doria,
Tosas et Castellar de Nue, par les Espagnols*.
Les blessures de Porte étaient légères et, dès le milieu
du mois de novembre, il avait repris, à l'état-major de
Puigcerda, un service au moins sédentaire3.
« Sur le vu bien manifeste du 29e régiment de
à pied » la ci-devant légion des Pyrénées,
Pérignon le proposait au Comité de Salut Public pour
le commandement de ce corps4, quand un événement
d'ordre privé vint interrompre sa carrière militaire.
Deux ans avant sa mort, le 4 avril 1790, Jean-Baptiste
Porte avait fait donation à son fils de la totalité de son

1. États de service (Arch. Guerre : dossier Porte). Exposé de ses


états de service, précité. Rapport de la 5e division, 3 brumaire
an III (Arch. Guerre : B* 18).
2. Rapport de la 5e division, précité. Chuquet, op. cit., p. 35a.
3. Le chef d'État-major général à Porte, 2 nivôse an III (Arch.
Guerre : B*4 86).
4. Porte... au ministre de la Guerre, 4e jour complémentaire,
48 L.-J. ADHER.

patrimoine. Lorsque, par le décret du 17 nivôse an II, la


Convention eut annulé toutes les donations postérieures au
i4 juillet 1789 et donné à chaque enfant des droits égaux
dans la succession de leurs parents, les trois surs de
l'adjudant général réclamèrent leur part des biens
Bercé de l'opinion qu'on ne le jugerait pas tant qu'il
serait à l'armée, Porte négligea d'abord cette demande.
Mais, obéissant peut-être à leurs rancurs politiques et
religieuses1, ses adversaires refusèrent tout atermoiement.
Vainement, la municipalité de Pelleport demanda à la
Convention de faire surseoir jusqu'à la paix à l'arbitrage
du litige. Des arbitres ayant été commis d'office à la
de ses droits et la décision étant fixée au 8 messidor
an III (26 juin (1795), Porte dut solliciter un congé de
deux décades pour se rendre à Toulouse.
Le Comité de Salut Public venait de se réserver le droit
de délivrer des congés; devant l'impossibilité matérielle
de recevoir une réponse de Paris, sur le conseil de l'un
des représentants en mission près l'armée des Pyrénées-
Orientales, Porte, arguant de l'état de sa santé et
d'ailleurs de l'imminence de sa mise en réforme,
donna sa démission. Celle-ci fut acceptée par les
le 22 prairial (? juin); dès le 16, Schérer avait
donné à son subordonné l'autorisation de regagner ses
foyers.

1. C'est, du moins, l'opinion de la municipalité de Pelleport (Le


Maire et les officiers municipaux de Pelleport ... au ... président de
la Convention nationale, précité). Dès le 7 mars 1791, le curé
de Lévignac dénonçait l'attitude contre-révolutionnaire
de l'une des surs de Porte, religieuse au couvent des Dames noires
établi dans cette commune : « La sur Porte... a défendu à nos
-jeunes filles de venir à ma messe... attendu, dit-elle, que je suis
et que ma messe n'est plus bonne depuis que j'ai prêté
serment. » (Jean Adher, Le Petit Saint-Cyr, Revue des Pyrénées,
t. XIX, p. 16).
LE REPRESENTANT PORTE. 4?
A son arrivée à Toulouse, Porte apprit que les arbitres
avaient donné gain de cause à se^ surs; simultanément
le commissaire Pille l'informait que le Comité de Salut
Public le maintenait en activité1.
Fatigué par ses trois campagnes, souffrant d'un rhuma*
matisme, il reprenait, sans enthousiasme*, le chemin de
Perpignan, lorsqu'on lui remit une lettre assez brutale de
Scherer : « Vous pouvez, malgré la nomination que vous
avez reçu du Conseil Exécutif (sic) rester dans votre
vu que de mon côté j'ai exigé votre
». Le 7 thermidor (?5 juillet), le Comité de Salut
Public acceptait définitivement la démission de Porte* qui,
aigri, se retira à Pelleport5.
Ainsi s'achevait la carrière proprement militaire de cet
officier, sur lequel, en pluviôse an III, le général Charlet
portait ce jugement : Il « est intelligent, remplit bien sa
besogne, a des connaissances et du courage. Pendant les
deux dernières campagnes l'on a eu (sic) que des éloges
à donner à la manière dont il remplit ses devoirs. » Et
Pérignon, commandant en chef par intérim, ajoutait :
« Porte est un bien bon officier ; j'appuie la note du
Charlet; je crois même qu'elle devrait être plus
avantageuse8. »

i. Porte... à la Commission de l'organisation et du mouvement


des armées de terre 22 prairial an III (Arch. Guerre : dossier Porte;.
2. Ibid.
3. Porte... au Ministre de la Guerre, 4e jour complémentaire an IV,
précité.
4. Le commissaire de l'organisation et du mouvement des armées
de terre au citoyen Porte, 7 thermidor an HI (Arch. Guerre : dossier
Porte).
5. Porte... au Ministre de la Guerre. 4e jour complémentaire an IV,
précité. Procès-verbal de la prestation du serment de haine à la
royauté par les administrateurs et fonctionnaires du canton de Ca-
dours, 20 pluviôse an IV (Arch nationales FiC » Haute-Garonne, 12.)
6. Exposé de ses états de service, précité.
Annales du Midi. XLV. 4
5o L.-J. ADHER.

De retour dans son village, ??? adjudant général va


reprendre sa carrière politique. Par arrêté du 8 fructidor
an IV (-25 août 1796), l'administration centrale de la
Haute-Garonne, considérant « que l'esprit est totalement
corrompu dans la plupart des communes » du canton de
Cadours suspend, avec neuf membres, le président de
l'administration municipale, dont Porte recueille la
*.
Il mène, dans ce coin reculé de la Haute-Garonne, une
vie difficile. Le partage de la succession paternelle, les
frais de la guerre où il a perdu deux chevaux, ont
réduit ses ressources et, dans les derniers
jours de l'an IV, il sollicitera du Directoire une pension
de réforme qui lui sera d'ailleurs refusée.
Il semble qu'il éprouve quelque nostalgie de l'armée :
« Ne pouvant maîtriser mon zèle, dira-t-il dans une lettre
adressée à Petiet, j'écrivis longtemps avant qu'on
la campagne au ministre Du Bayet pour le prier si
nous avions la guerre de ne pas oublier qu'à trente-six
ans on a encore de bons bras'. »

Le 20 germinal an V (17 avril 1797), les électeurs de


la Haute-Garonne, réunis au ci-devant Grands-Carmes de

1. L' Anti-Terroriste, n° 62 du 22 vendémiaire an V. «


centrale... vient d'organiser l'administration municipale du
canton de Cadours à la Babeuf, » écrit le rédacteur de ce journal
qui dissimule à peine son royalisme.
2. Porte ... au Ministre de la Guerre, 4* jour complémentaire an
IV, précité.
LE REPRESENTANT PORTE. tt

Toulouse,- attribuent à Porte, par 22? voix sur 386 votants,


le mandat de représentant au Conseil des Cinq-Cents
Pérignon a renoncé l'année précédente pour aller
occuper, à Madrid, le poste d'ambassadeur1. Il a, comme
tous les élus du département en l'an V*, réuni les voix
des républicains prononcés. Les thermidoriens lui ont
opposé le général de brigade Rougé qui, en l'an VII,
dans la Haute-Garonne, le commandement des
insurgés.
Porte alla s'établir à Paris, 343, rue de Chartres,
qu'il devait quitter l'année suivante pour l'ancien
hôtel de Noailles, rue Honoré3.
Dans cette assez terne représentation de la
où seuls montraient quelque activité les anciens
conventionnels Pérès et Calés, Porte ne tarda pas à se
placer au premier plan. Ses discours très travaillés mais

1. Procès-verbal de l'assemblée électorale du département de la


Haute-Garonne, 20-29 germinal an V (Arch, nationales, C, 5io).
2. L'ancien membre du comité de Salut Public, Delmas, réélu au
conseil des Anciens; pour le conseil des Cinq-Cents, Veirieu, qui fut
l'ami de Destrem (cf. Jean Destrem : Le dossier d'un déporté de I80U.
Paris, 1904) et le général Joseph Martin (Arch, nationales, ibid.).
3. Almanach National, de l'an VI à l'an VIII.
4. La représentation de la Haute-Garonne au conseil des Cinq-
Cents comprenait à cette époque : les anciens conventionnels Pérès
et Calés, dont le mandat expirait le 3o floréal an VI ; Gerla, Roger
Martin et Abolin qui, avec Porte, devaient voir leurs pouvoirs prendre
fin au 3o floréal an VII ; Veirieu el Joseph Martin, élus pour trois ans
en germinal an V (Kuscinski : Les députés au corps législatif. Paris,
1905). Il faudrait peut-être ajouter à ces noms, ceux des membres de
cette « seconde deputation de la Haute-Garonne »,dont Pérès
l'existence dans la séance du 27 brumaire an, V (Moniteur du
1 frimaire). Il s'agit des anciens représentants de la Haute-Garonne
à la Convention qui, non réélus par ce déparlement en l'an IV,
avaient été envoyés au Corps législatif, soit par l'assemblée électorale
de France (Drulhe), soit par d'autres déparlements (Rouzet, par
Mailhe, par l'Yonne). Ce dernier, que Pérès visait plus
avait d'ailleurs cessé d'appartenir au conseil depuis le
3o floréal an V.
02 l.-i. ADHER.

un peu lourds de forme et qui témoignent parfois d'un


bon sens assez naïf1, devaient souvent emporter le vote
de l'assemblée.
Dès le 21 messidor an V (10 juillet 1797), il prend la
parole pour s'opposer à la motion de Camille Jordan, que
le parti clichyen a chargé de rapporter une proposition
tendant à supprimer, pour les ministres du culte,
du serment d'obéissance aux lois. Cette harague
violemment anti-catholique le classait d'emblée parmi
les néo-jacobins de l'assemblée'.
Il n'est donc pas étonnant qu'au 18 fructidor il prenne
parti pour le Directoire et c'est lui qui, dans la séance
tenue à l'Odéon, fera autoriser le pouvoir exécutif à
des troupes dans « le rayon constitutionnel » et
l'assemblée à annuler les congés accordés à ses

Le 24 (10 septembre), il vient défendre à la tribune la


municipalité de Toulouse dont les éléments modérés de
la cité méridionale s'efforcent depuis deux ans de faire
annuler les élections successives. Malgré l'avis de la
spéciale, déléguée à l'examen deces réclamations,
il décidera le conseil à écarter celles-ci4.
Le 1 brumaire an VI (22 octobre 1797), il est, avec Bou-

1. Dans la séance tenue à l'Odéon, le 18 fructidor an bV, il donne


des motifs qui ont amené les auteurs de la Constitution de l'an III à
interdire l'entrée des troupes dans le « rayon constitutionnel », cette
explication au moins inattendue : « Braves guerriers... ce n'est point
par le motif d'une défiance injurieuse... La Constitution n'aeu pour
but que d'empêcher que vous fussiez trop habituellement éloignés du
théâtre de votre gloire. » (Moniteur du 22 fructidor).
2. Opinion de Porte sur la police des cultes [imprimée par ordre
du conseil] (Arch, nationales, AD**'» A87; Moniteur du 27 messidor).
3. Moniteur du 22 fructidor.
4. Opinion de Porte sur les opérations des assemblées communales
qui ont eu lieu à Toulouse, en l'an IV et en l'an V [imprimée par
ordre du conseil] (Arch, nationales, ibid. ; Moniteur du 3o fructidor).
LE REPRÉSENTANT PORTE. 53

lay (de la Meurthe), Talot et Gay Vernon élu aux


de secrétaire de l'assemblée dont Villar prend la
présidence1. %
L'élection, au mois de germinal suivant, de Hugues
Destrem', dont le jacobinisme accentué s'allie à
financière du législateur de 1791 , allait oter à
Porte la situation prépondérante qu'il occupait dans la
représentation de la Haute-Garonne au conseil des Cinq-
Cents. Désormais, ses interventions moins nombreuses
seront, presque exclusivement, consacrées aux questions
militaires. Cependant, dans la séance du 19 floréal
(8 mai 1798), il tentera de s'opposer aux mesures par
la majorité directoriale du conseil se propose
d'éliminer les nouveaux élus du parti jacobin. Ce
de partisan ne manque d'ailleurs ni d'esprit
ni de modération : « Devons-nous fermer l'oreille à
la voix du Peuple, compter pour rien ses suffrages, mettre
notre volonté à la place de la sienne? Non, citoyens
Puisque le salut public l'exige, sauvez la
mais ne perdez aucun républicain. Montrez-vous
avares de mesures extraordinaires, elles conduisent
plus loin qu'on ne pense et on s'en repend tôt ou
tard. Ne les exercez pas surtout envers des collègues que
des assemblées non scissionnaires ont continué
de leur confiance, car la France entière vous dirait :
indiquez-moi une source plus pure où nous puissions
aller puiser. Ne les employez pas envers des départements
qui, depuis le commencementde la Révolution, ont donné
l'exemple de l'obéissance aux lois et du respect pour la

1. Conseil des Cinq-Cents. Procès-verbal, brumaire an VI, p. 8;


Moniteur du 3 brumaire.
2. Il remplaçait, avec Cazaux, d'opinions plus modérées, les
conventionnels Calés et Pérès, dont le second passait d'ailleurs
au conseil des Anciens.
54 L.-J. ADHER.

Constitution. Ne les employez pas envers les coopérateurs


du 18 fructidor, car on ne manquerait pas de vous accuser
de donner le premier exemple de la réaction... Que votre
jugement sur chaque assemblée électorale soit tel que vous
ayez l'assurance qu'il sera sanctionné par l'opinion
»
La rupture consommée entre le Directoire et les
de l'assemblée, Porte prendra, avec son collègue
Chabert (des Bouches-du-Rhône), la direction des
menées contre le gouvernement. Il est de ceux qui
s'efforcent d'étendre à Rewbell, les accusations de
portées contre le ci-devant ministre de la guerre
Scherer auquel l'ancien adjudant-général n'a peut-être
pas pardonné sa lettre brutale de messidor an III. Secondé
dans cette campagne d'i ntrigues par Joseph et Lucien
« qui trempent dans tout ce qui promet du
», il s'efforcera dans les derniers jours de l'an VI, de
rallier Barras qu'une altercation avec Merquezy a, un
instant, mis en difficulté avec les conjurés*.
Élu pour deux années seulement, Porte devait voir ses
pouvoirs expirer au 3o floréal an VII (19 mai 1799), en
même temps que ceux des trois représentants nommés
en l'an IV. Les électeurs du département ne disposaient,
au conseil des Cinq-Cents, que de trois sièges, dont l'un
était vacant par suite de la mort de Veirieu. L'assemblée
électorale, qui s'ouvrit le 20 germinal (9 avril), à
dans la salle des Jeux Décadaires, la ci-devant église
des Pénitents-Bleus3, débutait donc dans la fièvre d'une
vive compétition. Lorsque, le 21 germinal, l'élection du

1. Opinion de Porte sur le projet de résolution relatif aux


électorales présenté par Bailleul [imprimé par ordre du conseil]
(Arch. Nationales, ibid., Moniteur du 2? floréal).
2. Barras, Mémoires, t. III, p. 266 et sq.
3. C'est aujourd'hui l'église paroissiale. Saint-Jérôme,
LE REPRÉSENTANT PORTE. 55

président eut révélé aux modérés que la majorité était


acquise aux jacobins, 1?9 électeurs, à la tête desquels
nous retrouvons le général Rougé, déclarèrent faire
en excipant de l'attitude hostile du public. Tous les
efforts de conciliation étant demeurés vains, les scission-
naires réunis au ci-devant archevêché1 renouvelèrent leur
mandat aux représentants élus en l'an IV. Cependant,
réduite à 356 électeurs, l'assemblée « mère » continuait
ses opérations. Le 26 germinal (i5 avril), Porte est réélu
au conseil des Cinq-Cents, par 285 voix sur 3o5 votants;
le lendemain les électeurs lui adjoignirent, avec Bailly,
le général Augereau2.
Fortement discutées, les opérations de l'assemblée
« mère » furent validées le 2? floréal (i3 mai)3.
Porte reprit ses intrigues contre le Directoire. Après
la chute de La Revellière et de Merlin, il fera, en
de concert avec Augereau, une démarche auprès de
Barras pour l'amener à appuyer la proposition de
déposée contre les deux anciens directeurs*.
Son attitude politique devait lui valoir, jusque. dans
son village, des rancunes qui se firent jour au cours de
l'insurrection royaliste de l'an VII. Le 26 thermidor
(i3 août), une soixantaine d'habitants de Pelleport
les armes et, après avoir saccagé la mairie, vont
la maison et la propriété de Porte5, qui, le 8 fructidor

1 . Aujourd'hui hôtel de la préfecture de la Haute-Garonne.


2. Procès- verbaux de l'assemblée « mère », 20-29 germinal an VII et
de l'assemblée scissionnaire 21-39 germinal an VII (Arch, nationales,
? 573).
3. Moniteur du 2? floréal. Conseil des Cinq-Cents. Procès-verbaux,
floréal an VII, p. 583 et 729. Cf. loi du 29 floréal an VII.
4. Barras, op. cit., p. ?90
5. Moniteur du 5 fructidor. Lavigne, Histoire de l'insurrection
royaliste de l'an VII. Paris, 1887, p. 280. Liste des individus [de la
commune de Pelleport] notoirement connus pour avoir fait partie de
bandes royales (Arch. Haute-Garonne, série L).
56 L.-J. ADHER.

(25 août), prendra une dernière fois la parole au conseil


des Cinq-Cents, pour lire le bulletin de la victoire
des troupes républicaines sur les insurgés1.

* *

Il convient, dans ces trois années d'activité politique,


de faire une place à part aux travaux accomplis par
Porte au sein des commissions militaires*.
Dès le i3 vendémiaire an VI (4 octobre 1797), il
un projet d'amnistie en faveur des militaires qui,
prévenus de désertion à l'intérieur ou d'indiscipline,
rejoindront les armées3. Par la suite, il fera adopter
divers projets secondaires touchant l'organisation des
gardes du Directoire* et de la Représentation
Mais, il se consacrera surtout à la
de la gendarmerie et le vaste projet qu'il fit adopter,
dans la séance du 19 ventôse an VI (9 mars 1798), et qui
devint la loi du 28 germinal an VI, constitue encore*
la charte fondamentale de ce corps de troupe'. Ce travail

i. Moniteur du 11 fructidor.
2. L'on sait que l'article 67 de la Constitution de l'an III prohibait
la formation, dans les assemblées, de comités permanents et que des
commissions spéciales devaient être nommées pour chaque question
dont un examen préparatoire paraîtrait nécessaire.
3. Rapport fait par Porte... sur les militaires condamnés, soit aux
fers, soit à la gêne ou à la détention pour cause de désertion dans
l'intérieur ou de délits légers [imprimé par ordre du Conseil]
(Arch, nationales, ibid. Moniteur des i4 et 18 brumaire).
4. Séance du 24 brumaire an VI (Moniteur du 28).
5. Séance du 29 floréal an VI (Moniteur du 1 prairial).
6. Carpentier et Frèrejouan du Saint. Répertoire général
da Droit français, t. ???, Paris 1900. V° Gendarmerie, S 6.
7. Rapport fait par Porte... sur l'organisation de la gendarmerie.
Projet de résolution présenté par Porte... sur l'organisation de
la gendarmerie nationale [imprimé par ordre du conseil] (Arch.
ibid.). Moniteur du 4 pluviôse, 18, 19 et 21 ventôse, Cf.
en outre : Rapport fait par Porte. . . sur l'organisation de la gendar-
LE REPRESENTANT PORTE. ?']
considérable attira l'attention du Directoire qui lui offrit
le poste d'inspecteur de la gendarmerie dans les
de la ci-devant Belgique. Manifestant ses
pour un service dans l'armée active, Porte refusa1.
Sans cesse attentif aux besoins de ses anciens
d'arme, l'ex-adjudant général n'a pas oublié les
jours difficiles qui ont suivi son retour de l'armée. Ce
souvenir n'est sans doute pas étranger à la motion du
27 thermidor an V (i4 août 1797), par laquelle il
d'accorder aux officiers dont l'emploi est supprimé
ou la suspension prononcée, un traitement d'inactivité
égal au quart de leurs appointements*. Un peu plus tard
il fera accorder des pensions à la mère de Marceau3 et à
la famille du général Robert, tué à Arcole*. Mû par les
mêmes sentiments, il réclamera une récompense
pour des citoyens tués ou blessés en arrêtant un chef
de chouans5.
Ce soldat, dont la bravoure ne fait pas de doute,
déteste la guerre : « Le vrai guerrier, qui est aussi un

merie de l'Isle de Corse (séance du 5 frimaire an VI) [imprimé par


ordre du conseil] (Arch. Nationales, ibid; Moniteur du 16 frimaire).
Rapport sur l'organisation de la gendarmerie de la ci-devant
Séance du 7 brumaire an VI (Moniteur du 10 brumaire).
Rapport sur certaines retouches à apporter à la loi sur l'organisation
de la gendarmerie. Séance du 27 pluviôse an VU (Moniteur du 3
*
1. Porte au chef de la division du Ministère de la Guerre chargé
des pensions de retraite de MM. les inspecteurs et sous-inspecteurs
aux revues. 18 juillet 1816 (Arch. Guerre : dossier Porte).
2. Opinion de Porte sur les destitutions militaires [imprimé par
ordre du conseil] (Arch. Nationales, ibid; Moniteur du ier fructidor).
3. Rapport fait par Porte... sur la pétition de la mère du général
Marceau. Séance du 2e jour complémentaire, an V [imprimé par
ordre du conseil] (Arch. Nationales, ibid; Moniteur du 4 vendémiaire
au VI).
4. Séance du 24 nivôse an VI (Moniteur du 29).
5. Motion d'ordre par Porte. Séance du 12 messidor an VI [imprimé
par ordre du conseil] (Arch. Nationales, ibid; Moniteur du i5).
58 L.-J. ADHER.

bon citoyen, se réjouit de pouvoir suspendre ses armes »,


écrivait-il, au ministre de la Guerre, dans les derniers jours
de l'an IV1 et, prenant la parole, le ier fructidor an VI
(18 août 1798), pour appuyer le projet de conscription de
Jourdan, il reprendra la même idée : « Je désire pour le
bonheur de mon pays et de l'humanité entière de voir
poser un terme aux calamités de la guerre : je sais que les
lauriers du militaire sont toujours arrosés de sang. »
Mais il sait également de quel danger est entourée la Ré-
blique : maintes fois il a dénoncé les intrigues du cabinet
de Londres; l'espionnage qui, sous le pavillon des États-
Unis, s'exerce impunément dans les ports; l'attitude des
juges consulaires toujours disposés à régler la question de
prises au détriment de nos nationaux*. Aussi appuiera-t-il
très fermement le projet de conscription de Jourdan
dont l'esprit égalitaire le séduit. Il insistera avec force
pour l'adoption de la disposition privant de droits civils
tout citoyen qui ne peut justifier d'avoir satisfait aux lois
sur le recrutement. Il concluera par une formule qui,
dans cette assemblée, épurée par le coup d'état de floréal,
retrouve le ton des harangues de l'an II : « Le jour où
la Convention nationale décréta la levée en masse fut
celui où l'on dispersa les tyrans. Le jour où vous
que la levée en masse de la jeunesse est en France
une institution permanente, vous décréterez que la
est impérissable3. »

1. Porte... au ministre de la Guerre, 4e jour complémentaire an IV,


précité.
2. Discours prononcé par Porte sur le message du Directoire
concernant la victoire remportée à Ostende le icr prairial an VI.
Séance du 6 prairial an VI [imprimé par ordre du conseil] (Arch,
nationales : ibid; Moniteur du 6 prairial).
3. Opinion de Porte sur le projet de résolution sur le recrutement
de l'armée de terre. Séance du 1" fructidor an VI [imprimé par
du conseil] (Arch, nationales: ibid; Moniteur du a fructidor).
LE REPRÉSENTANT PORTE. 69

*
*

Le coup d'état de brumaire allait écarter Porte de la


scène politique.
Avec ses collègues Destrem et Bailly, il fut du
de ces « individus » que la loi du 19 brumaire an VIII
excluait de la représentation nationale « pour les excès
et les attentats auxquels ils se sont constamment portés
et notamment, la plus grande part d'entre eux, dans la
séance de ce matin1. »
Probablement arrêté, ou tout au moins placé en
au lendemain du coup d'état, Porte n'allait pas
tarder à accepter le fait accompli. Lannes, récemment
nommé au commandement des 9e et 10e divisions
s'entremit, sans doute3, en faveur de son ancien
camarade de l'armée des Pyrénées-Orientales. En retour,
celui-ci ne se refusa pas à seconder l'uvre de
que son protecteur allait entreprendre dans cette
ville de Toulouse où les vainqueurs de brumaire avaient

1 . Aucun des récits de la séance tenue à Saint-Cloud ne permet


de préciser l'attitude prise par Porte à l'Orangerie. Sa présence est
attestée par le pointage de la liste ayant servi à l'appel nominal pour
le serment de fidélité à la Constitution (Arch, nationales, ? 46g). Au
soir, c'est sans Hésitation que son nom est porté sur la minute de la
liste des exclus (ibid.). Voir sur ces deux documents : Jean Destrem,
Quelques documents sur le 19 brumaire (Révolution française, i4 avril
1910).
2. Les archives de la préfecture de Police gardent la trace d'un
relatif à Porte, brûlé en 187 1. Cf. Destrem : Le dossier d'un
déporté de 180b, précité, p. 92, et Grousset : Le coup d'État de brumaire
an VIII, Paris 1869, p. 456.
3. « Le général Lannes... qui est tant mon ami, et qui m'en a
donné tant de preuves dans cette occasion. » (Porte à
centrale de la Haute-Garonne, 2? brumaire an VIII
à Toulouse par ordre de l'administration centrale].
nationale, Lb*s, 37a; un extrait figure au Moniteur du 1"
6o L.-J. ADHER.

un moment redouté de voir se réunir les députés


Dans une lettre, datée du 2? brumaire (i4
1799) et adressée à l'administration centrale de la
Haute-Garonne, Porte invitait ses compatriotes à se
autour du nouveau gouvernement. Quels que
soient les motifs qui aient dicté son ralliement, le
déchu sut l'accomplir sans bassesse et mettre dans
sa lettre un certain ton désabusé qui ne manque pas de
hauteur. Il admet qu'il s'est mépris sur les intentions de
Bonaparte, qu'une crise violente était nécessaire : « Si les
moyens de l'opérer avaient été moins secrets et le but
qu'on se proposait connu de tous nul doute qu'elle n'eût
été opérée à la satisfaction de tous. » Il a cru la
en danger et il cherche à se persuader que la
du 19 brumaire sauve toutes les conquêtes de la
: « Le véritable but que les consuls de la
République veulent atteindre... est la liberté, l'égalité, la
République, le gouvernement représentatif et la paix
intérieure et extérieure, l'objet constant des vux de
tous les Français. Les miens, en prenant la carrière dans
laquelle j'avais deux fois été lancé par les suffrages du
peuple, avaient été aussi de voir la République heureuse...
Quoi qu'il en soit... la République n'en sera pas moins
sauvée*. »

Bonaparte ne tint pas rigueur à cet adversaire rallié.


Dès le 3 frimaire (24 novembre), le Moniteur annonce
que l'ex-député va être employé à l'armée. En effet, il
sera, le 18 pluviôse (7 janvier 1800), compris avec le titre

1 . Morère, Les débuts du Consulat à Toulouse (Révolution française,


janvier 1897).
2. Porte à l'administration centrale... de la Haute-Garonne,
LE REPRÉSENTANT PORTE. 6l
de sous-inspecteur de ?? classe, dans les premières
au corps des inspecteurs aux revues1, que les
consuls viennent d'instituer par arrêté du 9 du même
mois. Désormais l'ancien jacobin acceptera sans réserves
toutes les mesures constitutionnelles qui, graduellement,
investiront le premier consul d'un pouvoir héréditaire.
Le 3o floréal an X (20 mai 1802), il adhère au Consulat
à vie* et, le ferme républicain de l'an VIII n'hésitera pas
à contresigner, le 8 floréal an XII (28 avril i8o4), cetle
adresse où Marmont et les officiers supérieurs de l'armée
de Batavie adjureront Bonaparte de mettre un terme « au
gouvernement électif, source de dangers, de désordre et
de confusion3 ».
Cette docilité ne lui vaudra d'ailleurs d'autre faveur
que son admission dans la légion d'honneur le 27 niv-ôse
an XIII (17 janvier i8o5)*. Jusqu'à la fin de sa carrière,
et bien qu'il ait rempli maintes fois les fonctions d'un
grade supérieur, il végétera parmi les sous-inspecteurs
dont à partir de l'année i8o5 il est le plus ancien5.
le général Victor intercédera pour lui, au
où la réforme du corps amènera la création de
douze nouveaux postes d'inspecteurs aux revues*.
il attendra un avancement, qui ne sera pas refusé
à cet autre exclu de brumaire, Souilhé.

1. Exposé de ses états de service, 10 décembre 1810 (Arch. Guerre :


dossier Porte). > Moniteur du 19 pluviôse.
2. Arch, nationales, B».
3. Les officiers généraux et supérieurs du camp d'Utrecht et des
troupes stationnées en Batavie au Premier consul, 8 floréal an XII
(Arch, nationales, B", 85 1, b).
4. États de service (Arch. Guerre : dossier Porte).
5. Note de F. Melons, ex adjoint aux inspecteurs aux revues
(ibid.). Almanach impérial pour 1806.
6. Victor au Premier consul, 21 frimaire an X (Arch. Guerre :
ibid). L'arrêté augmentant l'effectif du corps des inspecteurs aux
revues est du a3 frimaire.
02 L.-J. ADHER.

Cependant ses supérieurs vantent à l'envi « le zèle et


l'exactitude avec lesquels il remplit les devoirs de son
état, ses connaissances administratives, sa probité et son
dévouement1 ». « Monsieur Porte depuis longtemps a
rempli chez nous avec honneur le poste qui lui est
confié », déclare le secrétaire d'État batave Pyman*, et
l'inspecteur général Pille, président du comité central
des revues et administration des troupes, formulera ainsi
son opinion sur son subordonné : « On ne peut servir
avec plus de zèle et d'assiduité3. »

Il serait sans intérêt de retracer dans le détail ce


épisode de la carrière militaire de Porte. Bornons-
nous à en marquer les principales étapes.
Attaché à l'armée de Batavie, il rejoint son poste à
La Haye, le 26 floréal an VIII (16 avril 1800)*. Avec
l'armée Gallo-Batave, il participe aux campagnes de

1. Victor au Premier consul, précité.


a. Le secrétaire d'État au département de la guerre de la
batave à M. le maréchal Berthier, ministre de la Guerre,
19 août i8o5 (Arch. Guerre, ibid.).
3. Le président du comité central des revues ... au ministre de la
Guerre, 19 août i8o5 (ibid.). Une seule note discordante dans ce
concert d'éloges : en marge d'une lettre par laquelle le directeur
général des revues propose, le 17 février 1810, d'accorder un congé
à Porte, un fonctionnaire du département de la Guerre note :
« Il y a de grandes plaintes du duc de Castiglione sur la conduite
de M. Porte. » (ibid.). Nos recherches dans les archives du
de la Guerre ne nous ont pas permis de déterminer la nature
de ces plaintes. Remarquons toutefois qu'un an après, Augereau
intervenait personnellement, auprès du ministre de la Guerre, en
faveur de son ancien collègue du conseil des Cinq-Cents
... à son excellence le duc de Feltre, a5 février 181 1, ibid.).
4. Armée de Batavie. Étal-major général. Ordre du 26 floréal
an VIII (Arch. Guerre : B», g4).
LE REPRÉSENTANT PORTE. 63

l'an VIII et de l'an IX en Franconie1. Mais sa santé


: souffrant des suites de ses blessures de l'an III,
affligé d'une fistule anale, inquiet en- outre de l'état de
ses affaires laissées à l'abandon depuis 179?, il doit, dès
la fin de l'an XII, solliciter un congé qui, malgré l'appui
donné par tous ses supérieurs, lui sera obstinément
refusé jusqu'à la création du royaume de Hollande et la
dispersion de l'armée de Batavie*.
Le 26 juillet 1806, il reçoit l'ordre de se rendre à
pour exercer, à l'état-major de la 10e division
militaire, les fonctions d'inspecteur aux revues3.
Il relevait à peine d'une grave maladie*, lorsque, le
f 9 mars 1808, le ministre de la Guerre lui prescrivit de
se rendre en poste à Barcelone, pour y être employé au
corps d'observation des Pyrénées-Orientales5. Il assuma
quelque temps, auprès du général Duhesme, les
de chef d'état-major4. Mais les fatigues d'une dure
campagne, une crise de gravelle venant, avec des
rhumatismales, s'ajouter aux infirmités anciennes,
le contraignirent, au début de l'année 1810, à solliciter un

1. Exposé de ses actes de service, ? décembre 18 10, précité.


2. Demandes des 2 vendémiaire, 28 ventôse, 22 thermidor an ?? ?
i4 mars 1806 et certificats médicaux produits à l'appui (Arch. Guerre :
dossier Porte).
3. Exposé de ses états de service, 10 décembre 1810, précité.
Le ministre de la Guerre à Porte, 6 août 1906. Porte au ministre
de la Guerre, 27 août 1806 (ibid.).
4. Note de F. Melons, précitée.
5. Le ministre de la Guerre à Porte, 20 mars 1808. Porte au
ministre de la Guerre, 26 mars 1808 (ibid.).
6. « Le général Duhesme ayant besoin pour remplir les fonctions
de chef d'état-major, dans la position où il se trouvait, d'un homme
qui possédait des connaissances administratives, remplaça le
chef d'escadron Ordonneau par le sous-inspecteur aux revues
Porte, qui avait été administrateur de son département et membre
du Conseil des Cinq-Cents... » (??? ride et Allorge, Le général
Paris, 1909).
G4 L.-J. ADHER.

nouveau congé qui, après maintes demandes et l'offre


même de sa démission1, ne lui sera accordé que l'année
suivante sur l'intervention d'Augereau*.
Le 24 juillet 1811, à l'issue de son congé, il est affecté
à la 10e division militaire3, où il est quelques temps
chargé du service des revues du département des Pyrénées-
Orientales*, poste qu'il échange, le i5 avril 1812, contre
la présidence de la commission d'habillement établie à
Toulouse5. H conservera cette résidence jusqu'à sa retraite.
Chargé par le duc d'Angouleme, au second retour des
Bourbons, de remplacer l'inspecteur Souilhé, destitué, à
la tête du service des revues de la 10e division militaire*,
il est mis à la retraite à compter du 1" janvier 1816'.

Il ne semble pas que Porte ait manifesté au retour des


Bourbons plus d'opposition qu'à l'établissement de
Il s'empressera même, en septembre i8i4, de
la croix de Saint-Louis et, vainement d'ailleurs,
renouvellera sa demande en 18208. Toutefois, au mois
d'octobre i8i5, un royaliste toulousain l'accusera d'avoir,
avec son futur gendre, le sous-inspecteur Verdun, pris,

1. Porte .... au ... directeur général des revues, 3o janvier, 12 juin,


i3 août, 5 décembre 1810, 16 février 181 1 et certificats médicaux
produits à l'appui (Arch. Guerre : ibid.).
2. Augereau à son excellence le duc de Feltre, précité Porte
à son excellence le directeur général des revues, 27 mai 181 1 (ibid.).
3. Décision du 24 juillet 181 1 (ibid.).
4. États de service, précité.
5. Décision du i5 avril 1813 (ibid.),
6. Le ministre delà Guerre au général ... de Damas, 11 août i8i5
(ibid.).
7. Porte à son excellence le ministre de la Guerre, 7 octobre i8i5
(ibid.) États de service, précité.
8. Porte à son excellence le ministre de la Guerre, 22 septembre 1814
et 6 mai 1820 (ibid.).
LE REPRÉSENTANT PORTE. 65

pendant les Cent-Jours, la tête des gardes nationaux


fédérés1 et le préfet de la Haute-Garonne, transmettant au
ministre de l'Intérieur, au mois de juillet 1820, des
sur les électeurs du premier collège
notera l'ancien représentant du peuple, comme
un libéral déclaré*.
*
* *

Les papiers de famille, s'il en existe, pourraient seuls


permettre de retracer les dernières années de la vie de
Porte. Les documents d'archives montrent toutefois qu'il
persiste à s'intéresser aux affaires publiques. Il participe
assidûment aux travaux des collèges d'arrondissement et
de département3 auxquels sa qualité de gros contribuable*
lui permet d'appartenir. Parfois quelques voix s'égarent
sur le nom de l'ancien représentant5 qui meurt, à
dans sa maison sise 77, rue du Taur, le 20 avril
i835«
Louis-Jean Adher.

i. Le sieur de l'Artigue à ... Monseigneur le duc d'Angouleme,


i5 octobre 181 5 (ibid.).
2. Renseignements sur les électeurs du premier Collège de la
Haute-Garonne (Arch, nationales F1 c>" Haute-Garonne).
3. Ibid.
4- Il figure sur la liste d'éligibilité, formée en exécution de
royale du i3 juillet i8i5 et arrêtée le 8 août suivant, comme
payant 2.?26 fr. ?2 de contributions directes (ibid.),
5. Ibid.
6. État civil de Toulouse.

Annales du Midi. XLV.

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