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Plus tard, je suis montée près de lui à un moment où ma mère servait.

Je l’ai trouvé assis au


bord du lit, la tête penchée, fixant désespérément la chaise à côté du lit. Il tenait son verre
vide au bout de son bras tendu. Sa main tremblait avec violence. Je n’ai pas compris tout de
suite qu’il voulait reposer le verre sur la chaise. Pendant des secondes interminables, j’ai
regardé la main. Son air de désespoir. Enfin, j’ai pris le verre et je l’ai recouché, ramenant
ses jambes sur le lit. J’ai osé le regarder vraiment. Sa figure n’offrait plus qu’un rapport
lointain avec celle qu’il avait toujours eue pour moi. Autour du dentier – il avait refusé de
l’enlever- ses lèvres se retroussaient au dessus des gencives. Devenu un de ces vieillards
alités de l’hospice devant les lits desquels la directrice de l’école religieuse nous faisait
brailler des Noëls.

A midi et demi, j’ai couché l’enfant. Il n’avait pas sommeil et sautait sur son lit à ressorts de
toutes ses forces. Mon père respirait difficilement, les yeux grands ouverts. Ma mère a
fermé le café et l’épicerie, comme tous les dimanches, vers une heure. Elle est remontée
près de lui. Pendant que je faisais la vaisselle, mon oncle et ma tante sont arrivés. Après
avoir vu mon père, ils se sont installés dans la cuisine. J’ai entendu ma mère marcher
lentement au dessus, commencer à descendre. J’ai cru, malgré son pas lent, inhabituel,
qu’elle venait boire son café. Juste au tournant de l’escalier, elle a dit doucement « C’est
fini ».

Le commerce n’existe plus. C’est une maison particulière, avec des rideaux de tergal aux
anciennes devantures. Le fonds s’est éteint avec le départ de ma mère qui vit dans un studio
à proximité du centre. Elle a fait poser un beau monument de marbre sur la tombe.
A …. D 1899-1967. Sobre, et ne demande pas d’entretien.

J’ai fini de mettre au jour l’héritage que j’ai dû déposer au seuil du monde bourgeois et
cultivé quand j’y suis entré.

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