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LA GUINEE
REQUIEM POUR UNE RÉVOLUTION
(Ç)L'Harmattan, 2003
ISBN: 2-7475-5414-7
MandioufMauro SIDIBE
LA GUINÉE
REQUIEM POUR UNE RÉVOLUTION
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m'avait parlé d'une grande réunion qui devait se tenir sur la
place faisant face au bureau du commandant de cercle:
l'intervenant était un dirigeant venu de la capitale, peut-être
Sékou TOURE ? Ma mère s'y était rendue tandis que mon père
avait préféré rester dans son grand fauteuil devant la maison,
son fusil de chasse à portée de main.
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initiateur. Il nous apprenait à saluer tous ceux qui nous
rendaient visite et à changer nos habitudes. Il nous expliquait et
nous dictait nos droits et nos devoirs à présent que nous étions
devenus de vrais hommes. Le premier pansement de ma plaie
fut un véritable calvaire: le ruban avait séché avec le sang et
adhérait à la cicatrice. Malgré J'application d'une lotion à base
de feuilles, la douleur réapparut de façon aussi intense que le
jour de la circoncision et augmenta au fur et à mesure qu'on
déroulait le ruban. Ces premiers soins passés, la plaie fut laissée
à l'air.
Dans notre chambre que l'on entourait de mystère, nous
percevions les échos des chants et danses organisés à notre
intention. Les femmes du quartier se relayaient autour
d'immenses marmites dans lesquelles mijotait la viande des
moutons ou des poulets sacrifiés chaque jour. Ce rituel dura
pendant toute la période de cicatrisation, ne nous laissant du
répit qu'au moment où nous dormions. C'est au petit marigot
proche de la maison que nous avons enlevé nos grands boubous
à la fin de cette initiation. Nous nous sommes lavés à grande
eau avant d'enfiler de nouvelles tenues, identiques cette fois à
celles des autres enfants. A notre retour, la fête avait repris de
plus belle et n'allait s'achever que tard dans la nuit.
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son ouvrage. Nous avons emménagé dans cette maison bien
avant la fin des travaux.
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qu'une sous-préfecture. La raison de cette sanction ne fut jamais
élucidée.
Avant d'entrer au collège, en CM 1, j'avais fait la
connaissance d'Abdoulaye, un ami avec qui j'allais passer une
bonne partie de mes études. A l'époque, on commençait à avoir
des petites amies que l'on taquinait beaucoup en classe. Celles
qui refusaient d'être avec nous se faisaient pincer et au moment
où elles criaient, on projetait de l'encre dans leur bouche
qu'elles n'osaient plus ouvrir (c'était là un autre usage aux
plumes et encriers d'alors !).
Notre Directeur s'appelait Monsieur CONTE. Il avait
obtenu une bourse de voyage d'études pour la France et y avait
fait un séjour. A son retour, il nous parla beaucoup de Paris et
nous dit fièrement que celui qui n'était pas passé sous la Tour
Eiffel n'avait pas visité Paris. Il nous donna des crayons
marqués CONTE. Ce n'est qu'en arrivant en France que je
découvris qu'il existait effectivement une marque de crayon
portant ce nom. A l'époque, nous imaginions que le nom de
notre directeur avait été gravé sur ces crayons à l'occasion de sa
visite en France!
Après le brevet, je fus inscrit au Lycée Classique de
Conakry, dans la série biologie. Madame Marie SOUMAH,
notre professeur de biologie, une Française, allait marquer nos
mémoires par son sens de la pédagogie et ses attentions à
l'égard des élèves. Je me souviens encore de son clin d'oeil
d'encouragement le jour du baccalauréat, après avoir jeté un
regard sur ma copie.
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attendions pendant des heures l'arrivée du Président et de ses
invités.
Au moment de leur entrée au stade, devant toute la
population réunie, les miliciens et les hauts dignitaires du Parti
criaient des slogans révolutionnaires auxquels nous devions
répondre: « L'impérialisme: à bas! Le colonialisme: à bas!
Le néocolonialisme : à bas! Vive la Révolution! Vive le
Responsable suprême de la Révolution! Très longue vie au
Président Ahmed Sékou TOURE ! »
Chaque école avait sa place réservée dans le stade. Si la
place restait inoccupée, Iliarenommée du directeur en pâtissait.
Nous passions des journées entières à attendre. Le Président
faisait des discours éloquents, durant des heures, après quoi la
population et les représentants des établissements défilaient. Le
Président était fier de nous et aimait dire que le peuple guinéen
était mobilisé et discipliné. J'ai assisté à toutes ces réceptions
pendant ma vie d'élève et d'étudiant. Au lycée, l'une de nos
matières portait le nom de philo-idéologie. Elle consistait à
nous enseigner les principes du parti, rédigés dans des tomes
par Sékou TOURE lui-même, tandis que le français n'était plus
enseigné.
C'est en réalité au début de mes études universitaires de
Médecine que j'ai eu des contacts avec le régime et ses
dirigeants. Mes camarades m'avait élu délégué de classe car la
décentralisation voulait qu'à tous les niveaux, il existât un
représentant du Parti. Dans les quartiers, les arrondissements,
les villages, on retrouvait la même structure. Je fus élu premier
responsable de ma classe et j'eus l'occasion de rencontrer deux
ou trois fois le Président Sékou TOURE. Je menai mes études
médicales, dans une atmosphère assez particulière. La faculté
fut construite par les soviétiques qui avaient apporté du matériel
et des équipements. Pendant des années, tout avait été stocké
dans des caisses au port de Conakry. Les étudiants s'étaient
organisés pour les transporter du port à la faculté. Cette action
était appelée «Action Caisses» et nous pointions tous les
absents. En fin d'année, les absences étaient comptabilisées et
une note était attribuée à chaque étudiant. Cette note, dite
d'idéologie, entrait dans le calcul des moyennes générales. Les
professeurs de la faculté de médecine venaient des pays
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d'Europe de l'Est, notamment d'URSS. Pour l'enseignement de
l'anatomie, nous avions quatre professeurs: deux Soviétiques et
deux Allemands de l'Est. Généralement, Soviétiques et
Allemands ne s'entendaient pas, ce qui donnait lieu à bien des
discussions. Nos premières démarches en faculté avaient pour
but d'essayer de faire rémunérer nos stages. A l'époque, nous
faisions les stages dans les deux centres hospital iers
universitaires de Conakry et la faculté se trouvait distante de
cinq ou six kilomètres; nous étions obligés de faire le trajet à
pied. Les étudiants les plus aisés se payaient le transport en
commun. A nos doléances, le Ministre de l'Education Nationale,
Mamady KEITA, répondit que nous avions fait un choix et que
nous devions en assumer les conséquences. En revanche, l'un
des directeurs des centres hospitaliers universitaires nous
proposa de nous aider: il était prêt à nous payer, à condition
d'en recevoir l'ordre du Ministère des Finances et d'avoir
l'accord du Chef de l'Etat.
C'est ainsi que mes camarades me demandèrent d'aller
trouver le Président pour lui exposer le problème. Un groupe de
délégués dont deux filles se rendit donc au Palais de la
présidence. Nous savions que tout citoyen pouvait avoir
audience. Le Chef de l'Etat nous a fait entrer dans son bureau.
Je lui ai expliqué rapidement le problème. Il m'a regardé dans
les yeux. On m'avait prévenu qu'il avait un regard très perçant et
qu'il était difficile de se ressaisir lorsqu'il fixait ainsi son
interlocuteur. J'ai trouvé qu'il cherchait à m'impressionner mais
je suis resté serein. Il m'a dit qu'il comprenait nos
revendications et que cette situation était du ressort du
Ministère de l'Education. J'ai eu le sentiment que nous
l'agacions un peu. Une semaine après cette entrevue, le
Ministère de ]'Education nous a informés, par l'intermédiaire du
Directeur des Hôpitaux, que nous allions avoir une prime pour
couvrir nos frais de stage et de transport. Cette décision fut
accueillie avec joie. De là commença notre engagement pour la
Révolution de Sékou TOURE. Nous devînmes de fervents
partisans de Sékou TOU RE, disant de lui qu'il était l'homme du
dialogue.
Les étudiants profitèrent de l'une de ses visites à
l'université pour lui exposer les problèmes liés aux conditions
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de vie à l'internat et notamment la situation alimentaire
désastreuse.
A cette occasion, Sékou TOURE fut invité au réfectoire
des étudiants. Les autorités de l'Institut Polytechnique se
précipitèrent pour mettre de très beaux couverts et des nappes
avant son arrivée. Une fois dans le réfectoire, la Secrétaire
générale du Comité de coordination des étudiants fit part de sa
surprise au Chef de l'Etat en lui disant qu'il n'était pas habituel
que des nappes et de jolis couverts soient ainsi disposés. Sur le
champ, Sékou TOURE ordonna que l'on retire tout cela et
«que l'on mange comme d'habitude ». Ce fut un grand
événement. Tous les étudiants criaient «Vive la
Révolution! Vive le Président! »Quelques jours plus tard,
l'administrateur de l'Institut Polytechnique fut remplacé.
Nous nous immiscions même dans les problèmes
pédagogiques relevant du doyen de la faculté. En troisième
année, ce dernier nous avait demandé d'étudier une matière
supplémentaire: l'histologie. Le professeur de cette discipline
nous imposa un contrôle inattendu qui, selon lui, ne devait pas
compter dans le calcul des notes en fin d'année. Il ne tint pas
parole alors que plus de la moitié des étudiants n'avait pas eu la
moyenne. Un comité se mit en place pour s'occuper de l'affaire.
Parmi les étudiants recalés, une demoiselle Neko vint me
trouver pour me dire d'aller voir le Président de la République et
lui expliquer la situation; elle était sûre que nous aurions gain
de cause; mais rien ne me prouvait que les choses se
dérouleraient ainsi. Elle me dit alors: «Si tu n'es pas sûr, je
vais te donner des preuves et téléphoner au Ministre de
l'Education Nationale, que je connais personnellement. Il ne
peut pas prendre de décision sans avoir une plainte de la part
des étudiants! Ce monsieur veut m'aider à condition que les
étudiants prennent contact avec le Président de la République
qui, alors, lui demandera son avis ». Je promis à Neko que si
j'avais la certitude qu'elle téléphonerait au Ministre, j'irais voir
le Président. Sur-le-champ, nous sommes allés dans une maison
où se trouvait un téléphone. Neko appela donc le Ministre qui
me demanda de faire un rapport et me fixa rendez-vous. Il me
dit également qu'il réglerait la situation à son niveau,
l'intervention du Président n'étant pas nécessaire. Après une
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petite enquête, j'appris que ce Ministre avait des rapports très
intimes avec l'étudiante.
Personnellement, je cherchais uniquement à défendre
les étudiants sans porter préjudice à mon professeur. J'arrivai à
huit heures à ce Ministère, le jour du rendez-vous, avec tous les
autres étudiants et, à ma grande surprise, le doyen était présent
dans la salle d'attente. Il avait été convoqué en même temps que
nous. Nous sommes tous entrés dans le bureau du Ministre.
Celui-ci a expliqué le contenu du rapport au doyen et lui a
ordonné sur le champ de faire passer les étudiants en classe
supérieure. En cherchant à défendre les intérêts des étudiants, je
ne pensais pas porter préjudice au doyen. Celui-ci m'avait
semblé profondément blessé au sortir de cette rencontre.
Quelques jours plus tard, il a cherché à me rencontrer pour me
mettre en garde contre les manipulations de certains amis
paresseux. J'ai réalisé que ce différend aurait pu le conduire en
prison voire lui coûter la vie. On aurait pu le considérer comme
réactionnaire, contre-révolutionnaire en le faisant passer pour
quelqu'un qui poussait les étudiants à la révolte.
Les étudiants sont donc passés en classe supérieure,
mais j'ai conservé des relations très difficiles avec le doyen.
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CHAPITRE II
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condamnées à la peIne de mort ou à de longues peines de
prIson.
Un matin, j'étais sur la route de l'université quand,
soudain, je remarquai une agitation inhabituel1e à Conakry, sur
l'autoroute qui mène de l'aéroport à ]a vine. Je constatai une
affluence en direction de Conakry: une foule déchaînée courait
et criait. L'agitation était tel1e qu'il me fut impossible d'avoir des
informations sur ]e moment. Je me suis alors laissé entraîner par
cette vague humaine.
A deux cents mètres environ du pont sous lequel passe
l'autoroute, à environ quatre kilomètres du centre, j'ai cru
apercevoir des objets suspendus qui bougeaient comme des
marionnettes. Je n'ai pas réalisé alors ce qui se passait. Ce n'est
que lorsque je me suis retrouvé tout près du pont que j'ai
compris qu'il s'agissait d'êtres humains.
Je me suis alors souvenu que, quelques jours
auparavant, des rumeurs faisaient croire que l'on allait bientôt
assister à des séances de pendaison publique à la suite de
l'agression du 22 novembre 1970. Selon ces mêmes rumeurs,
des complices guinéens restés sur le territoire avaient été
arrêtés, jugés, puis pendus dans chaque vil1e. Chaque fois
qu'une suspicion de complot se répandait dans le pays, on
assistait à des arrestations: ministres, personnalités haut placées
qui, selon le pouvoir, étaient complices ou auteurs présumés de
ces délits. Un Comité révolutionnaire dirigé par le jeune frère
du Président ou par l'un de ses proches les jugeait à huis clos.
Les dépositions de ces détenus politiques étaient souvent
radiodiffusées et stéréotypées dans le genre: «je me nomme...,
je suis âgé de..., j'ai pour fonction..., j'ai adhéré à..., lutté
contre le Gouvernement, j'ai été enrôlé par une organisation
étrangère, mes appointements étaient de... dollars par mois ou
par an, mon rôle était de déstabiliser l'économie». Une bonne
partie de ces dépositions figure d'ailleurs dans un Livre blanc
de plusieurs tomes, imprimé par le régime en Novembre 1971,
sous le titre« l'impérialisme et sa cinquième colonne en
République de Guinée ».
On entendait depuis plusieurs semaines ces déclarations
dont le contenu ne représentait pas grand chose aux yeux de la
population, laquelle doutait beaucoup de la réalité de tels
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propos enregistrés sans témoins. Par contre, ceux-ci généraient
une angoisse chez tous ceux qui étaient susceptibles d'être
dénoncés... Le peuple qui connaissait les accusés n'ignorait pas
que ces aveux s'obtenaient par la torture. Personne ne doutait
des méthodes utilisées dans les prisons. Ceux qui arrivaient à en
sortir restaient marqués.
Sous ce pont, j'étais horrifié, bouleversé. Je n'avais
jamais vu une telle scène de ma vie. Je restai figé sous ces
quatre corps inanimés dont certains étaient maculés
d'excréments. Une foule déchaînée, comme aliénée, dansait et
crachait sous les cadavres. Je me suis rappelé le titre du roman
de Boris VIAN « J'irai cracher sur vos tombes» ... Sur le coup,
j'ai senti une fièvre monter en moi, je n'ai pas pu résister
longtemps et j'ai vomi.
Quelques étrangers ou diplomates essayaient de prendre
des photos depuis leur voiture. Tout ceci me semblait être de la
fiction. Je suis resté une vingtaine de minutes devant ce
spectacle. J'ai reconnu parmi les pendus le père d'un camarade
qui avait été commissaire à Dubréka, où j'avais passé mon
enfance. Son fils et moi faisions partie du mouvement pionnier
à l'époque. C'était un garçon très sympathique. Mes pensées
sont allées vers lui. J'appris plus tard qu'il avait lui aussi été
arrêté par la suite en raison de ce que son père était comploteur.
Soupçonné de mener des actions similaires, il resta emprisonné
plusieurs années au camp Boiro.
Certains durent assister, impuissants, à la pendaison de
leur père, d'autres enfants de détenus politiques durent fuir la
Guinée. Ceux qui restèrent furent montrés du doigt, isolés, seuls
avec leurs pensées.
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CHAPITRE III
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révoqué. Le lendemain, le chanteur obtenait sa moto
gratuitement.
Lodia essaya de lutter contre ce genre de trafic, mais se
heurta à toute la direction de son entreprise. Passant pour un
saboteur, il fut dénoncé comme espion et arrêté.
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Ce n'est que quelque temps seulement après notre
arrivée que nous avons commencé à voir des femmes et des
jeunes filles. Manden se confia un jour à moi parce que j'étais
médecin. Il me rapporta que les habitants nous considéraient
comme les enfants de Sékou TOURE. La rumeur disait qu'il
fa11ait nous laisser faire ce que nous voulions et que, si nous
voulions des femmes, il fallait nous les donner. C'est pour cette
raison qu'à notre arrivée, les autochtones avaient éloigné leurs
épouses et leurs filles dans les champs.
Un collègue nous avait d'ailleurs raconté un fait divers
qui confirmait cette rumeur. Un étudiant d'une brigade de la
préfecture avait eu des démêlés avec le commissariat de la ville.
Ce jeune homme, pendant la dispute avec le commissaire, avait
crié des slogans révolutionnaires en ajoutant que les étudiants
étaient les envoyés de la Révolution et qu'ils pouvaient défier
tout le monde. Le commissaire, un peu vexé, demanda alors que
ce brigadier (nom donné aux étudiants) soit gardé à vue pour
une journée. Malheureusement, cela coïncida avec la visite de
Sékou TOURE dans la ville et, informés de cette situation, les
étudiants se regroupèrent pour demander une audience auprès
du Président de la République. Les responsables de la ville,
sachant que cette histoire risquait de leur porter préjudice, firent
en sorte que les étudiants ne puissent pas rencontrer Sékou
TOURE en ne transmettant pas la demande d'audience au
service du protocole. Au tout dernier moment, ayant compris
qu'ils ne pourraient pas rencontrer le Chef de l'Etat, les
étudiants se réunirent à la sortie de la ville, sur la route
nationale par laquelle celui-ci devait se rendre à l'aéroport. A
l'arrivée du cortège, ils avaient occupé le milieu de la route en
criant des slogans révolutionnaires, obligeant le convoi
présidentiel à s'arrêter et Sékou TOURE à leur demander
pourquoi ils étaient là. Ceux-ci répondirent que les responsables
avaient refusé qu'ils s'entretiennent avec lui sur les problèmes
qui se posaient à eux pendant cette campagne et notamment, sur
celui de leur collègue maintenu en garde à vue au commissariat
de la ville. Sékou TOURE, très étonné de ce qu'il avait appris,
était descendu de sa voiture et, avec tous les étudiants, avait
marché. Il traversa toute la ville avec eux jusqu'au commissariat
en question. Arrivé sur les lieux, il demanda à voir l'étudiant.
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Après avoir entendu ses explications, Sékou TOURE lui
demanda ce qu'il voulait qu'on fasse du commissaire de police,
s'il voulait qu'on le destitue, qu'on le dégrade. L'étudiant dit
simplement qu'il voulait qu'on le mette en prison pour qu'il y
passe le même temps que lui. Le jeune homme fut relaxé, le
commissaire mis en prison, et tous les étudiants se mirent à
crier les slogans de la Révolution.
Ce petit incident ne faisait que renforcer l'idée des
paysans: les étudiants étaient les envoyés de Sékou TOU RE,
les fils de la Révolution et il fallait s'en méfier.
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chiens partaient devant et nous étions obligés de courir derrière
eux pour les rattraper avant qu'ils ne déchiquettent nos proies.
Les habitants de Oudoumakoro étaient très généreux. Ils
m'offraient parfois des poulets qui étaient habituellement
réservés aux grandes occasions.
Mon ami s'appelait Nafadima Laye SAKHO, le
premier prénom était celui de sa mère et le second le sien. Tous
les habitants se nommaient SAKHO, à l'exception d'une dizaine
de personnes, principalement des femmes qui avaient été
épousées dans des villages voisins et n'avaient pas pris le nom
de leur mari comme cela se fait encore aujourd'hui en Guinée.
Une autre particularité du village était la longueur des
salutations: on demandait des nouvelles des membres de la
famille, des chiens, des chats, des objets...
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CHAPITRE IV
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réclamation. Ces affectations furent imposées aux sociétés
mixtes qui avaient un nombre de travailleurs limités. Mes
collègues ont donc été considérés comme des stagiaires
puisqu'il n'y avait en réalité pas de poste vacant dans
l'immédiat.
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chirurgien français qui acceptait les malades de mon hôpital.
C'est ce conflit qui allait m'attirer bien des ennuis.
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d'écrire ensuite une lettre au Président de la République ou au
Ministre pour le signaler. L'intéressé recevait alors une
inspection. Si le problème était d'ordre politique, il était
emprisonné, s'il était financier, il était suspendu de ses
fonctions. A cette époque, on disait que « les murs avaient des
oreilles ». Dans mon hôpital, travaillait le père de mon ami
RAMACA qui était infirmier. N'eût été la suppression de la
chefferie traditionnelle par le régime de Sékou TOURE, ce
monsieur aurait dû succéder à son père, roi dans la région. Cette
situation le rendait fort suspect sous ce régime. Un jour, un
infirmier de l'hôpital, qui lui en voulait, vint discuter avec lui en
faisant croire qu'il était opposé au régime de Sékou TOURE. Le
vieil infirmier lui confia alors naïvement ses impressions sur le
régime qui, bien sûr, n'étaient pas très élogieuses. Il ne savait
pas que, sous la table, son interlocuteur avait disposé un petit
magnétophone. La bande se retrouva au plus haut niveau de la
Direction du Parti. Le vieil infirmier, qui avait plus de soixante
ans, fut transféré au camp Boiro, où il passa au moins cinq
ans...
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Madaa. Par bonheur pour moi, le père de Camille, mon ami
d'enfance, était Directeur de cabinet de ce Ministère. Il m'a fait
venir dans son bureau et m'a rassuré en me disant qu'il ferait
tout pour que je m'en sorte sans problème. Nous sommes alors
entrés dans le bureau du Ministre, lequel m'a expliqué que cette
dame était venue se plaindre de moi au Président en disant que
je détournais sa fille. Madaa étant majeure, il m'a demandé ce
que j'en pensais. Je lui ai répondu que j'étais vraiment surpris de
l'attitude de cette dame. La famille que j'allais voir à Kindia, la
ville de Madaa, avait quelques liens avec le Ministre de
l'Intérieur. Je pensais qu'en les lui rappelant indirectement cela
m'aiderait énormément. J'expliquais au Ministre que j'étais
assez surpris car lorsque je me rendais chez Madaa, j'étais
toujours bien reçu. Sa mère savait qu'elle venait me voir et ne
m'avait jamais dit que sa fille ne s'entendait pas avec elle. De
même, jamais Madaa ne m'avait dit avoir des problèmes à cause
de moi. Ce que je faisais me semblait tout à fait normal. Allant
régulièrement voir les parents, je ne comprenais pas pourquoi la
mère avait contacté le Président de la RépubJique pour lui dire
que je détournais sa fille au lieu de m'en parler directement. Si
elle avait osé en parler avec moi, il était certain que nous n'en
serions jamais arrivés là. Le Ministre, fort de sa qualité de beau-
frère du Président de la République, disposait d'une certaine
liberté d'action que d'autres Ministres ne pouvaient s'autoriser.
Il prit la responsabilité de me laisser repartir en me disant qu'il
était sensible à ce que je venais de lui dire. Il m'a dit: « Si tu
veux épouser cette filie, viens m'en parler. J'irai voir le
Président pour lui dire que vous voulez vous marier. Nous
organiserons le mariage et ce n'est pas parce qu'elle ne s'entend
pas avec sa mère que cette dernière peut t'accuser de
détournement. Je dirai d'aiIJeurs au Président que tu es un bon
médecin ». Il me demanda de reprendre ma voiture, de retourner
à Fria et d'y continuer mon travail. Il essayerait d'arranger le
problème. Peut-être n'était-il pas au courant des relations
existant entre la fille et le Président? Je pense que
l'intervention de Monsieur FERNANDEZ a beaucoup pesé sur
sa décision.
Je suis allé chez mon ami Abdoulaye qui travaillait à
Conakry à l'époque. J'y suis resté et étais tellement secoué que
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je suis tombé malade. Vers quatorze heures, j'ai entendu
frapper: c'était Madaa, accompagnée de sa mère. Avant de
sortir du bureau du Ministre, je lui avais dit que j'avais compris
ce qui s'était passé et puisqu'il en était ainsi je ne désirais plus
qu'elle vienne me voir; elle pouvait récupérer ses affaires
quand elle le voulait. J'étais tellement déçu que je ne voulais
plus entendre parler d'elle.
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Président du Libéria, William TUBMAN. Sékou TOURE était
venu la voir alors qu'elle était en transit en Guinée. Le
diplomate:me demanda de m'occuper d'eUe. J'avais alors très
peur de me montrer en compagnie de diplomates ou d'étrangers
car c'était risqué au vu de mes antécédents. Mon voisin me
donna la certitude que je n'aurais aucun ennui. Le matin, je
reçus donc Niefa qui était en menace d'accouchement
prématuré. Je l'examinai, mais, malheureusement, il n'y avait
rien à faire. Le col était déjà ouvert, elle avait des contractions
et saignait beaucoup. Je lui expliquai que cela allait être difficile
surtout dans les conditions difficiles où nous travaillions. Les
femmes mouraient pour de simples hémorragies de la
délivrance car nous n'avions pas de banque de sang. Niefa s'est
retrouvée à l'hôpital où il n'y avait même pas de lit correct pour
son hospitalisation. Je fus obligé de lui aménager un coin dans
mon bureau en y installant un lit et en apportant des draps. Il
fallut glaner ici et là des sérums glucosés pour la perfuser et la
surveiller. Elle accoucha à six mois et demi. Le bébé était
vivant et, en l'absence de couveuse, la mère me demanda s'il
était possible de l'évacuer en urgence. Les vols réguliers
n'existaient qu'une à deux fois par semaine et il fallait attendre
trois ou quatre jours avant le prochain avion. Le bébé mourut.
J'assistai à son enterrement dans la cour de l'ambassade. Je
trouvai des médicaments pour soigner la mère pendant deux
jours, et ensuite, elle pu regagner son domicile. Je passais la
voir souvent, de façon furtive.
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eux-mêmes. Elle préférait donner son argent aux pauvres plutôt
qu'aux nantis. Comme je travaillais avec une infirmière qui
connaissait la région où se trouvait l'or, je la contactai. J'aurais
risqué la prison à vie si cette histoire avait été connue. Niéfa est
partie avec l'infirmière et un paquet de dollars. Je n'en avais
jamais vu autant. Elles achetèrent de l'or et Niefa revint avec
dix kilos du précieux métal! L'exportation de l'or étant
interdite, Niefa dut trouver un arrangement que j'ignorais avec
l'Américain. Il n'était pas difficile de corrompre les
fonctionnaires de l'époque. EHe me dit: «Tu vas voir, je vais
partir avec ces dix kilos et personne ne le saura jamais! ». Je lui
dis de faire très attention car je ne voulais pas être mêlé à cette
affaire. Sur sa demande, je suis venu à l'aéroport le lendemain.
Elle est arrivée dans une voiture officielle de la Présidence,
accompagnée d'un garde du corps. Ils sont montés ensemble
dans l'avion et, sur la passerelle, l'Américain faisant demi-tour
m'a fait le signe de la victoire. Il est ensuite entré dans l'avion et
ils sont partis.
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mes bagages et me montra ma chambre. Voilà comment j'ai
quitté la Guinée.
68
CHAPITRE V
70
TABLE DES MATIERES
Chapitre 1
Premier contact avec Sékou TOURE... ... ... ... ... ... 9
Chapitre 2
Agression du 22 Novembre 1970... ... ... ... ... ... .. . ....25
Chapitre 3
« Complot peuIh » - Campagne agricole 1975... . . . ... .31
Chapitre 4
Départ pour l'exil. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . ... . . . .47
Chapitre 5
Les attentats contre Sékou TOURE... . .. .. . . . . . . . .. .. . . . 69
Achevé d'imprimer par Corlet Numérique - 14110 Condé-sur-Noireau
N° d'Imprimeur: 14441- Dépôt légal: octobre 2003 - Imprimé en France