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LA GUINEE
REQUIEM POUR UNE RÉVOLUTION
(Ç)L'Harmattan, 2003
ISBN: 2-7475-5414-7
MandioufMauro SIDIBE

LA GUINÉE
REQUIEM POUR UNE RÉVOLUTION

L'Harmattan L'Harmattan Hongrie L'Harmattan Italia


5-7, rue de l'École-Polytechnique Hargita u. 3 Via Bava, 37
75005 Paris 1026 Budapest 10214 Torino
FRANCE HONGRIE ITALIE
AVANT-PROPOS

Après la mort d'Ahmed Sékou TOURE, beaucoup de


livres ont été écrits, pour la plupart par des victimes de son
régime. A travers cet ouvrage, je voudrais apporter un
témoignage sur cette époque.
CHAPITRE I

Premier contact avec Sékou TOURE

J'étais jeune lorsque j'ai entendu pour la première fois


parler d'Ahmed Sékou TOURE. Je suis né à Conakry, la
capitale de mon pays, dans la maternité de l'hôpital BALLA y
(du nom du premier gouverneur colonial de Conakry), rebaptisé
depuis Ignace DEEN. J'ai appris plus tard par ma mère qu'elle
résidait à l'époque dans sa famille car elle était en désaccord
avec mon père pour une raison que je ne connais pas. Mon
grand-père maternel m'a baptisé le 7ème jour après ma
naissance et m'a donné le nom de mon grand-père paternel. Le
jour du baptême, mon père est venu chercher ma mère, après
avoir appris que son enfant était un garçon; il en était fier et
heureux. Mon grand-père maternel m'a toujours parlé de cet
épisode de ma vie en disant avec orgueil que, grâce à lui, deux
moutons avaient été sacrifiés pour l'occasion, au lieu d'un seul,
comme le voulait la tradition. Le premier avait été acheté par
mon grand-père, Je second par mon père.
La présence de ma mère chez ses parents à ma
naissance n'est pas un fait rare en Afrique. Très souvent, en cas
de conflit dans un couple, la femme prend ses affaires et repart
dans sa famille. Cette séparation est de durée variable selon
l'ampleur de la mésentente. Le couple se donne du recul et
reçoit les conseils des membres des deux familles. Il finit le
plus souvent par renouer. Je pense que ce phénomène peut
expliquer Je nombre peu élevé de divorces. Pour mes parents, la
naissance d'un fils a dissipé tous les malentendus et ma mère est
retournée vivre à Dubréka où mon père exerçait comme agent
technique des grandes endémies.

Nous vivions à deux cents mètres d'une rivière, dans


une maison rectangulaire, faite de briques rouges et surmontée
d'un toit de tôles ondulées. J'ai dormi dans une grande chambre
avec ma mère jusqu'à l'âge de trois ans. En Afrique, les parents
dorment dans des chambres différentes, ce qui permet à la mère
de garder son enfant avec elle et de l'allaiter. Pendant cette
période, la femme n'a que peu ou pas du tout de rapports
sexuels avec son mari. A trois ans, j'ai rejoint la chambre de
mes sœurs où je suis resté jusqu'à sept ans. Dans certaines
famil1es, garçons et fil1es sont séparés mais étant l'unique
garçon, on m'a laissé avec mes sœurs pour que je ne sois pas
isolé. Cette situation n'est guère fréquente car le petit garçon,
compte tenu des responsabilités qui lui seront confiées plus tard
au sein de sa famille, est éduqué de façon plus rigoureuse que
les fil1es. C'est à l'âge de la circoncision que j'ai été séparé
définitivement de mes sœurs.
Mon meilleur ami d'enfance, Camille, habitait à vingt
mètres de chez moi. A chaque fois que l'un de nous tombait
malade, la présence de l'autre était nécessaire pour l'assister au
cours du repas. Atteint une fois de varicel1e, j'ai été mis en
quarantaine pour ne pas contaminer mon ami. Mais ce dernier
se faufilait à travers les mail1es de notre clôture de feuilles de
bambou pour se glisser dans ma chambre afin que l'on dîne
ensemble. Le jour où mon père nous surprit, il fut choqué mais
fit semblant de n'avoir rien vu. Je continuai donc à manger avec
Camille jusqu'à ma guérison, sans qu'il fût contaminé.

Un soir de saison sèche, alors que j'avais cinq ans, mon


père me parut plus agité qu'à son habitude. Armé de son fusil
de chasse, il arpentait la maison de long en large. Le crépuscule
tombant, je me demandais bien ce qui pouvait se passer: l'heure
à laquelle il tirait sur les pigeons et les perdreaux qui venaient
picorer dans le jardin était passée. Il finit par décider que nous
devions nous réfugier chez le Docteur Paul MATERNE,
médecin français avec qui il travail1ait. Ma mère m'expliqua
plus tard qu'à cette période-là avait commencé la lutte politique
dans mon pays. Je situe cette époque vers 1956. Mon père était
membre d'un parti peu populaire et s'il s'armait de son fusil
calibre 12, c'est qu' il craignait de devoir se défendre contre une
attaque armée. Il al1ait souvent confier sa famille au médecin
blanc chez qui personne ne pouvait entrer. Parfois, c'était ma
mère qui se présentait devant les manifestants. Compte tenu de
ce que ma grand-mère était un haut cadre politique dans la
capitale, les manifestants nous épargnaient. Jamais, à l'époque,
je n'avais entendu parler de Sékou TOURE. Une fois, on

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m'avait parlé d'une grande réunion qui devait se tenir sur la
place faisant face au bureau du commandant de cercle:
l'intervenant était un dirigeant venu de la capitale, peut-être
Sékou TOURE ? Ma mère s'y était rendue tandis que mon père
avait préféré rester dans son grand fauteuil devant la maison,
son fusil de chasse à portée de main.

C'est à l'âge de sept ans que l'on décida de ma


circoncision, rite redouté de tous les petits garçons et de leur
mère. L'événement débuta en une fin de matinée où je
remarquai une tension inhabituelle au sein de la famille.
Personne ne voulait m'en donner l'explication. Ma mère, à qui je
demandais tout, n'en savait pas davantage que moi. Vers midi,
Souhan, un ami de la famille que je connaissais bien, vint
m'annoncer que l'on devait se rendre quelque part dans l'après-
midi. Accompagné de ce dernier, je traversai la ville sans parler,
en tentant d'imaginer ce qui allait se passer. Je réalisai tout à
coup que nous étions en face d'un grand bâtiment construit dans
le style colonial au soubassement de pierres taillées; c'était
l'hôpital de la ville. A mon arrivée dans la salle d'attente, je
découvris à mon grand étonnement mon demi-frère et un autre
garçon que je connaissais bien.
A partir de là, tout se passa très vite. Je ne sais plus
lequel d'entre nous fut appelé le premier. Je me retrouvai
quelques instants plus tard, nu sur une table, couché sur le dos,
les jambes écartées, Souhan appuyant sur mes cuisses pour les
immobiliser. Elles étaient tellement plaquées contre la table que
je me résolus à ne pas fournir d'effort pour m'échapper. Je
réalisai à ce moment précis ce qui allait m'arriver. La
circoncision fut comme un courant d'air chaud qui me traversa
tout le corps des pieds à la tête; c'était à vous couper le souffle.
La sensation de brûlure et d'écrasement tout autour de mon
pénis ne dura que quelques secondes. Par sa position, Souhan
m'empêchait de voir que l'on avait taillé dans ma chair et je me
demandais au moyen de quel instrument cela avait été fait
tellement la douleur était vive. Je ne pus retenir mon cri, mais
me ressaisis après cette première sensation.
Quelques secondes plus tard, une autre forme de
douleur apparut: je sentis qu'on transperçait ma chair à
Il
plusieurs reprises, ceci pendant cinq minutes environ. Ce n'est
que deux jours plus tard que je compris l'origine de cette
douleur, en découvrant le fil de suture sur la plaie. L'étape
suivante ne passa pas non plus inaperçue: je sentis qu'on
enroulait mon pénis dans une sorte de ruban. Quand Souhan me
lâcha, je restai quelques instants dans la même position. Je jetai
alors un coup d'œil furtif entre mes cuisses: au bout du ruban,
j'aperçus mon gland, et fus un peu rassuré en voyant qu'on ne
m'avait pas tout enlevé. A côté, dans la poubelle, je remarquai
parmi les compresses maculées de sang un lambeau de peau qui
semblait être le morceau de chair que l'on m'avait ôté. Souhan,
qui devina mes pensées, me caressa la tête et me dit tout bas:
« C'est bien, tu as été très brave». Il me remit sur pied avec
délicatesse et me passa un grand boubou indigo descendant
jusqu'aux chevilles. Il me coiffa d'un petit bonnet qu'il fit
descendre jusqu'à ma nuque, la tradition voulant qu'on ne voie
pas les oreilles d'un garçon circoncis. Il m'enfila ensuite des
sandales et me demanda d'avancer en me conseillant de
soulever l'avant du boubou pour éviter tout frottement sur la
plaie. En sortant de la salle, mon regard croisa celui du garçon
suivant dont le coup d'œil interrogateur demeura sans réponse
de ma part.
Le chemin du retour fut plus long: nous marchions
avec précaution, écartant les cuisses et soulevant autant que
possible le boubou vers Pavant. La douleur prenait à présent
une forme de pulsation qui remontait jusqu'au cœur. A notre
arrivée, une foule se tenait en face de la maison, composée de la
famille, des voisins et de quelques curieux. La cérémonie de
circoncision s'organisait; les femmes regroupées autour de ma
mère scandaient des chants traditionnels que le groupe reprenait
en chœur. Mon père n'était pas de la fête car il n'appréciait pas
les rites accompagnant la circoncision; il les jugeait inutiles.
Après un tour d'honneur, nous fûmes installés sur des nattes
dans une chambre préparée pour la circonstance. Dès lors, je ne
devais plus dormir avec mes sœurs ni être en contact avec les
femmes, au moins les premiers jours de la cicatrisation.
Mon père ne voulait pas que je dorme sur une natte, mais il y
consentit néanmoins pour respecter la tradition. Nous mangions
ensemble, sous la surveillance de Souhan, devenu notre

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initiateur. Il nous apprenait à saluer tous ceux qui nous
rendaient visite et à changer nos habitudes. Il nous expliquait et
nous dictait nos droits et nos devoirs à présent que nous étions
devenus de vrais hommes. Le premier pansement de ma plaie
fut un véritable calvaire: le ruban avait séché avec le sang et
adhérait à la cicatrice. Malgré J'application d'une lotion à base
de feuilles, la douleur réapparut de façon aussi intense que le
jour de la circoncision et augmenta au fur et à mesure qu'on
déroulait le ruban. Ces premiers soins passés, la plaie fut laissée
à l'air.
Dans notre chambre que l'on entourait de mystère, nous
percevions les échos des chants et danses organisés à notre
intention. Les femmes du quartier se relayaient autour
d'immenses marmites dans lesquelles mijotait la viande des
moutons ou des poulets sacrifiés chaque jour. Ce rituel dura
pendant toute la période de cicatrisation, ne nous laissant du
répit qu'au moment où nous dormions. C'est au petit marigot
proche de la maison que nous avons enlevé nos grands boubous
à la fin de cette initiation. Nous nous sommes lavés à grande
eau avant d'enfiler de nouvelles tenues, identiques cette fois à
celles des autres enfants. A notre retour, la fête avait repris de
plus belle et n'allait s'achever que tard dans la nuit.

C'est à cette époque que j'ai découvert l'existence de


mouvements politiques. Le parti populaire de l'époque, le
R.D.A. (Rassemblement Démocratique Africain) s'opposait
farouchement au B.A.G (Bloc Africain de Guinée) qui
réunissait beaucoup d'intellectuels et de fonctionnaires. Je n'ai,
en fait, rien retenu de précis de cette période. J'avais à peine
sept ans et venais de commencer ma deuxième année à l'école
primaire lorsque la Guinée accéda à l'indépendance en 1958.

Mon père, qui était fonctionnaire, avait obtenu une


dérogation du directeur pour mon entrée à l'école à l'âge de six
ans alors que les autres ne devaient débuter qu'un an plus tard.
C'est ainsi que je passai ma première année en auditeur libre
toléré, avec pour consigne de disparaître par la fenêtre à chaque
inspection. J'ai gardé de ces années des souvenirs marquants. Je
jouissais de certains privilèges compte tenu du statut social de
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mon père: j'allais à l'école à vélo avec un sandwich pour goûter
ce qui n'était pas sans susciter quelques convoitises... Un jour,
alors qu'on apprenait à conjuguer le verbe manger au présent, le
maître s'empara de mon pain en disant: « Que fait le maître? »
et les enfants de répondre d'une seule voix: « Il mange! ». Sans
hésiter, le maître mordit dans mon goûter, à la grande
satisfaction de tous.

Une autre fois, à la maison, en l'absence de mon père


parti en tournée, nous fûmes réveil1és en pleine nuit par des
bruits de volaille. Ma mère sortit de la maison avec sa lampe
tempête et découvrit en ouvrant la porte du poulailler un
énorme serpent boa dressé du sol au plafond qui tentait
d'attraper les poules. Prise de panique, elle alla réveiller toute la
maisonnée et nous envoya nous réfugier chez les voisins. Au
petit matin, personne n'eut le courage de s'attaquer au reptile et
nous nous résolûmes à attendre son départ, qui n'aurait lieu qu'à
la fin de sa longue digestion, ce qui pouvait durer plusieurs
heures. A cet instant, arriva un ami baptisé « Quinzan » (en
souvenir de ses quinze années dans l'armée coloniale) : il avait
l'habitude de venir rendre visite à mon père. Ce matin-là, ayant
déjà bien déjeuné avec du vin de palme, il n'eut aucune
hésitation à se lancer à l'assaut de l'animal, faisant fi des
remarques de l'assistance sur son état d'ébriété. Il menaçait
même quiconque tenterait de l'arrêter. Muni d'un simple couteau
de cuisine, il fit irruption dans le poulailler et égorgea le
serpent. A sa sortie, personne ne le crut bien que le couteau fût
ensanglanté. Il lui fallut retourner sur ses pas pour trancher la
tête du serpent qu'il vint exhiber aux yeux de tous. Le corps de
la bête, traîné par la queue, présentait sept protubérances en
rapport avec le nombre de poulets ingérés par le reptile.

Un jour de l'année 1960, ma mère m'amena visiter un


terrain sur lequel mon père voulait faire bâtir une maison.
Il était situé en face de l'église de la ville, à 100 mètres environ
de son lieu de travail. Mon père exerçait dans un grand centre
de soins appelé "Trypano", du nom de l'une des maladies qui y
étaient soignées: la trypanosomiase. Derrière ce centre, se
trouvaient une bande de forêt et des marécages précédant la
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mer. Sur notre domaine, débarrassé des broussailles, se
dressaient de nombreux arbres fruitiers: manguiers, goyaviers,
kolatiers, corossoliers, papayers, cocotiers sur lesquels
piai liaient de petits oiseaux multicolores. Au loin, des babouins
en quête de fruits nous observaient avec méfiance. Je ramassais
quelques fruits avant de me diriger vers l'église qui m'attirait
bien davantage. Construite dans le style colonial, peinte à la
chaux, elle m'avait toujours intrigué. Je ne l'avais vue que très
rarement ouverte lorsque je me rendais sur le lieu de travail de
mon père. L'imam blanc dans sa robe longue couleur kaki y
venait chaque mois célébrer la messe pour les catholiques de la
ville. A cette occasion, il faisait sonner la cloche qui se trouvait
t~outen haut du toit. Au dessus de la grande porte se trouvait une
jolie poupée représentant une femme que je n'avais pas trop
regardée car elle me semblait nue. Une fois, alors que j'essayais
de voir à J'intérieur par le trou de la serrure en me dressant sur
la pointe des pieds, j'entendis la voix de ma mère m'ordonnant
de rentrer. Né musulman, je n'avais pas le droit de me rendre à
l'église catholiqtu;e.Je m'exécutai alors sans trop d'enthousiasme.
Le soir, je racontai à mes sœurs tout ce que j'avais vu et mon
impression sur notre nouveau domaine. Tout comme moi, elles
se demandaient pourquoi nous irions habiter cette forêt.

Quelques mois après, je revins sur les lieux avec mon


père pour voir l'évolution des travaux. Le changement était
frappant. Les murs de briques rouges étaient déjà très hauts et, à
l'autre bout du terrain, là où les maçons prenaient la terre pour
faire les briques, se trouvait un grand trou. En profitant d'un
moment d'inattention de mon père, ma curiosité me poussa à
franchir l'ébauche de la porte. Je fis irruption dans une pièce qui
devait être le séjour. Le sol récemment fait de sable fin et de
ciment céda sous mes pas, laissant les empreintes de mes
chaussures. Tout à coup, le cri d'un monsieur, certainement le
chef des maçons, me cloua sur place. Il me dit très fort que, s'il
m'attrapait, je recevrais une fessée. Sous l'effet de cette menace,
je bondis et enjambai ce qui devait être l'escalier, de l'autre côté
de la maison. Les empreintes de mes chaussures sont toujours
visibles dans la maison. Le maçon n'a jamais voulu reprendre

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son ouvrage. Nous avons emménagé dans cette maison bien
avant la fin des travaux.

Un matin, dans la rue, quelqu'un appela mon père à


haute voix: «Monsieur Mandiouf, allez vite à l'église! »
J'arrivai sur les lieux en même temps que mon père. Deux
hommes se roulaient à terre, dans la gadoue de couleur rouge en
raison des averses hivernales. Mon père, surpris, se mit à parler
avec autorité à l'un des deux hommes qui lâcha prise et se
redressa d'un coup, venant s'agenouiller tout gentiment devant
lui en implorant son pardon. Le second, maculé de boue, devait
être habillé de blanc et avait l'air de se demander ce qui lui
arrivait. Je compris plus tard que son agresseur était un malade
mental victime de trypanosomiase que suivait mon père et qui
s'était évadé de la trypano pour venir sonner la cloche de
l'église. Ce malade s'était jeté sur M. Benjamin, le premier
venu, habillé dans sa tenue dominicale, et ils avaient roulé
ensemble dans la boue rouge. Quelques jours plus tard, M.
Benjamin était venu voir mon père pour le remercier. Je
l'entendis dire que, sans son intervention, il se serait fait tuer. Il
resta longtemps sans oser revenir à la prière.

L'année suivante, j'étais en CE 1 quand mon père est


décédé. J'étais trop jeune à cette époque pour me rendre compte
de ce que cela représentait. Les jours précédents, mon père était
toujours couché et ne sortait pas. Ma mère m'expliqua qu'il était
malade et devait partir se faire soigner dans la capitale. Le
chauffeur de son service vint le chercher pour le conduire à
l'hôpital de Conakry. Quelques jours plus tard, ma mère le
rejoignit.
Nous étions restés seuls quatre à cinq jours quand, un
matin, les responsables administratifs et politiques de Dubréka
vinrent nous rendre visite et nous dire que la maladie de notre
père s'était aggravée et qu'il réclamait la présence de ses
enfants. Un véhicule fut mis à notre disposition et nous partîmes
pour la capitale. A ma grande surprise, le chauffeur ne nous
amena pas à l'hôpital mais directement chez nos grands parents
paternels où des gens étaient réunis, se lamentant et pleurant:
notre père était mort. Sur le moment, je ne me rendis pas
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compte de la gravité de la situation. Le lendemain, aux
obsèques, on voulut que j'accompagne le corps de mon père
dans le véhicule qui l'amenait au cimetière. Je ne pus résister et
demandai à quitter le convoi. Je me tenais auprès de ma mère
qui continuait à pleurer. J'essayais de la calmer: « Ecoute, mon
père est décédé, mais moi, je suis là ! ». Ma mère a souvent
évoqué cette phrase à chaque fois que je mettais un peu de
paresse dans mes devoirs.
Après la mort de mon père, je fus contraint de vivre
dans la famille de mes grands-parents paternels avec ma mère
car elle était sans ressource et devait s'occuper de nous. Mon
grand-père étant très âgé à l'époque, ce sont mes oncles qui
prirent la décision de nous garder. Cela ne dura pas longtemps.
En Afrique, le veuvage des femmes consiste à rester dans la
maison, sans sortir ou très rarement, pour une période de trois
mois de deuil pendant laque11e elles sont habillées d'un
ensemble violet ou indigo. Pour des raisons ,de conflits avec ma
grand-mère paternelle, ma mère fut contrainte de déménager
avec nous chez ses parents.

J'ai donc continué mes études à Conakry. L'école où


j'étais inscrit se situant très loin de notre résidence, ma mère
était obligée de m'accompagner car la capitale était trop grande,
la circulation intense, et e11eavait peur des accidents. Parfois
elle me faisait déposer par l'un de ses frères à motocyclette. Un
jour, sur la route de l'école, j'entendis les acclamations de gens
qui disaient: « Sékou TOURE est de passage! » Ma mère me
prit alors par la main car l'attroupement était important et nous
continuâmes notre chemin sans nous arrêter. Je lui demandai de
me montrer Sékou TOURE. E11eme répondit que je le verrais à
sa prochaine apparition publique. Quelques mois plus tard, j'eus
l'occasion de le voir lors de la visite du Président de la Côte-
d'Ivoire, Félix HOUPHOUET BOIGNY.

Ce jour-là, toute la population était habillée de blanc et


Monsieur Félix HOUPHOUET BOIGNY était venu à Conakry
par bateau. Tout le monde était aligné du port de Conakry
jusqu'au portail de la Présidence de la République. J'étais avec
ma mère dans la foule qui acclamait le Président. Ma mère se
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faufila dans cette marée humaine et me dit: «Regarde ce
monsieur debout dans la voiture, c'est Sékou TOURE ».
J'avoue, aujourd'hui, avoir porté plus d'attention à celui qui était
à côté et qui, je pense, était l'Ivoirien.

Mon séjour à Conakry ne dura qu'une année, après quoi


nous revînmes à Dubréka où ma mère voulait que ses enfants
poursuivent leur scolarité. Elle était connue dans cette ville et
mon père y avait eu une grande influence. Nous y avions
également nos amis d'enfance et notre maison. Après le retour à
Dubréka, je n'ai plus entendu parler de Sékou TOURE. C'est
avec beaucoup d'enthousiasme que je repris les cours à l'école
primaire dont les salles de classes étaient bâties en « U » .
Quatre années plus tard, alors que j'étais au collège,
derrière l'école primaire, le principal réunit tout l'établissement
et nous annonça que nous allions recevoir une visite importante,
celle du Président de la République. On nous demanda de
nettoyer la cour, de désherber et de peindre les murs à la chaux.
Sékou TOURE arriva effectivement le lendemain, entouré de
ses ministres, et visita toutes les classes. Arrivé dans la mienne,
il prit la place du professeur et nous expliqua l'objet de sa
visite: il voulait se rendre compte des méthodes d'enseignement
et du niveau des élèves. Il se mit à nous poser des questions du
genre: « Entre un kilo de coton et un kilo de fer, qu'est-ce qui
est plus lourd? ». Je me rappelle bien ce jour où il nous avait
également interrogés sur la géographie et m'avait demandé
quelles étaient les villes traversées, en entrant en Guinée par
l'ouest, par la route carrossable jusqu'à Conakry. Ma réponse
parut le satisfaire, ce qui me valut ses félicitations. Il me
qualifia de «jeune homme aux yeux brillants ». Je fus très
marqué par cette expression. A la sortie de la classe, nous nous
précipitâmes derrière lui pour ramasser ses mégots de cigarette.
Nous étions persuadés qu'en les mettant à notre bouche, nous
deviendrions nous aussi président! Ce fut mon premier contact
avec Sékou TOURE.
Celui-ci revint à Dubreka après quelques années. L'une
de ses visites occasionna le transfert de l'ancienne région
administrative de cette ville à Coyah qui n'était auparavant

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qu'une sous-préfecture. La raison de cette sanction ne fut jamais
élucidée.
Avant d'entrer au collège, en CM 1, j'avais fait la
connaissance d'Abdoulaye, un ami avec qui j'allais passer une
bonne partie de mes études. A l'époque, on commençait à avoir
des petites amies que l'on taquinait beaucoup en classe. Celles
qui refusaient d'être avec nous se faisaient pincer et au moment
où elles criaient, on projetait de l'encre dans leur bouche
qu'elles n'osaient plus ouvrir (c'était là un autre usage aux
plumes et encriers d'alors !).
Notre Directeur s'appelait Monsieur CONTE. Il avait
obtenu une bourse de voyage d'études pour la France et y avait
fait un séjour. A son retour, il nous parla beaucoup de Paris et
nous dit fièrement que celui qui n'était pas passé sous la Tour
Eiffel n'avait pas visité Paris. Il nous donna des crayons
marqués CONTE. Ce n'est qu'en arrivant en France que je
découvris qu'il existait effectivement une marque de crayon
portant ce nom. A l'époque, nous imaginions que le nom de
notre directeur avait été gravé sur ces crayons à l'occasion de sa
visite en France!
Après le brevet, je fus inscrit au Lycée Classique de
Conakry, dans la série biologie. Madame Marie SOUMAH,
notre professeur de biologie, une Française, allait marquer nos
mémoires par son sens de la pédagogie et ses attentions à
l'égard des élèves. Je me souviens encore de son clin d'oeil
d'encouragement le jour du baccalauréat, après avoir jeté un
regard sur ma copie.

Pour continuer mes études, je quittai ma mère pour aller


vivre à Conakry chez un oncle qui avait une entreprise de
transports en commun. C'est à cette époque que je fus en
contact avec la révolution guinéenne. Toutes les manifestations
du Parti se déroulaient à Conakry et Sékou TOURE invitait
régulièrement différents Chefs d'Etat. Les élèves, les étudiants
ainsi que la population, se trouvaient dans l'obligation d'assister
à ces réceptions grandioses. Quelquefois, nous étions réveillés
très tôt le matin pour nous rendre en rang au stade du 28
septembre où, sous un soleil ardent, tous vêtus de blanc, nous

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attendions pendant des heures l'arrivée du Président et de ses
invités.
Au moment de leur entrée au stade, devant toute la
population réunie, les miliciens et les hauts dignitaires du Parti
criaient des slogans révolutionnaires auxquels nous devions
répondre: « L'impérialisme: à bas! Le colonialisme: à bas!
Le néocolonialisme : à bas! Vive la Révolution! Vive le
Responsable suprême de la Révolution! Très longue vie au
Président Ahmed Sékou TOURE ! »
Chaque école avait sa place réservée dans le stade. Si la
place restait inoccupée, Iliarenommée du directeur en pâtissait.
Nous passions des journées entières à attendre. Le Président
faisait des discours éloquents, durant des heures, après quoi la
population et les représentants des établissements défilaient. Le
Président était fier de nous et aimait dire que le peuple guinéen
était mobilisé et discipliné. J'ai assisté à toutes ces réceptions
pendant ma vie d'élève et d'étudiant. Au lycée, l'une de nos
matières portait le nom de philo-idéologie. Elle consistait à
nous enseigner les principes du parti, rédigés dans des tomes
par Sékou TOURE lui-même, tandis que le français n'était plus
enseigné.
C'est en réalité au début de mes études universitaires de
Médecine que j'ai eu des contacts avec le régime et ses
dirigeants. Mes camarades m'avait élu délégué de classe car la
décentralisation voulait qu'à tous les niveaux, il existât un
représentant du Parti. Dans les quartiers, les arrondissements,
les villages, on retrouvait la même structure. Je fus élu premier
responsable de ma classe et j'eus l'occasion de rencontrer deux
ou trois fois le Président Sékou TOURE. Je menai mes études
médicales, dans une atmosphère assez particulière. La faculté
fut construite par les soviétiques qui avaient apporté du matériel
et des équipements. Pendant des années, tout avait été stocké
dans des caisses au port de Conakry. Les étudiants s'étaient
organisés pour les transporter du port à la faculté. Cette action
était appelée «Action Caisses» et nous pointions tous les
absents. En fin d'année, les absences étaient comptabilisées et
une note était attribuée à chaque étudiant. Cette note, dite
d'idéologie, entrait dans le calcul des moyennes générales. Les
professeurs de la faculté de médecine venaient des pays

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d'Europe de l'Est, notamment d'URSS. Pour l'enseignement de
l'anatomie, nous avions quatre professeurs: deux Soviétiques et
deux Allemands de l'Est. Généralement, Soviétiques et
Allemands ne s'entendaient pas, ce qui donnait lieu à bien des
discussions. Nos premières démarches en faculté avaient pour
but d'essayer de faire rémunérer nos stages. A l'époque, nous
faisions les stages dans les deux centres hospital iers
universitaires de Conakry et la faculté se trouvait distante de
cinq ou six kilomètres; nous étions obligés de faire le trajet à
pied. Les étudiants les plus aisés se payaient le transport en
commun. A nos doléances, le Ministre de l'Education Nationale,
Mamady KEITA, répondit que nous avions fait un choix et que
nous devions en assumer les conséquences. En revanche, l'un
des directeurs des centres hospitaliers universitaires nous
proposa de nous aider: il était prêt à nous payer, à condition
d'en recevoir l'ordre du Ministère des Finances et d'avoir
l'accord du Chef de l'Etat.
C'est ainsi que mes camarades me demandèrent d'aller
trouver le Président pour lui exposer le problème. Un groupe de
délégués dont deux filles se rendit donc au Palais de la
présidence. Nous savions que tout citoyen pouvait avoir
audience. Le Chef de l'Etat nous a fait entrer dans son bureau.
Je lui ai expliqué rapidement le problème. Il m'a regardé dans
les yeux. On m'avait prévenu qu'il avait un regard très perçant et
qu'il était difficile de se ressaisir lorsqu'il fixait ainsi son
interlocuteur. J'ai trouvé qu'il cherchait à m'impressionner mais
je suis resté serein. Il m'a dit qu'il comprenait nos
revendications et que cette situation était du ressort du
Ministère de l'Education. J'ai eu le sentiment que nous
l'agacions un peu. Une semaine après cette entrevue, le
Ministère de ]'Education nous a informés, par l'intermédiaire du
Directeur des Hôpitaux, que nous allions avoir une prime pour
couvrir nos frais de stage et de transport. Cette décision fut
accueillie avec joie. De là commença notre engagement pour la
Révolution de Sékou TOURE. Nous devînmes de fervents
partisans de Sékou TOU RE, disant de lui qu'il était l'homme du
dialogue.
Les étudiants profitèrent de l'une de ses visites à
l'université pour lui exposer les problèmes liés aux conditions
21
de vie à l'internat et notamment la situation alimentaire
désastreuse.
A cette occasion, Sékou TOURE fut invité au réfectoire
des étudiants. Les autorités de l'Institut Polytechnique se
précipitèrent pour mettre de très beaux couverts et des nappes
avant son arrivée. Une fois dans le réfectoire, la Secrétaire
générale du Comité de coordination des étudiants fit part de sa
surprise au Chef de l'Etat en lui disant qu'il n'était pas habituel
que des nappes et de jolis couverts soient ainsi disposés. Sur le
champ, Sékou TOURE ordonna que l'on retire tout cela et
«que l'on mange comme d'habitude ». Ce fut un grand
événement. Tous les étudiants criaient «Vive la
Révolution! Vive le Président! »Quelques jours plus tard,
l'administrateur de l'Institut Polytechnique fut remplacé.
Nous nous immiscions même dans les problèmes
pédagogiques relevant du doyen de la faculté. En troisième
année, ce dernier nous avait demandé d'étudier une matière
supplémentaire: l'histologie. Le professeur de cette discipline
nous imposa un contrôle inattendu qui, selon lui, ne devait pas
compter dans le calcul des notes en fin d'année. Il ne tint pas
parole alors que plus de la moitié des étudiants n'avait pas eu la
moyenne. Un comité se mit en place pour s'occuper de l'affaire.
Parmi les étudiants recalés, une demoiselle Neko vint me
trouver pour me dire d'aller voir le Président de la République et
lui expliquer la situation; elle était sûre que nous aurions gain
de cause; mais rien ne me prouvait que les choses se
dérouleraient ainsi. Elle me dit alors: «Si tu n'es pas sûr, je
vais te donner des preuves et téléphoner au Ministre de
l'Education Nationale, que je connais personnellement. Il ne
peut pas prendre de décision sans avoir une plainte de la part
des étudiants! Ce monsieur veut m'aider à condition que les
étudiants prennent contact avec le Président de la République
qui, alors, lui demandera son avis ». Je promis à Neko que si
j'avais la certitude qu'elle téléphonerait au Ministre, j'irais voir
le Président. Sur-le-champ, nous sommes allés dans une maison
où se trouvait un téléphone. Neko appela donc le Ministre qui
me demanda de faire un rapport et me fixa rendez-vous. Il me
dit également qu'il réglerait la situation à son niveau,
l'intervention du Président n'étant pas nécessaire. Après une
22
petite enquête, j'appris que ce Ministre avait des rapports très
intimes avec l'étudiante.
Personnellement, je cherchais uniquement à défendre
les étudiants sans porter préjudice à mon professeur. J'arrivai à
huit heures à ce Ministère, le jour du rendez-vous, avec tous les
autres étudiants et, à ma grande surprise, le doyen était présent
dans la salle d'attente. Il avait été convoqué en même temps que
nous. Nous sommes tous entrés dans le bureau du Ministre.
Celui-ci a expliqué le contenu du rapport au doyen et lui a
ordonné sur le champ de faire passer les étudiants en classe
supérieure. En cherchant à défendre les intérêts des étudiants, je
ne pensais pas porter préjudice au doyen. Celui-ci m'avait
semblé profondément blessé au sortir de cette rencontre.
Quelques jours plus tard, il a cherché à me rencontrer pour me
mettre en garde contre les manipulations de certains amis
paresseux. J'ai réalisé que ce différend aurait pu le conduire en
prison voire lui coûter la vie. On aurait pu le considérer comme
réactionnaire, contre-révolutionnaire en le faisant passer pour
quelqu'un qui poussait les étudiants à la révolte.
Les étudiants sont donc passés en classe supérieure,
mais j'ai conservé des relations très difficiles avec le doyen.

23
CHAPITRE II

Agression du 22 Novembre 1970

La Guinée-Bissau, ancienne Guinée Portugaise, pays


frontalier de ma Guinée natale, était en pleine guerre de
décolonisation contre les Portugais. La lutte était soutenue par
mon pays, ce qui expliquait la présence d'une base militaire
bissau-guinéenne à Conakry, qui était d'ailleurs le quartier
général de la guérilla. C'est là que résidait le leader, Amilcar
CABRAL. Le Gouvernement de Sékou TOURE envoyait du
matériel et des militaires guinéens pour aller combattre en
Guinée-Bissau.
Un soir, après une séance de cinéma en compagnie de
Zacharia, mon co-locataire malien, nous nous sommes
promenés très tard dans les rues calmes de Conakry. Le
lendemain matin, nous avons été réveillés par des coups de fusil
provenant de la rue. Mon oncle m'a dit qu'il ne fallait pas sortir
car un « coup d'état» venait de se produire. La veille, l'oncle
avait eu la visite d'un de ses anciens employés emprisonné
quelque temps auparavant. Ce dernier venait d'être libéré par
des gens arrivés par la mer qui, selon ses déclarations, avaient
ouvert les portes des prisons. Ce monsieur d'origine sierra-
léonaise avait été arrêté par la milice politique car il avait tenu
des propos désobligeants vis-à-vis du régime guinéen. Dénoncé,
il avait été incarcéré au camp Boiro. Pour ce genre de délit, les
peines d'emprisonnement pouvaient atteindre jusqu'à quinze
ans sans jugement préalable. De telles dénonciations étaient
possibles même entre mari et femme afin de faire arrêter le
conjoint indésirable. Mon oncle avait pris peur en voyant son
employé car, lorsqu'un proche était arrêté dans de telles
circonstances, toute la famille risquait des représailles.
Après avoir appris la libération de tous les prisonniers
par des étrangers qui tiraient des coups de feu, nous vivions
dans l'angoisse et nous nous étions barricadés. Ce jour-là, vers
dix heures, Sékou TOURE par un communiqué radiodiffusé
s'adressa au peuple pour dénoncer l'agression. Au fil des jours,
les renseignements étaient plus précis: les Portugais avaient
débarqué en compagnie de quelques opposants aux points
stratégiques de la presqu'île de Conakry: le camp des détenus,
la radio et la résidence de Sékou TOURE qui se trouvait au
bord de la mer. Ils avaient ancré leurs bateaux au large pour
attaquer le camp Boiro et libérer les prisonniers. Une anecdote
relate à ce sujet que le Ministre de la Défense venu voir ce qui
se passait fut arrêté dès son arrivée par les Portugais qui tiraient
sur tous les hauts responsables guinéens. Lorsqu'on lui demanda
s'il était Ministre de l'armée, il aurait répondu par la négative et
alors sauté par-dessus la clôture pour s'enfuir. Les Portugais
avaient investi les deux camps militaires de Conakry. Le
clairon du camp Samory, perché sur le toit pour sonner l'alerte,
avait entendu une balle siffler qui lui arracha sa trompette.
Resté dans le grenier, il n'avait pas osé descendre durant les
quelques jours du siège.
La raison du débarquement était la libération du fils du
Maire de Lisbonne, emprisonné à Conakry. La milice de Sékou
TOURE avait essayé de riposter mais, hormis quelques
membres formés à Cuba, les autres ne savaient pas manier les
Kalachnikov: nombre d'entre eux vidaient toute la charge des
soixante dix projectiles, au risque de toucher leurs propres
camarades. Après la libération du célèbre prisonnier, la plupart
des Portugais rembarquèrent. Certains se rendirent aux Cases de
Bellevue, l'une des résidences privées du Président, croyant que
ce dernier y avait passé la nuit. Un tir au bazooka traversa la
case principale, coupant son lit en deux. Nous apprîmes plus
tard que Sékou TOURE s'était réfugié dans un quartier
populaire, chez un ami d'où il avait enregistré son discours à la
nation. Des militaires détachés du camp de Kindia situé à une
centaine de kilomètres de Conakry vinrent arrêter les
mercenaires restés sur le territoire.

Après cet événement, la population indignée par le


nombre de morts s'engagea massivement dans le camp des
révolutionnaires de Sékou TOURE. Des enquêtes furent
ordonnées et menées par l'ONU et l'OUA pour constater la
réalité de l'agression. Sékou TOURE fit arrêter tous les hauts
dignitaires suspects à ses yeux. Ces personnes furent

26
condamnées à la peIne de mort ou à de longues peines de
prIson.
Un matin, j'étais sur la route de l'université quand,
soudain, je remarquai une agitation inhabituel1e à Conakry, sur
l'autoroute qui mène de l'aéroport à ]a vine. Je constatai une
affluence en direction de Conakry: une foule déchaînée courait
et criait. L'agitation était tel1e qu'il me fut impossible d'avoir des
informations sur ]e moment. Je me suis alors laissé entraîner par
cette vague humaine.
A deux cents mètres environ du pont sous lequel passe
l'autoroute, à environ quatre kilomètres du centre, j'ai cru
apercevoir des objets suspendus qui bougeaient comme des
marionnettes. Je n'ai pas réalisé alors ce qui se passait. Ce n'est
que lorsque je me suis retrouvé tout près du pont que j'ai
compris qu'il s'agissait d'êtres humains.
Je me suis alors souvenu que, quelques jours
auparavant, des rumeurs faisaient croire que l'on allait bientôt
assister à des séances de pendaison publique à la suite de
l'agression du 22 novembre 1970. Selon ces mêmes rumeurs,
des complices guinéens restés sur le territoire avaient été
arrêtés, jugés, puis pendus dans chaque vil1e. Chaque fois
qu'une suspicion de complot se répandait dans le pays, on
assistait à des arrestations: ministres, personnalités haut placées
qui, selon le pouvoir, étaient complices ou auteurs présumés de
ces délits. Un Comité révolutionnaire dirigé par le jeune frère
du Président ou par l'un de ses proches les jugeait à huis clos.
Les dépositions de ces détenus politiques étaient souvent
radiodiffusées et stéréotypées dans le genre: «je me nomme...,
je suis âgé de..., j'ai pour fonction..., j'ai adhéré à..., lutté
contre le Gouvernement, j'ai été enrôlé par une organisation
étrangère, mes appointements étaient de... dollars par mois ou
par an, mon rôle était de déstabiliser l'économie». Une bonne
partie de ces dépositions figure d'ailleurs dans un Livre blanc
de plusieurs tomes, imprimé par le régime en Novembre 1971,
sous le titre« l'impérialisme et sa cinquième colonne en
République de Guinée ».
On entendait depuis plusieurs semaines ces déclarations
dont le contenu ne représentait pas grand chose aux yeux de la
population, laquelle doutait beaucoup de la réalité de tels
27
propos enregistrés sans témoins. Par contre, ceux-ci généraient
une angoisse chez tous ceux qui étaient susceptibles d'être
dénoncés... Le peuple qui connaissait les accusés n'ignorait pas
que ces aveux s'obtenaient par la torture. Personne ne doutait
des méthodes utilisées dans les prisons. Ceux qui arrivaient à en
sortir restaient marqués.
Sous ce pont, j'étais horrifié, bouleversé. Je n'avais
jamais vu une telle scène de ma vie. Je restai figé sous ces
quatre corps inanimés dont certains étaient maculés
d'excréments. Une foule déchaînée, comme aliénée, dansait et
crachait sous les cadavres. Je me suis rappelé le titre du roman
de Boris VIAN « J'irai cracher sur vos tombes» ... Sur le coup,
j'ai senti une fièvre monter en moi, je n'ai pas pu résister
longtemps et j'ai vomi.
Quelques étrangers ou diplomates essayaient de prendre
des photos depuis leur voiture. Tout ceci me semblait être de la
fiction. Je suis resté une vingtaine de minutes devant ce
spectacle. J'ai reconnu parmi les pendus le père d'un camarade
qui avait été commissaire à Dubréka, où j'avais passé mon
enfance. Son fils et moi faisions partie du mouvement pionnier
à l'époque. C'était un garçon très sympathique. Mes pensées
sont allées vers lui. J'appris plus tard qu'il avait lui aussi été
arrêté par la suite en raison de ce que son père était comploteur.
Soupçonné de mener des actions similaires, il resta emprisonné
plusieurs années au camp Boiro.
Certains durent assister, impuissants, à la pendaison de
leur père, d'autres enfants de détenus politiques durent fuir la
Guinée. Ceux qui restèrent furent montrés du doigt, isolés, seuls
avec leurs pensées.

Les mois qui suivirent ces pendaisons furent très


pénibles. Une tension était perceptible dans tout le pays. Les
gens réalisaient après coup l'horreur de ces événements.
Des rumeurs circulaient sur les démêlés qu'aurait eus le
Président Sékou TOURE avec sa propre femme, qui lui avait
conseillé de démissionner. Il semble à ce sujet que sa réaction
avait été brutale: sa femme aurait été battue et renvoyée. Cette
rumeur n'était sûrement pas dénuée de tout fondement car,
longtemps, sa femme résida chez un ministre, issu du même
28
groupe ethnique que le Président. Ce dernier ne renonça pas
pour autant à son pouvoir, ni même ne modéra son exercice.

29
CHAPITRE III

« Complot peulh » - Campagne agricole 1975

Parmi les évènements qui ont retenu mon attention


pendant mes études universitaires figure la visite de Fidel
CASTRO en Guinée. A cette occasion, les étudiants s'étaient
mobilisés, avaient installé une tribune et préparé la réception à
l'Institut Polytechnique. Après son discours au stade du 28
septembre, situé à côté de l'Institut, CASTRO est arrivé avec
Sékou TOURE. Pendant que les deux Chefs d'Etat visitaient les
stands érigés à l'intention de CASTRO, tous les Ministres sont
venus s'installer sur la tribune et celle-ci s'est écroulée.
Ce jour-là, lors de l'entretien entre les étudiants et Fidel
CASTRO, Sékou TOURE s'est montré amer. Après qu'un
étudiant eut demandé à CASTRO de quelle manière la
Révolution cubaine avait pu atteindre son niveau d'alors, Sékou
TOURE a pris la parole en s'offusquant qu'une te))e question
ne lui soit pas posée au sujet de la Révolution guinéenne. Après
traduction, CASTRO a fait savoir que cela ne devait pas donner
lieu à une polémique et ajouté que les étudiants étaient partout
les mêmes, certains posant des questions intelligentes, d'autres
des questions idiotes.
Après le départ de CASTRO, des étudiants membres du
Comité de Coordination furent arrêtés et incarcérés. Ils restèrent
des années en prison.

Tous les responsables de l'Université devinrent très


méfiants. Le Docteur Bah, Doyen de la Faculté de Médecine,
était un gynécologue d'origine peuhle. Durant cette période,
beaucoup de personnes pensaient que les Peuhls étaient racistes
et les cadres peuhls furent persécutés pour des raisons purement
ethniques. Tous les intellectuels peulhs ou descendants d'une
féodalité populaire étaient considérés comme suspects et
poursuivis surtout s'ils ne partageaient pas les idées de Sékou
TOURE. Le Docteur Bah était le seul gynécologue de Conakry
et dirigeait un hôpital. C'est lui qui s'était opposé au passage en
classe supérieure du groupe d'étudiants revendicateurs. L'un de
ses adversaires était le Ministre de l'Education Nationale, celui
qui avait demandé à l'étudiante de trouver avec son responsable
un argument pour qu'il puisse intervenir en sa faveur. Cette
discrimination avait, là encore, eu raison de ce Doyen face à ses
étudiants.

Hamadou Lodia, un Guinéen peuhl émigré en France,


décida un jour de rentrer en Guinée. Avant d'arriver à Conakry,
il passa par Alger où il fut hébergé par mon ami Abdoulaye qui
lui parla de moi. Lorsque Lodia arriva à Conakry, il me
rechercha et nous fimes connaissance. Il trouva un emploi dans
une entreprise de tôles. Dans la Guinée d'alors, toutes les
entreprises appartenaient à l'Etat. Pour avoir des denrées
alimentaires et les produits de consommation courante, des bons
étaient mis en circulation. Un carnet de ravitaillement était
attribué aux familles en fonction du nombre de leurs membres.
Une fois par mois, elles avaient droit au ravitaillement. Pour
obtenir un surplus, il fallait aller voir les responsables
politiques. Ce rationnement engendrait un important trafic
illégal. La personne qui réussissait à obtenir un bon de tôles ou
d'autres matériaux le revendait à son compte et pouvait ainsi
fixer son prix. Les Directeurs d'entreprises vendaient des tôles à
un prix dix fois supérieur à celui fixé par l'Etat et ne versaient
dans la caisse que le montant officiel.
Nous devions donc nous procurer des bons d'achat auprès des
responsables politiques pour ensuite aller nous faire servir dans
les entreprises. Il nous fallait ensuite attendre des mois pour
insuffisance de stock.
Une histoire célèbre concerne un chanteur qui demanda
au Président de lui procurer une moto. Le Président lui donna
un bon pour se rendre aux Cycles de Guinée mais, chaque jour,
on lui demandait de revenir à l'usine car il n'y avait pas de moto
disponible. Ces dernières avaient été distribuées à des personnes
qui allaient les revendre deux ou trois fois plus cher. Le
chanteur attendit plusieurs mois. Un jour, il se révolta et
demanda audience au Président pour lui exposer la situation.
Sékou TOURE téléphona au Directeur des Cycles de Guinée en
le sommant de donner une moto à la vedette sous peine d'être

32
révoqué. Le lendemain, le chanteur obtenait sa moto
gratuitement.
Lodia essaya de lutter contre ce genre de trafic, mais se
heurta à toute la direction de son entreprise. Passant pour un
saboteur, il fut dénoncé comme espion et arrêté.

Tous les hauts dignitaires peuhls, dont DIALLO Telli


(ancien Ministre et premier Secrétaire général de l'O.U.A.)
furent tués en prison. Ceux qui échappaient aux arrestations
écrivaient des « motions de confiance» disant:« Je suis peuhl,
j'écris pour soutenir le Responsable suprême de la Révolution,
pour lui faire savoir que je ne suis pas raciste comme les autres
Peuhls» .
La situation économique n'étant pas florissante, il y
avait, à l'Institut Polytechnique, un magasin de ravitaillement où
étaient livrées les marchandises destinées aux étudiants,
réparties par faculté. La pénurie était telle que les dirigeants des
facultés gonflaient leurs effectifs pour pouvoir donner le
superflu à leurs amis et parents. Les personnes qui ne pouvaient
pas se faire servir dans les magasins de l'Etat ou qui n'avaient
pas de parents bien placés pour leur procurer des bons
traversaient les frontières pour se procurer des marchandises
dans les pays voisins. Or, les Guinéens ne pouvaient sortir du
territoire que pour des missions d'Etat. Les gens passaient donc
par des voies clandestines pour se rendre dans les pays
frontaliers et étaient à la merci de tout le monde. Les douaniers
étaient corrompus et trafiquaient avec les commerçants pour
passer la marchandise.
En 1975, je voulais aller en vacances en Sierra Leone.
Je suis parti en voiture et j'ai débarqué à cinquante kilomètres
de la frontière. J'ai donné de l'argent à un passeur et franchi
ainsi la frontière à travers la brousse, me couchant à terre dès
que quelque chose bougeait car l'armée tirait à vue. Je suis resté
quinze jours en Sierra Leone et fus obligé de me cacher encore
à mon retour en ne disant à personne que j'étais allé à l'étranger.

Pendant la période de rationnement, la population


faisait de petits commerces et ceux qui vivaient bien étaient les
politiciens. Ma mère était responsable politique dans sa ville.
33
Au moment du ravitaillement, elle était donc servie en priorité.
Tout le monde se battait pour être, par intérêt, responsable
politique. Mis à part cette situation économique insupportable,
des faits divers ne cessaient d'aggraver ces tensions morales. Un
jour, un étudiant de J'Université se présenta avec un fusil qu'il
avait dû prendre à un militaire. Il entra dans une salle de
conférence et tira, pour des raisons sentimentales, sur une jeune
fille et un professeur. L'étudiante trouva la mort et le jeune
homme fut arrêté puis emprisonné. Il devait être jugé pour
homicide. Quelque temps plus tard, à notre grande surprise, il
fut amené à l'université par des militaires dans une voiture. Les
étudiants sortirent et suivirent la voiture. Celle-ci s'arrêta dans
un espace vert, derrière nos salles de conférences, et on fit sortir
l'étudiant les bras attachés. Les militaires plantèrent un poteau
auquel ils attachèrent le jeune. Ensuite, à quelques mètres de là,
on vit se former une colonne, avec des fusils. Nous n'avons
alors pas eu le temps de réaliser. L'un des militaires a crié
« Feu! » et les coups sont partis sous nos yeux. La victime s'est
tortillée, pliée en deux et sa tête a basculé en avant. Un militaire
s'est approché et, sortant un pistolet, a tiré dans les oreilles.
Jamais je ne pourrai effacer ces images de ma mémoire. Nous
n'avons jamais compris pourquoi cette exécution s'était déroulée
à l'Université sans jugement. Certes, l'acte du jeune homme
était un acte criminel et son auteur devait être jugé et puni en
conséquence, mais pourquoi les autres étudiants avaient-ils dû
subir cette senten,c,e? Cela nous a tous profondément marqués
et cette scène reste un douloureux souvenir.
C'est au cours de cette période de tensions que Sékou
TOURE ouvrit en 1975 une campagne de lutte contre les
trafiquants. Les étudiants révolutionnaires, en mal
d'évènements, voulurent appuyer l'action du Parti car les
commerçants qui faisaient entrer des marchandises à Conakry
les vendaient cent fois plus cher. Ils s'enrichissaient sans
toutefois oser investir car, si on les surprenait avec des biens, ils
risquaient d'être contrôlés et arrêtés. Les étudiants, opposés à
ces inégalités, s'engagèrent donc à supporter l'initiative de
Sékou TOURE. Ils demandèrent au Ministre de l'Education
Nationale de venir à l'Institut Polytechnique. C'était une action
un peu dictée. Le Ministre vint rencontrer le Comité de
34
Coordination et déclara: « Le Président a décidé de mener une
lutte contre les trafiquants, vous devez mener une action d'éclat
pour montrer que vous êtes à ses côtés». J'étais Secrétaire
Général du Conseil des étudiants de ma Faculté et nous avons
décidé de faire une campagne agricole. Il s'agissait de cultiver
les champs dans tout le pays. Sékou TOURE avait cédé des
tracteurs dans tous les villages afin que les villageois puissent
augmenter leur production pour lutter contre les trafiquants. Les
étudiants se sont donc associés à cette action et ont demandé à
interrompre les cours pendant une année scolaire pour aller en
campagne aider les paysans à accroître leur production. Dans
presque tous les vi11ages de la République Guinéenne, les
étudiants ont été répartis par groupe de dix et équipés d'un
tracteur par groupe. La brigade était constituée d'un étudiant en
médecine, un en agronomie, et d'autres étudiants de différentes
facultés. Chaque village était doté, en plus des étudiants, d'un
chauffeur de tracteur et d'un C.T.A. (Contrôleur Technique
Agricole). Les étudiants étaient très enthousiastes à l'idée d'a11er
produire. Des boîtes de pharmacie nous avaient été fournies
dans lesquelles se trouvaient des médicaments contre les
diarrhées, maux de tête et des vaccins antivenimeux et
antitétaniques. Ma brigade devait se rendre dans le Nord-Est du
pays où il faisait très chaud. Nous devions y aller par la ligne
aérienne desservie par AIR GUINEE. Durant le vol, nous nous
recherchions par numéro de BMP (Brigade Motorisée de
Production), j'avais le numéro 14.

La Préfecture de la région où nous devions faire la


campagne était à Siguiri. Il y avait plus de quarante brigades et,
ce jour-là, plus de quatre cents étudiants ont débarqué dans cette
vi11esans aucune infrastructure d'accueil. Les habitants n'étaient
pas prêts à nous recevoir. A notre arrivée, le Préfet de la ville,
appelé "Gouverneur", nous a accueil1is, mais nous sommes
restés sur la pelouse. Personne ne nous a proposé de manger.
Nous avons passé la nuit à la be11eétoile. Le lendemain, les
transporteurs privés, réquisitionnés pour la circonstance, sont
venus avec leurs camions afin de drainer tous les étudiants dans
les différents vi11agesd'affectation. Je me suis retrouvé dans un
vieux camion russe. Nous étions quarante, entassés dans ce
35
véhicule qui empruntait des routes impraticables. Il nous a fallu
plus de cinq heures pour nous rendre à soixante dix kilomètres
de la Préfecture. Nous traversions les marigots à gué. Les pistes
étaient très poussiéreuses et il faisait une chaleur torride sans
eau potable pour se désaltérer.

Les paysans de Oudoumakoro nous avaient réservé des


cases sans porte, identiques à celles de tous les villageois. Nous
avons été répartis dans les fami lies, et les habitants se sont
organisés pour nous faire la cuisine en groupe. Nous allions
manger chez Karinkanfin, le maire du village, quand je
remarquai une certaine tension. Les villageois avaient été
informés de la présence d'un médecin dans le groupe et, à notre
arrivée, tout le monde avait demandé qui était le médecin,
toutes les familles voulant le loger. Parmi ces personnes se
trouvait un ancien combattant, Manden, membre du bureau de
la mairie; il déclara que c'était lui qui logerait le médecin. C'est
ainsi que je suis resté chez lui accompagné de FAYE Bachir, un
étudiant de ma brigade. Il avait fait la guerre 39-45 en France. Il
parlait peu le français mais le comprenait. Il pouvait servir
d'interprète entre les paysans et nous car ceux-ci parlaient un
dialecte que nous ne connaissions pas. Le lendemain de notre
arrivée, les paysans m'annonçaient qu'il y avait une femme en
travail depuis deux jours qui ne parvenait pas à accoucher. Ils
me demandèrent si je pouvais faire quelque chose pour elle.
J'allai donc voir cette femme avant même de déballer mes
affaires. Elle était âgée d'environ vingt ans et était allongée à
même le sol, dans une case ronde, sans meuble munie d'une
petite élévation en brique qui faisait office de lit, d'une peau de
vache et d'un coin pour le feu lorsqu'il faisait froid. Je l'ai
examinée, ai vidé sa vessie à l'aide d'une sonde car j'avais un
peu de matériel personnel qui ne faisait pas partie de celui de la
B.M.P. J'ai fait faire de l'expression utérine et l'ai accouchée.
Les habitants, étonnés par mes gestes, ont fait courir le bruit
dans toute la région que le docteur était un demi Dieu!
A partir de cet évènement, toutes mes paroles ont été
considérées comme porteuses de vérité et ma brigade a pu
bénéficier de cet état d'esprit dans toutes ses démarches.

36
Ce n'est que quelque temps seulement après notre
arrivée que nous avons commencé à voir des femmes et des
jeunes filles. Manden se confia un jour à moi parce que j'étais
médecin. Il me rapporta que les habitants nous considéraient
comme les enfants de Sékou TOURE. La rumeur disait qu'il
fa11ait nous laisser faire ce que nous voulions et que, si nous
voulions des femmes, il fallait nous les donner. C'est pour cette
raison qu'à notre arrivée, les autochtones avaient éloigné leurs
épouses et leurs filles dans les champs.
Un collègue nous avait d'ailleurs raconté un fait divers
qui confirmait cette rumeur. Un étudiant d'une brigade de la
préfecture avait eu des démêlés avec le commissariat de la ville.
Ce jeune homme, pendant la dispute avec le commissaire, avait
crié des slogans révolutionnaires en ajoutant que les étudiants
étaient les envoyés de la Révolution et qu'ils pouvaient défier
tout le monde. Le commissaire, un peu vexé, demanda alors que
ce brigadier (nom donné aux étudiants) soit gardé à vue pour
une journée. Malheureusement, cela coïncida avec la visite de
Sékou TOURE dans la ville et, informés de cette situation, les
étudiants se regroupèrent pour demander une audience auprès
du Président de la République. Les responsables de la ville,
sachant que cette histoire risquait de leur porter préjudice, firent
en sorte que les étudiants ne puissent pas rencontrer Sékou
TOURE en ne transmettant pas la demande d'audience au
service du protocole. Au tout dernier moment, ayant compris
qu'ils ne pourraient pas rencontrer le Chef de l'Etat, les
étudiants se réunirent à la sortie de la ville, sur la route
nationale par laquelle celui-ci devait se rendre à l'aéroport. A
l'arrivée du cortège, ils avaient occupé le milieu de la route en
criant des slogans révolutionnaires, obligeant le convoi
présidentiel à s'arrêter et Sékou TOURE à leur demander
pourquoi ils étaient là. Ceux-ci répondirent que les responsables
avaient refusé qu'ils s'entretiennent avec lui sur les problèmes
qui se posaient à eux pendant cette campagne et notamment, sur
celui de leur collègue maintenu en garde à vue au commissariat
de la ville. Sékou TOURE, très étonné de ce qu'il avait appris,
était descendu de sa voiture et, avec tous les étudiants, avait
marché. Il traversa toute la ville avec eux jusqu'au commissariat
en question. Arrivé sur les lieux, il demanda à voir l'étudiant.
37
Après avoir entendu ses explications, Sékou TOURE lui
demanda ce qu'il voulait qu'on fasse du commissaire de police,
s'il voulait qu'on le destitue, qu'on le dégrade. L'étudiant dit
simplement qu'il voulait qu'on le mette en prison pour qu'il y
passe le même temps que lui. Le jeune homme fut relaxé, le
commissaire mis en prison, et tous les étudiants se mirent à
crier les slogans de la Révolution.
Ce petit incident ne faisait que renforcer l'idée des
paysans: les étudiants étaient les envoyés de Sékou TOU RE,
les fils de la Révolution et il fallait s'en méfier.

La campagne agricole nous a beaucoup appris sur la vie


des paysans et j'en ai personnellement gardé un excellent
souvenir. Nous avons côtoyé des gens vivant en campagne, à
leur rythme et qui cultivaient leurs champs en période de pluie.
Dans ces hameaux reculés, on vivait en autarcie et les mariages
se faisaient entre cousins. Les villageois ne savaient rien de la
Révolution. Ils voyaient de temps à autre un responsable du
Parti qui venait tenir un discours politique ne signifiant rien à
leurs yeux et qui ne changeait rien non plus à leur mode de vie.
Pendant la saison des pluies, les cours d'eau débordaient; nous
étions coupés de la Préfecture pendant deux ou trois mois. Nous
n'entendions que très rarement des bruits de moteur. Notre seul
contact avec le reste du monde était la radio, car nous n'avions
ni téléphone ni électricité.
J'avais la responsabilité de soigner tous les brigadiers
ainsi que la population. L'agronome et les autres s'occupaient
des champs. Ils partaient avec le tracteur pour montrer aux
paysans comment cultiver et comment se servir des semis
donnés par la Fédération. La population était obligée d'aider à
ces travaux champêtres, mais cela ne lui rapportait rien donc
elle n'était pas intéressée. L'Etat avait fixé un quota de
production que la brigade devait atteindre à la fin de la
campagne agricole et qui devait être expédié à la Préfecture.
Les brigades étaient classées par ordre de mérite. A la fin de
cette campagne, nous n'avions produit qu'un sac de riz de cent
kg, les récoltes ayant été médiocres du fait que les rizières
n'étaient pas aménagées et que les cours d'eau, en débordant,
avaient submergé et fait pourrir les cultures.
38
Au village, il se produisait parfois des accidents
incroyables: par exemple, lors de la pêche, des plaies au harpon
qu'il me fallait suturer à vif à cause du manque d'anesthésiques.
En réalité, ces derniers avaient été épuisés dans la pratique des
circoncisions qui, avant mon arrivée, se faisaient sans aucune
analgésie. Après ces circoncisions, tout le village chantait et
dansait: « La main de ce docteur ne fait pas mal ». Beaucoup
d'enfants ont échappé ainsi aux atroces douleurs de la
. . .
CIrconCISion.
Les femmes n'accouchaient qu'en ma présence.
J'essayais de leur apprendre à se mettre sur le dos pour
accoucher sur une table, mais ce fut inutile car elles étaient
habituées à accoucher accroupies sur une natte. Cela se passait
fort bien d'ailleurs, à l'exception de quelques rares déchirures
du périnée qu'on ne pouvait pas bien contrôler dans cette
position. J'apprenais à l'accoucheuse locale à aseptiser les
instruments avec lesquels elle coupait le cordon et à accueillir
l'enfant. Dans les heures qui suivaient l'accouchement, les
femmes se promenaient, vaquaient à leurs occupations comme
si rien ne s'était passé.
Quelquefois, je voyais en consultation des femmes
anémiées, souffrant de paludisme ou d'autres parasitoses. Ces
maladies se soignaient bien, mais nous manquions de
médicaments et les paysans étaient alors obligés de faire des
centaines de kilomètres pour se les procurer. De surcroît, dans
cette province, l'alimentation n'était pas très équilibrée. La
viande de bœuf était rare; les animaux n'étaient pas abattus
pour leur viande. Ils étaient utilisés pour les labours. Le bœuf
était un moyen de survie. Lors des mariages, la dot de la femme
était de cinq bœufs. D'une manière générale, le bovin n'était
abattu que s'il se cassait une patte. Manden me dit un jour: « La
population a peur de vous car elle pense que vous êtes envoyés
par Sékou TOURE et que nous devons nous soumettre à tous
vos désirs ». Il me proposa de faire une visite des fermes pour
désigner des bêtes et demander aux paysans de les abattre sous
prétexte de maladie. « Elles seront tuées et vous aurez ainsi une
partie de la viande... » Une autre façon de se procurer de la
viande était la chasse aux lapins. Je partais avec un ami nommé
Laye et de nombreux chiens. Nous n'avions pas d'arme. Les

39
chiens partaient devant et nous étions obligés de courir derrière
eux pour les rattraper avant qu'ils ne déchiquettent nos proies.
Les habitants de Oudoumakoro étaient très généreux. Ils
m'offraient parfois des poulets qui étaient habituellement
réservés aux grandes occasions.
Mon ami s'appelait Nafadima Laye SAKHO, le
premier prénom était celui de sa mère et le second le sien. Tous
les habitants se nommaient SAKHO, à l'exception d'une dizaine
de personnes, principalement des femmes qui avaient été
épousées dans des villages voisins et n'avaient pas pris le nom
de leur mari comme cela se fait encore aujourd'hui en Guinée.
Une autre particularité du village était la longueur des
salutations: on demandait des nouvelles des membres de la
famille, des chiens, des chats, des objets...

Manden avait dans son foyer trois femmes et sa fille


aînée, en instance de divorce, qui vivait chez lui avec ses
enfants. Il logeait sa famille dans quatre cases regroupées dans
une petite cour. Il vivait des travaux champêtres et ne percevait
pas de pension bien qu'étant un ancien blessé de guerre. Il me
raconta toute sa campagne militaire en 1945. Il connaissait bien
la France, surtout Saint-Tropez. Manden me montra sa gourde,
son uniforme français de la seconde guerre mondiale, Le Figaro
de la libération avec la photo des chefs de guerre JOUKOV,
MONTGOMERY et EISENHOWER. Il parlait de la France
avec enthousiasme, disant que c'est Dieu qui l'avait sauvé au
moment du débarquement: «Notre capitaine était peureux:
heureusement que nous ne l'avons pas toujours suivi car nous
serions tous morts! Nous avons souvent été sauvés par notre
instinct de chasseur. Ce flair nous a permis de nous dissimuler
pour survivre pendant les bombardements. Un jour, les
Al1emands nous ont repérés et ont lancé l'offensive. Les obus
sont tombés sur certains de nos camarades, les blessant,
occasionnant de multiples fractures mais sans jamais exploser.
Les premiers jours du débarquement, nous avions perdu
quelques kilos par peur des bombardements. Lorsque Paris a été
libéré, les jeunes filles sortaient, nous donnaient des bouteilles
de vin rouge et nous buvions, nous nous amusions... » C'est
avec beaucoup de fierté que Manden évoquait ses souvenirs.
40
Un beau matin, en me réveillant, j'ai aperçu un petit
garçon devant ma case. 11tenait un jeune épervier en me disant:
« Docteur, c'est pour vous ». Je ne savais pas du tout ce que
j'allais faire de ce rapace. Je l'ai pris quand même pour ne pas
décevoir l'enfant et lui ai demandé ce que je devais lui donner à
manger. Il est parti aussitôt en courant pour revenir avec de
petites grenouilles. Ensemble, nous avons élevé cet oiseau
jusqu'à l'âge adulte. Il restait toujours posé sur un piquet devant
ma case jusqu'au jour où, reprenant son instinct sauvage, il s'est
jeté sur les poussins de la basse-cour. J'ai alors décidé de le
libérer et il est revenu régulièrement jusqu'à mon départ du
viIlage.
J'ai gardé de ce séjour des souvenirs extraordinaires
car, au bout d'un certain temps, nous étions totalement intégrés
à la communauté et les villageois ne faisaient plus rien sans
notre avis.
Une nuit, vers une heure du matin, mon logeur est venu
frapper à la porte en disant qu'il voulait me parler. J'ai trouvé
cette situation assez étrange. Il m'a dit que j'avais un visiteur du
nom de Simbo qui est entré dans la case vêtu d'une tenue de
chasseur. Celui-ci m'a salué et s'est présenté comme chasseur
professionnel. Il était venu me soumettre un problème: il
souffrait d'une dent depuis une semaine et tenait absolument à
ce que je la lui arrache. N'étant pas dentiste, je ne pouvais rien
faire d'autre que de lui donner quelques calmants. Je lui ai donc
proposé une infiltration à la lidocaïne. En infiltrant la gencive,
l'aiguille a un peu glissé et j'ai touché la dent. Remarquant
qu'elle bougeait déjà, ne tenant que très peu, cela m'a encouragé
et, à l'aide d'une pince, j'ai réussi à l'extraire. Simbo était très
content et m'a beaucoup remercié, promettant de revenir me
voir. Le lendemain matin, à mon réveil, j'ai trouvé les habitants
du village regroupés devant ma case. Ils voulaient voir Simbo
qui était une célébrité: il était à la fois guérisseur, chasseur
réputé et voyant. Je leur dis qu'il était venu la nuit pour se faire
arracher une dent et qu'il était reparti. Ce fut pour eux une
grande déception.

Simbo revint, comme promis, avec une biche qu'il avait


abattue sur le chemin. Il me dit qu'il était venu m'apporter de la
41
viande, discuter un peu et me parler de mon avenir. Il est entré,
s'est assis au milieu de la case, a sorti un sac de sable, des
pierres et les a disposées sur le sol. Avant de me prédire
l'avenir, il a tenu à parler de mon passé. Il a cité des faits qui
coïncidaient avec la réalité et j'avais vraiment le sentiment qu'il
s'était renseigné. Il a longuement insisté sur la carrière politique
de ma mère et m'a dit: « Retiens ce que je vais te dire: ta mère
restera responsable politique jusqu'à la fin » . A l'époque, cela
ne signifiait rien pour moi. En parlant de mon avenir, il m'a dit:
« Tu partiras loin et pour longtemps. Tu épouseras une femme à
la peau claire, mais je ne sais pas si c'est une femme blanche ».
Aujourd'hui, je me demande si les propos de ce monsieur ne
m'ont pas influencé. Quant à ma mère, elle prit part à des
élections politiques à mon retour de la campagne. Elle avait des
adversaires redoutables qui convoitaient sa place. Je lui ai
conseillé d'abandonner, mais elle croyait fermement à la
Révolution. D'après les sondages, l'une de ses adversaires était
mieux placé:e qu'elle pour remporter les élections. Cependant,
un décret de Sékou TOURE voulait que seuls les militants
alphabétisés eussent le droit de se présenter aux élections. Le
premier Ministre venu présider le scrutin exigea l'application du
décret qui était resté sans effet jusqu'alors. Il fut donc demandé
aux candidates d'écrire leur nom. Sa rivale étant analphabète,
ma mère fut réélue grâce au diplôme d'alphabétisation qu'elle
possédait. Elle resta responsable politique jusqu'au lendemain
du coup d'état qui renversa le gouvernement de Sékou TOURE
et provoqua la dissolution du parti, donc jusqu'à la fin du
régime, comme l'avait prédit Simbo.

Tous les chasseurs avaient des fusils qui se chargeaient


par la «gueule» avec de la poudre et des plombs, mais Simbo
avait une carabine de grande chasse dotée d'un viseur, que lui
avait offerte Sékou TOURE. Simbo le devin recevait des
personnes envoyées par des responsables africains qui croyaient
aux sciences occultes. Ces personnalités sacrifiaient ce que le
chasseur demandait. A cette époque, le bruit courut à Conakry
que Sékou TOURE avait sacrifié un garçonnet dans sa cour. Il
était habituel de demander à un préfet de tuer un mouton noir
ou blanc, un bélier ou un taureau noir pour le Président de la
42
République. Les Guinéens croyaient fermement en ces
sacrifices. Ainsi, Simbo utilisait-il sa réputation et ses relations
pour dire fièrement: « Je peux influer sur votre avenir ».
Il pouvait intervenir auprès du Président de la
République pour lui recommander quelqu'un. Tout le vil1age
reconnaissait ses pouvoirs et lorsqu'il y venait, chacun voulait le
voir, ce qui expliquait la présence des villageois au lendemain
de sa visite nocturne. Le nom de Simbo avait pour signification
« Maître chasseur» . La légende disait qu'avant sa naissance, un
homme était venu voir son père pour lui dire: « Ta femme est
enceinte, elle mettra au monde un garçon; ce sera un grand
chasseur; il faudra le baptiser Simbo ». Il régnait donc tout un
mystère autour de lui.
Il me dit un jour: « Nous sommes désormais de bons
amis, je reviendrai te voir souvent. Je suis un chasseur
professionnel et nous irons faire une partie de chasse ensemble,
en brousse» . Il est effectivement revenu et m'a amené à la
chasse au gibier. Il me disait qu'autrefois, lorsque c'était
autorisé, il traquait les éléphants et revendait l'ivoire. Mais,
informé de la disparition de ces bêtes, il lui avait fallu arrêter de
les tuer. Il chassait également le buffle, pour sa viande. Nous
sommes partis un jour à deux heures du matin, nous étions au
moins cinquante car, en tant que maître chasseur, il avait des
élèves qui l'accompagnaient. En partant, je me suis équipé de
cuissardes puisque nous allions en brousse et qu'il y avait des
serpents venimeux. Lorsque le maître m'a vu sortir dans cette
tenue, il m'a dit: « Mais où allez-vous avec ça Docteur?» Je
lui ai répondu: «C'est pour ne pas me faire piquer par les
serpents! ». Il m'a alors donné des sandales qu'il avait
confectionnées lui-même avec des pneus de voiture, me disant
que je ne pourrais pas marcher plus de dix kilomètres avec mes
bottes. 11avait découpé les pneus en forme de semelles ainsi
que des bandelettes dans les chambres à air, les croisant sur
l'avant du pied et le talon pour les fixer à la semelle. Cette paire
de chaussures pouvait durer des années, les paysans les
appelaient «brantoma » en malinké. Simbo en portait
également. J'avais quand même un doute sur leur efficacité pour
me protéger des morsures ou des piqûres, mais je fus bientôt
rassuré. A la sortie du vi11age, il cueillit certaines feui11es, les
43
broya dans une solution et me dit de mettre cette lotion sur mes
jambes: aucun serpent n'approcherait. J'ai compris plus tard que
ces feuilles répandaient une odeur insupportable pour les
serpents. Toutes les petites astuces qu'il tenait de son sens de
l'observation développé pendant toutes ses années de chasse,
passaient auprès des villageois pour des manifestations de ses
dons surnaturels.
En brousse, nous avons parcouru des dizaines de
kilomètres. Nous nous abritions sous les arbres quand nous
avions faim. Il envoyait alors un apprenti chercher une biche ou
une antilope pour notre repas. Le maître indiquait avec
précision les endroits de chasse et les élèves revenaient toujours
avec du gibier. J'étais stupéfait par cet homme qui avait une
connaissance parfaite de la nature. Il avait tout observé et
connaissait la nourriture et les endroits préférés de chaque
espèce animale. Il nous montrait également les arbres et les
plantes médicinales. Nous sommes arrivés à un endroit où il
traquait jadis les éléphants. Je ne situe pas très bien cette zone
par rapport à la carte générale de mon pays car je ne portais pas
de boussole. Je sais uniquement que c'était dans le nord-est de
la Guinée. Nous sommes arrivés au bord d'un cours d'eau où il
m'a montré une grande crevasse: j'avais l'impression qu'on y
avait déterré un arbre, mais il disait que c'était une trace
d'éléphant. Il m'expliqua qu'autrefois, lorsqu'il allait à la chasse
aux éléphants, tout le monde restait à cet endroit. Nous avons
donc laissé les autres et sommes partis avec cinq apprentis.
Simbo nous disait qu'il approchait les éléphants à deux mètres,
parce qu'à l'époque il ne possédait qu'un fusil traditionnel peu
puissant. Il s'arrêtait tout près de l'éléphant, levait son fusil à la
verticale et tirait derrière l'oreille. Il courait ensuite pour éviter
d'être écrasé par l'animal dans sa chute. Je l'ai suivi et, au bout
d'un certain temps, il m'a indiqué un tronc d'arbre contre lequel
venaient se frotter les éléphants. Simbo m'a dit qu'on lui
réclamait du lait d'éléphant pour faire des talismans et préparer
des potions qui rendaient les individus invulnérables. Tout le
problème était d'obtenir le lait d'un animal vivant. Simbo
réussissait à s'infiltrer dans les troupeaux sans que les bêtes
remarquent sa présence. Il venait les traire. Les femelles
pensaient que c'étaient leurs petits qui tétaient. C'était
44
extraordinaire de voir ces animaux en brousse, dans leur milieu
naturel me disait-il. Il me racontait que dans de nombreuses
ethnies, certains animaux représentaient la doublure d'êtres
humains. Chez les Koulibaly, c'est l'hippopotame qui était
sacré. Au Mali, les ancêtres du nom de Diara (nom donné au
lion en dialecte) avaient la puissance de cet animal. Ils le
protégeaient le considérant comme leur doublure. Le Chasseur
me raconta l'histoire suivante: une nuit, en allumant sa lampe
frontale pour repérer les animaux, il aperçut deux yeux ne
ressemblant à rien de ce qu'il connaissait. Il visa et tira, mais
découvrit ensuite une deuxième paire d'yeux. Pensant qu'il avait
raté son coup, il remit de la poudre et des plombs dans son fusil
indigène qui se chargeait par la gueule. Il craignait que l'animal
n'attaque au cours de la manœuvre. Il tira une seconde fois,
mais vit réapparaître les mêmes yeux. Il renouvela l'opération
successivement cinq fois. Simbo pensait avoir raté son animal;
alors, inquiet, il s'approcha prudemment et découvrit cinq lions
morts. Cette scène se passait dans la région de Diara. Le
lendemain, indignés par cet incident, tous les villageois
s'étaient réunis autour de lui en le menaçant. Ils le laissèrent
partir, mais pour échapper à leurs mauvais sorts et rentrer à
Koundian, son village, il fallut qu'il utilise tous ses moyens
occultes.
A la fin de notre partie de chasse, nous sommes revenus
à Oudoumakoro. Tout le village était là pour accueillir le grand
maître chasseur. Il avait du gibier, c'était la fête, on chantait
mais personne n'osait danser au centre de la ronde, c'était la
place réservée au maître et à ses apprentis car la coutume disait
que si quelqu'un essayait d'entrer dans la danse des chasseurs, il
ne résisterait au mauvais sort que s'il était préparé avec des
talismans. Les chasseurs jouaient de la musique avec des
instruments particuliers conçus par eux.

Pendant mon séjour au village, je suis tombé malade, ai


fait un accès palustre et une dysenterie alors que toutes nos
réserves de médicaments étaient épuisées. J'ai donc été contraint
de me rendre à Conakry pour me soigner; bon nombre de mes
camarades ont eu la même mésaventure. Mais malgré les
moments difficiles passés dans cette campagne, j'en garde de
45
merveilleux souvenirs. J'y ai soigné de nombreux malades et vu
des cas très intéressants.

46
CHAPITRE IV

Départ pour l'exil

Deux ans après la campagne agricole de 1975, nos


études terminées, mes collègues et moi avons eu des problèmes
pour nos affectations. A cette époque, tout nouveau diplômé,
qu'il sorte de l'Université ou d'une école professionnelle, se
voyait attribuer un poste par l'Etat, seul employeur de l'époque.
Le chômage n'existait pas, mais il y avait pléthore de
fonctionnaires et ceux-ci percevaient des salaires très bas. Le
fonctionnaire de catégorie A avait un salaire d'une valeur de
seize euros par mois environ. Tous les fonctionnaires voulaient
rester dans les centres urbains et surtout à Conakry, la capitale,
où ils étaient à proximité des entreprises d'Etat. Ainsi, dès
qu'un arrivage de motos, de voitures, de marchandises était
annoncé, ils contactaient un parent bien placé pour se procurer
un bon d'achat. La plupart des fonctionnaires vivaient de ces
transactions. Ceux qui allaient au travail étaient de simples
figurants. Je travaillais dans une maternité où vingt cinq sages-
femmes se partageaient une quarantaine de lits! Seules cinq
d'entre elles travaillaient réellement chaque jour. Les autres
faisaient acte de présence puis disparaissaient à la recherche des
bons d'achat qui leur permettraient «d'arrondir les angles »,
comme elles le disaient.

Certaines personnes cherchaient à avoir un emploi dans


les sociétés dites "mixtes", par exemple chez Péchiney qui
exploitait la bauxite à Fria. Ces sociétés mixtes appartenaient en
partie à la Guinée et en partie à des investisseurs étrangers. Les
travailleurs y percevaient des salaires supérieurs à ceux
qu'offrait l'Etat, pouvaient bénéficier de certains avantages et
même effectuer des stages à l'étranger, ce qui à l'époque était
un privilège. En effet, en dehors des bénéficiaires des bourses
d'Etat, aucun Guinéen n'était autorisé à sortir du pays. Chacun
rêvait de se faire embaucher dans ce type d'usine, mais il fallait
bien entendu connaître des personnes bien placées pour y
parvenir. J'avais un atout majeur: ayant été responsable en
Faculté, j'étais connu de certains hauts dignitaires du régime. Je
me suis donc adressé au Ministre de l'Education pour obtenir le
poste de mon choix. Il a contacté le Ministre de la Santé pour
lui dire de me trouver un emploi dans une société mixte. C'est
ainsi que j'ai été inscrit sur une liste pour al1er travailler à Fria.
Dans cette vine, existaient deux hôpitaux, celui de la société et
celui de l'Etat. J'ai demandé à être affecté à l'hôpital de la
société puisque les médecins y travaillant pouvaient bénéficier
de formations à l'étranger. Je connaissais un peu Fria car l'un de
mes amis de promotion en était originaire et il m'avait fait
visiter la ville avant même que je pense à y travailler. Je
souhaitais que cet ami soit affecté avec moi à l'hôpital de Fria,
mais j'appris, par le Ministre, qu'il ne figurait pas sur la liste. Je
lui conseillai alors de faire intervenir ses relations avant que les
affectations soient définitives, ce qu'il fit par l'intermédiaire
d'un ami du frère du Ministre. L'affectation a été acceptée et il a
été envoyé à l'hôpital de la société avec moi. Il persistait
cependant un problème: nous étions trois postulants pour deux
postes. Une jeune fille désirait également aller dans cet hôpital.
Elle n'était autre que Néko, qui avait organisé notre rencontre
avec le Ministre au moment du conflit avec notre doyen. Pour
son affectation à Fria, le Ministre intervint pour qu'elle soit
nommée à l'hôpital de la société. C'est ainsi que mon ami, peut-
être parce qu'il n'avait pas eu l'appui direct d'un Ministre, a vu
son nom retiré de la liste alors que Néko et moi y figurions. Au
dernier moment, il demanda au chef du personnel du Ministère
de la Santé, qu'il connaissait, d'intervenir en sa faveur. Ce
dernier a donc attendu que le Ministre ait apposé sa signature au
bas des arrêtés nous affectant, Néko et moi, à l'hôpital de la
Société et mon ami Ramaca à l'hôpital régional, pour falsifier le
stencil et modifier les affectations.
Le chef du personnel, conscient des relations que Neko
avait avec le Ministre, n'a pas osé rayer son nom. Ainsi, je me
retrouvai sur la liste de l'hôpital régional sans savoir comment
tout cela s'était passé. Ramaca n'était pas fautif, ce n'était
certainement pas moi qu'il avait voulu remplacer. Ne voulant
pas davantage embrouiller les choses en faisant réviser ma
situation par le Ministre (car j'étais persuadé que cette démarche
aurait eu pour résultat d'écarter mon ami), je n'ai pas fait de

48
réclamation. Ces affectations furent imposées aux sociétés
mixtes qui avaient un nombre de travailleurs limités. Mes
collègues ont donc été considérés comme des stagiaires
puisqu'il n'y avait en réalité pas de poste vacant dans
l'immédiat.

Fria était une ville qui avait été construite pour


l'exportation de la bauxite, mais parallèlement y existaient les
institutions étatiques, dirigées par un Gouverneur qui
représentait l'Etat dans la ville. Il existait une différence entre
les travailleurs de l'Etat et ceux de la société: ces derniers
profitaient des avantages d'une ville moderne, construite par
Péchiney. Les Européens qui travaillaient dans la société
recevaient un ravitaillement de nourriture venant de France et
les employés de l'usine profitaient de ces avantages,
contrairement aux travailleurs de l'Etat. Pour ma part, je n'ai
pas été victime de cette discrimination; Joseph, le directeur de
l'économat, étant mon ami, j'étais toujours servi. La société
disposait d'un hôpital moderne doté d'un matériel digne des
hôpitaux de deuxième catégorie en France alors que l'hôpital
d'Etat où étaient soignés les fonctionnaires avait bien peu de
moyens. Ces deux catégories de citoyens vivaient donc dans
une même ville avec des niveaux de vie très différents. Les
travailleurs de la société étaient persuadés que ceux de l'Etat
n'avaient pas le droit de bénéficier de leurs avantages et, de leur
côté, les travailleurs de l'Etat ne supportaient pas cette inégalité.
Les conflits et les problèmes étaient insolubles. La vie
des personnes en dépendait parfois. J'ai vu des malades, évacués
sur l'hôpital de la société Friguia, mourir faute de soins, parce
qu'ils n'étaient pas employés par la société. Cette situation était
assez courante. Un jour, la fille du commissaire de la ville,
Veyher, est tombée malade. Travailleur de l'Etat, son père a été
obligé de se rendre dans mon hôpital après avoir été refoulé par
l'hôpital de la société. Généralement, tous les travailleurs de
l'Etat étaient soignés dans l'hôpital de l'Etat, à l'exception de
certains privilégiés tels que le Gouverneur et les hauts
fonctionnaires qui s'imposaient à la société et faisaient établir
des papiers de prise en charge par l'Etat afin que leurs enfants et
leur famille soient soignés dans de meilleures conditions.
49
Veyher m'a donc adressé sa fille, je me suis occupé d'elle et l'ai
soignée. J'ai gardé ensuite de bonnes relations avec lui et sa
femme.

Lorsqu'il n'y avait plus de lits disponibles ou lorsque le


matériel faisait défaut, je m'adressais à l'hôpital de la société. A
force de négociations, on finissait par accepter ces transferts de
malades à condition de fournir un certificat de prise en charge
des frais par l'Etat. Mes collègues et moi nous sommes vus
confrontés à des responsabilités énormes parce que toute la
population désirait aller dans I'hôpital qui avait plus de moyens.
Or la société nous demandait de « trier» les malades et d'en
adresser le minimum. Le Docteur GERNINWI, un chirurgien
français en remplacement dans l'hôpital de la société, est venu
visiter l'hôpital d'Etat par curiosité. En discutant, je lui ai parlé
de ces problèmes et il m'a dit: « Je veux bien travailler avec toi,
je vois que tu te débrouilles bien; tu as des problèmes liés au
manque de matériel et de médicaments. Lorsque tu auras des
cas sérieux, tu n'auras qu'à amener tes malades et nous les
opérerons ensemble ». Je voyais beaucoup de cas de fistules:
ces communications uro-génitales difficiles à traiter,
provoquées par des accouchements ,compliqués. Ce chirurgien
s'intéressait beaucoup à ce genre de cas et je venais opérer avec
lui. Dans l'hôpital de la société, le médecin-chef était guinéen. Il
avait succédé à un médecin français après maintes tractations. Il
y avait eu, quelques années auparavant, une africanisation des
postes de cadres et le Docteur RAGOUBAN avait été nommé
médecin-chef à cette occasion. Au début, il y avait eu un
affrontement sérieux entre lui et son prédécesseur. Le médecin
guinéen avait voulu présenter sa démission si le médecin
français restait en poste. Après avoir eu gain de cause, il avait
été longtemps mis à l'épreuve et surveillé dans sa gestion de
I'hôpital. Il était le premier à s'opposer, en prétextant des
budgets insuffisants, à ce que les gens ne travaillant pas dans la
société viennent s'y faire soigner. RAGOUBAN pensait qu'en
acceptant les malades qui n'étaient pas de la compagnie, son
hôpital finirait par se retrouver déficitaire. Il était donc
hermétique à toute concession et ne s'entendait plus avec le

50
chirurgien français qui acceptait les malades de mon hôpital.
C'est ce conflit qui allait m'attirer bien des ennuis.

Une autre histoire a retenu mon attention à cette époque


et mérite d'être racontée. Un matin, J'infirmier qui jouait le rôle
de chirurgien dans mon hôpital, m'a demandé de venir assister à
une circoncision, ce qui m'étonna. Je compris en voyant l'enfant
à circoncire: c'était un métis afro-asiatique qui, me confia
l'infirmier, était le petit-fils du Prince Norodom SIHANOUK.
Depuis sa naissance, l'enfant vivait dans la clandestinité
absolue. Lorsque le Prince était en exil, sa fille avait connu un
diplomate guinéen en Chine de qui elle avait eu cet enfant. Dès
sa naissance, le bébé avait été remis à l'ambassade de Guinée
qui l'avait gardé cinq ans. Son père avait été rapatrié d'office dès
le début de l'affaire et Sékou TOURE l'avait insulté pour avoir
osé souil1er la famil1e du Prince. Cet enfant n'a plus jamais vu
sa mère. Seul le grand père cherchait à le rencontrer lors de ses
déplacements à l'étranger.

J'avais une amie, Biha, qui venait souvent bavarder


avec moi et dans la ville, les rumeurs se propageaient
rapidement. D'aucuns étaient allés dire à son mari, agent de
police, qu'elle était ma maîtresse, ce qui me créa beaucoup
d'ennuis. En Guinée, contrairement aux idées reçues sous
l'ancien régime, les femmes avaient un important pouvoir pour
arranger les problèmes. Il suffisait de contacter une femme qui
allait ensuite courtiser un Ministre et tout s'arrangeait. Le
Directeur de l'usine était attiré par cette femme de même que le
Gouverneur. Mon amitié avec elle finit par créer bien des
tensions, la situation entraîna des disputes entre les conjoints et
Biha demanda le divorce. Toute la ville était au courant qu'elle
anait divorcer. Ce problème vint s'ajouter au conflit qui
m'opposait au Médecin-Chef de la Société.

Ma situation devenait critique et, à l'époque, il était


facile de faire passer quelqu'un pour un contre-révolutionnaire
ou d'écrire des lettres anonymes contre lui pour mettre fin à sa
carrière ou l'envoyer en prison. Pour liquider un collègue
gênant, il suffisait d'attendre qu'il fasse une petite erreur, puis

51
d'écrire ensuite une lettre au Président de la République ou au
Ministre pour le signaler. L'intéressé recevait alors une
inspection. Si le problème était d'ordre politique, il était
emprisonné, s'il était financier, il était suspendu de ses
fonctions. A cette époque, on disait que « les murs avaient des
oreilles ». Dans mon hôpital, travaillait le père de mon ami
RAMACA qui était infirmier. N'eût été la suppression de la
chefferie traditionnelle par le régime de Sékou TOURE, ce
monsieur aurait dû succéder à son père, roi dans la région. Cette
situation le rendait fort suspect sous ce régime. Un jour, un
infirmier de l'hôpital, qui lui en voulait, vint discuter avec lui en
faisant croire qu'il était opposé au régime de Sékou TOURE. Le
vieil infirmier lui confia alors naïvement ses impressions sur le
régime qui, bien sûr, n'étaient pas très élogieuses. Il ne savait
pas que, sous la table, son interlocuteur avait disposé un petit
magnétophone. La bande se retrouva au plus haut niveau de la
Direction du Parti. Le vieil infirmier, qui avait plus de soixante
ans, fut transféré au camp Boiro, où il passa au moins cinq
ans...

En ce qui me concerne, je n'ai jamais su si c'était le mari


de cette amie qui avait été à l'origine de l'inspection dont je fis
l'objet. Je vis arriver, un beau matin, des inspecteurs qui avaient
pour mission de vérifier si, à l'hôpital, un médecin ne pratiquait
pas des avortements clandestins. En l'occurrence, un rapport
avait été établi à mon sujet (en Guinée, la loi interdit encore
aujourd'hui les interruptions volontaires de grossesse). Je fus
convoqué par le Gouverneur qui avait reçu une délégation du
Ministère de l'intérieur pour venir vérifier mes dossiers. Il me
dit sa surprise d'apprendre que, selon les rumeurs des
inspecteurs, je pratiquais des avortements, alors que j'étais bien
apprécié dans la ville où je me battais beaucoup pour mes
patients. Les inspecteurs avaient été envoyés pour faire la
lumière sur le sujet: tous les registres de mon bureau furent
compulsés. Le nom de toute femme venue en consultation y
était inscrit ainsi que le nombre de curetages pratiqués. Ces
curetages étaient purement thérapeutiques, effectués chez des
femmes faisant une fausse couche. L'inspecteur n'avait aucune
connaissance médicale. Il n'a pas pu me répondre lorsque je lui
52
ai demandé s'il pouvait faire la différence entre avortement
provoqué et curetage à la suite d'une fausse couche. Il avait
enquêté en ville sur ma façon de travailler et l'un de ses
collègues lui avait dit de ne pas m'inquiéter car mon travail était
apprécié par les habitants. L'inspecteur a fini par m'avouer que
le responsable de cette inquisition était une personne cherchant
à me déstabiliser. Il m'a assuré qu'il ferait un rapport en ma
faveur pour que je sorte indemne de cette affaire.

Biha, apprenant les problèmes que j'avais eus, a pensé


qu'elle en était peut-être responsable et que son ex-mari pouvait
être à l'origine du rapport. Les femmes ayant, je l'ai dit,
beaucoup de facilités en Guinée, elle demanda une audience au
Président de la République. Le jour de cette entrevue, simple
coïncidence, les représentants politiques de Fria étaient
également présents pour parler des problèmes de la ville. Le
Président connaissait un peu cette femme peuhle, des membres
de sa famille ayant été des cadres éminents du régime. Parmi les
membres politiques venus de Fria voir le Président figurait un
directeur de l'usine, ce qui leur permit de voir le Président en
priorité. Lorsqu'ils entrèrent dans le bureau, ce directeur prit la
parole et dit: « J'ai vu une femme dans votre salon ». Le
Président lui demanda alors ironiquement l'identité de cette
personne. Son interlocuteur lui répondit qu'il s'agissait de la
femme d'un policier en instance de divorce, la maîtresse d'un
jeune médecin. En tenant ces propos, il avait oublié que, dans le
groupe des responsables, tous n'étaient pas de son avis. Le
Président répondit: «Je connais un peu cette affaire, mais on
m'a rapporté que c'est parce que cette femme n'a pas voulu de
vous que vous êtes allé dire à son mari qu'elle était l'amante du
jeune médecin. Je souhaite, d'ailleurs, faire la connaissance de
ce jeune homme dont on parle beaucoup dans votre ville ». Le
directeur de l'usine fut stupéfait de ces propos. Dans le groupe
des membres de la Fédération venus voir le Président se
trouvait un homme qui avait de la sympathie pour moi. De
retour à Fria, il me raconta ce qui s'était passé dans le bureau et
me dit que le Président désirait me voir... Je n'y suis pas allé,
pensant que l'affaire s'estomperait. Cependant, une nuit, à deux
heures du matin, je fus réveillé par un haut fonctionnaire de la
53
vine qui venait me voir au nom d'un ministre. Ce monsieur
avait une fine de seize ans, enceinte, et voulait la faire avorter.
On lui avait conseillé de se rendre dans cette ville où il y avait
l'hôpital Péchiney à côté de l'hôpital de l'Etat, pour qu'en cas de
complications les chirurgiens puissent intervenir sans délai. Le
problème de ces avortements provoqués était les infections qui
se transformaient ensuite en pelvi-péritonite. Dans les cas les
plus dramatiques, les femmes mouraient exactement comme en
France avant la loi VEIL sur l'I.V.G. Ce fonctionnaire avait reçu
des instructions du Ministre. Je lui demandai alors s'il s'agissait
d'un ordre ou d'une simple requête. Il me répondit: « Il faut le
faire! ». Tandis que je lui rappelais qu'il avait été le témoin de
mes problèmes récents à propos des avortements provoqués, il
me rétorqua que les personnes qui avaient fait ouvrir l'enquête
étaient les mêmes qui me demandaient maintenant de réaliser
un avortement. Il ajouta que si je voulais être définitivement
blanchi, je devais pratiquer l'interruption. Je savais néanmoins
que pour démolir quelqu'un sous le régime, il suffisait de dire
qu'il s'était livré à des choses interdites par la loi. Je refusai
donc d'intervenir.

Il m'arrivait d'envoyer des malades vers l'hôpital de


Friguia lorsque je n'avais pas d'autre solution. Le Médecin
Chef pensait que je cherchais à lui porter préjudice et que j'étais
à l'origine de ses problèmes de gestion. Le Docteur
GERNINRER, le chirurgien français, acceptait les malades que
je lui adressais, refusant de les laisser mourir pour des raisons
budgétaires, ce qui n'était pas du goût de son chef. Le Français
était soutenu par les habitants et par les travailleurs de l'usine
car ceux-ci avaient des membres de leur famille qui venaient
d'autres villes pour se faire soigner. Le Docteur RAGOUBAN,
avait été nommé à ce poste sur intervention de l'un de ses
parents qui était Ministre. Il se rendit à Conakry pour confier à
celui-ci qu'il risquait d'être inquiété à cause d'un chirurgien qui
collaborait avec un médecin guinéen de l'hôpital d'Etat; les
deux praticiens étant soutenus par les syndicats, la situation
était manifestement en sa défaveur. Le Ministre alla voir le
Président de la République et ce dernier demanda au Ministre
de la Santé (mon ancien doyen de Faculté) une enquête. Un ami
54
travaillant au Ministère de la Santé m'en avait informé et me
conseilla d'adresser, avant l'inspection, un rapport au Président.
Il me rappela un dicton de chez nous: « Si tu vois les autres
accroupis, il faut bondir le premier!» Il me demanda de
justifier, par quelques preuves professionnelles, mon
comportement et me certifia que cela pourrait m'éviter bien des
ennuis. Cela signifiait tout simplement qu'il me fallait écrire
une lettre démagogique attaquant mes adversaires pour pouvoir
sauver ma peau. Cette lettre que j'ai envoyée au Président de la
République a un peu atténué les choses. Les autorités
guinéennes ont transformé le problème en disant que ce
chirurgien français était un espion envoyé par la France. A
l'époque, toute personne venant de l'Occident était considérée
comme suspecte. Les seuls étrangers travaillant en Guinée
étaient employés dans des sociétés privées. Ils étaient dans leur
maison, suivis, surveil1és. Je ne pouvais rencontrer ce
chirurgien qu'à l'hôpital, dans un cadre professionnel. La
situation fut présentée ainsi: on fit croire que ce médecin-
espion passait par moi pour obtenir ce qu'il voulait. Des
inspecteurs du Ministère de la Santé sont venus à Fria pour
enquêter. RAGOUBAN s'est arrangé pour faire rompre le
contrat de GERNINRER et pour mon cas, si l'enquête révélait
une faute, une sanction devait en découler. L'opinion publique
était en ma faveur pour les services rendus. Lorsque la
délégation du Ministère est arrivée, je savais que je n'étais pas
en position de force. En effet, dès qu'une personne devenait un
peu populaire, elle représentait une menace pour le pouvoir si
elle n'en partageait pas les idées. Le Ministre n'a donc rien pu
faire et m'a laissé en poste. Mais je savais que ce n'était qu'un
sursis. On raconta au Docteur GERNINRER que le Président
était quelqu'un de bien et que c'étaient ceux qui gravitaient
autour de lui qui créaient des ambiguïtés. On lui conseilla de
rentrer à Conakry et de demander audience à Sékou TOURE,
celui-ci finirait certainement par lui donner raison et peut-être
même par le laisser en poste à Fria. Ce Monsieur alla donc,
enthousiaste, expliquer au Président comment les gens qui ne
relevaient pas de l'usine étaient traités différemment des autres.
Il jugeait cela anormal et déclara qu'il travaillait avec un
médecin guinéen qui avait les mêmes opinions que lui.
55
GERNINRER ignorait totalement que les missions d'enquête
émanaient du Président lui-même. Ce dernier lui fit savoir qu'il
avait très bien compris tout ce qui venait d'être dit, mais qu'en
attendant, puisqu'il n'avait plus de contrat, il lui fallait retourner
dans son pays, concluant qu'on s'arrangerait pour qu'il puisse
être affecté dans un hôpital à Conakry dans l'avenir. Il lui
donna ensuite plusieurs tomes de ses ouvrages sur la Révolution
et lui demanda d'aller s'expliquer avec le Ministre de la Santé.
Le médecin exposa de nouveau ses problèmes, mais le Ministre,
tout en faisant semblant de l'écouter, resta indifférent quant à la
solution. La démarche du chirurgien fut interprétée comme
purement démagogique. On fit comprendre que s'il insistait
pour rester, c'est qu'il était assurément un espion qui travaillait
avec le médecin guinéen.

Après la chute du régime de Sékou TOURE, le Docteur


RAGOUBAN a été chassé par la population de Fria qui a brûlé
sa maison et tous ses biens.

Je restai à Fria mais sans trop d'assurance. Quelque


temps après, le Ministre m'avait inscrit dans une délégation
sanitaire pour exercer au Mozambique où beaucoup de cadres
guinéens avaient été envoyés. J'étais alors décidé à fuir ce
climat pesant mais, au dernier moment, le départ fut annulé. La
goutte d'eau qui fit déborder le vase fut l'affaire d'une jeune
fille, Madaa que j'avais connue par l'intermédiaire de mon
médecin-chef. Elle m'invita chez elle, dans une très belle ville
de Guinée où j'avais des parents auxquels je voulais rendre
visite. J'ai donc profité de cette occasion pour aller la voir. Elle
avait parlé de moi à ses parents et je fus très bien reçu par sa
mère. Elle revenait me voir très souvent à Fria les week-ends.
Un jour, elle me dit: «As-tu vu les cartes guinéennes qui
représentent une fil1e avec des cheveux tressés et portant une
tenue traditionnelle? » Je lui répondis que je connaissais ces
jolies cartes qui étaient très populaires. Elle me dit que c'était sa
photo; c'était surprenant mais, en vérifiant, j'ai constaté qu'elle
disait vrai. Je lui ai demandé comment elle s'était retrouvée sur
cette carte. Alors, elle raconta: « Je vivais tranquiJlement dans
ma ville natale où je terminais mes études primaires. Un jour, il
56
y eut une réception grandiose organisée par la ville: le
Président venait inaugurer un monument. Ce jour-là, le
Président qui m'avait vu passer en tête du cortège demanda aux
autorités de la vine qui était cette petite fine en disant qu'eUe
était bien tressée et bien jolie. Quelques mois après, eut lieu un
festival africain au Nigeria. Une délégation de la Présidence se
rendit chez mes parents pour leur demander de me laisser partir
à Lagos pour représenter les coiffures guinéennes. J'étais très
jeune et ma mère s'y opposa. J'étais son unique fille et elle se
refusait à me laisser partir à l'étranger. Alors, un compromis fut
trouvé: la délégation demanda que l'on me tresse pour faire des
posters qui seraient exposés au Nigéria. J'ai donc été
photographiée. Les photos furent assez réussies et appréciées.
C'est à cette occasion que le Président a vu ces photos. Il en
était très satisfait et demandait toujours à ce que je vienne le
voir à la Présidence. Un jour, j'ai été invitée par sa fille et nous
sommes montées ensemble le voir. Nous venions ensuite
régulièrement discuter avec lui. Il me donnait des cadeaux et me
gâtait tout autant que sa fille. Une fois, il me demanda: « Tu es
souvent avec ma fille, passez-vous votre temps à faire l'amour
? » et je restai choquée devant de tels propos. » Je lui demandai
ce qui s'était passé et elle refusa de me raconter la suite des
évènements. Elle avait le numéro de téléphone direct de la
Présidence. Elle composait le numéro du Président et discutait
avec lui.
Un jour, je pris l'écouteur et entendis: « Comment vas-
tu ? Quand viens-tu me voir? » . Elle répondit qu'elle venait à
Conakry prochainement et qu'elle passerait le voir. Je n'étais
pas dupe et pensais bien qu'il y avait quelque chose de douteux
dans cette relation. Mais puisque j'étais devenu très méfiant à
l'époque, je n'ai pas cherché à comprendre craignant que cela ne
se complique davantage. J'ai continué à sortir avec cette fille.
Madaa venait me voir de temps en temps et me disait: «Je pars
à la Présidence ». Je ne disais rien et ne donnais pas d'avis. Un
jour, elle était avec moi à Fria quand le Président est venu
visiter la ville. Elle m'a accompagné à la réception. Tous les
représentants de la ville étaient là. Lorsque Sékou TOURE a vu
Madaa, il l'a fait appeler et s'asseoir dans un fauteui I officiel, à
côté de lui. Tous les responsables étaient surpris et ce petit
57
évènement ne passa pas inaperçu. On racontait partout: « Le
Président connaît la copine du Docteur et il paraît que c'est sa
copine aussi! » J'ai senti que tout le monde commençait à
m'approcher parce que ma copine connaissait le Président de la
République. Les rumeurs racontaient d'ailleurs que c'était le
Président qui m'avait présenté cette copine.

Un jour, alors que j'étais avec Madaa à Fria, je fus


convoqué par le Préfet de la ville pour m'entendre dire qu'il
venait de recevoir un message direct de Conakry. Le Ministre
de l'Intérieur demandait à ce que je me mette en route pour
Conakry avec Madaa. Je devais me présenter le lendemain à
huit heures au Ministère de l'Intérieur. Je pris mon véhicule de
fonction et, durant le voyage, tout se bouscula dans ma tête, je
soupçonnais les relations intimes entre Madaa et le Président.
Tout le monde en parlait et avec tous les antécédents que j'avais
dans cette ville, je m'imaginais le pire. Le voyage dura trois
heures. En arrivant à Conakry, j'avais mal au ventre. Je n'avais
pas dormi de la nuit. Madaa se demandait également ce qui
allait se passer. Elle m'avoua alors qu'elle avait eu des disputes
avec sa mère à cause de moi. Celle-ci voulait qu'elle épouse un
homme très riche dont Madaa ne voulait pas et elle était
opposée à notre mariage. Voyant que nous étions toujours
ensemble, elle cherchait par tous les moyens à interrompre notre
relation. La mère était informée que sa fille allait chez le
Président et elle demanda une audience pour lui dire que j'avais
détourné sa fille qui passait tout son temps chez moi, ne voulait
plus entendre parler d'elle, et ne voulait plus travailler...
Madaa, qui n'avait jamais dû dire au Président qu'elle avait un
copain, rendait la situation plus compliquée. Sa mère avait
compris qu'elle créerait une inévitable irritation en mettant le
Président au courant de cette situation. Ce dernier confirma
qu'il avait effectivement vu sa fille en compagnie d'un jeune
homme lors d'un voyage officiel à Fria et la mère ajouta:
« Voilà pourquoi ma fille ne vient plus vous voir!». Le
Président demanda alors au Ministre de l'Intérieur de me faire
venir. Il précisa d'ailleurs: «J'ai toujours entendu parler de ce
médecin, il y a bien quelque chose d'anormal! » Arrivés au
Ministère de l'Intérieur, nous avons rencontré la mère de

58
Madaa. Par bonheur pour moi, le père de Camille, mon ami
d'enfance, était Directeur de cabinet de ce Ministère. Il m'a fait
venir dans son bureau et m'a rassuré en me disant qu'il ferait
tout pour que je m'en sorte sans problème. Nous sommes alors
entrés dans le bureau du Ministre, lequel m'a expliqué que cette
dame était venue se plaindre de moi au Président en disant que
je détournais sa fille. Madaa étant majeure, il m'a demandé ce
que j'en pensais. Je lui ai répondu que j'étais vraiment surpris de
l'attitude de cette dame. La famille que j'allais voir à Kindia, la
ville de Madaa, avait quelques liens avec le Ministre de
l'Intérieur. Je pensais qu'en les lui rappelant indirectement cela
m'aiderait énormément. J'expliquais au Ministre que j'étais
assez surpris car lorsque je me rendais chez Madaa, j'étais
toujours bien reçu. Sa mère savait qu'elle venait me voir et ne
m'avait jamais dit que sa fille ne s'entendait pas avec elle. De
même, jamais Madaa ne m'avait dit avoir des problèmes à cause
de moi. Ce que je faisais me semblait tout à fait normal. Allant
régulièrement voir les parents, je ne comprenais pas pourquoi la
mère avait contacté le Président de la RépubJique pour lui dire
que je détournais sa fille au lieu de m'en parler directement. Si
elle avait osé en parler avec moi, il était certain que nous n'en
serions jamais arrivés là. Le Ministre, fort de sa qualité de beau-
frère du Président de la République, disposait d'une certaine
liberté d'action que d'autres Ministres ne pouvaient s'autoriser.
Il prit la responsabilité de me laisser repartir en me disant qu'il
était sensible à ce que je venais de lui dire. Il m'a dit: « Si tu
veux épouser cette filie, viens m'en parler. J'irai voir le
Président pour lui dire que vous voulez vous marier. Nous
organiserons le mariage et ce n'est pas parce qu'elle ne s'entend
pas avec sa mère que cette dernière peut t'accuser de
détournement. Je dirai d'aiIJeurs au Président que tu es un bon
médecin ». Il me demanda de reprendre ma voiture, de retourner
à Fria et d'y continuer mon travail. Il essayerait d'arranger le
problème. Peut-être n'était-il pas au courant des relations
existant entre la fille et le Président? Je pense que
l'intervention de Monsieur FERNANDEZ a beaucoup pesé sur
sa décision.
Je suis allé chez mon ami Abdoulaye qui travaillait à
Conakry à l'époque. J'y suis resté et étais tellement secoué que
59
je suis tombé malade. Vers quatorze heures, j'ai entendu
frapper: c'était Madaa, accompagnée de sa mère. Avant de
sortir du bureau du Ministre, je lui avais dit que j'avais compris
ce qui s'était passé et puisqu'il en était ainsi je ne désirais plus
qu'elle vienne me voir; elle pouvait récupérer ses affaires
quand elle le voulait. J'étais tellement déçu que je ne voulais
plus entendre parler d'elle.

Depuis mon départ du bureau du Ministre, Madaa s'était


mise à pleurer. Sa mère et le Ministre l'accompagnèrent chez le
Président qui demanda où se trouvait le médecin. Le Ministre
répondit qu'il m'avait laissé partir parce qu'il n'avait rien à me
reprocher. Madaa continuait à pleurer et le Président lui-même
ne réussit pas à la calmer. C'est Monsieur FERNANDEZ qui me
rapporta la scène quelque temps après. A leur sortie de la
Présidence, Madaa pleurait tellement que sa mère prit peur et
c'est pourquoi elles étaient venues me voir. La mère m'avoua
avoir sous-estimé l'importance de notre relation. S'en excusant,
e11eme promit de revoir le Président pour lui dire que nous
avions finalement trouvé un terrain d'entente. Elle me demanda
de continuer à voir sa fille, ajoutant qu'elle me considérait
comme son fils. Je n'étais pas davantage rassuré, mais ne
pouvais pas réagir sur le moment car cela risquait de se
retourner contre moi. En rejetant d'emblée Madaa à cause de ses
relations avec le Président, elle pouvait m'entraîner dans un
gouffre. J'ai donc fait semblant d'accepter. La mère est repartie
voir le Ministre de l'Intérieur pour calmer l'affaire.

Apparemment, la situation était redevenue normale,


mais quelque temps après, je m'aperçus que ce n'était pas le cas.
En effet, par l'intermédiaire du Ministre de l'Intérieur, le
Président fit envoyer des messages à Fria pour demander des
rapports réguliers sur mes activités et me faire suivre dans la
ville. VEYHER, le commissaire de police dont j'avais soigné la
fille, me montra les messages du Ministère de l'Intérieur lui
demandant de me surveiller et d'envoyer des rapports.
Une toute petite défaillance m'aurait fait passer pour
contre-révolutionnaire et aurait pu me coûter la vie. Le
commissaire me rassura et me fit comprendre qu'il n'enverrait
60
pas de rapports pouvant me porter préjudice. Je l'en remerciai,
mais continuai de vivre avec une épée de Damoclès au-dessus
de la tête. J'eus confirmation, en posant quelques petites
questions insidieuses à Madaa qu'elle était effectivement la
maîtresse du Président. Tout le monde le savait. Les gens
disaient: «Il est le seul à ne pas le savoir! », je l'avais
cependant pressenti avant tout le monde, mais feignais de
l'ignorer. Madaa continuait à vivre avec moi et nous allions
ensemble en week-end à Conakry. Chaque fois que j'avais un
problème, elle disait pouvoir le régler. Elle m'amenait chez le
Premier ministre qui l'appelait « ma fille » et qui lui avait donné
une audience permanente pour moi; ainsi, tous les problèmes se
réglaient. Une fois, un ami avait eu besoin de tôles et pour s'en
procurer, il fallait la signature d'un ministre. Dès que nous nous
sommes présentés avec la recommandationdu Premier ministre,
une note a été immédiatement faite au nom de cet ami et
adressée au directeur de l'entreprise concernée.
J'ai même tenté de travailler à l'hôpital Péchiney, pour
prouver au Docteur RAGOUBAN qu'il n'était pas le seul à
avoir des relations: le Premier ministre a donné son accord et
demandé au Ministre de la fonction publique de procéder à mon
affectation. Cette demande a été renouvelée à la suite d'un
retard d'exécution, mais j'ai finalement renoncé de moi-même à
ce projet en pensant qu'il pouvait m'entraîner dans l'engrenage
de la corruption.
Madaa m'a dit un jour: « Je vais t'emmener chez le
Président! ». Je lui ai répondu que je ne voulais pas et c'est
alors qu'elle a voulu me présenter la fille du Président, sa
copine. El1e m'a dit que cette dernière voulait faire ma
connaissance et a profité de cette situation pour m'amener à la
Présidence. Un soir, nous sommes montés dans les
appartements et j'ai rencontré la fille du Président. Une autre
fois, nous sommes entrés par la porte officiel1e alors que même
ceux qui demandaient audience passaient par une porte spéciale.
Tous les gardes du corps connaissaient Madaa. Dès notre
arrivée, ils nous ouvraient toutes les portes. Je croyais qu'elle
m'amenait dans les appartements de la fille du Président. Un
garde du corps lui a dit: « Situ veux voir le Président, il est
dans sa voiture, il va partir ». Le garde l'a prise par la main, ils
61
ont descendu le grand escalier de la façade donnant sur le
boulevard de la République, au bas duquel s'est ouverte la
portière de la voiture du Président. Ce dernier lui a demandé de
monter. Elle a disparu derrière les rideaux de la OS noire qui a
démarré aussitôt. Je me suis retrouvé seul, hébété, me
demandant ce qui allait m'arriver. Heureusement, le militaire
est revenu et m'a demandé si c'était ma sœur. J'ai répondu par
l'affirmative et il m'a fait savoir que j'allais être déposé en ville.
La fille avait juste eu le temps de dire au garde de me déposer
chez son oncle. Le garde connaissait l'endroit car il avait
l'habitude d'y aller pour la chercher. Il me déposa mais, dès qu'il
eut fait demi-tour, je me rendis chez Abdoulaye. Madaa n'est
revenue que très tard le soir. Je lui ai demandé des explications.
Elle m'a répondu que le Président était allé dans sa villa privée,
et qu'il avait voulu qu'elle l'accompagne. Madaa m'a dit que cela
s'était bien passé, qu'elle avait voulu me faire une surprise et me
présenter à lui. Je lui ai répondu qu'il aurait fallu qu'elle
m'avertisse, mais elle répliqua: « Tu n'aurais pas accepté! » Je
n'ai pas cherché à comprendre davantage.

Il n'y avait pas d'autre alternative que de me résigner


aux relations de Madaa avec le Président. Lorsque j'étais
étudiant en médecine, en me rendant à l'université, je passais
dans une cité où il y avait un homme dont la femme était, selon
la rumeur, la maîtresse du Premier Ministre. Celui-ci venait
avec sa voiture, le mari ouvrait le garage, faisait une marche
arrière pour sortir sa propre voiture, et rentrait la voiture du
Ministre dans son garage. Le mari partait pour ne revenir que le
lendemain, lorsque le Premier ministre avait quitté sa maison.
C'était un cas assez connu. J'aurais pu me retrouver dans la
même situation si j'avais épousé cette fille. Elle serait allée
dormir chez le Président de temps en temps. J'aurais peut-être
été nommé à un poste de responsabilité en récompense de ma
complaisance, mais le risque était que le jour où il en aurait eu
assez, il me liquide. Il aurait simplement dit à Madaa : «Ton
type est devenu gênant, mais j'assure ta vie... » Elle se serait
alors retrouvée dans la situation de nombreuses femmes dont le
mari était en prison pour de fausses histoires de complot et qui
se faisaient ensuite épouser par les Ministres qui avaient
62
contribué à l'arrestation de leur mari. Le plus célèbre de ces
Ministres était celui qui «s'occupait» du camp Boiro, où se
trouvaient quantité de détenus politiques. Il avait pris pour
seconde épouse la propre femme d'un détenu politique
considéré comme disparu.

J'ai d,emandé mon affectation dans la capitale, je voulais


quitter Fria où j'avais eu beaucoup trop de problèmes: dans la
capitale, j'espérais passer inaperçu. Lorsque j'ai demandé ma
mutation, le Ministre de la Santé a été surpris car j'étais
apprécié par la population de Fria. L'autorisation de me rendre à
Conakry me fut immédiatement accordée. C'était une époque où
je cherchais déjà à quitter le pays car le Président demandait
toujours au commissaire de police de me surveiller. VEYHER
m'a toujours dit qu'il approuvait mon départ et, par chance, lui
aussi fut affecté à Conakry où il devint Directeur des services
frontaliers. Nos relations se poursuivirent et je lui fis connaître
mes intentions de quitter la Guinée. Paradoxalement, le seul
moyen dont je disposais était de profiter des relations de Madaa.
Ce qui m'intéressait, c'était d'obtenir une bourse afin de
continuer mes études à l'extérieur. Je lui demandai de m'aider en
lui promettant qu'elle pourrait me rejoindre par la suite. C'était
une façon de m'en sortir. Elle trouva mon idée géniale. Elle
contacta des Ministres en cours d'année scolaire. Il y eut des
demandes faites à la hâte pour la Suisse, mais il fallait attendre
encore une année... Je trouvais ce temps trop long car un
problème pouvait surgir du jour au lendemain d'autant que l'on
parlait alors d'un complot des intellectuels.

Arrivé à Conakry, je logeai en banlieue chez une de


mes tantes, dans une maison à peine terminée, à côté de celle où
logeait un diplomate du Libéria, pays frontalier de la Guinée.
Les médecins guinéens cherchaient à soigner les familles de
diplomates, de hauts fonctionnaires, car cela leur rapportait plus
que leur salaire mensuel. Apprenant que j'étais gynécologue, ce
diplomate entra en relation amicale avec moi pour que je
m'occupe de la santé de sa famille. Un jour, il vint frapper à ma
porte pour me dire qu'une femme enceinte de six mois et demi
avait besoin d'un médecin, c'était la fille adoptive de l'ancien

63
Président du Libéria, William TUBMAN. Sékou TOURE était
venu la voir alors qu'elle était en transit en Guinée. Le
diplomate:me demanda de m'occuper d'eUe. J'avais alors très
peur de me montrer en compagnie de diplomates ou d'étrangers
car c'était risqué au vu de mes antécédents. Mon voisin me
donna la certitude que je n'aurais aucun ennui. Le matin, je
reçus donc Niefa qui était en menace d'accouchement
prématuré. Je l'examinai, mais, malheureusement, il n'y avait
rien à faire. Le col était déjà ouvert, elle avait des contractions
et saignait beaucoup. Je lui expliquai que cela allait être difficile
surtout dans les conditions difficiles où nous travaillions. Les
femmes mouraient pour de simples hémorragies de la
délivrance car nous n'avions pas de banque de sang. Niefa s'est
retrouvée à l'hôpital où il n'y avait même pas de lit correct pour
son hospitalisation. Je fus obligé de lui aménager un coin dans
mon bureau en y installant un lit et en apportant des draps. Il
fallut glaner ici et là des sérums glucosés pour la perfuser et la
surveiller. Elle accoucha à six mois et demi. Le bébé était
vivant et, en l'absence de couveuse, la mère me demanda s'il
était possible de l'évacuer en urgence. Les vols réguliers
n'existaient qu'une à deux fois par semaine et il fallait attendre
trois ou quatre jours avant le prochain avion. Le bébé mourut.
J'assistai à son enterrement dans la cour de l'ambassade. Je
trouvai des médicaments pour soigner la mère pendant deux
jours, et ensuite, elle pu regagner son domicile. Je passais la
voir souvent, de façon furtive.

En quittant la Guinée, elle me demanda mon adresse et


mon numéro de téléphone à l'hôpital. Un jour, je reçus un appel
téléphonique venant de Genève, ce qui fut un évènement car il
n'y avait aucune ligne directe entre la Guinée et les autres pays.
Toutes les lignes vers l'extérieur étaient censurées. Celui qui
cherchait à téléphoner à l'étranger était immédiatement
considéré comme suspect. Ce coup de téléphone mit tout
l'hôpital en émoi. Lorsque je pris le combiné, c'était Niefa ; elle
me donnait rendez-vous à l'aéroport. Elle devait faire escale à
Conakry et désirait me rencontrer. Tout le monde voulait savoir
ce que l'on pouvait bien me dire de Genève. Le jour venu, j'allai
à l'aéroport pour prévenir Niefa de ne plus m'appeler de
64
l'extérieur car cela risquait de m'attirer des ennuis. Elle voulait
me voir pour me remercier de tous les services que je lui avais
rendus. Elle avait rencontré son médecin qui lui avait expliqué
que j'avais fait ce qu'il fallait malgré le peu de moyens dont je
disposais. Elle me dit: «Pourquoi ne viendriez-vous pas
travailler en Europe pour vous perfectionner, vous n,e méritez
pas de telles conditions de travail. Je peux vous aider. Si vous le
voulez, je peux en parler à votre Président! » . Je la suppliai de
ne surtout pas le faire. Je pensais que c'était là une bonne
occasion, puisque j'avais justement l'intention de quitter mon
pays, mais je voulais me donner le temps d'y réfléchir. Je lui
expliquai les problèmes que j'avais rencontrés. Elle me comprit
parfaitement et me demanda de faire établir un passeport pour
sortir du pays. Elle proposa de m'envoyer un billet d'avion que
je n'aurais pas pu acheter avec mon maigre salaire. Elle me dit:
«Je vous ferai réserver une chambre d'hôtel dans le pays
européen de votre choix. Surtout prenez votre temps pour y
penser, je dois revenir à Conakry pour un autre problème.
Réfléchissez jusqu'à mon retour, prenez une décision et si vous
êtes d'accord, je règlerai tous vos papiers. Alors, vous pourrez
partir ». Je la remerciai et elle partit.
Je suis allé voir VEYHER et lui ai expliqué la situation.
Il m'a promis qu'il essaierait de faire ce passeport et m'a
demandé de constituer un dossier médical comme si j'étais
malade. A ce dossier, il fallait joindre une demande de soins à
l'extérieur du pays. J'ai constitué un dossier médical que je lui
ai remis. Il a établi le passeport et l'autorisation de sortir du
pays. J'ai ensuite obtenu un visa pour la Belgique.

Comme prévu, Niéfa est revenue pour négocier un


marché avec des Américains venus acheter de l'or en Guinée.
Elle accompagnait l'un d'eux. A cette époque, l'exportation de
l'or était interdite et surveillée par l'Etat. Elle me fit comprendre
que si je connaissais quelqu'un pour l'accompagner dans la
région aurifère, elle serait contente. Elle pouvait bien aller voir
un certain ministre de Sékou TOURE (selon elle, ce dernier
contrôlait un réseau qui lui rapportait d'énormes bénéfices) qui
aurait pu lui vendre de l'or, mais elle préférait aller dans les
viBes éloignées où les pauvres exploitaient l'or et le vendaient

65
eux-mêmes. Elle préférait donner son argent aux pauvres plutôt
qu'aux nantis. Comme je travaillais avec une infirmière qui
connaissait la région où se trouvait l'or, je la contactai. J'aurais
risqué la prison à vie si cette histoire avait été connue. Niéfa est
partie avec l'infirmière et un paquet de dollars. Je n'en avais
jamais vu autant. Elles achetèrent de l'or et Niefa revint avec
dix kilos du précieux métal! L'exportation de l'or étant
interdite, Niefa dut trouver un arrangement que j'ignorais avec
l'Américain. Il n'était pas difficile de corrompre les
fonctionnaires de l'époque. EHe me dit: «Tu vas voir, je vais
partir avec ces dix kilos et personne ne le saura jamais! ». Je lui
dis de faire très attention car je ne voulais pas être mêlé à cette
affaire. Sur sa demande, je suis venu à l'aéroport le lendemain.
Elle est arrivée dans une voiture officielle de la Présidence,
accompagnée d'un garde du corps. Ils sont montés ensemble
dans l'avion et, sur la passerelle, l'Américain faisant demi-tour
m'a fait le signe de la victoire. Il est ensuite entré dans l'avion et
ils sont partis.

Le diplomate qui m'avait présenté Niéfa est venu chez


moi le soir: il m'a remis une enveloppe dans laquelle cel1e-ci
m'écrivait que, comme prévu, elle m'enverrait le bil1et d'avion
pour me rendre à Bruxelles. L'enveloppe contenait quatre mil1e
dollars avec ces mots: « Je sais que vous n'allez pas accepter,
mais considérez cet argent comme une dette, le jour viendra où
vous me le rembourserez. Cet argent vous sera utile et vous
pourrez toujours compter sur moi ».
Mon passeport était déjà établi. Lorsque je reçus le
billet d'avion sur un vol SABENA, je dis à mes parents et à mon
entourage que j'al1ais en Europe pour me perfectionner, mais
qu'il ne fallait pas le répéter. Il était préférable qu'officiellement
personne ne soit au courant. Quant à Madaa, j'ai profité d'une
petite dispute de dernière minute pour lui dire, de façon directe,
que je savais qu'elle entretenait des relations intimes avec le
Président. J'avais supporté cela parce que je ne voulais pas faire
d'histoires et m'attirer des ennuis, mais je n'étais pas dupe. Je lui
ai dit tout cela peu avant le départ, ce qui était peut-être une
erreur car, si eHe avait réagi, elle aurait pu me faire arrêter. Elle
a fondu en larmes et s'est couchée sur le sol pour implorer mon
66
pardon. Pour calmer la situation, je lui ai dit que je la
comprenais. Je ne voulais pas non plus qu'elle pense, le jour où
elle apprendrait mon départ, que je l'avais abandonnée sans
raIson.

Lorsque l'avion décolla de Conakry et pendant tout le


survol du pays, je n'étais pas rassuré. Ce n'est que lorsque nous
avons quitté le territoire guinéen que j'ai enfin respiré et pensé
que j'avais eu de la chance de pouvoir m'expatrier. Avant mon
départ, ma mère s'était rendue chez les féticheurs et, comme
toute mère en Afrique, avait fait des sacrifices et tué des coqs
blancs car on lui avait dit: « Votre fils part dans le pays des
Blancs, il faut sacrifier des poulets blancs et il aura beaucoup de
chance. Il partira d'ailleurs à un moment où il y aura beaucoup
de pluie ». Je n'avais jamais cru en ce genre de prédictions, mais
nous avons effectivement décollé sous une forte pluie alors que
l'hivernage était presque terminé. J'ai pensé à Simbo, ce
chasseur qui m'avait dit pendant la campagne agricole: «Un
jour, tu quitteras ce pays, tu iras très loin et tu y resteras
longtemps ». Le jour du voyage, j'étais tellement désorienté que
je portais une simple chemisette. Or c'était l'hiver en Europe et,
dans l'avion, tous les passagers me regardaient avec
étonnement. Je ne comprenais pas pourquoi ne connaissant pas
l'Europe. Ils devaient penser que j'allais peut-être me changer
en arrivant. Après l'atterrissage, je me suis dirigé vers la sortie
de l'avion avec mes manches courtes et c'est au moment où j'ai
sorti la tête que j'ai senti le froid. J'avais l'impression d'entrer
dans un réfrigérateur! J'ai regardé le ciel et j'ai compris que
j'étais dehors. Je venais de découvrir ce qu'était le froid. J'ai fait
demi-tour pour demander à une hôtesse si elle pouvait m'aider.
L'air amusé, elle a pris des couvertures pour me les mettre sur
le dos. Par chance, lorsque je suis descendu, j'ai reconnu un
camarade de promotion parmi des responsables qui avaient
voyagé avec moi. Celui-ci me demanda ce que je faisais dans
cette tenue. Il me prêta son pardessus et me fit attendre dans sa
voiture. Comme j'avais l'adresse de l'hôtel Métropole où Niefa
m'avait réservé une chambre, mon ami m'y déposa. Le
réceptionniste me demanda si j'étais le docteur SIDIBE, prit

67
mes bagages et me montra ma chambre. Voilà comment j'ai
quitté la Guinée.

68
CHAPITRE V

Les attentats contre Sékou TOURE

Avant la fin brutale de Sékou TOURE, il y eut bien des


révoltes contre le régime, notamment en 1977, à l'occasion d'un
congrès de l'organisation des femmes de Guinée auquel ma
mère assista en tant que responsable politique. Il y avait eu des
débordements et voici ce qu'elle m'expliqua: « Lors du congrès,
Sékou TOURE avait tenu des propos sur le commerce privé,
disant qu'il fallait continuer à lutter contre les trafiquants. Selon
ma mère, ceci allait rendre la vie encore plus difficile, d'autant
que les femmes en avaient assez des agissements de la police
économique de Conakry. Sékou TOURE ne fut pas approuvé et
cette contestation s'amplifia. Il fut dit ouvertement que le
Président était quelqu'un qui ne comprenait pas les réalités de la
vie quotidienne. Les femmes se révoltèrent et se levèrent dans
la salle pour se jeter sur lui dans la tribune officielle. Pris de
frayeur, Sékou TOURE s'enfuit. Il entra dans les coulisses et
rejoignit vite ses gardes du corps. Selon certains informateurs, il
n'eut pas le temps de prendre sa voiture officielJe. Un chauffeur
de taxi qui passait par là fut réquisitionné par les gardes du
corps pour permettre à Sékou TOURE de quitter les lieux. La
révolte des femmes ne s'arrêta pas pour autant, elles sortirent du
grand Palais et se regroupèrent pour marcher vers la Présidence.
Un détachement de l'armée, dirigé par Siaka TOURE, Ministre
et neveu du Président, vint à la rencontre des manifestantes.
L'affrontement eut lieu au niveau du grand marché de la
capitale. On demanda aux femmes de ne plus progresser vers la
Présidence de la République, sinon on tirerait sur elles. Comme
elles ne voulaient pas obtempérer, Siaka TOURE donna l'ordre
de faire feu. Il y eut un mort et de nombreuses femmes furent
arrêtées. Quelque temps après la répression de cette révolte,
Sékou TOURE organisa d'autres congrès, au cours desquels ses
partisans obligèrent les femmes à présenter leurs excuses ».
Lors d'un autre congrès à Conakry, une grenade explosa
dans la salle du Palais du peuple faisant des blessés. Sékou
TOURE ne fut pas touché, mais il chercha longtemps à
connaître l'auteur de cet attentat qui ne fut jamais retrouvé. Il
garda ce regret toute sa vie.

Une autre fois encore, un attentat s'était produit à


l'occasion d'une réception présidentielle en l'honneur de la
visite du Président Kenneth KAOUNDA à Conakry. Le cortège
venant de l'aéroport devait traverser toute la ville entre une
véritable haie humaine bordant la route de part et d'autre. De
cette foule, s'est détaché un jeune homme qui s'est précipité sur
la voiture présidentielle. Il est monté dans le véhicule pour
assassiner Sékou TOURE. Il fallut l'intervention de
KAOUNDA pour maîtriser l'agresseur avant que les gardes du
corps n'interviennent. Les envoyés du Parti se rendirent ensuite
dans la famille du malfaiteur, cassèrent la maison, et plus
jamais on n'entendit parler de lui.

70
TABLE DES MATIERES

A VaJ1.t -propos. . . .. . . . . ... .. . . . . ... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .7

Chapitre 1
Premier contact avec Sékou TOURE... ... ... ... ... ... 9

Chapitre 2
Agression du 22 Novembre 1970... ... ... ... ... ... .. . ....25

Chapitre 3
« Complot peuIh » - Campagne agricole 1975... . . . ... .31

Chapitre 4
Départ pour l'exil. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . ... . . . .47

Chapitre 5
Les attentats contre Sékou TOURE... . .. .. . . . . . . . .. .. . . . 69
Achevé d'imprimer par Corlet Numérique - 14110 Condé-sur-Noireau
N° d'Imprimeur: 14441- Dépôt légal: octobre 2003 - Imprimé en France

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