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Juste ça.
Et puis la parole est arrivée d’un seul coup, sans que je l’aie
vue venir.
C’est moi qui suis humiliée parce que c’est moi qui subis.
J’en porte le poids et j’ignore encore combien il sera lourd
avec le temps.
Je la revois.
J’ai une seule mais très bonne amie avec laquelle je fais les
quatre cents coups. Nous aimons beaucoup nous donner des
défis. L’un de nos jeux favoris est de couper des citrons verts
en deux, de les saupoudrer de pili-pili, puis, à califourchon,
planquées dans un arbre, c’est à celle qui réussira à boire la
totalité du jus. On devient toutes rouges, on tousse. Parfois on
a très mal au ventre, mais c’est notre secret.
Mes parents deviennent amis avec un couple qui a deux fils
et une fille. Nous partons régulièrement pour des virées en
traversant la rive du Chari qui nous mène au Cameroun où il y
a une immense réserve d’animaux sauvages. Le récit de ces
découvertes mériterait à lui seul l’écriture d’une nouvelle, tant
nous y vivons de péripéties et tant l’émerveillement de voir la
faune sauvage libre est intense.
Deux jours plus tard, je tombe à ski. J’ai une double entorse
du genou. Je Nous.
Mon oncle est assis sur une chaise près de mon lit. Lui,
encore lui, lui toujours.
Les yeux clos, je pense que les étrangers voient, alors que
ma propre famille reste aveugle.
– Tu n’iras pas.
Malgré tous ces mois passés loin l’une de l’autre, je lui dis
qu’il ne va pas m’être possible de garder cette révélation pour
moi. Dès qu’elle aura franchi la porte, j’appellerai ses parents
qui doivent être informés. Elle me répond qu’elle est majeure.
Je précise que là n’est pas la question. C’est juste une
responsabilité de moi avec moi, de moi pour elle. Elle ne cille
pas, comme si elle était venue chercher cette décision.
Quelques instants plus tard, elle part. J’appelle sa mère, ma
tante aînée.
Nous sommes tous les trois d’accord sur le fait que son
environnement amical est délétère. Issus de la bourgeoisie ou
haute bourgeoisie versaillaise, ce sont des jeunes pour qui
l’argent coule à flots, et ils sont tout autant consommateurs
que fournisseurs. Une fois cette évidence de créer une rupture,
les sujets de conversation dévient habilement sur les uns et les
autres, comme sait si bien le faire ma tante pour rendre
l’atmosphère légère.
L’horreur. Absolue.
juin 1986 »
À la fin du mois d’octobre, un dimanche, il fait un temps
magnifique.
C’est de l’humour.
Ma fille a sept ans. Dans ses jeux, entre chien, chat, poupée
et cabane au milieu des bois, je la regarde grandir libre et me
revois au même âge sous l’emprise de mon oncle.
Je n’arrive pas à concevoir le désir sexuel d’un adulte pour
un corps d’enfant. Quel que soit le contexte socio-historique,
je ne le comprends pas.
Quand j’en perds un, j’en trouve un autre que je ne sais pas
mieux garder, même si finalement il y en a peu. Je suis une
fidèle.
Et puis,
pourquoi ce Noël précisément…
Pour moi, pour eux, pour les familles mais aussi les
criminels, je décide de raconter cette histoire.
Ma vie défile.
– Non.
– Ta tante…
– L’autre, l’aînée.
Je suis stupéfaite.
Je coupe la ligne.
Je coupe le lien.
Je ne veux pas écouter ses plaintes.
C’est un séisme.