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Collot - Le Theme Selon La Critique Thematique
Collot - Le Theme Selon La Critique Thematique
Collot Michel. Le thème selon la critique thématique. In: Communications, 47, 1988. Variations sur le thème. Pour une
thématique. pp. 79-91;
doi : 10.3406/comm.1988.1707
http://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1988_num_47_1_1707
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ces : il s'agit moins d'un objet extérieur à l'œuvre que d'une catégorie
sémantique qui lui est propre. Par exemple, le thème de l'« aéré »
étudié chez Proust par Jean-Pierre Richard ne se confond ni avec l'air
que nous respirons ni avec ce que nous en lisons par ailleurs : il est fait
des connotations spécifiques dont se charge dans la Recherche cette
qualité élémentaire.
Ce signifié est donc idiomatique, individuel, ce qui le distingue
d'une conception répandue du thème comme topos, lieu commun légué
par la tradition littéraire. Jean-Pierre Richard définit le thème comme
la « forme individuelle du connoté ».
Ce recours à la notion de connotation nous introduit à une autre
qualité distinctive du thème selon la thématique : son caractère
implicite. L'étymologie fait du « thème » le sujet qui est posé par un discours,
et que l'auteur se propose d'aborder de manière explicite. Le thème
selon la thématique est non thétique : il n'est pas posé, mais supposé ;
il reste implicite et appelle donc de la part du critique un travail
d'explicitation. Dans la Recherche, Proust aborde explicitement le
« thème » du Temps ; ce qu'il dit de l'aéré ne relève d'aucune intention
de sens déclarée : il est connoté, non dénoté.
Enfin, les thèmes traditionnels sont le plus souvent d'ordre abstrait,
alors que la thématique s'attache à étudier les modalités concrètes
d'un rapport au monde ; non pas le sentiment de la nature en général,
mais telle qualité ou qualification particulière de la matière : l'aéré, le
lumineux, le visqueux...
Ces diverses caractéristiques, que j'aurai l'occasion de préciser et de
nuancer, se déduisent du contenu spécifique que la thématique
attribue au thème : il exprime selon elle la relation affective d'un sujet au
monde sensible. Cette conception situe la thématique à l'opposé de
l'hypothèse formaliste d'une clôture du texte littéraire ; je voudrais
montrer qu'elle n'implique ni le réalisme naïf, ni le subjectivisme
idéaliste, ni l'impressionnisme critique qu'on lui reproche souvent. La
thématique ne s'intéresse à l'investissement d'une objectivité, d'une
subjectivité et d'une affectivité dans le texte que dans la mesure où
celles-ci sont indissociablement liées les unes aux autres, et où elles
participent à l'élaboration d'un certain sens qui est l'objet propre de sa
recherche. Cet intérêt ne peut se comprendre que par référence à
quelques présupposés théoriques inspirés de la phénoménologie.
Le premier de ces postulats phénoménologiques, c'est que « les sens
ont un sens », selon une formule d'Emmanuel Levinas 3. Le monde ne
se présente jamais comme une « réalité » brute, mais comme investi de
qualités sensibles qui sont toujours déjà porteuses de significations.
« La qualité » est, selon Sartre, « révélatrice de l'être » :
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«PAYSAGE»
HORIZON
EXTERNE
HORIZON'
INTERNE
«THÈME»
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École normale supérieure, rue d'Ulm
NOTES
1. Cf. « Concept et thème», Poétique, 64, 1985, p. 415-424, où Cl. Bremond oppose le
concept au thème, qui suppose « une série de variations concrètes » et « un réseau d'idées
associées » liées aux « aspects les plus originaux » de la pensée d'un auteur.
2. « Le thème est alors conçu comme un énoncé dont le réfèrent est ce " à propos de quoi "
la phrase est dite », écrit S. Rimmon-Kenan, commentant les travaux de Kuno et de Rein-
hart ; cf. « Qu'est-ce qu'un thème ? », Poétique, 64, p. 400.
3. Qui la reprend lui-même à Erwin Straus, auteur d'un livre intitulé Vom Sinn der Sinne
(Du sens des sens), Berlin, Julius Springer, 1933.
4. Cf. J.-P. Sartre, l'Être et le Néant, Paris, Gallimard, 1943, 4e part., chap. II, « De la
qualité comme révélatrice de l'Être », p. 691.
5. Cf. A. J. Greimas, « Conditions d'une sémiotique du monde naturel », Du sens, Paris,
Éd. du Seuil, 1970, p. 49-91.
6. J.-P. Richard, « Métamorphoses d'un matin », Pages Paysages. Microlectures II, Paris,
Éd. du Seuil, 1984, p. 182.
7. J.-P. Richard, l'Univers imaginaire de Mallarmé, Paris, Éd. du Seuil, 1961, p. 20.
8. Ibid.
9. Sartre, op. cit., p. 696.
10. J.-P. Richard, Microlectures, Paris, Éd. du Seuil, 1979, p. 8.
11. Cf. notamment J. Starobinski, la Relation critique, Paris, Gallimard, 1970, et les deux
volumes, déjà cités, des Microlectures de J.-P. Richard ; je renvoie à ce propos à ma mise au
point sur « Thématique et Psychanalyse », in Territoires de l'imaginaire, Mélanges offerts à
J.-P. Richard, Paris, Éd. du Seuil, 1986.
12. J.-P. Richard, l'Univers imaginaire de Mallarmé, op. cit., p. 15.
13. J.-P. Richard, « La critique thématique en France », intervention au colloque
international de Venise, septembre 1975.
14. L. Dolezel, « Le triangle du double », Poétique, 64, p. 464.
15. J.-P. Richard, l'Univers imaginaire de Mallarmé, op. cit., p. 25.
16. Husserl appelle « horizon interne » l'ensemble des aspects qu'une chose peut offrir au
regard d'un observateur selon les divers points de vue qu'il adopte sur elle ; elle ne lui
présente jamais qu'un seul de ces aspects à la fois, mais tous les autres, bien que cachés, sont
impliqués comme « horizon » de cette perception partielle. Le même philosophe nomme
« horizon externe » l'ensemble des relations que la chose entretient avec son
environnement ; ces rapports ne sont pas perçus analytiquement, mais ils déterminent le sens de toute
perception de chose isolée. J'ai essayé de montrer que cette notion huss>erlienne de «
structure d'horizon » permettait aussi de décrire l'organisation des significations linguistiques et
littéraires ; cf. mon essai sur la Poésie moderne et la Structure d horizon, à paraître aux PUF,
coll. « Écriture ».
17. J.-P. Richard, « La critique thématique en France », art. cité.
18. S. Rimmon-Kenan, art. cité, p. 402.
19. J.-P. Richard, Études sur le romantisme, Paris, Éd. du Seuil, 1970, p. 192.
20. J.-P. Richard, Microlectures, op. cit., p. 254.
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21. J.-P. Richard, Proust et le Monde sensible, Paris, Éd. du Seuil, 1974, p. 7.
22. Cl. Bremond, art. cité, p. 422.
23. Ph. Hamon, « Thème et effet de réel », Poétique, 64, p. 496.
24. Cf. ma tentative pour définir les connotations culturelles du thème de l'horizon, et
leurs transformations d'une époque et d'une œuvre à l'autre, dans V Horizon fabuleux, Paris,
José Corti, 1988, 2 vol.
25. Cf. • Gérard de Nerval », Contre Sainte-Beuve, Paris, Gallimard, coll. « Idées »,
1965.
26. Cf. « Les yeux bien ouverts », Préférences, Paris, José Corti, 1969.