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Titre original :
Daring Dreatly : how the courage to be vulnerable transforms
the way we live, love, parent, and lead
publié en 2012 par Gotham Books (USA)
© Brené Brown 2012
© Guy Trédaniel Éditeur, 2014,
pour la traduction en langue française.
ISBN 978-2-8132-1216-0
http://www.editions-tredaniel.com/
info@guytredaniel.fr
À Steve,
Tu fais du monde un endroit meilleur,
Et de moi une personne plus courageuse.
QUE VEUT DIRE
BEAUCOUP OSER?
L’expression beaucoup oser vient d’un discours de Theodore Roosevelt
intitulé « Citoyens de la République ». Ce discours, quelquefois
dénommé « L’homme dans l’arène », a été prononcé à la Sorbonne, le
23 avril 1910. Voici le passage qui l’a rendu célèbre :
La première fois que j’ai lu cette citation, j’ai pensé : c’est ça, c’est la
vulnérabilité. Tout ce que j’ai appris en une décennie de recherches sur la
vulnérabilité m’a enseigné précisément cela. La vulnérabilité, ce n’est
pas connaître la victoire ou la défaite, c’est comprendre leur nécessité à
toutes deux. C’est s’engager, se donner à fond.
Étudier les relations était une idée simple mais, avant de m’en
apercevoir, j’ai été détournée de mon but par les participants à ma
recherche. En effet, quand on leur demandait de parler de leurs relations
les plus importantes, ils ne cessaient de raconter des histoires de
déception, de trahison et de honte, c’est-à-dire de leur peur d’être
indignes d’une vraie relation. Nous, les humains, avons tendance à
définir les choses par ce qu’elles ne sont pas. C’est particulièrement vrai
des expériences affectives.
J’espérais de toutes mes forces que la réponse serait : Ils font des
recherches sur la honte. Pour être un Entier, vous devez tout savoir sur la
honte. Mais j’avais tort. Comprendre la honte n’est que l’une des
variables qui contribue à l’Entièreté, une manière d’affronter le monde
avec le sentiment de sa propre valeur. Dans The Gifts of Imperfection, j’ai
défini dix « consignes » pour une vie Entière, qui soulignent ce que les
Entiers s’efforcent de cultiver ou d’abandonner :
En analysant les données, j’ai compris que j’avais environ deux sur dix
en ce qui concernait l’Entièreté de ma propre vie. Ce fut une révélation
dévastatrice. Elle a pris place quelques semaines avant mon 41e
anniversaire, et m’a déclenché une crise de la quarantaine. Il s’avérait
qu’acquérir une connaissance intellectuelle de ces questions n’était pas la
même chose que vivre et aimer de tout mon cœur.
Mais il n’y avait nulle part où fuir. Six mois après mon intervention,
j’ai reçu un e-mail de félicitations des curateurs de TEDxHouston, car
elle allait être retransmise sur le principal site web de TED. Je savais que
c’était une bonne chose et même un honneur convoité, mais j’étais
terrifiée. Je commençais juste à m’habituer à ce que cinq cents personnes
seulement me croient folle. En outre, dans cette culture farcie de critique
et de cynisme, j’avais toujours préféré ne pas faire de vagues sur le plan
professionnel. En regardant en arrière, je ne suis pas sûre que j’aurais
répondu à cet e-mail, si j’avais su que le succès de cette vidéo me
donnerait à moi aussi l’impression inconfortable (et ironique) d’être nue
et vulnérable.
Aujourd’hui, cet exposé est l’un des plus regardés sur TED.com, avec
plus de cinq millions de connexions et des traductions en trente-huit
langues. Je ne l’ai jamais regardé. Je suis contente de l’avoir fait, mais il
me donne toujours une sensation d’embarras.
Ils ont également signalé le déclin de mots liés aux relations sociales et
aux émotions positives, et une augmentation de mots liés à la colère et
aux comportements asociaux, comme haine et tuer. Deux de ces
chercheurs, Jean Twenge et Keith Campbell, auteurs du livre The
Narcissism Epidemic, soutiennent que l’incidence du trouble de
personnalité narcissique a plus que doublé aux États-Unis, durant les dix
dernières années.
Pour utiliser un autre adage de ma grand-mère, on a l’impression que
le monde tombe en quenouille.
Si vous êtes comme moi, vous grimacez un peu en pensant : Oui, c’est
exactement le cas. Pas moi, bien sûr. Mais en général… c’est plus ou
moins ça.
Ça fait du bien d’avoir une explication, particulièrement quand elle
rejette la faute sur les autres et donne l’impression d’être mieux qu’eux.
En fait, chaque fois que j’entends proférer le mot narcissisme, il
s’accompagne généralement de mépris, de colère et de jugement. Je serai
honnête, j’en ai ressenti en écrivant ce paragraphe.
OBSERVER LE NARCISSISME
PAR LA LUNETTE DE LA VULNÉRABILITÉ
Porter un diagnostic sur les gens dont les conflits sont acquis plutôt
que génétiques ou biologiques est plus néfaste que bénéfique à leur
guérison. Quand on a une épidémie sur les bras, à moins qu’il ne s’agisse
d’une maladie physiquement contagieuse, il est probable que la cause est
davantage à trouver dans le milieu qu’au fond des êtres. Résumer le
problème en désignant les personnes plutôt que leurs choix convient à
tout le monde. Tant pis, c’est comme ça que je suis. Je crois fermement
qu’il faut tenir les gens responsables de leurs comportements, alors je ne
parle pas de « critiquer le système ». Je parle de comprendre la racine du
problème afin de s’y attaquer.
Il est utile d’identifier des modèles comportementaux et de
comprendre ce qu’ils indiquent, mais c’est très différent de coller une
étiquette, car je crois, et la recherche le démontre, que cela exacerbe la
honte et empêche les gens de se faire aider.
On doit comprendre ces tendances et ces influences, mais je trouve
beaucoup plus utile, et même transformateur, d’observer les modèles
comportementaux par la lunette de la vulnérabilité. Par exemple, quand
je regarde le narcissisme par cette lunette, je vois la peur d’être
ordinaire, fondée sur la honte. Je vois la peur de ne pas se sentir assez
extraordinaire pour être remarqué, aimé, avoir un sentiment
d’appartenance et d’utilité. Parfois, le simple fait d’humaniser les
problèmes jette un éclairage sur eux, un éclairage qui s’éteint à la minute
même où on applique une étiquette stigmatisante.
Parce que nous sommes tous vulnérables aux injonctions qui impulsent
ces comportements, il est important de se servir d’une nouvelle lunette
qui supprime la position nous-contre-ces-fichusnarcissiques. Je connais
le désir de croire que ce que je fais a de la valeur, et je sais qu’il est facile
de le confondre avec le besoin d’être extraordinaire. Je sais combien il est
tentant de mesurer la petitesse de sa vie à l’aune de la culture de la
célébrité. Et je comprends pourquoi la grandiloquence, la recherche
d’admiration et le fait de se croire tout permis paraissent être le baume
adéquat pour apaiser la souffrance d’être trop ordinaire et insignifiant.
Oui, ces pensées et ces comportements finissent par causer encore plus
de tort et mener à davantage d’isolement, mais quand on est blessé et que
l’amour et l’intimité sont en jeu, on recherche ce qui peut offrir le plus de
protection possible.
É
LA RARETÉ : LA QUESTION
DU « JAMAIS ASSEZ »
L’ORIGINE DE LA RARETÉ
Faire connaître ses peintures, ses écrits, ses photos ou ses idées sans
l’assurance qu’ils soient acceptés et appréciés, c’est aussi de la
vulnérabilité. Absorber la joie de certains instants, tout en sachant qu’ils
sont fugaces, et alors que la sagesse populaire recommande de ne pas
trop se réjouir du bonheur pour ne pas attirer le malheur, c’est aussi une
forme de vulnérabilité intense.
Comme je l’ai souligné ci-dessus, le vrai danger est qu’on commence à
considérer le fait de ressentir comme une faiblesse. À l’exception de la
colère (une émotion secondaire qui sert de masque social à des émotions
plus souterraines et plus compliquées), la société est en train de perdre sa
tolérance aux émotions, et par conséquent à la vulnérabilité.
• C’est enlever mon masque et espérer que mon vrai moi n’est
pas trop décevant.
• C’est ne plus prendre sur moi.
• C’est là où la peur et le courage se rejoignent.
• On est à mi-chemin sur la corde raide, terrifié aussi bien par
l’idée d’avancer que de reculer.
• Les mains moites et le cœur battant.
• Effrayant et excitant; terrifiant et optimiste.
• Ôter le carcan.
• M’avancer sur la branche, une branche très, très haute.
• Faire le premier pas vers ma plus grande frayeur.
• Miser tout ce qu’on a.
• C’est pénible et effrayant, mais cela rend humain et vivant.
• Une boule dans la gorge et un nœud à l’estomac.
• L’instant de terreur sur les montagnes russes, quand on est sur le
point de plonger.
• Liberté et libération.
• À chaque fois, la peur.
• La panique, l’anxiété, la peur, l’hystérie, suivies par la liberté, la
fierté et la stupéfaction, puis encore un peu de panique.
• Se découvrir face à un ennemi.
• Infiniment terrifiant et douloureusement nécessaire.
• Je sais que ça m’arrive quand je ressens le besoin de frapper
avant d’être frappé.
• C’est comme de tomber en chute libre.
• L’intervalle entre un coup de feu et le moment où on sait si on
est touché ou non.
• Renoncer à contrôler.
Quand je suis enfin montée sur scène, j’ai commencé par croiser le
regard des spectateurs. J’ai demandé aux techniciens d’augmenter la
lumière afin de pouvoir distinguer les gens. J’avais besoin d’entrer en
contact avec eux. Les considérer comme des individus, plutôt que comme
un « public », m’a rappelé que ce qui me faisait peur fait peur à tout le
monde. Je crois que c’est pourquoi l’empathie se passe de paroles : il
suffit de regarder dans les yeux de quelqu’un pour s’y voir reflété.
Durant mon intervention, j’ai posé au public deux questions qui en
disent long sur les innombrables paradoxes définissant la vulnérabilité.
Premièrement : « Combien d’entre vous ont du mal à être vulnérables
parce qu’ils pensent que la vulnérabilité est synonyme de faiblesse? »
Des mains se sont levées. Ensuite :
« Quand vous voyez des gens faire preuve de vulnérabilité sur cette
scène, combien d’entre vous pensent que c’est courageux de leur part? »
De nouveau, des mains ont jailli.
Nous adorons être témoins de la vérité et de l’ouverture d’autrui, mais
nous avons peur de rendre la pareille. Nous craignons que notre vérité
personnelle, sans tambours ni trompettes, sans révisions ni corrections,
ne soit pas suffisante. J’avais peur de monter sur scène et d’exposer mon
moi familier au public. Ces gens étaient trop importants, trop brillants et
trop célèbres, tandis que mon moi familier est trop compliqué, trop
imparfait et trop imprévisible.
En montant sur scène, je me suis concentrée sur Steve, qui était dans le
public, sur mes sœurs, restées au Texas, et sur quelques amis qui
suivaient l’émission en direct depuis TED Active, un site délocalisé. Un
enseignement inattendu, fourni par ces trois jours à TED, m’a donné
aussi du courage. La grande majorité des gens que Steve et moi avions
rencontrés avant mon intervention parlaient ouvertement d’échec. Il était
fréquent d’entendre quelqu’un évoquer deux ou trois tentatives
d’entreprise ou d’invention manquées en parlant de son travail ou de sa
passion. Cela m’a impressionnée et inspirée.
MYTHE No 2 :
LA VULNÉRABILITÉ ET MOI, ÇA FAIT DEUX »
Durant l’enfance, on
pense qu’en grandissant,
on deviendra
invulnérable. Mais
grandir c’est accepter la
vulnérabilité. Être vivant,
c’est être vulnérable.
Madeleine L’Engle
MYTHE No 3 :
LA VULNÉRABILITÉ, C’EST TOUT DIRE
La bonne nouvelle, c’est que la réponse à ces questions est fournie par
les données. La mauvaise, c’est que c’est un problème du genre « l’œuf
ou la poule ». On a besoin de faire confiance pour être vulnérable, et on a
besoin d’être vulnérable pour faire confiance.
Elle m’a décrit quatre amies sur lesquelles elle pouvait toujours
compter, qui connaissaient certains de ses secrets et ne les racontaient
jamais, et qui lui racontaient aussi leurs secrets.
– Elles veulent s’asseoir avec moi, même quand des filles plus
populaires leur demandent de s’asseoir avec elles.
Quand les gens que nous aimons se désintéressent de nous, quand ils
cessent de nous prêter attention, d’investir dans la relation et de lutter
pour elle, la confiance commence à disparaître et la souffrance à
s’infiltrer. Le détachement déclenche la honte et les plus grandes peurs,
celles d’être abandonné et indigne d’attention et d’amour. Si cette
trahison voilée est bien plus dangereuse qu’un mensonge ou une liaison,
c’est parce qu’on ne peut pas mettre le doigt sur son origine. Il ne s’est
rien passé, il n’y a eu aucune cassure. Il y a de quoi devenir fou.
Pour les enfants, les actes pèsent plus lourds que les paroles. Quand on
cesse de s’inviter dans leur vie en leur demandant comment s’est passée
leur journée, en les interrogeant sur leurs chansons favorites, en prenant
des nouvelles de leurs amis, ils ressentent du chagrin et de la peur (et non
du soulagement, malgré la manière dont les adolescents réagissent).
Parce qu’ils sont dans l’incapacité d’exprimer ce qu’ils ressentent, ils le
montrent avec des mauvaises conduites, en pensant : Ça, ça va attirer
leur attention.
MYTHE No 4 :
ON PEUT FAIRE CAVALIER SEUL
Faire cavalier seul est une valeur tenue en haute estime dans notre
culture, même quand il s’agit, ironiquement, de cultiver des relations.
J’en comprends le charme, car cet individualisme acharné fait partie de
mon ADN. En fait, l’une de mes chansons favorites est Here I Go Again
de Whitesnake. Si vous avez un certain âge, je parie que vous avez déjà
roulé toutes vitres ouvertes, en chantant d’un air de défi : « And here I go
again, on my own… Like a drifter, I was born to walk alone… » (Et me
voilà de nouveau seul… Comme un (voilier) solitaire, je suis né pour
cheminer seul). Si Whitesnake n’est pas votre tasse de thé, il existe des
hymnes à la solitude de tous les genres possibles. En réalité, faire
cavalier seul peut être misérable et déprimant, mais on admire la force
que cela révèle, et c’est un objet de vénération dans notre culture.
Pourtant, même si j’aime l’idée de cheminer sur une voie onirique et
solitaire, le parcours de la vulnérabilité n’est pas un voyage qu’on
entreprend seul. Il y faut du soutien, des gens qui acceptent sans juger
qu’on prenne une autre direction, qui tendent la main quand on chute
dans l’arène (et les chutes ne manquent pas au cours d’une vie
courageuse). Durant cette recherche, les participants étaient très clairs sur
leur besoin de soutien, d’encouragement, et parfois d’aide
professionnelle, pour affronter à nouveau leur vulnérabilité et leur vie
affective. La plupart des gens savent aider, mais quand il s’agit de
vulnérabilité, ils ont besoin d’aide eux-mêmes.
Pour revenir au discours de Roosevelt, j’ai aussi compris que les gens
qui m’aiment, ceux dont je dépends réellement, n’ont jamais joué les
critiques en me montrant du doigt quand je faisais un faux pas. Ils
n’étaient pas dans les gradins, ils étaient avec moi dans l’arène.
Combattant pour moi et avec moi.
Rien n’a autant transformé ma vie que de comprendre que c’est une
perte de temps d’estimer sa propre valeur à la réaction des gens. Ceux qui
m’aiment sont là, quels que soient les résultats. Ils restent à portée de
main. Cette prise de conscience a tout changé. Je suis à présent une
femme, une mère et une amie différente. Je veux qu’il soit possible de se
montrer brave et peureux chez nous. Qu’il soit possible d’avoir des
conversations compliquées et de partager les moments de honte, à l’école
ou au travail. Je veux pouvoir dire à Steve et à mes enfants : « Je suis
avec vous, dans l’arène. Si nous échouons, nous le faisons ensemble, en
osant avec courage. » C’est simple, on ne peut pas apprendre tout seul à
être plus courageux et vulnérable. La première et la plus grande des
audaces est parfois de solliciter un soutien.
CHAPITRE 3
COMPRENDRE ET
COMBATTRE LA HONTE
(OU L’ENTRAÎNEMENT DU GUERRIER
NINJA)
La honte tire son pouvoir du fait d’être indicible. C’est
pourquoi elle adore les perfectionnistes. Il est facile de les
faire taire. En prenant suffisamment conscience de la honte
pour la nommer et l’exprimer, on lui coupe littéralement
l’herbe sous le pied. La honte déteste les mots. Une fois
exprimée, elle commence à se faner. De la même manière
que la lumière est mortelle pour les Gremlins, le langage et le
récit éclairent et détruisent la honte.
LA VULNÉRABILITÉ ET LA HONTE DANS LE MÊME LIVRE!
VOUS VOULEZ NOUS TUER?
OU DÉFENSE CONTRE LES FORCES DU MAL
L’année dernière, après que j’ai terminé une conférence sur les familles
Entières, un homme s’est approché de moi, m’a tendu la main et m’a dit :
– Je veux vous remercier.
J’ai jeté un coup d’œil à mon sac à main, toujours fourré sous le
podium. Dedans, mes clés étaient (et sont toujours) attachées à mon
porte-clés préféré, un petit Rogue. Nous avons encore ri de sa projection,
puis nous sommes passés aux choses sérieuses.
– Ce que vous avez dit m’a vraiment touché. Surtout le fait d’avoir
tellement peur de l’obscurité. Quelle est cette citation dont vous vous êtes
servie, l’image de la lumière?
– Oh, c’est une de mes préférées : « C’est seulement en rassemblant le
courage d’explorer l’obscurité qu’on découvre l’infini pouvoir de la
lumière. »
Il a hoché la tête.
– Oui! Celle-là! Je suis sûr que c’est pour ça que je ne voulais pas
venir. C’est dingue, toute l’énergie qu’on dépense à essayer d’éviter les
sujets difficiles, alors que ce sont les seuls qui peuvent libérer. J’ai
ressenti beaucoup de honte dans mon enfance, et je ne veux pas infliger
ça mes enfants. Je veux qu’ils sachent qu’ils sont bien tels qu’ils sont. Je
ne veux pas qu’ils aient peur de nous parler de leurs difficultés. Je veux
qu’ils soient résilients par rapport à la honte.
À ce point, nous avions tous deux les larmes aux yeux. J’ai esquissé ce
geste maladroit qui veut dire « Je peux vous embrasser? », et je l’ai serré
dans mes bras. Après cette étreinte, il m’a dit :
– Je ne suis pas doué pour la vulnérabilité, mais je suis très doué pour
la honte. Est-ce nécessaire de dépasser la honte pour accepter la
vulnérabilité?
– Oui. Devenir résilient par rapport à la honte, c’est la clé de la
vulnérabilité. On ne peut pas se découvrir quand on est terrifié par ce que
les autres pensent. « Ne pas être doué pour la vulnérabilité » veut souvent
dire qu’on est fichtrement doué pour la honte.
Tandis que je butais sur les mots en cherchant une meilleure manière
d’expliquer comment la honte nous empêche d’être vulnérables et
solidaires, je me suis souvenue de mon dialogue préféré dans Harry
Potter.
– Vous vous rappelez quand Harry se demande s’il n’est pas mauvais
parce qu’il est toujours en colère et qu’il a des sentiments négatifs?
Il répondit avec enthousiasme :
– Oui! Bien sûr! La conversation avec Sirius Black! C’est la morale de
toute l’histoire.
– Exactement! Sirius lui demande de l’écouter très attentivement et lui
dit : « Tu n’es pas quelqu’un de mauvais. Tu es quelqu’un de très bon à
qui il arrive des mauvaises choses. En outre, le monde n’est pas divisé en
gentils et en Mangemorts. Nous avons tous de la lumière et de l’obscurité
en nous. Le plus important, c’est la partie qu’on choisit d’activer. C’est
cela que nous sommes.
– Je comprends, soupira-t-il.
– Tout le monde se sent honteux. Tout le monde a du bon et du
mauvais, de la lumière et de l’obscurité en soi. Mais si on n’accepte pas
la honte et les conflits, on commence à croire qu’on est méchant,
déficient, insuffisant et, pire encore, on commence à agir à partir de cette
conviction. Si on veut vraiment s’engager, être solidaire, il faut être
vulnérable. Et pour être vulnérable, il faut développer la résilience face à
la honte.
Il faut être vulnérable pour être plus courageux, pour avoir l’audace
d’oser. Mais, comme je l’ai dit à mon nouvel ami-fan de Harry Potter,
comment peut-on se découvrir, si on est terrifié par la honte de ce que
pensent les autres? Laissez-moi vous donner un exemple.
Vous avez conçu un produit, écrit un article ou créé une œuvre d’art
que vous aimeriez présenter à vos amis. Faire partager ce qu’on a créé est
une part vulnérable mais essentielle d’une vie engagée et Entière. C’est
l’apothéose du courage d’oser. Mais, en raison de votre éducation ou de
la façon dont vous abordez le monde, le sentiment de votre valeur est lié
à la perception de votre travail ou de votre œuvre. En termes simples, si
on l’aime, vous êtes digne d’intérêt; et si on ne l’aime pas, vous ne valez
rien.
À ce stade, deux choses peuvent se produire :
1. Ayant compris que le sentiment de votre propre valeur dépend
de ce que vous avez produit ou créé, il est peu probable que
vous l’exposiez. Néanmoins, si vous le faites, vous y retirerez
une touche de créativité et d’innovation pour en rendre le
dévoilement moins risqué. Il y a trop en jeu pour présenter
votre création la plus extravagante.
2. Si vous le faites quand même, et que l’accueil réservé à votre
création ne correspond pas à vos attentes, vous vous sentez
anéanti. Votre œuvre ne vaut rien, et vous ne valez rien. Les
chances de solliciter un feedback et de vous remettre au travail
sont minces. Vous vous refermez. La honte vous murmure que
vous n’auriez pas dû essayer, que vous n’êtes pas assez doué(e)
et que vous auriez dû le savoir.
Repérer les refrains des Gremlins est vital pour dépasser la honte, car
on ne peut pas toujours pointer un instant ou une rebuffade spécifique. La
honte vient parfois de ce qu’on se rejoue de vieux enregistrements,
programmés durant l’enfance. Mon ami et collègue Robert Hilliker a
écrit : « J’ai d’abord éprouvé de la honte face à quelqu’un d’autre, puis,
en grandissant, j’ai appris à en ressentir tout seul. » Quand on descend
dans l’arène, le plus grand critique à affronter est souvent soi-même.
La honte tire son pouvoir du fait d’être indicible. C’est pourquoi elle
adore les perfectionnistes. Il est facile de les faire taire. En prenant
suffisamment conscience de la honte pour la nommer et l’exprimer, on
lui coupe littéralement l’herbe sous le pied. La honte déteste les mots.
Une fois exprimée, elle commence à se faner. De la même manière que la
lumière est mortelle pour les Gremlins, le langage et le récit éclairent et
détruisent la honte.
Alors, je n’essaie pas de vous tuer. Je dis seulement qu’on ne peut pas
accepter la vulnérabilité tant que la honte étouffe tout sentiment de valeur
et de lien. Attachez votre ceinture, nous allons étudier ce qu’on appelle la
honte, afin de pouvoir ensuite nous occuper de la question du vivre
pleinement.
On aime à croire que la honte est réservée à ceux qui ont vécu un
traumatisme indicible, mais ce n’est pas vrai. Tout le monde éprouve de
la honte. Et même si on a l’impression que la honte réside dans les
recoins obscurs, elle tend à rôder dans les endroits les plus familiers.
Douze « catégories de la honte » sont apparues dans mes recherches :
• Apparence et image corporelle
• Argent et travail
• Maternité/paternité
• Famille
• Éducation
• Santé physique et mentale
• Dépendance
• Sexualité
• Vieillissement
• Religion
• Traumatisme
• Stéréotype ou étiquette
Admettons, par exemple, que vous ayez oublié avoir fixé rendez-vous
à un(e) ami(e) à midi, pour déjeuner. À 12 h 15, votre ami(e) vous
appelle du restaurant pour s’assurer que tout va bien. Si vous vous dites :
« Je suis vraiment idiot(e). Je suis un(e) mauvais(e) ami(e), un(e) vrai(e)
raté(e) », c’est de la honte. Si, d’un autre côté, vous vous dites : « Je
n’arrive pas à croire que j’aie fait ça. Quelle chose terrible à faire à
quelqu’un », c’est de la culpabilité.
L’humiliation est un autre mot que l’on confond souvent avec la honte.
Donald Klein souligne la différence entre les deux quand il écrit : « Les
gens croient mériter leur honte, mais ils ne pensent pas mériter leur
humiliation. »
Si John participe à une réunion avec ses collègues, et que son patron le
traite de perdant, à cause de son incapacité à conclure une vente, il
éprouve soit de la honte soit de l’humiliation. S’il se dit Seigneur! Je suis
un loser, un raté, c’est de la honte. Mais s’il se dit Bon sang! Mon patron
dit n’importe quoi. C’est ridicule, je ne mérite pas ça, c’est de
l’humiliation. L’humiliation est terrible et rend l’environnement familial
ou professionnel misérable. Si elle se répète, elle peut tourner à la honte,
car on commence à gober son message. Toutefois, elle vaut mieux que la
honte. Plutôt que d’intérioriser le « perdant », John se dit Ça n’a rien à
voir avec moi. En faisant cela, on diminue la probabilité de se refermer,
de réagir violemment ou de riposter. On reste cohérent avec ses propres
valeurs, tout en essayant de résoudre le problème.
La gêne est la moins grave des quatre émotions. Elle est généralement
fugace, et peut même se révéler drôle. Sa caractéristique principale est
d’être accompagnée d’un sentiment de solidarité. D’autres gens ont fait la
même chose et, comme le rougissement, la gêne passe, plutôt que de
définir celui qui la ressent.
Se familiariser avec le langage est une étape importante pour
comprendre la honte. Cela fait partie du premier élément de ce que
j’appelle la résilience.
Quand on peut partager son histoire avec quelqu’un qui répond par de
l’empathie et de la compréhension, la honte n’y survit pas. La honte est
une notion sociale : elle se produit entre individus et guérit donc mieux
entre individus. Une blessure sociale nécessite un baume social, et
l’empathie est ce baume. La compassion envers soi-même est une notion-
clé, car quand on est capable de se traiter avec gentillesse au milieu de la
honte, on est plus susceptible d’entrer en contact et d’éprouver de
l’empathie.
Pour en venir à l’empathie, il faut d’abord définir à quoi on a affaire.
Voici les quatre composantes de la résilience. Ces étapes ne surviennent
pas toujours dans cet ordre, mais elles finissent toujours par mener à
l’empathie et à la guérison :
1. Reconnaître la honte et comprendre ses déclencheurs. La
honte est biologique et biographique. Quand vous êtes aux
prises avec la honte, pouvez-vous la reconnaître physiquement,
vous orienter et déterminer les injonctions et les attentes qui
l’ont déclenchée?
2. Exercer le sens critique. Pouvez-vous confirmer la réalité des
injonctions et des attentes qui motivent cette honte? Sont-elles
réalistes? Réalisables? Ont-elles à voir avec ce que vous voulez
être ou ce que les autres attendent de vous?
3. Aller à la rencontre d’autrui. Reconnaissez-vous et racontez-
vous votre histoire? On ne peut pas éprouver de l’empathie si
on n’entre pas en contact avec autrui.
4. Exprimer la honte. Parlez-vous de ce que vous ressentez, et
demandez-vous de l’aide quand vous éprouvez de la honte?
Donc, l’année dernière, j’ai reçu un e-mail d’un homme très en colère
parce que je ne pouvais pas intervenir dans l’événement qu’il organisait.
J’avais refusé son invitation parce qu’elle coïncidait avec un anniversaire
familial. Le message était mesquin et bourré d’attaques personnelles, un
grand jour pour mes Gremlins!
Mon accès de honte battait son plein. J’avais la bouche sèche, le temps
ralentissait et mon champ visuel était réduit à un tunnel. Je faisais un
effort pour déglutir quand les Gremlins ont commencé à chuchoter :
– Tu es nulle! Comment as-tu pu être aussi stupide?
Ils savent toujours exactement quoi dire. Dès que j’ai repris mon
souffle, j’ai commencé à murmurer :
– Douleur, douleur, douleur, douleur…
Bien sûr que ça marche! C’est une façon brillante de sortir du mode de
survie du cerveau reptilien et de remettre en route le cortex préfrontal.
Après avoir chantonné « douleur » pendant une ou deux minutes, j’ai
respiré à fond et essayé de me concentrer. J’ai pensé D’accord. C’est un
accès de honte. Je vais bien. Que faire? Je vais y arriver. J’ai identifié
mes symptômes physiques, ce qui m’a permis de rebrancher mon cerveau
pensant et de me souvenir des mouvements des guerriers ninjas, la voie la
plus efficace vers la résilience. Heureusement, j’ai pratiqué ces
mouvements assez longtemps pour savoir que, même s’ils sont contraires
à la logique, il faut faire confiance au processus :
1. Rassemble ton courage et tends la main! Oui, j’ai envie de me
cacher, mais la manière de combattre la honte et d’honorer ce
que je suis est de partager cette expérience avec quelqu’un qui
a gagné le droit de l’entendre, quelqu’un qui m’aime non en
dépit de ma vulnérabilité, mais à cause d’elle.
2. Parle-toi de la même manière que tu parlerais à quelqu’un que
tu aimes vraiment et que tu essaierais de réconforter au beau
milieu d’une crise : Tout va bien. L’erreur est humaine. Nous
en faisons tous. Je te soutiens. En général, durant un accès de
honte, on se parle d’une manière qu’on n’emploierait JAMAIS
avec des gens qu’on aime et qu’on respecte.
3. Avoue cette histoire! Ne l’enterre pas, ne la laisse pas
s’envenimer et te définir. Je dis souvent tout haut : « Si tu
avoues cette histoire, c’est toi qui vas en écrire la fin. » Quand
on enterre une histoire, on y reste soumis pour toujours. Quand
on l’avoue, on peut en composer la fin. Comme le disait Carl
Jung : « Je ne suis pas ce qui m’est arrivé. Je suis ce que je
choisis de devenir. »
Même si je savais tout ça, j’avais peur de passer un appel. Mais je l’ai
fait. J’ai appelé mon mari Steve, puis mon amie Karen. Ils m’ont tous
deux donné ce dont j’avais le plus besoin, de l’empathie. Contrairement
au jugement (qui exacerbe la honte), l’empathie fait passer un message
simple : « Tu n’es pas seul(e). »
L’empathie, c’est le lien, l’échelle qui permet de sortir du trou de la
honte. Non seulement Steve et Karen m’ont aidée à grimper hors du trou,
en m’écoutant, mais ils se sont rendus vulnérables en reconnaissant
qu’eux aussi, avaient passé quelque temps dans le même trou. L’empathie
ne nécessite pas qu’on ait eu exactement la même expérience que la
personne qui raconte son histoire. Ni Karen ni Steve n’avaient envoyé
d’e-mail comme celui-là. Mais les Gremlins, la sensation d’être « pris sur
le fait » et la minute « Oh, merde! » leur étaient intimement familiers.
L’empathie consiste à entrer en contact avec l’émotion de quelqu’un, pas
avec l’événement ou la circonstance particulière. Ma honte s’est dissipée
à la minute même où j’ai compris que je n’étais pas seule et que mon
expérience était humaine.
Il est intéressant de noter que les réactions de Steve et de Karen ont été
totalement différentes. Steve était plus sérieux : « Oh, bon sang. Je
connais cette sensation! » Karen, quant à elle, a adopté une approche qui
m’a fait rire au bout de trente secondes. Ce que leurs réponses avaient en
commun, c’était le pouvoir du « moi aussi ». L’empathie est une chose
étrange et puissante. Il n’y a pas de scénario, il n’y a pas de bonne ou de
mauvaise manière de pratiquer. L’empathie consiste tout simplement à
écouter, à s’ouvrir, à retenir son jugement, à entrer en contact et à
communiquer ce message incroyablement bienfaisant : « Tu n’es
seul(e). »
À la suite de son travail sur les effets des secrets tus, Pennebaker a
concentré une grande partie de ses recherches sur le pouvoir de guérison
de l’expression écrite. Dans son livre Writing to Heal, il écrit : « Depuis
le milieu des années 1980, un nombre croissant d’études soulignent la
valeur de l’expression écrite en tant qu’outil de guérison. Les preuves
s’accumulent du fait que l’acte d’écrire sur des expériences
traumatisantes, ne serait-ce que quinze à vingt minutes par jour pendant
trois ou quatre jours, peut avoir des effets mesurables sur la santé
physique et mentale. L’expression des émotions par écrit peut aussi
améliorer les habitudes de sommeil, l’efficacité au travail et la manière
dont on se relie aux autres. »
La résilience est une pratique et, comme J. Pennebaker, je pense
qu’écrire sur une expérience de honte en est une composante très
efficace. Il faut du temps pour la développer, et du courage pour tendre la
main et parler de choses difficiles. Si, en lisant ceci, vous pensez
J’aimerais pouvoir parler de ça avec mon partenaire, mon ami(e) ou
mon enfant, faites-le! Si vous pensez La honte est devenue un mode de
management ici et ce n’est pas étonnant que tout le monde soit démotivé.
Nous devrions en parler, faites-le! Vous n’avez pas besoin de tout
comprendre ou de devenir un(e) spécialiste avant de vous lancer dans une
conversation. Vous devez seulement dire :
– Je suis en train de lire un livre qui comprend un chapitre sur la honte.
Si je te le prête, y jetteras-tu un coup d’œil?
Le chapitre suivant parle des hommes, des femmes, de la honte et du
sentiment de sa propre valeur. Je pense que vous aurez envie de prêter
aussi ce chapitre. Ce que j’ai appris sur les hommes et la honte a changé
ma vie.
Mais le vrai combat des femmes, qui amplifie leur honte toutes
catégories confondues, c’est qu’on attend d’elles qu’elles soient
irréprochables sur tous les plans, sans faire aucun effort. Il faut que cela
se matérialise tout seul : il faut qu’elles soient naturellement belles,
naturellement maternelles, naturellement douées pour diriger et qu’elles
viennent naturellement de familles formidables. Pensez à l’argent que
font les produits qui promettent un « look naturel ». Et quand, par hasard,
ça marche, les femmes adorent entendre : « Elle a l’air si naturel » et
« Ça lui vient tout seul ».
Donc, non, les normes sociétales ne sont pas mortes, même si elles
sont réductionnistes et morbides, et que c’est la honte qui les impose. Ce
qui doit nous rappeler que la résilience est un prérequis de la
vulnérabilité. Je crois que j’ai osé avec courage durant mon exposé à
TEDxHouston. Parler de mes difficultés était courageux, vu ma tendance
à m’abriter derrière mes recherches. Et si je suis encore debout (ou plutôt
assise, en train d’écrire ce livre), c’est parce que j’ai farouchement
développé mes capacités de résilience, et qu’il ne fait aucun doute pour
moi que le courage est une valeur primordiale.
J’ai clairement constaté que ces commentaires me faisaient honte et
que je pouvais très vite les confronter à la réalité. Oui, ils me font
toujours mal. Oui, j’étais furieuse. Oui, j’ai pleuré toutes les larmes de
mon corps. Oui, j’avais envie de disparaître. Mais je me suis autorisée à
ressentir tout ça quelques heures ou quelques jours, puis je me suis
rapprochée des gens que j’aime, je leur ai exprimé ces sentiments, et je
suis passée à autre chose. Je me suis sentie plus courageuse, plus
compatissante et plus reliée. (J’ai aussi cessé de lire des commentaires
anonymes. Si vous n’êtes pas aussi dans l’arène en train de combattre et
de recevoir des coups, votre réaction ne m’intéresse pas.)
Quand j’ai demandé à des hommes de définir la honte, voici ce que j’ai
entendu :
• La honte, c’est l’échec. Au travail. Sur un terrain de foot. Dans
mon mariage. Au lit. Avec l’argent. Avec les enfants. Peu
importe… La honte, c’est l’échec.
• La honte, c’est d’avoir tort. Pas faire quelque chose de travers,
mais avoir tort.
• La honte, c’est le sentiment d’être défaillant.
• La honte surgit quand les gens pensent que vous êtes mou. C’est
dégradant et honteux d’être vu comme quelqu’un qui est tout
sauf fort.
• Révéler n’importe quelle faiblesse, c’est honteux. En gros, la
honte, c’est la faiblesse.
• Montrer de la peur, c’est honteux. On ne peut pas montrer de la
peur. On ne peut avoir peur, quoi qu’il se passe.
• La honte, c’est d’être vu comme « le type qu’on peut renvoyer
dans les cordes ».
• Notre pire peur est d’être critiqué ou ridiculisé… Ces deux
situations nous font terriblement honte.
Fondamentalement, les hommes vivent sous la pression d’une
injonction constante : Ne soyez pas perçus comme faibles.
Chaque fois que mes étudiantes réalisaient des interviews avec des
hommes, je leur disais de se préparer à trois choses : des histoires de
lycée, des métaphores sportives et le mot gonzesse. Vous n’en croyez pas
vos yeux, je comprends ça. C’est l’un des mots que j’aime le moins. Mais
en tant que chercheuse, je connais l’importance d’être honnête, et ce mot
surgissait tout le temps durant les interviews. Que l’homme ait 18 ou
80 ans, la réponse à la question « Que dit la honte? » était « Ne sois pas
une gonzesse ».
Quand j’ai commencé rédiger mon travail sur les hommes, j’ai utilisé
l’image de la boîte, une sorte de caisse d’expédition, pour expliquer
comment ils sont piégés par la honte. Tout comme on exige des femmes
qu’elles soient belles, minces et parfaites en tout, surtout la maternité, la
boîte impose des règles aux hommes sur ce qu’ils doivent faire, ne pas
faire, et sur ce qu’on leur permet d’être. Mais, pour les hommes, toutes
les règles se résument à ce seul commandement : « Ne sois pas faible. »
Je n’oublierai jamais les déclarations d’un jeune homme de 20 ans qui
faisait partie d’un petit groupe d’étudiants interviewés :
– Je vais vous montrer à quoi ressemble cette boîte.
Je savais qu’il était grand, mais quand il s’est levé, j’ai pu voir qu’il
mesurait plus de 1,95 m.
– Imaginez que vous viviez comme ça.
Il s’est accroupi et a fait semblant d’être enfermé dans une petite boîte.
– Vous n’avez que trois solutions. Vous passez votre vie à lutter pour
sortir, en donnant des coups de poing pour briser la boîte. Vous êtes
toujours en colère, toujours prêt à frapper. Ou bien vous renoncez. Vous
vous fichez de tout.
Il s’est effondré sur le sol. On aurait pu entendre une mouche voler
dans la pièce. Puis il s’est relevé, et a secoué la tête en disant :
– Ou alors, vous vous défoncez tout le temps pour ne pas remarquer à
quel point c’est insupportable. C’est la voie la plus facile.
Les étudiants ont saisi au vol le mot « défoncer » et ont attrapé le fou
rire. Cela arrive tout le temps quand on parle de honte et de vulnérabilité.
N’importe quoi qui puisse servir de bouée et faire retomber la tension.
Plus j’en apprenais sur les hommes et leur expérience de la honte, plus
j’avais devant les yeux l’image d’une grosse caisse tamponnée de
l’inscription « ATTENTION : Ne Pas Percevoir Comme Faible ». Je vois
comment les garçons arrivent dans une boîte en naissant. Au début, ce
sont des bébés, et elle n’est pas trop étroite. Ils sont encore assez petits
pour pouvoir bouger. Ils pleurent et se cramponnent à maman mais, à
mesure qu’ils grandissent, il y a de moins en moins de place pour remuer.
Et quand ils atteignent l’âge adulte, la boîte est devenue étouffante.
Mais, comme les femmes, les hommes sont piégés dans une double
contrainte. Ces dernières années, surtout depuis la crise économique, ce
que je vois, c’est la boîte du Magicien d’Oz. Je parle de la petite boîte
dissimulée par un rideau, dans laquelle se tient le magicien pour diriger
l’image mécanique du « grand et tout-puissant Oz ». Depuis que la rareté
s’est emparée de notre culture, ce n’est plus seulement « Ne sois pas
perçu comme faible », mais « Tu ferais mieux d’être grand et tout-
puissant ». Cette image m’a traversé l’esprit quand j’ai interviewé un
homme affligé d’une honte profonde par suite de son « rabaissement ». Il
m’a raconté ceci :
– C’est drôle, mon père est au courant, mes meilleurs amis aussi, mais
ma femme ne sait rien. Ça fait six mois, maintenant. Tous les matins, je
m’habille et je pars, comme si j’allais travailler. Je sillonne la ville, je
m’assois dans des cafés et je cherche du boulot.
Une honte dissimulée fait tout aussi mal qu’une honte manifeste.
Prenez, par exemple, cet homme qui m’a dit que sa femme lui faisait
toujours honte à propos de l’argent. Elle était rentrée récemment chez eux
en disant :
– Je viens de voir la nouvelle maison de Katie! Elle est fantastique.
Elle est tellement heureuse d’avoir enfin la maison de ses rêves. Et, en
plus, elle va s’arrêter de travailler l’année prochaine.
EN ROGNE OU RENFERMÉ
Je ne veux pas simplifier à l’excès quelque chose d’aussi complexe
que les réactions à la honte, mais je dois dire qu’en ce qui concerne les
hommes, il semble n’y avoir que deux réactions primaires : être en rogne
ou se renfermer. Bien sûr, comme les femmes, en développant leur
résilience, les hommes changent et apprennent à répondre à la honte avec
prise de conscience, empathie et compassion envers eux-mêmes. Mais
sans cette prise de conscience, ils réagissent à cet accès d’insuffisance
avec de la colère et/ou du détachement.
Tout comme le père qui s’en prend à son fils artiste en herbe, ou
l’entraîneur qui en fait baver à son joueur, les femmes peuvent aussi se
montrer très dures entre elles. Elles sont dures avec autrui parce qu’elles
sont dures avec elles-mêmes. C’est exactement ainsi que le jugement
fonctionne. Trouver quelqu’un à rabaisser, à juger ou à critiquer est une
manière de s’échapper de la toile ou de détourner l’attention de la boîte.
Si quelqu’un s’en sort moins bien que moi, mes chances de survie sont
meilleures, pensé-je.
Quand Steve et moi nous sommes rencontrés, nous étions tous deux
maîtres nageurs sauveteurs. La grande règle des maîtres nageurs
sauveteurs, c’est d’épuiser tous les recours possibles avant de sauter à
l’eau pour sauver quelqu’un. Même si on est bon nageur et que la
personne à sauver est petite, on risque d’être noyé par les efforts de cette
dernière pour survivre (respirer). C’est la même chose pour les femmes et
la toile de la honte. Désespérant d’y échapper, elles s’en prennent
constamment à ceux qui sont autour d’elles, car ce sont des proies plus
faciles.
Mes entretiens avec des professeurs et des directeurs d’écoles ont fait
émerger deux tendances directement liées à cette question. La première,
rapportée par des proviseurs, est que les parents des enfants qui font
preuve de brutalité ou de rivalité sociale affichent souvent les mêmes
comportements. En ce qui concerne les filles, la phrase suivante était
récurrente dans les entretiens :
« Les parents ne s’émeuvent pas du comportement de leurs filles, ils
sont fiers qu’elles soient populaires. » Un directeur d’école rapproche ce
comportement de celui des pères dont la première question est : « Eh
bien, a-t-il eu le dessus au moins? »
L’autre tendance qui se dessine depuis quelques années, c’est l’âge des
enfants quand ils commencent à se comporter de la sorte. Quand j’ai
entamé ce travail, les brimades à l’école n’étaient pas un sujet d’actualité
brûlant. En tant que chercheuse de la honte, j’étais cependant consciente
qu’il s’agissait d’une tendance en augmentation. J’ai écrit, il y a plus de
dix ans, un édito sur le harcèlement et la téléréalité pour le Houston
Chronicle. À l’époque, je visais les adolescents, parce que les données
pointaient dans le sens de cette catégorie d’âge. Mais, ces dernières
années, j’entends parler d’enfants en cours préparatoire qui se
comportent ainsi.
Le jeune homme qui avait parlé de son divorce a frappé la table du plat
de la main et a hurlé :
– C’est pas les bourrelets! C’est vous qui vous inquiétez, pas nous.
Nous, on s’en fiche complètement!
Un silence complet est tombé sur la classe. Il a repris son souffle et
ajouté :
– Arrêtez d’inventer tous ces trucs sur ce que nous pensons! Ce que
nous pensons vraiment c’est : « Est-ce que tu m’aimes? Est-ce que tu as
de l’affection pour moi? Est-ce que tu me désires? Suis-je important pour
toi? Suis-je assez bien pour toi? » C’est ça que nous pensons. Quand il
s’agit de faire l’amour, nous avons l’impression que notre vie est en jeu,
et vous, vous pensez à ces conneries?
À ce point, la moitié des garçons étaient si émus qu’ils avaient le
visage dans les mains. Quelques filles étaient en larmes, et je retenais
mon souffle. La jeune femme qui avait soulevé la question de l’image
corporelle a dit :
– Je ne comprends pas. Mon dernier petit ami n’arrêtait pas de
critiquer mon corps.
Dans The Gifts of Imperfection, j’ai défini l’amour en me basant sur les
données de ma recherche. Voici cette définition :
Élaborer cette définition a été l’une des choses les plus diffiles que
j’aie faites. Sur le plan professionnel, il me semblait présomptueux
d’essayer de cerner quelque chose d’aussi vaste et important que l’amour,
une entreprise plutôt réservée aux poètes et aux artistes. Mon intention
n’était cependant pas de l’« épingler », mais d’entamer une discussion
sur ce qu’on demande à l’amour. Tant pis si j’ai tort : parlons de l’amour,
de ce qui donne sens à la vie.
DEVENIR VRAI
Vous souvenez-vous que des chercheurs ont découvert que les attributs
comme la gentillesse, la minceur et la modestie sont des qualités
associées à la féminité dans notre culture? Les mêmes chercheurs ont
identifié les attributs masculins suivants : volonté de gagner, maîtrise des
émotions, prise de risques, violence, domination, recherche du plaisir,
confiance en soi, prédominance du travail, pouvoir sur les femmes,
mépris envers l’homosexualité et recherche de statut social.
Peu importe qu’il s’agisse d’une église, d’un gang, d’un club de
couture ou du genre masculin lui-même, établir comme condition
d’« appartenance » à un groupe que ses membres méprisent ou
désavouent un autre groupe a tout à voir avec le pouvoir et le contrôle. Je
pense qu’il faut toujours questionner les intentions d’un groupe qui
insiste sur le mépris envers un autre groupe. Elles prennent peut-être le
masque de l’appartenance, mais la véritable appartenance n’a pas besoin
de mépris.
Les hommes et les femmes très résilients à la honte auxquels j’ai parlé
sont parfaitement conscients de ces normes. Ils les gardent en mémoire
afin de pouvoir les confronter à la réalité, quand la honte commence à
s’infiltrer en eux ou les envahit tout à fait. Ils s’exercent ainsi à la
deuxième composante de la résilience, le sens critique. En gros, ils
choisissent consciemment de ne pas jouer le jeu.
L’homme honteux dit :
– Je ne suis pas censé éprouver d’émotion en licenciant ces gens.
L’homme qui pratique la résilience répond :
– Je n’avale pas ces histoires. Je travaille avec ces types depuis cinq
ans. Je connais leurs familles et j’ai le droit de m’inquiéter d’eux.
Après avoir passé en revue tout ce que j’ai appris sur la honte, le genre
et le sentiment de valeur, je pense que la morale de l’histoire est celle-ci :
pour s’extraire de la honte et revenir les uns vers les autres, il faut
s’engager sur la voie de la vulnérabilité et s’éclairer avec le courage.
Repousser la liste de ce qu’on est censé être est un acte courageux.
S’aimer soi-même et soutenir l’autre dans sa quête de vérité est sans
doute la plus grande preuve de courage.
Si vous me ressemblez un tant soit peu, vous devez être tenté de vous
servir de ces informations pour créer votre propre émission de télévision
pour enfants. Quand ces mécanismes ont commencé à émerger des
données, mon premier réflexe a été d’étiqueter les comportements et de
catégoriser les gens : « Celle-là porte ce masque-là, aucun doute, et il est
clair que mon voisin se sert de cette armure. » Il est dans la nature
humaine de vouloir simplifier les choses, mais je pense que c’est passer à
côté de l’essentiel. Personne n’utilise une défense unique. Les gens sont
capables de se servir de presque toutes, selon les circonstances. J’espère
qu’un coup d’œil dans l’arsenal pourra vous aider à regarder en vous.
Comment se protège-t-on? Quand et comment commence-t-on à utiliser
des mécanismes de défense? Que faut-il pour pouvoir retirer l’armure?
Je pense qu’il vous sera utile de savoir que toutes les personnes
interviewées étaient aux prises avec leur vulnérabilité. Il ne s’agissait pas
de ces chanceux qui peuvent choisir d’être vulnérables sans hésitation et
sans peur. En parlant avec eux de l’incertitude, du risque et de la mise à
nu émotionnelle, je les ai fréquemment entendus expliquer comment ils
avaient essayé des armures, avant de finir par laisser tomber :
• Mon premier réflexe est de___________, mais ça n’a jamais
marché, alors, maintenant, je___________, et ça a changé ma
vie.
• J’ai passé des années à___________, jusqu’au jour où j’ai
essayé de___________, et cela a renforcé mon mariage.
Non seulement je l’ai cru, mais j’étais tout à fait d’accord avec lui. Je
fais confiance à ces stratégies pour deux raisons. Premièrement, parce
que les participants qui m’en ont parlé ont lutté avec les mêmes
Gremlins, malaises et doutes que tout le monde. Deuxièmement, parce
que j’ai mis ces stratégies en pratique dans ma propre vie, et que je sais
de source sûre qu’elles font plus que modifier les règles du jeu, elles
changent littéralement la vie.
Ce sont les hommes et les femmes qui ont éprouvé les pertes les plus
douloureuses et qui ont surmonté les pires traumatismes qui m’en ont
appris le plus sur les pratiques de gratitude et le rapport entre rareté et
joie à l’œuvre dans la vulnérabilité. Parmi eux, il y avait des parents qui
avaient perdu des enfants, des gens dont les proches avaient des maladies
en phase terminale, des survivants de génocides et de traumatismes.
L’une des questions que l’on me pose le plus souvent est : « Ça ne vous
déprime pas d’entendre les gens raconter leurs plus grands malheurs en
parlant de la vulnérabilité? » La réponse est non, jamais. Parce que j’en
ai appris davantage de ces gens sur le sentiment de valeur, la résilience et
la joie, que de toute autre partie de mon travail.
Et rien ne m’a autant apporté que les leçons de joie et de légèreté
données par des gens qui ont eu leur part de souffrance et de chagrin :
1. La joie arrive à tout moment, à des moments ordinaires.
On risque de manquer la joie quand on est trop occupé à
pourchasser l’extraordinaire. La culture de la rareté
entretient la peur de vivre une vie insignifiante. Mais en parlant
à des gens qui ont vécu des deuils importants, on comprend
que la joie n’est pas une constante. Tous les participants, sans
exception, qui m’ont parlé de leurs deuils et de ce qui leur
manquait le plus, ont évoqué des moments ordinaires. « Si je
pouvais descendre l’escalier et entendre mon mari, assis à
table, maudire le journal… » « Si je pouvais entendre mon fils
glousser bêtement dans le jardin… » « Ma mère m’envoyait les
textos les plus dingues… Elle n’avait jamais compris comment
marchait son téléphone. Je donnerais tout pour recevoir un de
ces textos maintenant. »
2. Soyez reconnaissant de ce que vous avez. Quand j’ai
demandé aux gens qui avaient vécu des tragédies comment on
peut cultiver et témoigner davantage de compassion, la réponse
était toujours la même : ne vous détournez pas de la joie que
vous apporte votre enfant parce que j’ai perdu le mien. Ne
prenez pas pour acquis ce que vous avez : célébrez-le. Ne vous
excusez pas pour ce que vous possédez. Soyez reconnaissant et
exprimez cette reconnaissance à autrui. Vos parents sont en
bonne santé? Réjouissez-vous. Dites-leur combien ils comptent
pour vous. Quand vous rendez hommage à ce que vous avez,
vous rendez hommage à ce que j’ai perdu.
3. Ne dilapidez pas la joie. On ne peut pas se préparer au deuil et
à la tragédie. Quand chaque moment de joie se transforme en
essai de désespoir, la résilience diminue de fait. Oui,
s’abandonner à la joie est inconfortable. Oui, c’est effrayant.
Oui, c’est vulnérable. Mais chaque fois qu’on le fait, on bâtit
la résilience et on cultive l’espoir. On intègre la joie, et quand
des malheurs se produisent (et ils se produisent), on est plus
fort.
PERFECTIONNISME
Sur mon blog, l’une de mes rubriques préférées est la série des
« Inspiration Interviews » (Interviews inspirantes). Elle m’est chère parce
que je n’interroge que des personnes qui s’engagent dans le monde d’une
manière qui me pousse à être plus créative et plus courageuse dans mon
travail. Je pose toujours la même série de questions à mes interviewés, et
après avoir entamé ma recherche sur l’Entièreté, j’y ai inclus des
questions sur la vulnérabilité et le perfectionnisme. En tant que
perfectionniste en voie de guérison, aspirante à la « suffisance », je me
surprends toujours à survoler la liste afin de lire d’abord la réponse à
cette question : Le perfectionnisme vous pose-t-il des problèmes? Et si
oui, quelle est votre stratégie pour les gérer?
Je pose cette question car, dans tout mon recueil de données, je n’ai
jamais entendu personne attribuer sa joie, son succès ou son Entièreté au
fait d’être parfait. Ce que je n’ai cessé d’entendre, au fil des années, c’est
cette affirmation claire : « Les choses les plus importantes et les plus
précieuses de ma vie me sont arrivées quand j’ai trouvé le courage d’être
vulnérable, imparfait(e) et compatissant(e) envers moi-même. » Le
perfectionnisme n’est pas une voie directe vers un but et des dons, c’est
un détour dangereux.
Je vais vous donner à lire quelques-unes de mes réponses préférées à
ces interviews mais, d’abord, je veux vous parler de la définition du
perfectionnisme, telle qu’elle a émergé de mes données. Voici ce que j’ai
appris :
Comme pour la vulnérabilité, une mythologie considérable s’est
accumulée autour du perfectionnisme. Je crois utile de commencer par
examiner ce que le perfectionnisme n’est pas.
• Le perfectionnisme diffère de la recherche de l’excellence. Le
perfectionnisme n’a rien à voir avec la croissance et
l’épanouissement harmonieux. Le perfectionnisme est un
mouvement défensif. Il fait croire qu’en agissant parfaitement
et en ayant l’air parfait, on peut minimiser ou éviter la
souffrance du reproche, du jugement et de la honte. Le
perfectionnisme est un bouclier de vingt tonnes qu’on trimballe
avec soi, convaincu qu’il protège, alors qu’en réalité il
empêche de se faire voir.
• Le perfectionnisme n’a rien à voir avec le fait de devenir
meilleur. L’essence du perfectionnisme est de tenter d’obtenir
l’approbation d’autrui. La plupart des perfectionnistes ont
grandi en étant loués pour leurs comportements et leurs
accomplissements (diplômes, manières, obéissance aux règles,
apparence, performances sportives). Quelque part en chemin,
ils ont adopté ce dangereux et débilitant système de croyances :
« Je suis ce que j’accomplis et la manière dont je l’accomplis.
Faire plaisir. Accomplir. Parfaire. » Les efforts sains sont
centrés sur soi : Comment puis-je m’améliorer? Le
perfectionnisme est centré sur autrui : Que vont-ils penser? Le
perfectionnisme est une arnaque.
• Le perfectionnisme n’est pas la clé du succès. Au contraire, les
recherches montrent que le perfectionnisme freine
l’accomplissement. Le perfectionnisme est corrélé avec la
dépression, l’anxiété, la toxicomanie, la paralysie affective et
les occasions manquées. La peur d’échouer, de se tromper, de
ne pas répondre aux attentes d’autrui et d’être critiqué retient
hors de l’arène, là où se déroule une saine compétition.
• Enfin, le perfectionnisme ne peut éloigner la honte, car c’est
une forme de honte. Là où on est aux prises avec le
perfectionnisme, on est aux prises avec la honte.
Après avoir utilisé ces données pour défricher les mythes, j’ai élaboré
la définition suivante :
• Le perfectionnisme est un système de croyances addictif et
autodestructeur qui alimente principalement cette pensée : Si
j’ai l’air parfait et que je fais tout parfaitement, je peux éviter
ou atténuer les sentiments douloureux de honte, de jugement et
de reproche.
• Le perfectionnisme est autodestructeur, tout simplement parce
que la perfection n’existe pas. C’est un but inaccessible. Le
perfectionnisme a davantage à voir avec la perception qu’avec
la motivation, et il n’existe aucun moyen de contrôler la
perception, quels que soient le temps et l’énergie qu’on y
passe.
• Le perfectionnisme est addictif, parce que quand on
expérimente régulièrement la honte, le jugement et le reproche,
on est persuadé que c’est par manque de perfection. Plutôt que
de questionner la logique défaillante du perfectionnisme, on
s’attache encore plus à la quête d’un comportement parfait et
d’une apparence parfaite.
• Le perfectionnisme prend au piège de la honte, le jugement et le
reproche, et redouble leurs effets : « Ce n’est pas ma faute. Je
ressens ça parce que je suis insuffisant(e). »
BEAUCOUP OSER :
APPRÉCIER LA BEAUTÉ DES FÊLURES
L’ANESTHÉSIE
Ensuite les statistiques indiquent que très peu de gens n’ont jamais
souffert de dépendance. Je crois que nous nous anesthésions tous. Nous
ne le faisons sans doute pas tous de manière compulsive et chronique, ce
qui est une dépendance, mais cela ne veut pas dire que nous
n’anesthésions pas notre vulnérabilité. Et anesthésier sa vulnérabilité est
particulièrement nocif, car cela n’atténue pas seulement les expériences
difficiles, mais aussi l’amour, la joie, l’intimité, la créativité et
l’empathie. On ne peut pas anesthésier ses émotions de manière sélective.
Engourdir la souffrance, c’est aussi engourdir la joie.
Si vous vous demandez si l’anesthésie comprend les substances
illégales et les verres d’alcool après le travail, la réponse est oui.
J’affirme qu’on doit examiner l’idée « d’arrondir les angles » : cela
implique de prendre en compte les verres qu’on boit avant, pendant et
après le dîner, les semaines de travail de soixante heures, les sucreries, les
ligues Fantasy, les médicaments sur ordonnance, et les expressos bus à la
file pour dissiper le brouillard de l’alcool et de l’Advil. Je parle de vous,
de moi, de ce que nous faisons tous les jours.
Quand j’examine mes données, ma première question est celle-ci :
« Qu’est-ce que nous anesthésions et pourquoi? » Les Américains
d’aujourd’hui sont plus criblés de dettes, obèses, surmédicamentés et
dépendants qu’ils ne l’ont jamais été. Pour la première fois dans
l’histoire, les CDCP (Centres pour le contrôle et la prévention des
maladies) ont annoncé que les accidents de voiture étaient maintenant la
deuxième cause de mort accidentelle aux États-Unis. La cause
principale? Les surdoses de médicaments. En fait, davantage de gens
meurent de surmédication, que d’overdoses d’héroïne, de cocaïne et de
méthamphétamines combinées. Plus alarmant encore, on estime que
moins de 5% des gens morts d’overdose de médicaments se les sont
procurés auprès de revendeurs de rue. Les dealers d’aujourd’hui sont
davantage les parents, les amis et les médecins généralistes. Il y a
manifestement un problème. Nous voulons désespérément ressentir plus,
ou moins, quelque chose.
Ayant passé des années à travailler en lien étroit avec des chercheurs et
des spécialistes des dépendances, je supposais que le principal levier de
l’anesthésie était une difficulté avec la honte et le sentiment de sa propre
valeur : que le besoin d’anesthésier la souffrance provenait d’un
sentiment d’insuffisace. Mais ce n’est qu’une partie de la réponse. Outre
la honte, l’anxiété et la rupture se sont aussi avérés des leviers. Comme je
l’expliquerai, le besoin d’anesthésie semble provenir d’une combinaison
de ces trois éléments.
Avec la rupture sociale, c’est une histoire similaire. Tout en ayant deux
cents amis sur Facebook, plus une brochette de collègues, de voisins et
d’amis dans la vraie vie, on peut se sentir seul et invisible. Parce que les
humains ont besoin de lien, la rupture crée de la souffrance. La rupture
peut constituer une part normale de la vie et des relations, mais couplée à
la honte de croire qu’on est exclu parce qu’on ne mérite pas de lien, elle
crée une souffrance qu’on veut anesthésier.
Quand j’ai interrogé les participants Entiers sur l’anesthésie, ils m’ont
systématiquement parlé de trois choses :
1. Apprendre à ressentir effectivement leurs émotions.
2. Rester conscients de leurs comportements d’anesthésie (ils ont
aussi des difficultés).
3. Apprendre à affronter le malaise des émotions pénibles.
Tout cela était très logique, mais je voulais savoir exactement
comment on lutte contre l’anxiété et le détachement. Comme je m’y
attendais, la réponse à cette question recelait davantage que prévu. Ces
gens avaient développé la notion de « suffisance » à un tout autre niveau.
Oui, ils se fiaient à leur conscience et à leur aptitude à lutter, mais ils
s’étaient aussi fixé de sérieuses limites.
Quand j’ai posé des questions plus pointues sur les comportements
qu’ils adoptaient pour réduire l’anxiété, ils m’ont expliqué qu’ils font
attention à ce qu’ils peuvent faire ou ne pas faire, et ont appris à dire « Ça
suffit ». Ils se sont montrés très clairs sur ce qui était important pour eux
et sur ce qu’ils pouvaient laisser passer.
Le lien : C’est l’énergie créée entre les gens quand ils se sentent
reconnus, entendus et appréciés, quand ils peuvent donner et recevoir
sans jugement.
L’appartenance : Il s’agit du désir inné de faire partie de quelque
chose de plus grand que soi. Ce désir est si primaire qu’on essaie souvent
de l’acquérir en se fondant dans la masse et en recherchant l’approbation,
deux attitudes qui, non seulement sont de creux substituts au sentiment
d’appartenance, mais y font aussi obstacle. Parce que la véritable
appartenance n’existe que quand on présente son être authentique au
monde, ce sentiment ne peut pas se passer de l’acceptation de soi-même.
Dans son livre The Life Organizer, J. Louden a écrit : « Les réconforts
fantômes peuvent prendre n’importe quelle forme. Ce n’est pas ce qu’on
fait, mais le pourquoi de ce qu’on fait qui fait la différence. On peut
croquer un morceau de chocolat comme une sainte hostie – un vrai
réconfort – ou on peut se fourrer toute la tablette dans la bouche en une
tentative pour s’apaiser – un réconfort fantôme. On peut chatter sur un
site pendant une heure et demie et se sentir revitalisé et prêt à se remettre
au travail, ou bien on peut chatter pour éviter de parler de la colère qu’on
a ressentie envers son/sa partenaire, la veille au soir. »
VIKING OU VICTIME
Après avoir étudié la honte pendant six ans, j’ai compris qu’une partie
de la réponse à cette question réside dans la résilience. Les gens les plus
résilients cultivent intentionnellement les quatre composantes dont j’ai
parlé aux chapitres précédents. Quant au reste de la réponse, elle me
semblait insaisissable jusqu’à ce que j’entame une nouvelle recherche sur
l’Entièreté et la vulnérabilité, fondée sur des interviews. Tout est alors
devenu logique. Quand on a été forcé, pour survivre, de considérer le
monde à travers le prisme « Viking ou Victime », il semble impossible, et
même mortellement dangereux, de laisser tomber cette vision. Comment
peut-on attendre des gens qu’ils renoncent à une façon d’appréhender le
monde qui les a sauvés physiquement, cognitivement ou affectivement?
Personne ne peut abandonner ses défenses sans un soutien important et le
développement de stratégies de remplacement. Laisser tomber le bouclier
« Viking ou Victime » demande souvent l’aide d’un professionnel, de
quelqu’un qui comprend le traumatisme. Les groupes de soutien sont
également très utiles.
Les participants anciennement traumatisés et vivant des vies Entières
parlaient avec passion du besoin de :
• Reconnaître le problème.
• Solliciter une aide et/ou un soutien professionnel.
• Analyser la honte et le secret qui l’accompagne.
• Faire de la réintégration de la vulnérabilité une pratique
quotidienne plutôt qu’un devoir.
Et si toutes les interviews des Entiers étaient saturées de l’importance
de la spiritualité, cette dimension était particulièrement précieuse aux
participants qui se considéraient non seulement comme des survivants de
traumatismes, mais comme des gens épanouis.
TOUT DIRE
BRAQUER LE PROJECTEUR
Quand j’ai interrogé des gens qui parlaient de leur histoire sur des
blogs, dans des livres et en public, il s’est avéré qu’ils avaient une
approche et des intentions très similaires. Je ne voudrais pas que la peur
du projecteur empêche quiconque de parler de ses difficultés, mais être
conscient du quoi, du pourquoi et du comment de ce qu’on révèle est très
important quand on a affaire à un public nombreux. Nous sommes tous
reconnaissants aux gens qui écrivent et qui parlent d’une manière qui
rappelle que nous ne sommes pas tous seuls.
LE CAMBRIOLAGE
Cette mise à nu de soi-même est en effet à sens unique, et ceux qui s’y
adonnent recherchent bien plus un public qu’une relation intime. En
admettant qu’on pratique le cambriolage, les questions à se poser pour se
confronter à la réalité sont les mêmes que pour le projecteur. Il est
important de se demander : « Quel est le besoin qui engendre ce
comportement? Est-ce que j’essaie de toucher, de blesser ou d’entrer en
contact avec quelqu’un en particulier? Est-ce la bonne manière de
faire? »
ZIGZAGUER
Le film est bébête, mais Peter Falk est brillant dans son rôle d’agent de
choc et Alan Arkin parfait dans son personnage coincé et conventionnel.
Ma scène préférée est donc celle où P. Falk conseille à un A. Arkin
terrifié de zigzaguer pour éviter une pluie de balles, alors qu’ils sont tous
deux à découvert dans un couloir d’aéroport. Il lui hurle : « Zigzague,
Shel! Zigzague! » Le dentiste parvient miraculeusement à se mettre à
l’abri, mais se rappelant soudain qu’il n’a pas zigzagué, il repart au feu
pour exécuter l’ordre de P. Falk. J’adore cette scène, qui ne dure pas plus
de deux minutes, et je l’ai postée sur mon site web. Allez au bas de la
page et vous la trouverez (http://www.brenebrown.com/videos).
Je ne sais pas pourquoi, mais chaque fois que je la vois, je ris aux
éclats. C’est peut-être l’image d’un Peter Falk aux yeux fous, qui court
en criant « Zigzague! », ou bien c’est parce que je l’ai regardé avec mes
parents. Encore aujourd’hui, quand une conversation devient tendue dans
la famille, l’un de nous fait d’un ton détaché « Zigzague! » et nous
éclatons tous de rire.
Zigzaguer est épuisant, et s’agiter dans tous les sens n’est pas une
bonne manière de vivre. En tentant d’identifier des occasions où les
zigzags peuvent se révéler utiles, je me suis souvenue du conseil reçu
d’un vieil homme, dans les marais de Louisiane. Mes parents nous
avaient emmenés, mon frère et moi, pêcher dans les terres marécageuses
appartenant à la société pour laquelle mon père travaillait, à la Nouvelle-
Orléans. L’homme qui nous avait fait entrer sur cette propriété nous avait
dit : « Si un alligator s’en prend à vous, courez en zigzags, y sont rapides,
mais y sont pas doués pour tourner. »
Une année durant, j’ai interrogé des artistes, des écrivains, des
inventeurs, des chefs d’entreprise, des membres du clergé et des maires
sur la façon dont ils restent ouverts aux critiques constructives tout en
repoussant les attaques inspirées par la méchanceté. En gros, je voulais
savoir comment ils gardent le courage de continuer à descendre dans
l’arène. Je confesse que j’étais motivée par mes propres efforts pour
apprendre à oser.
La deuxième stratégie est tout aussi simple. J’ai un bout de papier dans
mon portefeuille, sur lequel sont écrits les noms des gens dont l’opinion
compte pour moi. Pour être sur cette liste, vous devez m’aimer à la fois
pour mes forces et mes faiblesses. Vous devez savoir que j’essaie d’être
Entière mais que je jure trop souvent, que j’envoie les gens balader au
volant, et que j’ai aussi bien Lawrence Welk que Metallica sur mon iPod.
Vous devez savoir et respecter le fait que je ne suis pas du tout cool. Il
existe une réplique formidable dans le film Presque célèbre : « La seule
vraie monnaie dans ce monde en faillite, c’est ce que vous partagez avec
les autres quand vous n’êtes pas du tout cool. »
Pour être sur ma liste, vous devez être ce que j’appelle un(e)
« ami(e) éprouvé(e) » : la relation entre nous a été tellement tiraillée
qu’elle est devenue une part de nous-mêmes, une seconde peau, et qu’elle
possède même quelques cicatrices. Nous ne sommes pas du tout cool l’un
avec l’autre. Je ne pense pas que quiconque possède plus d’un ou deux
amis de ce genre. Il est important de ne pas négliger ces amis éprouvés
pour gagner l’approbation d’inconnus qui se révèlent malveillants,
méchants ou trop cool. Je ne connais pas de meilleur rappel pour ceci,
que les paroles immortelles de mon ami Scott Stratten, auteur de
UnMarketing :
« N’essayez pas de contrer vos détracteurs; vous ne murmurez pas à
l’oreille des ânes. »
CHAPITRE 5
ATTENTION À LA MARCHE :
CULTIVER LE CHANGEMENT ET FRANCHIR
L’ABÎME DE L’INDIFFÉRENCE
Faire attention à la marche est une stratégie courageuse. Il
s’agit de prêter attention à l’écart entre le lieu où on se tient
et celui où on veut aller. Plus important encore, il s’agit de
mettre en pratique les valeurs qu’on tient pour essentielles.
Faire attention à la marche requiert à la fois d’embrasser la
vulnérabilité et de cultiver la résilience : d’agir en tant que
dirigeant, parent ou enseignant de manière neuve et
inconfortable. Il est inutile d’être parfait, il faut seulement
s’engager et mettre ses actions en cohérence avec ses valeurs.
Les panneaux « Mind the Gap » (Attention à la marche) sont apparus
pour la première fois en 1969 dans le métro londonien, pour attirer
l’attention des voyageurs sur l’espace entre le quai de la station et la
porte du wagon. C’est devenu depuis le nom d’un groupe et le titre d’un
film. Cet avertissement a été reproduit sur toutes sortes d’objets, depuis
les tee-shirts jusqu’aux paillassons. Chez nous, nous avons une petite
carte encadrée, qui nous rappelle de faire attention à la marche, l’écart
entre l’endroit où nous nous tenons et celui où nous voulons aller.
Laissez-moi vous expliquer.
L’ABÎME DE L’INDIFFÉRENCE
Il a simplement répondu :
– Oui. Une fois encore, je ne suis pas certain que ce problème porte un
nom, mais quelque chose d’apparenté à la peur empêche les gens de s’y
mettre. Ils se focalisent sur ce qu’ils savent déjà faire et ne s’aventurent
pas au-delà.
Il y a eu une légère pause, avant qu’il ne me regarde et demande :
– J’ai cru comprendre que vous êtes chercheuse. Que faites-vous
exactement?
J’ai pouffé.
– J’étudie ce quelque chose d’apparenté à la peur, je fais des
recherches sur la honte-et-la-vulnérabilité.
En revenant à mon hôtel, j’ai pris des notes sur ma conversation avec
Kevin dans mon journal de recherche. Ce quelque chose d’apparenté à la
peur m’a rappelé autre chose. J’ai feuilleté le journal en arrière pour
retrouver des notes de terrain prises après avoir parlé avec des élèves de
collège de leur vécu en classe. Quand je leur avais demandé de décrire la
clé de l’apprentissage, une fille m’avait donné la réponse suivante, tandis
que les autres hochaient la tête avec passion, en disant « Oui! C’est
exactement ça! »
– Il y a des moments où on peut poser des questions et discuter des
idées, mais si le prof n’aime pas ça ou si les autres élèves se moquent, ça
tourne mal. Je crois que presque tout le monde sait qu’il vaut mieux
baisser la tête, se taire et se concentrer sur ses notes.
En relisant ce passage, et en réfléchissant à ma conversation avec
Kevin, je me suis sentie accablée. En tant qu’enseignante, cela me brise
le cœur : on ne peut pas apprendre quand on baisse la tête et qu’on se tait.
En tant que mère d’une élève en primaire et d’un autre en maternelle, je
trouve ça exaspérant. Et en tant que chercheuse, cela a été le moment où
j’ai commencé à comprendre combien les difficultés du système scolaire
et les gageures du travail se reflètent les unes les autres.
J’ai envisagé d’abord ceci comme deux discussions séparées, l’une
pour les éducateurs et l’autre pour les dirigeants. Mais en revenant aux
données, j’ai compris que les enseignants et les directeurs d’écoles sont
des dirigeants, de même que les cadres exécutifs, les managers et les
superviseurs sont des enseignants. Aucune entreprise ou école ne peut
prospérer en l’absence de créativité, d’innovation et d’apprentissage, et
c’est la démotivation qui menace le plus ces choses.
Étant donné ce que j’ai appris de cette recherche et ce que j’ai observé
durant les dernières années en travaillant avec des dirigeants d’écoles et
de sociétés de toutes tailles et formes, je crois que nous devons
réexaminer complètement l’idée de l’engagement. C’est pourquoi je l’ai
baptisé l’engagement subversif. Pour rallumer la créativité, l’innovation
et l’apprentissage, les dirigeants doivent réhumaniser l’éducation et le
travail. Cela suppose de comprendre comment la rareté affecte la manière
dont on dirige et on travaille, d’apprendre à embrasser la vulnérabilité et
de reconnaître et de combattre la honte.
Sir Ken Robinson lance un appel aux dirigeants pour remplacer l’idée
dépassée que les organisations humaines doivent fonctionner comme des
machines par une métaphore qui capte la réalité de l’humanité. Dans son
livre Out of Our Minds : Learning to be Creative, il écrit : « Malgré la
séduction de la métaphore mécaniciste dans la production industrielle, les
organisations humaines ne sont pas des mécanismes et les gens ne sont
pas des pièces interchangeables. Ils ont des valeurs et des sentiments, des
perceptions, des opinions, des motivations et des biographies, alors que
les rouages et les pignons n’en ont pas. Une entreprise n’est pas
l’installation physique dans laquelle elle opère, mais le réseau de gens
qui y travaille. »
Donc, si on peut isoler la honte dans une unité, une équipe ou chez une
personne, il faut s’en occuper immédiatement et sans honte. On apprend
la honte dans sa famille d’origine, et nombre de gens grandissent en
croyant que c’est une manière efficace de gérer, de diriger et d’éduquer.
C’est pourquoi faire honte à quelqu’un qui utilise la honte ne sert à rien.
Mais ne rien faire est tout aussi dangereux, non seulement pour les gens
qui sont les cibles de la honte, mais aussi pour l’organisation dans son
ensemble.
Ma sœur m’a expliqué qu’elle était bien sur la liste et que l’article
signalait qu’elle avait obtenu la prime la plus basse possible. Ce qu’ils ne
disaient pas, c’était qu’il s’agissait de la prime la plus haute possible pour
les enseignants en maternelle. Imaginez-vous faire quelque chose comme
ça – indiquer les salaires et les primes de tous les individus dans une
branche professionnelle – et, en plus, le faire avec inexactitude.
LA CULTURE DE LA DISSIMULATION
Une culture qui ose beaucoup est une culture de feedback honnête,
constructif et engagé. C’est vrai pour les entreprises, les écoles et les
familles. Je sais que les familles ont des problèmes avec cette question,
mais j’ai été choquée de constater que « le manque de feedback » était la
première préoccupation des entretiens centrés sur les expériences
professionnelles. Les entreprises d’aujourd’hui sont tellement focalisées
sur l’évaluation des objectifs que donner, recevoir et solliciter du
feedback est, ironiquement, devenu rare. C’est même rare dans les écoles
où l’apprentissage dépend du feedback, lequel est infiniment plus
efficace qu’une note gribouillée en haut d’une page ou un test standard
généré par ordinateur.
Une méthode efficace pour identifier ses points forts est d’examiner le
rapport qu’ils entretiennent avec les limitations. En repérant ce qu’on fait
le mieux et ce qu’on veut améliorer, on s’aperçoit que ce sont souvent les
variantes d’un même comportement. C’est en passant en revue ses
« défauts » ou ses « limites » qu’on découvre les points forts qu’ils
recèlent.
Je peux, par exemple, me reprocher d’être trop autoritaire et de trop
m’immiscer dans la vie des gens, ou bien reconnaître que je suis
responsable, fiable et très investie dans la qualité du travail. La question
de l’autoritarisme est toujours là, mais, en le considérant dans la
perspective de mes points forts, je trouve la force de m’observer et
d’évaluer les comportements que je voudrais changer.
Potentiel à développer
Susan, le proviseur d’un grand collège, devait faire part à l’une des
professeurs des plaintes de plusieurs parents. Ceux-ci avaient formulé des
inquiétudes concernant le fait qu’elle jurait, passait des appels personnels
sur son portable et permettait aux élèves de quitter le cours, de tirer au
flanc et de téléphoner eux-mêmes.
On peut trouver une copie imprimée de cette liste sur mon site web
(www.brenebrown.com).
L’éducation ne serait-elle pas différente si les élèves, les professeurs et
les parents s’asseyaient du même côté de la table? La motivation ne
changerait-elle pas si les dirigeants s’asseyaient près des gens et disaient :
« Merci de votre concours. Voici ce qui le rend unique. Cette difficulté
fait obstacle à votre développement, et je pense que nous pouvons
l’aborder ensemble. Quelle est votre opinion sur la bonne manière
d’avancer? Quel rôle pensez-vous que je joue dans ce problème?
Comment puis-je agir autrement pour vous soutenir? »
Une fois encore, il ne fait pas de doute que le feedback constitue sans
doute l’une des arènes les plus difficiles à négocier dans la vie. On doit
toutefois se rappeler que la victoire ne consiste pas à obtenir un feedback
positif, à éviter de donner un feedback négatif ou à contourner le besoin
de feedback. Il s’agit, au contraire, de dépouiller son armure, de se
découvrir et de s’engager.
Un étudiant m’a posé une question dont je suis sûre qu’elle traverse
l’esprit de nombreuses personnes quand je parle de la vulnérabilité. Il a
déclaré :
– Je saisis l’importance de la vulnérabilité, mais je suis dans la vente,
et je ne comprends pas bien à quoi ça peut ressembler. Est-ce que ça
signifie que si un client m’interroge sur un produit et que je ne connais
pas la réponse, je dois dire ce que je pense, à savoir « Je viens de
commencer et je ne connais pas bien mon boulot encore »?
Les étudiants, qui s’agitaient en l’écoutant, se sont tous tournés dans
ma direction, comme pour dire :
– Ouais, ça a l’air nul. On est censé faire ça?
J’ai entamé cet entretien avec Gay en lui disant tout de suite qu’une
journaliste d’affaires m’avait récemment dit que, contrairement aux
dirigeants des grosses entreprises qui sont protégés par l’épaisseur du
système, les petits entrepreneurs ne peuvent pas se permettre d’être
vulnérables. Quand je lui ai demandé ce qu’elle pensait de cette
affirmation, elle a souri :
– Quand on supprime la vulnérabilité, on supprime l’opportunité.
C’est un mythe affreux que de croire qu’une fois qu’on a des enfants,
le voyage s’arrête là et que le leur commence. Pour nombre de gens,
l’époque la plus intéressante et la plus productive de leur vie a débuté
après la naissance de leurs enfants. Les plus grands défis et les plus
grandes difficultés arrivent aussi à la maturité et après. Une éducation
Entière ne signifie pas qu’on sait déjà tout et qu’on va le transmettre.
C’est apprendre et explorer ensemble. Et croyez-moi, il y a des moments
où mes enfants m’ont devancée de très loin, tout en m’attendant et en me
tendant la main pour me faire avancer.
Par exemple, quand Ellen est arrivée pour la première fois en retard à
l’école, elle a éclaté en sanglots. Elle était si bouleversée à l’idée d’avoir
transgressé les règles et contrarié sa maîtresse qu’elle s’est effondrée.
Nous lui avons répété que ce n’était pas très grave, et que cela arrive à
tout le monde d’être en retard. Ce soir-là, nous avons célébré son premier
retard avec une petite fête après le dîner. Elle a finalement accepté l’idée
que ce n’était pas la fin du monde et que personne ne la jugerait pour
cette faiblesse.
La honte est très douloureuse pour les enfants, parce qu’elle est
inextricablement liée à la peur de ne pas être aimé. Pour les jeunes
enfants qui dépendent de leurs parents pour leur survie (nourriture, abri et
sécurité), se sentir indigne d’amour menace la survie. C’est un
traumatisme. Je suis convaincue que la raison pour laquelle la plupart des
gens se sentent infantiles et minuscules quand ils ont honte, c’est que le
cerveau emmagasine les expériences de honte précoces comme des
traumatismes et qu’ils sont remobilisés à ce moment-là. On ne possède
pas encore les recherches neurobiologiques pour le confirmer, mais j’ai
décodé des centaines d’interviews qui suivaient le même schéma :
– Je ne sais pas ce qui s’est passé. Mon patron m’a traité d’idiot devant
mon équipe, et je n’ai pas pu répondre. Soudain, j’étais de retour au cours
élémentaire de Mme Porter, et j’étais muet. Je ne pouvais pas trouver une
seule réponse valable.
Ou :
– Mon fils a manqué la balle une deuxième fois, et j’ai vu rouge. Je me
suis toujours dit que je ne le traiterais jamais comme mon père m’avait
traité, mais j’étais en train de lui hurler dessus devant ses camarades de
jeu. Je ne sais même pas comment c’est arrivé.
Si vous avez déjà élevé vos enfants et que vous vous demandez s’il est
trop tard pour enseigner la résilience et modifier l’album, la réponse est
non. Il n’est pas trop tard. Le fait de s’approprier son histoire avec ses
moments pénibles permet d’en écrire la fin. Il y a plusieurs années, j’ai
reçu une lettre d’une femme qui disait :
Votre travail a changé ma vie d’une manière très étrange. Ma mère
vous a vue parler dans une église d’Amarillo. À la suite de cela, elle m’a
écrit une longue lettre. « J’ignorais tout à fait qu’il y avait une différence
entre honte et culpabilité. Je pense que je t’ai fait honte toute ta vie alors
que ce que je voulais, c’était me servir de la culpabilité. Je n’ai jamais
pensé que tu n’étais pas assez bien, c’est seulement que je n’approuvais
pas tes choix. Mais je t’ai fait honte. Je ne peux pas retirer ça, mais je
veux que tu saches que tu es la meilleure chose qui me soit arrivée et que
je suis très fière d’être ta mère. » Je n’en croyais pas mes yeux. Ma mère
a 75 ans, et j’en ai 35. Cela m’a fait énormément de bien. Depuis, tout a
changé, y compris la manière dont j’élève mes enfants.
É É
RÉDUIRE L’ÉCART : SOUTENIR SES ENFANTS VEUT DIRE
SE SOUTENIR L’UN L’AUTRE
Environ deux semaines plus tard, nous étions toutes deux à la maison,
quand le courrier est arrivé. J’ai couru à la porte avec impatience. Il était
prévu que j’intervienne dans une grande manifestation où serait présente
une pléiade de célébrités, et je mourais d’envie de regarder l’affiche. Ça
me semble bizarre maintenant, mais j’étais très excitée à l’idée de voir
ma photo à côté de celles de stars de cinéma. Je me suis assise sur le
canapé, j’ai déroulé l’affiche et j’ai commencé à l’examiner avec avidité.
Après que Susan se soit reprise, elle s’est assise avec son fils et ils ont
parlé. Ils ont discuté de la facilité qu’il y a à se trouver pris dans une
situation de groupe où tout le monde dit du mal de quelqu’un. Susan a été
honnête et a reconnu que, parfois, elle avait des difficultés avec « ce que
pensent les gens ». Elle m’a dit que son fils s’est blotti contre elle et a
murmuré : « Moi aussi. » Ils se sont promis de continuer à se parler de
leurs expériences.
Ê É
LE COURAGE D’ÊTRE VULNÉRABLE
Avant d’écrire ce chapitre, j’ai étalé mes données sur ma table de salle
à manger, et je me suis posé cette question : Quelle est la chose la plus
vulnérable et la plus brave que font les parents, dans leur effort pour
élever des enfants Entiers? Je pensais qu’il me faudrait des jours pour le
déterminer, mais l’évidence s’est imposée : ils laissent leurs enfants lutter
et faire leurs propres expériences.
C’est une expérience avec Ellen qui m’a donné la plus grande leçon à
ce sujet. J’étais allée la chercher à la piscine, et je patientais au volant de
ma voiture dans la file d’attente. Il commençait à faire noir et je
distinguais à peine sa silhouette, mais c’était assez. Je savais que quelque
chose n’allait pas rien qu’à la manière dont elle se tenait. Elle s’est jetée
sur le siège arrière, et avant que je puisse lui demander comment était sa
séance de piscine, elle a fondu en larmes.
– Que s’est-il passé? Qu’est-ce qui ne va pas?
Elle a fixé la vitre, pris une grande respiration, en s’essuyant les yeux
sur la manche de son sweater à capuche, et m’a dit :
– Je dois nager un 100 mètres brasse à la compétition de samedi.
Après le coucher des enfants, Steve et moi avons passé une heure à
débattre de la question, et nous avons finalement décidé qu’elle devait
s’en remettre à son maître nageur. S’il voulait qu’elle participe à la
compétition, il faudrait qu’elle y prenne part. Même si cette décision me
semblait juste, je la détestais. Pour me libérer de ma peur et de ma
vulnérabilité, j’ai tout essayé, depuis entamer une dispute avec Steve
jusqu’à critiquer le maître nageur.
Ellen était bouleversée quand nous lui avons dit, et encore plus
bouleversée quand elle est rentrée à la maison après sa séance de piscine
suivante, et nous a annoncé que le maître nageur pensait qu’il était
important pour elle d’avoir un temps officiel. Elle a croisé les bras sur la
table, posé la tête dessus, et s’est mise à pleurer.
Après quelques minutes, elle a relevé la tête pour dire :
– Je pourrais sécher. Plein de gens manquent les compétitions. Une
partie de moi a pensé Parfait!
Mais elle a dit alors :
– Je ne gagnerai pas. Je ne suis même pas assez bonne pour arriver
deuxième ou troisième. Tout le monde va me regarder.
C’était l’occasion d’actionner le levier, de redéfinir ses priorités. De
rendre notre culture familiale plus importante que la compétition, plus
importante que l’opinion de ses amies ou la culture ultra compétitive
dans laquelle nous vivons. Je l’ai regardée et je lui ai dit :
– Tu peux sécher la compétition. J’y penserais aussi si j’étais à ta
place. Mais si ton but n’était pas de gagner, ni même de sortir de l’eau en
même temps que les autres filles? Et si ton but était de te montrer et de te
mouiller?
Elle m’a regardée comme si j’étais folle.
– Juste me montrer et entrer dans l’eau?
Je lui ai expliqué que j’avais passé de nombreuses années à ne jamais
rien tenter sans être sûre d’exceller, et que cette façon de faire m’avait
presque fait oublier ce que c’est que d’être brave. J’ai dit :
– Parfois, la chose la plus courageuse et la plus importante qu’on
puisse faire, c’est se montrer.
Steve et moi avons veillé à ne pas être avec elle quand on a appelé son
tour. Quand le moment est venu pour les filles de grimper sur les plots, je
n’étais pas sûre qu’elle serait là, mais elle y était. Nous nous sommes
positionnés au bout de son couloir et nous avons retenu notre souffle.
Elle nous a regardés droit dans les yeux, a hoché la tête et mis ses
lunettes de natation en place.
J’ai écrit le manifeste de la parentalité qui suit, parce que j’en avais
besoin. Steve et moi en avions besoin. Repousser les étalons dans une
culture qui juge de la valeur des êtres uniquement à travers leurs
performances et leurs acquisitions n’est pas facile. Je me sers de ce
manifeste comme fondement, prière et méditation quand je lutte avec la
vulnérabilité et quand le « jamais assez » m’effraie. Cela me rappelle la
découverte qui a transformé et littéralement sauvé ma vie :
Bien plus que nos connaissances sur l’éducation, c’est ce que nous
sommes et la manière dont nous affrontons le monde qui prédisent ce que
seront nos enfants.
Durant les neuf mois qu’il m’a fallu pour donner forme à douze années
de recherches, j’ai relu cette citation une bonne centaine de fois. Et, en
toute sincérité, j’y suis revenue dans des accès de colère ou de désespoir,
en pensant : Ce ne sont peut-être que des balivernes, ou La vulnérabilité
n’en vaut pas la peine. Encore récemment, après avoir enduré quelques
commentaires très méchants sur un nouveau site web, j’ai retiré la
citation du tableau pendu au-dessus de mon bureau, et je me suis adressée
directement au bout de papier : « Si le critique ne compte pas, alors
pourquoi est-ce que ça fait aussi mal? » Il n’a pas répondu.
PARCOURS DE LA RECHERCHE
Avant de replonger dans les données, j’ai intitulé cette étude « Vivre
Entièrement ». Je cherchais des hommes et des femmes qui vivaient et
aimaient de tout leur cœur en dépit des risques et des incertitudes. Je
voulais savoir ce qu’ils avaient en commun. Quelles étaient leurs
principales préoccupations, et quels étaient les tendances et les thèmes
qui définissaient leur Entièreté? J’ai rapporté les résultats de cette étude
dans The Gifts of Imperfection, ainsi que dans un article de journal
académique.
CONCEPTION
ÉCHANTILLONNAGE
L’échantillonnage théorique, le processus de collecte des données qui
permet d’engendrer une théorie, a été la première méthode
d’échantillonnage dont je me suis servie dans cette étude. Dans
l’échantillonnage théorique, le chercheur collecte, code et analyse
simultanément les données et se sert de ce processus pour déterminer
quelles données collecter ensuite et où les trouver. Conformément à
l’échantillonnage théorique, j’ai sélectionné les participants en me basant
sur l’analyse et le codage des entretiens et sur les données secondaires.
Outre mes entretiens avec 1 280 participants, j’ai analysé des notes de
terrain, j’ai accumulé de la littérature de sensibilisation, des
conversations avec des spécialistes, des notes sur mes réunions avec les
étudiants diplômés qui menaient les entretiens et analysaient la
littérature. En outre, j’ai enregistré et codé des notes de terrain sur mes
cours sur la honte, la vulnérabilité et l’empathie à environ 400 étudiants
en master et en doctorat, et la formation d’environ 15 000 professionnels
de santé mentale ou spécialisés dans la toxicomanie.
CODAGE
ANALYSE DE LA LITTÉRATURE
CHAPITRE 2
TORDRE LE COU AUX MYTHES DE LA VULNÉRABILITÉ
CHAPITRE 3
COMPRENDRE ET COMBATTRE LA HONTE (L’ENTRAÎNEMENT
DU GUERRIER NINJA)
CHAPITRE 4
L’ARSENAL DE LA VULNÉRABILITÉ
CHAPITRE 5
ATTENTION À LA MARCHE :
CULTIVER LE CHANGEMENT ET FRANCHIR L’ABÎME DE
L’INDIFFÉRENCE
CHAPITRE 6
L’ENGAGEMENT SUBVERSIF :
OSER RÉHUMANISER L’ÉDUCATION ET LE TRAVAIL
CHAPITRE 7
UNE ÉDUCATION ENTIÈRE : OSER ÊTRE LES ADULTES QUE
NOUS VOULONS QUE NOS ENFANTS SOIENT
APPENDICE
INSTAURER LA CONFIANCE :
THÉORIE ANCRÉE ET PROCESSUS DE RECHERCHE
Z-Access
https://wikipedia.org/wiki/Z-Library
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