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Crossroads University T1 Wandering

Stars Carmen Silvera


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Crossroads University

Tome 1 : Wandering Stars


Carmen Silvera
Ceci est une œuvre de fiction. Les noms, les personnages, les lieux et les faits décrits ne
sont que le produit de l’imagination de l’autrice, ou utilisés de façon fictive. Toute
ressemblance avec des personnes ayant réellement existé, vivantes ou décédées, des
établissements commerciaux, des événements ou des lieux ne serait que le fruit d’une
coïncidence.
Autrice © Carmen Silvera
Correction © Faute Avouée
Couverture et maquette © Carmen Silvera (Adobe Stock, Shutterstock, Depositphotos et
Canva)
Existe en format numérique et papier.
ISBN papier : 978-2-9586240-4-0
ISBN numérique : 978-2-9586240-5-7
Edition : mars 2024.
Dépôt légal : mars 2024.
Tous droits réservés. Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite ou transférée
d’aucune façon que ce soit ni par aucun moyen, physique ou électronique, sans la
permission écrite de l’autrice, sauf dans les endroits où la loi le permet, et dans le cadre de
critiques littéraires. Cela inclut la photocopie, les enregistrements et tout système de
stockage et de retrait d’information. Pour demander une autorisation ou pour toute autre
demande d’information, merci de contacter l’autrice, Carmen Silvera
(carmensilvera@outlook.fr).

www.carmensilvera.fr
Avertissements

Très cher lectorat,


Ce roman aborde des sujets qui peuvent toucher certaines
personnes. Je vous invite, si vous vous savez sensible à certains des
trigger warnings listés ci-dessous, à vous sonder et à écouter vos
émotions avant de décider d’ouvrir l’ouvrage ou de le refermer. Les
éléments évoqués ci-dessous sont susceptibles de spoiler l’histoire.
Le présent roman fait mention d’alcool, d'agressions sexuelles, de
maladie mentale, de mort, d'emprise mentale. Il contient également
des scènes pouvant éveiller une sensation de claustrophobie.
L’utilisation d’un langage parfois cru ou grossier est également à
souligner. Le récit contient, en outre, des scènes de sexe détaillées.
Mais ce roman parle aussi d’amour, d’amitié, de l'importance de
communiquer, d'être à l'écoute de soi et de l'autre !
Respectueusement,
Carmen
Playlist

Spotify | Youtube
Tory Lanez (feat. Trippie Redd et Yoko Gold) – Hurt Me
Isak Danielson – I Don't Need Your Love
G-Eazy (feat. Bebe Rexha) – Me, Myself & I
Selena Gomez – Same Old Love
Gnash (feat. Olivia O'Brien) – i hate u, i love u
Kenya Grace – Strangers
Dua Lipa – Love Again
Shawn Mendes – Treat You Better
Calvin Harris (feat. John Newman) – Blame
Shawn Mendes – There's Nothing Holding Me Back
Kygo (feat. Conrad Sewell ) – Firestone
Maroon 5 – Maps
Niall Horan – Save My Life
Julie Bergan – Waste A Tear
Charli XCX – Boom Clap
The Chainsmokers (feat. Daya) – Don't Let Me Down
New West – Those Eyes
Tomas Skyldeberg – We Can Be Fearless
Coldplay – Hymn For The Weekend
À toutes les personnes qui ont vu les gouffres entre
deux individus donner naissance à de belles relations.
Tous les éléments composant l’univers, les galaxies, les
amas de poussière, les astres, s’éloignent les uns des
autres inexorablement. Un peu comme nous. Et quand
deux étoiles sont trop proches et que l’une d’entre
elles explose, il arrive qu’elle condamne l’autre étoile à
errer sans trajectoire dans l’univers.

Nekfeu, Les Étoiles Vagabondes


Chapitre 1 : Tina

M
erveilleux.
Je lâche ma valise avec un soupir et pose mes mains sur mes
hanches. Esmée a pâli à mes côtés.
Par-delà le toit de notre résidence se découpent des collines et des
forêts que j’aurais aimé pouvoir admirer tout mon saoul. Le campus est
plus près de la nature sauvage que de la ville à laquelle il se
rattache : Lebanon. Son cadre incroyable décide une bonne partie des
étudiants à venir y faire leur cursus, son manque de résidences
universitaires, moins. Et je sens qu’Esmée et moi allons nous heurter à ce
défaut de logement plus vite que prévu.
Le bâtiment censé nous accueillir pour notre première année a été vidé.
Une armée de meubles humides est entreposée dehors, sous le soleil
déclinant, et goutte tranquillement sur la pelouse.
— Wow, lâché-je.
J’aperçois un policier du campus et traîne mes affaires jusqu’à lui, Esmée
sur mes talons. Je peux sentir d’ici l’angoisse galopante de ma meilleure
amie. Pourtant, elle est le calme et je suis la tempête, en temps normal.
— Excusez-moi, qu’est-ce qu’il s’est passé ? l’interroge Esmée d’une
petite voix.
— Je crois que ça se voit… répond l’homme en haussant les épaules.
— Pas trop. Du coup, en version aimable et détaillée ? demandé-je.
Esmée me cogne le pied. Le gars nous lance un drôle de regard et
désigne le bâtiment d’un mouvement de tête.
— Une… étudiante, Kate machin-chose, a oublié qu’elle avait commencé
à se faire couler un bain et est partie quelques heures.
Le mot « étudiante », dans sa bouche, sonne comme une insulte. Il a
l’air blasé, à un niveau inimaginable.
— Évidemment, soupire Esmée.
— T’inquiète, ma Reine, on va trouver une solution, lui dis-je.
Je dégaine mon téléphone, elle le sien, et le bal des appels commence.
Pour notre installation, nos parents ont accepté que nous partions en
premier avec nos affaires dans la petite voiture d’Esmée. Déjà, on est
tombées en panne sur la route, et j’ai refusé, un peu par fierté, je l’avoue,
d’appeler ma mère et mon beau-père à l’aide. Heureusement, nous avons
tout de même pu trouver un garagiste pas très loin d’ici, qu’Esmée a dû
charmer avec ses yeux de biche pour qu’il nous dépanne alors que sa
journée se terminait.
Bref, le trajet a déjà bien grignoté ma patience.
Au bout du troisième appel, je finis par entendre la voix chantante de
ma mère, qui cache difficilement le reste de fou rire dans son timbre.
Avant Rachid, elle ne riait pas autant.
— Ma chérie ? Un problème ? me demande-t-elle.
— Léger, oui. Notre chambre a été inondée par une voisine du dessus.
Un petit silence s’installe. Ma mère bégaye deux trois jurons.
— Passe-la-moi, demande Rachid en fond sonore.
Un bruit sourd se fait entendre, puis la voix calme de mon beau-père :
— Puce, ça va ?
— Salut, Rachid. Oui, ça va ! Personne n’est mort. Mais autant que vous
n’ameniez pas toutes mes affaires tout de suite, le temps que je trouve un
autre logement sur le campus.
À ce moment-là, Esmée s’approche et me chuchote :
— Je viens de téléphoner, aucune chambre n’est libre. Avec la rentrée et
l’installation des nouveaux étudiants, c’est un peu la folie.
— Qu’est-ce que dit Esmée ? demande Rachid.
— Elle dit qu’il n’y a plus de chambre libre. Mais ne vous inquiétez pas,
je vais trouver une solution !
Je n’ai pas un rond et ce n’est certainement pas eux qui pourront me
dépanner, après s’être ruinés pour me permettre de faire mes études.
— Écoute, puce, j’appelle Kâmil. Il connaît le campus, il pourra sûrement
t’aider.
— Non, pas Kâmil !
Ma réponse a fusé. Pas Kâmil. Surtout pas. Même Esmée, qui lui parle
quasi quotidiennement depuis son départ à la fac il y a deux ans, n’a pas
osé me le proposer.
— Non, non, je vais me débrouiller.
— Ne sois pas idiote ! C’est ton frère, il peut bien faire ça !
Oh oui, il le ferait sûrement avec grand plaisir.
— Quasi-frère, précisé-je, le visage crispé.
Je n’aime pas que l’on laisse entendre qu’il existe le moindre lien de
sang entre nous. Ça rend les choses… trop compliquées dans ma tête.
— Ne vous inquiétez pas, je vais trouver une solution. Toute seule.
Comme une grande.
À mesure que je parle, le visage d’Esmée se défait.
— Je vous laisse, je vous tiens au jus !
Dès que leurs voix commencent à s’élever dans un concerto de
protestations, je raccroche précipitamment.
— Ils voulaient te mettre en lien avec Kâmil ? me demande-t-elle.
Ses grands yeux bruns bordés de cils roux sont soucieux. Je sais ce
qu’elle pense : que je suis une gamine, qui refuse par fierté de réclamer
de l’aide à la personne qui aimerait le plus me voir ramper à ses pieds.
Enfin, en des termes plus appréciateurs – il s’agit d’Esmée, après tout.
Mais qu’elle songe à la version polie ou à l’autre, elle a raison. Et elle sait
que je sais qu’elle a raison.
— Kâmil ? fait une fille à côté de nous.
Elle a probablement entendu mon échange téléphonique et ma
conversation avec Esmée. Je grince des dents.
— Tu le connais ? demandé-je en lui lançant un regard suspicieux.
Je la détaille un peu. Elle est jolie. Et c’est un euphémisme. Blonde,
élancée, des allures de mannequin et l’air revêche. Elle hausse un sourcil
avant d’articuler, comme si j’étais particulièrement idiote :
— Qui ne le connaît pas ? C’est l’un des membres du Big Five.
Un groupe de filles venues constater les dégâts se met à glousser à la
mention de ce nom. Le Big Five ? C’est quoi encore ces conneries ?
— Tu connais Kâmil ? s’enquiert aussitôt l’une d’elles.
J’ignore sa question et m’adresse plutôt à la blonde méprisante :
— Le Big Five 1 ? Comme les bêtes convoitées par les chasseurs, en
Afrique ?
J’espère qu’ils ne se sont pas donné ce nom eux-mêmes, c’est d’un
prétentieux.
— T’es moins lente que t’en as l’air, me lance-t-elle d’un ton assassin.
— C’était gratuit.
— Je suis généreuse, c’est quand tu veux.
Je crois qu’elle a choisi de me détester. Je hausse les épaules sous le
regard arrondi de surprise d’Esmée, qui se hâte de me rejoindre alors que
je m’éloigne vers le parking où nous avons abandonné la voiture.
— Elle a l’air sereine, celle-là ! commenté-je d’un ton joyeux.
Autant dire que les humeurs d’une inconnue me passent
systématiquement au-dessus de la tête. Je ne suis pas comme Esmée. J’ai
une empathie sélective. C’est pour ça que je l’aime. Elle a le cœur
tellement gros que j’essaye d’y prendre le plus de place possible, en virant
tous ceux qui, à mes yeux, ne sont pas dignes de son attention. Et elle
m’adore pour ça, je crois. Alors que je devrais me bouter hors de sa vie en
ma qualité de personne qui ne la mérite pas.
— Tu as vu ? Elle a un souci au bras, dit-elle, le visage soucieux. Elle
essaye de le cacher, mais…
— Mais tu l’as vu, Sherlock.
Je passe mon bras sur ses épaules et pousse un soupir satisfait.
— J’adore l’aventure ! On arrive, on est challengées… Et tu sais quoi ?
On va s’en sortir brillamment.
Je mens souvent. Je ne fais franchement pas exprès, mais c’est plus fort
que moi. Si j’annonce quelque chose, il se passe exactement l’inverse.
Bon. J’aurais aimé me louper, cette fois. Pourtant, alors que la nuit
tombe, j’ai toujours les fesses contre le bitume du parking, encore
échauffé par l’impitoyable chaleur du soleil d’été.
J’ai laissé filer les appels de Rachid et maman. Quand Esmée me rejoint,
elle affiche un sourire désolé.
— Tu as trouvé une solution ?
— Oui, mais…
Je comprends rapidement.
— Mon frère veut bien me prêter son canapé, mais c’est tout ce qu’il a,
dit-elle d’un air gêné. Je reste avec toi le temps que tu trouves ! Je ne te
laisse pas toute seule. On a dit qu’on venait ensemble, on reste ensemble
jusqu’à ce que chacune ait un toit sur la tête.
Ses yeux brillent de détermination. Adorable. Mon portable vibre et je
baisse le regard sur l’écran. Ça doit encore être maman ou Rachid. Quelle
naïveté ! Le nom qui s’affiche me glace le sang : Satan. Juste à mon air,
Esmée comprend.
— Kâmil ?
Je tourne mon téléphone vers elle.
— Tina, tu devrais répondre. Il pourra peut-être t’aider. Il connaît du
monde. Et si la fille de tout à l’heure disait vrai, peu de gens lui diront non
s’il demande un service pour sa sœur.
— Quasi-sœur.
— Tina…
— Es, y a trop de raisons pour que je ne lui réclame pas d’aide à cette
espèce de macho coureur de jupons de mes deux.
Un SMS s’affiche sur mon écran.

Décroche, tête de pioche.

Puis un énième appel. Je me signe et mime une prière muette, ce qui a


au moins le mérite de faire rire Esmée. Je décroche, armée d’un fin sourire
bien vite balayé par sa voix. J’ai l’impression qu’elle dévale mon oreille et
termine sa course au creux de mon ventre. Il a toujours eu cet effet sur
moi. J’ai beau donner le change, je ne suis pas certaine de parvenir un
jour à ne plus l’aimer. Et pas dans le sens familial du terme. Je l’ai connu
bien avant que nos parents se rencontrent. Et j’en suis tombée amoureuse
bien avant que Rachid et maman succombent. En cela, j’ai devancé tout le
monde et franchi des limites que je n’aurais jamais dû m’autoriser à
dépasser.
— Alors comme ça, on fait une arrivée en fanfare ?
Je l’entends, mais mal. Derrière, des voix s’élèvent.
— Vous pouvez baisser d’un ton, j’ai ma sœur au téléphone.
— Quasi-sœur, grincé-je.
— Ça me fait plaisir de t’entendre, Grincheuse.
Putain. Je pourrais lui péter les dents.
— Plaisir vraiment peu réciproque. Qu’est-ce que tu me veux ?
— Non, toi, qu’est-ce que tu veux ?
— Rien.
Putain, je ne le dirai pas. Je ne lui demanderai pas son aide.
— C’est vrai, ce mensonge ? Pas même un toit sur la tête ?
Son ton est péremptoire. J’ai épuisé mon stock de patience et de
positivisme pour la journée.
— Rachid a cafté, évidemment.
— Évidemment.
Il se tait. Je sais ce qu’il attend de moi et je m’étouffe sur place avec ma
fierté mal placée. Il va m’être difficile de m’asseoir sur mon ego quand
celui-ci enfle en ce moment même dans ma gorge, juste en écoutant son
ton victorieux.
— Au revoir, articulé-je.
Alors que j’éloigne le combiné, il éclate de rire.
— T’es pas croyable. « Kâm, est-ce que tu peux me filer un coup de
main pour trouver où crécher le temps que la fac propose une solution à
mon problème de logement ? » C’est pas si difficile !
— Tu peux ou pas ?
— Je peux quoi ?
—…
— T’aider ? Oui, demoiselle en détresse, je peux. Mais ça va te coûter.
— Quoi ? Comment ça ? Je suis ta sœur !
— Quasi-sœur !
— Semi-homme.
Il éclate de rire.
— Elle a du caractère, fait une voix dans le fond.
—Tu m’as mise en haut-parleur ?
— Non, Jo est collé à moi.
— Je savais pas que t’avais changé de bord, raillé-je. Jo, je t’emmerde.
Le dénommé Jo éclate de rire si fort que ça me bousille l’oreille.
— On est en voiture, je peux pas me débarrasser de lui.
— Tu ne te débarrasseras jamais de moi. En voiture ou ailleurs !
J’entends des bruits sourds puis de nouveau la voix de Kâmil :
— Je disais donc…
— … que ça va me coûter. Kâmil, tu fais chier, je…
— Je n’ai pas précisé en quoi ça allait te coûter.
Je pousse un soupir.
— Écoute, je n’ai pas envie de passer plus de temps que nécessaire sur
cette histoire. Je suis crevée. La journée a été longue. Alors, épargne-moi
ton suspense à la con.
— Eh bien, qu’est-ce que tu détestes plus que tout au monde ?
— Les crevettes ? Tu vas me faire manger des crevettes ? soupiré-je.
— Raté. Allez, un petit effort… Un truc que tu détestes vraiment.
— Me faire balader par un sale type comme toi ?
— Ah, tu chauffes.
— Toi.
— Waouh, Tina, tu es vraiment très forte. Je comprends que tu aies pu
rentrer à la fac, cette perspicacité est impression…
— Oh, mais la ferme ! Eh bien quoi ? Quel rapport avec toi ?
— Il y a une place de libre dans ma chambre.
Mon sang ne fait qu’un tour et je hurle dans le combiné :
— Mais t’es vraiment tapé, mon pépère ! Comme si j’allais accepter de
partager ton lit ! On n’a plus huit ans, je te rappelle…
— Calme-toi. Je n’ai jamais dit que c’était une place dans mon lit, tu as
l’esprit si mal tourné, Tina. Ma chambre est prévue pour deux, mais Lys a
quitté la coloc cet été : son lit est inoccupé.
Je mesure ses paroles. Des lits séparés, à la limite… Mais ça reste sa
chambre… Sa voix se fait plus sérieuse.
— Écoute, Grincheuse. Je sais que tu as du mal avec moi, et j’entends
bien que tu ne souhaites pas passer plus de temps que nécessaire à mes
côtés. Mais je suis absent la journée, j’ai entraînement de foot quasiment
tous les soirs et je suis souvent en déplacement pour des matchs. J’y dors
juste, dans cette chambre. Le reste du temps, tu l’auras pour toi toute
seule, et je ferai même attention de ne pas faire trop de bruit le soir, en
rentrant. Est-ce que tu peux accepter, comme ça, j’appelle papa et Cécile
pour leur dire d’arrêter de stresser ?
Prise de culpabilité, je baisse la tête.
— C’est bon, c’est d’accord.
— OK, je t’envoie l’adresse. Lys viendra t’ouvrir, je le préviens par SMS.
Il ne devrait pas te faire trop attendre. Le reste d’entre nous rentre de
vacances, on devrait revenir vers une heure du matin.
Ah oui, leurs désormais traditionnelles vacances au bord de l’océan.
Rachid m’en a vaguement parlé. Par contre, aucune idée de qui est ce Lys.
— Noté. Merci, grincé-je.
— Eh, Grincheuse ?
— Quoi ?
— Respire, ça va aller.
Je n’ai pas réalisé à quel point j’ai retenu mon souffle. Je pousse un
lourd soupir, qui ne lui échappe pas.
— Voilà, tout va bien se passer.
L’entendre me rassure, bien malgré moi. Il me laisse raccrocher la
première et je lève un regard vaincu vers Esmée.
Elle s’agenouille face à moi et pose ses mains sur mes genoux.
— Tu sais, ce n’est peut-être pas une mauvaise chose…
… d’être coincée dans la même chambre que mon quasi-frère, alias mon
ami d’enfance, alias la personne que j’aime désespérément depuis des
années et qui s’est bien foutu de ma gueule ? Non, c’est une excellente
chose, au contraire.
Je sais qu’elle tient à lui autant qu’elle tient à moi. On a grandi
ensemble, après tout. Et je regrette d’être aussi dure à propos de
quelqu’un qu’elle porte manifestement en haute estime. Et qui le mérite
probablement plus que moi.
— Kâmil a plein de bons côtés et il tient à toi, malgré votre passif. Et
puis, des hommes, ce n’est pas ce qui manque dans une fac ! Tout ça
t’aidera peut-être à passer à autre chose. De toute façon, tu ne comptes
pas t’éterniser ici, si ?
— Oui, tu as raison.
Le temps de réunir assez d’argent et de courage et je pourrai partir
explorer le monde. Je me relève, requinquée.
— Cette année, Esmée, je passe à autre chose, lancé-je, pleine
d’entrain.

1. À l’origine, cette expression désignait les cinq animaux africains les plus difficiles et les plus
dangereux à chasser à pied. Ils posaient beaucoup de problèmes aux chasseurs en raison de leur
comportement imprévisible.
Chapitre 2 : Kâmil

U
n coup de fil m’a permis de réserver le lit vacant pour Tina auprès de
Lys, à qui on avait gardé cette place, malgré son départ de la coloc.
On tenait tous à ce qu’il se sente toujours chez lui, loyer payé ou non. Les
résidences sur le campus étant mises à disposition des freshmen 1, Jolan,
Alex, Lys, Matt et moi avons décidé de nous installer en colocation à la fin
de notre première année, dans Lebanon, à quelques kilomètres de
l’université.
Jolan me chatouille la joue d’un doigt.
— Alors ?
— Alors, quoi ? demandé-je en virant son index.
— Alors, ta sœur !
— Quasi-sœur.
— Elle a l’air d’avoir aussi bon caractère que toi, commente Alexander
en me lançant un regard désinvolte dans le rétroviseur.
Matthias lève les yeux de son casse-tête en bois et se contorsionne pour
m’observer, vaguement intéressé.
— C’est tendu avec elle ?
— Un peu. On se connaît depuis longtemps. Nos parents se sont
rencontrés à force de venir nous récupérer à l’école.
— Ah. Effectivement, ça fait un moment. C’est vraiment une sœur pour
toi.
J’acquiesce, mais je me tortille, mal à l’aise. En théorie, on n’embrasse
pas sa sœur. On ne la désire pas un peu plus chaque seconde qui passe
depuis qu’on a emménagé avec elle. Cécile, qui m’a pris sous son aile
comme un fils, en ferait une syncope si elle apprenait que je lorgne sa
précieuse fille comme un loup affamé depuis des années. Et elle aurait
raison.
— Hum… ça ne te ressemble pas d’être aussi généreux. Tu disais vouloir
la chambre pour toi tout seul, avance Alexander. Et je maintiens que c’est
une mauvaise idée. Je n’aime pas le fait qu’une fille mette son nez dans
nos affaires.
— Oh ça va, le sexiste du dimanche, ronchonne Jolan.
— Je suis si content que quelqu’un d’autre occupe cette chambre, ça
nous évitera le spectacle sonore du soir quand tu ramènes quelqu’un,
ajoute Matthias avec un sourire en coin, avant de se rencogner dans son
siège.
— Oh, c’est bon, c’est arrivé qu’une fois cet été.
Jolan s’étrangle avec sa gorgée d’eau.
— Une fois ? Mensonge odieux !
— Eh bien, ça n’arrivera plus !
J’ai tout essayé pour me la sortir du crâne, elle y reste. Et maintenant,
en plus d’être dans mon crâne, elle sera dans ma chambre, à portée de
main et pourtant plus inaccessible que jamais. Je vais devoir trouver des
excuses pour dormir le moins possible à la maison. Moi qui étais si content
d’avoir cette chambre pour moi seul. Même si on a tous été heurtés que
Lys quitte la colocation, c’était l’occasion pour moi de profiter d’un peu de
solitude.
— Mais… Et la jolie brune que tu voyais ? m’interroge Matt.
— Je l’ai vue deux fois.
— Elle avait l’air attachée.
— C’est pour ça que je ne la vois plus.
— Et son prénom ?
J’évacue la question d’un sourire crispé et Matt soupire.
— La pauvre…
— Tu sais, Kâm, les filles vont finir par se passer le mot et se méfier de
toi, ajoute Jolan.
— Qu’elles le fassent… et vite, marmonne Alex en jetant un œil à sa
montre hors de prix. C’est pas possible de tomber dans le panneau alors
que c’est littéralement marqué sur la notice de l’engin. Quarterback,
relativement beau gosse, sourire permanent complètement surfait.
Vraiment, des idiotes…
— Moi aussi, je t’ai aimé au premier regard, Alex, chantonné-je à son
attention en me tendant au maximum contre ma ceinture pour essayer de
déposer un baiser sur son crâne.
Il me chasse d’un geste brusque et marmonne une insulte bien sentie.
— Il n’a quand même pas tout à fait tort, avance Matt.
Je me renfonce dans mon siège, les bras croisés, le regard noir.
— Mais lâchez-moi tous ! Elles viennent de leur plein gré, je les préviens
que ça n’ira absolument pas plus loin sentimentalement, et ça s’arrête là !
— J’en ai quand même vu trois repartir en pleurant.
— Elles étaient trop attachées après une seule fois, alors je… Non, mais
je ne vois même pas pourquoi je me justifie, en fait.
Je ne suis absolument pas fier de mes relations. Le festival du n’importe
quoi. Un besoin ingérable d’affection doublé d’un rejet total de
l’attachement. J’ai toujours été honnête avec ces filles, mais sur la forme,
j’aurais pu mieux faire. Et ça ne dissuade pas d’autres de tenter leur
chance, espérant qu’avec elles, peut-être, ce sera différent. Qu’elles
pourront se faire une place dans le cœur d’un garçon populaire. Je
suppose que c’est le fantasme d’être l’élue, de ne pas être « comme les
autres filles ».
Pourtant, je suis tombé amoureux d’une fille comme les autres.
Seulement, tout en elle vient me chercher à une profondeur que je ne
m’explique pas. Sa présence me remue depuis toujours.
Elle occupe mon cœur, mais une autre qu’elle a dressé une muraille
autour. Infranchissable.
Une vibration de mon téléphone me tire de mes pensées.

J’ai vu les stories de tes amis, tu as l’air heureux.

Mon visage se décompose et mes yeux évitent d’aller chercher le nom


de l’expéditrice. Seul Jolan s’en aperçoit et hausse un sourcil interrogateur.
Je me détourne et pose mon front contre la vitre de la voiture. Le paysage
défile à toute vitesse, enflammé par le coucher du soleil. La phrase court
dans ma tête et s’écrase dans cette boîte pleine de saloperies, où j’ai pris
le soin de ranger tout ce qui fait mal. La culpabilité me ceint la gorge
encore plusieurs minutes avant de relâcher son étau.
— On arrive dans combien de temps ? demande Jolan.
La question, prononcée sur un ton volontairement enfantin, détend
l’atmosphère.
— Dans cinq heures, mon chéri, répond Matthias, hilare. On a de
l’avance, on a roulé plus vite que prévu.
Il lance un regard pointu à Alex qui hausse les épaules.
Quelques minutes après sa question, les ronflements de Jolan
envahissent l’habitacle. Il détient le record de l’endormissement le plus
rapide, ce qui lui a valu de nombreuses fois d’avoir le visage décoré les
lendemains de soirée.
J’ai du mal à être malheureux en leur présence. C’est idiot, mais les
avoir rencontrés a été le plus beau des hasards, il y a deux ans presque
jour pour jour. La fac nous a regroupés, dès notre première année, dans la
même résidence. Chacun à notre manière et en quelques mois, nous
avons gagné en popularité. Depuis, l’attention que l’un génère se
répercute sur les autres.
Cela nous a valu le surnom de Big Five et l’attribution d’un animal,
apparemment représentatif de notre caractère.
Il n’y a que Matt que je connaissais de vue avant d’emménager avec lui.
David, le frère aîné d’Esmée, était son ami d’enfance. À leur entrée à la
fac, je ne sais pas trop ce qu’il s’est produit, mais le lien a été rompu. Je
pense que Matt, plus que quiconque, tient à la cohésion de notre petit
groupe. Ça nous a tous mis un coup quand Lys a annoncé, à la veille de
cette troisième année, devoir quitter notre colocation.
Honnêtement, aucun d’entre nous ne vit bien ce départ ; nous ne nous
séparons jamais si nous ne sommes pas obligés de le faire.
Avec eux, j’ai aisément rempli le top dix des meilleurs moments de mon
existence. Alex me reprocherait sans doute d’être mielleux, mais
aujourd’hui, il m’est difficile de me rappeler que je ne connais mes
colocataires que depuis deux ans.

La nuit est bien entamée lorsque nous nous garons enfin devant notre
immeuble. Alex descend aussitôt et s’étire longuement, tandis que Jolan
ronfle encore.
— On le laisse là ? propose Matthias.
Sans attendre la réponse, il prend un peu d’élan pour s’accrocher à une
barrière limitant la hauteur des véhicules autorisés dans le parking. Il fait
quelques tractions sans effort puis atterrit souplement au sol, avec un
soupir de contentement.
Alex est déjà en train de secouer Jolan, qui grogne de dépit. Je me
dirige vers la maison et sors mes clés, avant de me souvenir que Tina n’a
pas dû fermer, si elle est bien là.
J’ouvre et m’engouffre dans le salon, qui fait office de hall d’entrée. Lys
est assis dans un fauteuil, un livre à la main, ses cheveux noir corbeau en
bataille, ses lunettes de lecture sur le nez et un verre de vin non loin.
Toujours égaré dans son monde.
Il me dévisage et m’adresse l’un de ses rares sourires. C’est en général
un bon indicateur du fait qu’il n’a aucune envie de faire la conversation et
qu’il vaut mieux aller droit au but pendant que son temps d’écoute n’est
pas épuisé.
— Elle est là-haut, me dit-il. Une amie à elle l’a aidée à installer ses
affaires, Esmée, je crois. Vous l’avez ratée de peu.
Notre douce et avenante Esmée, aux antipodes du gobelin furax que
peut parfois être Tina. J’ai tellement hâte de la retrouver, elle aussi.
— Merci, Lys, je te revaudrai ça.
Il balaye mes remerciements d’un signe de tête. Je crois que la
colocation lui sert d’échappatoire. Avec son frère revenu depuis quelques
mois dans la maison familiale, il n’est plus aussi libre de ses mouvements.
Aucun de nous ne connaît tous les détails, mais il est responsable du
départ de Lys de notre colocation.
Il loge désormais un peu à l’écart de Lebanon, dans une maison qui
ressemble plutôt à un manoir, perdue au milieu de la forêt. Je ne sais pas
quelle excuse il sert à son frère pour s’enfuir, mais c’est ici qu’il semble
atterrir systématiquement. À tel point que nous lui avons laissé sa clé
après en avoir fait un énième double.
— Comment c’était ?
— Génial, mais on aurait tous aimé que tu sois là.
Ses lèvres se pincent et ses yeux, du bleu le plus clair qu’il m’ait été
donné de voir, se plissent légèrement, signe qu’il n’était pas aussi en
accord qu’il a bien voulu nous le faire croire avec sa décision de ne pas
partir avec nous.
— Une prochaine fois, conclut-il.
Jolan rentre à son tour et se laisse tomber sur le canapé avec un long
soupir de contentement. Des ronflements s’échappent aussitôt de lui et le
rire de Matthias les accompagne alors qu’il dépose notre glacière dans la
cuisine.
— Attends, tout à l’heure, tu as bien dit Esmée ? La sœur de David ?
relève Matt en regagnant le salon.
Ses yeux se sont mis à briller. J’acquiesce.
— Je ne l’ai pas vue depuis au moins deux ou trois ans, je crois, ajoute-
t-il.
Son regard se ternit. Il ne l’a pas vue depuis le froid qui s’est installé
entre son meilleur ami et lui, en somme. Ce genre de rupture amicale ne
se digère pas si facilement, j’en sais quelque chose.
Je les plante là et grimpe quatre à quatre les marches menant aux
chambres. Je n’ai pas croisé Tina depuis Noël dernier. Chaque fois que je
reviens voir mon père et Cécile, elle s’arrange pour ne pas être là. Pas
besoin d’être un génie pour comprendre que ma présence lui hérisse le
poil. Seule Esmée semble ravie de mes passages et je me contente de
prendre discrètement des nouvelles de Tina par son biais.
La porte de ma chambre est fermée. Je toque et, en l’absence de
réponse, je me permets d’entrer, armé de mon sac de voyage.
La pièce est plongée dans l’obscurité, à l’exception du filet de lumière
qui passe sous le battant de la salle de bain privative attenante. J’entends
l’eau qui coule.
Mon regard épouse l’armoire à vêtements dressée au pied du lit, qui
occupe la partie gauche de la chambre. Elle est remplie des affaires de
Tina et son parfum flotte déjà dans l’atmosphère. En symétrie, mon lit se
trouve à droite, à quelques enjambées du sien. Entre les deux, sous la
fenêtre close, repose un bureau qu’il me faudra débarrasser de mes cours.
Le ventre en vrac, j’abandonne mon sac près de mon étagère, puis
m’allonge sur mon matelas, les bras croisés derrière ma tête et les yeux
résolument dirigés vers le plafond. J’angoisse. Je ne devrais pas, mais c’est
le cas. Elle a toujours l’air d’une bombe à retardement en ma présence,
depuis quelques années. Et souvent, je la fais exploser sans même savoir
exactement ce qui l’a dégoupillée. Je marche sur une corde raide avec elle,
en permanence, sans comprendre, et ça me rend plus morne que je ne
veux bien l’admettre.
Parfois, j’aimerais que tout redevienne comme quand on était gosses.
Quand elle m’avait défendu, moi qui avais un an de plus qu’elle, contre
Declan Sanderson en lui collant son poing dans le pif, comme quand on
partageait mon goûter en deux parce que sa mère, tête en l’air, n’avait pas
pensé à en glisser un dans son cartable.
Quand j’y songe, j’ai l’impression que c’est un autre Kâmil et une autre
Tina qui ont vécu tout cela. Pourtant, chaque fois que je la regarde, je la
reconnais tout en ayant la désagréable sensation d’être un étranger à ses
yeux.
La porte de la salle de bain grince.
L’ouragan Tina en sort, dans un nuage de vapeur, rouge comme une
écrevisse. Elle se dirige d’un pas décidé vers son armoire à vêtements,
véritable éléphant dans un magasin de porcelaine. Ma Tina. Elle n’a pas
changé. Je me suis toujours étonné qu’un si petit corps puisse générer
autant d’agitation et de bruit. Perdue dans ses pensées, elle ne m’aperçoit
pas, sa serviette nouée autour de sa poitrine. Je n’ose même pas bouger.
Dans le doute, je me racle la gorge.
Son hurlement, doublé d’un saut de cabri, me force à me remettre sur
pieds, les mains levées en signe de paix. Les vêtements qu’elle avait tirés
de l’armoire s’effondrent au sol en même temps que sa serviette.
J’aurais aimé que mon corps ne réagisse pas. Mais la voir nue… dans ma
chambre…
Des insultes commencent à fuser, alors que je me détourne à toute
vitesse pour fixer le mur et lui laisser l’occasion de ramasser de quoi se
couvrir. Des vêtements m’atterrissent dessus dans un tonnerre de jurons.
Je soulève distraitement le soutien-gorge qui vient d’échouer sur mon
épaule et sa rage redouble.
Pas de doute, c’est bien ma Tina. Et moi, je suis apparemment un « gros
porc ».

1. Le cursus universitaire de base, aux USA, se découpe en quatre ans, l’équivalent de notre licence
française. La première année est souvent très ouverte, avec des matières principales, appelées
Majeures, qui orientent déjà l’étudiant vers ses futures spécialités, et des matières secondaires
obligatoires et optionnelles, souvent orientées vers ce qu’ils appellent les liberal arts, qui constituent
pour les étudiants un tronc culturel commun, appelées Mineures. Les étudiants de première année
sont appelés freshmen ; ceux de deuxième année, sophomores ; ceux de troisième année, junior ;
ceux de quatrième année, senior.
Chapitre 3 : Tina

Q
uand je n’ai presque plus aucun vêtement à portée de main et
qu’ils sont tous soit perchés sur une épaule de Kâmil soit à ses
pieds, je consens enfin à ramasser ma serviette. Pile à temps,
puisque la porte s’ouvre avec fracas.
Deux têtes, dont l’une me semble familière, apparaissent dans
l’embrasure et je leur jette une poignée de culottes à la figure.
— On frappe avant d’entrer ! pesté-je.
La porte s’est refermée, seul bouclier contre l’attaque de lingerie,
et une voix douce s’élève de derrière le battant.
— Salut, Tina, c’est Matthias, Jolan, Alex et Lys. Tout va bien, là-
dedans ?
— Ah non, ne m’implique pas là-dedans, fait une voix plus grave.
Je maintiens que c’est une mauvaise idée. Poussez-vous !
La porte s’ouvre en grand et je m’accroche à ma serviette. Dans
l’encadrement apparaît un jeune homme tiré à quatre épingles, beau
comme un dieu, auquel il aurait aussi emprunté l’arrogance. Il
arbore un sourire froid, entouré d’une barbe en ancre soignée, et me
dévisage avec un mépris qui me fait grincer des dents. Ses yeux ne
brillent pas, ils sont d’un bleu froid et mat.
— Je maintiens que c’était une mauvaise idée, répète-t-il, en
conclusion de son examen méticuleux.
Son regard se fiche sur Kâmil, alors qu’il rajuste une mèche qui
s’échappe de sa coiffure parfaitement maîtrisée, puis dévie sur moi :
— Tina, je t’avertis, ne t’avise pas de colporter le moindre
événement qui se produirait dans cette colocation.
— Range tes menaces, Alex, grogne Kâmil.
— Pourquoi ? Vous faites une partouze tous les vendredis soirs ?
Il lève les yeux au ciel et tire sa révérence, bien au-dessus de mon
humour bas de plafond. Je dois être trop idiote pour qu’il daigne
m’adresser la parole plus longtemps.
— Attendez, elle tient un truc, là, intervient un autre en filant une
frappe amicale, qui m’aurait sans doute tuée sur le coup, à Alex.
— Bon… voici Alex, reprend Matt en pointant l’arrogant qui quitte
la chambre comme un prince. Tu as déjà rencontré Lys, et le reste
d’entre nous vit ici.
Je le dévisage, certaine de le connaître.
— Ah, le fameux Big Five ?
Je ne peux pas empêcher la pointe de mépris dans ma voix. Ils
n’ont rien fait, mais le simple fait que Kâmil fasse partie de leur
bande me pousse à une méfiance qui frôle la paranoïa. Il faut que je
me reprenne.
J’entends un lourd soupir et Matthias s’emploie à me répondre :
— Oui, oui, c’est ça.
— Laissez-moi deviner. Alex, c’est quoi ? Le lion ?
— Bien vu, le roi de la jungle, s’enthousiasme Jolan.
— L’arrogance personnifiée ? proposé-je plutôt.
— Aussi…
— Toi, t’es un buffle, marmonné-je à l’adresse de Kâmil.
— Incroyable !
Jolan éclate de rire et Matt continue de me dévisager, l’air
sincèrement soucieux. Il me rappelle un peu Esmée dans sa façon
délicate de me jauger… Kâmil se décide enfin à intervenir avant que
j’enchaîne mes déductions :
— Matt, tout va bien. Ma sœur a oublié qu’elle ne vivait pas seule
dans cette chambre, c’est tout.
— Non, abruti, tu m’as dit que vous ne rentreriez pas avant une
heure du matin et Lys a confirmé ! Il est minuit.
— C’est vrai, moi aussi j’ai été surpris que vous rentriez si tôt,
intervient Lys en faisant une brève apparition dans l’encadrement de
la porte.
— On a bien roulé ! lance Jolan.
— Alors « bien », c’est pas le mot que j’utiliserais pour parler de la
conduite d’Alex. Disons qu’on a été rapides, propose Matthias.
— La prochaine fois, tu pourras conduire, commente le fameux
Alex depuis ce qui doit être sa propre chambre.
Un rire communicatif s’élève, celui de Jolan.
— Bon, bah, s’il n’y a rien de grave, on va vous laisser. Bonne
première nuit, Tina. Et bienvenue !
— Merci, lâché-je.
Je n’ose pas faire volte-face. Quand je me décide enfin à le faire,
Kâmil me tourne encore le dos. Je me hâte d’enfiler mon pyjama et
marmonne un « c’est bon » avant qu’il ouvre la bouche.
Il se passe une main derrière la tête et pousse un soupir plus
tremblant que puissant.
— Je n’avais pas imaginé ça, comme retrouvailles.
— Ben, va falloir faire avec, répliqué-je.
Je me glisse dans le lit qu’Esmée m’a aidée à faire un peu plus tôt
dans la soirée et me blottis sous la couette. C’est idiot. Il ne fait pas
froid. Il fait même affreusement chaud et je me sens cuire à
l’étouffée.
— Désolée… d’avoir crié.
Je perçois de façon très nette qu’il ravale une réplique sarcastique.
C’est rare que je présente des excuses. Il le sait, et il va devoir les
prendre sans rien dire sous peine que ça ne se reproduise plus
jamais.
— C’est rien, j’aurais peut-être dû frapper à la porte de la salle de
bain pour prévenir de mon arrivée.
— Peut-être.
Un silence pesant s’installe. Il m’a vue à poil. J’ai réussi à éviter ce
malheur pendant tout le temps où on a vécu sous le même toit. Et
c’est maintenant que ça arrive. Au bout de quelques heures passées
dans cette coloc infernale.
— Lys a l’air sympa, dis-je pour meubler.
— Il l’est.
— Les autres aussi.
Bon, sauf Alex, mais ce n’est pas ça qui va m’empêcher de
l’apprécier. Au moins, il a l’air sincère.
— Ils le sont.
— Bien. Bien. C’est bien.
Nouveau silence.
— Matt… Je le connais, je crois.
— Probablement. C’était le meilleur ami de David, jusqu’à leur
départ à la fac.
L’emploi du passé ne m’étonne pas. David, le frère aîné d’Esmée, a
pris un drôle de virage depuis deux ans. Il s’est renfermé et est
devenu encore plus égocentrique que jamais. Ce ne serait pas
étonnant que le solaire Matt n’ait pas pu supporter un changement
pareil.
Le silence est pesant. J’ai envie de crever.
— Tu…
— Je ?
— Tu n’as rien vu, hein ?
— Parce qu’il y a quelque chose à voir ?
J’ose enfin le regarder, seulement pour mieux viser en lui
balançant mon oreiller.
— Quoi ? Tu préférerais que je dise que ça m’a rendu toute
chose ? raille-t-il en serrant l’oreiller contre son cœur avec un air
niais, en battant de ses longs cils.
Le fait qu’il enlace si fort mon coussin fait ressortir les muscles de
ses bras. Je n’ai jamais pigé comment il avait pu passer de crevette
d’eau douce à.. eh bien, ça. Le football ne peut pas tout expliquer.
Je comprends sa popularité. Il l’avait déjà gagnée au lycée, quand
il a atteint son mètre quatre-vingt-dix. Un teint mat, de grands yeux
noirs, une barbe fournie et entretenue sur une mâchoire solide et
des cheveux ébène gardés mi-longs pour mieux les repousser en
arrière… Difficile de ne pas le remarquer. Très difficile.
J’ai passé davantage d’années de ma vie à l’aimer que d’années
sans le connaître, à ne pas encore savoir que mon cœur ne
grandissait que pour lui.
Je l’aime depuis le temps où il faisait une tête de moins que moi.
Le voir me dépasser tout à coup m’a perturbée plus que de raison.
Ce n’est plus franchement moi qui le défendrai, désormais. Et ça, il
adorerait que je l’admette.
— J’aurais préféré que tu la fermes, bougonné-je finalement, à
court de répliques cinglantes.
— Alors, il ne fallait pas me poser la question.
Il se relève, me balance mon oreiller dans la face et s’enferme
dans la salle de bain. J’en profite pour me débarrasser de la
couverture et me tourner de façon à ne plus lui montrer que mon
dos lorsqu’il reviendra. Le sommeil ne tarde pas à me rafler. Je me
suis toujours endormie plus facilement quand je sais qu’il est tout
près.

Je suis occupée à attacher mes rollers sur le perron quand Jolan


passe le pas de la porte et manque de trébucher sur moi.
— Wow ! fait-il en effectuant un saut de gazelle pour atterrir
souplement au bas des quatre marches.
— Désolée, je pensais que tout le monde était parti, dis-je avec un
sourire contrit.
— Y’a pas de mal.
Il observe mon accoutrement, peu adapté probablement pour un
tour en rollers, et le sac à dos sur mes épaules. J’aime bien avoir l’air
d’une fée un peu énervée, ça trouble les gens et ça me permet
souvent de m’en tirer à bon compte. Petite jupe, petit haut, mais sac
et chaussures de barbare, encore souillés de boue de ma dernière
expédition. Ça me rappelle chaque jour pourquoi je me coltine la fac.
— C’est un sac de rando ? Tu te rends à la journée découverte ou
en expédition ?
— La marée humaine est une expédition en soi, lancé-je en me
redressant, tout sourire. J’ai hâte !
— Quel enthousiasme !
Il a une énergie vivace, comme la mienne. Elle n’est pas contrôlée,
pas endiguée. Elle circule librement et ça me plaît.
— Natation ? demandé-je en l’observant à la dérobée pendant que
je règle les lanières de mon sac.
Ses yeux se plissent et un sourire appréciateur ourle ses lèvres.
Encore un qui n’a pas perdu à la loterie génétique. La peau sombre,
les prunelles d’un marron clair presque ambré, les cheveux longs,
crépus, rassemblés en un chignon haut. Kâmil et lui se démarquent
par leur allure de sportifs, contrairement à Matt, Lys et Alex, qui
opèrent dans d’autres catégories.
— Observatrice.
— Pas trop, mais on pourrait poser un plateau sur chacune de tes
épaules.
Il éclate de rire et se dirige vers le râtelier à vélo où il bidouille un
instant son cadenas avant que celui-ci ne cède à sa clé.
— Tu sais où aller ?
— Franchement, non, j’ai le plan du campus sur mon téléphone,
mais…
— Allez, je t’accompagne… Si tu arrives à me suivre !
— Oh là, mon coco. Si tu crois que je suis du genre à refuser un
défi…
Il enfourche son vélo et s’élance. Je me mets aussitôt en route,
croquant avec joie dans la pomme que je n’ai pas pu manger la
veille.
La sensation du bitume sous mes roues, le bruit de leur
frottement… ça n’a pas de prix. Je n’ai peut-être pas encore le
permis, mais ça, ça vaut tous les moyens de transport du monde !

— T’as compris quelque chose ? demandé-je à Esmée, une fois


sortie de la salle.
Esmée prend un air alarmé, mais c’est une autre voix, à côté de
nous, qui formule sa pensée à sa place, d’un ton sincèrement
étonné :
— Tu n’as pas compris quelque chose ?
— En fait, j’ai eu un peu de mal à écouter, répliqué-je, tout
sourire, en me retournant.
Un jeune homme agite le carnet qu’il tient dans sa main. Il a le
visage doux, l’air presque craintif, et son regard m’accroche à travers
ses lunettes pour me lâcher la seconde d’après. Il est habillé comme
sur les photos de mon grand-père, datant des années cinquante.
Seuls ses cheveux châtains sont en désordre, contraste brutal et
intéressant avec sa tenue au carré. Étrangement, ça lui va bien.
— J’ai pris des notes, ajoute-t-il. Je peux te les passer pour que tu
les photocopies, si tu veux.
— C’est hyper sympa. Plus que ta remarque ! Je veux bien.
— Pardon, je ne voulais pas être désagréable, me dit-il, le regard
soucieux.
J’attends qu’il me tende le carnet pour m’en saisir, ce qu’il ne tarde
pas à faire avec un air de chien battu.
— Je me vexe pas facilement, ne t’inquiète pas.
Ou plutôt, rares sont les personnes qui me vexent. En vérité, il n’y
en a qu’une qui y parvient. Kâmil, évidemment.
— Tu t’appelles… demandé-je.
— Elie.
Puis, comme s’il venait de se souvenir de quelque chose, il ajoute
précipitamment :
— Et toi ?
— Contente de te rencontrer, Elie. Moi, c’est Tina. Et elle, c’est
Esmée.
Esmée lui adresse l’un de ses sourires doux dont elle a le secret et
le jeune homme fronce les sourcils, comme s’il réfléchissait à ce qu’il
avait bien pu faire pour mériter un regard aussi amène.
Il acquiesce, cherche vaguement quelque chose à dire, une
échappatoire, puis ses épaules se relâchent sous son air penaud.
Ses traits sont fins, mobiles, durcis par un nez à l’arête si droite
qu’on pourrait se couper dessus. Il a l’air de vouloir se faire
tellement petit qu’il ne paraît pas si grand. Pourtant, il me dépasse
d’au moins deux têtes, ce qui n’est pas un exploit en soi, vu ma
taille.
— Où est-ce que tu loges ? demandé-je en feuilletant son carnet
pour lui éviter le poids de mon regard.
La tension retombe. Esmée et lui ont l’air soulagés que je fasse la
conversation.
— Dans une résidence, sur la bordure Est du campus.
— Oh, génial, la nôtre a été inondée !
Il écarquille les yeux et lâche un « ah ».
— Tu as eu l’occasion d’explorer le campus ?
— Un peu, je cherche un travail pour l’année.
— Ah, nous aussi. On comptait faire le tour du campus et déposer
nos CV, cet aprèm. Viens avec nous ?
Il hésite clairement. La perspective d’être avec nous semble le
plonger dans un désarroi décisionnel intense. Je n’ai jamais vu des
yeux aussi expressifs. Un vrai livre ouvert. Passionnant.
— D’accord, je veux bien vous accompagner.
— Ma voiture est garée là-bas, je peux servir de chauffeur,
propose Esmée.
Nous la suivons jusqu’au parking et un nouveau silence s’installe
dans l’habitacle.
— Tu as pris quoi comme cours ?
Il rougit et s’embourbe dans une série de phrases parmi lesquelles
je capte « psychologie » et « sociologie ».
— Oh, génial, on aura des matières en commun ! Je suis en Major
histoire, mais j’ai étendu le plus possible aux sciences humaines, en
particulier à l’anthropologie.
Il n’a pas l’air de partager mon enthousiasme, mais ce n’est pas
grave. J’ai hâte d’apprendre à le connaître ! Esmée semble adhérer
au jeune homme, elle ne cesse de sourire, alors que notre
exploration commence.
Le campus est immense. Même en voiture, le trajet me paraît
long. J’ai essayé de mémoriser un maximum de lieux grâce à la
carte, mais il me faudra quelques balades pour me familiariser
définitivement avec son organisation et surtout pour repérer les
recoins moins connus.
Le centre du campus réunit les bâtiments les plus anciens,
construits dans un style baroque, qu’accompagnent à merveille les
nombreuses statues, parfois colossales, de corbeaux, symbole de
l’Université de Lebanon. Les constructions modernes servent de
résidence aux étudiants ou de locaux aux filières les plus récentes.
D’après Elie, on peut trouver quelques vieux édifices, chargés
d’histoire, un peu partout sur le campus, qui n’est rien d’autre
qu’une petite ville. Alors que nous roulons, il nous en désigne
quelques-uns, disséminés dans les espaces de verdure squattés par
des élèves avides de profiter des derniers rayons de soleil de l’été.
Je suis médusée par le nombre de cafétérias, cafés et restaurants
universitaires, qui pullulent près de chaque bâtiment important. Je
suis certaine de pouvoir trouver un job, à condition de m’y prendre
avant le reste de nos camarades. Elie nous apprend qu’un bus passe
toutes les demi-heures jusqu’à une heure du matin. Si jamais je
trouve un boulot qui me fait terminer trop tard, j’ai une solution
toute prête !
On nous ferme la porte des premiers établissements, dont l’équipe
est déjà complète. Après deux heures d’errance, une serveuse –
Gabriella, d’après le nom crocheté à sa chemise – s’empare de nos
CV et les parcourt avec attention. Esmée m’adresse un sourire
confiant. Elle aussi a flashé sur le regard bienveillant qui s’est posé
sur nous et sur le chignon brun beaucoup trop imposant que la
jeune femme a hissé sur sa tête. Ses yeux, d’un marron très clair,
sont mis en valeur par un léger strabisme convergent, qui lui donne
un air étrangement félin.
Le café que nous avons déniché, Le Chat qui danse, nous a été
indiqué par un senior et se trouve à l’intérieur de la bibliothèque,
dans l’entrée où s’enracine l’escalier qui dessert chaque étage. Les
tables de travail se situent au rez-de-chaussée, où s’étalent
également les étagères contenant les livres de sciences humaines.
Autant dire que je risque de passer du temps ici, que j’y obtienne du
boulot ou non.
— J’en parle au patron, mais je pense que ça peut le faire, dit-elle
avec un grand sourire, la main sur le cœur. Tout notre personnel a
eu son bachelor l’an dernier, il ne reste plus que moi. Et vous avez
l’air tellement choux.
— C’est vrai ? m’exclamé-je.
J’ai toujours travaillé comme je le pouvais, avide de mettre de
l’argent de côté pour m’offrir un long voyage. Mais je n’ai jamais eu
la chance d’être serveuse. En plus, ça paiera mon loyer à la coloc, le
temps que j’y reste. Je n’ai aucune envie de me sentir redevable.
Elie s’agite. Gabriella lui tapote l’épaule d’un geste amical, qui le
raidit complètement.
— Ne t’inquiète pas, nos clients sont des étudiants en galère,
comme toi, il n’y a pas de raison d’avoir peur.
Incroyable qu’elle ait ressenti sa trouille, mais pas sa réticence à
être touché. Je retiens difficilement un rire. Les gens sont fascinants.
— C’est pas bon pour tes énergies d’être aussi tendu, respire,
ajoute-t-elle en lui montrant l’exemple d’une profonde inspiration.
Elie la dévisage, un sourcil haussé, puis me lance un regard de
détresse.
— Oui, Elie, ouvre tes chakras, le taquiné-je.
— Pitié.
Mon regard balaye le café tout en bois et en pierre, à l’image du
reste de la bibliothèque et des plus anciens bâtiments du campus.
Une fontaine avec un chat dansant trône en plein milieu de la pièce
et diffuse un agréable bruit d’eau. Autour d’elle sont disposées de
petites tables rondes, en fer forgé. Les côtés de la salle sont occupés
par des tables dotées de bancs à assise moelleuse et à dossier haut,
en bois massif, qui isolent quelque peu les étudiants de leurs voisins.
— Je vous téléphone dès que j’ai vu le patron, lance finalement
Gabriella après avoir jeté un dernier coup d’œil à nos CV et à nos
bouilles, le sourire aimable.
Elle fait volte-face et s’éloigne sans un mot de plus. Esmée et moi
échangeons un regard. Elie est toujours un peu tendu, mais nous
suit vers la sortie.
— Eh bien, c’était moins compliqué que ce que je pensais,
s’étonne Esmée. Je croyais qu’on ne trouverait rien et qu’il nous
faudrait nous tourner vers le service des carrières pour chercher
dans Nashville même.
— Dans quoi est-ce que je me suis fourré ? marmonne Elie.
— On sera avec toi, ne t’inquiète pas, le rassuré-je en me retenant
de faire la même bourde que Gabriella.
Il m’adresse un sourire tendu, alors que nous regagnons la voiture
d’Esmée. Nous ne sommes pas très loin de nos lieux de vie
respectifs, aussi se propose-t-elle de nous déposer un à un avant de
repartir dans Nashville, chez son frère. Ce dernier en est à sa
troisième année d’études et semble bien décidé à s’implanter dans le
coin. Il dispose d’un joli petit appartement qui n’a malheureusement
qu’une chambre et un canapé peu confortable, si j’en crois les
tensions dans le cou d’Esmée, qui peine à faire ses angles morts en
conduisant. Je n’ai jamais trop apprécié le bonhomme et je
l’apprécie encore moins de ne pas au moins trouver un surmatelas
pour sa sœur.
Une fois Elie arrivé à sa résidence, nous avons toutes deux repris
le chemin de Nashville. Sa voiture s’arrête dans Lebanon, devant
l’entrée de la colocation. Par la fenêtre du salon, je distingue du
mouvement. Certains doivent être déjà rentrés. Je descends du
véhicule et Esmée se penche un peu pour m’apercevoir. Elle grimace
et se masse le cou avant de demander :
— Avec Kâmil… ça va ?
— Il m’a vue à poil, hier, mais tout baigne.
Elle rougit puis pâlit.
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— Seis!

Sanders oli vaihtelevalla päällä, ja häntä hiukan kiukutti, koska


hän huomasi itsekin olevansa epävakainen.

— Minkälaisena sait lääkkeen? Pulverina, liuoksena, vai…

Miehen huulet olivat kuivat. Hän ei voinut enää muuta kuin


pudistaa päätänsä avuttomana.

— Päästäkää hänet, sanoi Sanders. Ja Abibu päästi silmukan ja


irrotti hänen kätensä.

— Jos sinä olet valehdellut minulle, sanoi Sanders, — niin sinä


kuolet auringon laskiessa. Kerro ensin Paholaismiehestä, sillä olen
halukas tekemään hänen kanssaan tuttavuutta.

Hän antoi miehelle kymmenen minuuttia aikaa selvitä pelostaan ja


haetti sitten hänet.

— Herra, sanoi hän, — en tiedä mitään muuta Paholaismiehestä,


kuin että hän on maailman suurin poppamies, ja öisin, kun kuu on
ylhäällä ja muutamat tähdet tietyillä paikoillaan, hän tulee kuin aave,
ja me kaikki pelkäämme. Sitten ne, jotka tarvitsevat häntä, menevät
metsään, ja hän antaa meille tarpeemme mukaan.

— Miten hän säilytti lääkettä?

— Herra, se oli kristalliputkessa, jollaisessa valkeat miehet pitävät


lääkkeitään. Tuon sen sinulle.

Hän meni majaansa ja palasi muutaman minuutin kuluttua


mukanaan pieni lasiputki, juuri samanlainen kuin sekin, joka oli
Sandersin hallussa. Komissaari otti sen ja haistoi. Siinä oli hieno
mantelin haju, ja Sanders vihelsi, sillä hän tunsi sinihapon jälkihajun.
Ja se ei ole niitä lääkkeitä, joita poppamiehet tuntevat, vielä
vähemmin käyttävät.

*****

»Voin vain arvella», Sanders kirjoitti päämajaan, »että jonkin


väärinkäytöksen vuoksi sir George Carsley vainajan lääkearkku on
joutunut jonkun alkuasukastohtorin haltuun. Muistanette, että
laatikko oli professorin matkassa, kun hän hukkui. Se on ehkä
ajautunut rantaan ja joku on sen löytänyt… Tällä välin teen uutterasti
tiedusteluja saadakseni selville, kuka on tämä Paholaismies, joka
näyttää äkkiä päässeen suureen maineeseen.»

Sandersille alkoivat, unettomat yöt, nopeitten marssien, joutuisien


jokimatkojen, odottamattomien kyliinsaapumisten, metsäisten
valvomisien ja outojen koskien laskun öitä. Mutta hän ei tavannut
Paholaismiestä, vaikka hän kuuli monia mielenkiintoisia asioita.
Voimakkain hänen taikakapineistaan oli laatikko, »näin pieni», sanoi
joku, joka oli sen nähnyt, ja piirsi kuusituumaisen neliön. Tässä
rasiassa asui pieni vahingonhaluinen jumala, joka nipisteli ja repi
(kuitenkin jälkeä jättämättä), joka saattoi pistellä neuloja
ihmisruumiiseen niin, ettei koskaan tullut verta.

— Minä luovun tästä, sanoi Sanders epätoivoisena ja palasi


asemalleen pohtimaan asiaa selväksi.

Hän istui eräänä iltana päivällisellään, kun kaukaa joelta kuului


rummun ääni. Se ei ollut tavallista lokaliääntä, vaan sarjoittaisia
lyöntejä, ja astuen äänettömästi ovelle hän kuunteli.
Hän oli lainannut hausamerkinantajia päämajasta ja asettanut
heitä joen varteen. Hiljaisessa yössä kuuluu rummun ääni kauas,
mutta rautapuukeppien rätinä onttoon puunrunkoon kuuluu
kauemmaksi.

Klok-klok, klokoti-klok.

Se kaikui kuin kaukaisen härkälauman mylvintä, mutta Sanders


otti selvän kirjaimista.

— Paholaismies uhraa huomisyönä Unien metsässä.

Kun hän oli kirjoittamassa tiedonantoa valkoisen takkinsa liepeelle,


tuli Abibu juosten polkua pitkin.

— Olen kuullut, sanoi Sanders lyhyesti. — Onko puk-a-pukissa


höyryä?

— Olemme valmiit, sanoi mies.

Sanders otti vain pistoolinsa seinältä ja heitti päällystakin


kainaloonsa, sillä hänen matkakapineensa olivat jo »Zairella» —
olivat olleet jo kolme päivää.

Pimeässä hänen laivansa terävä keula kääntyi joelle, ja


kymmenen minuutin kuluttua viestin saapumisesta alus kynti jo jokea
vastavirtaan.

Koko yön laiva kulki luovien rannalta toiselle välttääkseen kareja.

Aamu tapasi sen puupaikalla, jossa miehet kuumeisen kiireesti


pinosivat sen kannelle puita, kunnes se näytti halkoalukselta.
Sitten matkalle jälleen pysähtyen vain kuulemaan sinne tänne
joelle siroteltujen vakoojien vahvistuksia tulevasta uhrista.

Sanders tuli Unien metsän laitaan keskiyöllä ja pysähtyi. Hänen


mukanaan oli kymmenen hausapoliisia, ja näiden etunenässä hän
astui maalle metsän pimentoon. Yksi sotilas kulki edellä etsien
polkua, ja yhdessä rivissä joukkue aloitti kaksituntisen marssin.
Kerran he tapasivat kaksi leopardia taistelemassa, kerran he
kompastuivat polulla makaavaan puhveliin. Kahdesti heitä häiritsivät
oudot pedot, jotka hävisivät pensaikkoon heidän tullessaan ja
kulkivat nuuskien heidän jälkiään, kunnes Sanders valaisi niitä kohti
sähkölampullaan. Hiipien he tulivat uhripaikalle.

Ainakin kuusisataa henkeä kyykki puoliympyrässä


puunpökkelöistä rakennetun alttarin ympärillä. Suuret tulet paloivat ja
räiskyivät alttarin kahta puolta; mutta Sanders katseli
Paholaismiestä, joka nojasi alttarille makaamaan asetetun,
nähtävästi nukkuvan nuoren tytön yli.

Kerran paholaismiehellä oli ollut sivistyneen miehen puku, nyt


hänellä oli ryysyt yllään. Hän seisoi siinä lyhyihin liiveihin
pukeutuneena, valkea parta sekaisena ja kampaamattomana, kasvot
kalpeina ja omituinen tuli silmissään. Hänen kädessään oli kiiltävä
veitsi, ja hän puhui — kummallista kyllä, englantia.

— Tämä, hyvät herrat, sanoi hän nojaten kömpelösti tehtyä,


alttaria vasten ja puhuen varmana kuin ainakin mies, joka on pitänyt
monta samanlaista luentoa, — on vakava trypanosomiatapaus.
Voitte huomata kasvojen muuttuneen värin, hämärät silmäterät, ja
nyt voitte havaita rauhasten epänormaalisuuden, joka on varma
tuntomerkki.
Hän vaikeni ja katsoi suopeasti ympärilleen.

— Voin sanoa eläneeni pitkän ajan alkuasukkaiden keskuudessa.


Minulla oli Keski-Afrikassa kunnioitetun poppamiehen asema…

Hän pysähtyi ja siveli kädellään kulmiaan, koettaen muistella


jotakin; sitten hän tapasi jälleen kadotetun lankansa.

Koko hänen puheensa ajan puolialaston yleisö istui vaiteliaana ja


peloissaan, ymmärtämättä mitään muuta kuin että sen edessä oli
valkokasvoinen poppamies, joka ei ollut tullut mistään ja oli
matkaansaattanut ihmeitä — hänen taikalaatikkonsa osoittautui
sähköpatteriksi — ryhtyen nyt toimittamaan omituisia menoja.

— Herrat, jatkoi mies naputtaen uhrinsa rintaa veitsensä päällä, —


aion toimittaa leikkauksen…

Sanders astui piilopaikastaan ja meni vakavana väliaikaisen


leikkauspöydän ääreen.

— Professori, sanoi hän hiljaa, ja mielipuoli katsoi häneen


hämmästyksestä silmiään rypistäen.

— Keskeytätte leikkauksen, sanoi hän ponnekkaasti, — panen


vastalauseeni…

— Tiedän, herra professori.

Sanders tarttui hänen kainaloonsa, ja sir George Carsley, suuri


tiedemies, suuren lontoolaisen sairaalan neuvotteleva lääkäri ja
monen troopillisia tauteja käsittelevän kirjan tekijä, läksi hänen
mukaansa kuin lapsi.
YKSINÄINEN

Komissaari Sanders oli elänyt niin kauan alkuasukasten parissa, että


hän oli imenyt itseensä suuressa määrin heidän yksinkertaisuuttaan,
Vielä enemmän: hän oli saanut vaarallisen voiman tietää asioita,
joita hän ei olisi tietänyt, ellei hänellä olisi ollut sitä aavistamisen
kykyä, joka on kaikkien alkuasukkaiden synnyinlahja.

Hän oli lähettänyt kolme vakoojaa Isisiin — joka on kaukana


päämajasta ja hankalan taipalen takana — ja kahden kuukauden
jälkeen he palasivat yksissä tuoden hyviä tietoja.

Tämä ärsytti Sandersia suunnattomasti.

— Herra, sanon, että Isisi on hiljainen, intti yksi vakooja, — eikä


siellä ole puhettakaan sodasta.

— Hm! sanoi Sanders kaunistelematta. — Entä sinä?

Hän kääntyi toiseen vakoojaan.

— Herra, sanoi mies, — menin metsään, maan rajoille, eikä siellä


ole puhettakaan sodasta. Päälliköt ja päämiehet kertoivat minulle
niin.
— Tietenkin olet suuri vakooja, ivasi Sanders, — ja miten menit
päälliköiden ja päämiesten luo? Ja miten he tervehtivät sinua? 'Hei!
Sandin salainen vakooja?' Hah!

Kädellään viitaten hän käski miesten mennä, pani kypärän


päähänsä ja meni hausain luo, jotka pelailivat vaikeitten
kasarmiensa varjossa.

Hausain kapteeni oli valmistamassa lääkettä palturipaperista ja


kiniinistä.

Sanders huomasi hänen kätensä vapisevan ja puhui ärtyisästi.

— Isisissä on kommelluksia, sanoi hän. — Haistan sen. En tiedä,


mitä se on — mutta siellä on jonkinlaista sekamelskaa.

— Salaisia seuroja? ehdotti hausa.

— Salaisia isoäitejä, ärisi Sanders. — Montako miestä sinulla on?

— Kuusikymmentä, siihen luettuna rammat ja vaivaiset, sanoi


hausaupseeri ja nieli palturillisen kiniiniä irvistäen.

Sanders naputti saapastaan norsunluukepillä ja ajatteli.

— Voin tarvita niitä, sanoi hän. — Lähden silmäämään, mikä


isisiläisiä vaivaa.

*****

Henkien joesta erkanevan joen varrelle Imgani, Yksinäinen,


rakensi talon. Hän rakensi sen oikeaan tapaan, varastaen puun
viiden mailin päässä olevasta kylästä. Tässä kylässä oli sattunut
monta kuolemantapausta taudin vuoksi, ja Ylijoen tapa on se, että
kun mies kuolee, hänen majansa kuolee myös.

Ei yksikään mies hae suojaa sellaisen kirotun katon varjosta, jonka


alla Henki istuu mietiskellen; kuolleen miehen aseet särjetään ja
sirotellaan hänen haudalleen, ja hänen vaimojensa padat asetetaan
sinne myös.

Pian tuulien ja sateiden yhteisvaikutuksesta ruokokatto vaipuu ja


painuu, ovenpielet mätänevät; norsunruoho, korkea ja vahva,
nousee seinän ja katon raoista; tulee sitten hieman tavallista
vahvempi tuuli ja vahvempi sade, ja metsä on lakaissut ruman
paikan puhtaaksi.

Imgani, joka sanoi olevansa ngombilaisia eikä pelännyt paholaisia


— ei ainakaan Isisin paholaisia — varasti ovenpieliä ja
alkuasukasköyttä pelkäämättä. Hän varasti niitä öisin, kun kuu oli
puiden takana, ja ivasi kuolleita henkiä sättien niitä pahoilla ja
häväisevillä nimillä.

Kuitenkin hän teki työtänsä varovasti; sillä vaikka hän ei


ottanutkaan lukuun henkiä, piti hän silti suuressa arvossa eläviä
isisiläisiä, jotka olisivat saattaneet hänet alttiiksi kuolemalle, jos
hänen hommansa olisi tullut ilmi, vaikka, kummallista kyllä, hän
pelkäsi kuolemaa vähimmin.

Niin hän varasti kirottuja pönkkiä ja kirottuja kattopuita, olisipa


varastanut katotkin, mutta ne olivat hyvin vanhoja ja täynnä
hämähäkkejä.

Hän tuli ja otti kaikkia näitä esineitä kantaen ne viiden mailin


matkan joen haaraan, ja siellä hän hiljalleen rakensi pienen talon.
Päivät hän nukkui, yöllä hän metsästi eläimiä ja pyyti kaloja, mutta
hän ei yrittänytkään pyydystää suuria lepakoita, jotka tulivat joen
keskellä olevilta saarilta, vaikka ne ovat hyvin maukkaita ja herkkua
alkuasukkaiden kesken.

Eräänä päivänä juuri ennen auringonlaskua hän meni


metsästämään seebroja. Hänellä oli kaksi pitkää metsästyskeihästä,
jollaiset parhaat tehdään Ngombissa, punottu kilpi, ja hänen
selässään riippui nahkahihnassa kuivattuja kaloja, jotka hän oli
pyytänyt joesta.

Imgani oli keskikasvuinen mies, muuten rakenteeltaan


keskulainen, mutta hartioiltaan leveä. Hänen ihonsa kiilsi terveyttä, ja
hänen astuntansa oli kevyt. Kun hän käveli, niin hänen
selkälihaksensa liikkuivat ja kehräsivät kuin hyvinkasvatetun
täysiverisen juoksijan lihakset.

Hän oli puolitiessä metsässä, kun hän tapasi tytön. Tämä kantoi
maniokkikimppua päänsä päällä ja käveli miellyttävästi.

Kun tyttö näki Imganin, hän pysähtyi heti ja kuoleman ja sitäkin


pahemman pelko tuli hänen silmiinsä, sillä hän tiesi Imganin olevan
hylkiön, jolla ei ollut omaisia eikä sukulaisia. Sellaiset miehet ovat
pahempia kuin ingalit, jotka nousevat ruohikosta ja iskevät
myrkkyhampaansa ihmisen sääreen.

He seisoivat tarkastellen toinen toistaan, mies nojaten molemmin


käsin keihäisiinsä, poski kärkiä vasten; tyttö vapisi.

— Nainen, mihin menet? sanoi Imgani.


— Herra, menen joen rannalla olevaan kylään, sillä tämä on tie
sinne, hätäili tyttö.

— Mitä sinulla on siinä?

— Maniokki, leiväntekoon, kuiskasi tyttö tukahtuneesti.

— Olet juurensyöjä, sanoi Imgani nyökäten.

— Herra, anna minun mennä, sanoi tyttö tuijottaen häneen.

Imgani pudisti päätänsä.

— Huomaan, että pelkäät minua — enkä kuitenkaan halua mitään


sinulta. Minä olen Imgani, joka merkitsee Yksinäinen, eivätkä minua
himoita vaimot eivätkä naiset, koska olen liian ylhäinen mies
sellaiseen. Olet turvassa, juurensyöjä, sillä jos haluan, voin täyttää
tämän metsän päälliköntyttärillä, jotka kaikki juoksevat minun
perässäni.

Tytön pelko oli hävinnyt, ja hän katseli Imgania kummissaan.


Tunnustipa hän mielessään miehen kerskailun voivan olla
aiheellista. Ehkä hän oli hieman ottanut nenäänsä, sillä hän sanoi
kylläkin pistävästi, käyttäen isisiläistä sananlaskua:

— Vain vuohi määkii leopardin kidan jo ollessa avattuna —


isisiläiset lihovat vieraiden kustannuksella.

— Alajuoksun varrella sanotaan isisiläisten myyvän miehiä


arabeille, sanoi mies miettivänä. — Se on pahaa puhetta; voit
mennä.

Nyökäten uudelleen hän kehoitti tyttöä poistumaan.


Tyttö oli mennyt vähän matkaa, kun Imgani huusi hänet takaisin.

— Juurensyöjä, sanoi hän, — jos miehet kysyvät, kuka olen, niin


sano, että olen Imgani Yksinäinen, joka on ruhtinas ruhtinaiden
joukossa; aikoinani olen tappanut monta miestä, niin monta, etten
muistakaan. Sano myös, että talostani joen rannalla, jonka olen
rakentanut, niin kauas kuin silmä kantaa, joka suunnalle, ulottuu
minun kuningaskuntani, älköönkä kukaan astuko sinne muuten kuin
kantaen käsissään lahjoja, sillä olen hyvin kauhea ja julma.

— Herra, sanoi tyttö, — sanon tämän.

Ja hän meni puolijuoksua, jättäen Imganin jatkamaan matkaansa.

Nyt oli kylässä monta miestä, jotka halusivat olla mieliksi tytölle,
joka kantoi juuria, sillä hän oli päällikön tytär ja sitä paitsi
neljäntoistavuotias, naimisiinmenoiässä. Kun hän siis tuli juosten
kylän kadulle puoleksi hermostuneena pelosta, itkien ja nyyhkyttäen,
ei häneltä puuttunut myötätuntoa eikä palvelijoita, jotka olivat
halukkaat tappamaan loukkaajan.

Keihästä ja lyhyttä miekkaa heiluttaen kuusi miestä tanssi


päällikön ja päällikön tyttären edessä (miltä tämä tuntui tytöstä, voi
jokainen nainen kertoa), ja yksi heistä, Ekebi, jolle oli kieli lahjoitettu,
kuvaili auringonlaskusta kuunnousuun, mikä tekee neljä tuntia, mitä
tapahtuisi Imganille, kun isisiläiset hyökkäisivät hänen kimppuunsa;
kuinka hänen silmänsä väpättäisivät kuin kauhean suuren tulen
edessä, kuinka hänen jalkansa kiepahtaisivat ylöskäsin ja mitä muita
muutoksia tapahtuisi, joita ei tässä tarvitse luetella.

— Tämä on hyvää puhetta, sanoi päällikkö, — mutta koska Sandi


on meidän päällikkömme ja hänellä, on vakoojia kaikkialla, niin älkää
vuodattako verta, sillä veren haju kantautuu kauemmas kuin mies voi
nähdä. Ja tässä tappamisasiassa Sandi on hyvin pirullinen.
Muutenkin, tämä Yksinäinen on vieras, ja jos me sieppaamme hänet,
voimme myydä hänet arabeille, jotka antavat meille hänen
hinnakseen kangasta ja viinaa.

Kuultuaan kaiken tämän he uhrasivat nuoren vohlan ja lähtivät. He


tulivat Imganin talolle, mutta Yksinäinen ei ollut siellä, sillä hän oli
metsässä ajamassa eläimiä; niinpä he polttivat hänen talonsa,
myllersivät hänen puutarhansa, ja kun heihin oli yhtynyt suuri
isisiläisjoukko, joka oli seurannut kunnioittavan matkan päässä, niin
kaikki muu, josta Imgani oli ollut ylpeä, tehtiin olemattomaksi; he
pitivät suuren juhlan, kunnes äkkiä alkoi aurinko paistaa joen
saarelle ja taivaan pienet tähdet häipyivät pois.

Imgani näki kaiken tämän nojatessaan keihäisiinsä metsän


varjossa, mutta hän tyytyi olemaan näkijänä.

Sillä, hän päätteli, jos hän menisi heitä vastaan, niin he voisivat
tappaa hänet tai piestä häntä ruo'oilla, mitä hänen ylpeä luonteensa
ei sallinut.

Hän näki liekkien nuoleksivan taloa, joka oli rakennettu suurella


vaivalla.

— He ovat hupsuja ihmisiä, jupisi hän, — sillä he polttavat


omaansa, ja ehkä kuoleman henget suuttuvat heihin ja kasvattavat
heihin paiseita.

Kun kaikki, mitä hänen omaisuudestaan oli jäljellä, oli vain


tuhkaläjä, tummanpunainen hehku ja kiemurteleva savupatsas, niin
Imgani käänsi kasvonsa metsää kohti.
Koko päivän hän käveli pysähtyen vain syömään eväänään olevaa
kalaa, ja illalla hän tuli toiseen isisiläiskylään, jonka nimi oli Ofasi.

Hän kulki kylän kadun läpi leveäharteisena ja pystypäisenä


heiluttaen keihäitään suurellisesti. Hän ei katsonut oikeaan eikä
vasempaan; ja kyläläiset kokoontuivat majojensa oville ja sanoivat O
koi, mikä merkitsee, että he olivat hämmästyneitä.

Niin hän vaelsi koko kylän läpi ja oli juuri pääsemässä


metsäpolulle, kun sanantuoja juoksi hänen jälkeensä.

— Herra, sanoi sanantuoja, — tämän kylän päällikkö, joka on


hallitukselle vastuussa kaikista ohikulkijoista, erittäinkin varkaista,
jotka ovat päässeet pakoon Kahleittenkylästä, haluaa nähdä sinut,
varmana siitä, että sinä et ole varas, vaan korkea henkilö, ja haluaa
kunnioittaa sinua.

Niin hän sanoi, ja rauhallisena miehenä, joka oli päässyt


asemaansa sen nojalla, että oli päällikön päävaimon sukulainen, hän
piti tarkoin silmällä leveitä keihäitä ja pakotien selvänä.

— Mene takaisin herrasi luo, orja, sanoi Imgani, ja sano hänelle,


että menen etsimään tarpeeksi yksinäisen paikan, jossa voin nukkua
tämän yön ja ajatella korkeita asioita. Kun olen sen paikan löytänyt,
niin palaan. Sano myös, että olen oman kansani ruhtinas ja että
minun isälläni on niin paljon sotamiehiä, että jos jokainen heistä
ottaisi kourallisen hiekkaa joen pohjalta, niin joki tulisi pohjattomaksi;
sano myös, että nimeni on Imgani ja että rakastan itseäni enemmän
kuin kukaan sen jälkeen kun kuu muuttui valkoiseksi, jottei olisi
auringon näköinen.

Hän meni jättäen sanantuojan ajatuksiinsa.


Lupauksensa mukaan Imgani palasi.

Hän tuli huomatakseen palaverin olevan käynnissä, mikä palaver


koski päällikön päävaimon sukulaista.

— Joka, sanoi päällikkö, — on laskenut häpeän päälleni, sillä hän


on samanlainen hupsu kuin serkkunsa, minun vaimoni.

— Herra, sanoi onneton sukulainen, — kehoitin häntä tulemaan,


mutta hän oli ylpeä mies ja sitä paitsi halusi mennä.

— Sinun äitisi oli hullu, sanoi päällikkö, — ja hänen äitinsä oli


hullu, ja isäsi, kuka hän sitten olikin, mitä ei kukaan tiedä, oli suuri
hullu.

Tämän mielenkiintoisen, perinnöllisen hulluuden raa'an todistelun


keskeytti Imganin paluu. Hän nousi mäen rinnettä, ja neuvosto
tarkasteli häntä aina tiukasti istuvaan leopardinnahkalakkiin
pistetystä leveästä partaveitsestä nilkoissa heläjäviin ohuihin
messinkirenkaisiin asti.

Päällikkö, joka ei ollut erityisemmän sotainen mies, katseli keihäitä


huomaten kädensijojen tulleen kiiltäviksi paljosta käytöstä.

— Herra, sanoi hän lempeästi, — olen tämän kylän päällikkö,


hallituksen nimittämä. Hallitus antoi minulle kaulassa kannettavan
mitalin, jonka toisella puolella oli suuren parrakkaan miehen kuva ja
toisella puolen muutamanlaisia paholaisenmerkkejä ja suurta voimaa
osoittavia kirjoituksia. Tämä annettiin minulle, jotta kaikki tietäisivät
minut päälliköksi, mutta olen sen kadottanut. Siitä huolimatta olen
tämän kylän päällikkö, niinkuin tästä paperista selviää.
Hän kaivoi vaatteittensa poimuista nahkapussin, josta veti
päivänvaloon hyvin tahraisen paperin.

Sangen huolellisesti hän avasi sen kääreestä, ja se osoittautui


viralliseksi kirjearkiksi, johon komissaari Sanders oli raapustanut
muutamia sanoja. Ne kuuluivat:

»Alikomissaareille, poliisipäälliköille ja hausajoukkojen


komentajille:

Pidättäkää ja vangitkaa omistaja, jos hänet tavataan muualta kuin


Isisin alueelta.»

Tähän yksinkertaiseen paperiin liittyy oma tarinansa. Se oli


aiheutunut hyökkäyksestä Ochorin alueelle ja oikeudenkäynnistä,
jossa päällikölle oli lyhyesti, mutta selvästi ennustettu, miten hänen
tulee käymään, jos hänet tavataan oman alueensa ulkopuolelta.

Imgani otti paperin käteensä ja hymyili. Hän käänteli sitä, raapi


kynnellään kirjoitusta nähdäkseen, oliko se oikeata, ja antoi sen
takaisin päällikölle.

— Se on hyvin ihmeellinen, vaikka en pelkää taikuutta,


lukuunottamatta erästä taikaa, jota minun isäni poppamiehet
käyttävät, sanoi hän, — enkä tunne hallitusta, joka hallitsisi minua.

Minkä jälkeen hän ryhtyi kertomaan heille isästään, hänen


sotajoukoistaan ja lukuisista muista yhtä mielenkiintoisista asioista.

— Epäilemättä te ymmärrätte minua, sanoi hän. Olen Yksinäinen,


vihaan ihmisten seuraa, sillä he ovat yhtä vaihtelevaisia kuin
vuoriston lumi. Sen vuoksi olen jättänyt taloni ja vaimoni, jotka olivat
niin uskollisia kuin naiset voivat olla, enkä ole ottanut mukaani
myöskään sotaväkeä, koska se oli minun isäni omaa.

Päällikkö oli hämmästynyt.

— En ymmärrä, miksi olet yksinäinen, sanoi hän, mutta


epäilemättä teit oikein jättäessäsi isäsi sotajoukot. Tämä on suuri
asia, joka vaatii miesten neuvottelua.

Ja hän käski lokalin kutsua kylän vanhemmat miehet koolle.

He tulivat tuoden kukin tullessaan juurakkotuolinsa ja asettuivat


katoksen suojaan, jossa päällikkökin istui.

Jälleen Imgani kertoi tarinansa; se käsitti suunnilleen


viisikymmentä vaimoa ja niin lukuisan sotajoukon kuin rannan
hiekka; ja luottavaiset isisiläiset kuuntelivat ja uskoivat.

— Ja minä tarvitsen tämän, sanoi Imgani puheensa päätteeksi; —


pieni talo on rakennettava joenrannalle sellaiseen paikkaan, ettei
yksikään polku mene sivuitseni eikä yksikään ihminen tule näkyviini,
sillä olen luonteeltani hyvin yksinäinen — ja suuri ihmisvihaaja.

Imgani meni asumaan luonnon hänelle luomalle aukealle ja hänen


uusien ystäviensä rakentamaan taloon. Muun vieraanvaraisuuden
hän torjui.

— En halua vaimoja, todisteli hän, — koska minulla on tekeillä


suuria suunnitelmia kuningaskuntani valloittamiseksi pahoilta
miehiltä, jotka ovat isäni neuvonantajia.

Yksinäinen hän todellakin oli, sillä kukaan ei nähnyt häntä muulloin


kuin sattumalta. Hänen tapanaan oli metsästää yöllä ja nukkua
kuumat päivät. Joskus, kun auringon punainen pallo painui joen
läntisen rannan metsän taa, kyläläiset näkivät sinisen savupatsaan
hänen tulestaan, kun hän keitti itselleen ilta-ateriaa; joskus joku
kotiinpalaava venemies näki hänen vaiteliaana kulkevan metsän läpi
kaatomatkoilleen.

He sanoivat häntä Vaiteliaaksi, ja hän tuli jopa hieman kuuluisaksi.

Vieläpä hän nautti isäntiensä luottamustakin. Isisi on Ulkomaan


joen päästävissä, jota myötävirtaa tuli öisin tyhjiä, omituisia veneitä
palaten öisin täynnä niskasta toisiinsa kytkettyjä ihmisiä, ja Ranskan
Länsi-Afrikan viranomaiset — Ranskan Länsi-Afrikka on Isisin
naapurina — kuulivat kertomuksia hyökkäyksistä ja ryöstöistä, joita
he eivät voineet tutkia, sillä Isisin raja on kuudensadan mailin päässä
ranskalaisesta päämajasta, erämaisen taipalen takana.

Imgani näki metsästysmatkoillaan asioita, jotka olisivat


hämmästyttäneet häntä, ellei hän olisi ollut melkein tunteeton mies.

Hän näki pieniä karavaaneja, jotka tulivat ryöstöretkiltä Ranskan


alueelta mukanaan vaikeroivia naisia ja kiroavia miehiä, kaikki
sidottuina.

Hän näki kummallista ihmisten laivausta öisin ja oppi tuntemaan


valkoviittaiset arabit, jotka käyttivät ruoskaa sangen taitavasti.

Eräänä yönä, kun hän seisoi katsellen kaikkia näitä asioita, El


Mahmud, kuuluisa kauppias, näki hänet kuunvalossa ja huomasi
hänen olevan vierasta väkeä.

— Mikä mies sinä olet? kysyi hän.

— Herra, sanoi Imgani, — olen vierasta kansaa, ngombilainen.


— Se on valhe, sanoi orjakauppias, — sillä sinulla ei ole
ngombilaisen merkkejä kasvoillasi; sinä olet puoliarabi. — Ja hän
puhutteli Imgania arabian kielellä.

Imgani pudisti päätänsä.

— Hän ei ymmärrä, sanoi orjakauppias apulaiselleen. — Ota selko


tämän miehen majasta; jonakin yönä otamme hänet, sillä hän on
rahan arvoinen.

Hän puhui arabiaa, ja apulainen nyökkäsi.

Kun orjakauppias tuli jälleen, niin kolme miestä kävi Imganin


majalla, mutta hän oli metsällä, ja hän oli metsällä joka kerran, kun
pitkät veneet tulivat Ofasiin.

*****

Sanders ei mennyt Ofasiin kuuteen kuukauteen, jonka ajan


kuluessa — se on mainittava — ei tapahtunut mitään, minkä
perusteella olisi voitu kuvitella tulevia levottomuuksia.

Hänen oli tehtävä puolivuosimatkansa Isisiin. Tähkät olivat olleet


satoisat, kalaa runsaasti, sateita kohtalaisesti, eikä sairautta ollut
liikkunut. Nämä seikat on pantava merkille.

Eräänä aamuna, kun sumuverho kierteli puusta puuhun ja itäinen


taivas oli harmenemassa, tuli Imgani metsältä kantaen olallaan yöllä
pyytämänsä kauriin lihoja ja nahkaa.

Kun hän näki majansa edessä pienen tulen ja kyykky — sillään


istuvan miehen, niin hän kalautti keihäitään ja lähestyi, sillä hän ei
pelännyt ketään.
— Onko maailma niin täynnä miehiä, että sinä tulet häiritsemään
minun yksinäisyyttäni? kysyi hän. — Mieleni tekee tappaa sinut ja
ripustaa sydämesi kuivamaan, sillä en halua nähdä sinun istuvan
tulen ääressä majani edessä.

Hän sanoi tämän julman näköisenä, ja tulen ääressä istuva mies


liikahti.

— Herra, odotin tätä, sanoi hän, — sillä huomaan sinut ylpeäksi


mieheksi; mutta tulen sinun suuruutesi vuoksi ja tuntien, sinun
viisautesi.

Imgani pani kauriin syrjään ja istuutui tuijottaen uhkaavasti ja


asettaen keihäät poikittain paljaille polvilleen.

Toinen kurotti kaulaansa eteenpäin ja puhui innokkaasti.

Aurinko nousi ja valaisi maailman punaiseksi, mutta yhä hän istui


ja innokkaasti puhui Imganin kuunnellessa.

— Niin, herra, päätti hän, — tapamme Sandin, kun hän tulee


palaveriin. Ifiba, Mbuka ja äitini serkku pistävät keihäänsä häneen
sangen nopeasti, ja me tulemme suuriksi.

Imgani nyökkäsi päätään viisaasti.

— Se on totta, sanoi hän. — Ihmiset, jotka tappavat valkeita


miehiä, pääsevät suureen kunniaan, sillä muut kansat sanovat: 'Kas,
nämä miehet tappavat valkeata väkeä.'

— Ja kun hän on kuollut, jatkoi sanantuoja, — monta nuorta


miestä menee veneeseen, joka savuaa, ja he tappavat kaikki hänen
mukanaan olijat.
— Se on myös viisasta, sanoi Imgani, — kun tapan valkean
miehen, tapan myös hänen ystävänsä.

Hän selosti urotöitään jotensakin laveasti ja hyvin


yksityiskohtaisesti. Miehen mentyä Imgani valmisti aterian kalasta ja
maniokista, kiilloitti keihäittensä terät kostealla hiekalla, kuivasi ne
huolellisesti ruoholla ja paneutui majansa varjoon lepäämään.

Hän heräsi iltapäivällä ja sukelsi veteen uiden pitkin, voimakkain


vedoin keskivirtaa kohti.

Sitten hän ui takaisin rannalle, antoi ihonsa kuivua auringossa ja


pukeutui leopardinnahkaansa.

Hän tuli kylään hitaasti ja havaitsi, että siellä oltiin hämmentyneitä.


Erittäinkin oli hämmentynyt tuo viisas päällikkö, sillä oli saapunut
tieto, että Sandi tulee illalla, ja nyt juuri hänen laivansa tuli joen
mutkassa.

Suunnitelma oli mennyt myttyyn: Sanders tuli kahta päivää liian


varhain, ja Ifiba ja Mbuka, hänen luotettavat miehensä, olivat
matkalla, eikä ollut aikaa hankkia muita murhaa tekemään.

Laiva asettui pitkin rantaa peräratas hitaasti pyörien, ja sitten he


näkivät, Imgani muiden mukana, että kannet olivat täynnä sotilaita,
tyyniä, ruskeita, sinipukuisia ja fetsipäisiä miehiä.

Lankku lennähti alas, ja pitäen kiväärejään korkealla sotilaat tulivat


maihin sekä heidän mukanaan valkoinen upseeri — mutta ei Sandia.

Hän oli töykeä, tuo valkea mies.

— Kuka on täällä päällikkö? kysyi hän.

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