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Crossroads University T1 Wandering Stars Carmen Silvera full chapter pdf docx
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Tory Lanez (feat. Trippie Redd et Yoko Gold) – Hurt Me
Isak Danielson – I Don't Need Your Love
G-Eazy (feat. Bebe Rexha) – Me, Myself & I
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Shawn Mendes – There's Nothing Holding Me Back
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Niall Horan – Save My Life
Julie Bergan – Waste A Tear
Charli XCX – Boom Clap
The Chainsmokers (feat. Daya) – Don't Let Me Down
New West – Those Eyes
Tomas Skyldeberg – We Can Be Fearless
Coldplay – Hymn For The Weekend
À toutes les personnes qui ont vu les gouffres entre
deux individus donner naissance à de belles relations.
Tous les éléments composant l’univers, les galaxies, les
amas de poussière, les astres, s’éloignent les uns des
autres inexorablement. Un peu comme nous. Et quand
deux étoiles sont trop proches et que l’une d’entre
elles explose, il arrive qu’elle condamne l’autre étoile à
errer sans trajectoire dans l’univers.
M
erveilleux.
Je lâche ma valise avec un soupir et pose mes mains sur mes
hanches. Esmée a pâli à mes côtés.
Par-delà le toit de notre résidence se découpent des collines et des
forêts que j’aurais aimé pouvoir admirer tout mon saoul. Le campus est
plus près de la nature sauvage que de la ville à laquelle il se
rattache : Lebanon. Son cadre incroyable décide une bonne partie des
étudiants à venir y faire leur cursus, son manque de résidences
universitaires, moins. Et je sens qu’Esmée et moi allons nous heurter à ce
défaut de logement plus vite que prévu.
Le bâtiment censé nous accueillir pour notre première année a été vidé.
Une armée de meubles humides est entreposée dehors, sous le soleil
déclinant, et goutte tranquillement sur la pelouse.
— Wow, lâché-je.
J’aperçois un policier du campus et traîne mes affaires jusqu’à lui, Esmée
sur mes talons. Je peux sentir d’ici l’angoisse galopante de ma meilleure
amie. Pourtant, elle est le calme et je suis la tempête, en temps normal.
— Excusez-moi, qu’est-ce qu’il s’est passé ? l’interroge Esmée d’une
petite voix.
— Je crois que ça se voit… répond l’homme en haussant les épaules.
— Pas trop. Du coup, en version aimable et détaillée ? demandé-je.
Esmée me cogne le pied. Le gars nous lance un drôle de regard et
désigne le bâtiment d’un mouvement de tête.
— Une… étudiante, Kate machin-chose, a oublié qu’elle avait commencé
à se faire couler un bain et est partie quelques heures.
Le mot « étudiante », dans sa bouche, sonne comme une insulte. Il a
l’air blasé, à un niveau inimaginable.
— Évidemment, soupire Esmée.
— T’inquiète, ma Reine, on va trouver une solution, lui dis-je.
Je dégaine mon téléphone, elle le sien, et le bal des appels commence.
Pour notre installation, nos parents ont accepté que nous partions en
premier avec nos affaires dans la petite voiture d’Esmée. Déjà, on est
tombées en panne sur la route, et j’ai refusé, un peu par fierté, je l’avoue,
d’appeler ma mère et mon beau-père à l’aide. Heureusement, nous avons
tout de même pu trouver un garagiste pas très loin d’ici, qu’Esmée a dû
charmer avec ses yeux de biche pour qu’il nous dépanne alors que sa
journée se terminait.
Bref, le trajet a déjà bien grignoté ma patience.
Au bout du troisième appel, je finis par entendre la voix chantante de
ma mère, qui cache difficilement le reste de fou rire dans son timbre.
Avant Rachid, elle ne riait pas autant.
— Ma chérie ? Un problème ? me demande-t-elle.
— Léger, oui. Notre chambre a été inondée par une voisine du dessus.
Un petit silence s’installe. Ma mère bégaye deux trois jurons.
— Passe-la-moi, demande Rachid en fond sonore.
Un bruit sourd se fait entendre, puis la voix calme de mon beau-père :
— Puce, ça va ?
— Salut, Rachid. Oui, ça va ! Personne n’est mort. Mais autant que vous
n’ameniez pas toutes mes affaires tout de suite, le temps que je trouve un
autre logement sur le campus.
À ce moment-là, Esmée s’approche et me chuchote :
— Je viens de téléphoner, aucune chambre n’est libre. Avec la rentrée et
l’installation des nouveaux étudiants, c’est un peu la folie.
— Qu’est-ce que dit Esmée ? demande Rachid.
— Elle dit qu’il n’y a plus de chambre libre. Mais ne vous inquiétez pas,
je vais trouver une solution !
Je n’ai pas un rond et ce n’est certainement pas eux qui pourront me
dépanner, après s’être ruinés pour me permettre de faire mes études.
— Écoute, puce, j’appelle Kâmil. Il connaît le campus, il pourra sûrement
t’aider.
— Non, pas Kâmil !
Ma réponse a fusé. Pas Kâmil. Surtout pas. Même Esmée, qui lui parle
quasi quotidiennement depuis son départ à la fac il y a deux ans, n’a pas
osé me le proposer.
— Non, non, je vais me débrouiller.
— Ne sois pas idiote ! C’est ton frère, il peut bien faire ça !
Oh oui, il le ferait sûrement avec grand plaisir.
— Quasi-frère, précisé-je, le visage crispé.
Je n’aime pas que l’on laisse entendre qu’il existe le moindre lien de
sang entre nous. Ça rend les choses… trop compliquées dans ma tête.
— Ne vous inquiétez pas, je vais trouver une solution. Toute seule.
Comme une grande.
À mesure que je parle, le visage d’Esmée se défait.
— Je vous laisse, je vous tiens au jus !
Dès que leurs voix commencent à s’élever dans un concerto de
protestations, je raccroche précipitamment.
— Ils voulaient te mettre en lien avec Kâmil ? me demande-t-elle.
Ses grands yeux bruns bordés de cils roux sont soucieux. Je sais ce
qu’elle pense : que je suis une gamine, qui refuse par fierté de réclamer
de l’aide à la personne qui aimerait le plus me voir ramper à ses pieds.
Enfin, en des termes plus appréciateurs – il s’agit d’Esmée, après tout.
Mais qu’elle songe à la version polie ou à l’autre, elle a raison. Et elle sait
que je sais qu’elle a raison.
— Kâmil ? fait une fille à côté de nous.
Elle a probablement entendu mon échange téléphonique et ma
conversation avec Esmée. Je grince des dents.
— Tu le connais ? demandé-je en lui lançant un regard suspicieux.
Je la détaille un peu. Elle est jolie. Et c’est un euphémisme. Blonde,
élancée, des allures de mannequin et l’air revêche. Elle hausse un sourcil
avant d’articuler, comme si j’étais particulièrement idiote :
— Qui ne le connaît pas ? C’est l’un des membres du Big Five.
Un groupe de filles venues constater les dégâts se met à glousser à la
mention de ce nom. Le Big Five ? C’est quoi encore ces conneries ?
— Tu connais Kâmil ? s’enquiert aussitôt l’une d’elles.
J’ignore sa question et m’adresse plutôt à la blonde méprisante :
— Le Big Five 1 ? Comme les bêtes convoitées par les chasseurs, en
Afrique ?
J’espère qu’ils ne se sont pas donné ce nom eux-mêmes, c’est d’un
prétentieux.
— T’es moins lente que t’en as l’air, me lance-t-elle d’un ton assassin.
— C’était gratuit.
— Je suis généreuse, c’est quand tu veux.
Je crois qu’elle a choisi de me détester. Je hausse les épaules sous le
regard arrondi de surprise d’Esmée, qui se hâte de me rejoindre alors que
je m’éloigne vers le parking où nous avons abandonné la voiture.
— Elle a l’air sereine, celle-là ! commenté-je d’un ton joyeux.
Autant dire que les humeurs d’une inconnue me passent
systématiquement au-dessus de la tête. Je ne suis pas comme Esmée. J’ai
une empathie sélective. C’est pour ça que je l’aime. Elle a le cœur
tellement gros que j’essaye d’y prendre le plus de place possible, en virant
tous ceux qui, à mes yeux, ne sont pas dignes de son attention. Et elle
m’adore pour ça, je crois. Alors que je devrais me bouter hors de sa vie en
ma qualité de personne qui ne la mérite pas.
— Tu as vu ? Elle a un souci au bras, dit-elle, le visage soucieux. Elle
essaye de le cacher, mais…
— Mais tu l’as vu, Sherlock.
Je passe mon bras sur ses épaules et pousse un soupir satisfait.
— J’adore l’aventure ! On arrive, on est challengées… Et tu sais quoi ?
On va s’en sortir brillamment.
Je mens souvent. Je ne fais franchement pas exprès, mais c’est plus fort
que moi. Si j’annonce quelque chose, il se passe exactement l’inverse.
Bon. J’aurais aimé me louper, cette fois. Pourtant, alors que la nuit
tombe, j’ai toujours les fesses contre le bitume du parking, encore
échauffé par l’impitoyable chaleur du soleil d’été.
J’ai laissé filer les appels de Rachid et maman. Quand Esmée me rejoint,
elle affiche un sourire désolé.
— Tu as trouvé une solution ?
— Oui, mais…
Je comprends rapidement.
— Mon frère veut bien me prêter son canapé, mais c’est tout ce qu’il a,
dit-elle d’un air gêné. Je reste avec toi le temps que tu trouves ! Je ne te
laisse pas toute seule. On a dit qu’on venait ensemble, on reste ensemble
jusqu’à ce que chacune ait un toit sur la tête.
Ses yeux brillent de détermination. Adorable. Mon portable vibre et je
baisse le regard sur l’écran. Ça doit encore être maman ou Rachid. Quelle
naïveté ! Le nom qui s’affiche me glace le sang : Satan. Juste à mon air,
Esmée comprend.
— Kâmil ?
Je tourne mon téléphone vers elle.
— Tina, tu devrais répondre. Il pourra peut-être t’aider. Il connaît du
monde. Et si la fille de tout à l’heure disait vrai, peu de gens lui diront non
s’il demande un service pour sa sœur.
— Quasi-sœur.
— Tina…
— Es, y a trop de raisons pour que je ne lui réclame pas d’aide à cette
espèce de macho coureur de jupons de mes deux.
Un SMS s’affiche sur mon écran.
1. À l’origine, cette expression désignait les cinq animaux africains les plus difficiles et les plus
dangereux à chasser à pied. Ils posaient beaucoup de problèmes aux chasseurs en raison de leur
comportement imprévisible.
Chapitre 2 : Kâmil
U
n coup de fil m’a permis de réserver le lit vacant pour Tina auprès de
Lys, à qui on avait gardé cette place, malgré son départ de la coloc.
On tenait tous à ce qu’il se sente toujours chez lui, loyer payé ou non. Les
résidences sur le campus étant mises à disposition des freshmen 1, Jolan,
Alex, Lys, Matt et moi avons décidé de nous installer en colocation à la fin
de notre première année, dans Lebanon, à quelques kilomètres de
l’université.
Jolan me chatouille la joue d’un doigt.
— Alors ?
— Alors, quoi ? demandé-je en virant son index.
— Alors, ta sœur !
— Quasi-sœur.
— Elle a l’air d’avoir aussi bon caractère que toi, commente Alexander
en me lançant un regard désinvolte dans le rétroviseur.
Matthias lève les yeux de son casse-tête en bois et se contorsionne pour
m’observer, vaguement intéressé.
— C’est tendu avec elle ?
— Un peu. On se connaît depuis longtemps. Nos parents se sont
rencontrés à force de venir nous récupérer à l’école.
— Ah. Effectivement, ça fait un moment. C’est vraiment une sœur pour
toi.
J’acquiesce, mais je me tortille, mal à l’aise. En théorie, on n’embrasse
pas sa sœur. On ne la désire pas un peu plus chaque seconde qui passe
depuis qu’on a emménagé avec elle. Cécile, qui m’a pris sous son aile
comme un fils, en ferait une syncope si elle apprenait que je lorgne sa
précieuse fille comme un loup affamé depuis des années. Et elle aurait
raison.
— Hum… ça ne te ressemble pas d’être aussi généreux. Tu disais vouloir
la chambre pour toi tout seul, avance Alexander. Et je maintiens que c’est
une mauvaise idée. Je n’aime pas le fait qu’une fille mette son nez dans
nos affaires.
— Oh ça va, le sexiste du dimanche, ronchonne Jolan.
— Je suis si content que quelqu’un d’autre occupe cette chambre, ça
nous évitera le spectacle sonore du soir quand tu ramènes quelqu’un,
ajoute Matthias avec un sourire en coin, avant de se rencogner dans son
siège.
— Oh, c’est bon, c’est arrivé qu’une fois cet été.
Jolan s’étrangle avec sa gorgée d’eau.
— Une fois ? Mensonge odieux !
— Eh bien, ça n’arrivera plus !
J’ai tout essayé pour me la sortir du crâne, elle y reste. Et maintenant,
en plus d’être dans mon crâne, elle sera dans ma chambre, à portée de
main et pourtant plus inaccessible que jamais. Je vais devoir trouver des
excuses pour dormir le moins possible à la maison. Moi qui étais si content
d’avoir cette chambre pour moi seul. Même si on a tous été heurtés que
Lys quitte la colocation, c’était l’occasion pour moi de profiter d’un peu de
solitude.
— Mais… Et la jolie brune que tu voyais ? m’interroge Matt.
— Je l’ai vue deux fois.
— Elle avait l’air attachée.
— C’est pour ça que je ne la vois plus.
— Et son prénom ?
J’évacue la question d’un sourire crispé et Matt soupire.
— La pauvre…
— Tu sais, Kâm, les filles vont finir par se passer le mot et se méfier de
toi, ajoute Jolan.
— Qu’elles le fassent… et vite, marmonne Alex en jetant un œil à sa
montre hors de prix. C’est pas possible de tomber dans le panneau alors
que c’est littéralement marqué sur la notice de l’engin. Quarterback,
relativement beau gosse, sourire permanent complètement surfait.
Vraiment, des idiotes…
— Moi aussi, je t’ai aimé au premier regard, Alex, chantonné-je à son
attention en me tendant au maximum contre ma ceinture pour essayer de
déposer un baiser sur son crâne.
Il me chasse d’un geste brusque et marmonne une insulte bien sentie.
— Il n’a quand même pas tout à fait tort, avance Matt.
Je me renfonce dans mon siège, les bras croisés, le regard noir.
— Mais lâchez-moi tous ! Elles viennent de leur plein gré, je les préviens
que ça n’ira absolument pas plus loin sentimentalement, et ça s’arrête là !
— J’en ai quand même vu trois repartir en pleurant.
— Elles étaient trop attachées après une seule fois, alors je… Non, mais
je ne vois même pas pourquoi je me justifie, en fait.
Je ne suis absolument pas fier de mes relations. Le festival du n’importe
quoi. Un besoin ingérable d’affection doublé d’un rejet total de
l’attachement. J’ai toujours été honnête avec ces filles, mais sur la forme,
j’aurais pu mieux faire. Et ça ne dissuade pas d’autres de tenter leur
chance, espérant qu’avec elles, peut-être, ce sera différent. Qu’elles
pourront se faire une place dans le cœur d’un garçon populaire. Je
suppose que c’est le fantasme d’être l’élue, de ne pas être « comme les
autres filles ».
Pourtant, je suis tombé amoureux d’une fille comme les autres.
Seulement, tout en elle vient me chercher à une profondeur que je ne
m’explique pas. Sa présence me remue depuis toujours.
Elle occupe mon cœur, mais une autre qu’elle a dressé une muraille
autour. Infranchissable.
Une vibration de mon téléphone me tire de mes pensées.
La nuit est bien entamée lorsque nous nous garons enfin devant notre
immeuble. Alex descend aussitôt et s’étire longuement, tandis que Jolan
ronfle encore.
— On le laisse là ? propose Matthias.
Sans attendre la réponse, il prend un peu d’élan pour s’accrocher à une
barrière limitant la hauteur des véhicules autorisés dans le parking. Il fait
quelques tractions sans effort puis atterrit souplement au sol, avec un
soupir de contentement.
Alex est déjà en train de secouer Jolan, qui grogne de dépit. Je me
dirige vers la maison et sors mes clés, avant de me souvenir que Tina n’a
pas dû fermer, si elle est bien là.
J’ouvre et m’engouffre dans le salon, qui fait office de hall d’entrée. Lys
est assis dans un fauteuil, un livre à la main, ses cheveux noir corbeau en
bataille, ses lunettes de lecture sur le nez et un verre de vin non loin.
Toujours égaré dans son monde.
Il me dévisage et m’adresse l’un de ses rares sourires. C’est en général
un bon indicateur du fait qu’il n’a aucune envie de faire la conversation et
qu’il vaut mieux aller droit au but pendant que son temps d’écoute n’est
pas épuisé.
— Elle est là-haut, me dit-il. Une amie à elle l’a aidée à installer ses
affaires, Esmée, je crois. Vous l’avez ratée de peu.
Notre douce et avenante Esmée, aux antipodes du gobelin furax que
peut parfois être Tina. J’ai tellement hâte de la retrouver, elle aussi.
— Merci, Lys, je te revaudrai ça.
Il balaye mes remerciements d’un signe de tête. Je crois que la
colocation lui sert d’échappatoire. Avec son frère revenu depuis quelques
mois dans la maison familiale, il n’est plus aussi libre de ses mouvements.
Aucun de nous ne connaît tous les détails, mais il est responsable du
départ de Lys de notre colocation.
Il loge désormais un peu à l’écart de Lebanon, dans une maison qui
ressemble plutôt à un manoir, perdue au milieu de la forêt. Je ne sais pas
quelle excuse il sert à son frère pour s’enfuir, mais c’est ici qu’il semble
atterrir systématiquement. À tel point que nous lui avons laissé sa clé
après en avoir fait un énième double.
— Comment c’était ?
— Génial, mais on aurait tous aimé que tu sois là.
Ses lèvres se pincent et ses yeux, du bleu le plus clair qu’il m’ait été
donné de voir, se plissent légèrement, signe qu’il n’était pas aussi en
accord qu’il a bien voulu nous le faire croire avec sa décision de ne pas
partir avec nous.
— Une prochaine fois, conclut-il.
Jolan rentre à son tour et se laisse tomber sur le canapé avec un long
soupir de contentement. Des ronflements s’échappent aussitôt de lui et le
rire de Matthias les accompagne alors qu’il dépose notre glacière dans la
cuisine.
— Attends, tout à l’heure, tu as bien dit Esmée ? La sœur de David ?
relève Matt en regagnant le salon.
Ses yeux se sont mis à briller. J’acquiesce.
— Je ne l’ai pas vue depuis au moins deux ou trois ans, je crois, ajoute-
t-il.
Son regard se ternit. Il ne l’a pas vue depuis le froid qui s’est installé
entre son meilleur ami et lui, en somme. Ce genre de rupture amicale ne
se digère pas si facilement, j’en sais quelque chose.
Je les plante là et grimpe quatre à quatre les marches menant aux
chambres. Je n’ai pas croisé Tina depuis Noël dernier. Chaque fois que je
reviens voir mon père et Cécile, elle s’arrange pour ne pas être là. Pas
besoin d’être un génie pour comprendre que ma présence lui hérisse le
poil. Seule Esmée semble ravie de mes passages et je me contente de
prendre discrètement des nouvelles de Tina par son biais.
La porte de ma chambre est fermée. Je toque et, en l’absence de
réponse, je me permets d’entrer, armé de mon sac de voyage.
La pièce est plongée dans l’obscurité, à l’exception du filet de lumière
qui passe sous le battant de la salle de bain privative attenante. J’entends
l’eau qui coule.
Mon regard épouse l’armoire à vêtements dressée au pied du lit, qui
occupe la partie gauche de la chambre. Elle est remplie des affaires de
Tina et son parfum flotte déjà dans l’atmosphère. En symétrie, mon lit se
trouve à droite, à quelques enjambées du sien. Entre les deux, sous la
fenêtre close, repose un bureau qu’il me faudra débarrasser de mes cours.
Le ventre en vrac, j’abandonne mon sac près de mon étagère, puis
m’allonge sur mon matelas, les bras croisés derrière ma tête et les yeux
résolument dirigés vers le plafond. J’angoisse. Je ne devrais pas, mais c’est
le cas. Elle a toujours l’air d’une bombe à retardement en ma présence,
depuis quelques années. Et souvent, je la fais exploser sans même savoir
exactement ce qui l’a dégoupillée. Je marche sur une corde raide avec elle,
en permanence, sans comprendre, et ça me rend plus morne que je ne
veux bien l’admettre.
Parfois, j’aimerais que tout redevienne comme quand on était gosses.
Quand elle m’avait défendu, moi qui avais un an de plus qu’elle, contre
Declan Sanderson en lui collant son poing dans le pif, comme quand on
partageait mon goûter en deux parce que sa mère, tête en l’air, n’avait pas
pensé à en glisser un dans son cartable.
Quand j’y songe, j’ai l’impression que c’est un autre Kâmil et une autre
Tina qui ont vécu tout cela. Pourtant, chaque fois que je la regarde, je la
reconnais tout en ayant la désagréable sensation d’être un étranger à ses
yeux.
La porte de la salle de bain grince.
L’ouragan Tina en sort, dans un nuage de vapeur, rouge comme une
écrevisse. Elle se dirige d’un pas décidé vers son armoire à vêtements,
véritable éléphant dans un magasin de porcelaine. Ma Tina. Elle n’a pas
changé. Je me suis toujours étonné qu’un si petit corps puisse générer
autant d’agitation et de bruit. Perdue dans ses pensées, elle ne m’aperçoit
pas, sa serviette nouée autour de sa poitrine. Je n’ose même pas bouger.
Dans le doute, je me racle la gorge.
Son hurlement, doublé d’un saut de cabri, me force à me remettre sur
pieds, les mains levées en signe de paix. Les vêtements qu’elle avait tirés
de l’armoire s’effondrent au sol en même temps que sa serviette.
J’aurais aimé que mon corps ne réagisse pas. Mais la voir nue… dans ma
chambre…
Des insultes commencent à fuser, alors que je me détourne à toute
vitesse pour fixer le mur et lui laisser l’occasion de ramasser de quoi se
couvrir. Des vêtements m’atterrissent dessus dans un tonnerre de jurons.
Je soulève distraitement le soutien-gorge qui vient d’échouer sur mon
épaule et sa rage redouble.
Pas de doute, c’est bien ma Tina. Et moi, je suis apparemment un « gros
porc ».
1. Le cursus universitaire de base, aux USA, se découpe en quatre ans, l’équivalent de notre licence
française. La première année est souvent très ouverte, avec des matières principales, appelées
Majeures, qui orientent déjà l’étudiant vers ses futures spécialités, et des matières secondaires
obligatoires et optionnelles, souvent orientées vers ce qu’ils appellent les liberal arts, qui constituent
pour les étudiants un tronc culturel commun, appelées Mineures. Les étudiants de première année
sont appelés freshmen ; ceux de deuxième année, sophomores ; ceux de troisième année, junior ;
ceux de quatrième année, senior.
Chapitre 3 : Tina
Q
uand je n’ai presque plus aucun vêtement à portée de main et
qu’ils sont tous soit perchés sur une épaule de Kâmil soit à ses
pieds, je consens enfin à ramasser ma serviette. Pile à temps,
puisque la porte s’ouvre avec fracas.
Deux têtes, dont l’une me semble familière, apparaissent dans
l’embrasure et je leur jette une poignée de culottes à la figure.
— On frappe avant d’entrer ! pesté-je.
La porte s’est refermée, seul bouclier contre l’attaque de lingerie,
et une voix douce s’élève de derrière le battant.
— Salut, Tina, c’est Matthias, Jolan, Alex et Lys. Tout va bien, là-
dedans ?
— Ah non, ne m’implique pas là-dedans, fait une voix plus grave.
Je maintiens que c’est une mauvaise idée. Poussez-vous !
La porte s’ouvre en grand et je m’accroche à ma serviette. Dans
l’encadrement apparaît un jeune homme tiré à quatre épingles, beau
comme un dieu, auquel il aurait aussi emprunté l’arrogance. Il
arbore un sourire froid, entouré d’une barbe en ancre soignée, et me
dévisage avec un mépris qui me fait grincer des dents. Ses yeux ne
brillent pas, ils sont d’un bleu froid et mat.
— Je maintiens que c’était une mauvaise idée, répète-t-il, en
conclusion de son examen méticuleux.
Son regard se fiche sur Kâmil, alors qu’il rajuste une mèche qui
s’échappe de sa coiffure parfaitement maîtrisée, puis dévie sur moi :
— Tina, je t’avertis, ne t’avise pas de colporter le moindre
événement qui se produirait dans cette colocation.
— Range tes menaces, Alex, grogne Kâmil.
— Pourquoi ? Vous faites une partouze tous les vendredis soirs ?
Il lève les yeux au ciel et tire sa révérence, bien au-dessus de mon
humour bas de plafond. Je dois être trop idiote pour qu’il daigne
m’adresser la parole plus longtemps.
— Attendez, elle tient un truc, là, intervient un autre en filant une
frappe amicale, qui m’aurait sans doute tuée sur le coup, à Alex.
— Bon… voici Alex, reprend Matt en pointant l’arrogant qui quitte
la chambre comme un prince. Tu as déjà rencontré Lys, et le reste
d’entre nous vit ici.
Je le dévisage, certaine de le connaître.
— Ah, le fameux Big Five ?
Je ne peux pas empêcher la pointe de mépris dans ma voix. Ils
n’ont rien fait, mais le simple fait que Kâmil fasse partie de leur
bande me pousse à une méfiance qui frôle la paranoïa. Il faut que je
me reprenne.
J’entends un lourd soupir et Matthias s’emploie à me répondre :
— Oui, oui, c’est ça.
— Laissez-moi deviner. Alex, c’est quoi ? Le lion ?
— Bien vu, le roi de la jungle, s’enthousiasme Jolan.
— L’arrogance personnifiée ? proposé-je plutôt.
— Aussi…
— Toi, t’es un buffle, marmonné-je à l’adresse de Kâmil.
— Incroyable !
Jolan éclate de rire et Matt continue de me dévisager, l’air
sincèrement soucieux. Il me rappelle un peu Esmée dans sa façon
délicate de me jauger… Kâmil se décide enfin à intervenir avant que
j’enchaîne mes déductions :
— Matt, tout va bien. Ma sœur a oublié qu’elle ne vivait pas seule
dans cette chambre, c’est tout.
— Non, abruti, tu m’as dit que vous ne rentreriez pas avant une
heure du matin et Lys a confirmé ! Il est minuit.
— C’est vrai, moi aussi j’ai été surpris que vous rentriez si tôt,
intervient Lys en faisant une brève apparition dans l’encadrement de
la porte.
— On a bien roulé ! lance Jolan.
— Alors « bien », c’est pas le mot que j’utiliserais pour parler de la
conduite d’Alex. Disons qu’on a été rapides, propose Matthias.
— La prochaine fois, tu pourras conduire, commente le fameux
Alex depuis ce qui doit être sa propre chambre.
Un rire communicatif s’élève, celui de Jolan.
— Bon, bah, s’il n’y a rien de grave, on va vous laisser. Bonne
première nuit, Tina. Et bienvenue !
— Merci, lâché-je.
Je n’ose pas faire volte-face. Quand je me décide enfin à le faire,
Kâmil me tourne encore le dos. Je me hâte d’enfiler mon pyjama et
marmonne un « c’est bon » avant qu’il ouvre la bouche.
Il se passe une main derrière la tête et pousse un soupir plus
tremblant que puissant.
— Je n’avais pas imaginé ça, comme retrouvailles.
— Ben, va falloir faire avec, répliqué-je.
Je me glisse dans le lit qu’Esmée m’a aidée à faire un peu plus tôt
dans la soirée et me blottis sous la couette. C’est idiot. Il ne fait pas
froid. Il fait même affreusement chaud et je me sens cuire à
l’étouffée.
— Désolée… d’avoir crié.
Je perçois de façon très nette qu’il ravale une réplique sarcastique.
C’est rare que je présente des excuses. Il le sait, et il va devoir les
prendre sans rien dire sous peine que ça ne se reproduise plus
jamais.
— C’est rien, j’aurais peut-être dû frapper à la porte de la salle de
bain pour prévenir de mon arrivée.
— Peut-être.
Un silence pesant s’installe. Il m’a vue à poil. J’ai réussi à éviter ce
malheur pendant tout le temps où on a vécu sous le même toit. Et
c’est maintenant que ça arrive. Au bout de quelques heures passées
dans cette coloc infernale.
— Lys a l’air sympa, dis-je pour meubler.
— Il l’est.
— Les autres aussi.
Bon, sauf Alex, mais ce n’est pas ça qui va m’empêcher de
l’apprécier. Au moins, il a l’air sincère.
— Ils le sont.
— Bien. Bien. C’est bien.
Nouveau silence.
— Matt… Je le connais, je crois.
— Probablement. C’était le meilleur ami de David, jusqu’à leur
départ à la fac.
L’emploi du passé ne m’étonne pas. David, le frère aîné d’Esmée, a
pris un drôle de virage depuis deux ans. Il s’est renfermé et est
devenu encore plus égocentrique que jamais. Ce ne serait pas
étonnant que le solaire Matt n’ait pas pu supporter un changement
pareil.
Le silence est pesant. J’ai envie de crever.
— Tu…
— Je ?
— Tu n’as rien vu, hein ?
— Parce qu’il y a quelque chose à voir ?
J’ose enfin le regarder, seulement pour mieux viser en lui
balançant mon oreiller.
— Quoi ? Tu préférerais que je dise que ça m’a rendu toute
chose ? raille-t-il en serrant l’oreiller contre son cœur avec un air
niais, en battant de ses longs cils.
Le fait qu’il enlace si fort mon coussin fait ressortir les muscles de
ses bras. Je n’ai jamais pigé comment il avait pu passer de crevette
d’eau douce à.. eh bien, ça. Le football ne peut pas tout expliquer.
Je comprends sa popularité. Il l’avait déjà gagnée au lycée, quand
il a atteint son mètre quatre-vingt-dix. Un teint mat, de grands yeux
noirs, une barbe fournie et entretenue sur une mâchoire solide et
des cheveux ébène gardés mi-longs pour mieux les repousser en
arrière… Difficile de ne pas le remarquer. Très difficile.
J’ai passé davantage d’années de ma vie à l’aimer que d’années
sans le connaître, à ne pas encore savoir que mon cœur ne
grandissait que pour lui.
Je l’aime depuis le temps où il faisait une tête de moins que moi.
Le voir me dépasser tout à coup m’a perturbée plus que de raison.
Ce n’est plus franchement moi qui le défendrai, désormais. Et ça, il
adorerait que je l’admette.
— J’aurais préféré que tu la fermes, bougonné-je finalement, à
court de répliques cinglantes.
— Alors, il ne fallait pas me poser la question.
Il se relève, me balance mon oreiller dans la face et s’enferme
dans la salle de bain. J’en profite pour me débarrasser de la
couverture et me tourner de façon à ne plus lui montrer que mon
dos lorsqu’il reviendra. Le sommeil ne tarde pas à me rafler. Je me
suis toujours endormie plus facilement quand je sais qu’il est tout
près.
*****
Klok-klok, klokoti-klok.
*****
Hän oli puolitiessä metsässä, kun hän tapasi tytön. Tämä kantoi
maniokkikimppua päänsä päällä ja käveli miellyttävästi.
Nyt oli kylässä monta miestä, jotka halusivat olla mieliksi tytölle,
joka kantoi juuria, sillä hän oli päällikön tytär ja sitä paitsi
neljäntoistavuotias, naimisiinmenoiässä. Kun hän siis tuli juosten
kylän kadulle puoleksi hermostuneena pelosta, itkien ja nyyhkyttäen,
ei häneltä puuttunut myötätuntoa eikä palvelijoita, jotka olivat
halukkaat tappamaan loukkaajan.
Sillä, hän päätteli, jos hän menisi heitä vastaan, niin he voisivat
tappaa hänet tai piestä häntä ruo'oilla, mitä hänen ylpeä luonteensa
ei sallinut.
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