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Dơnload 101 Questions Answers on the Mass Revised Updated Edition Kevin W. Irwin full chapter
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Chinois on peut avoir un chou pour cinquante centimes. Parlons des
Chinois. Sans deux cents Chinois dont les négociants français n’ont
pu obtenir l’expulsion, on ne mangerait ni salade ni légumes frais à
Tahiti. L’esprit de concurrence a bien inspiré l’idée que l’usage de
ces denrées pouvait donner la lèpre, mais comment résister à
l’attrait d’une nourriture où il n’entre aucun ingrédient chimique ? On
se fatigue si vite des conserves ! Avec cela il y a des anomalies
inexplicables. On cultive la canne à sucre à Tahiti, et le sucre s’y
vend deux francs le kilogramme. Et les vêtements, le linge !… Et les
loyers !…
Plus d’un fonctionnaire a laissé des dettes, faute de pouvoir
joindre les deux bouts. Il lui fallait avoir cheval et voiture, assister
périodiquement aux réceptions du Gouverneur, acheter à sa femme
des robes de soirée ou de bal, se vêtir et vêtir ses enfants
convenablement, et se nourrir. En dépit des privations, son budget
se trouvait en déficit, et, quand une décision du Ministre l’a envoyé
dans une autre colonie, il a dû déléguer une partie de ses
appointements aux fournisseurs dont les notes étaient restées en
souffrance.
J’en ai vu que la misère avait déprimés d’une façon singulière. Ils
avaient pris leur parti de la situation diminuée qui leur était faite,
dépensant le cinquième de leur solde au cercle, se montrant dans
toutes les fêtes, et mangeant en secret le pain de l’indigence, vivant
de la ration, eux et leur famille. Que de misère navrante sous le frac
galonné de tel ou tel à qui l’État alloue cinq cents francs par mois,
sauf déduction de la retenue pour la retraite !…
Quant aux négociants, anciens marins de l’État ou du commerce,
anciens soldats ou sous-officiers de l’armée de mer, si quelques-uns
ont une vie dispendieuse, les consommateurs font les frais de leur
luxe. Les Anglais, les Américains, les Allemands donnent l’exemple.
Ils affrètent des navires, travaillent chacun de leur côté à accaparer
l’approvisionnement public. Autant qu’ils le peuvent, les Français
font tourner à leur profit les mesures administratives suggérées par
les besoins de la Colonie. Je parlerai plus tard des débitants !…
Voilà donc la société de Papeete, colons, fonctionnaires, officiers,
marins et soldats, négociants, ayant des mœurs et des habitudes si
diverses qu’il n’en peut résulter que des conflits latents et
souterrains ; divisés entre eux jusqu’à se déchirer par parole et par
écrit, le colon ennemi du commerçant, le Commissaire de la marine
envieux du Directeur de l’intérieur, le marin dédaigneux du soldat, se
décriant les uns les autres à plaisir et à mort.
En temps ordinaire, la vie à Papeete est fort triste. On y digère
sur des cancans et sur des articles de journaux qui ne valent pas la
salive ou l’encre qu’ils ont coûtées. On y joue quelque argent aux
cartes ou autrement, dans les cercles ou dans les cases des
Chinois ; on y prend l’absinthe et le vermouth comme dans la
première ville de garnison venue ; le jeudi, la fanfare locale fait
résonner ses cuivres et c’est tout.
Mais depuis plus d’un an, l’amiral Marcq de Saint-Hilaire,
commandant la division navale du Pacifique, a choisi la rade de
Papeete pour point d’attache et de ralliement, lui donnant ainsi la
préférence sur les capitales si intéressantes des Républiques sud-
américaines, Valparaiso, etc… Le commerce de Tahiti s’est ressenti
de cette aubaine et la physionomie du chef-lieu s’est sensiblement
modifiée. Trois fois par semaine, la musique de l’amiral joue à terre.
Le dimanche de deux à quatre heures, les Tahitiens et les
Tahitiennes sont admis à visiter le Duquesne, croiseur de premier
rang qui porte le pavillon de l’amiral, et que commande le capitaine
de vaisseau Fournier, l’habile négociateur de Tien-Tsin. Pendant
cette visite, la musique joue les airs de danse les plus entraînants.
Le coup d’œil est fort joli des canots remplis de femmes et de jeunes
filles aux peignoirs voyants. Ils glissent doucement sur la mer,
paisible et unie comme un lac.
L’amiral est venu jadis dans la Nouvelle Cythère, il y a bien
longtemps de cela, comme aspirant de marine. Il aime beaucoup le
pays et ses habitants et ne laisse jamais échapper l’occasion de leur
témoigner une sympathie plus désintéressée peut-être que celle que
ses officiers montrent aux habitantes. Toujours est-il que les
Tahitiens rendent à l’atimarara affection pour affection.
On danse beaucoup à Papeete, chez le Gouverneur, chez le
Directeur de l’intérieur, chez le Président du Conseil général, et à
bord des vaisseaux de guerre comme le Duquesne.
Le bal que j’ai vu à bord du Duquesne a été des plus brillants et
des plus originaux. Sur l’avant du croiseur, une tente abritait une
salle de dix-huit mètres de long, décorée de pavillons de toutes les
couleurs, et éclairée de lustres fabriqués avec des pistolets et des
fusils hors d’usage. Des scaphandres bardés de fer-blanc jouaient à
s’y méprendre des chevaliers aux brillantes armures. Un peu partout
des ancres et des panoplies où le sabre d’abordage avec sa garde
massive tenait la plus grande place. Cela se détachait sur un fond
de verdure habilement disposé. Les canons d’acier au repos étaient
enguirlandés comme des mirlitons. Dans un espace réservé se
tenait le chœur, l’himéné de Taunoa donné à l’amiral par Pomaré.
Jeunes filles et jeunes garçons, ceux-ci la chemise flottante et
immaculée, celles-là en long peignoir blanc, des couronnes de fleurs
dans les cheveux, chantaient dans l’intervalle des danses des
hymnes de circonstance. Accommodée au rythme bizarre de
l’himéné, exécutée par ces voix aiguës ou rauques, la Marseillaise
était devenue une tyrolienne quelconque.
Le public était très mélangé. Il faut ici beaucoup d’indulgence et
l’amiral n’en manque point. De jolies Tahitiennes avaient été invitées,
beaucoup de demi-blanches. Quelques-unes étaient venues pieds
nus et ne paraissaient point trop honteuses dans leurs peignoirs de
satin, de soie ou de velours couverts de broderie. Très galamment,
l’amiral leur offrait le bras pour les conduire au buffet, et ne leur
épargnait pas les compliments dans la langue tahitienne qu’il parle
comme un enfant du pays. Quelques-unes avaient apporté ou
amené leurs bébés, de gentils visages bruns aux yeux vifs, aux
lèvres bien dessinées, des amours de Boucher avec une autre
teinte. Après le souper, on vit, selon la coutume, les Tahitiens et
leurs femmes emporter les restes dans leurs mouchoirs. Tous les
chefs de district assistaient au bal dont le moindre attrait ne fut pas
un feu d’artifice tiré en mer, à une heure du matin.
Dans l’intervalle des danses, la flirtation. Le Duquesne avait
accosté et relié son pont au quai par une passerelle. De la dunette
on jouissait d’un triple spectacle. A terre, la population aux
vêtements multicolores se tenait bruyante, dans les avenues
illuminées qui conduisaient au croiseur. On eût dit quelque chose
comme une fête foraine en France avec le charme très-particulier du
lieu en plus. Sur le pont, les plus belles toilettes de Papeete se
mariaient aux uniformes militaires ou civils et la musique faisait rage.
Du côté de la mer, c’étaient l’étendue et le calme. Sous la clarté pâle
de la lune, l’Océan dormait : un peu d’écume aux récifs avec un bruit
lointain et sourd, et, tout au large, le profil assombri de Moorea.
Un bal organisé par la population en l’honneur de l’amiral Marcq
de Saint-Hilaire a offert une physionomie un peu différente. Les
commissaires ont procédé « à l’instar de Paris, » et se sont
appliqués à éliminer toute couleur locale. Ils ont improvisé une salle
immense, l’ont décorée, meublée, éclairée à peu près comme peut
l’être à Paris la salle des fêtes de l’Hôtel de Ville quand le conseil
municipal y donne des fêtes. Sans les Tahitiennes ou demi-blanches
de distinction, sans Marau, remise de ses aventures maternelles, on
se serait cru tout aussi bien à Rouen ou à Bordeaux qu’à Papeete.
L’intérêt de la fête était d’ailleurs moins dans son éclat que dans la
pensée qui l’avait inspirée et que résumaient ces mots, tracés sur un
transparent au-dessus d’un arc de triomphe : « Honneur et Patrie. A
l’amiral Marcq de Saint-Hilaire et aux États-Majors de la Division
navale du Pacifique, la population française de Tahiti. » Cela se
passait dans des circonstances sur lesquelles il est bon d’insister.
Depuis un mois et plus on vivait sur des bruits de guerre entre la
France et l’Allemagne. Un vapeur qui prend quelquefois le courrier
n’était pas arrivé à la date fixée… Où en était-on ? Que se passait-il
là-bas ? Le journal l’Océanie française publiait des articles émus et
solennels et une inquiétude patriotique régnait dans les âmes.
Il faut que l’on sache que Tahiti est à cinq mille lieues de France
et que l’on n’y reçoit des nouvelles du monde civilisé ou prétendu tel
qu’une fois par mois. On ne s’imagine pas ce que peut être, pour un
Parisien accoutumé à recevoir des lettres à toute heure de la
journée, cette pénurie de correspondance. J’ai dans l’idée que
Napoléon est mort de silence à Sainte-Hélène bien plus que d’un
squirrhe à l’estomac. Au point de vue de la vie intellectuelle et
morale avec ses palpitations et ses fièvres, ses épreuves et ses
jouissances, Tahiti est un tombeau. On y soupçonne la vapeur ; on
n’y connaît pas l’électricité. C’est par navires à voiles que se fait le
courrier ! En 1888 !…
Les nouvelles les plus récentes sont celles qu’apportent les
journaux de la Nouvelle-Zélande, vieux de trois semaines quand on
les dépouille à Papeete, et dont les dépêches portent à ce point
l’estampille anglaise que presque toutes elles pourraient se traduire
librement par un sinistre : « Finis Galliæ ! »
Il n’est pas de bruit malveillant, de rumeur malheureuse pour la
France et son gouvernement qui ne prenne, en passant par cette
voie, la tournure d’un fait accompli et sur lequel il n’y a plus à revenir.
On espère que cette situation changera, l’isthme de Panama une
fois percé et vraiment il ne sera pas trop tôt. Il faut se hâter de
rapprocher de la Mère-Patrie cette colonie qui est l’escale indiquée
entre la vieille Europe et la jeune Australie.
Tout blasé qu’il soit de manifestations officielles, l’amiral Marcq
de Saint-Hilaire a laissé paraître une certaine émotion quand,
répondant au toast du maire de Papeete, au souper qui suivit le bal,
il a fait allusion à l’heure où la Patrie demanderait à ses enfants de
verser de nouveau leur sang pour la défendre.
La vie à Papeete a repris son allure ordinaire. Le soir, les
magasins et les bureaux fermés, les voitures de style américain et
les chevaux de performance tahitienne, les véhicules aussi
médiocres que les attelages se croisent dans l’avenue de la Fautaua
plantée jadis par M. de la Roncière. Le comte de la Roncière, élève
à l’École de Saumur, avait été condamné à dix ans de travaux forcés
pour avoir violenté une jeune fille dans des circonstances
particulièrement odieuses. Son crime ayant passé pour un péché de
jeunesse, il ne fit pas sa peine jusqu’au bout. Sa famille le fit
voyager, et l’empereur le nomma Commissaire, c’est-à-dire
gouverneur à Tahiti. Là, il tenta un coup d’État qui devait faire de lui
le premier ministre de la reine Pomaré IV. Les magistrats français
voulurent résister. Il les emprisonna ou les déporta. Cela se passait
en 1870. On connut la vérité à Paris plus tôt que ne le pensait La
Roncière qui fut destitué avant d’avoir réalisé ses projets aussi
bizarres qu’ambitieux.
Avec ses arbres immenses, ses épais fourrés et ses clairières,
l’avenue de la Fautaua c’est le Bois pour le Tout-Papeete. Non loin
de ses ombrages court une eau limpide où les tritons de la flotte se
baignent avec les naïades de la Nouvelle Cythère. Mythologie à part,
l’endroit est charmant et porte à la rêverie. L’avenue débouche sur la
mer et l’on quitte la demi-obscurité de cette magnifique voûte de
verdure pour l’éblouissement des admirables couchers de soleil qui
incendient le ciel.
La grande distraction est d’observer le sémaphore, une
distraction émouvante où l’imprévu a la plus grande part et qui
devient presque un jeu de hasard. Ces boules blanches groupées
autour d’un mât planté au premier plan des collines vertes, c’est
toute la vie de Papeete : les navires qui entrent apportant le pain
quotidien, la farine de San-Francisco, et les nouvelles de France, les
lettres déjà vieilles des êtres chers que l’on reverra s’il plaît à Dieu,
et quand !…
VIII
Une noce dans le district, c’est une noce au village, avec des
discours et des chansons, et quelles chansons ! Sans parler du
repas colossal qui couronne la fête et où les viandes s’accumulent
en montagnes à lasser Rabelais si fertile en énumérations
fantastiques.
Mon ami Poroï, conseiller privé, a marié son fils avec une jeune
fille dont la famille habite le district de Mataiéa. La veille du jour fixé
pour la cérémonie, les parents du marié et les parents de la mariée
sont arrivés, quelques-uns à cheval, d’autres en voiture, la plupart
en pirogue ou en baleinière, et une véritable flottille a mouillé dans la
jolie baie de Papeuriri. A bord se trouvaient les cadeaux destinés
aux futurs époux, c’est-à-dire des vivres, cochons, volailles, taros,
huru, feï, patates douces, etc.
A peine à terre, le plus âgé de chaque camp (car chaque famille
forme un camp distinct dans une occasion pareille) s’avance vers
Poroï et lui adresse un discours véhément : « Nous venons, avertis
par le message que tu nous as envoyé, marier notre enfant et
participer à cette fête de famille. Ce que nous vous apportons, ces
cochons, ces poulets, ces taros, ces feï, ces huru, ces patates, nous
vous l’offrons de bon cœur. C’est tout ce que nous avons ; nous ne
pouvons pas donner davantage ! »
Poroï répond à chacun : « Je vous remercie d’avoir entendu mon
appel et d’avoir maintenu les liens de la famille en venant assister au
mariage de notre enfant. »
Ces quatre discours échangés, on va se coucher après avoir tout
préparé pour le repas du lendemain, tué les cochons et les poulets,
et surtout après avoir pris soin de séparer les cadeaux qui sont
apportés au marié de ceux qui sont apportés à la mariée.
Il faut se garder de n’omettre personne dans les invitations. Si un
parent est oublié, il vient demander des explications. Est-ce un
malentendu ? Est-ce une offense ? Est-on fâché ? Dans ce dernier
cas, après quelques paroles on se réconcilie. Généralement les
noces sont l’occasion de ces réconciliations.
Le matin, les choses se passent comme à Pontoise ! Le cortège
des époux et des parents se rend à la chefferie où le mariage civil
est célébré, puis au temple où le pasteur procède au mariage
religieux. Il y a quelques années, on étendait sur les mariés une
sorte de poële, une grande natte ; mais cet usage est aujourd’hui
abandonné.
Dès que le cortège a regagné la maison où doit se faire le repas,
les parents reviennent avec les cadeaux de la veille. Cette fois tout
est cuit et c’est un défilé à réjouir la panse de Gargantua que celui
de ces monceaux de victuailles appétissantes.
Nouveaux discours. L’orateur s’adresse à la mariée : « Nous voici
au terme de cette belle cérémonie. En unissant nos enfants, nous
avons uni nos deux familles. Nous vous offrons ce que nous avons.
Prenez et vivez. Le feï de ces vallées est à vous ; le poisson de ces
rivières est à vous. Le mariage de nos deux enfants nous donne
l’espérance que bientôt à leur tour ils auront des enfants. Donnons
maintenant des noms à chaque époux. »
C’est la coutume à Tahiti de donner ou de recevoir un nom
nouveau à chaque événement important de la vie, une coutume qui
nuit quelque peu à la bonne tenue des registres de l’état civil : une
naissance, un baptême, un mariage, un deuil sont des occasions
pour s’offrir mutuellement des pseudonymes variés. C’est ainsi que
le fils de Poroï s’est entendu appeler Teriitanaroa par les parents de
son père et Tetirimatai par ceux de sa femme. Poroï a déjà pour sa
part six noms. Chacun des parrains ne connaît son filleul que par le
nom dont il l’a gratifié. Tetirimatai signifie : « Jeté çà et là par le
vent. » Quant à Teriitanaroa, c’est un peu plus difficile à expliquer.
Teriitanaroa est le nom d’un ancien héros de Moorea. Ce héros eut
pour père Manea, et pour mère Tetuanuanua. Il naquit pendant le
mois de Tematanaroa d’où la finale de son nom « tanaroa ». La
partie initiale « terii » est une abréviation de « Tearii », le roi.
Tematanaroa était le mois de la disette pendant lequel on attendait,
non sans souffrance, le temps de la récolte. Alors, pour supporter
moins péniblement les douleurs de la faim, on se serrait le ventre
avec une ceinture appelée : « tanaroa ». Se serrer le ventre n’est
donc pas seulement une image à Tahiti.
Les noms donnés, les parents se jettent sur les vivres entassés.
Du côté de la famille de la mariée on s’empare de ce que la famille
du marié a donné, et vice versa. C’est un échange de bons procédés
et à qui en prendra le plus.
Le repas est pris par terre, les convives placés sur deux rangées
le long de la cloison de bambous, une famille à droite et l’autre à
gauche. A une extrémité, les mariés sont seuls, servis par les plus
proches parents. Puis viennent de nouveaux discours et les chants
de circonstance.
La muse libertine du poëte tahitien est incohérente. Elle associe
des invocations à la patrie et les pensées religieuses aux images les
plus licencieuses. Un chant commence ainsi :