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Lebois André. Analyse spectrale de Lorenzaccio. In: Littératures 9,1961. pp. 159-209;
doi : https://doi.org/10.3406/litts.1961.990
https://www.persee.fr/doc/litts_0563-9751_1961_num_9_1_990
sur la pauvre Italie que Niobé sur ses filles » ; plus loin, une ébauche
de Michel-Ange représente Brutus; plus loin, c'est Raphaël. Paul
disserte sur son Joueur de violon, Tibaldeo; il en reparlera quand
il le verra au palais Sciarra de Rome, sans paraître se souvenir
de Tébaldeo Freccia, l'exquise création de son frère :
« Du temps de Léon X, on distribuait à Rome des prix de musique.
Un jeune homme de vingt ans, nommé Tibaldeo, gagna le prix et fit tant
de plaisir, soit au Saint-Père, soit à Raphaël lui-même, que le maître
voulut faire son portrait. On ne saurait imaginer de visage plus charmant
que celui de ce jeune musicien. On ne se lasse pas d'admirer son air doux,
intelligent et modeste; mais si le modèle était beau, la peinture surpasse
en perfection tout ce qu'on connaît. »
Il entre à Santa-Croce, uvre d'Arnolphe de Lapo, restaurée par
Donatello et Vasari, peuplée de tableaux et de statues par Giotto,
Donatello, le Verocchio, « la plus riche paroisse de Florence, la
plus ornée de marbres, dorures, peintures et festons », mais il
oublie que c'est devant le portail de cette église que Valori chante
les louanges du « christianisme esthétique » : « cette admirable
harmonie des orgues, ces tentures éclatantes de velours et de
tapisserie, ces tableaux des premiers maîtres, les parfums tièdes
et suaves que balancent les encensoirs, et les chants délicieux de
ces voix argentines » (s'il y a excès d'épithètes onctueuses, c'est
un grand de l'Église qui parle). Le séjour à Florence de Paul, qui
s'est attardé dans « cette loggia d'Orcagna, qu'on appelait autrefois
loggia dei Lanzi », renseigne sur ce que son frère y remarqua.
Il nous introduit dans la Florence d'Alfred, et, par là, dans son
drame (3).
de Lui et Elle qui reparaît, et même qui hausse le ton devant la Judith d'Allori :
« L'être le plus à plaindre et le plus malheureux du monde est l'homme de
cœur amoureux d'une femme indigne de lui, trop clairvoyant pour jouer le rôle
de dupe et trop faible pour briser ses liens... Chacun peut rêver à quelque
épisode de sa propre histoire en présence de cette femme altière et de cette
tête sanglante, car il n'est guère d'homme qui n'ait été un peu égorgé par une
Judith quelconque. »
De Florence au XVIe siècle, un autre visionnaire brossera un tableau
qu'illustre Lorenzaccio. On ne vit partout, écrit le dramaturge de La Renaissance :
« que pouvoirs usurpés, tyrannies ouvertes, soupçonneuses, partant cruelles
et sanglantes; le poignard, le poison montraient constamment leurs traces dans
les combinaisons politiques, et des bandes interminables d'exilés erraient d'une
ville à l'autre, attendant le jour de mettre, à leur tour, dehors, ceux de leurs
rivaux exécrés qu'ils n'égorgeaient pas.
On se figure les habitudes de ces citadins sans cesse harcelés par un meurtre
accompli, à craindre ou à commettre. Dans les rues étroites, sombres et
tortueuses, les portes des maisons étaient basses afin que l'entrée fût difficile et
aisée à défendre (...). On se glissait le long des murs et tout en cheminant on
avait l'œil aux aguets et la main près de la dague. Même chez soi, portes closes,
dans sa maison avec sa femme, avec ses enfants, on prenait garde; on éprouvait
ce qu'on mangeait et ce qu'on buvait; surtout on ne se couchait pas sans avoir
fait la visite du logis et exactement verrouillé les portes » (La Fleur d'or;
Savonarole) .
« II faut que j'écume ma chaudière, à chaque cuillerée de soupe que je veux
avaler », disait le Duc dans un brouillon de Lorenzaccio.
Et Gobineau ajoute que Pier Soderini, gonfalonier perpétuel après la chute
de Savonarole, devait compter « du soir au matin » avec les velléités et les
prétentions « d'un peuple vieilli, amoureux, disait-il, de l'agitation politique,
mais entraîné par l'état de ses mœurs vers un repos sans noblesse, celui
précisément que les Médicis promettaient » (ibid; Jules II).
Celui précisément aussi que nous présente Musset dans son dernier acte.
166 ANNALES DE LA FACULTÉ DES LETTRES DE TOULOUSE
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(14) « Dans Don Carlos, Posa dit à Philippe II : « Je ne puis être serviteur
des princes; je ne puis distribuer à vos peuples ce bonheur que vous faites
marquer à votre nom. » Quel est le jeune homme ayant du talent ou non, mais
ayant quelque énergie, qui ne se sente battre le cur à ces paroles ? » (Mélanges
de littérature : Un mot sur l'art moderne, 1833).
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(15) Même dans la scène IV, 4, il ne jouera pas les Laffemas et les Scarpia.
L'âge, sans doute... Sa luxure est de voyeur, et par mâle interposé. De plus,
« l'ambition et la volupté ont souvent le même langage » (Rivarol).
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au trône »), bonté, mais orgueil. Qualifié d'athée par Sire Maurice,
Lorenzo porte son christianisme comme une croix : il croit au
châtiment métaphysique : « pour mon malheur éternel, j'ai voulu
être grand », et donc au libre-arbitre; la Providence a pu le choisir
(cette conviction, à l'heure de l'action, frôlera la mégalomanie) ; il
éprouva par la suite l'automatisme de la vocation: il est la « statue
de fer blanc » qui marche, il ne s'appartient plus, possédé par
l'idée fixe et dépossédé de soi aliéné. Il mesure ce que cette
« exaltation fiévreuse » a de commun avec la folie pure et simple
(« Tu ne sauras jamais, à moins d'être fou... ») Dépouillé de toutes
vertus, il serre contre lui la folie d'une seule : la vertu civique,
comme les mystiques leur folie de la croix.
« J'ai voulu d'abord tuer Clément VII. » Inutile d'en donner
les raisons à Philippe, qui les comprend. Pape en 1523, Jules de
Médicis, fils naturel de ce Jules de Médicis qui fut tué dans la
conspiration des Pazzi, prit parti contre Charles-Quint. Mais, après
le sac de Rome en 1527, l'infernalità crudele (Cellini) , il
subit l'alliance impériale avalisée par lui, jusqu'à sa mort en 1534.
« Je n'ai pas pu le faire, parce qu'on m'a banni de Rome avant
le temps » : Lorenzo connaît le sort des bannis, il est au ban de
la société. De là, sa solitude, plus que de son orgueil qu'il accuse,
chrétiennement. Elle explique sa tactique : agir seul, « arriver à
l'homme », cet homme qu'il étreint à bras-le-corps à la chasse,
« me prendre corps à corps avec la tyrannie vivante ». La fin de
la phrase évoque le spectre de Marc-Antoine, hantise du nouveau
Brutus : « et laisser la fumée du sang d'Alexandre monter au nez
des harangueurs, pour réchauffer leur cervelle ampoulée ».
Il « lève l'appareil » de sa blessure, sans un cri, fait toucher
ses plaies à Philippe : sa tactique exigea que lui, « pur comme
un lis », enlace le tyran par tous les moyens, y compris les
répugnants : « Qu'importe ? ce n'est pas de cela qu'il s'agit. »
Il s'agit... que tout cela sera vain; livres et historiens leurrent les
âmes nobles en travestissant les marmitons de la « vilaine cuisine » .
On lit trop Plutarque et Tite-Live, trop de contiones et d' «
oratoires », pas assez Salluste, Suétone ou Tacite. Et pas
assez le récit de la Conjuration des Pazzi par Politien (De pactiana
conjuratione, 1478). Pas assez le De Tyranno de Salutati, qui,
dès 1400, mettait le rebelle en face des réalités : le tyrannicide
est légitime, si le tyran est vraiment exécré de tous; mais si,
comme c'est le cas pour Alexandre , le peuple aime le tyran,
c'est que ce peuple est indigne de la liberté, donc le tyrannicide
est odieux.
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(17) Et Musset, lui, a lu Alfleri, l'auteur le plus préoccupé par ces problèmes.
George Sand évoquait, au lieu de Lucrèce, Virginia. En marge de la Virginia
d'Alfieri, Musset va mettre Philippe dans une situation presque identique à
celle du centurion Virginius, qui tua sa fille avec un couteau de boucher parce
qu'elle était désirée par le décemvir Appius Claudius, comme Louise par
Salviati : mais Philippe ne songe point à ce remède d'un autre âge; il ne prend
même pas la précaution d'éloigner Louise; son aveuglement n'aboutit qu'à la
laisser empoisonner. En revanche, Philippe ressemble au Guillaume de Pazzi
(dans La Congiura de Pazzi, 1777) qui multiplie les conseils de prudence à son
fils Raymond; et Raymond, comme Lorenzo, agira, malgré tout, même si son
acte ne peut rien changer aux destinées de Florence. Enfin, Musset suggère
parfois que son Lorenzo, comme le Brutus second d'Alfieri, est « un être qui se
situe entre l'homme et Dieu ».
Et Musset a lu, comme son Fantasio, comme Nerval, Jean-Paul Richter : il
lui emprunte l'image du plongeur sous sa cloche de verre; [au contraire, la
comparaison : « ils tournent autour de moi, comme autour d'une curiosité
monstrueuse apportée d'Amérique », est toute classique, et de La Fontaine].
« Sous l'empire d'une idée puissante, nous nous trouvons, comme le plongeur
sous la cloche, à l'abri des flots de la mer immense qui nous environne. »
Jean-Paul qui déplore la bêtise des femmes quand elles sont bonnes, leur
méchanceté quand elles ont de l'esprit; Jean-Paul qui note : « Le cur frappé
de l'enthousiasme devient étranger à tout sentiment terrestre, il ressemble à
ces lieux consacrés par la foudre où les anciens n'osaient ni marcher ni bâtir. »
Musset recopiait ces « Pensées de Jean-Paul », parmi d'autres, dans des articles
de mai et juin 1831. Il y dit comme de Shakespeare : « Sa plume et son cur
allaient ensemble. » Les Français le jugeront « trivial et ampoulé » : « ampoulé
et trivial sont deux mots qui remplissent merveilleusement et arrondissent
avec aisance la bouche d'un sot ». C'est réfuter les critiques les plus fréquentes
sur ces tirades, où, pour mettre enfin son cur à nu, le héros passe de
dernier lambeau de ses rêves, à des images d'une vulgarité amère : pas
une « de ces dix mille maisons que voilà ne vomit à ma vue un valet de charrue
qui me fende en deux comme une bûche pourrie, pas une goutte de poison ne
tombe dans mon chocolat ». Avec un luxe de détails véristes il décrit lui,
le puritain la corruption des mères pauvres qui prostituent leurs filles « dans
un sourire plus vil que le baiser de Judas ».
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(20) 1536, ancien système, avant le comput de Grégoire XIII, 1582. Pour
nous, 1537.
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André Lebojs.