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Notes
1. dans dernières volontés, derniers combats dernières souffrances, paru chez Plon en 2002.
2. Foccart parle, entretiens avec Philippe Gaillard, publié aux éditions Jeune Afrique.
3. dernières volontés, derniers combats dernières souffrances, op cit.
4. Héritier d’Henri Coston, emmanuel Rattier peut être considéré comme l’archiviste de
l’extrême-droite. disposant des informations internes de ce courant politique recoupées par
les archives de la police, auxquelles ses amitiés partisanes lui laissent un large accès , Rattier
est une source bien souvent précieuse – à manier bien sûr avec précautions. son « diction-
naire biographique » des hommes politiques, en particulier, est une mine, indispensable à
toute tentative de géographie sérieuse.
Bruno BouDiguet
caNNiBaLisme médiatique
Quelques jours après un putsch qui apparaît, grâce aux manœuvres gaullistes,
comme étant l’œuvre de Giscard, c’est la contre-attaque, l’écran de fumée média-
tique : Bokassa est accusé de consommer de la viande d’enfants, entreposée dans
des réfrigérateurs. un envoyé spécial de l’AFP titre le 25 septembre : « Bokassa est-
il anthropophage ? ». Ce fait divers sordide éclipse pour un temps la polémique sur
le rôle de l’armée française dans le coup d’etat. La presse en fait aussitôt ses choux
gras. « et personne, ou presque, n’ose dénoncer cette basse œuvre de dénigrement.
sur place comme conseiller d’une équipe de FR3, Pierre Péan crie au scandale,
mais sa voix reste isolée58. »
Le grand reporter et membre fondateur du Front national Roger Holeindre
tente quant à lui de comprimer l’hémorragie : il intervient, sans succès, pour modi-
fier un article retentissant de Paris-Match. Ces informations, qui se révéleront
fausses, font le tour du monde. Le 26 septembre, le gouvernement tente de sauver
la version officielle. « Cette rumeur arrange les affaires de l’élysée. Pendant que les
journalistes traquent l’odeur de cadavres, ils n’évoquent pas l’ingérence de la France
dans l’une de ses anciennes colonies. Mieux ! évincer Bokassa du pouvoir, dans un
tel contexte, devient un acte de civilisation… une autre rumeur comme celle-là, et
on finira par tresser des lauriers à giscard d’estaing ! On en vient à se demander si
cette rumeur ne provient pas des sbires de l’élysée59. » « si l’on s’en tient au fait, on
constate qu’il s’agit d’un envoyé spécial de l’AFP qui la première fois la diffuse60. »
où péaN peut eNfiN aBattre ses cartes
« trois journalistes, sur place à Bangui, ont quand même mis la main sur
coNcLusioN
en 1981, Valéry Giscard d’estaing perd l’élection présidentielle face à
François Mitterrand. dans l’entre-deux tours, pour en avoir le cœur net, il
avait téléphoné lui-même, un mouchoir sur le combiné pour ne pas qu’on
le reconnaisse, à une permanence du RPR pour savoir qu’elle était la réelle
consigne de vote. Votez Mitterrand, lui répondit-on. Jean serisé, proche
conseiller de Giscard avait prophétisé au tout début du scandale : « les dia-
mants sont un symbole pour les Français. C’est beau, ça brille. Cette histoire risque
de rester dans l’esprit des gens106. » une manipulation parfaitement orchestrée
par les ennemis de Giscard, avec pour point de départ un écrivain alors peu
connu, Pierre Péan. « toute cette affaire ne venait pas de moi, dit Péan, mais s’est
jouée dans la tête de Valéry giscard d’estaing. il lui aurait été si facile de se dépê-
trer, de s’expliquer, de réagir. s’il ne l’a pas fait, il a dû avoir ses raisons. Après tout,
il savait mieux que personne ce qu’il avait fait en Centrafrique107. » Faussement
modeste, Péan fait semblant de minimiser son rôle alors que toute la
France journalistique sait que c’est lui qui a flingué le troisième président
de la Vè République. Les plaquettes de diamants cachaient peut-être un
scandale plus important auquel Giscard n’avait pas envie d’être exposé. Ce
qui expliquerait qu’il ait eu l’air à ce point tétanisé, du moins au niveau de
son discours. Car dans les coulisses, l’affaire, qui est un symptôme d’une
lutte pour le pouvoir, a mobilisé deux camps bien distincts. Au fond, il
importe peu de savoir si oui ou non VGe a reçu des diamants de telle ou
telle valeur. L’essentiel était d’identifier les antagonismes et les ressorts poli-
tiques que révèlent les détails de cette guerre psychologique. Giscardiens du
“parti de l’étranger” selon l’expression de Chirac, contre “souverainistes”
gaullistes et mitterrandiens, mais tous plus françafricains les uns que les
sources
André Baccard, les Martyrs de Bokassa, seuil, 1987.
Paul Barril, Missions très spéciales, Presses de la Cité, 1984.
Jean-Barthélémy Bokassa, les diamants de la trahison, Pharos, 2006.
Jean Bothorel, un si jeune président, Grasset, 1995.
Roger delpey, la Manipulation, Grancher, 1981.
Roger delpey, Prisonnier de giscard, Grancher, 1982.
Roger delpey, Affaires centrafricaines, Grancher, 1985.
Roger delpey, le Blanc et le noir, Grancher, 1991.
Jacques duchemin, l’empereur, Albin Michel, 1981.
Roland dumas, le Fil et la Pelote, Plon, 1996.
Roger Faligot et Pascal Krop, dst, police secrète, Flammarion, 1999.
Roger Faligot et Pascal Krop, la Piscine, les services secrets français, 1944-1984,
Le seuil, 1985.
Roger Faligot et Rémi Kauffer, les Maîtres espions, histoire mondiale du rensei-
gnement, Robert Laffont, 1994.
Claude Faure, Aux services de la république, Fayard, 2004.
Jacques Foccart, Foccart parle : entretiens avec Philippe gaillard (t. 1 et 2),
Fayard, 1997.
Jacques Foccart, Journal de l’elysée (t. 1, 2, et 3), Fayard, 1997, 1998, 1999.
thierry-Jacques Gallo, ngaragba, maison des morts, L’Harmattan, 1988.
Valéry Giscard d’estaing, le Pouvoir et la vie. l’affrontement (t. 2),
Compagnie douze, 1991.
Valéry Giscard d’estaing, le Pouvoir et la vie. Choisir (t. 3), Compagnie 12,
2006.
Pierre Kalck, Barthélémy Boganda, Paris, sépia, 1995.
Pascal Krop, les secrets de l’espionnage français, Payot, 1995.
Laurent Martin, le Canard enchaîné, ou les fortunes de la vertu, histoire d’un
journal satirique 1915-2000, Flammarion, 2001.
Notes
1. Géraldine Faes, stephen smith, Bokassa 1er, un empereur français, Calmann-Lévy, 2000,
p. 155.
2. Foccart est sous de Gaulle et Pompidou le tout puissant secrétaire général de l’elysée et
maître d’oeuvre de la Françafrique, cette décolonisation en trompe-l’oeil.
3. Les « affaires africaines » sont dès lors gérées par l’ancien adjoint de Foccart, René
Journiac. Quant à Chirac, il sera, durant sa primature, en lien constant avec Foccart et
« le consulte pour tout ce qui touche à l’Afrique » cf. Claude Faure, Aux services de la
république. du BCrA à la dgse, Fayard, 2004, p. 457.
4. L’appel de Cochin, en 1978, sera sa profession de foi.
5. union pour la démocratie française, parti nouvellement créé par Giscard.
6. Jugement de la cour d’appel de Paris en 1991 sur l’affaire delpey contre Giscard. Cité
par Roger Faligot et Jean Guisnel, Histoire secrète de la Ve république, La découverte, 2007,
p. 173.
7. Karl Laske et Laurent Valdiguié, le vrai Canard, p. 172.
8. Cité par Pierre Péan, op. cit. p. 46.
9. François-Xavier Verschave, noir silence, Les arènes, 2000.
10. Faes, smith, op. cit. p. 155.
11. Pierre Péan, Bokassa 1er, Alain Moreau, p. 28.
12. Pierre Péan, op. cit. p. 52.
13. Note de bas de page de péan : « les relations entre Boganda et sa femme Michèle Jourdain –
ex-secrétaire parlementaire du M.r.P – étaient très mauvaises. (...)»
14. Pierre Péan, op. cit. p. 56.
15. Pierre Péan, op. cit. p. 76.
16. Pierre Péan, op. cit. p. 91.
17. Pierre Péan, op. cit. p. 91.
18. Pierre Péan, op. cit. p. 51.
“tintin” au gabon
retour sur Affaires africaines
Le mercredi 19 octobre 1983 paraît Affaires africaines. Il s’agit d’un
livre de 279 pages auxquelles s’ajoutent 54 pages de documents et
une chronologie. Bien que son titre ne le laisse pas clairement enten-
dre, l’enquête se focalise sur le Gabon, et sur les relations du som-
met de l’État gabonais avec l’exécutif français et certains de ses
réseaux politico-affairistes. Son auteur s’appelle Pierre Péan1. Il a 45
ans. Il est journaliste ; proche du parti socialiste2 et pige pour Le
Canard Enchaîné, Le Nouvel Économiste, Libération, L’Express et Le
Monde. Affaires africaines est son sixième ouvrage et sa seconde
parution chez celui qui deviendra son éditeur attitré : Claude
Durand, des éditions Fayard. Péan rencontre ainsi son premier vrai
succès de librairie, avec des ventes dépassant les 100 000 exem-
plaires3. C’est sa consécration en tant qu’essayiste.
référeNces
[1] Pierre Péan, Affaires africaines, Fayard, 1983.
[2] Pierre Péan, l’homme de l’ombre. éléments d’enquête autour de Jacques Foccart,
l’homme le plus mystérieux et le plus puissant de la Vème république, Fayard, 1990.
[3] Pierrey Péan, dernières volontés, derniers combats, dernières souffrances, Plon, 2002.
[4] François-Xavier Verschave, la Françafrique. le plus long scandale de la
république, stock, 1998.
Notes
1. Pierre Péan revendique volontiers son « côté tintin ». Cf. télérama. fr [13]
2. Pierre Péan [3, p.21-22]
3. À en croire le site des éditions Fayard :
http://www.fayard.fr/livre/fayard-25408-secret-d-etat-Pierre-Pean-hachette.html.
4. Cf Pierre Péan [3, p.22-23] ; Pierre Haski [12] ; didier daeninckx et enrico Porsia, « La
face cachée de “La face cachée du Monde”, Amnistia.net, 12 mars 2003 ; emmanuel Ratier,
Faits et documents n°6, 15 mai 1996. Nous ne nous reportons qu’avec prudence et en nous pin-
çant le nez aux informations contenues dans cette publication d’extrême droite mais il se
trouve qu’elles ont été confirmées par Pierre Péan dans le numéro suivant (n°7, juin 1996).
5. didier daeninckx et enrico Porsia, art. cité.
6.Cf. emmanuel Ratier, art. cité. Voir note 4.
7. Pierre Péan [1, p.56]
8. rue 89 [8]
9. Pour tout ce qui précède, cf Pierre Péan [2, p.302-309]
10. Pierre Péan [2, p.308]
11. Pierre Péan [3, p.23]
autopsie de Noires
fureurs, blancs menteurs
Le livre de Pierre Péan, Noires fureurs, blancs menteurs, est particu-
lièrement scandaleux. Insultant envers ceux qu’il appelle les « blancs
menteurs » – ainsi qu’il qualifie les « droit-de-l’hommistes » qui se
préoccupent de vérité et de justice –, il l’est également envers les Tutsi
dans leur ensemble – ce pourquoi il a été poursuivi pour diffamation
raciale devant la 17ème chambre correctionelle de Paris [voir les
articles au sujet de ce procès]. De manière générale, il tente d’as-
seoir les thèses négationnistes, ne reculant devant aucun moyen,
sans complexes.
a-Négationnisme
Péan ne fait pas de révisionnisme historique, comme il aime à le dire, mais bien
du négationnisme dans son plus simple apparat.
Aussi s’appuie-t-il7 sur les écrits de James Gasana qui, dans rwanda, du Parti-
état à l’état-garnison , écrit que « le FPr s’efforce de provoquer un événement qualifia-
ble de génocide pour tenter de légitimer sa violation du cessez-le-feu ». un événement
« qualifiable de génocide » n’est pas nécessairement un génocide, on l’aura compris.
Péan dénie l’existence d’un génocide orchestré par l’État rwandais lorsqu’il
commente les conclusions du journaliste télé ayant suivi la CeI au cours de
l’enquête qu’elle a réalisée plus d’un an avant le génocide des tutsi : « un pou-
voir accaparé par l’ethnie hutue majoritaire au détriment de l’ethnie tutsie minoritaire
et promise au génocide… » La star française de l’investigation feint alors d’« être
assommé par une telle conclusion, faite à partir de simples ossements » (p.136). Mais
l’homme ne sera pas pour autant “assommé” par la réalisation de ladite pro-
phétie en ce que c’eût été reconnaître l’existence d’un génocide perpétré par
l’État rwandais.
et quand la négation de l’existence du génocide devient difficilement tena-
ble, qu’à cela ne tienne, Péan ose carrément suggérer le concept d’auto-génocide
en s’appuyant sur les propos du belge Marcel Gérin : « C’est absolument extraordi-
naire », affirme ce dernier, « j’ai vu des gens, des tutsis parfois, se suicider en buvant
le liquide provenant de piles électriques trempées dans de l’eau, ou en se pendant aux
arbres ». Gérin explique que « ces personnes ne voulaient pas vivre une nouvelle fois ce
qu’elles avaient enduré dans le nord du pays, et elles choisissaient pour elles-mêmes la solu-
tion finale ». « J’ai vu », poursuit-il, « des gens avancer tout seul dans les lacs Cyambwe
et rwampanga pour se noyer. Mais il est presque impossible de dire combien parmi ces
personnes ont été assassinées ou massacrées, ou combien se sont suicidées. » (p.268)
c- double génocide
Péan n’accepte de parler de génocide qu’à condition de lui adjoindre celui
imaginaire qu’auraient subi les Hutu. C’est la thèse du double génocide dont il
se plaint qu’elle n’ait pas remporté le succès qu’elle mérite : « laisser entendre
qu’il n’y a pas eu un seul génocide – celui des tutsis, mais un double génocide, n’est pas
encore audible. » (p.260) Même Ruzibiza affirme que le FPR visait « tout Hutu
dont la mort ne pouvait laisser d’indices pour les enquêtes » (p.204). C’est dire. Péan
n’admet pas cet état de fait et prend son lecteur à parti : « Peut-on encore ne par-
ler que du génocide des tutsis alors que, depuis 1990, le nombre des Hutus assassinés
par les policiers ou les militaires obéissant aux ordres de Kagamé est bien supérieur à
celui des tutsis tués par les miliciens et les militaires gouvernementaux ? » (p.20) et
pour peu que les premières années de la décennie 90 ne suffisent pas à étayer
la thèse du double génocide, on ne se privera pas d’y ajouter les morts de la
guerre congolaise qui suivit le génocide des tutsi aux fins de les imputer à celui
fantasmé des Hutu dans le cadre de ce que Luc Marchal, qui fut le comman-
dant des Casques bleus à Kigali, qualifie d’« holocauste rwando-congolais » (p.247).
Aussi le Zaïre serait-il, pour Péan, un « territoire sur lequel les militaires du FPr sont
entrés pour exterminer les réfugiés hutus par centaines de milliers » (p.239).
d- conflit interethnique
Quand le mot génocide semblait encore escamotable, on ne parlait alors que
de conflit interethnique, un concept négationniste que Péan n’a toutefois à ce
jour pas complètement abandonné.
or qu’est-ce donc qu’un conflit interethnique ? C’est une lutte au cours de
laquelle une ethnie en affronte une autre, se livrant à de « noires fureurs ».
tout ça est bien africain, n’est-ce pas ? Mais attention ! dans le cas qui nous
occupe ici, nous assure-t-il, à l’origine les Hutu, eux, ne savaient pas se battre.
Il a donc bien fallu que quelqu’un le leur apprît. et ce serait les tutsi qui leur
auraient servi de modèle... exit les instructeurs de l’armée française. Joseph
Matata déclare ainsi que « ce sont les troupes du FPr qui ont commencé le cycle infer-
nal des massacres, puis que les milices hutues les ont imitées. il cite pour illustrer son
propos un proverbe rwandais : “le léopard ne savait pas attaquer sa victime par le cou,
c’est l’homme qui le lui a appris” » (p.252). dès lors, Péan va pouvoir allègrement
parler de conflit interethnique, ne se privant pas de le mettre à toutes les sauces
: « affrontements ethniques » (p.107), « conflit interethnique » dont James Gasana
assure qu’il est financé par le FPR (p.115), « violences ethniques » (p.105 et p.117)
que « la France désapprouve vigoureusement » (p.105), bien sûr.
et quand Péan ne peut nier qu’« il y eut bien des massacres de Bagogwe », c’est
aussitôt pour ajouter que « des conflits interethniques provoquèrent la mort d’environ
deux cents personnes, Bagogwe et Hutus confondus » (p.141).
e- massacres indifférenciés
toujours plus loin dans le flou artistique, la thèse de massacres indifféren-
ciés consiste à présenter une sorte de chaos généralisé au sein duquel tout le
monde tuerait un peu tout le monde sans qu’il ne soit plus besoin de se diffé-
rencier ethniquement. Ainsi Marcel Gérin et sa femme prétendent-ils avoir «
4- de La causaLité
a-L’auto-défense civile
Péan va tenter de convaincre son lecteur que le génocide ne serait à consi-
dérer que comme une légitime défense populaire qui aurait quelque peu débordé.
Légitime défense qui se serait auto-organisée suite à des attaques du FPR qui
auraient immédiatement suivi l’attentat. Il se trouve que, ainsi qu’on a pu le
voir, l’offensive du FPR n’a pas précédé la prétendue auto-défense civile. si l’on
suit la logique de Péan, cette dernière perdrait ainsi toute sa justification.
Il explique qu’« une des premières mesures prises concerne la défense civile, c’est-à-
dire la mobilisation de la population contre un ennemi FPr qui n’est pas défini, qui est
6- L’accusatioN eN miroir
a- La mise en abyme
L’accusation en miroir consiste à accuser son adversaire de ses propres méfaits
ou intentions.
Aux fins de lancer le génocide des tutsi, il suffira de prétendre que ces der-
niers projettent d’en infliger un aux Hutu pour inviter ces derniers à les tuer
avant qu’ils ne les tuent. Vous n’oubliez pas bien sûr de saupoudrer votre accu-
sation de quelques chiffres censés donner un petit goût pimenté de réel : « les
enquêteurs ont ainsi pu dénombrer à Butare 208 personnes dont 44 enfants, à Kibaya
114… » (p.275) un14
procédé quantitatif équivalent à celui qu’a largement utilisé
radio Machettes pour inciter au massacre des tutsi en prétendant que ces der-
niers tuaient les Hutu. en résumé, vous accusez les tutsi de projeter de réali-
ser votre propre projet. en fin de compte, nous savons – pas tout le monde tou-
tefois – que le génocide fut celui que des Hutu infligèrent aux tutsi. Mais,
nous rétorquera-t-on, c’était à l’origine le projet des tutsi que d’exterminer les
Hutu ! Il se trouve, insistera-t-on enfin, que les Hutu n’ont fait que déjouer leur
plan, le génocide qu’ils leur ont infligé n’ayant été qu’une manière de se pré-
munir de leur propre extermination. Pour que tout cela fonctionne, on voit
qu’est opérée une parfaite symétrie entre deux histoires : l’une bien réelle (le
projet d’extermination des tutsi), l’autre totalement fantasmée (le projet d’ex-
termination des Hutu). or pour réaliser cette sorte de symétrie, rien de telle
qu’un miroir.
Petite expérience. Placez une chaise entre deux miroirs plats que vous pren-
drez soin de faire se « regarder » l’un l’autre. Placez-vous quelques pas en arrière
de la chaise et regardez bien. dans chacun des miroirs, vous observez la chaise
se reproduire à l’infini. C’est ce que l’on appelle une mise en abyme. C’est un
procédé qui, notamment dans le domaine de la peinture, consiste à représen-
ter le tableau dans le tableau, de telle sorte qu’il se reproduise ainsi à l’infini,
le tableau à l’intérieur du tableau devant lui-même contenir le tableau originel
et ainsi de suite.
Les deux images présentées dans chacun des miroirs sont-elles identiques ?
Pas le moins du monde. explication. Regardez-vous donc dans un miroir. Vous
constaterez que la personne que vous avez en face de vous porte sa montre au
b- de la théorie à la pratique
Cas pratique avec Péan. observons son opiniâtreté consistant à inverser
tous les détails constitutifs des événements connus de l’année 1994 au
Rwanda.
5- Le styLe péaN
a- La rhétorique
Voici maintenant quelques exemples de techniques pour le moins malhon-
nêtes de tentative de persuasion signées Péan.
un de ses procédés rhétoriques consiste à formuler une question dont il pro-
pose à son lecteur de se saisir. or ce faisant, ce dernier tombe dans le piège
qu’il lui tend, ce pour peu qu’il ne se rende pas compte qu’il en accepte ainsi
implicitement les prémisses. Ainsi en est-il de la phrase suivante : « le président
de la république [française] voulait éviter des massacres qu’il estimait inéluctable, en
empêchant un mouvement minoritaire de prendre le pouvoir par la force, pour promou-
voir la démocratie et la paix. Cet objectif rendait-il pour autant légitime l’engagement
français ? » (p.186) La prémisse dont Péan tente de forcer l’acceptation est l’idée
selon laquelle le FPR aurait voulu « prendre le pouvoir par la force », ce qui ne fut
vrai qu’à partir du moment où les autorités rwandaises commencèrent à met-
tre en œuvre le génocide des tutsi. Il s’agissait alors, en renversant le gouver-
nement génocidaire, de mettre fin au génocide. Ainsi, il est faux de prétendre
que le président de la République a pu avoir pour but d’« empêch(er) un mouve-
ment minoritaire de prendre le pouvoir par la force ». L’Élysée n’a pas plus « voul(u)
éviter des massacres », allant jusqu’à recevoir officiellement une délégation du
gouvernement génocidaire, pendant le génocide. La seule question à se poser
est de savoir s’il est légitime – que dis-je ? –, s’il est seulement concevable que
la France officielle se soit un tant soit peu engagée au côté d’un gouvernement
génocidaire.
Voici une autre manœuvre rhétorique consistant à procéder à l’élision d’une
information sans laquelle l’interprétation est totalement faussée : « dans le bras
de fer engagé entre Agathe et les militaires », écrit Péan, « l’Onu a donc alors claire-
ment pris parti en faveur d’une femme Premier ministre, isolée et considérée par les mili-
taires comme une agente du FPr. » (p.242) or, le colonel Bagosora ainsi que les
cadres de l’armée n’ont fait qu’imputer publiquement l’attentat aux Belges –
suggérant que ceux-ci aient alors agi pour le compte du FPR. en omettant de
préciser ce détail, Péan saute l’étape qui aurait permis à son lecteur de se poser
b- L’euphémisme
L’euphémisme tient une place à part dans l’arsenal rhétorique de Péan.
Rappelons qu’il consiste à atténuer une réalité déplaisante à l’aide d’une figure
de style appropriée. Parmi les différents euphémismes contenus dans son livre,
c- L’insulte
Mots et arguments finissent par manquer à Péan au point de ne plus avoir que
l’insulte comme ressource.
C’est ainsi qu’il se lâche en parlant des « élucubrations de mythomanes et de mili-
tants hystériques » (p.187), en associant l’avocat william Bourdon à « un enragé de 1a
Cause » (p.424), en traitant Colette Braeckman de « groupie de Kagamé » (p.341)
voire d’« incorrigible militante » (p.342) avant de considérer ses attaques comme
« venimeuses » (p.342) – la journaliste qu’il compare de la sorte implicitement à un
serpent, ce qui était l’autre façon de déshumaniser les tutsi –, en traitant Jean
Carbonare de « vieux monsieur aigri et méchant » (p.158), en évoquant un « groupe
d’excités pro-FPr installés en suisse » (p.390).
enfin nous n’allions pas clore le dossier sans permettre à notre homme de don-
ner une dernière fois la parole à l’incontournable Nyetera, la poupée qui dit oui
qui dit non, vous savez ce témoin qui ne sait pas s’il ment, mais dont il a bien dû
finir par comprendre qu’au moins il fait rire. Le voici donc parlant des rebelles
tutsi : « Ces rebelles se baptisèrent eux-mêmes “inyenzi”, abréviation d’ingangurarugo
Ziyemeje kuba ingenzi – “inganguraguro” désignant une milice du roi Kigeri iV rwabugiri,
“Ziyemeje” voulant dire déterminés, “kuba”, être, et “ingenzi” signifiant les meilleurs. Or, le
mot “inyenzi” désigne un cafard, un insecte nuisible, qui grouille, se reproduit très vite,
attaque la nuit, court vite et se cache habilement. “Ce n’est pas les Hutus qui leur ont donné
ce nom, contrairement à la campagne d’intoxication entretenue par les milieux tutsis à ce
sujet”, souligne Antoine nyetera. » (p.41)
et bien croyez-moi si vous le voulez, à l’instar des tutsi qui se seraient donc eux-
mêmes qualifiés de cafards, ce sont les Juifs eux-mêmes qui se qualifièrent de « ver-
mine » pendant la seconde guerre mondiale. Étonnant non ? et pourtant, le mot
Notes
1. le totémisme aujourd’hui, Claude Lévi-strauss, Presses universitaires de France, coll. Mythes
et religion, 9e édition, mai 2002
2. noires fureurs, blancs menteurs, Pierre Péan, editions mille et une nuits, novembre 2005
3. Front Patriotique rwandais. C’est un groupe politico-militaire constitué des descendants des
exilés à majorité tutsi qui fuirent le Rwanda dans les années 60 pour échapper à la discrimi-
nation ethnique ainsi qu’aux exactions visant les tutsi.
4. Histoire d’un génocide, Colette Braeckman, Fayard, octobre 1994
5. rwanda l’histoire secrète, Abdul Joshua Ruzibiza, editions du Panama, octobre 2005
6. C’est ainsi que l’on désigne les combattants rebelles tutsi.
7. rwanda, du Parti-etat à l’etat-garnison, James K. Gasana, L’Harmattan, coll. L’Afrique des
Grands lacs, janvier 2002
8. Forces armées rwandaises
9. Le CNd (Conseil national de développement) est le Parlement rwandais.
10. le désert des tartares, dino Buzzati, 1940
11. L’officier français Robardey créa des fichiers informatisés pour la gendarmerie rwan-
daise. Ces fichiers sont susceptibles d’avoir été ceux à partir desquels furent établies les listes
de personnalités à assassiner dans les heures qui suivirent immédiatement l’attentat du 6
avril 1994.
12. Gérin n’est pas à une contradiction près. en 1994, quand il s’est réfugié dans la zone
contrôlée par le FPR, il témoignait au contraire, à Reuters, de ce qu’« on ne pouvait comparer
l’œuvre des miliciens interahamwe quà ce qu’on fait les nazis ». Cf. un juge de connivence, LNR 1,
p33.
13. Péan précise qu’il s’agit du « témoignage du 26 mai 2004, tel qu’il est disponible sur
internet ».
14. surnom donné à la radio télévision libre des mille collines (RtLM) qui, pendant le géno-
cide, appelait ouvertement à tuer les tutsi.
15. Porteur de mémoire, la shoah par balles, Patrick desbois, chez Michel Lafon.
16. Fax révélé par l’auteur de cet article en même temps que par la revue golias.
serge FarneL
Le monde selon P.
Dans l’ouvrage Le monde selon K., sorti aux éditions Fayard en jan-
vier 2009, Péan consacre deux chapitres aux tribulations de
Kouchner au Rwanda. Soixante dix pages au cours desquelles il se
contente de recycler les vieilles ficelles qu’il utilisa, trois ans plus tôt,
aux fins de bâtir un précédent ouvrage sur le Rwanda que l’auteur
a pris soin d’analyser méthodiquement dans le chapitre : Autopsie
de Noires fureurs, Blancs menteurs de la présente revue.