REGARDS SUR LES MOUVEMENTS
PARTICIPATION ET
FORMATION : LE CAS
DES COOPERATIVES
DE TRAVAIL
par Claude Houssin et Jean-Louis Laville(*)
Depuis leur apparition, les
coopératives de travail”) ont
été Pobjet de débats
concernant les formes de
participation qu’elles mettent
en ceuvre. Les controverses ~
welles ont suscitées se sont
focalisées sur la possibilité
d'une fidélité 4 leurs objectifs
initiaux d’égalité et de
solidarité entre pairs.
(*) Chercheurs au CRID.A. (Centre de
Recherche et d'Information sur la Démocra-
tie et l'Autonomie.
(1) Cette expression est préférée a celle de
coopérative de production parce qu'elle tend
A se généraliser au niveau international.
a thse de la dégénérescence
inévitable soutenue par des
théoriciens marxistes” a été
défendue plus récemment, par
des sociologues comme Kirkham" et
surtout Meister" sur la base d'études de
différentes associations démocratiques.
Ce dernier suggére un cycle de vie en
quatre phases qui aboutit, aprés un début
caractérisé par l'idéalisme et l’engage-
ment, a une démocratie réduite 2 une
forme représentative ot seule une mino-
rité de gestionnaires reste active. L'écart
entre gestionnaires et travailleurs gran-
dissant avec la rationalisation de la pro-
duction confére aux gestionnaires le pou-
(2) Cf. par exemple, E. Mandel, Self
management, dangers and possibilities, Iater-
national, 2/3,1975 ; F.Oppenheimer, Econo-
‘mie pure et économie politique, Paris : Giard
et Brigres, 1914 ; . Webb, B.Webb, Coope-
ative production and profit sharing, New
Statesman (special supplement), 1914.
(8) CEM. Kirkham, Industrial producer co-
operation in Britain ; three case-studies, MA
Thesis, University of Sheffield.
(4) CEA. Meister, La participation dans les
associations. Paris : ed. Ouvriéres, 1974.
ema = 0 2) = de trimestra 108REGARDS SUR LES MOUVEMENTS
voir effectif par leur expertise et leur
capacité a contréler |’information. Cette
thése est critiquée par des observateurs
qui s'intéressent 4 des coopératives
anciennes bien établies, Le plus connu
entre eux, Batsone”), argumente A par-
tir des coopératives francaises que la
phase ultime de Meister peut n’étre qu'un
« passage a vide » suivi d'une régénéres-
cence démocratique. Certains change-
ments comme l’augmentation du pour-
centage de membres et le développement
des institutions représentatives prouve-
raient, selon lui, la possibilité d’une nou-
velle phase de démocratie représentative.
Cette opinion parait sujette & critique
parce qu’elle est basée sur l’observation
de variables internes, comme le pourcen-
tage de sociétaires, qui ne sont pas indé.
pendantes de régies imposes par Pexté-
rieur. Néanmoins, malgré sa faiblesse,
liée a notre sens a la naeitoge quan:
titative employée, méconnaissant le r6le
de l'environnement, elle a largement con-
tribué a centrer le débat, en particulier
dans la littérature scientifique anglo-
saxonne, sur l’enjeu social de la partici-
pation dans les « cycles de vie » des coo-
pératives résumé par cette alternative
entre dégénérescence et régénéres-
cence®,
A travers cette alternative, la partici-
pation dans les coopératives est évaluée
en référence a un modele-idéal qui repo-
serait sur l’égalité entre les membres dans
les processus de prise de décision.
(8) CEE. Batstone, Organization and orien-
tation: a life cycle model of French co-
operatives, Economie and Industrial Demo-
cracy, 4(2), 1983.
(6) Ci. & titre d'illustration, le nombre de
communications inspirées par cette approche
A: The national conference for reserarch on
worker co-operatives, London, 3 octobre
1986 et l'argumentation développée a ce pro-
pos dans : C.Cornforth, A. Thomas, J. Lewis
et R. Spear, Developing successful worker co-
operatives, London : Sage Publications, 1988.
Un renversement
de perspective
Cette conception correspond a des
périodes dans lesquelles l'intérét pour la
participation était cantonné dans des
entreprises atypiques. A celles menées
dans les coopératives de travail s'ajou-
taient seulement quelques autres expéri-
mentations impulsées par un patronat
humaniste. Elle nous semble questionnée
par la diffusion de la thématique du
management participatif et de l'expres-
sion des salariés depuis le début des
années 1980.
Force est de reconnaitre que l’essor de
la participation s’explique, non par des
raisons sociales ou idéologiques, mais par
des raisons fonctionnelles tenant a I’évo-
lution des comportements gestionnaires.
Confrontées & une réactivation du mar-
ché aprés une longue période de standar-
disation accrue des échanges et stimulées
par les possibilites ouvertes gréce aux
nouvelles technologies”, les directions
d'entreprise sont amenées a considérer
Je travail humain moins comme un dan-
ger potentiel et davantage comme une
opportunité. « On assiste A une prise de
conscience accrue de importance qua-
litative des prestations humaines et & la
reconnaissance de la valeur, de la aus
lite particuligre du travail
Thorne “*. L'augmentation du rende-
ment par déqualification ne constitue
plus la voie royale vers Pefficience, ce
sont l'ensemble des potentiels humains
qui sont A mobiliser.
L'importance prise par la participa-
tion s'inserit dans cette relation autre au
(D Mis en évidence par F. Eymard-
Duvernay, Conventions de qualité et formes
de coordination in « L’économie des conven-
tions », Revue économique, volume 40, n°2,
mars 1989.
(8) Selon H. Kern, M. Schumann, La fin de
Ja division du travail ? (trad. francaise).
Paris: ed. de la Maison des sciences de
Phomme, 1989,REGARDS SUR LES MOUVEMENTS
travail vivant. Relevant du fonctionne-
ment interne des entreprises, la partici-
pation se développe et enrichit ses for-
mes, avec Ja diffusion de la participation
directe, pour répondre aux perturbations
issues de environnement. La gestion des
incertitudes s'impose comme une irré-
ductible composante de l’activité pro-
ductive malgré l'effort pour la réduire
que représentait le modele rationnel tay-
orien sous la domination duquel l’appa-
reil productif s’était organisé dans la
période de croissance. L’importance de
Valéatoire augmente sur le plan des
marchés-produits avec la concurrence
internationalisée, l'instabilité de la
demande et la diversification des pro-
duits et sur le plan technico-
organisationnel avec l’automatisation
progressive des travaux manuels facile-
ment décomposables en séquences ges-
tuelles, I’informatisation des relations
entre recherche, gestion et production ;
tous phénomeénes qui ont pu justifier que
Yon parle de « révolution de ’intelli-
gence ». Face a cette recrudescence et
cette transformation de la nature des
incertitudes, la participation apparait
susceptible d’en faciliter la gestion.
En effet, plus les syst8mes sont intégrés
et complexes pour améliorer la flexibilité
productive, plus ils sont sensibles aux ris-
ques de micro-pannes et de problémes
pour lesquels le diagnostic et l’interven-
tion humaine s’avarent irremplacables.
Il ne suffit plus, pour la direction, de
négocier avec les représentants des sala-
riés ; il est nécessaire d’obtenir un enga-
gement volontaire de tous les salariés, ce
qui suppose & l’extérieur de l’entreprise
le maintien d'une image positive dans le
milieu local, 4 l’intérieur des communi-
(9) CE. R. Boyer (6d), La flexibilité du tra-
vail en Europe. Paris : La Découvarte, 1986.
L.Thevenot, Equilibre et rationalité dans un
univers complexe, L’économie des conven-
tions, Revue économique, op. cit.
Réome
cations en réseaux, des formes de travail
en groupes plus axées sur l'information
transversale et le conseil que sur la seule
transmission d’instructions et de déci-
sions. Les segmentations propres au
modéle rationnel sont maintenant consi-
dérées comme génératrices de dysfone-
tionnements dans des processus de pro-
duction en « flux tendus » et c'est 'appar-
tenance collective qui est mise en avant
autour de la culture d'entreprise,
Vers une autre problématique
Ce renversement de perspective, occa-
sionné par la reconnaissance du carac-
tre fonetionnel de la participation,
appelle un renouvellement des approches
de la participation dans les coopératives,
Il n'est guére concevable a terme que
cette nouvelle dimension de la participa-
tion n'y soit prise en compte qu’a travers
Ja duplication de techniques importées
des entreprises privées ou publiques,
assorties de quelques adaptations de
forme. C'est pourquoi une problémati-
que est ici proposée dans laquelle la par-
ticipation est abordée comme un proces-
sus d’adaptation de Pentreprise A ses con-
tingences externe et interne dans des
conjonctures marquées par une montée
des incertitudes. La spécificité coopéra-
tive réside alors dans la nature de la
contingence interne forgée par la double
‘qualité des membres, a la fois travailleurs
et sociétaires.
Dans un premier temps, il est procédé
4 la construction d’une situation typique
de Vajustement quien résulte. Puis, dans
un deuxiéme temps cette situation typi-
que est confrontée aux informations
reoueillies dans dix coopératives de tra-
vail de trois pays étudiées dans le cadre
d'une recherche comparative euro-
péenne. Enfin, sont synthétisés les prin-
cipaux résultats qui peuvent étre tirés de
cette recherche exploratoire pour
conelure par une démarche méthodique
de formation dans les coopératives qui
les prennent en compte. Il s'agit de figu-
rer quel dispositif de formation peut per-