LES FOUILLES DU METROPOLITAN MUSEUM
DE NEW-YORK, A DEIR EL BAHARI:.
ous le titre : Héstoire d’an grand Ministre et d’une grande
Reine, a paru, ici-méme?, un compte-rendu de la décou-
verte de statues d’Hatshepsout, dans une ancienne car-
riére s’ouvrant au flanc nord de l’avenue qui relie les terres
cultivées au temple de Deir cl Bahari. La carri¢re en question
constitue une dépression de forme trés irréguliére et aux
parois fort escarpées, surtout du cété de l’avenue.
Lorsque, en 1893, Naville commenga de déblayer le
sanétuaire de Deir cl Bahari, cette excavation lui parut un
endroit tout 4 fait propice 4 recevoir les décombres provenant
de ses fouilles et, sans se soucier de ce que peut-étre il
enterrait, il n’hésita pas 4 faire déverser dans la carriére les
jo.ooo m* de débris qui recouvraient le grand temple.
Lorsque ses fouilles furent terminées, le monceau de décom-
bres offrait ’aspeét d’une plate-forme de 75 m* environ et de
9 métres de haut sur laquelle l’Agence Cook, qui n’aurait pu
souhaiter meilleur emplacement, fit construire aussitét, un
chalet pour les touristes !
Cest au pied de cet abri que, l’hiver dernier, les fouilleurs
américains s’arrétérent, aprés avoir découvert, tout au long:
de l’avenue menant au sanétuaire, une grande quantité de
fragments de Statues. Ayant transporté leurs hommes de
Pautre cdté du chalet Cook, Winlock et ses collaborateurs
se trouvérent, de nouveau, au milieu d’un véritable champ
de sculptures. I] apparaissait clairement que les fragments de
Statues s’alignaient de l’ouest 4 Pest, en une bande paralléle
a l’avenue et que cette ligne, longue de 300 métres environ,
était trecouverte sur un espace de 75 4 80 métres, par le
monceau de Naville et le chalet Cook.
Les fouilleurs attirérent sur ce fait attention de Tewfik
Effendi Boulos, inspecteur en chef du Service des Antiquités
1. The Egyptian Expedition (1927-1928), dans Bulletin of the Metropolitan Museum
of Art, sektion I, New-York, décembre 1928, pp. 3-25.
2. Chronique d'Egypte, 2° 7, pp. 33-71
236FOUILLES A DEIR EL BAHARI
et, ensuite, celle de Lacau, le dire@eur général. En consultant
les Archives du Service, ils découvrirent que le chalet Cook
avait été bati aux termes d’un accord stipulant que MM. Tho-
mas Cook & Fils n’occuperaient le site qu’aussi longtemps
que le gouvernement égyptien le permettrait et qu’ils ’éva-
cueraient sur demande. Cette demande, l’intérét de la science
semblait la justifier; aussi, les représentants de I’ Agence Cook,
au Caire, y accédérent-ils avec la meilleure grace. De leur
cdté, les fouilleurs dégagérent un terrain un peu plus 4 l’est,
en vue de l’éreétion d’un nouveau chalet Cook.
Pour parvenir jusqu’aux sculptures involontairement
enfouies par Naville, il fallait enlever non seulement les
deux tiers environ de la plate-forme mais encore une couche
de sable reposant sur le fond de la carriére et qui paraissait
avoir moins de 2 métres d’épaisseur. Ce travail préliminaire
comportait le déplacement d’une masse de décombres qu’on
pouvait évaluer, 4 premiére vue, 4 40.000 métres cubes
environ. S’il s’était agi d’un terrain vierge dont chaque
corbeille de terre cut di étre passée au crible, la tache se fit
avérée imposante, mais ce n’était pas le cas.
Winlock décida donc de procéder rapidement au déblaye-
ment du terrain. La troupe des fouilleurs comportait 7oo
hommes et enfants; au bout de peu de temps l’évacuation des
décombres progressa 4 raison de 800 m* par jour, propor-
tion qui se maintint sensiblement égale pendant huit
semaines.
Malheureusement une surprise désagréable attendait les
fouilleurs et vint ruiner leurs estimations. En creusant vers
Pest, le fond de Ja carriére s’abaissa rapidement jusqu’a un
niveau inférieur de 7 métres 4 celui qu’on avait escompté.
Non seulement Jes hommes voyaient les décombres augmen-
ter de 9 ou 10,000 m? mais ils se trouvérent bientdt dans une
sorte de cuvette remplie de sable que les eaux de pluie avaient
délavé et qui s’était agglomérée en une masse compatte trés
difficile 4 creuser. Le travail ralentissait & mesure; il devenait
par conséquent plus coftcux ct les prévisions du budget
faillirent étre dépassées.
A cette difficulté ordre financier vint s’en ajouter une
autre, particuliére 4 l’Orient. Les Ameéricains comptaient
457CHRONIQUE D’EGYPTE
achever leur tiche avant le 23 février, date a laquelle
commengait le Ramadan ou mois de jetine des musul-
mans. Pendant cette période qui coincide avec l’appa-
tition des premiers jours chauds il n’eat guere été possible,
en effet, Pobtenir un labeur suffisant ?hommes auxquels il
est interdit de manger ou de boire entre le lever et le coucher
du soleil. Mais le trou qui s’ouvrit dans le fond de la carriére,
contraignit les fouilleurs & poursuivre les travaux jusqu’en
avril, Lorsqu’ils levérent le camp le 1°? mai 1928, le thermo-
métre marquait déji 110° (Fahrenheit) 4 ’ombre.
En dépit de ces contretemps, les fouilles tinrent leurs prto-
messes. Elles livrérent d’innombrables fragments de sculp-
tures en caleairc, en grés et en granit, ayant appartenu a des
sphinx et 4 des statues qui représentent la reine Hatshepsout
tantot assise ou agenouillée, et tantét debout, dans attitude
classique des pharaons ou du grand dieu Osiris. Parmi les
piéces ayant séjourné dans le trou ott les eaux de pluie se sont
infiltrées, celles qui étaient en calcaire sont détruites; par
contre, les statues en grés et en granit ont trés peu souffert
de ’humidité.
La tache qui consistera 4 rapprocher tous ces fragments
épars sera longue ct, parfois, décourageante. Elle a déja
occupé les fouilleurs pendant deux hivers et elle les retiendra
pendant plusieurs années encore. Certains morceaux ne sont
pas plus gros qu’un bout de doigt; d’autres pésent une tonne
et plus ct ne peuvent étre soulevés qu’au moyen d’engins
spécialement construits 4 cet effet. Les bords de toutes ces
pices, méme des plus lourdes, sont souvent si délicats, qu’ils
s’émiettent si on ne les manipule pas avec le plus grand soin.
Cela donne une idée du travail accompli et de celui qui reste
4 faire !
Les mutilations qu’ont subies les statues varient de Pune
a Vautre. Toujours, ’uraeus, symbole de la royauté, a été
enlevé; parfois, c’est la figure qui a été presque entiérement
détruite; ailleurs, on n’a cassé que le nez ou fait sauter les
yeux; 4 l’occasion, on s’eSt contenté de briser la téte, en
respectant les traits du visage. Mais, dans l’ensemble, les
dommages causés aux statues ne sont pas aussi graves qu’on
aurait pu le craindre.
238FOUILLES A DEIR EL BAHARI
A un certain point de vue, on peut méme dire que la
mutilation et l’enfouissement des effigies d’Hatshepsout ont
contribué 4 leur conservation. En effet, la destruction du
temple de Deir el Bahari a été accomplice trés peu de temps
aprés son achévement et les sculptures ne devaient pas exister
depuis plus de cing ans lorsqu’elles furent arrachées du
sanctuaire. Soustraites de bonne heure a l’aétion des intem-
péries, puis enterrées, elles ont conservé la fraicheur de leur
polychromie,
Il en e&t qui, taillées dans du grés ou du calcaire grossier,
sont entiérement peintes. Par contre, on voit que le beau
calcaire dur semblable 4 du marbre, ainsi que le granit noir
ou rouge, étaient estimés pour la splendeur de leur matiére
et de leurs coloris. La polychromie, sur ces pierres, cst
distribuée avec parcimonie et ne sert qu’a souligner certains
détails de la statue. Parfois, les yeux seuls sont rehaussés de
couleur pour fixer expression de la physionomie; ailleurs,
on a également relevé d’une teinte jaune d’or, le bandeau de
la coiffure; dans un autre cas encore, les yeux, la barbe et
la coiffure sont brillamment coloriés tandis que le corps est
laissé dans la riche tonalité rouge de la pierre polie.
La mention de la barbe de la reine n’étonnera pas nos
leéteurs. Ils connaissent la raison pour laquelle Hatshepsout
se fit représenter sous l’aspeét physique d’un roi. Ils savent
également 4 la suite de quelles circonstances Thoutmés II
donna Vordre d’effacer le nom et de briser les Statues de la
reine. A intention de ceux qui seraient tentés de considérer
cet ate vindicatif comme un enfantillage bon, tout au plus,
4 faire sourire les hommes d’aujourd’hui, Winlock cite des
exemples analogues qui s’échclonnent tout au long de
Phistoire.
I] évoque d’abord les vicissitudes de la statue de Charles [er
qui surmontait Whitehall, 4 Londres. Mise en vente par le
Parlement, sous la République, elle fut achetée par quelqu’un
qui eut esprit de la garder intaéte jusqu’A la Restauration et
de la revendre & Charles H. L’histoire de Peffigie de Geor-
ges ILI, 4 New-York, est plus moderne et tout 4 fait dans le
gott du successeur d’Hatshepsout. La statue du souverain
fut arrachée de son piédestal dans la nuit du 9 juillet 1776;
239CHRONIQUE D’KGYPTE
puis, pour joindre la destruction 4 outrage, dune maniére
qui eat réjoui le coeur d’un ancien Egyptien, le plomb dans
lequel elle avait été fondue fut transformé en boulets destinés
aux soldats du roi Georges. Winlock énumére d’autres
exemples encore et termine en rappelant les efforts faits
pendant la Grande Guerre pour effacer la mémoire de
Pennemi. Il serait vraiment difficile de prétendre, conclut-il,
que le geste de Thoutmés II brisant les statues d’Hatshep-
sout, nous est totalement incompréhensible.
Quoi quw’il en soit, les conséquences de ce geste ne sont
plus irréparables. Thoutmés III avait compté sans les Améri-
cains qui, avec une patience inlassable, s’efforcent de recon-
Stituer les Statues détruites par son ordre. Bien que le travail
soit loin d’étre terminé, on peut déja se rendre compte de
leur nombre et de leur distribution. Les statues de la reine
peuplaient la solitude des cours ou s*alignaient dans les entre-
colonnements des portiques tandis que les sphinx formaicnt
la haie au passage des fidéles qui gravissaient les terrasses
successives du temple. Les habiles fouilleurs du Metropo-
litan Museum ont réussi A déterminer ainsi, avec certitude,
la place que chaque sculpture occupait dans l’ensemble de
Pédifice, et un jour viendra od l’on pourra se faire une idée
de l’aeuvre complete, telle que V’architeéte Senmout lavait
congue. En attendant, sachons gré 4 Winlock et a ses colla-
borateurs de se consacrer 4 une tache qui, sclon expression
des fouilleurs, aurait découragé Sisyphe lui-méme !
Marie Wrynants-Ronpay.
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