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Droit des biens : points précis

I/ L’ expropriation d’utilité publique

Civ.3, 30 avril 2003 a marqué les esprits (Dalloz 2003, p.1933). La Cour de cassation a adopté une
solution attendue, rendue sous le visa de l’article 544 code civil. C’est un arrêt de principe. La question
de l’ expropriation d’utilité publique se pose pour un ouvrage public construit sur un terrain privé. Ici,
une commune a implanté sur un terrain privé un château d’eau. La Cour d’appel de Toulouse avait
refusé d’ordonner la démolition car « le juge judiciaire ne peut ordonner la destruction d’un ouvrage
public, il peut allouer des dommages et intérêts à celui qui subit la voie de fait ». C’est l’application du
principe d’intangibilité selon lequel un ouvrage public ne se détruit pas. Ce qui conduisait à une
expropriation indirecte des particuliers (cf article 545 code civil). C’est par une évolution longue que ce
principe s’est vu remettre en cause par le juge administratif tout d’abord (CE, 29 janvier 2003. JCP G
2003, 2e partie, 10 118) puis par une décision du Tribunal des Conflits du 6 mai 2002 (JCP G 2002, 2e
partie, 10 170). En 2003, la Cour de cassation tire les conséquences de cette évolution jurisprudentielle
pour remettre en cause le principe d’intangibilité des ouvrages publics. La Cour de cassation a affirmé
que l’ouvrage public mal implanté peut être démoli et le juge judiciaire peut ordonner cette démolition,
sous certaines conditions : - il faut que l’acte de dépossession par l’administration constitue une
voie de fait c’est-à-dire ne peut se rattacher à un pouvoir de l’administration - il faut que
l’administration n’ait pas engagé une procédure de régularisation appropriée. Ces deux conditions sont
cumulatives. Le principe d’intangibilité des ouvrages publics est donc remis en cause. D’autres
développements jurisprudentiels ont eu lieu, cette fois par la CEDH. La CEDH condamne en effet la
théorie de l’expropriation indirecte par plusieurs décisions. Si la France a admis cette évolution
jurisprudentielle, ce n’était pas le cas d’autres pays. D’où une dizaine de décisions de la CEDH en 2005
(13 octobre, 15 et 17 novembre, 6, 8 et 15 décembre) condamnant la procédure italienne
d’expropriation indirecte : la CEDH prend position et rappelle à l’ordre sur la nécessité de respecter
l’article 1er du 1er protocole relatif à la protection des biens. La CEDH précise que cet article exige
que l’ingérence des pouvoirs publics dans la jouissance du droit au respect des biens soit légale. La
prééminence du droit est inhérente à l’ensemble des articles de la CESDH. Dans tous les cas,
l’expropriation indirecte vise à entériner une situation de fait découlant des illégalités commises par
l’administration. Que ce soit en vertu d’un principe jurisprudentiel ou d’un texte de loi,
l’expropriation indirecte ne saurait donc constituer une alternative à une expropriation en bonne et due
forme. Quant à la portée de la jurisprudence européenne sur notre droit positif : a priori, la
condamnation de l’ expropriation indirecte d’utilité publique par la CEDH est de nature à protéger le
droit français de tout nouveau contentieux fondé sur la CESDH. Cependant, il reste la question
relative à la démolition de l’ouvrage public : le juge judiciaire dispose-t-il d’une marge de liberté ?
Face à une expropriation de fait par une personne publique, la remise en état des lieux doit-elle être
automatique ? La destruction est-elle la seule possibilité ? Il n’est pas certain en effet que le juge
dispose de cette marge de liberté. Le débat risque donc de se déplacer sur le terrain de la validité d’une
construction publique sur un terrain privé. En effet, la CEDH pourrait considérer la décision du juge
judiciaire de maintenir la construction comme critiquable.

II/ L’application de la théorie des troubles anormaux du voisinage Les troubles anormaux du voisinage
jusqu’à présent se trouvaient cantonnés au domaine des relations de voisinage. Depuis peu, les troubles
anormaux du voisinage ont été étendus puisqu’ils peuvent être mis en avant par le propriétaire comme
un moyen de protection de l’image de son bien.
a) Les troubles anormaux quant à l’image d’un bien Assemblée Plénière, 7 mai 2004 : la Cour de
cassation est revenue sur une jurisprudence de 1999 (arrêt Civ.1, 10 mars 1999, GONDRET affirme
sous le visa de l’article 544 du code civil que l’exploitation du bien sous la forme de photographies
porte atteinte au droit de jouissance du propriétaire du bien. Les débats sur la question du droit à
l’image des biens ont été très animés.) L’arrêt de 2004 met un coup d’arrêt à cette évolution : « le
propriétaire d’une chose ne dispose pas d’un droit exclusif sur l’image de celle-ci ; il peut toutefois
s’opposer à l’utilisation de cette image par un tiers lorsqu’elle lui cause un trouble anormal ». Il faut
observer de très près la jurisprudence suivant l’arrêt de 2004. Le contenu du trouble anormal n’a pas été
défini par l’arrêt de 2004, qui pourtant peut être invoqué par le propriétaire du bien pour mettre en
œuvre la responsabilité des « voleurs d’images ». Ici, on songe immédiatement à l’hypothèse dans
laquelle la tranquillité du propriétaire du bien est remise en cause en raison de l’utilisation de l’image
du bien. Civ.1, 5 juillet 2005 : la Cour de cassation a considéré que le trouble anormal se concrétise par
une perturbation de la tranquillité et de l’intimité du propriétaire du bien. C’est donc ici un retour au
droit des personnes, notamment au droit au respect à la vie privée. Comment définir le trouble
anormal au-delà de cette décision ? Il s’agit d’établir une distinction selon que le bien objet de l’image
se situe dans un lieu à la vue de public ou non. L’utilisation de l’image d’un bien non accessible au
public pouvait être un trouble anormal, violation du droit de se clore. De plus, il serait possible de
fixer le seuil d’anormalité en fonction de la fréquence d’utilisation de l’image du bien (plus la
fréquence est haute, plus la gêne est haute). Le problème dans ce contrôle a posteriori c’est que
l’appréciation de l’anormalité fait l’objet d’une appréciation casuistique. Les juges pourraient reprendre
les deux caractéristiques du trouble anormal : la gravité et la permanence des troubles pour caractériser
l’anormalité d’un trouble sur l’image d’un bien.

b) Les troubles anormaux du voisinage D’autres développements sont intéressants, liés à la


question de la relation faite entre les troubles anormaux du voisinage et les constructeurs. Civ.3, 22
juin 2005 a posé à la Cour de cassation la question de la responsabilité des constructeurs sur le
fondement du principe selon lequel nul ne peut causer un trouble anormal du voisinage à autrui. En
effet, la question était de savoir si la victime d’un trouble anormal du voisinage peut agir contre le
constructeur de l’immeuble voisin. Jusqu’en 1998, cette action n’était pas admise, on retenait la
responsabilité du fait des choses sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1er du code civil. C’est par
un arrêt INTRAFOR du 30 juin 1998 que la Cour de cassation a admis pour la première fois que les
voisins puissent agir directement contre les constructeurs voire même contre le sous-traitant sur le
fondement de la théorie des troubles anormaux du voisinage. Depuis 1998, la solution a été réitérée
plusieurs fois : Civ.3, 11 mai 2000 ; Civ.1, 18 mars 2003 mais à chaque fois, la Cour de cassation a
admis cette action sans en expliciter le sens, sans motiver la solution. Civ.3, 22 juin 2005 : la Cour
d’appel avait retenu à bon droit que le propriétaire de l’immeuble auteur des nuisances et les
constructeurs à l’origine de celles-ci sont responsables de plein droit vis-à-vis des voisins victimes sur
le fondement de la prohibition du trouble anormal du voisinage, ces constructeurs étant pendant le
chantier des voisins occasionnels des propriétaires lésés. Ici tout repose sur la notion de voisins
occasionnels. La responsabilité objective ne pourra donc s’appliquer que s’il est dûment établi que le
trouble anormal émane des travaux relevant de l’activité des constructeurs. Il faut également démontrer
que le trouble anormal s’est produit à une époque où les constructeurs étaient présents sur le chantier.
Cf Dalloz 2006, 2e partie, p.40. Cette solution confirme la solution adoptée depuis l’arrêt de principe
INTRAFOR. Elle confirme également la solution déjà retenue depuis l’arrêt du 21 juillet 1999 qui avait
admis que le maître d’ouvrage qui était condamné sur le fondement de la responsabilité de la
responsabilité objective des troubles anormaux du voisinage peut exercer une action récursoire de
nature subrogatoire. L’arrêt de 2005 admet implicitement que ce recours subrogatoire du maître
d’ouvrage ne prospérera que partiellement puisque la subrogation ne pourra pas avoir pour résultat
d’occulter la part de responsabilité du maître d’ouvrage. Le recours subrogatoire n’est donc que
partiel. Maître d’ouvrage et constructeur sont donc considérés comme des co-obligés in solidum.
Civ.3, 26 avril 2006 : ici se posait, dans le prolongement de la question traitée en 2005, la question des
sous-traitants. Le chantier a le plus souvent besoin de sous-traitants : les constructeurs ne doivent pas
être les seuls contributeurs de la dette. Dès lors, les constructeurs et maître d’ouvrage condamnés in
solidum ont très vite réagi par le biais d’une action récursoire contre les sous-traitants sur le fondement
du principe de la prohibition des troubles anormaux du voisinage. La Cour de cassation dans cet arrêt
décide qu’il n’y a pas possibilité d’agir contre les sous-traitants sur ce fondement, elle rompt la chaîne
des recours contributifs. La Cour de cassation rejette le pourvoi et affirme que le constructeur ne peut
exercer de recours subrogatoire contre les sous-traitants que pour la fraction de la dette dont il ne doit
pas assumer la charge définitive et que le constructeur est tenu d’établir la faute contractuelle
éventuelle de ses sous-traitants. Ce recours subrogatoire doit être fondé sur le contrat. Le sous-traitant
ne peut donc pas être qualifié de voisin occasionnel. Il est possible de ne pas se référer à l’avant projet
de réforme du droit des obligations du Professeur CATALA, qui a écarté les constructeurs des
personnes susceptibles de se voir opposer la théorie des troubles anormaux du voisinage. Le nouvel
article 1361 du code civil indiquerait alors que « seul le propriétaire, le détenteur ou l’exploitant d’un
fond qui provoque un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage est responsable de
plein droit de ce trouble ».

III/ La possession Ch. Commerciale, 7 mars 2006 (JCP G 2006, 2e partie, 10 143) (RTD Civ 2006,
p.348). La Cour de cassation vient réaffirmer une solution plusieurs fois posée en jurisprudence :
l’inapplicabilité de l’article 2279 du code civil aux meubles incorporels. Ici, c’était une licence
d’exploitation du débit de boissons donnée dans un premier temps en location pour 15 ans par son
titulaire à un tiers cafetier. L’utilisation de la licence s’est poursuivie pendant plusieurs décennies par
les héritiers, jusqu’en 1999 où un héritier décide de céder la licence à la commune. L’héritier du
bailleur assigne l’héritier du preneur en revendication de la licence. La Cour d’appel condamne la
commune à restituer la licence à l’héritier du bailleur. L’héritier du preneur forme un pourvoi en
cassation contre l’héritier du bailleur et contre la commune en se fondant notamment sur l’article 2279
du code civil. La question posée à la Cour de cassation est : peut-on inclure dans le domaine
d’application de l’article 2279 du code civil les meubles incorporels telle la licence d’un débit de
boisson ? Si l’on s’en tient à l’article, rien ne s’y oppose a priori. D’autant que l’on confère à la
possession un double rôle : probatoire et acquisitive. Seule la première fonction avait été envisagée par
le code civil (voir DROSS, RTD Civ 2006, p.27 « Le singulier destin de l’article 2279 du code civil »).
D’une fonction probatoire, la possession a été progressivement étendu à la fonction acquisitive. Dès
lors, pourquoi ne pas y intégrer les meubles incorporels ? Reste le problème des modalités de la
possession d’un bien incorporel (l’acte de possession utile au sens de l’article 2279 du code civil :
possession continue, paisible, non équivoque, non interrompue, publique et à titre de propriétaire). Cela
revient à s’interroger sur les éléments constitutifs de la possession. En l’espèce, la licence se
matérialisait par une plaque apposée sur le mur de l’établissement depuis 70 ans, le preneur avait vendu
les boissons pendant tout ce temps. La commune donc avait toutes les raisons de croire en la propriété
de la cédante. Il y avait donc matière pour dire que la possession était réelle par l’héritier du preneur et
démontrer l’utilité de cette possession. C’est une solution différente qu’a adopté la Cour de cassation :
elle affirme que l’article 2279 du code civil ne s’applique qu’aux seuls meubles corporels
individualisés. La licence d’exploitation d’un débit de boissons ayant la même nature incorporelle que
le fond de commerce et ne se transmettant par tradition manuelle, c’est à bon droit que la cour d’appel a
écarté la présomption prévue par ce texte. Formule très claire. Motif principal : ces meubles ne sont pas
susceptibles d’une tradition manuelle. Cette jurisprudence a été critiquée par de nombreux auteurs
s’appuyant sur une jurisprudence qui retient au contraire la possibilité de posséder utilement des droits
réels (biens incorporels par définition) comme l’usufruit, le gage… (Civ., 19 juin 1928) ou qui admet la
possession utile sur des titres au porteur (ch. Commerciale, 19 mai 1998). Cf la thèse soutenue par
Mme PELISSIER « Possession et meubles incorporels », parue chez DALLOZ.

IV/ Le vice d’équivoque (possession) Il est en cause dans Civ.1, 21 février 2006 : deux concubins se
séparent, l’un assigne l’autre en restitution d’un meuble aux motifs qu’il en est le propriétaire, l’autre
argue d’un don manuel à son profit. La Cour de cassation ici déduit de la situation affective et juridique
le caractère équivoque de la possession de la concubine. Se fondant sur cela, la Cour de cassation
impose à la concubine de prouver par tous moyens le donc manuel qu’elle invoque. Ici, la Cour de
cassation présume le caractère équivoque de la possession et donc impose à celui qui revendique la
prescription acquisitive de renverser la présomption et d’apporter la preuve d’un don manuel.

V/ L’empiétement Confirmation de la jurisprudence antérieure. Civ.3, 14 décembre 2005 : la Cour de


cassation « persiste et signe » parce qu’elle réitère une jurisprudence en matière d’empiétements
marginaux sur le terrain d’autrui (c’est-à-dire peu importants) : elle prône systématiquement la
démolition de l’ouvrage. Civ.3, 20 mars 2002 : l’empiétement était de un demi centimètre, la Cour de
cassation énoncé sous le visa de l’article 545 du code civil que « nul ne peut être contraint de céder sa
propriété si ce n’est pour cause d’utilité publique […] peu importe la mesure de l’empiétement ». Pour
la Cour de cassation, il suffit de contester le fait brut d’empiéter pour obtenir la condamnation de
l’auteur de l’empiétement. La Cour de cassation va plus loin car elle ne tient pas compte du fait que
celui dont le terrain empiète n’est pas à l’origine de la construction. On parle alors d’une responsabilité
du propriétaire due par la chose sur le fondement de l’article 545 du code civil. Dans cet arrêt de
décembre 2005, le propriétaire était une commune qu’avait été acquis un terrain comportant une
construction empiétant sur le terrain voisin. La Cour de cassation prononce la démolition de l’ouvrage
sur le fondement de l’article 545 du code civil. Ici, la commune avait dit que les voisins ont accepté
d’acheter le terrain dans son état actuel, la Cour de cassation ne prend pas en compte cette déclaration
qui n’est pas de nature à les priver de leur droit du seul fait de l’empiétement. Le droit de propriété est
donc opposable erga omnes, ce qui a pour conséquence que dès qu’une construction empiète sur la
propriété d’autrui, elle doit être détruite par son propriétaire actuel, indépendamment de l’importance
de l’empiétement. Le constructeur de l’ouvrage qui empiète ne peut pas se prévaloir de sa bonne foi
pour s’exonérer, ni en faisant valoir que le voisin ne s’était pas plaint pendant les travaux, ni en
prouvant que le voisin a acquis le terrain en son état actuel. Donc le droit des contrats ne peut pas venir
modérer la théorie de l’empiétement. C’est la force absolue du droit de propriété. Permet de distinguer
action en responsabilité et action en revendication.

VI/ L’indivision Elle a subi un réforme par la loi du 23 juin 2006 qui a modifié le régime de
l’indivision notamment l’abandon du principe de l’unanimité pour les actes d’administration (article
815-3 du code civil). Un mandat général d’administration peut être donné à la majorité. A la majorité,
ils peuvent vendre les meubles indivis pour payer les charges de l’indivision. La remise en cause du
principe d’unanimité constitue une mini révolution.

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