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Économie 16/04/2009 à 06h51

Triche comme «Crésus»


Dans «Confessions d’un banquier pourri», l’auteur, caché sous un pseudo, se fait passer pour
un ex-requin de la finance.

LAUNET Edouard

L’humoriste français Michel Charasse, ancien ministre du Budget, l’avait assez bien dit : les
banquiers, ils ne pensent qu’à nous piquer not’ blé. Eh bien, après la facture publique du
grand renflouement, c’est fait. Or lesdits banquiers ne seraient pas satisfaits pour autant :
maintenant ils écriraient des livres pour nous raconter comment ils nous ont piqué not’ blé.
Cela donne Confessions d’un banquier pourri, ouvrage qui paraît cette semaine chez Fayard
et que son éditeur présente comme le vrai récit véridique d’un authentique banquier, ancien
membre du directoire d’un des plus grands établissements français. L’homme se serait
subitement décidé à vider son vilain sac. Il s’abriterait sous l’opportun pseudo de «Crésus».

Sauf qu’il suffit d’ouvrir le livre pour se convaincre rapidement qu’il ne s’agit pas du bouquin
d’un banquier mais d’un journaliste, qui a puisé dans l’actualité des derniers mois, ainsi que
dans une bonne connaissance des milieux financiers, la matière d’une histoire édifiante.
Connaissez-vous beaucoup de banquiers dont la plume se laisserait aller à chanter : «"L’idée
de Marie-Cécile n’était pas absurde", glissa à cet instant, d’une voix légèrement sirupeuse, le
très ambitieux directeur des produits dérivés, avec d’autant plus d’entrain que, pour une fois,
il n’était pas concerné par ce ratage»?

Cela n’ôte rien aux qualités du livre, vaste leçon de choses romancée sur les turpitudes des
établissements bancaires et financiers - et au-delà sur celles d’un système dérivant hors de
tout contrôle pour le bénéfice de quelques-uns. Le premier mérite de ces Confessions est
d’expliquer pourquoi et comment les belles annonces du récent G20 ne sont qu’urine dans un
violon. Mais peut-être l’avait-on déjà subodoré.

Cadre très supérieur. «Crésus» se présente comme un cadre très supérieur chargé des
contrôles à la direction d’une banque. «Je suis un parasite de la haute finance, écrit-il. J’ai
ramassé quelques dizaines de millions d’euros en une quinzaine d’années. Une paille,
comparée aux salaires et aux primes des dizaines de traders que je dirige.» Il aurait à de
nombreuses reprises alerté ses supérieurs sur les risques énormes pris par ses troupes
parieuses. Aurait fini par être écarté des affaires par son président. Aurait quitté la banque il y
a cinq mois.

Tel l’Imprécateur du roman de René-Victor Pilhes (1974), l’auteur décrit les fissures qui
minent l’édifice financier et bancaire. Plus drôle : il affirme avoir lui-même profité du
détournement de 317 millions d’euros lors d’une opération entre sa banque et Lehman
Brothers, au moment de la faillite de cette dernière. L’auteur serait donc mouillé jusqu’au cou,
pris dans le tourbillon magnifique et fangeux qu’il décrit. Ce n’est plus un essai, c’est de
l’autofiction.

«Crésus» reconnaît cette part de fiction. Dans une interview par mail avec l’hebdomadaire
Marianne, qui publie les bonnes feuilles de l’ouvrage, il met quelques bémols à sa symphonie
fantastique: «Ce qui est vrai, c’est que ce chiffre de 317 millions envolés vers un paradis
fiscal méconnu est un clin d’œil à un grand établissement financier qui s’est fait lessiver voilà
quelques mois à partir d’un système un peu équivalent.» Pour épicer les choses, cette œuvre
haletante nous fait croiser une call-girl «virtuose des relations horizontales», qui confesse
sous l’édredon les top guns de la finance internationale, sans oublier l’auteur : «Elle avait
sauvé ma libido du naufrage»…

Nous croisons également Henry Paulson dans son propre rôle : le secrétaire du Trésor
américain aurait organisé la chute de Lehman Brothers, selon les confidences post-coïtum
d’un gros bonnet saoudien à la call-girl, qui l’aurait raconté post-post coïtum à l’auteur. Et
nous là-dedans ? «Pour sauver notre résultat, ne restait finalement que notre métier de base :
nos clients les plus modestes, tous ces braves gens qui tiraient le diable par la queue. C’était
eux qu’on assommait.» Le livre est dédié «à tous ceux qui font encore confiance à leur
banque…».

Sillon fertile. Autre interview de «Crésus» hier matin dans La Tribune, laquelle s’inquiète :
«N’est-ce pas un peu facile de désigner les banquiers comme boucs émissaires de la crise ?»
Réponse : «Vous avez raison. La haute banque n’est-elle pas un modèle d’intégrité, un
modèle de transparence?» Car «Crésus» possède aussi un certain sens de l’humour. Nous
n’avons hélas pas eu l’occasion de l’éprouver directement : Suzanne Jamet, attachée de presse
du livre, nous assurait hier qu’il lui faudrait envoyer un mail à quelqu’un, qui lui-même
retransmettrait vers un autre compte, si bien qu’interviewer «Crésus» prendrait deux ou trois
jours.

Faire baver sous pseudo des insiders - ou prétendus tels - est un sillon extrêmement fertile
dans l’édition. L’an dernier, «cinq journalistes de TF1» réunis sous le pseudonyme de Patrick
le Bel balançaient à fond sur la chaîne et ses sombres coulisses. L’ouvrage (Madame,
Monsieur, bonsoir…, chez Panama) a fait un joli carton. Or nul n’a jamais réussi à identifier
un seul des «cinq journalistes» de la chaîne. Si ces derniers existent vraiment, c’est de la
magie !

Mais après tout, pourquoi les éditeurs, comme les banquiers, ne s’en mettraient pas eux aussi
plein les fouilles?

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