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Conf.

Administration Publique
2010-2011

L’évolution des rapports entre l’administration et le


citoyen
L’administration regroupe l’ensemble des organismes chargés de conduire et exécuter
les tâches publiques voulues par le législateur. On trouve à sa tête le premier ministre et le
président de la République. Le citoyen est celui qui détient des droits et des devoirs vis-à-vis
de l’Etat auquel il adhère en en prenant la nationalité. En assumant son rôle d’exécution des
politiques publiques l’administration réglemente la vie du citoyen alors ramené à un simple
administré.

Les rapports entre administrés et administration ont évolué du fait des réformes
successives de l’administration. Au départ très inégal, avec une administration toute puissante
lointaine et secrète, cette relation est devenue plus confortable pour l’administré. En effet, les
années soixante ont consacré le thème de la participation (administré-acteur), les années
soixante dix ont développé le thème du partenariat (administré-partenaire) et les années
quatre-vingt ont mis l’accent sur la qualité des services publics (administré-client).

Mais, si l’administration a fait des efforts certains envers les administrés, les réformes
visant à véritablement rééquilibrer la relation administration/administré ont rarement abouties.
Ce fut notamment le cas avec l’échec du projet de loi relatif à l’amélioration des relations
entre les administrations et le public (ARAP) en 1997 du fait de la dissolution surprise de
l’Assemblée Nationale par Jacques Chirac. Bien que repris en partie avec l’arrivée de la
gauche ce texte fut vidé de la plupart des avancées significatives pour laisser place à un
contenu final « assez disparate » selon Jacques Chevallier.

En revanche, un tournant est pris dans les années 2000 notamment au travers de la loi
du 12 avril qui vient faire apparaitre la figure de « l’administré-citoyen » qui regroupe à la
fois les avancées précédentes et donne, enfin, des droits aux citoyens face à l’administration.

Aujourd’hui en 2011 on peut se demander si la promesse des années 2000 a été tenue
et si l’on a bien assisté à l’émergence d’un citoyen administré placé sur un pied d’égalité avec
l’appareil bureaucratique administratif.

Cette question est cruciale dans la mesure où démocratie n’est complète qu’avec un
citoyen respecté par son administration. Ainsi, comme le souligne le Rapport Ledoux, il faut
« rompre avec la logique de l’administré-sujet, car la logique démocratique ne se réduit pas à
une forme de gouvernement mais doit également inspirer une méthode d’administration
respectueuse du droit de chacun ».

Face à ces questions nous verrons que l’on est bien passé d’un administré-sujet (I) à un
administré-citoyen (II) même si certains progrès restent à accomplir.

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I. Le modèle classique : l’administré-sujet

Pendant longtemps le modèle classique de l’administré-sujet a prédominé en France (A)


même si des améliorations sont venues le nuancer (B).

A. Un modèle basé sur la toute puissance administrative

1. La décision administrative impersonnelle et unilatérale

Le rapport classique, issu de l’administration de type Napoléonienne, se base sur deux


piliers : la distance et l’autorité. La décision administrative vient d’en haut et de loin,
généralement à paris : elle est, en cela, impersonnelle. Ce type d’organisation de la décision
administrative peut être expliqué par la tradition centralisatrice de la France : alors qu’en
Allemagne ou en Espagne la décision vient de la capitale régionale, en France la décision
vient de Paris où siège la plupart des organes centraux de l’administration. Cette décision est
autoritaire, il n’est pas facile, voir impossible de la contester. Il a fallut atteindre
l’émancipation progressive du juge administratif, le Conseil d’Etat pour que l’administration
commence à reconnaitre ses fautes, ses manquements et sa responsabilité (TC, Bianco, 1873).

2. L’effacement du citoyen politique au profit de l’administré-sujet

Dans ce cadre là, on fait une distinction rigide entre le citoyen qui est la source de la
légitimité politique et l’administré qui est le simple sujet de l’administration et doit supporter
ses décisions. Ainsi comme le souligne Jacques Chevalier : « citoyen dans l’ordre politique,
l’individu devenait sujet dans l’ordre administratif ». Cette conception rigide s’explique par la
nécessité de l’administration à se faire obéir rapidement : c’est une garantie du bon
fonctionnement de l’Etat et de l’application de la loi expression de la volonté générale. Dans
ce modèle, c’est clairement l’intérêt général qui prime sur l’intérêt particulier avec une
certaine rigidité qui va être de moins en moins accepté (Pariset, CE 1875).

B. Un modèle progressivement assoupli

1. Une administration au service de l’administré

La montée en puissance après guerre de l’Etat-providence va venir assouplir ce


modèle classique : de sujet, l’administré passe à usager c'est-à-dire que le rapport de
domination s’assoupli. En effet, les nombreux services publics assurés par l’administration
vont placer l’administré dans une position de client vis-à-vis de l’administration. Ainsi, celle-
ci ne devra plus se contenter d’imposer mais de satisfaire les individus consommateurs de ces
services, pour lesquels ils cotisent tous les ans. Dans cet esprit l’administration va
progressivement donner un peu plus de parole à ces administrés. Par exemple, en 1993 est
accordé par décret la possibilité pour tout administré de présenter des observations, écrites ou
orales, à l’administration ainsi que se faire conseiller sur ses relations avec celle-ci. S’il
s’avère que l’individu a été effectivement lésé, des procédures d’indemnisation sont mises en
place même si l’administration n’a fait que suivre l’intérêt général (Couiteas, CE 1923). Si ces

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progrès sont indiscutables reste néanmoins le fait que l’administré n’a aucunement le choix
d’être l’usager de l’administration faute de concurrence pour la réalisation des services
publics : l’usager est captif de l’administration et donc de facto en situation de profonde
dépendance à celle-ci car il n’y a toujours pas de négociation sur la manière dont les services
publics sont assurés.

2. Une administration relativement moins secrètes, impersonnelle et


distante

Le secret est le corolaire de l’unilatéralité de l’administration : si l’individu ne connait


pas qui à pris une décision, comment celle-ci a été prise et pourquoi, il ne trouve
mécaniquement démuni pour la contester devant le juge administratif. Or sur ces points les
années soixante-dix et quatre-vingt ont été marquées par des avancées significatives.
L’administré se voit reconnaitre un droit à l’information important avec les lois de 1978 et
1979 respectivement relatives à l’accès aux fichiers informatisés et aux archives de
l’administration. Celles-ci permettent un rééquilibrage entre l’administré et l’administration
car elles réduisent l’asymétrie d’information entre les deux parties qui est le « vecteur et le
garant de l’unilatéralité » selon Jacques Chevalier. La circulaire « Fabius » du 30 janvier 1985
vient compléter ce droit à l’information en stipulant que dorénavant l’administration aurait
l’obligation d’indiquer clairement le service et la personne à l’origine d’un acte administratif
individuel. En ayant un interlocuteur clair il est plus facile à l’administré d’avoir un dialogue
« de confiance » et ainsi d’en finir avec la troublante impersonnalité des décisions. D’autant
plus que le législateur va chercher des moyens de rapprocher l’administration de l’administré
avec par exemple les « points publics » en milieu rural (1994). Cependant toutes ces avancées
doivent être nuancée par le fait que si l’information est plus accessible, la décision moins
impersonnelle et moins distante il n’en reste pas moins que le droit administratif est
foisonnent et de moins en moins intelligible. Ainsi, la relation entre administré et
administration reste inégale dans la mesure où seule l’administration maitrise réellement les
outils juridiques qui réglementent ces rapports avec l’administré.

T : Si ces divers assouplissements rendent plus supportable le modèle classique, ils ne


constituent pas néanmoins une réelle réforme de la nature inégalitaire des relations entre
administré et l’administration. Ce sont les années 2000 qui annoncent un changement de
paradigme.

II. Un nouveau modèle à affiner : l’administré-citoyen

Les années 2000 marquent un tournant dans les relations entre administrés et administration
avec la reconnaissance de nombreux droits des administrés vis-à-vis de l’administration (A).
Cependant, si elles sont importantes symboliquement, ces avancées restent encore limitées
dans la pratique (B).

A. L’émergence de l’administré-citoyen

1. L’extension du droit à l’information

L’administré citoyen doit s’entendre comme la rupture avec le modèle classique de


l’administré assujetti : à présent les administrés sont détenteurs de droits face à
l’administration. D’une relation de domination, on passe à une domination de coopération

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entre l’administration et les administrés en développant une certaine idée de « civisme
administratif » soit le développement de bonnes pratiques basée sur des valeurs collectives.
Concrètement cette rupture s’incarne avec une large extension du droit à l’information
pour le citoyen. Tout d’abord, cette extension fut rendu possible par la décision du Conseil
Constitutionnel du 16 décembre 1999 (V.M.-A Frison-Roche et W. Baranès) qui érige en
principe constitutionnel « l’accessibilité et l’intelligibilité » de la loi. Ces principes ont été
repris par la suite dans la loi du 12 avril 2000 au travers notamment des articles 2 et 3 qui
disposent par exemple de l’obligation de la diffusion gratuite des données juridiques sur
Internet ou la relance du processus de codifications. De nouveaux pas ont été également
franchis en termes de transparence administrative. Pour se rapprocher de l’objectif de « la
maison de verre » administrative, le législateur a comblé les failles des textes antérieurs : il
élargit la liste des documents communicables (sauf si la sécurité nationale est engagée) et lève
la procédure de l’anonymat pour un certain nombre de documents. En cela le législateur
souhaite « humaniser » le rapport à l’administration pour établir un lien de confiance. Cette
même idée est enfin reprise au niveau de la transparence financière de l’administration vis-à-
vis de ces administrés avec la mise en place des comptes rendus financiers devenant
obligatoire pour toute convention importante avec un organisme privé.

2. De nouvelles garanties face à l’action de l’administration

Outre l’extension de l’accès à l’information, la figure de l’administré citoyen est consacré par
l’apparition de nouvelles garanties lui permettant d’obtenir une administration plus efficace et
plus juste à son égard.
Tout d’abord, l’administré se voit reconnaître le droit à des démarches administratives
simplifiées. C’est notamment le cas avec l’unification des règles de preuves au cas où une
date limite ou un délais est fixé pour effectuer une démarche administrative effectué par
l’article 16 de la loi du 12 avril 2000. On retrouve également dans ce texte l’ensemble des
principes qui avaient été abordés par le décret de 1983 relatif aux demandes et réclamations
faites à l’encontre de l’administration avec par exemple l’obligation pour l’administration,
suite à une demande légitime d’un administré, de délivrer un accusé de réception. Au cas où
la demande est faite à un service non compétent, obligation est faite à l’administration de
transmettre au service compétent (art. 20) et d’en avertir l’intéressé.
Ensuite, l’administré se voit également reconnaître le droit à une plus grande célérité
des procédures administratives à son endroit. La loi du 12 avril 2000 fait par exemple la
réforme du régime de la décision implicite en faveur de l’administré. Ainsi, le délai de la
décision implicite est réduit à deux mois mais surtout, le texte ouvre plus en grand la
possibilité au pouvoir réglementaire d’élargir le champ du silence acceptation. Selon J.
Chevallier, l’ensemble de ces mesures permettent aux administrés de moins souffrir des
lenteurs traditionnelles de la décisions administratives.
Cependant, malgré la qualité de ces nouvelles aspirations pour l’action administrative
force est de constater les limites de ces nouvelles orientations.

B. Un modèle encore limité

1. Des avancées en partie symboliques

Le modèle de l’administré citoyen reste en partie symbolique dans la pratique du fait


de plusieurs facteurs. Tout d’abord, malgré les démarches de simplification et d’accessibilité,
le droit administratif reste complexe pour les administrés et l’asymétrie de connaissance reste
largement en place : l’administration reste donc en position de force face à l’administré.

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Résoudre cette asymétrie fondamentale semble appelée à perdurer car elle est issue de causes
difficilement réformable comme les contraintes du vocabulaire juridique et les inégalités-
sociologie culturelle face à la compréhension de documents administratifs.

2. Les lacunes et les risques du modèle


Plus concrètement, des lacunes législatives apparaissent encore pour garantir le
modèle de l’administré citoyen. Aujourd’hui par exemple un nombre croissant de décision
affectant directement les administrés sont prises au sein des établissements publics de
coopération intercommunale (EPCI) or ceux ci sont relativement exempté des avancées
législatives décrites auparavant. L’autre lacune importante est relative au thème de la
participation de l’administré à la prise de décision administrative qui a été oublié dans les
réformes les plus récentes bien que promu en matière politique (avec par exemple le
référendum d’initiative populaire dont la loi organique est pour bientôt).
Enfin, l’extension de certains droits comporte des risques. Par exemple la levée
massive de l’anonymat entraîne le risque par recoupement de fichiers de divulgation de la vie
privée des administrés. L’accélération de la décision administrative entraîne également des
inquiétudes quant à la qualité de ces décisions.

Au final, l’administration s’est globalement réformée et a accompli de nombreux pas


vers une relation plus égale entre elle et ses administrés. Si la promesse d’un modèle
administré-citoyen n’est pas encore complètement tenue du fait de diverses limites, la montée
en puissance de celui-ci est indéniable. Cependant, on peut s’interroger sur la nécessité de ce
nouveau rapport administrés/administrations : l’apparition de nouveaux droits pour
l’administré est dans l’absolu une bonne chose mais n’entraîne-t-elle pas de facto une culture
des droits individuels qui fragilise la démarche d’intérêt général défendu par
l’administration ?

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