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COMMENTAIRE COMPOSE :

Choisissez l’un des trois textes suivants et à travers un commentaire composé montrez en quoi la figure
féminine permet l’émergence d’une dimension à la fois réaliste et moderne.

Texte 1

— La pièce est une pièce d’intrigue où Du Bruel a voulu faire du Beaumarchais. Le public des boulevards
n’aime pas ce genre, il veut être bourré d’émotions. L’esprit n’est pas apprécié ici, Tout, ce soir, dépend de
Florine et de Coralie qui sont ravissantes de grâce, de beauté. Ces deux créatures ont des jupes très-courtes, elles
dansent un pas espagnol, elles peuvent enlever le public. Cette représentation est un coup de cartes. Si les
journaux me font quelques articles spirituels, en cas de réussite, je puis gagner cent mille écus.
— Allons, je le vois, ce ne sera qu’un succès d’estime, dit Finot.
— Il y a une cabale montée par les trois théâtres voisins, on va siffler quand même ; mais je me suis mis en
mesure de déjouer ces mauvaises intentions. J’ai surpayé les claqueurs envoyés contre moi, ils siffleront
maladroitement. Voilà deux[Dans le Furne : " trois ", coquille typographique.] négociants qui, pour procurer un
triomphe à Coralie et à Florine, ont pris chacun cent billets et les ont donnés à des connaissances capables de
faire mettre la cabale à la porte. La cabale, deux fois payée, se laissera renvoyer, et cette exécution dispose
toujours bien le public.
— Deux cents billets ! quels gens précieux ! s’écria Finot.
— Oui ! avec deux autres jolies actrices aussi richement entretenues que Florine et Coralie, je me tirerais
d’affaire.
Depuis deux heures, aux oreilles de Lucien, tout se résolvait par de l’argent. Au Théâtre comme en
Librairie, en Librairie comme au Journal, de l’art et de la gloire, il n’en était pas question. Ces coups du grand
balancier de la Monnaie, répétés sur sa tête et sur son cœur, les lui martelaient. Pendant que l’orchestre jouait
l’ouverture, il ne put s’empêcher d’opposer aux applaudissements et aux sifflets du parterre en émeute les scènes
de poésie calme et pure qu’il avait goûtées dans l’imprimerie de David, quand tous deux ils voyaient les
merveilles de l’Art, les nobles triomphes du génie la Gloire aux ailes blanches. En se rappelant les soirées du
Cénacle, une larme brilla dans les yeux du poète.

Balzac, Illusions Perdues

Texte 2

On frappait les trois coup, des ouvreuses s’entêtaient à rendre les vêtements, chargées de pelisses et de
paletots, au milieu du monde qui rentrait. La claque applaudit le décor, une grotte du mont Etna, creusée dans
une mine d’argent, et dont les flancs avaient l’éclat des écus neufs ; au fond, la forge de Vulcain mettait un
coucher d’astre.
Diane, dès la seconde scène, s’entendait avec le dieu, qui devait feindre un voyage pour laisser la place
libre à Vénus et à Mars. Puis, à peine Diane se trouvait-elle seule, que Vénus arrivait. Un frisson remua la salle.
Nana était nue. Elle était nue avec une tranquille audace, certaine de la toute-puissance de sa chair. Une
simple gaze l’enveloppait ; ses épaules rondes, sa gorge d’amazone dont les pointes roses se tenaient levées et
rigides comme des lances, ses larges hanches qui roulaient dans un balancement voluptueux, ses cuisses de
blonde grasse, tout son corps se devinait, se voyait sous le tissu léger, d’une blancheur d’écume.
C’était Vénus naissant des flots, n’ayant pour voile que ses cheveux. Et, lorsque Nana levait les bras, on
apercevait, aux feux de la rampe, les poils d’or de ses aisselles.
Il n’y eut pas d’applaudissements. Personne ne riait plus, les faces des hommes, sérieuses, se tendaient,
avec le nez aminci, la bouche irritée et sans salive. Un vent semblait avoir passé, très doux, chargé d’une sourde
menace. Tout d’un coup, dans la bonne enfant, la femme se dressait, inquiétante, apportant le coup de folie de
son sexe, ouvrant l’inconnu du désir. Nana souriait toujours, mais d’un sourire aigu de mangeuse d’hommes.

Zola, Nana.
Texte 3

Vers une heure de l’après-midi, Loiseau annonça que décidément il se sentait un rude creux dans
l’estomac. Tout le monde souffrait comme lui depuis longtemps ; et le violent besoin de manger, augmentant
toujours, avait tué les conversations.
De temps en temps, quelqu’un bâillait ; un autre presque aussitôt l’imitait ; et chacun, à tour de rôle,
suivant son caractère, son savoir-vivre et sa position sociale, ouvrait la bouche avec fracas ou modestement en
portant vite sa main devant le trou béant d’où sortait une vapeur.
Boule de Suif, à plusieurs reprises, se pencha comme si elle cherchait quelque chose sous ses jupons.
Elle hésitait une seconde, regardait ses voisins, puis se redressait tranquillement. Les figures étaient pâles et
crispées. Loiseau affirma qu’il payerait mille francs un jambonneau. Sa femme fit un geste comme pour protester
; puis elle se calma. Elle souffrait toujours en entendant parler d’argent gaspillé, et ne comprenait même pas les
plaisanteries sur ce sujet. « Le fait est que je ne me sens pas bien, dit le comte, comment n’ai-je pas songé à
apporter des provisions ? » — Chacun se faisait le même reproche.
Cependant, Cornudet avait une gourde pleine de rhum ; il en offrit ; on refusa froidement. Loiseau seul
en accepta deux gouttes, et, lorsqu’il rendit la gourde, il remercia : « C’est bon tout de même, ça réchauffe, et ça
trompe l’appétit. » — L’alcool le mit en belle humeur et il proposa de faire comme sur le petit navire de la
chanson : de manger le plus gras des voyageurs. Cette allusion indirecte à Boule de Suif choqua les gens bien
élevés. On ne répondit pas ; Cornudet seul eut un sourire. Les deux bonnes sœurs avaient cessé de marmotter
leur rosaire, et, les mains enfoncées dans leurs grandes manches, elles se tenaient immobiles, baissant
obstinément les yeux, offrant sans doute au Ciel la souffrance qu’il leur envoyait.
Enfin, à trois heures, comme on se trouvait au milieu d’une plaine interminable, sans un seul village en
vue, Boule de Suif se baissant vivement, retira de sous la banquette un large panier couvert d’une serviette
blanche.
Elle en sortit d’abord une petite assiette de faïence, une fine timbale en argent, puis une vaste terrine
dans laquelle deux poulets entiers, tout découpés, avaient confi sous leur gelée ; et l’on apercevait encore dans le
panier d’autres bonnes choses enveloppées, des pâtés, des fruits, des friandises, les provisions préparées pour un
voyage de trois jours, afin de ne point toucher à la cuisine des auberges. Quatre goulots de bouteilles passaient
entre les paquets de nourriture. Elle prit une aile de poulet et, délicatement, se mit à la manger avec un de ces
petits pains qu’on appelle « Régence » en Normandie.
Tous les regards étaient tendus vers elle. Puis l’odeur se répandit, élargissant les narines, faisant venir
aux bouches une salive abondante avec une contraction douloureuse de la mâchoire sous les oreilles. Le mépris
des dames pour cette fille devenait féroce, comme une envie de la tuer ou de la jeter en bas de la voiture, dans la
neige, elle, sa timbale, son panier et ses provisions.

Maupassant, Boule de Suif

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