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CHAPITRE 5 

: Information, incitations et contrats : la théorie de la firme Japonaise

La réflexion d’Aoki consiste à opposer deux types de firmes : la firme américaine (firme A) et
la firme japonaise (firme J) suivant une méthodologie de « faits stylisés ».

Il convient d’abord de présenter ce renouvellement méthodologique auquel Aoki procède


pour l’analyse de la firme avant de se pencher sur l’opposition A/J, telle qu elle a été
présentée par l’auteur lui-même.

I. Firme japonaise et firme J

1. L’approche par les faits stylisés, méthodologie et objet d’Aoki

Contrairement a Chandler qui procède également par faits stylisés mais suivant une logique
historique (repérer dans le temps) les innovations organisationnelles qui permettent de
mettre en évidence des changements de formes, dans la structure des firmes ; Aoki procède
par comparaison, a un moment donné, entre la firme américaine et la firme japonaise.
La comparaison va se faire sur la base du concept de « structure dans échanges
d’information » qui correspond au double processus de division/allocation des tâches et des
fonctions et de mode de coordination de ces tâches séparées au sein de l’entreprise.

2. L’opposition A/J ou la spécificité de la firme japonaise selon Aoki

L’opposition entre la firme A et la firme J est présentée au niveau de cinq points :


Au niveau des ateliers : La répartition du travail dans la firme A, se fait selon des principes
de spécialisation rigides en fonction de standards préétablis (coordination hiérarchique).
Dans la firme J on pratique la rotation des tâches, et la coordination est plutôt horizontale.
Au niveau de l’entreprise : Considérée dans son ensemble, on procède dans la firme A, a une
répartition hiérarchique et autoritaire des fonctions, de manière à réaliser des gains en
spécialisation. Dans la firme J, des procédures souples et «transfonctionnelles» telles la
participation des ouvriers aux cercles de qualité ou la présence des ingénieurs dans les
ateliers, atténuent la rigueur de l opposition entre travaux de conception et d’exécution.
La relation de sous-traitance dans la firme A est hiérarchique et pratiquée le plus souvent
comme report des risques vers le sous traitant, par contre dans la firme J, elle assure
l’autonomie des co-contractants et un certain partage de risques.
Au niveau de la structure financière : la nature des rapports entre les institutions financières
et la firme J, lui assure l’autonomie de gestion, tandis que le poids des contraintes financières
et de rentabilité a court terme sont si importants que les actionnaires et les banquiers dispose
d’un véritable pouvoir hiérarchique dans la firme A.
Au niveau du partage du pouvoir : Aoki considère que contrairement a la firme A ou le
poids des propriétaires (actionnaires) est très important, la firme J se caractérise par un
pouvoir équivalent des propriétaires (représentés à travers leur participation au conseil
d’administration) et les salariés (représentés par le syndicat de l’entreprise). Les
gestionnaires jouent le rôle de médiateurs entre ces deux parties.

Sous une contrainte de rentabilité la firme japonaise cherche donc à concilier au mieux les
intérêts des groupes qui la constituent, à maximiser son taux de croissance (plutôt que son
profit) et à garantir l’emploi de ses salariés.
Dans les travaux qui vont suivre, Aoki va faire finalement la différence entre deux types de
firmes : la firme hiérarchique et la firme horizontale, sur la base de ce qu’il désigne comme
les trois principes de dualité de l’entreprise.

II. Firme J et théorie générale de la firme  : les trois principes de dualité

1. Coordination, Hiérarchique et Incitations

Dans ce sens, Aoki considère que La forme H présente deux traits particuliers :
- La séparation hiérarchique entre les opérations de conceptions et celles d’exécutions ;
- L’accent mis sur les gains tirés de la spécialisation. 

Les opportunités d’apprentissage sont faibles et la hiérarchie de grade est compensée par la
négociation au préalable dans le contrat de travail des éléments essentiels de la fixation des
salaires et de la carrière du salarié (suivant des procédures marchandes).

La forme J présente deux traits symétriques :

- la coordination horizontale entre les unités opérationnelles : recherche de la


valorisation systématique des apprentissages (acquisition de nouvelles informations)
et de la communication négociation dans le cadre des efforts de coordination ;
- la plus value apportée par la prise en compte de l’impertinence acquise et la
coordination horizontale organisée au niveau des exécutants peut plus que
compenser la perte d’efficacité (sacrifices des temps et de l’énergie des unités
officielles) due à l’abandon de la spécialisation organisationnelle.

Aoki insiste sur le fait que les apprentissages se font pour l’essentiel suivants des procédures
informelles et tacites. C’est ce caractère même qui rend difficile la mise en place de
la «coordination horizontale» sans faire référence à des méthodes de stimulation
particulières c’est là qu’intervient le système de la hiérarchie des grades comme instrument
de stimulation. Ce système consiste à affecter un grade a chaque salarié (suivant une grille),
chaque grade correspond à un niveau donné de salaire, mais non a une fonction particulière,
de sorte a ce que des employés ayant le même grade peuvent exercer des fonctions
différentes.

L’application de ce système incite fortement les salariés à développer leurs compétences et


leur savoir-faire à travers les possibilités multiples d’apprentissages qui leurs sont offerts
dans le cadre de la coordination horizontale.

L’incitation que représente le système de la hiérarchie de grade joue un rôle moteur pour
assurer l’efficience de la coordination et de la firme dans son ensemble.

2. Managers, Actionnaires, Banquiers

L’organisation interne et le contrôle financier de la forme Japonaise sont doublement


caractérisés par :

- Le rôle limité de la hiérarchie dans la prise de décision. Les managers disposent d’une
certaine autonomie qui représente en elle-même une forte incitation.
- Le rôle accru de la hiérarchie dans les mécanismes d’incitation : ce n’est qu’en cas de
mise en danger de la rentabilité de l’entreprise que les actionnaires et les Banques
interviennent, d’abord de manière discrète (mise en garde, demande de corrections
dans les décisions prises …) puis directement. Les financiers ne pilotent l’Entreprise
que par incitation (WDIR : faible pouvoir de décision / forte incitation). D’ailleurs,
déjà compte tenu de la réglementation Japonaise, les Banques et les institutions
financières ne sont pas autorisées à détenir chacune plus de 5% à la fois des titres
d’une entreprise non financière. Les managers disposent d’un pouvoir effectif dans la
conduite des affaires.

3. Le principe du double contrôle

Les décisions des managers sont soumises au double contrôle des détenteurs du capital et
des employés dont le pouvoir est très important. Aoki considère, en effet, que les salariés
représentent un fort actif spécifique dont la firme doit maintenir la cohérence et s’attacher à
long terme les serviteurs.
Le syndicat d’entreprise exerce un contrôle équivalent à celui des actionnaires, et les
managers agissent comme médiateurs de ce double intérêt (contrairement à la forme H,
soumise principalement au contrôle des actionnaires):

III. Une évaluation critique de l’apport d’Aoki

1. Les bénéfices de l’analyse en termes de « faits stylisés » et de « structure


d’échange d’informations »…

Le grand mérite des travaux d’Aoki, c’est de faire référence sur le plan méthodologique aux
«faits stylisés» qui ont permis une description synthétique de la firme Japonaise tout en
s’inscrivant dans une démarche théorique non-culturaliste, qui met au centre de l’attention
une série de dimensions décisives au fonctionnement des firmes.

2. … et ses limites

L’essentiel des critiques porte sur les principes duaux :


- Concernant le premier principe dual « hiérarchie/ incitation », il n’est intelligible que
sur la base d’innovations organisationnelle puissants (telles les procédures de
production en juste à temps) qui ne sont pas analysées par Aoki. Autrement dit, la
structure des échanges d’information ne représente qu’un dérivé des innovations
organisationnelles dont il fallait mettre en évidence le contenu technique et les modes
de contrôle qu’elles mettent en œuvre.
- Le deuxième principe de dualité qui implique une faible intervention des actionnaires
et surtout des banquiers, est lié à des caractéristiques institutionnelles propres au
Japon dans une phase historique déterminée (alors que dans la décennie 1980, la
plupart de ces caractéristiques ont disparu), entre autres, les taux d’intérêt étaient
fixés par la Banque du Japon, ils ne pouvaient donc être utilisés dans la concurrence
interbancaire. Ce sont les Banques qui étaient en position de faiblesse pour garantir
leurs portefeuilles de clients émanant des entreprises industrielles.

Les caractéristiques institutionnelles prises en compte par Aoki expliquent le fonctionnement


particulier des rapports entre industrie et finance Japonaise, plus efficacement que les
considérations relatives aux structures d’échange d’information entre banquiers et
industriels.

- Le principe du double contrôle est également contesté du fait que le syndicalisme


Japonais reste le plus intégré du monde d’une part, et que d’autre part l’actualité
témoigne au contraire de son faible pouvoir : depuis le début de la décennie 1990,
financiarisation et réduction drastique d’effectifs se manifestent pleinement au Japon.

En définitif la théorie de la firme n’intègre pas les innovations organisationnelles, les


contextes institutionnels et accorde un important pouvoir au syndicat d’entreprises qui reste
le plus intégré du monde.

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