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Extrait de « 

La nouvelle Histoire Suisse et des Suisses »


http://www.amazon.fr/Nouvelle-histoire-Suisse-Suisses-Collectif/dp/2601030178

 Titre : Nouvelle Histoire de la Suisse et des Suisses


 Auteur : Collectif
 Édition : 1re édition en 3 volumes
 Éditeur : Payot
 Lieu : Lausanne
 Publication : 1983
 ISBN : 2-601-00300-6

Une civilisation alpine


Cette culture -assurément très ancienne -conservera longtemps une empreinte romane
remontant à la population pré-alémanique. C'est ainsi que les vocables romans persisteront
dans la terminologie technique des exploitations alpines, comme en témoigne un inventaire
des biens du couvent de Muri au XIIIe s. Chez cette population, c'était le lignage, les liens de
parenté, qui dominaient les rapports sociaux. Il en résulta une vie communautaire de forme
aristocratique ou du type de la gens, mais non démocratique au sens moderne du mot. C'est
ainsi que la manière de vivre des bergers et celle de la basse noblesse, qui pratiquait aussi
l’élevage, devinrent fort semblables. Ajoutons ici qu'à la différence des cultivateurs de la
plaine, les bergers et paysans de montagne n'ont jamais perdu l'usage des armes. Les jeux
traditionnels, auxquels ils s'exerçaient dès leur jeune âge, la chasse et des usages guerriers
profondément enracinés dans leurs mœurs ont fait qu'ils sont toujours demeurés en état de se
battre.
Cette civilisation alpine d'apparence archaïque - le mot, ici, n'est nullement péjoratif- se
caractérise par un conservatisme foncier. Ainsi, dans l'Antiquité, les populations des vallées
du versant sud des Alpes résistèrent longtemps à la pénétration de la civilisation romaine. La
romanisation y fut plus tardive que sur le Plateau. Pour les objets usuels, par exemple, les
matériaux traditionnels, le bois et la pierre ollaire, furent employés jusqu'à la fin du Moyen
Age. Les produits romains importés, tel le verre, n'ont entraîné ici aucun changement.
Comme nous l'avons dit, la même attitude conservatrice se manifeste à une époque beaucoup
plus tardive dans le langage des bergers, où survivent des vocables romans. Elle se marque
également par un attachement aux coutumes traditionnelles, par un refus des structures
sociales nouvelles que représentaient le développement de la féodalité et de la puissance
dynastique ou la mainmise seigneuriale sur le pays. Ne pensons pas que ces traits de
conservatisme soient le signe d'une mentalité arriérée. Il serait faux, en tout cas, de partir de
l'idée que la zone alpine retardait par rapport au plat pays. A une époque où dominait
l'agriculture, l'écart culturel entre les Alpes et le Plateau n'était, de loin, pas aussi considérable
qu'il n'apparaîtra plus tard, et jusqu'au milieu du XXe s. Les Alpes avaient été le berceau de
valeurs culturelles originales qui soutenaient parfaitement la comparaison avec celles de la
plaine, et ces valeurs restaient vivantes. D'autre part, le trafic des cols mettait les populations
alpines en contact direct avec des courants culturels très divers.

La société alpine
L'évolution économique et sociale de notre pays correspond, dans ses grandes lignes, à
l'image européenne générale, mais, nous l'avons constaté, elle présente dans les Alpes divers
traits qui s'en écartent. Les conditions particulières auxquelles la vie doit faire face dans ces
régions ont suscité là des structures économiques, culturelles, juridiques et, finalement,
politiques, tout à fait originales. Cet état de fait allait ì l'encontre des ambitions féodales et
s'accommodait mal des prétentions des puissances souveraines. C'est là une des données
centrales qui détermineront l'évolution ultérieure, autrement dit, la formation, si particulière,
de la Confédération. Il convient donc d'examiner de plus près ces différents facteurs

La rudesse du climat alpin et l'aspect accidenté et compartimenté du pays exigeaient des


hommes énergiques, sachant prendre leur sort en main. La conquête de nouveaux espaces
vitaux et culturels, la mise au point d'une réglementation des pâtures nécessitée par l'élevage,
l'irrigation, qui souvent imposait l'établissement de canalisations sur des pentes escarpées, les
soins dus à la forêt qui donne le bois indispensable à la vie et protège des avalanches et des
chutes de pierres, voilà quelques-unes des occupations des montagnards, quelques aspects de
leur lutte contre une nature peu accueillante, une lutte qui exigeait d'eux autant de jugement et
d'adresse que de résistance physique. Elle n'a pas seulement façonné une race d'hommes d'une
trempe particulière, mais leur a inculqué un esprit communautaire et la conscience de leur
solidarité, parce qu'ici, bien plus que dans la plaine, les hommes étaient appelés à s'entraider
et à effectuer des travaux en commun: les amenées d'eau, pas plus que l'exploitation des forêts
et celle des pâturages, ne sont concevables sans cette entente.
Les crêtes des Alpes n'ont pas isolé, séparé les uns des autres, les habitants des différentes
vallées. Les chaînes de montagnes ne constituent pas une barrière, une frontière
infranchissable. Elles permettent, en bien des points, des communications entre les vallées,
même si les passages étaient souvent périlleux; certains sont, aujourd'hui, recouverts de glaces
à la suite des refroidissements de climat survenus depuis le XVIe s. Rappelons ici que la
vallée d'Urseren fut colonisée par des habitants de la Rhétie qui franchirent l'Oberalp, que le
versant nord du Gothard accueillait les troupeaux de la Léventine, et que les Uranais faisaient
paître les leurs dans les vallées voisines en passant les cols des Surènes, du Kinzig et du
Klausen. Sans cette «perméabilité» des Alpes, les migrations des Walser n'auraient pas été
possibles. Dans cette Suisse centrale, qui ne manque pas de communications internes mais
n'en a guère avec l'extérieur, s'est formée une société alpine particulière.

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