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Dr Madeleine Sylvain BOUCHEREAU

[1903-1970]
(1957)

Haïti et ses femmes.


Une étude d’évolution culturelle

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Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 3

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logue, bénévole, professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi, à
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Dr Madeleine SYLVAIN BOUCHEREAU

Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle.

Port-au-Prince , Haïti : Les Éditions Fardin, 1957, 253 pp.

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Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 4

Dr Madeleine Sylvain BOUCHEREAU


[1903-1970]
Haïti et ses femmes.
Une étude d’évolution culturelle.

Port-au-Prince , Haïti : Les Éditions Fardin, 1957, 253 pp.


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Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 6

Haïti et ses femmes.


Une étude d’évolution culturelle.
Table des matières
AVANT-PROPOS [v]

PREMIÈRE PARTIE.
La femme haïtienne dans l’histoire [1]

INTRODUCTION [3]

Chapitre I. Période indienne et espagnole [5]


Chapitre II. Tradition africaine [19]

I. Mariage dans lequel la direction des enfants revient au père [27]


II. Mariage où la mère conserve la direction de ses enfants [28]

Chapitre III. Période française [45]


Chapitre IV. Période haïtienne [65]

DEUXIÈME PARTIE.
La femme dans la famille, la société et l'économie haïtienne [101]

Chapitre I. Statut légal [103]

1. Droits Civils [103


a) Mariage [103]
b) Régime des biens [106]
c) Rapport de la mère avec ses enfants légitimes [116]
d) Unions illégitimes [120]

2. Droits politiques [123]


3. Coutumes traditionnelle [125]
a) Unions matrimoniales [125]
b) Relations familiales [132]

4. Modifications du code civil proposées par la Ligue Féminine d'Action


Sociale [140]
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 7

Chapitre II. Rôle de la femme dans les différentes classes de la société. [144]

1. Rôle civique et social [144]


2. Rôle économique [156]
3. Contribution culturelle féminine [169]
a) Littérature art et sciences [169]
b) Religion [182]

Chapitre III. Cycle de vie. [184]

1. Enfance [184]
a) Bourgeoisie [185]
b) Classe moyenne et prolétariat des villes [188]
c) Classe paysanne [194]

2. Adolescence et mariage [205]


a) Bourgeoisie [205]
b) Classe moyenne et prolétariat des villes [215]
c) Classe paysanne [221]

CONCLUSIONS GÉNÉRALES [231]

Appendice I

Le Procès de la Ligue Féminine d'Action Sociale pour l'exercice intégral des


droits politiques en 1957 et la participation féminine au renversement du gou-
vernement du président Magloire [241]

Appendice II

Présentation schématique des conditions de vie de 597 femmes et jeunes filles


des bourgs et des communautés, rurales [247]

Appendice III

Bibliographie [249]
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 8

[v]

Haïti et ses femmes.


Une étude d’évolution culturelle.

AVANT-PROPOS

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Cet ouvrage a pour but d'examiner la condition de la femme dans


la société haïtienne. La première partie est consacrée à une discussion
de ses origines historiques, la seconde étudie l’évolution de l’éduca-
tion en Haïti, et la troisième examine le statut actuel, économique, so-
cial et politique de l'haïtienne. La seconde partie a été publiée en 1944
dans une brochure intitulée « Education des Femmes en Haïti. » 1
Cette étude est forcément incomplète à cause du petit nombre de
sources authentiques. On trouve peu de renseignements sur la femme
dans les livres d'histoire et dans les récits de voyage. Un grand
nombre de documents ont été consultés en vain et d'autres ne
consacrent qu'une ou deux lignes à notre sujet.
La partie traitant de la condition de la femme est basée sur les ob-
servations de l'auteur qui pendant plus de quinze ans fut inspectrice,
puis chef de service à l’Enseignement Rural, et en même temps prési-
dente de la plus importante association nationale de femme : haï-
tiennes « La Ligue Féminine d'Action Sociale. » Ces doubles fonc-
tions lui ont permis d'entrer en contact avec les femmes de toutes les
classes et de toutes les régions du pays. Les observations générales ont
été approfondies par des monographies individuelles. Les résultats
d'autres recherches individuelles et collectives ont [vi] fourni des ren-
seignements complémentaires sur la situation du peuple et de la petite
bourgeoisie 2.

1 Sylvain Bouchereau, Madeleine G., Éducation des Femmes en Haïti. Impri-


merie de l'Etat, Port-au-Prince, Haïti 1944.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 9

De plus, une enquête a été faite par l’auteur sur les conditions de
vie de 597 femmes et fillettes des bourgs et communautés rurales.
Cette enquête est basée sur des questionnaires remis à un certain
nombre d'institutrices du pays. Celles-ci devaient répondre à quelques
questions concernant les femmes qu'elles connaissaient de très près.
Ces réponses ont pu être contrôlées par des visites personnelles. Les
questionnaires incomplets et de véracité douteuse ont été éliminés et
l’auteur a procédé elle-même à des enquêtes supplémentaires. Le
nombre restreint de cas étudiés ne permet pas de tirer des conclusions
statistiques, mais donne une idée exacte des conditions de vie d'un
certain nombre de femmes habitant les bourgs et les communautés ru-
rales.
Il nous a été souvent difficile d'obtenir des renseignements impor-
tants à cause de l'insuffisance des statistiques sociales. Les recherches
ayant été faites en Haïti et aux Etats-Unis, il a été impossible de
consulter les archives des bibliothèques de Paris et de Séville qui
contiennent les meilleures collections d'ouvrages et de manuscrits trai-
tant de la période coloniale. L'auteur espère néanmoins que cette
étude, bien que brève et incomplète, servira de point de départ à
d'autres discussions plus approfondies sur /a situation de [vii] la
femme haïtienne, sujet entièrement négligé jusque présent.
Ceux qui s'intéressent au problème de révolution culturelle trouve-
ront aussi dans cet ouvrage une illustration intéressante de l'histoire
d'un peuple transplanté dans un nouveau milieu et soumis à des in-
fluences variées. Ce sujet a été plus spécialement traité par Hersko-

2 Bulletin Trimestriel de Statistiques, No. 1 à 7. Institut Haïtien de Statis-


tiques, Port-au-Prince 1951-52 :
Comhaire-Sylvain, Suzanne et Jean. Loisirs et divertissement dans la région
de Kenscoff, Haiti. Bruxelles 1938.
Comhaire-Sylvain, Suzanne. « Loisirs des Fillettes de Port-au-Prince. »
« Voix des Femmes » No. 46 Port-au-Prince, Fév. 1940.
Comhaire-Sylvain, Suzanne « Ce que font nos fillettes en dehors des heures
de classes « Voix des femmes, Nos. 51 à 54, Port-au-Prince, 1940.
Département de Travail. Revue du Travail, Vol. II No. II. Port-au-Prince,
Mai 1952.
Herskovits, M. J., Life in a Haitian Valley, New-York 1937.
Métraux, Alfred. L'Homme et la terre dans la vallée de Marbial, Haïti,
UNESCO, Paris 1951.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 10

vits 3 et l’auteur de cette étude ne prétend pas arriver à des conclusions


originales et définitives, mais a jugé intéressant de présenter les ori-
gines de la femme haïtienne et d'analyser les facteurs qui ont contri-
bué à la formation de sa personnalité.
Cet ouvrage est basé en partie sur des recherches faites pour soute-
nir une thèse de doctorat à l’Université de Bryn Mawr (Etats-Unis
d'Amérique) en 1941, il a été terminé à l'occasion de la Célébration du
Cent Cinquantième Anniversaire de notre Indépendance afin de faire
apprécier la contribution de la femme à la formation de la nation haï-
tienne.
Pour terminer, l'auteur désire exprimer ses sentiments de recon-
naissance envers tous ceux qui ont rendu possible l'achèvement de
cette œuvre, particulièrement son mari, Max Bouchereau et ses sœurs
Suzanne, Jeanne et Yvonne G. Sylvain, qui l'ont aidé de leurs
conseils ; aux instituteurs et institutrices qui ont rempli les question-
naires et participé aux enquêtes, aux docteurs Herbert Miller, Mildred
Fairchild et lise Forest de Bryn Mawr Collège et enfin à tous ceux qui
Vont assisté d'une façon ou d'une autre.

Août 1953

[viii]

3 Herskovits, op. cit.


Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 11

[1]

Haïti et ses femmes.


Une étude d’évolution culturelle.

Première partie
LA FEMME HAÏTIENNE
DANS L’HISTOIRE

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[2]
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 12

[3]

Haïti et ses femmes.


Une étude d’évolution culturelle.
Première partie : La femme haïtienne dans l’histoire

Introduction

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L'Histoire d'Haïti a été entièrement écrite par des hommes et pour


les hommes, aussi n'y trouve-t-on guère de trace de la femme, de son
influence morale, sociale et économique. L'Histoire de l'haïtienne est
encore à écrire ; celui qui entreprendra cette tâche difficile aura fort à
faire et ce n'est que par bribes, raccrochées çà et là, qu'il pourra arriver
à définir la condition de la femme à une période donnée.
Nous allons essayer de donner un bref aperçu du rôle joué par la
femme dans l'évolution de la nation haïtienne, de la place qui lui a été
assignée et de ses possibilités pour l'avenir.

[4]
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 13

[5]

Haïti et ses femmes.


Une étude d’évolution culturelle.
Première partie : La femme haïtienne dans l’histoire

Chapitre I
PÉRIODE INDIENNE
ET ESPAGNOLE

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Lorsque l’île d'Haïti a été découverte en 1492, elle était habitée


principalement par les tainos, nom donné aux indiens de langue ara-
wak qui vivaient dans les Grandes Antilles et les Bahamas. Des
groupes isolés, d'une population de chasseurs et de pêcheurs ressem-
blant aux ciboney qui occupaient certaines sections du centre et de
l’ouest de Cuba ont été signalés dans la presqu'ile de Guaicayarima au
sud-ouest d'Haïti. Leur, position périphérale, tant en Haïti qu’à Cuba,
aussi bien que la distribution archéologique plus, .étendue de leur
culture indique son ancienneté. Les ciboney étaient probablement les
premiers habitants des Antilles qui durent reculer devant les vagues
successives des arawaks et des caraïbes. Ces derniers, qui s'étaient ré-
cemment établis dans les Petites Antilles, inquiétaient par leurs fré-
quentes attaques les indiens des grandes des 4.
L'île d'Haïti semblait un paradis pour les tainos qui y avaient
trouve un sol convenant à la culture du manioc, base de leur nourriture

4 Steward, Julian H., [ed.], Handbook of South American Indians, vol. 4 :


The Circum-Caribbean Tribes. Washington, 1948, pp. 495-565.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 14

et des poissons en abondance dans les rivières et sur la côte quelques


rongeurs et des oiseaux facilement capturés leur fournissaient la
viande qui, d'ailleurs ne constituait pas un élément important de leur
alimentation.
C'est en Haïti que les espagnols ont rencontré l'organisation poli-
tique la mieux définie dans les Antilles. L'île était divisée en cinq caci-
quats délimités par des frontières naturelles. Il y avait plusieurs villes.
Colomb fait mention d'une [6] agglomération située dans le Marien
qui avait mille maisons. En général, les villages étaient bâtis au ha-
sard, sans rue, une petite place devant la maison du cacique en consti-
tuait le centre. Ce n'est qu'au Higuey que Las Casas trouva un plan dé-
fini de ville avec rues.
Le cacique, sa femme et ses concubines habitaient une résidence
spacieuse, située sur la place servant de lieu de réunion pour les com-
munications importantes, les festivals, les danses et les jeux de balle.
Les autres personnes habitaient des maisons logeant plusieurs fa-
milles. Parfois dix ou quinze hommes avec leurs femmes et leurs en-
fants vivaient dans une grande maison (caney), haute de 7 à 13 mètres,
n'ayant pas de cloison particulière 5.
À l'origine, la maison indienne était circulaire. Ce n’est probable-
ment qu'après l'arrivée des espagnols que des maisons rectangulaires
ont été construites. Oviédo décrit une maison ronde avec un toit en
paille soutenu par un pieu central et des poteaux latéraux formant la
charpente des parois faites en bambous très rapprochés les uns des
autres et rattachés par des lianes ; il n'y avait pas de plancher. Il af-
firme que c'était une construction solide capable de résister aux
vents 6.
Les Tainos avaient fondé un état aristocratique. La société était di-
visée en quatre classes : 1) les naborias, 2) la masse du peuple, 3) les
tainos, 4) les caciques et leurs familles.
1) Les naborias étaient les serviteurs et domestiques qui tra-
vaillaient dans les villes et ne possédaient pas de cocotiers : ils étaient
entretenus en récompense de leur travail.
5 Loven, Sven. Origins of the Taino Culture West Indies, Goteborg, 1935,
pp. 73-79, 336, 339.
6 Oviédo. Historia general y natural de las Indias, Vol. I, p. 163, Madrid,
1851.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 15

2) Le peuple : comprenait la masse des cultivateurs qui semblaient


n'avoir aucune voix dans le gouvernement. Ils plantaient, récoltaient,
péchaient et allaient à la guerre.
3) Les tainos ; hommes libres avaient le droit de vote dans les com-
munautés et prenaient part aux conseils municipaux
[7]
et aux réunions extraordinaires du gouvernement. Le peuple obéis-
sait. Ils formaient la garde du corps du cacique, dirigeaient le travail
des champs et fixaient les limites des terrains appartenant aux vil-
lages. Si la communauté était petite, le cacique remplissait lui-même
ces fonctions. Les tainos formaient une espèce de noblesse qui était
probablement héréditaire car les témoins oculaires prétendent qu'ils ne
se mariaient que dans leur classe 7.
4) Les caciques représentaient le peuple dans les relations avec le
monde extérieur. Ils avaient une place importante dans la religion et
étaient en relation directe avec les dieux. Ils avaient la garde des sta-
tues, idoles ou zémis qui contenaient les os de leurs ancêtres. Ils
connaissaient mieux que personne les mythes et traditions religieuses
et les enseignaient à leurs enfants. Les fêtes religieuses avaient lieu
devant ou à l'extérieur de leurs huttes. Ils haranguaient souvent la
foule en cette occasion. Ils portaient des couronnes et des marques
distinctives de leur rang. À part les grands caciques, il y avait des ca-
ciques inférieurs chargés de la juridiction de villages ou districts. À
chaque guerre, ceux-ci formaient un conseil et nommaient un com-
mandant en chef parmi les grands caciques 8.

« Les principautés étaient héréditaires ; mais si un cacique mourrait


sans enfant, ses états passaient à ses sœurs, de préférence à ses frères. La
raison de cette coutume était la même qui l’a fait établir en tant d'autres
pays... à savoir que les enfants des sœurs sont bien plus certainement du
sang de leur oncle que ceux de leur frères. La même raison aurait dû les
faire encore passer par-dessus les enfants même du prince défunt, mais
l'usage était contraire. Dans certaines provinces, les femmes des caciques

7 Loven. Op. cit., p. 502.


8 Oviédo. Op. cit., Vol. I, p. 299.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 16

devaient assister leurs maris quand ils mouraient, sous peine de passer
pour infidèles et leurs enfants illégitimes 9. »

Ceci était en harmonie avec les lois habituelles de succession du


pays, dans certains cas, un étranger pouvait être [8] nommé cacique
ou bien la sœur ou la femme du cacique pouvait lui succéder. C'est
ainsi que plusieurs femmes se trouvaient à la tête de villages, et même
de cacicats, témoin cette Catalina qui, par amour pour Diaz, accueillit
les espagnols dans son village situé à l'embouchure de l'Ozama, leur
révéla la présence de mines d'or dans les environs et les porta ainsi à
fonder la ville de Santo-Domingo 10, Anacaona, épouse et sueur de ca-
ciques et reine elle-même, après leur mort, d'une grande beauté et
d'une intelligence supérieure, poétesse et femme d'état, joua un rôle
important dans les premiers temps de notre histoire. Malgré les ser-
vices rendus aux envahisseurs, elle n'échappa pas au triste sort réservé
aux caciques indiens et fut exterminée, sans pitié, ainsi qu'une grande
partie de ses sujets 11.
Les caciques inférieurs avaient peu de différence de rang avec le
peuple et dirigeaient eux-mêmes les travaux des champs, la pêche et la
chasse. Las Casas prétend les avoir souvent vus mangeant aux mêmes
plats que leurs sujets 12.
En général, malgré les différences sociales, chacun avait sa part de
tout et spécialement des provisions 13, D'après Charlevoix, « les in-
diens étaient accoutumés à se borner aux purs besoins pour la vie, on
n'y songeait point à thésauriser, et ce que la terre produisait presque
sans culture, était : en quelque sorte à tout le monde. Du moins les
plus accommodés ne manquaient jamais de secourir ceux qu'ils

9 Charlevoix, Père P. de. Histoire de l'Isle Espagnole ou de Saint-Domingue,


V. I., pp. 65, Amsterdam 1733.
10 Ibid., pp., 188 ; 18S. Voir aussi : Nau, Emile. Histoire des Caciques d’Haï-
ti, pp. 134, 136. Port-au-Prince, 1885.
11 Ibid., pp. 81, 191, 133, 698. II, 6-10. Nau, op. cit., pp. 225-26. Voir aussi :
Madiou, Thomas, Histoire d’Haïti, T. I, pp. 8-9, Port-au-Prince, 1848.
12 Loven. Op. cit., p. 515
13 Irving, Washington, The Life and Voyages of Christopher Columbus,
Vol. I, pp. 210, 211, New-York. 1868.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 17

voyaient dans l'indigence. L'hospitalité était aussi très religieusement


observée à l'égard de tout le monde 14. »
Avant la conquête, il semble qu'il n'y ait pas eu de véritables
guerres, mais seulement d'insignifiantes querelles de frontières. Les
causes habituelles de ces querelles étaient : [9] a) la rupture des fian-
çailles de la fille du cacique, b) la violation des droits de pêche, et en-
fin c) le meurtre d'un (nombre du groupé par une personne étrangère 15.
Les tainos étaient de mœurs paisibles. S'il y avait une controverse
entre eux, les parties en référaient au cacique « qui n'avait plus de
trouble en gouvernant sa communauté qu'un père de famille ». Las
Casas ajoute : « qu'il n’avait jamais vu une bataille entre les indiens. »
Le vol seul était considéré comme un crime, non pas en tant que viola-
tion des droits de propriété individuelle, mais parce que constituant un
procédé brutal et illégal contre le propriétaire lui-même. Les biens
personnels qui se trouvaient dans la maison, le verger, et les champs
qui avaient été assignés par le cacique pour la production des aliments
nécessaires à la famille constituaient la propriété individuelle 16.
La monogamie était la règle, seuls les caciques avaient plusieurs
femmes qui formaient parfois un véritable harem 17.
Colomb s'exprimait ainsi dans une lettre à Louis de St. Angel :

« ... Il me parait que dans toutes ces iles les hommes se contentent
d'une seule femme, mais en donnent une vingtaine à leur chef ou leur
roi 18. »

Le Père de Charlevoix corrobore cette impression de Colomb : « Il


n'y avait rien de réglé parmi nos insulaires pour le nombre de
femmes ; plusieurs en avaient deux ou trois ; les autres un peu plus.
Un des souverains, qui régnaient dans l’île quand elle fut découverte
en avait jusqu'à trente, niais ces exemples étaient rares. Il parait néan-

14 Charlevoix. Op. cit .,p. 64. Irving. Op, cit., p. 211.


15 Loven. Op. cit., p. 515.
16 Ibid., p. 534-535.
17 Oviédo. Op. cit. VI, p. 133. 500.
18 Irving, op. cit., V. L, pp. 210, 211.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 18

moins que chacun avait sur cela une liberté entière et comme la plu-
part n'avaient guère que le nécessaire, le commun se contentaient
d'une femme. Quant au degré prohibé il n'y avait que le premier sur
lequel on ne se relâchait jamais. Parmi les femmes d'un même mari, il
y en avait généralement une plus distinguée que les autres, mais elle
n'avait aucune supériolité [10] sur ses compagnes. Toutes couchaient
autour du mari, nulle jalousie ne troublait la paix du ménage. À la
mort du mari, les femmes avaient le choix de se faire enterrer avec lui,
toutefois la chose était peu pratiquée 19. »
Parmi les femmes des grands caciques l’une avait la préséance sur
les autres et était considérée comme reine 20. Nous ne savons pas si
c'est le mari ou la femme qui changeait de logement, nous savons
seulement que les mariages se faisaient entre les gens de la même
classe sociale et en ce qui concerne les caciques ce n'était vrai que
pour la femme principale. Le cacique achetait une femme de la famille
d'un autre cacique. Il y avait échange de cadeaux entre le fiancé et son
futur beau-père comme nous l’avons dit. Si le cacique méprisait les
cadeaux déjà échangés et mariait sa fille à un autre candidat, son acte
était considéré comme une cause de guerre. Un homme ne pouvait
épouser sa sœur ou la fille de sa sœur. Le mariage était célébré par une
fête à laquelle les gens de la même classe sociale étaient invités.
D'après M. Loven, tous les convives avaient le droit d'essayer la
femme 21.
La chasteté avant le mariage n'était pas considérée comme obliga-
toire ; au contraire, Martyr prétend « qu'une femme à marier qui avait
accordé ses faveurs au plus grand nombre de personnes était réputée
être la plus honorable et la plus généreuse de toutes 22. » Il ne semble
pas que ce soit un cas de prostitution payée. De plus, en vertu des lois
coutumières de l'hospitalité, les caciques plaçaient leurs femmes à la
disposition de leurs égaux, quand ceux-ci les visitaient. À l'occasion
d'une visite de Colomb au cacique Guacanagaric, à son second
voyage, celui-ci lui donna pour la nuit sa femme et douze jeunes filles

19 Charlevoix, op. cit., V, I, p. 59.


20 Oviédo, op. cit., V. I., p. 500.
21 Loven, op. cit., p. 527.
22 Mac Nutt, Francis Augustus ; Trans. De orbe novo ; The Eight Decades of
Peter Martyr, Vol. II, p. 325. New-York and London, 1922,
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 19

nues, comme preuve d'hospitalité. Anacaona se livra aussi plusieurs


fois à des espagnols 23.
Les auteurs et les témoins oculaires ne s'accordent guère en ce qui
a trait à l'homosexualité et à la présence dans l'Ile [11] de « ber-
daches » hommes habillés en femmes et assumant dans une certaine
mesure la position d'une femme dans la communauté.
D'après Charlevoix, les différences d'opinions sont dues aux préju-
gés des historiens qui, les uns, par patriotisme, tâchaient de justifier
les cruautés exercées sur les Indiens, les autres, par zèle religieux,
exagéraient leurs qualités afin d'apitoyer les chrétiens sur leur sort 24.
Mais il est bien difficile aussi de contredire en tout un historien tel
qu'Ovidéo, lequel après avoir dit que, en général « dans les Antilles
comme dans la terre ferme, les hommes et les femmes étaient égale-
ment sujets au péché que la nature abhorre », ajoute, qu'il faut en ex-
cepter les femmes de l’île Espagnole, qui l'avaient en horreur, non par
honte ou par scrupule étant les plus libertines de tout le Nouveau
Monde, mais à cause du tort que ce détestable commerce leur causait 25
Las Casas et ses confrères essayèrent en vain de découvrir si le di-
vorce existait ou non. Pour Las Casas, il n'existait probablement pas
car « il avait souvent observé des cas ou le mari et la femme étaient
tous les deux âgés 26 ».
Au point de vue économique, il semble que les occupations des
femmes étaient aussi importantes que celles des hommes. D'après Co-
lomb, elles travaillaient plus que ces derniers. Las Casas nous apprend
qu'elles préparaient la cassave qui était la nourriture principale, s'oc-
cupaient de l'élevage de la volaille et des autres oiseaux, du transport
de l’eau de la rivière et du tissage des étoffes et des hamacs. Elles ai-
daient aussi aux travaux agricoles, les hommes se contentaient de pré-
parer le terrain, La récolte du manioc se faisait par les hommes et les
femmes. Les jeunes garçons protégeaient contre les perroquets les
champs de maïs plantés par les femmes 27.

23 Loven, op. cit., p. 529 ; Oviédo, op. cit., V. I., p. 135.


24 Charlevoix, op. cit., pp. 56-57.
25 Charlevoix, op. cit., p. 57.
26 Irving, op. cit., p. 210.
27 Charlevoix, op. cit., p. 57.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 20

Les tainos employaient à peu près la même technique que les tribus
de l’est du Venezuela et de la Guyane pour la préparation du manioc.
Dès que la racine était retirée de terre [12] elle était grattée d'abord
avec des coquillages, puis avec un grattoir. Pour en extraire le jus em-
poisonné, les morceaux de manioc étaient alors pressés dans un long
tube de coton ou de vannerie dont une extrémité était accrochée à une
branche et l'autre alourdie par un poids ou une barre transversale sur
laquelle une femme s'asseyait. Le manioc était cuit sur une plaque
d'argile placée sur trois pierres au-dessus du feu, puis les cassaves
étaient séchées au soleil 28 : Le jus de manioc transformé en vinaigre
par la cuisson permettait de conserver les aliments. Une soupe à la-
quelle on ajoutait continuellement de nouveaux ingrédients était lais-
sée à bouillir en permanence sur le feu. Elle contenait outre de l'eau et
du jus de manioc, des pommes de terre, du mais vert, des haricots et
d'autres produits des champs. Les femmes confectionnaient aussi des
gâteaux de manioc plus fins pour les caciques. Les tainos consom-
maient encore des fruits, des poissons et la chair de quelques oiseaux
et rongeurs. Ils faisaient ordinairement provision d'aliments pour cinq
à huit jours.
Ils prenaient quatre repas par jour : petit déjeuner, déjeuner, diner
et souper, ce dernier peut-être réservé aux jours de fête. Entre le dîner
et le souper, ils prenaient un vomitif avant de consacrer la nuit au sou-
per et à la « collation », nom dont on désignait les danses pendant les-
quelles ils buvaient et s'intoxiquaient avec la chicha et le tabac.
Les hommes et les femmes se peignaient le corps en certaines oc-
casions, ils se tatouaient aussi et les femmes déformaient la tête de
leurs enfants à la naissance.
Les hommes circulaient entièrement nus, les caciques portaient des
couronnes incrustées de pierres précieuses et d'or par devant, et par-
fois des ceintures brodées de perles. On a retrouvé des idoles avec des
bandelettes aux genoux et des disques d'or aux oreilles (les hommes
les portaient probablement aussi, au moins dans certaines occa-
sions) 29.

28 Steward, op. cit., p. 523. On a conservé dans nos campagnes ce mode de


cuisson sur disque pour le manioc doux presque exclusivement cultivé de
nos jours. À l'époque coloniale, les deux variétés étaient en usage.
29 Loven, op. cit., pp. 359, 364, 440, 486, 487.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 21

Les femmes se frottaient le corps avec un onguent contenant [13]


un jus lacté qui leur donnait une couleur blanche, après neuf jours elle
se lavaient et restaient blanches. Elles étaient vêtues de « naguas »
consistant pour les femmes non-mariées en un pagne monté sur une
bande de fibre, parfois elles se contentaient d'une jupe de feuillage.
Les « naguas » des femmes mariées étaient de véritables jupes
s'étendant de la ceinture jusqu'au milieu de la jambe. Pour les fêtes et
les danses, les tainos avaient des vêtements de cérémonie. Les per-
sonnes des deux sexes enroulaient des bandelettes autour de leurs bras
et les coquilles d'escargot, enfilées autour de leurs poignets, de leurs
hanches et de leurs genoux tintaient tandis qu'ils dansaient. Ils por-
taient aussi des guirlandes de fleurs ou d'herbes sur la tête ; les dan-
seuses avaient parfois des branches à la main.
Les ornements d'or étaient accrochés par une bande à leur nez et à
leurs oreilles et des colliers et bracelets à leurs bras et à leurs che-
villes 30.
Les auteurs ne décrivent pas le métier dont se servaient les femmes
pour tisser leurs vêtements et leurs hamacs, ceux-ci étaient en coton
mélangé de fibres et d'une longueur de deux mètres à deux mètres
quarante. Elles se servaient probablement du métier arawaks employé
par les femmes caraïbes. De la Borde décrit ainsi le tissage des ha-
macs dans ces métiers « elles travaillaient leurs lits sur une manière de
châssis appuyé contre les fourches de la case de haut en bas ; la chaîne
aboutit à un rouleau qui fait le bas du châssis et qu'elles tournent à me-
sure que la trame s'ourdit 31. » Elles se servaient de vases d'argile et de
calebasses pour la préparation et la consommation des aliments. On a
retrouvé dans le dépôt d'Anacaona des vases de bois noir épais qui
avaient été confectionnés par une femme. Elles mettaient leurs vête-
ments et tout ce qu'elles désiraient garder dans des paniers imper-
méables qu'elles transportaient sur le dos. Elles se servaient de paniers
décorés pour transporter les offrandes de cassave au festival d'au-
tomne 32. Las Casas constate que les femmes avaient une plus grande
[14] part dans l'éducation de leurs enfants qu'habituellement en Es-
pagne à cette époque. Les parents instruisaient leurs enfants des cou-

30 Loven, op. cit., pp, 408, 466, 481, 483, 484.


31 Ibid., p. 458.
32 Ibid., p. 459.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 22

tumes de la tribu. Le père leur enseignait la religion des ancêtres, tout


ce qui concernait les rites, le culte et le gouvernement. Il leur ensei-
gnait aussi les « areitos » ou chansons de geste qui leur tenaient lieu
d'annales. Les enfants apprenaient à travailler car il n'y avait pas d'es-
clave 33. Las Casas ne donne pas de renseignement précis sur les occu-
pations des hommes. Nous supposons cependant qu'en plus de leur
travail agricole, ils chassaient, péchaient, naviguaient d'une île à
l'autre, construisaient les maisons, les canots, les chaises sculptées en
bois appelés « duho » servant aux caciques et aux invités d'honneur.
Ils étaient aussi seuls admis à rechercher l'or, jeûnaient et vivaient sé-
paré : de leurs femmes pendant vingt jours, prétendant que s'ils al-
laient à la recherche de l'or accompagnés de leurs femmes, ils n'en
trouveraient pas 34.
Cette peur de voir les femmes s'approcher de l'or devait avoir des
motifs religieux. Ce métal faisait partie des choses sacrées. M. Loven
pense que probablement on ne permettait pas aux femmes de laver
l’or parce qu'elles étaient considérées comme plus faibles et plus sus-
ceptibles aux influences des esprits malins et pourraient être conduites
au mal en cherchant l'or 35,
Nous ne savons pas si les objets, de poterie, les paniers, les idoles
et les bijoux étaient fabriqués par les hommes ou les femmes.
La danse était l'une des distractions favorites des Taino. Il y en
avait de différents caractères selon l'importance du festival. Habituel-
lement, elles étaient accompagnées de chants. Elles avaient lieu à l'oc-
casion des fêtes variées que donnait le cacique, et auxquelles il invitait
le peuple au moyen de messagers 36. Le cacique ne participait jamais
aux danses durant ces réceptions. Il devait battre le tambour [15] pen-
dant les danses rituelles et les arietos. Les femmes des caciques
conduisaient les danses. Les festivités duraient souvent toute la nuit.
Les danses étaient exécutées en rangées ou en cercle. Les hommes
et les femmes dansaient séparément. Chacun passait son bras autour
de la taille de son voisin. Le conducteur des groupes de danseurs diri-
geait aussi le chant accompagné de tambour relatant les événements
33 Oviédo, op. cit., I. p. 136.
34 Ibid. p. 533.
35 Ibid. p. 533.
36 Martyr Mac Nutt, op. cit., V, 3, p. 316.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 23

passés. Chaque arieto durait trois ou quatre heures ou jusqu'à ce que le


conducteur ait fini son histoire. Ils dansaient jusqu'à l'épuisement ou
jusqu'à ce qu'ils tombent inanimés sur le sol. Parfois les danses consti-
tuaient un passe-temps sans la présence du cacique et sans tambour 37.
Le jeu de balle était aussi l'une des distractions favorites des In-
diens. Il avait lieu sur la place en présence du cacique et des notables.
Les joueurs étaient divisés en deux groupes de vingt ou trente chacun,
jouant alternativement. Les femmes jouaient entre elles. Parfois, il y
avait des concours entre les gens de communautés différentes et les
caciques offraient des prix à cette occasion 38.
L'idée centrale de la religion était que les idoles ou zémès qui
étaient toujours animés par l'esprit d'un ancien caque — d'existence
légendaire ou réelle — règnent sur les esprits bienveillants et actifs
qui résident dans le ciel et sont capables de révéler les choses oc-
cultes, de prédire les événements ou si on les questionne, de donner
des conseils sur ce que l'on doit faire en temps de calamité, ou quand
on a négligé leur culte ou si l'on doit faire ou non certaines choses.
Ils croyaient en l'existence d'un dieu suprême, invisible et demeu-
rant dans les deux, mais ne lui adressaient jamais de supplication car il
ne s'occupait pas des hommes. Il pouvait pourtant se manifester en
songe dans les occasions importantes. Il apparut ainsi à Guarionex,
l'un des caciques, pour lui annoncer l'extermination des aborigènes 39.
[16]
Les caciques seuls pouvaient entrer directement en communication
avec les zémès sans l'intermédiaire des prêtres, appelés butios au
piaies.
Ces prêtres avaient deux fonctions, celle de médecin et celle de
prêtre. En tant que médecins, ils avaient leurs idoles privées qu'ils
consultaient chez eux afin de pouvoir éclairer leurs patients sur leurs
maladies. Ils prescrivaient à leurs malades une certaine diète qu'ils de-
vaient observer eux-mêmes. Quand un malade mourrait, la famille es-
sayait de découvrir par des épreuves si la responsabilité retombait sur

37 Loven, op. cit., pp. 519, 522, 525.


38 Ibid., pp. 524-525.
39 Ibid, pp. 563, 682.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 24

le médecin, et dans ce cas on le tuait 40. D'autre part en tant que


prêtres, les butios servaient d'intermédiaires entre le peuple et les
idoles placées dans des huttes spéciales, leur apportant les offrandes et
les supplications du peuple, transmettant leurs oracles, officiant
comme prêtres du culte et veillant à ce que le peuple ne négligeât pas
ses devoirs religieux.
Le cacique occupait une place centrale dans la religion et entrait en
communication directe avec les esprits. Dans les cas importants, il fai-
sait connaître ses visions aux nobles dans une réunion spéciale appe-
lée « cahoba. » Nous ne savons pas si les femmes pouvaient être
prêtres, mais en tous cas, elles exerçaient les fonctions de grand-prêtre
quand elles étaient choisies comme caciques. Les indiens avaient
toutes sortes de légendes sur lesquelles nous ne nous étendrons pas,
par exemple, celle de l’île fabuleuse habitée seulement par des
femmes.
Comme il est d'usage chez plusieurs peuples primitifs, la religion
était associée à tous les actes de leur vie. Ils croyaient qu’après la mort
les esprits continuaient à mener une existence à peu près semblable à
celle qu'ils avaient menée durant leur vie, et chaque cacicat possédait
son royaume des morts 41.
Les indiennes menaient une existence paisible partagée entre les
occupations ménagères, le travail agricole et manuel, l'éducation de
leurs enfants, les chansons et les danses. L'arrivée [17] des Espagnols
vint détruire ce bonheur tranquille. Désirant s'enrichir le plus vite pos-
sible, ils se tournèrent vers les mines d'or et obligèrent les indigènes à
délaisser leurs occupations habituelles pour leur payer un lourd tribu.
Les indiennes, réduites en esclavage, ne résistèrent pas plus que les
hommes aux rudes travaux, auxquels leur existence antérieure ne les
avait pas préparées. L'extinction rapide des indigènes devint bientôt
une source d'alarmes. La fatigue, la maladie et la famine contribuèrent
à décimer la population. Hommes et femmes obligés de se consacrer
au travail pénible d'extraction de l’or exigé par les espagnols,
n'avaient pas le temps de s'occuper de leur agriculture qui réclamait
une attention constante, ils moururent de faim en grand nombre, cer-
tains furent la proie d'une épidémie de petite vérole ; plusieurs se lais-

40 Ibid., pp. 575-578.


41 Ibid., p. 574.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 25

sèrent mourir de désespoir, espérant retrouver dans l'autre monde leur


vie ancienne, tandis que d'autres levant l'étendard de la révolte furent
exterminés sans pitié par les espagnols. «En 1507, il ne restait déjà
plus dans l'île espagnole que soixante mille indiens, c'est-à-dire la
vingtième partie de ceux qu'on y avait trouvés quinze ans auparavant
selon ceux qui en mettent le moins 42 ».
Cette diminution rapide empêchait la colonie de se développer.
Pour remédier à l'insuffisance de la main d'œuvre, Ovando, le gouver-
neur de la colonie, importa quarante mille indigènes des îles Lucayes
qui avaient été découvertes auparavant 43. Il fit aussi appel à des colons
d'Espagne.
Les nouveaux colons, venus sans leurs femmes, ne tardèrent pas à
s'établir avec les indiennes, ces liens furent légalisés quand en 1508
Ovando obligea tous les espagnols mariés à faire venir leurs femmes
d'Espagne et les autres à épouser leurs concubines ou à quitter la colo-
nie. La plupart se marièrent. C'est ainsi que Charlevoix constate en
1738 que « les trois quarts des espagnols qui composent aujourd'hui
cette colonie descendent par les femmes des premiers habitants de
l'île 44 » Toutefois, à cause de l’animosité [18] qui exista par la suite
entre les deux races, ces unions ne se multiplièrent pas autant qu'on
l'espérait.
Les colons introduisirent dans la colonie les mœurs, la religion et
les institutions espagnoles. En 1528, d'après Ovando Santo-Domingo
n'était pas inférieure aux villes d'Espagne, il y avait de nombreuses
maisons de pierres comme à Barcelone, de grandes rues, une citadelle,
une cathédrale, le palais du vice-roi et trois monastères. Pourtant la
colonie ne tarda pas à décliner. Avec l'extinction des mines, les espa-
gnols attirés par les richesses du continent, abandonnèrent Hispanio-
la 45.
Les femmes commencèrent bientôt à manquer dans la colonie car
les hommes émigraient en plus grand nombre. La traite, des noirs per-
mit de suppléer à l'insuffisance des travailleurs. Dès 1509, nègres et
42 Charlevoix, op. cit., V, II, p. 54.
43 Rainsford, Marcus, An Historica1 Account of the Black empire of Haiti,
1805, pp. 22, 23.
44 Charlevoix, op. cit., p. 138.
45 Ibid., pp. 64, 65 ; Labat, op. cit., v. p. 59 ; Rainsford, op. cit., p. 37.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 26

négresses furent amenés en Haïti, les négresses en nombre inférieur


parce qu'elles constituaient un mauvais placement 46.
Les, colons s'unirent aux africaines comme ils l'avaient fait avec
les indiennes et donnèrent naissance à un peuple de couleur. La colo-
nie devint sang-mêlé, gardant un petit nombre d'espagnols 47.
Les aventuriers français et anglais, connus sous le nom de flibus-
tiers et de boucaniers établis d'abord à l’île de la Tortue, s'emparèrent
de la partie ouest de la grande île qui fut cédée officiellement à la
France par le traité de Ryswick en 1697 48.

46 Charlevoix, op. cit., p. 79.


47 Rainsford, op. cit. p. 37.
48 Dalencour, François, Histoire d'Haïti, pp. 40, 41. Port-au-Prince, 1933.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 27

[19]

Haïti et ses femmes.


Une étude d’évolution culturelle.
Première partie : La femme haïtienne dans l’histoire

Chapitre II
TRADITION AFRICAINE

Retour à la table des matières

Avant d'étudier la période de la colonisation française en Haïti,


nous avons jugé nécessaire de présenter succinctement le rôle de la
femme en Afrique, parce que les noirs importés constituent depuis
cette époque la majorité de la population de l’île.
Les esclaves menés en Haïti avaient été achetés dans une série de
comptoirs de l'Afrique Occidentale s'étendant du Sénégal au Cap de
Bonne-Espérance et jusqu'à la Côte de Mozambique. La région du Sé-
négal avait été d'abord le centre de traite mais au fur et à mesure celui-
ci se déplaça vers le Sud. En 1789 il était centralisé dans la région de
la Côte du Congo et d'Angola, le trafic avec le Mozambique s'étant
développé plus tard 49.
Comme on peut le supposer, les esclaves habitant ces régions ap-
partenaient à des tribus différentes et avaient des coutumes variées,
pourtant certains traits fondamentaux étaient répandus dans toute
l'Afrique Occidentale produisant une unité de langage et de culture 50.
Les linguistes reconnaissent en général que si les langues d'Afrique
49 Peytraud, L., L’esclavage aux Antilles françaises avant 1789, pp. 97-105.
Paris 1789.
50 Herskovits. M. J., Life in a Haitian Valley, p. 22. New-York 1937.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 28

Occidentale ont un vocabulaire différent, elles ont une syntaxe et une


morphologie à peu près identiques 51.
De plus, la vie sociale et l'organisation politique offraient une cer-
taine unité fondamentale dans toutes ces régions, en dépit de grandes
différences locales. Il y avait bien à côté de grands empires d'une po-
pulation de plus d'un million avec [20] un gouvernement bien organisé
de petits villages indépendants d'une centaine d'habitants, mais cer-
taines coutumes telle que la polygamie étaient universellement répan-
dues et la descendance se comptait dans une seule branche de la fa-
mille paternelle ou maternelle. On trouvait aussi des similitudes dans
la religion et la magie ; un panthéon de dieux, le culte des ancêtres,
l'importance rituelle de la danse, des chants et du tambour, enfin
quelques mythes et traditions étaient communs 52.
Il est difficile de déterminer l'apport de chaque groupe à la forma-
tion de la civilisation haïtienne. D'après Herskovits, c'est la culture da-
homéenne qui a laissé les traces les plus profondes en Haïti. Non pas à
cause de la quantité des esclaves importés de cette région, mais plutôt
à cause de leur qualité. Nous verrons tout à l'heure qu'il était interdit
de vendre les esclaves nés au Dahomey, donc ce n'est pas parmi cette
classe que se recrutaient les esclaves vendus aux négriers, mais plutôt
parmi les prisonniers de guerre et ceux qui essayaient de se révolter
contre le pouvoir établi : les prêtres et les nobles qui fomentaient par-
fois des révolutions contre le roi. Ces prêtres et ces nobles étaient les
héritiers de la science du groupe, c'est pourquoi ils ont pu transmettre
à Haïti une grande partie de leurs coutumes et de leurs rites. Ne pou-
vant étudier le rôle de la femme dans toutes les tribus de l'Afrique Oc-
cidentale, nous nous contenterons de l'étudier dans la société daho-
méenne ce qui nous donnera une idée générale des traditions que les
esclaves avaient apportées d'Afrique Occidentale, tout en nous souve-
nant qu'un grand nombre de traits ont été aussi empruntés à d'autres
sources.

51 Ibid., p. 23.
52 Herskovits, op. cit., pp. 23 24.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 29

Vie matérielle et économique.

D'après Mason 53, dans les sociétés primitives c'est la femme qui
nourrit la famille, l'habille, sert de bête de charge, [21] exécute toutes
sortes de besognes, s'adonne à la poterie, crée l'art développe la langue
et patronne la religion.
En était-il ainsi au Dahomey ? La femme y occupait une place im-
portante et était plus favorisée que dans la plupart ces autres sociétés
patriarcales, en raison de la survivance des traditions de la famille uté-
rine. Le Dahomey est l'une des rares régions de l'Afrique Occidentale
où la constitution du clan est basée sur la filiation consanguine.
D'après Baumann 54, il existe un rapport entre la prépondérance de la
filiation utérine et le rôle de la femme dans la culture à la houe. Il
semble que le travail des femmes aux champs soit souvent associé au
clan utérin parce qu'il est lié au droit de possession du sol et que ce
droit en retour se soit développé en faveur de la femme parce que
seule elle s'occupait d'agriculture. En général, dans la zone forestière
de l'Afrique Équatoriale et du bassin du Congo, le travail des champs,
à l'exception du défrichement, est fait par les femmes et on ne pratique
pas la culture intensive. Au nord de cette zone la culture du millet
dans les savanes herbeuses est l'objet d'une collaboration plus grande
des deux sexes. L'homme retourne la terre à la houe et la culture est
plus intensive Dans la région s'étendant du Soudan au centre de
l'Afrique Occidentale et dans les hauteurs d'Angola, même là ou
l'igname et le manioc croissent vigoureusement, dans le sol meuble,
les hommes sont aussi cultivateurs.
Il est rare de trouver en Afrique des régions ou l'homme travaille
seul.
Au Dahomey comme dans les autres sociétés patriarcales afri-
caines, les deux sexes travaillaient aux champs et l’agriculture était
pratiquée intensivement. Les hommes préparaient le terrain pour la
plantation, ils ne se contentaient pas de défricher, de couper les arbres
53 Mason, O. T., Woman's Share in Primitive Culture, New York, 1891.
54 Baumann, H. « The Division of Work According to Sex in African Hoe
Culture », Africa, Vol. I, 1928, pp. 290-307.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 30

et les broussailles, de brûler, mais ils sarclaient aussi le terrain. L'ense-


mencement était fait soit par l'homme seul, soit par les hommes et les
femmes. Les femmes sarclaient et surveillaient la [22] croissance des
plantes. Avec leurs enfants elles chassaient les oiseaux de la planta-
tion. Elles étaient aussi chargées de la récolte. Quand celle-ci était trop
abondante pour être faite par une seule famille, le chef de famille invi-
tait les parentes de sa ou de ses femmes à venir les aider.
C'était une occasion de fête ; les invités arrivaient en chantant et
rapportaient chez elles les présents qu'elles avaient reçus en retour de
leur travail 55.
Les femmes avaient aussi le monopole de certains métiers comme
par exemple la poterie. Certains autres étaient exercés par les deux
sexes ; tel que la filature qui était l'apanage des vieillards.
La poterie était considérée par certains comme étant le plus impor-
tant des métiers féminins, car « elles font les ustensiles de cuisine et
les vases dont on se sert dans les cérémonies pour le culte divin. »
Mais d'autres personnes pensaient que le coton était encore plus im-
portant parce que « l’on fait des linceuls avec le coton qu'elles filent ».
La poterie était cuite et souvent vendue comparativement. Une femme
qui ne s'entendait pas avec les autres personnes de son groupe, parti-
culièrement si elle baissait les prix, étant punie par une perte d'argent
car son stock de poterie était brisé par ses associées, et elle était aussi
obligée de travailler sans rémunération avant d'être de nouveau ad-
mise à jouir des privilèges de la corporation 56.
Le rôle commercial de la femme était très important dans toute
l'Afrique noire en tant que marchande et consommatrice. « En effet,
d'après Letourneau, quoique chez les primitifs le goût de la parure soit
commun aux deux sexes, il est souvent plus développé chez les
femmes, et, en Afrique, ce sont elles surtout qui se laissaient tenter par
les pacotilles européennes ou par les étoffes indigènes de luxe, comme
celles qui se fabriquent à Kano et ailleurs. Le plus souvent, dit un
voyageur, le noir n'achète pas pour lui mais pour sa ou ses femmes.
Quand celles-ci sont parées, il est impossible à un européen de lui rien

55 Herskovits, op. cit., pp. 30-36.


56 Ibid., pp. 45-49 et 76-77.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 31

vendre. Mais les simples échanges entre [23] indigènes se font aussi
par l'intermédiaire des femmes 57.
Dans certaines régions les femmes rendaient aussi de précieux ser-
vices au commerce en servant d'intermédiaire entre des populations
ennemies : « Les Massais de l'Afrique Orientale fournissent un
exemple de l'immunité commerciale reconnue aux femmes par les
mœurs de ces contrées ; les Massais ont même entièrement abandonné
à leurs femmes le soin des opérations commerciales et celles-ci s'y
livrent tranquillement, fut-ce en temps de guerre, confiantes dans l'im-
munité dont elles jouissent ordinairement. Rencontrent-elles une cara-
vane étrangère, elles l'abordent, sans hésiter ; mais, suivant un rite
convenu à petits pas, en sautillant, en imprimant à leur corps des mou-
vements ondulés et en entonnant une cantilène. En outre, elles
s'avancent en tenant à la main une touffe d'herbes, et ce langage mi-
mique signifie : « Paix ! Amitié ! » Même aux époques les plus trou-
blées, quand deux tribus se font une guerre à mort, les femmes cir-
culent entre les belligérants, paisiblement, isolément, parfois en chas-
sant un âne devant elles et s'en vont sans danger ni crainte acheter des
grains et des légumes pour les leurs. En général les hommes Massais
ne se mêlent que des marchés relativement importants, quand il s'agit
d'un bœuf, par exemple, et alois la vente ne se conclut qu'après une
heure de discussion animée 58. »
Ordinairement, dans les marchés dahoméens, les échanges se fai-
saient directement ; les producteurs ou artisans vendaient eux-mêmes
leurs marchandises. Les seuls marchés servant d'intermédiaires étaient
les marchés de gros ou les grands cultivateurs écoulaient leurs pro-
duits. Les acheteurs à ces marchés de gros étaient principalement des
femmes, car il y avait peu d'hommes faisant le commerce. La [24] vie
de ces marchandes était très pénible, se levant avant l'aube, elles se di-
rigeaient vers le marché portant sur la tête plusieurs calebasses conte-

57 Letourneau, Charles, La Condition de la Femme dans les diverses races et


civilisations, p. 69, Paris 1903.
58 Thompson, Au pays des Massais, pp. 58, 102, 103, 107, cité par Letour-
neau, op. cit., p. 70. Les Massais, non plus que les autres peuplades de
l'Afrique Orientale n'ont pas fourni un contingent appréciable d'esclaves par-
mi ceux importés en Haïti. Cependant, il nous a paru intéressant de citer ce
caractère d'immunité commerciale remarquable en Haïti plusieurs siècles
plus tard durant les guerres de l'Indépendance et les révolutions.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 32

nant des articles faits en ville qu'elles remplaçaient le soir par des pro-
duits de la région. Souvent elles taisaient des affaires dans plusieurs
marchés et elles devaient voyager à pied en transportant leurs far-
deaux sur la tête. Si elles avaient un petit enfant, elles le portaient sur
le dos attaché avec une ceinture. Actuellement, presque la moitié des
dahoméennes vendent dans les marchés et s'occupent de la préparation
des commodités qui y sont vendues. La marché commence à 8 heures
et dure toute la journée. On y remplit aussi certains devoirs religieux
si l’on veut s'assurer une bonne vente. On a estimé que 10.000 Per-
sonnes passent par le marché d'Abomey dans une journée. 59
À côté de ces occupations en quelques sorte professionnelles, la
femme avait la responsabilité des soins domestiques. « Parfois on les
rencontre s'en allant en bandes par douzaines ou vingtaines allant
chercher de l’eau, ce qui n’est pas toujours le moins pénible de leurs
devoirs ; néanmoins elles cheminent en jasant, leur cruche sur la tête
et leur enfant sur le dos, parfois la pipe à la bouche 60. »
Livingston fait remarquer que « chez les nègres africains en géné-
ral la préparation des aliments, partout laissée aux femmes, comportait
avant tout un travail très long et très pénible, le broyage du grain pour
le réduire en farine. Nulle part dans le continent noir la meule circu-
laire n'avait été inventée et l'on devait écraser le grain à la mode pré-
historique entre deux pierres, l'une inférieure, concave et immobile,
l'autre convexe et à laquelle la meunière imprimait des mouvements
de va et vient 61. »
La femme aussi bien que l'homme pouvait posséder des biens.
Tous deux disposaient d'une série de vêtements pour les grandes cir-
constances et, s'ils étaient membres d'un culte, ils devaient avoir les
insignes et les habits de cérémonie de [25] ce culte, les charmes, etc..
La femme avait le droit de disposer de tout ce qu'elle avait gagné au
marché, même pendant le mariage, généralement le profit de ce qu'elle
avait produit par ses efforts personnels et de tout ce dont elle avait hé-
rité de sa propre famille lui appartenait. Nous verrons que certaines
femmes mariées étaient très riches et que d'autres pouvaient fonder

59 Herskovits, op. cit., pp. 58, 57.


60 Lafitte, I., Le Dahomé, p. 150. Tours, 1873.
61 Livingstone, Exploration en Afrique Centrale, p. 323, cité par Letourneau,
op. cit., p. 64,
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 33

des familles, et même des dynastie qui, dans ce cas, passaient le plus
souvent aux mains de leurs filles. Comme nous l'avons déjà dit, la
succession se faisait en ligne masculine avec droit de primo géniture,
l'un des fils du défunt était choisi comme héritier, pourtant les autres
enfants n'étaient pas entièrement déshérités, car le père leur laissait or-
dinairement quelque chose par une espèce de testament rendu public
après sa mort par l'intermédiaire de son meilleur ami. Toutefois, s'il y
avait des contestations, le patriarche ou chef du clan, après avoir mis
de côté les biens du clan, partageait ordinairement l'héritage en deux
parties qui n'étaient pas nécessairement égales, l'une pour l'héritier et
l'autre à partager entre les deux autres enfants. Cette partie était divi-
sée de la façon suivante : les vêtements du père étaient partagés entre
les fils et les filles, ceux-ci prenant les plus grands et celles-là, les plus
petits. Son argent était divisé en trois parties égales, une pour les filles
et deux pour les fils. Parmi les filles, l'ainée prenait un peu plus que
les autres et le reste était divisé également ; les fils divisaient leur part
également 62.
Les biens de la femme étaient partagés de même entre ses enfants
d'après un testament rendu public après sa mort. Mais ce partage ne
suscitait jamais de disputes, car les frères et sœurs utérins étaient
étroitement unis.

Rôle Social

Au point de vue social, la société dahoméenne comprenait trois


groupes principaux : 1) la famille hwo ou ho comprenant un homme,
sa femme ou ses femmes et leurs enfants ; 2) la ghé ou la grande fa-
mille se composant des familles [26] d'un certain nombre de frères et
de leurs fils. Ce groupe était essentiellement basé sur une continuité
de résidence, car les membres de la famille qui avaient émigré
n'étaient pas considérés comme faisant partie du gbé; 3) le clan patrili-
néal ou xénu, composé de plusieurs familles issues d'un ancêtre com-
mun et comprenant une grande quantité d'individu, pouvant résider
dans toutes les parties du pays.

62 Herskovits, op. cit. pp. 86-92.


Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 34

Ces groupes vivaient dans trois catégories de demeures : la maison,


l'habitation ou compound et la collectivité. La maison était la demeure
d'une femme et de ces enfants, et à part de rares exceptions, le cas
d'une maison de culte, par exemple, une maison faisait toujours partie
d'une habitation. L'habitation était constituée par une réunion de mai-
sons entourées par une mur. Dans l'enceinte se trouvaient des maisons
individuelles réservées aux mari et père de la famille, a ses femmes, à
ses frères et à ses fils adultes qui vivaient avec lui, aux jeunes gens, au
culte des ancêtres, et aux oracles. Si la famille était riche, il y avait
aussi une maison servant de dépôt. La maison dahoméenne était rec-
tangulaire avec des murs composés de pieux et un toit de chaume. Or-
dinairement la façade de la maison était placée un peu en arrière de fa-
çon à ce que la femme puisse jouir d'un endroit ombragé pour vaquer
aux besognes domestiques ou converser avec ses filles.
La collectivité était la réunion de deux à cinq habitations et logeait
le « gbé », elle n'était pas entourée de murs et pouvait occuper tout un
quartier. Une des habitations était considérée comme la principale et
c'est là que se trouvaient situés les autels ancestraux.
Les dahoméens comme la plupart des africains sont polygames. Il
y avait trois catégories de mariages mais on pouvait les ramener à
deux grandes divisions. La différence résidant dans le paiement ou
non d'une somme d'argent par le mari, paiement lui donnant plein pou-
voir sur ses enfants. Dans les mariages de la deuxième catégorie, ces
paiements n'étaient pas effectués, les enfants étaient sous la direction
des parents de la mère bien qu'appartenant spirituellement an clan pa-
ternel.
[27]

Voici en raccourci, les différentes formes de mariages qui sont usi-


tées actuellement au Dahomey.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 35

I. MARIAGE DANS LEQUEL LA DIRECTION


DES ENFANTS REVIENT AU PÈRE

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1 ) Akevonusi. Le père propose le mariage à un jeune homme qui


lui convient. Celui-ci, après avoir consulté le devin accepte si sa desti-
née le lui permet. Après avoir fait les cadeaux nécessaires à ses beaux-
parents il est fiancé à la jeune fille. À partir de ce moment, il travaille
au champ de son futur beau-père répare la maison de sa belle-mère et
leur prête assistance en cas de mort, accident ou de maladie mortelle.
Avant d'avoir la permission d'emmener la jeune fille, il doit donner au
chef du clan 720 cauris (coquillages servant de monnaie), deux
étoffes, une pour le père et une pour la mère, un sac de sel et une
chèvre. Et il fait aussi des cadeaux d'usage à sa fiancée avant de l'em-
mener chez lui.
2) Asidjosi. Tout avait été réglé comme dans le cas précédent, mais
la jeune fille ayant été vivre avec un autre homme, le future mari rem-
bourse le premier fiancé et prend sa place.
3 ) Vibiobio. Cette fois c'est l'homme qui ayant vu une jeune fille
qui lui plait la demande en mariage. S'il est accepté il doit employer la
même procédure que dans le premier type de mariage.
4) Manumanawa. Prévalant parmi les gens pauvres. Deux hommes
font l'échange de filles ou de sœurs et sont ainsi dispensés des paie-
ments.
5) Tochési. Le père donne à son fils l'argent nécessaire au mariage,
mais celui-ci doit travailler pour le rembourser.
6) Admewedida. Le meilleur ami paie toutes les dépenses du ma-
riage et la première fille de la femme lui est donné en mariage.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 36

[28]

II. MARIAGE OU LA MÈRE CONSERVE


LA DIRECTION DE SES ENFANTS

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1 ) Xadule. C'est une union libre, pure et simple, un homme ren-


contre une jeune fille qui lui plait et ils ont des rendez-vous secrets ;
quand on découvre que la jeune fille est enceinte, ils vont vivre en-
semble.
2) Gbsudenoglosi. Fréquent parmi la royauté et l'aristocratie. Une
femme économiquement indépendante, qui désire avoir son habitation
et sa famille propre, se marie à une autre jeune fille et fait les paie-
ments nécessaires, établit sa « femme » dans une maison et choisit un
homme qui doit s'unir à la jeune fille à qui elle est mariée. De cette fa-
çon, la femme a une maison à elle, des enfants, et si elle a suffisam-
ment d'argent elle peut épouser ainsi plusieurs jeunes filles et avoir
une habitation très populeuse.
3) Vidotchwe. Quand une habitation est dépeuplée le chef du clan
désigne une jeune fille de la famille et lui demande de choisir elle-
même un mari qui lui bâtira une maison sur l'habitation de son père.
Le mari est regardé comme un fils de la famille bien qu'il ne réside
pas sur l'habitation de ses beaux-parents. Les enfants sont séparés
entre les deux familles, lot famille maternelle en gardant le plus grand
nombre.
4) Videkpokata. Semblable au précédent. Une seule fille est choisie
pour rester à la maison et les arrangements pour le mariage sont faits
par la mère de la jeune fille.
5) Chiosi. Un homme hérite d'une femme à la mort de son père, de
son oncle ou de son fils aîné.
6 ) Avonisi. Pratiqué par la famille royale. Une des princesses or-
donne à un homme de se marier à une jeune fille qui lui a été confiée
par le roi. Dans ce cas la princesse fait tous les frais, l'homme devant
seulement donner une étoffe [29] à sa femme et travailler pour la prin-
cesse. Les enfants obéissent à la princesse.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 37

7 ) Axevivi. Mariage des princesses. Ils sont célébrés avec de


grandes cérémonie présidées par le roi. Les enfants sont considérés
comme des princes et des princesses, mais ils en peuvent jamais deve-
nir chef de la famille royale. Ordinairement les princesses ne de-
meurent pas longtemps dans l'habitation de leur mari. Après deux ou
trois ans elles vont vivre dans une habitation érigée pour elles dans les
quartiers royaux 63.
Comme on le voit, la plupart du temps c'est le père qui arrange le
mariage de ses filles mais si le consentement de ces dernières n'est pas
exigé il lui faut au moins obtenir une acceptation passive car si la
jeune fille ne désire pas ce mariage, elle peut prendre un amant et de-
venir enceinte.
Si l'amoureux refusait de rembourser les paiements et que le pre-
mier était toujours disposé à se marier, elle pourrait se sauver avec un
second, ce qui briserait définitivement le mariage, la jeune fille ayant
donné une preuve manifeste de con manque de sérieux. Le père serait
alors obligé de rembourser les frais au premier fiancé ou de lui donner
une autre fille 64.

Rôle politique.

Seul le chef du clan était plus important que les « akovis. » Toute-
fois, à l'exception des trois plus âgées, ces femmes continuaient à rési-
der dans leur collectivité. Là leur fonction principale consistait à don-
ner des aliments aux âmes des ancêtres, à bénir les nouveaux mariés et
elles continuaient à participer à la vie journalière du clan. Toutes les
femmes sur le retour d'âge pouvaient faire partie de ce groupe. Il y
avait pourtant deux catégories d'akovis, le groupe dont nous venons de
parler et les akovis proprement dites qui servaient aux funérailles. Ce
dernier groupe était composé des deux [30] ou trois plus vieilles
femmes du clan résidant dans la collectivité principale.
Quand un membre du clan mourait, l’une d'elles se rendait au lieu
des funérailles et y restait jusqu'à la fin des cérémonies où elle devait
officier.
63 Herskovits, op. cit., p. 302.
64 Herskovits, op. cit., p. 340.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 38

Elles avaient une place très élevée dans les conseils du clan. Si la
plus âgée d'entre elles était plus vieille que le chef, son opinion était
souvent plus importante que la sienne et il ne désirait pas la contrarier.
De plus, c'était elle qui, suivant les cérémonies d'usage, devait sacrer
le nouveau chef de clan dès qu'il avait été accepté par le roi. Son pou-
voir était très grand et tout membre du sib craignait de lui déplaire, car
elle pouvait faire un mauvais rapport sur l'offenseur « et les morts
écoutent ces femmes 65. »
Les femmes libres, chefs d'habitation, étaient connues pour leur
pouvoir politique. D'une part, elles avaient un grand nombre d'indivi-
dus sous leurs ordres, d'autre part, menant une vie très libre, elles re-
cevaient beaucoup de notabilités et pouvaient influencer leurs déci-
sions.
Ces femmes pouvaient ainsi faire ou ruiner la carrière d'un chef 66.
À la cour du roi, la femme agissait aussi dans l'ombre, mais son
rôle était néanmoins très important. Les rois dahoméens avaient une
grande quantité d'épouses, certains auteurs prétendent qu'ils en avaient
plusieurs milliers. Toute femme mariée ou non était à la disposition du
monarque qui pouvait la choisir comme épouse. Naturellement, il ne
lui était pas possible de les prendre toutes comme maitresse. Certaines
vivaient plus ou moins constamment avec lui, tandis que d'autres ne
servaient les plaisirs royaux que très rarement ou même jamais. Ces
dernières n'avaient le choix qu'entre le célibat et l'adultère qui était
puni de mort. Il régnait à la cour une atmosphère de jalousies et d'in-
trigues. En général, c'étaient les plus jeunes et les plus jolies qui jouis-
saient de la faveur royale quelle que fût leur condition précédente. Le
roi pouvait choisir comme héritier un fils [31] d'esclave. S'il était frap-
pé par l'intelligence et le sérieux d'une femme, il s'en servait comme
conseillère et surveillante des hauts fonctionnaires.

65 Herskovits, op. cit., p. 158.


66 Ibid., p. 254.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 39

Les femmes du roi étaient divisées en quatre catégories :

a) les épouses proprement dites qui avaient vécu avec lui à


une époque quelconque ;
b) les amazones ou femmes guerrières ;
c) les femmes âgées ;
d) les esclaves.

Dans le premier groupe, celles qui avaient été choisies comme


conseillères ou surveillantes étaient chacune affectée à un dignitaire.
Le roi avait ainsi dans son palais une femme représentant en quelque
sorte chacun des fonctionnaires du royaume. Cela lui permettait de
contrôler leur conduite. Cette femme était toujours présente quand le
fonctionnaire faisait un rapport et avait pour devoir de se souvenir fi-
dèlement de tout ce qui avait été dit auparavant à ce sujet. Si les rap-
ports ne coïncidaient point, elle devait s'en apercevoir et y remédier.
Les amazones étaient un régiment de femmes soldats, légalement
considérées comme épouses du roi, mais elles faisaient réellement
partie de l'armée et devaient demeurer vierges durant leur service.
Elles étaient choisies parmi les victimes des raids ou par conscription
tous les trois ans. Elles n'avaient point de solde, mais le monopole de
la poterie et des calebasses leur était accordé. Elles pouvaient aussi
cultiver le maïs, etc. et constituaient par conséquent une milice à la
fois guerrière et industrielle 67.
Les femmes âgées de la maison royale comprenaient la mère et la
grand'mère du roi, si cette dernière était vivante, et les femmes char-
gées de l’entretien des tombes des monarques. La mère officielle du
roi n'était pas nécessairement sa véritable mère, c'était une femme
choisie pour remplir ce rôle et ses devoirs étaient principalement ri-
tuels.
Les esclaves comprenaient celles qui travaillaient dans le [32]
plantations sous la direction d'un chef d'équipe et dont la condition se
rapprochait de celle des esclaves du Nouveau Monde, et les esclaves
domestiques attachés aux membres de la maison royale.

67 Laffite, Le Dahomé, pp. 106-109.


Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 40

D'après Laffite « à la mort du roi on sacrifiait souvent ses épouses.


Par exemple, à la mort du roi Guizé, ses nombreuses femmes se ran-
gèrent autour du royal cadavre, dans un ordre hiérarchique et s'empoi-
sonnèrent toutes 68. »

RELIGION

La religion occupait une grande place dans la vie des femmes.


Toutes (à l'exception de deux Sibs) pratiquaient le culte des ancêtres, à
part cela, Burton estimait que, à peu près le quart des femmes daho-
méennes, pratiquait le culte des grands dieux. D'après les auteurs, il
semble qu'il y eut plus de femmes initiées que d'hommes, car il était
plus facile à la femme de cesser ses devoirs journaliers pendant la pé-
riode d'initiation qui durait à peu près un an 69. D'autre part, l'initiation
donnait aussi à la femme certains avantages sur les autres membres de
la famille et une position favorable vis-à-vis de son mari. Pendant
l'initiation, on apprenait un langage nouveau, les danses rituelles, les
chants sacrés et les tabous du culte. L'initiée ou vodusi, de retour chez
elle, priait son dieu seulement au jour qui lui était consacré. Elle ne
pouvait pas travailler au champs ce jour-là, mais allait pourtant vendre
au marché. Elle devait travailler de temps en temps pour le prêtre et
une fois par an apporter des sacrifices à son vodu. Elle ne dansait, les
danses rituelles et n'était possédée qu'à des époques déterminées,
quand le prêtre l'ordonnait. Les vodusis portaient aussi des vêtements
spéciaux pendant les cérémonies. La femme avait le plaisir de paraitre
avec de beaux habits devant, ses amis, et de jouer un rôle dans les cé-
rémonies. Elle acquériat ainsi un prestige dans la famille et la commu-
nauté, était respectée par son mari et libérée de la routine journalière à
certaines époques. [33] Elle participait aussi à une certaine exaltation
mystique quand elle était appelée à danser devant son dieu. Elle devait
néanmoins satisfaire de nouvelles obligations, contribuer à l'entretien
de l'autel et du prêtre, s'abstenir de rapports sexuels et de certains tra-
vaux aux jours déterminés. D'après Bosman « les hommes et les
femmes pouvaient officier et les prêtres étaient l'objet d'une grande
vénération. Les femmes qui étaient promues à la dignité des prêtresses
68 Laffite, op. cit., p. 137.
69 Herskovits, op. cit., II, pp. 177-178.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 41

étaient aussi respectées que les prêtres ou même davantage quoique


certaines d'entre elles aient été auparavant esclaves. Elles se faisaient
appeler enfant de dieu. Leurs maris étaient obligés de se soumettre à
leur volonté, de les respecter et de les servir. Pour cette raison, un
homme n'épousait pas facilement une prêtresse ou ne laissait pas aisé-
ment une de ses femmes le devenir bien qu'il ne puisse pas ouverte-
ment s'y opposer, car il n'avait pas le droit d'arrêter la célébration du
culte divin 70.

CYCLE DE VIE

Nous allons en ce moment suivre le cycle de vie d'une jeune fille


dahoméenne de sa naissance à sa mort, tel qu'il a été observé de nos
jours par Herskovits.
Depuis le jour de sa naissance jusqu'à ce que sa mère recommence
à cohabiter avec son père (ce qui n'arrive pas avant six mois ou un an
au moins), l'enfant dort sur une natte avec sa mère. Pendant le jour,
elle est déposée dans un coin ombragé de l'habitation tandis que sa
mère vaque à ses occupations, mais cette dernière ne la perd pas de
vue. Si elle pleure, la mère la prend et l'attache sur son dos par un
mouchoir noué devant et continue à s'occuper de ses affaires. À trois
mois on considère que le bébé peut s'asseoir, c'est l'occasion d'une cé-
rémonie spéciale. Tous les progrès de la vie de l'enfant sont marqués
par des cérémonies ; la première a lieu 5 jours après la naissance.
L'enfant est placée devant la maison de sa mère et on lui rase la tête.
Pourtant ce n'est qu'après un ou trois mois que l'enfant sort ; pour la
première [34] fois. À cinq mois, un devin est appelé pour indiquer le
nom de l'esprit ancestral qui revit en elle.
Pendant les premiers mois, l'enfant est exclusivement nourri du lait
maternel, à quatre mois on lui donne un bouillon de maïs ou de
feuilles d'akukoma, quand elle a un an elle peut manger une bouteille
de farine de maïs et des légumes cuits à l'étuvée tels que calalou ou
autres légumes verts. Il n'y a naturellement pas d'heures fixes pour
l'alimentation, mais habituellement, la mère offre le sein à l'enfant
toutes les 3 ou 4 heures. On lui fait ingurgiter de force les autres ali-
70 Cité par Herskovits, op. cit., II pp. 177, 178.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 42

ments jusqu'à ce qu'elle apprenne à manger ce qu'on lui présente, car


la mère n'a pas le temps de la gâter. L'allaitement dure deux ou trois
ans. Quand le moment est venu de sevrer le bébé, la mère applique sur
ses seins le jus d'une feuille appelée « amavive. » Normalement la pé-
riode de sevrage dure trois mois ; si l'enfant est malade elle peut être
prolongée. On surveille attentivement les enfants à l'époque où ils
commencent à parler. S'ils n'arrivent pas assez vite à le faire, ils sont
considérés comme idiots et abandonnés. S'ils survivent malgré cela,
ils ne sont marqués d'aucun stigmate et ne sont pas non plus considé-
rés comme faisant partie du monde surnaturel.
Les jumeaux et certains anormaux ont une place à part, on les croit
très puissants et sous la protection spéciale de certains agents surnatu-
rels. Toutes sortes de cérémonies sont faites à l'occasion de leur nais-
sance et après. Ils sont traités avec plus de soin que les autres, car on
croit qu'ils peuvent apporter la richesse ou la ruine à leurs parents s'ils
sont bien ou mal traités.
À un an, on apprend à la petite fille à marcher, Pour cela on a re-
cours à une jeune parente qui sert de professeur et soutient l'enfant au
pied duquel on a attaché de petites clochettes. Le son l'encourage à
marcher ; grâce à se stratagème elle est enchantée de cette nouvelle
expérience.
On commence de bonne heure à lui enseigner à régler ses besoins
urinaires. La mère la portant le plus .souvent sur son dos, s'aperçoit du
moment où elle a besoin d'accomplir ces fonctions et la dépose à terre
pour cela. Ordinairement à deux ans, cette éducation est terminée, Si à
4 ou 5 ans une [35] enfant mouillé sa natte pendant son sommeil elle
est d'abord battue. Si cette habitude n'est pas corrigée elle est exposée
aux moqueries des autres enfants, la tête couverte de cendres.
À cinq ans, on commence à faire une distinction entre les sexes, la
petite fille accompagne sa mère au marché et l'aide aux travaux do-
mestiques et même à sarcler les halliers dans le jardin. Plusieurs en-
fants doivent prendre soin de la maison et de leurs petits frères et
sœurs dès l'âge de 8 ans quand la mère s'absente pour aller dans les
marchés éloignés. Ordinairement vers 10 ou 12 ans, la petite fille peut
faire cuire le repas quotidien, laver le linge et assumer toutes les
simples tâches de son sexe.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 43

Jusqu'à 7 ans, quand l'enfant est encore plus ou moins libre, elle
peut jouer pendant le jour et ses soirées sont consacrées à la récitation
ou à l'audition de contes avec ses camarades de jeux. Les enfants se
réunissent dans la maison d'une personne âgée et l'un d'eux sert le
chef. On ouvre la soirée par des devinettes et ceux qui n'ont pas réussi
à trouver les réponses sont condamnés à raconter des contes. Ces
contes étant toujours accompagnés de morale, les enfants apprennent
ainsi, les prescriptions du groupe. Jusqu'à l'âge de la puberté, les en-
fants continuent à jouer et à redire des contes ensemble. Toutefois on
ne les laisse pas aller dans des endroits éloignés où ils échapperaient à
la surveillance des adultes. Dans certaines habitations, les garçons et
les filles jouent séparément à partir de 7 ans, dans d'autres, la sépara-
tion ne se produit que vers 11 ans.
La tendance commerciale est encouragée de bonne heure chez l'en-
fant. Le père ou la mère donne à la petite fille de 8 ou 10 ans quelques
provisions ou marchandises à vendre. Le bénéfice gagné lui appar-
tient 71. Vers 9 ou 11 ans, cette éducation est donnée dans une véritable
école. Les fillettes sont réunies en groupe de 5 à 12 après le coucher
du soleil derrière la maison de celle qui a été choisie comme institu-
trice et qui est chargée de développer les aptitudes commerciales de
ses élèves. Avec des ingrédients fournis par les parents des fillettes,
elle confectionne des gâteaux qu'elle envoie [36] ses élèves vendre au
marché ou en ville. Si l’une d'elles ne réussit pas à vendre sa marchan-
dise on lui donne un autre article sans se moquer d'elle ou la répriman-
der, mais au contraire en l'encourageant par des conseils. Pourtant
celle qui réussit bien est généralement complimentée et présentée en
exemple. Les bénéfices appartiennent aux élèves. L'institutrice n'est
pas payée, le plaisir de diriger ses élèves et le prestige qui en résulte
dans la communauté sont considérés comme suffisants 72.
L'institutrice est particulièrement chargée de faire l'éducation
sexuelle des élèves, pour cela on choisit ordinairement une jeune
femme de 25 à 35 ans afin que la différence d'âge ne soit pas trop
grande pour qu'elle puisse se souvenir de ses expériences person-
nelles. Elle doit pourtant avoir un enfant et avoir une vie sexuelle et
sociale satisfaisante. On commence alors à élargir les lèvres du vagin.
Ceci se fait par de : massages répétés et à l'aide d'instruments méca-
71 Herskovits, op. cit., pp. 269-276.
72 Herskovits op. cit., pp, 278-285.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 44

niques et l'application d'irritants chimiques dérivés de plantes, ou en


se servant de fourmis, ou par une combinaison de ces procédés variés.
Cette opération est faite en vue d'augmenter les charmes sexuels de la
jeune fille et d'arrêter les fluides vaginaux des menstrues. Toutefois, la
raison principale est l'augmentation du plaisir sexuel ; un homme
n'aime pas une femme qui n'a pas souffert cette opération. L'institu-
trice surveille le procédé et quand ses élèves sont nubiles elle leur
donne des renseignements sur la vie sexuelle.
Dès le début de leur éducation sexuelle, les fillettes ne continuent
plus à circuler nues ; elles portent alors un morceau d'étoffe qui les
couvre de la taille aux genoux. Ces nouveaux habits et les avis de
l'institutrice et des parents les rendent timides et elles évitent de ren-
contrer leurs camarades de jeux masculins à la sortie de l'école ; ils
continuent pourtant à se rencontrer en cachette et à se livrer à des jeux
sexuels. Toutefois quand les menstrues arrivent l'institutrice renseigne
ses élèves sur les effets que peuvent avoir les rapports sexuels avant le
mariage. Elles sont aussi jalousement gardées et ne rencontrent plus
leurs camarades [37] masculins car un père ne voudrait pas voir com-
promettre un projet d'union par une liaison avec un adolescent de l'âge
de la jeune fille, qui n'est pas son fiancé.
La puberté marque une époque nouvelle dans la vie de la jeune
fille. La plupart du temps, elle est soigneusement gardée et vite fian-
cée, bien que la célébration du mariage ne se fasse pas avant trois ans
au moins, car l'on croit que si la jeune fille va rejoindre son mari avant
cette époque elle aura des accouchements difficiles et que ses enfants
seront faibles. L'apparition des menstrues donne lieu à une cérémonie
spéciale, la jeune fille est placée sur une natte et un jeu est placé de-
vant elle. Ses amies viennent la voir, jouent avec elle et lui apportent
des cadeaux. En cette circonstance elle reste chez sa mère les trois
premiers mois. Pendant cette période elle va dans la chambre réservée
aux femmes ayant leurs menstrues. Les jeunes enfants peuvent péné-
trer dans cette chambre, mais l'entrée est interdite aux hommes. Et les
femmes ne peuvent pas faire la cuisine pour leur mari (ou leurs fils
approchant de la puberté) durant cette période.
Toute de suite après, la fillette doit être « cicatrisée », opération
consistant en une série d'incisions représentant des dessins variés.
Comme elle est déjà ordinairement promise, c'est son fiancé qui paie
les frais de cette opération à laquelle il assiste avec ses amis et ceux de
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 45

la jeune fille, et il donne de l'argent à sa fiancée pour guérir ses plaies.


C'est une occasion de fête et les fillettes de tout un quartier se réus-
sissent pour la circonstance ; les incisions sont faites par un spécia-
liste. Quand les jeunes filles ont été cicatrisées et les jeunes gens cir-
concis, ils sont prêts pour le mariage 73.
Si c'est un mariage du type « Akevenusi. » Quand le fiancé a fini de
faire les paiements et de remplir ses obligations envers ses beaux-pa-
rents, la date du mariage est fixée après avoir consulté le devin. Le
père de la jeune fille fait alors les offrandes et les cérémonies pres-
crites en l'honneur des ancêtres et de « Legba. » Deux jours avant le
mariage, les futurs conjoints font un sacrifice en l'honneur de leur des-
tin. [38] Le fiancé vient alors chercher sa promise après avoir envoyé
les cadeaux d'usage qui sont exposés ainsi que ceux du père.
La jeune fille accompagne son mari chez lui après avoir reçu la bé-
nédiction d'une des vieilles femmes du « sib. » En arrivant dans le
« compound » elle va d'abord dans la maison de la première femme, si
son mari est déjà marié, ou elle va chez sa belle-mère, si c'est elle la
première femme. En tout cas la belle-mère l'accompagne toujours. La
mariée mange et dort la première nuit avec les femmes de sa nouvelle
famille. Elle reste toute la journée dans cette maison et ses amies
viennent la voir. La seconde nuit, elle se couche, pour la première fois,
avec son mari en présence de sa mère et de la belle-mère. Le lende-
main matin le mari envoie à son beau-père la natte sur laquelle le ma-
riage a été consommé. Si la jeune fille n'était pas vierge, le père est
prévenu et il oblige sa fille à révéler le nom de celui ou de ceux avec
qui elle a eu des relations. Si elle refuse d'avouer, elle est battue jus-
qu'à ce qu'elle confesse le nom de son séducteur qui est battu et mis à
l'amende. Dans ce cas, elle recevra moins de cadeaux. Son mari pour-
ra la renvoyer s'il le désire, s'il la garde il ne sera pas tenu de remplir
aussi fidèlement ses obligations envers ses beaux-parents. La plus
grande punition pour la perte de la virginité avant le mariage consiste
dans l'attitude du mari et de ses co-épouses. Dans les querelles on y
fera allusion pour l'humilier et la rendre docile. Si c'est avec son mari
qu'elle a eu des relations avant le mariage, elle aura eu soin de serrer
la première natte afin de l'envoyer à son père en temps voulu.

73 Ibid., pp. 285-293.


Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 46

Pendant les huit premiers mois suivant le mariage, la femme co-ha-


bite avec son mari. Après cela, elle doit le partager, selon le régime
dahoméen, semaine par semaine avec les autres femmes. Quand son
tour arrive, elle doit préparer les repas du mari, prendre soin de sa
maison et dormir avec lui, mais elle ne mange jamais avec lui, car
l'homme mange toujours seul s'il n'a pas d'amis pour partager son re-
pas. Elle mange seule ou, plus tard, quand elle aura des enfants, en
leur compagnie. Elle travaille à ses champs personnels et aide son
mari à cultiver les siens, fait de la poterie ou bien [39] va vendre au
marché tâchant d'augmenter ses ressources le plus possible 74.
Si une femme n'est pas enceinte après un laps de temps raison-
nable, on consulte un devin pour voir si quelque force maligne ne
s'oppose pas à la conception. Dans ce cas on tâche d'apaiser ce pou-
voir surnaturel ou d'intercéder auprès de quelque autre afin d'avoir un
enfant. L'accouchement peut avoir lieu dans l'habitation du père ou
dans la maison de la grand'mère paternelle. Le mari n'assiste pas à
l'accouchement ; on fait appel à une sage-femrne et l'accouchée est as-
sistée par deux ou trois femmes de la famille, tandis que d'autres
prient. Il y a toutes sortes de cérémonies à cette occasion. Si la femme
est une favorite de son mari et si les moyens de celui-ci le lui per-
mettent elle aura la permission de ne pas travailler au-dehors de l'habi-
tation pendant un an ou même plus longtemps si elle a donné nais-
sance à des jumeaux. Certains époux permettent à leurs épouses de
rester à la maison pendant six ou sept mois. En tous cas l'usage et la
volonté des ancêtres obligent le mari à entretenir la femme, c'est-à-
dire à lui procurer des aliments, de l'eau et du bois, pendant trois mois
après avoir mis un enfant au monde. Pendant cette période, la femme
reste à la maison et elle s'occupe de son enfant et de son ménage, elle
fait aussi sa cuisine et sa lessive, mais elle ne travaille plus au jardin et
cesse de vendre au marché. Si elle a son champ personnel, une amie
s'occupera de le cultiver pour elle ou son mari paiera une aide.
Les traditions ancestrales défendent de co-habiter top tôt après la
naissance, car on pense que le prochain enfant, né trop peu de temps
après, sera malade et mourra bientôt. Les conjoints cessent donc de
co-habiter pendant au moins six mois, dans bien des cas pendant un an
et, si l'homme a plusieurs femmes, pendant toute la durée de l'allaite-
ment. C'est pourquoi certains maris sont obligés de recourir à des
74 Ibid., p. 350.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 47

femmes libres pendant cette période. Bien que les enfants soient fort
désirer, il y a des cas où l'on a recours à l'avortement 75.
La paix du ménage ne dépend pas seulement des relations [40]
entre époux, car l’on vit en communauté. La maison est entourée de
celles des membres de la famille, des autres femmes du mari, de ses
jeunes frères et de leurs femmes, de ses fils mariés et de leurs femmes
ainsi que des enfants de celles-ci. De plus, la femme doit encore parta-
ger son mari avec d'autres épouses qui vivent chez elles. Elle doit
s'adapter et vivre en bonne harmonie avec tout ce monde. Parfois c'est
facile, certaines épouses accueillant bien une nouvelle femme, elles
aident même leur mari à en acheter une, et elles sont bonnes envers les
enfants des autres lits. La plupart des mariages dahoméens sont per-
manents ; c'est une preuve de la bonne entente. Pourtant il y a parfois
une atmosphère très tendue bien que cela ne paraisse pas à la surface.
La tension augmente avec le nombre de femmes, car il y a nécessaire-
ment des favorites. Tout dahoméen considère comme naturel que ses
femmes se jalousent. Le plus ou moins de tact du mari en la circons-
tance joue un grand rôle pour maintenir 1a paix. Dans les grandes
maisons, il y a des jalousies de groupes, et quand deux femmes se
querellent chacune est appuyée par les autres épouses mariées sous le
même régime 76.
Les enfants sont parfois les causes de ces disputes. Une femme
garde ses filles auprès d'elle jusqu'à leur majorité, les fils quand ils
sont assez âgés, vont vivre dans une maison à part, mais vont manger
avec leur mère ou leur grand’mère. Chaque épouse désirant que ses
enfants soient les favoris de leur père, se charge de les corriger avec le
concours de ses parents à elle. Si on amenait trop souvent un enfant à
son père pour être corrigé, cela ferait mauvais effet. Sauf les cas
graves, la mère ne révélera pas à son mari les incartades de ses en-
fants. Ils sont pourtant battus et fouettés par la famille maternelle et
c'est encore une occasion de commérage si le mari favorise les enfants
d'une des mères aux dépens des autres. Bien que ce soit la famille ma-
ternelle qui punisse, l'enfant éprouve pour elle beaucoup plus d'affec-
tion que pour sa famille paternelle. Le lien qui l'unit à cette dernière
est légal tandis que celui qui l'unit à la première est sentimental. Un
père appartient aux enfants de plusieurs [41] femmes et ils seront
75 Herskovits, op. cit., pp. 259-269.
76 Ibid., pp. 336, 341.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 48

considérés comme des rivaux, tandis que la mère n'est partagée


qu'avec un petit nombre de frères et sœurs utérins. Une profonde af-
fection unit les enfants à leur mère et s'étend aux membres de sa fa-
mille. Une grande camaraderie existe entre une mère et ses filles qui
peuvent discuter avec elle, de la façon la plus libre, tous les problèmes
sexuels. Toutefois, elles n'ont pas le droit de plaisanter avec leurs
tantes maternelles, car on a l'habitude de dire que « ce n'est pas la
mère qui corrige ses enfants, mais ses sœurs 77. »
La femme a aussi des amies, particulièrement une amie de coeur
qui lui sert de confidente, ce qui lui permet de supporter plus facile-
ment l'atmosphère de jalousie et de méfiance qui règne autour d'elle.
Elle appartient à des associations d'aide mutuelle et d'assurance, qui
l'aident à remplir ses obligations et lui fournissent des distractions.
Elle peut appartenir à autant d'associations que ses moyens le lui per-
mettent. Si elle est à la tête d'une habitation, elle peut même appartenir
à des associations d'hommes.
La position de la femme est plus ou moins assurée suivant le type
de mariage qu'elle a contracté. Dans les mariages où la direction des
enfants revient au père, son avenir économique ainsi que celui de ses
enfants est garanti. Son mari doit la loger et la nourrir, ce qu'elle
gagne lui appartient et elle peut en disposer comme bon lui semble.
Elle peut non seulement garder ce qu'elle gagne par la vente des pro-
duits du champ qu'elle a elle même cultivé, mais souvent son mari
peut lui donner la permission de garder une partie du bénéfice prove-
nant de la vente de sa récolte. Elle peut donc faire des économies et
aider son mari en cas de besoin. Elle reçoit des cadeaux de sa famille.
Elle est respectée et ses enfants sont les héritiers de son mari. Si elle
n'a pas d'enfant, son mari n'a pas le droit de la renvoyer. Toutefois, le
mari ayant payé ses parents pour l'avoir, considère qu'elle est un peu
sa chose et qu'il a le droit de la battre si elle désobéit. Pourtant, si elle
est docile et fidèle, elle est aussi bien traitée que celles qui ont été ma-
riées selon un autre type de mariage. Toutefois, d'après Laffite « Au
Dahomey, les hommes sous [42] un prétexte ou un autre, nouent les
femmes de coups de bambous; souvent même elles en ont le dos mâ-
churé 78. »

77 Ibid., pp. 138, 142, 154.


78 Laffite, Le Dahomé, p. 152.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 49

Parmi les mariages du premier type, le meilleur est celui où la


femme elle-même choisit son mari et conserve le droit de le renvoyer.
Dans ceux du deuxième groupe où le mari n'a pas à payer, tels le Xa-
dude, la femme n'a aucune protection contre les mauvais traitements
de celui-ci, en cas de querelle, elle ne peut compter ni sur sa propre fa-
mille ni sur celle du mari. S'il ne veut pas entretenir ses enfants, elle
doit le faire seule ; et ils n'héritent pas de leur père. Elle ne conserve la
faveur de son mari que tant qu'elle est attrayante et désirable; sa posi-
tion devient plus tard difficile à moins qu'elle ait été suffisamment
prudente et n'ait su se faire donner des cadeaux de valeur. Toutefois,
les maris ont une prédilection pour ces épouses et une confiance parti-
culière en elles, car elles leur ont donné, disent-ils, une preuve écla-
tante d'amour et de désintéressement.
La femme qui n'a pas d'enfant n'est ni méprisée, ni renvoyée dans
sa famille, car ceci est contraire aux commandements des ancêtres et
souvent dans les maisons où il y a plusieurs épouses, une femme sté-
rile peut être la favorite.
La femme mariée à une autre femme ne perd pas sa position et
jouit du respect de tous. Un père n'hésite pas à donner sa fille pour ce
genre de mariage.
Les princes ont seuls le privilège de faire des mariages incestueux,
c'est-à-dire entre cousins ou demi-frères, toutefois ce n'est pas consi-
déré comme un avantage, car l'enfant n'a qu'une seule famille à la-
quelle faire appel en cas de besoin. Comme nous l'avons vu, les ma-
riages des princesses sont généralement éphémères. Les seuls ma-
riages durables dans la famille royale sont ceux d'un prince avec une
personne du commun. Le roi et les princes peuvent avoir la femme
qu'ils désirent, même si elle est déjà mariée. Un chef n'a aucune diffi-
culté à obtenir des femmes à cause du prestige que cela procure aux
parents, toutefois, les femmes considèrent ces mariages comme tout-à-
fait indésirables, car les femmes des chefs ne peuvent pas faire de
commerce et le [43] marché est une des plus grandes distractions de la
femme dahoméenne et sa principale ressource. Les femmes de chefs
sortent rarement de l'habitation et toujours accompagnées. De plus, la
facilité avec laquelle les chefs obtiennent de jeunes et jolies femmes
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 50

obligent leurs épouses à entrer en compétition avec trop de personnes


pour les faveurs et l'affection de leur mari 79.
Quand la vie commune devient impossible, on peut rompre le ma-
riage par le divorce. En principe, un homme n'a pas le droit de deman-
der le divorce ; toutefois, quand il veut se débarrasser de sa femme, il
emploie un moyen simple, celui de se rendre insupportable. Il ne lui
donne aucun cadeau, et lui fournit à peine le nécessaire, il s'absente
quand il doit habiter avec elle et ne mange pas les aliments qu'elle a
préparés, ce qui est considéré comme une grave insulte. Il la bat à la
moindre infraction. Si elle persiste à rester, il ne remplit pas ses de-
voirs envers ses beaux-parents et les insulte même. Le conseil de fa-
mille est réuni et le divorce est prononcé entre les époux. La dot est
remboursée au mari par les parents ou par la femme. Dans le cas
d'union libre, c'est encore plus facile. Si une femme désire divorcer,
elle n'a qu'à s'en aller. Le mari de son côté se rend insupportable jus-
qu'à ce que celle-ci l'abandonne. Mais pourtant, dans ce cas, la femme
n'ayant pas de ressource et ne voulant pas retourner dans sa famille
supportera le plus souvent toutes sortes d'avanies plutôt que de quitter
sa maison. Il y a plusieurs autres causes de divorce, par exemple —
les querelles entre deux clans : le divorce est alors ordonné, pour
toutes les femmes de la famille par le conseil du clan 80.
À la mort du mari, la veuve hérite par l'intermédiaire de l'un de ses
fils ou frères de celui-ci ou va vivre avec l'un de ses fils à elle. Si elle
est âgée, elle peut retourner dans sa propre famille où elle peut deve-
nir « akovi » officiante aux rites des ancêtres, jouissant d'une grande
autorité auprès des membres du clan. On respecte beaucoup les gens
âgés, car ils sont plus rapprochés des ancêtres et l’on craint qu'ils
n'emportent [44] des causes de mécontentement dans l'autre monde. À
moins qu'une famille ait subi de grands malheurs, une femme ayant
des enfants n'est pas abandonnée pendant ses vieux jours. Elle a une
vieillesse heureuse entourée de ses petits-enfants, si elle en a, elle leur
raconte des histoires et elle est assurée d'avoir des funérailles qui lui
permettent de tenir sa place dans le monde des défunts 81.

79 Ibid., p. 345.
80 Ibid., p. 351.
81 Ibid., p. 351.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 51

Les funérailles fournissent une grande occasion de déployer la ri-


chesse et la puissance de la famille et obtenir un statut important dans
le monde des défunts. L'âme de la morte ne sera pas perdue, et si ses
descendants observent les cérémonies funéraires prescrites, elle re-
joindra ses ancêtres et la déification lui permettra de veiller au bien-
être et à la prospérité du clan, qu'elle viendra visiter de temps en
temps à l'époque des cérémonies en l'honneur des ancêtres.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 52

[45]

Haïti et ses femmes.


Une étude d’évolution culturelle.
Première partie : La femme haïtienne dans l’histoire

Chapitre III
PÉRIODE FRANÇAISE

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Dès l'origine de la colonisation française, Bertrand d'Ogeron, pre-


mier Gouverneur, comprit la nécessité d'encourager l'immigration en
Haïti des femmes de France ; elles devaient contribuer à former des
familles et à retenir les habitants dans la colonie 82. Mais après un en-
voi de cent jeunes filles de bonne santé, aimables et laborieuses, on lui
expédia le rebut des villes 83. Malheureusement, ces filles choisies par-
mi les plus laides, tirées des prisons et des mauvais lieux de Paris,
n'étaient pas faites pour tenter les colonisateurs, ni surtout pour deve-
nir des mères de famille exemplaire ; Un grand nombre d'entre elles se
livrèrent uniquement à la débauche 84.
Ces femmes intrépides contribuèrent à défendre les droits de la Co-
lonie contre les mesures arbitraires de la Compagnie des Indes qui
avait le monopole du commerce de la Colonie. Le 16 Octobre 1722
une émeute ayant à sa tête des femmes éclata au Cap réclamant l'abro-

82 Vaissière, Pierre de, Saint-Domingue, « La Société et la Vie créole sous


l'Ancien Régime », p. 21. Paris, 1909. Wimossen, « Voyage à Sainte Do-
mingue », 1797. I. p. 108.
83 Rainsford, M., op. cit., p. 52.
84 Charlevoix, op. cit., II p. 83.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 53

gation des privilèges de la Compagnie des Indes. La révolte s'étendit


rapidement et dura jusqu'au triomphe de leurs réclamations.
D'après Julien Raymond, « les premiers colons connus sous la dé-
nomination de boucaniers, de flibustiers, d'engagés, gens de basse ex-
traction sociale, parce que dépourvus de femmes européennes ou
agréant peu quelques-unes qu'on leur avait envoyées de la métropole
dont les vertus paraissaient plus [46] que suspectes, ces hommes gros-
siers s'attachaient à des filles de couleur ou à des africaines qu'ils
prirent pour compagnes de leurs plaisirs. Ces femmes prenaient soin
d'eux et partageaient leur travaux et leur condition, de là l'attachement
que les premiers colons eurent pour les enfants mulâtres nés de cette
cohabitation 85. »
Pierre de Vaissière fait aussi mention de cette rareté de femmes
dans la colonie naissante. « On nous dépeint d'ordinaire les boucaniers
comme se passant habituellement de femmes et le P. le Pers, les féli-
cite bonnement de ne pas s'embarrasser ainsi d'un meuble inutile, de-
vant être encore plus soldats qu'habitants. De même pour les Gouver-
neurs, ce sera un sujet d'étonnement que cette rareté de l'élément fémi-
nin dans l'Ile. Adressant à la Cour, en 1861, le dénombrement de la
Colonie, Cussay constate que, contre un nombre de 2.950 Français ca-
pables de porter les armes, 1.000 à 2.000 flibustiers, il n'y a que 435
femmes. « Nous avons trouvé dans ce quartier du Cap », écrivent
d'autre part, en 1684. MM. de Saint-Laurent et Bégon », que les habi-
tants n'ont presque pas de femmes.» Plus de 50 ans après, en 1742,
Larnage note encore qu'au fond de l'Ile à Vache, sur 120 habitants qu'il
a vu placés là, on ne compte que quatre femmes et trois filles à marier.
Mais sans parler des mœurs spéciales que peut laisser soupçonner
cette disette, ne nous faisons pas illusion sur elle. C'est une disette de
femmes blanches dont il s'agit et l'Ile semble assez bien pourvue d'es-
pèces d'autres couleurs : d'Indiennes d'abord que l'on prend dans les
courses et qui deviennent les plus grandes louves du monde infectant
tous les jeunes gens, flibustiers ou autres, en sorte qu'ils sont tous per-
dus quand ils demeurent un mois avec elles. Nos colons sont même
gens à se contenter de moins. « Nous ne voyons dans ce pays-ci. »,
écrit M. d'Arquyau en 1713, « que négresses et mules à qui leurs
maitres ont troqué la liberté en échange de leur pucelage » et l'Inten-
85 Ardouin, Beaubrun. « Études sur l'Histoire d'Haïti, I., p. 67, Port-au-
Prince, 1924.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 54

dant Montholon déclare, en 1742, que si l'on n'y prend garde, les fran-
çais deviendront rapidement comme les espagnols dont [47] les trois
quarts sont de sang-mêlé. M. de la Rochelar observe qu'au quartier de
Jacmel à la revue qu'il a passée, il a remarqué que « presque tous les
habitants sont mulâtres ou qu'ils en descendent. Cela nous prouve que
les pénalités édictées dans les premières années contre les unions entre
les deux : races ne furent pas très rigoureusement appliquées. L'amour
noir, au surplus, n'inspire pas que des passions illégitimes ». La cupi-
dité aidant, il trouve parfois sa consécration dans le mariage. Dans
quatre mois, écrit M. de Cussy, en 1688, il s'est fait vingt mariages
d'habitants avec des mulâtresses ou des négresses 86. »
En général, toutefois, les choses ne vont pas si loin car la « com-
modité du libertinage éloigna nombre d'habitants du mariage même
avec les femmes blanches 87. »

« L'Ile de Saint-Domingue est favorable à la population », ait Hilliard


d'Auberteuil, « mais les mariages y sont rares. Les Français laborieux qui
viennent y chercher fortune ne se marient presque jamais, le concubinage
ne les attachant aux femmes blanches ou noires que par des liens très lé-
gers, convient mieux à leurs projets ; ils sont moins gênés dans leurs entre-
prises, ils ont moins de soins à remplir 88. » Pour diminuer le libertinage,
M. de Charitte conclut ce qui vaudrait le mieux peut-être serait de créer
des institutions de jeunes filles où celles-ci seraient « sévèrement élevées
et contenues » par des religieuses et où s'adresseraient tous ceux qui vou-
draient épouser d'honnêtes femmes 89.

Par l'Edit de 1685 ou Code Noir, Louis XIV autorisa le mariage lé-
gitime entre les deux races (Cet acte affranchissait la femme et les en-
fants), condamna le concubinage des maitres avec leurs esclaves (les
maitres étaient condamnés à l'amende et à la perte de l'esclave et de
ses enfants confisqués au profit de l'hôpital) et réglementa le mariage
entre esclaves qui ne pouvait avoir lieu qu'avec le consentement du
maître. Cet Edit réglait aussi le sort des enfants nés de ces mariages.
86 Vaissière, op. cit., pp. 74-75.
87 Ibid., p. 77.
88 Ardouin, op. cit., I. p. 35.
89 Vaissière, Ibid., p. 79.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 55

[48]

CODE NOIR. — Art. 12. — « Les enfants qui naitront de mariage


entre esclaves seront esclaves et appartiendront aux maitres des
femmes et non à ceux de leur mari, si le mari et la femme ont des
maitres différents 90. »
Nous voyons ici la prédominance de la filiation maternelle. Cette
prédominance se maintient dans les autres dispositions du Code, ainsi
à l'article 13 :

« Voulons que, si le mari esclave a épousé une femme libre, les enfants
tant mâles que filles suivent la condition de leur mère, et soient libres
comme elle, nonobstant la servitude de leur père ; et que si le père est libre
et la mère esclave, les enfants seront esclaves pareillement. 91 »
« Que voulait donc le Code Noir », dit Moreau de St. Méry « dans
cette partie si favorable à l'affranchissement des esclaves ? Évidemment,
la fusion des deux races d'hommes qui habitaient les colonies françaises,
par les avantages accordés à ceux qui parvenaient à la liberté. Plusieurs de
ces articles témoignent de cette louable préoccupation du Législateur, no-
tamment celui qui prescrivait le mariage entre l'homme libre et la femme
esclave dont il aurait eu des enfants. Mais si les premiers administrateurs
des colonies se montrèrent disposés à seconder les vues du Gouvernement
royal à cet égard, leurs successeurs ne furent que trop empressés à adopter
les préjugés nés dans ces pays lointains, par l'effet de cette corruption mo-
rale que l'esclave engendre 92. »

Les mariages mixtes ne sont pas interdits entre eux, toutefois, ils se
font de plus en plus rares, et de plus en plus grandit le mépris ou
tombent pareilles unions. Une concubine noire, des enfants mulâtres
n'entachent en aucune manière l'honorabilité d'un blanc, en revanche il
n’est pas de pire honte pour un colon que d'être soupçonné d'avoir
dans les veines ne serait-ce que quelques gouttes de sang noir 93.
90 Madiou, op. cit., III, pp. 443, 444.
91 Ibid.
92 Ardouin, op. cit., I. p. 21.
93 Vaissière, op. cit., p. 217.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 56

[49]
Hilliard d'Auberteuil nous raconte « Qu'en exécution de l’Edit de
1865, les missionnaires Jésuites (établis dans la partie du Nord)
avaient entrepris de marier légitimement tous les nègres esclaves ;
mais cette méthode qui ôtait au maitre la faculté de diviser ses es-
claves, nuisait au droit de propriété et à la soumission nécessaire. » Un
mauvais nègre corrompait une famille, cette famille tout l'atelier, et la
conspiration de deux ou trois familles pouvait détruire les plus
grandes habitations, y porter l'incendie, le poison, la révolte 94. »
Comme on le voit, les colons français, par intérêt d'une part, et
pour satisfaire leurs passions de l'autre, favorisaient le concubinage
dont ils donnaient eux-mêmes l'exemple. Ceci joint aux habitudes an-
cestrales de polygamie apportées par les esclaves de l'Afrique, empê-
cha la formation de familles monogames et retarda l'évolution sociale
de la Colonie 95.
Le Père de Charlevoix remarqua à ce propos : « il faut convenir
que dans ce qui se passe au sujet de leur mariage, il y a des inconvé-
nients qu'il faudrait tâcher d'éviter. La loi du Prince ne veut pas qu'un
esclave se marie sans la permission de son maitre, cela est dans l'ordre
d'ailleurs, les mariages clandestins sont défendus et nuls... Les habi-
tants, pour l'ordinaire, se figurent qu'il est contre leur intérêt que leurs
esclaves soient engagés dans le mariage, parce que la loi du Prince
aussi bien que celle de l'Eglise leur défend de vendre le mari sans la
femme et les enfants au-dessous d'un certain âge. Les nègres de leur
côté, ne sont jamais pressés de se marier, parce qu'ils envisagent ce se-
cond engagement comme une espèce de servitude plus onéreuse que
celle où ils sont nés 96. »
La famille et le clan africain étaient entièrement détruits et n'étaient
remplacés par aucune institution stable.
La période trouble de la révolution ne devait guère favoriser les
mariages, aussi malgré la proclamation des Commissaires Polvérel et
Sonthonax qui étendait l'acte d'affranchissement [50] aux familles des
soldats, les mariages n'augmentèrent pas.

94 Ardouin, op. cit., I. p. 51.


95 Dorsainvil, op. cit., p. 51, Vaissière Ibid., pp. 214-215.
96 Charlevoix, op. cit., IV. pp. 369, 371.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 57

À la fin du dix-huitième siècle, à la veille de la Révolution Fran-


çaise, Saint-Domingue était à l'apogée d'une prospérité « qui n'a pas
été surpassée dans l'histoire des colonies européennes. La plus grande
partie de son sol était couverte par des plantations qui approvision-
naient la moitié de l'Europe en sucre, café, coton 97. »
Il y avait à peu près huit cent plantations, de sucre, trois mile plan-
tations de café, et le nombre des .plantations de coton augmentait
chaque année, tandis qu'on faisait de l'élevage dans les districts moins
favorisés 98.
La colonie était gouvernée par le Ministre de la Marine représen-
tant le Roi de France, par l'intermédiaire d'un Gouverneur, à la tête des
forces militaires et chargé des relations extérieures et d'un intendant
dirigeant l'administration civile et judiciaire 99.
Les colons n'avaient aucune part dans l'administration du Gouver-
nement. La population était divisée en trois castes : les blancs, les af-
franchis, comprenant les noirs et les mulâtres libres, et les esclaves.
D'après Moreau de St. Méry, il y avait 39.000 blancs, 27.000 affran-
chis et 452.000 esclaves 100. La classe des blancs était subdivisée en 4
groupes : les grands fonctionnaires, les grands planteurs, les commer-
çants et les petits blancs qui se jalousaient et se détestaient mutuelle-
ment. La débauche était dans toutes les classes. Il y avait peu de ma-
riages et peu d'enfants, la cause de cette stérilité venant du manque de
femmes blanches dont nous avons déjà parlé qui, malgré une immi-
gration récente, laissait encore une grande disproportion entre les
sexes. En 1789, il y avait parmi les blancs 24,7000 hommes pour
10,800 femmes 101. Beaucoup [51] d'enfants mouraient aussi en bas

97 Mills, H. E., The Early Years of the French Revolution in San Domingo, p.
9 Cornell University, 1889.
98 Moreau de St. Rémy M. I. E., Description de la partie française de l'Ile de
St-Domingue, 2 vols. Vol. I. p, 100, Philadelphia 1797.
99 Boissonade, P., St-Domingue à la veille de la Révolution, pp. 6 et 7. Paris,
1903.
100 Op. cit., I, p. 106 ; II, 13, II, 533.
101 Garran-Coulou J., « Rapport sur les Troubles de St-Domingue fait au nom
de la Commission des Colonies des Comités, etc., 4 vols. Vol. 0. p. 16, Paris,
An Vi. 1798.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 58

âge, victimes du climat ; pour y échapper certains d'entre eux étaient


envoyés en France pour y faire leur éducation 102.
Le clergé était aussi débauché que le reste des habitants 103. Aussi la
religion n'était-elle pas pratiquée sérieusement, les parents laissaient
souvent les enfants grandir sans baptême et sans s'approcher des sa-
crements. Le père Labat, de passage au Cap, nous décrit l'état lamen-
table des églises et la mauvaise tenue des habitants pendant l'office di-
vin. 104
Les ports et les villes de Saint-Domingue regorgeaient de monde,
on y coudoyait de riches marchands, des dames couvertes de bijoux,
des marins, des négresses avec leurs turbans éclatants et des courti-
sanes enveloppées d'écharpes flamboyantes 105. On pouvait y satisfaire
toutes les passions, l’amour, le jeu et la boisson. On y vivait dans un
luxe apparent dénué de tout confort. Les maisons ressemblaient à des
campements ou à des hôtels garnis 106. La vie des plantations n'était pas
plus agréable. Les maisons des planteurs étaient larges et spacieuses
mais dénuées de confort et de goût 107. On y faisait étalage du grand
nombre de ses serviteurs de luxe de ses effets personnels ; les diners
étaient servis avec une profusion qui étonnait l'européen 108.
Depuis sa naissance, les influences diverses tendaient à développer
la vanité et le caractère volontaire de la jeune créole. D'abord, elle
était constamment en compagnie de sa nourrice noire qui la gâtait et
n'avait pas le droit de la réprimander, puis elle n'avait guère pour ca-
marades de jeux que des esclaves qui devaient obéir à ses moindres
désirs et enfin l'indulgence proverbiale de ses parents contribuaient à
faire d'elle un véritable tyran 109. Dès le début de la colonisation fran-
çaise, il y avait au Cap un pensionnat établi par [52] les religieuses
mais Moreau de St. Méry nous apprend qu'en 1774, il n'y avait plus
qu'une cinquantaine de pensionnaires car on y recevait aussi des
102 Hilliard d’Auberteuil, op. cit., V. II, p. 42.
103 Ibid., 81-82.
104 Vaissière, op. cit., p. 82
105 Ibid., 327-50.
106 Moreau de St-Méry, op. cit., I-II.
107 Vaissière, op. cit., pp. 287-295.
108 Moreau de St. Méry, op. cit., I. p. 11.
109 Stoddard, I. T., The French Revolution in San Domingo, p. 27, New York,
1914.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 59

jeunes filles de couleur. Les religieuses avaient trois classes ou cent


petites filles de la ville apprenaient gratuitement à lire, à écrire et
l'arithmétique 110. « L'éducation qu'on donne aux enfants maintenant en
les envoyant en Europe », écrit Moreau de St. Méry, « les rend bien
moins propres aux soins d'une habitation qu'autrefois ; elles re-
viennent avec des goûts de frivolité et par leurs liaisons avec les filles
de qualité avec la tête la plus romanesque et mal préparées à supporter
l'existence monotone des plantations 111. Les femmes créoles étaient ré-
putées pour leur beauté et leur grâce langoureuse, leur amour était
passionné à l'extrême et leurs haines jalouses avaient souvent de ter-
ribles conséquences 112.
On conçoit donc aisément quelle devait être l'influence de 1a
femme dans la colonie. Dans une population livrée à la débauche,
dont les deux tiers environ étaient du sexe masculin 113, la femme, jouet
des passions, presque toujours illettrée, menait ; dans la société une
vie de paresse et de plaisir.
« L'oisiveté et une paresse native restent bien en somme le fait, et
le péché favori de la plupart des femmes créoles. Je dis la plupart, ne
voulant pas plus qu'ailleurs par trop généraliser. A St. Domingue,
comme en beaucoup d'autres colonies, il y a, en effet, d'admirables
exemples de l'activité féconde et bienfaisante de certaines femmes.
« Combien de ces femmes de la campagne dans la colonie » écrit Mo-
reau de St. Méry, « qui sont vraiment l'honneur de leur sexe par les
soins généreux qu'elles prodiguent à tous ceux qui vivent sur leur ha-
bitation, leurs esclaves, leurs domestiques, les malades, les enfants...
L'a vouerai-je ? Je crains bien qu'il n'y ait là qu'une exception. La plu-
part des documents nous représentent, en effet, les femmes créoles
sous un autre jour, passant leur vie en un doux et éternel farniente,
étendues dans les hamacs, [53] sur des chaises-longues, ou « chinta »,
c'est-à-dire assises à la manière orientale sur des nattes, où leur jouis-
sance de prédilection est de se faire chatouiller la plante des pieds par
une esclave, que trop souvent elles éclaboussent de leurs crachats... À
l'exception, du reste, d'un peu de cuisine, de la confection de petits
110 Moreau de St. Méry, op. cit., pp. 545-546.
111 Moreau de St Méry, op. cit., pp. 13-15.
112 Ibid., pp. 17-21.
113 En 1789, il y avait 24,700 hommes blancs pour 10.800 femmes. Cf. E.
Mills, op. cit.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 60

plats, de l'organisation de dinettes composées de chocolat, de sucre-


ries, de café au lait, elles ne se livrent guère à aucune préoccupation
de leur sexe : les travaux d'aiguille, la lecture sont choses complète-
ment ignorées d'elles. Dès lors, plus que tous autres, elles sont fatale-
ment livrées à cette influence noire dont j'ai dit les pernicieux ef-
fets 114. »
Tel était le modèle que les femmes esclaves avaient l'occasion
d'admirer et d'imiter, car les plantations étaient isolées l'une de l'autre
et les voisins ne se visitaient pas, les femmes créoles vivaient dans
une grande intimité avec leurs esclaves.
« Presque chaque jeune créole blanche a une jeune mulâtresse ou
quateronne, et quelquefois même une jeune négresse dont elle fait sa
cocotte. La cocotte est la confidente de toutes les pensées de sa mai-
tresse (et cette confiance est réciproque), confidente surtout de ses
amours. On ne quitte pas la cocotte, on couche dans la même
chambre, on mange et boit avec elle, non à table et aux repas, mais au
moment où l'on savoure ces ragoûts créoles, où la familiarité semble
mêler un sel de plus, dans les endroits privés et loin de la vue des
hommes... Les esclaves : distrayaient leurs maitresses en chantant et
dansant pour elles 115.
La classe des affranchis, qui constituait l'intermédiaire entre les
blancs et les esclaves, comprenait les gens de couleur et les noirs
libres. Les mulâtres constituaient la majorité de cette classe, car très
souvent, les pères blancs affranchissaient leurs enfants et leurs concu-
bines. Les noirs affranchis avaient acheté leur liberté ou l'avaient obte-
nue de la générosité de leurs maitres. D'après le Code Noir, les affran-
chis avaient les mêmes droits que les blancs. Mais le [54] préjuge de
couleur leur assignait un statut inférieur afin de maintenir la supréma-
tie de la race blanche dans la colonie.
Ils ne pouvaient exercer des fonctions publiques ou s'en, gager
dans les professions libérales, ni acquérir des lettres de noblesse ou re-
cevoir des décorations élevées telles que la croix de Saint-Louis. Ils ne
pouvaient, de plus, adopter les costumes et les mœurs européens et de-

114 Vaissière, op. cit., pp. 313-314.


115 Ibid., pp. 314-315.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 61

vaient occuper des places spéciales dans les théâtres, les auberges, les
églises et les véhicules publics 116.
Ils jouissaient du droit de propriété et pouvaient hériter et acquérir
des terres. Ils faisaient le commerce et exerçaient la plupart des mé-
tiers et avaient même des esclaves. C'est ainsi que, Gouy d'Arcy un
des députés de Saint-Domingue aux Etats Généraux, écrit à la même
époque : que les mulâtres possédaient un dixième des terres et cin-
quante mille esclaves 117.
Quoiqu'il en soit, leurs richesses étaient considérables, et, comme
il y avait peu d'écoles publiques, plusieurs d'entre eux avaient été éle-
vés en France où ils n'avaient guère eu à souffrir du préjugé de cou-
leur, étant reçus avec sympathie par une large section de la population.
Le mulâtre se considérait comme supérieur au noir et un noir libre
n'osait pas acheter un esclave mulâtre car celui-ci aurait préféré la
mort à un tel déshonneur. Les mulâtres étaient réputés pour leur géné-
rosité et leur hospitalité, et particulièrement les femmes faisaient habi-
tuellement preuve de bonté et de compassion envers la pauvreté et les
souffrances. Mais leur moralité était douteuse 118. À part les quelques
filles élevées dans le couvent des religieuses, elles étaient entièrement
illettrées. Le recensement de 1774 révéla que sur un total de 7.000
femmes de couleur libres, 5.000 vivaient en concubinage avec les
blancs 119. Les mulâtresses constituaient la classe des courtisanes des
ports. Ces femmes, pour la plupart, n'avaient aucune moralité, aucune
religion (elles [55] étaient vaines, terriblement extravagantes et extrê-
mement licencieuses 120, Les planteurs et les marchands les considé-
raient comme une nécessité non seulement pour administrer leurs mai-
sons mais aussi pour les avertir des complots parmi leurs esclaves 121.
Vaissière décrit minutieusement leur luxe, leurs toilettes tapageuses et
les grands bals qu'elles offraient fréquemment à leurs amis 122. Bien
que les mariages entre les deux races fussent rares, certaines mulâ-
116 Vaissière, op. cit., pp. 224-227.
117 Stoddard, op. cit., p. 46. Cité par.
118 Ibid., pp. 47, 49.
119 De Lacroix, Général P. A., Mémoires pour servir à l'Histoire de la Révolu-
tion de Saint-Domingue, I. p. 278, Paris 1819.
120 Moreau de Saint-Méry, op. cit., I. pp. 92-97.
121 Vaissière, op. cit., pp. 28 et 282.
122 Ibid., pp. 334-337.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 62

tresses riches réussissaient à épouser des blancs. Hillard d'Auberteuil


prétend qu'il y avait en 1776 trois cents mariages mixtes dans la colo-
nie. Le blanc qui épousait une femme de couleur perdait son rang et
devenait l'égal d'un homme de couleur ; ses enfants suivaient la condi-
tion de leur père 123.
En dépit de tout, les affranchis constituaient une petite élite qui
avait assimilé certaines coutumes et traditions françaises. Catherine
Jasmin, affranchie de couleur fonda avec son mari en 1739 une mai-
son de santé « La Providence des hommes de couleur » qu'ils entre-
tinrent pendant plus de 40 ans à leur frais, faisant ainsi preuve d'un dé-
vouement et d'une charité incomparable... Comme nous l'avons vu, en
1789, il y avait à peu près un demi-million d'esclaves à Saint-Do-
mingue, mais d'Auberteuil nous apprend qu'il y avait eu près d'un mil-
lion de noirs introduits dans la Colonie 124. Si ces chiffres sont exacts,
nous constatons le gaspillage effrayant de vies humaines qui était la
base de la prospérité de Saint-Domingue. À ce nombre, il faudrait en-
core ajouter les africains qui avaient été tué au cours des raids menés
en Afrique pour la capture des enclaves, et ceux qui avaient péri au
cours du voyage, entassé pêle-mêle dans la cale des négriers, qu'on
évalue à près de huit pour cent. Les esclaves ne se reproduisaient pas
et l'on constatait chaque aînée un excès de morts sur les naissances
d'au moins deux et demi pour cent 125. Ceci est en contraste frappant
avec la rapidité avec laquelle la population haïtienne s'est apigmentée
depuis l’indépendance [56] passant de moins d'un demi million de
1805 à plus de 3 millions en 1953 sans l'immigration importante de
nouveaux éléments. Les auteurs essaient d'expliquer de différentes fa-
çons cette mortalité effrayante. Elle serait due, d'après les uns, au tra-
vail exagéré, à une nourriture insuffisante et au labeur forcé de la
femme enceinte ; d'après les autres, à la tension nerveuse imposée par
le passage soudain de la liberté à l'esclavage, qui avait causé la dispa-
rition de la race indienne, ou bien encore à l’esclavage lui-même 126.
« Quelles que soient les raisons, la diminution progressive des es-
claves et les besoins ordinaires de la colonie obligeaient à l'importa-
tion constante de nouvelles recrues d'Afrique, et, à l’époque de la Ré-
123 Op. cit., II. p. 79.
124 Ibid., II, pp. 63.
125 Stoddard, op. cit., p. 51, 58.
126 Ibid.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 63

volution, le nombre d'africains dépassait celui des nègres créoles de


10.111 127. Moreau de St. Méry prétend que la proportion avait aug-
menté de deux tiers en 1789 128. Ceci est très important, car cela prouve
que la majorité de ceux qui devaient se rendre maitres de l’ile étaient
nés en Afrique et étaient plus imbus de leurs traditions africaines que
des coutumes coloniales.
Les noirs transplantés d'Afrique devaient se plier au joug de l’es-
clavage, mais il y avait toujours une petite minorité d'individus indé-
pendants qui se sauvaient dans les montagnes environnantes pour y re-
trouver leur liberté perdue, « les marrons », qui bientôt organisés en
bandes ne purent pas être exterminés malgré les efforts de la gendar-
merie et dont le nombre allait au contraire croissant. Ils vivaient en
bêtes traquées, mais jouissaient de leur liberté et faisaient parfois des
raids dans les villes. Bientôt plusieurs femmes joignirent ces bandes et
c'est ainsi que se constitua une population indigène de noirs qui
n'avaient jamais connu l'esclavage ou y avaient échappé. Leur autono-
mie fut reconnue par le Gouvernement français en 1784 129. Mais il ne
formaient qu'une infime minorité, la majorité des noirs devait se cour-
ber à la dure loi de l'esclavage qui obligeait hommes, femmes et en-
fants à travailler depuis le lever jusqu'au coucher du soleil [57] sous la
conduite d'un intendant. Leur vie se rapprochait sous beaucoup de rap-
ports, de celle des esclaves dahoméens travaillant dans les plantations
du Roi ou des grands dignitaires, mais, en général, les conditions
étaient plus dures. Toutefois, le sort des esclaves dépendait en grande
partie de leurs maitres, certains étaient relativement heureux tandis
que d'autres étaient cruellement maltraités par les commandeurs qui
les fouettaient à la moindre défaillance. Certains maîtres cruels et dé-
pravés se rendaient coupables d'horribles excès. En théorie, le Code
Noir protégeait les esclaves contré les mauvais traitements de leurs
maitres, niais dans la pratique un noir n'avait jamais raison contre un
blanc 130.
En général, « le labeur des esclaves commence avec le jour. À 8 h.
ils déjeunent, ils se rendent ensuite à l'ouvrage jusqu'à midi. À 2 h. ils
reprennent jusqu'à la nuit et quelquefois même jusqu'à 10 h. ou 11 h.
127 Hilliard d’Auberteuil, op. cit., II. p. 68.
128 Op. cit., p. 23.
129 Garran-Coulon, op. cit., I. p. 4.
130 Stoddard, op. cit., pp. 60, 61.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 64

du soir, en sorte qu'au moment de la récolte, ils ne se reposent guère


que près de quatre ou cinq heures de leurs travaux 131. »

« Dans toutes les habitations, il y avait trois ateliers : le grand atelier,


composé des nègres (hommes et femmes) les plus vigoureux, le deuxième
atelier, composé des nègres faibles, des jeunes nègres et des femmes qui
allaitent, le troisième atelier de fourrage où sont mis les enfants qu'on oc-
cupe sous l'inspection d'une vieille femme, à ramasser le fourrage. Dans
ces deux derniers ateliers le travail est naturellement modéré mais dans
l'autre il est excessif 132. »
« En somme, il n'est que les noirs employés comme ouvriers à diverses
petites industries et surtout comme domestiques, ainsi que les négresses
occupées aux travaux du ménage ou servant de nourrices qui aient une
existence moins dure. Mais ceux-là sont relativement en petit nombre 133. »
« Une habitation coloniale ressemblait à un petit village. [58] La mai-
son du colon était presque toujours bâtie sur un plateau d'où l’on pouvait
dominer toute l'étendue de l'habitation. Un double perron donnait accès au
corps de logis principal, grande construction carrée, divisée à l'intérieur
par des cloisons, et garnie sur le pourtour extérieur, de vérandas ouvertes.
Une allée y conduisait, fermée sur la grand’ route par une porte monumen-
tale et bordée d'une double rangée d'arbres. A droite et à gauche étaient
disposé ; d'autres bâtiments, magasins, dépôts, ou simples pavillons ser-
vant de logements aux hôtes de passage. Plus loin, au milieu d'une savane,
se dressaient à distance égale les cases des esclaves, blanchies à la chaux
et recouvertes de feuilles de canne à sucre, de bananier ou de palmier.
Chacune d'elles avait trois portes et logeait trois ménages.
Près de la case était aménagé un enclos où l'esclave parquait les deux
ou trois pourceaux qu'il avait la permission d'élever. Devant la case et à
l’entour, les négrillons tout nus jouaient et se vautraient dans la boue, pèle
mêle avec les animaux. À bonne distance, la vue s'arrêtait sur une suite de
constructions couvertes en tuiles et surmontées de hautes cheminées en
briques rouges : c'étaient les usines, comprenant moulins, sucrerie, distille-
rie, indigoterie, etc.. Entre la cour et les jardins, un long arqueduc supporté
131 Vaissière, op. cit., p. 167.
132 Ibid., pp. 165-166.
133 Peytraud. L., L'esclavage aux Antilles Françaises avant 1789, pp. 215-
216. Paris, 1898.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 65

par des piliers en pierre de taille, amenait au moulin l'eau qui descendait
des montagnes voisines. À l'horizon se déployait à perte de vue la mer im-
mense des champs de cannes, de caféiers, de cacaoyers, de cotonniers ou
de bananiers. »
« Sur chaque domaine, un terrain était réservé que le propriétaire divi-
sait en autant de lots égaux qu'il avait d'esclaves. Chaque esclave établis-
sait sur sa portion de terre un petit jardin où il cultivait la patate, l'igname,
le maïs et quelques légumes. Il ne lui était permis d'y travailler que pen-
dant ses heures de repos. Ils se levaient parfois la nuit pendant la période
de clair de lune pour cultiver leur champ 134. »
À part les heures de travail, le dimanche et les jours de [59] fêtes ils
étaient laissés plus ou moins à eux-mêmes et continuaient n mener l'exis-
tence interrompue par la traite. Ils vouaient une grande dévotion à leurs
femmes et à leurs enfants, « Ils (les nègres) travaillent encore davantage et
s'épargnent tout ce qu'ils peuvent afin que leurs femmes et leurs enfants
soient mieux habillés que les autres. Cependant il est rare que le mari fasse
manger sa femme avec lui, quelque amitié qu'il ait pour elle. Ils savent fort
bien les faire souvenir du respect qu'elles leur doivent. Il n'y a que la jeu-
nesse qui, dans le commencement de leur mariage, donne un peu plus de
liberté aux femmes et mange quelquefois ensemble 135. »

Ils pouvaient disposer des produits de leur jardin et de leur pou-


lailler, ce qui constituait parfois un gain appréciable à en juger par la
qualité de leur vêtement du dimanche.
Comme nous l'avons vu, les négresses n'avaient aucun temps libre
pour s'occuper des travaux du ménage, pourtant, elles devaient prépa-
rer la nourriture de la famille, car la nourriture des esclaves leur était
distribuée par une ration hebdomadaire. « Le système le plus simple
eut été de faire préparer dans chaque plantation la nourriture pour tous
les esclaves, ou du moins de distribuer quotidiennement sa ration à
chacun. Au lieu de cela, on délivre aux noirs leurs provisions pour une
semaine leur laissant le soin de les préparer eux-mêmes. De là, deux
inconvénients : le premier qu' étant la plupart du temps incapables de
calculer ce qu'ils peuvent manger chaque jour pour atteindre la fin de
134 Bellegarde, Dantès, La Nation Haïtienne, J. de Gigord, éd. Paris 1633, pp.
57, 58.
135 Labat, op. cit., IV. pp. 160-161.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 66

la semaine, les nègres, lorsqu'arrivent les derniers jours n'ont plus rien
à se mettre sous la dent ; le second, qu'occupés tout le temps, ils sont à
peu près dans l'impossibilité de faire une cuisine quelconque et réduits
le plus généralement à absorber leurs aliments sans préparation 136. »

« Le plus grand nombre occupent leurs loisirs à boire et à danser,


seules distractions qu'ils connaissent à leurs travaux. La danse chez eux est
surtout une véritable passion 137. »
« Ils voyaient venir avec joie la fin de la semaine car le [60] samedi, à
partir de 8h. du soir jusqu'à minuit, tous les ateliers étaient en liesse. Au
rythme du tambour et du banza, une sorte de guitare à trois cordes, et aux
refrains inspirés de l'Afrique, la danse entrainait dans une ronde gesticu-
lante grands et petits, jeunes et vieux. Ils organisaient aussi des réunions à
la mémoire de leurs morts et pour célébrer le culte du vaudou 138. »

Nous avons déjà donné une idée des mœurs des esclaves, nous n'y
reviendrons pas. Nous avons constaté que la femme, astreinte, comme
l'homme, aux plus durs travaux, ne voyait son sort s'améliorer que si
elle savait se concilier les faveurs de son maitre. Les colonisateurs,
hypnotisés par l'appât du gain, négligèrent de s'occuper de la forma-
tion morale de la colonie et surtout de l'éducation de la femme. Les re-
ligieux dans leurs rapports se plaignent sans cesse du manque de reli-
gion des colons. La population n'était retenue ni par la foi religieuse,
ni par la crainte de la justice 139.
Le Code Noir faisait l'obligation aux .maîtres de faire instruire
leurs esclaves dans la religion catholique, mais les prêtres se heur-
taient à l'indifférence ou à l'hostilité des autorités et des colons. Les
planteurs pensaient qu'il était dangereux d'instruire les nègres. « La
sûreté des blancs exige qu'on les tienne dans la plus profonde igno-
rance et qu'on les traite comme des bêtes 140. »

136 Vaissière, op. cit., p. 171.


137 Ibid., pp. 177, 180.
138 Bellegarde, Dantès, op. cit., p. 59.
139 Ibid., pp. 80-82.
140 Vaissière, op. cit., pp. 212-213.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 67

Le culte du vaudou continuait à fleurir, malgré tous les efforts faits


pour l'annihiler, les esclaves se laissaient baptiser et adoptaient appa-
remment la religion catholique, mais restaient attachés à leurs
croyances ancestrales et le fait que les nègres possédaient une religion
et des prêtres devait être de la plus grande importance dans la révolte
contre la suprématie blanche. Le vaudou était le lien qui unissait les
esclaves. Les réunions religieuses étaient les seules occasions de se
voir clandestinement et de discuter les intérêts communs. Les sorciers
ou « houngans » étaient les dépositaires de la science de la tribu. Ils
furent les instigateurs de la révolution.
Il est inutile de retracer ici, les circonstances et les détails [61] de
la révolte victorieuse des esclaves et les luttes sociales et raciales de la
glorieuse et sanglante guerre de l'Indépendance qui ont déjà fait l'objet
de maints ouvrages.
L'écho des idées de la révolution française déclencha à Saint-Do-
mingue une série de conflits : la révolte des colons contre les privi-
lèges de la métropole, des petits blancs pour l’égalité sociale, des af-
franchis pour l'émancipation raciale et sociale et enfin des esclaves
pour l'abolition de l'esclavage et qui aboutirent après dix ans au ren-
versement du régime colonial.
Nous nous contenterons d'indiquer brièvement la participation de
la femme à l'épopée haïtienne. Pendant la guerre d'Indépendance, elle
a pris une part active à la révolte et la tradition des amazones daho-
méennes a refleuri à Saint-Domingue. Nous trouvons la femme sur les
champs de bataille aux côtés de l'homme, payant de son sang la liberté
du sol. Dans les villes, elle conspire comme ses frères, sa beauté lui
permet d'obtenir des renseignements précieux qu'elle transmet aux in-
surgés, elle n'hésite pas au péril de sa vie à cacher des armes et des fu-
gitifs traqués. Circulant plus librement, elle sert de messager et de
cantinière.
Au moment de l'insurrection générale des esclaves, femmes et en-
fants participèrent aussi bien que l'homme à la lutte sans merci. Tout
Saint-Domingue était à feu et à sang.
La femme ne se contenta pas de rivaliser de bravoure avec le sol-
dat. A l'arrière, elle se dépensa sans compter, soignant les malades, les
blessés, empêchant bien souvent les représailles de la guerre. « Ce fut
au milieu de ces grandes calamités, dit Madiou qu'éclatèrent avec plus
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 68

d'énergie la charité et le courage des femmes noires et de couleur,


Elles prodiguaient, avec le plus noble désintéressement toutes sortes
de soins aux malades, se vouaient au service des hôpitaux et bravaient
la mort sous des toits pestilentiels 141. »
Gilbert note aussi : « Voyant l'insuffisance des remèdes ordinaires
elles en administraient d'autres dont elles avaient apporté le secret des
déserts de l'Afrique, Combien de soldats [62] de capitaines et de géné-
raux moururent dans les bras de ces femmes compatissantes 142. »
Les anciennes esclaves et les mulâtresses libres, pour sauver d’in-
nocentes vies et même la vie des hommes qui avaient été un jour leurs
bourreaux eurent recours à tous les artifices de la tendresse et de la
bonté 143.
Malgré le dévouement dont avait fait preuve les femmes indigènes
en soignant les militaires français atteints de la fièvre jaune, il y eut au
commencement de l’année 1803 non seulement contre leurs hommes
mais aussi contre elles une recrudescence de persécution. Les prisons
ne suffisant plus à les contenir, on les envoyait, elles et leurs maris, à
bord des navires de guerre où, après avoir subi les pires violences,
elles étaient pendues aux verges et ensuite jetées dans les flots. Ma-
diou nous rapporte un trait sublime de deux d'entre elles : « L'un des
condamnés nommé Chevalier, conduit sur le pont du vaisseau « Le
Duquesne », fut ébranlé par la perspective de la mort. Sa femme qui
était à ses côtés lui démode s'il n'était pas glorieux de mourir pour la
liberté ? Pour relever son moral elle se passa elle-même la corde au
cou, et se livra la première au bourreau. Une mère fut ensuite amenée
sur le pont avec ses deux filles d'une rare beauté. C'était une femme
noire d'un quarantaine d'années. Elle dit à ses enfants qui chance-
laient : « Soyez heureuses de la mort, vos flancs ne porteront point
d'esclaves 144. »
Nous ne pouvons mentionner toutes les héroïnes de la guerre de
l'Indépendance ; elles furent nombreuses et restent bien souvent ano-

141 Madiou, op. cit., II, p. 414.


142 Histoire Médicale de l'Expédition des Français à St-Domingue, Cité par
Pressoir, D. C. La Médecine en Haïti, Port-au-Prince, 1927.
143 Dorsainvil, op. cit., p. 171.
144 Madiou, op. cit., II, p. 414.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 69

nymes, toutefois, l'histoire nous transmet le nom de quelques unes


d'entre elles.
Dessalines, le libérateur, échappa à la prison, sans doute, à la mort,
grâce au courage et à la présence d'esprit de Mme Pageot, femme de
couleur, intendante du curé de la Petite-Rivière de l’Artibonite. Le gé-
néral français Andrieux ayant reçu l'ordre d'arrêter le général noir, pria
le curé de [63] l'inviter à diner. Au cours du repas, l'intendante, qui
était au courant du complot, prévint Dessalines soupçonneux par un
geste expressif indiquant qu'on s'apprêtait à le mettre sous corde.
Marie-Jeanne, jeune et jolie mulâtresse, originaire de Port-au-
Prince, est pour nous le symbole de la femme soldat. Compagne de
Lamartinière, elle était avec lui au fort de la Crête à Pierrot assiégé par
une armée française de plus de douze mille hommes. « L'histoire nous
la dépeint pleine d'entrain martial, vêtue en costume genre mameluck,
armée d'un fusil et d'un sabre, remontant le courage des soldats, pan-
sant leurs blessures et n'hésitant pas, à parcourir les remparts distri-
buant les cartouches, aidant à charger les canons, se plaçant au pre-
mier rang au moment de l'attaque 145. »
Au premier rang des martyres pour la liberté se place Sanite Belair,
à l'âme d'airain, d'un caractère allier, violent et autoritaire, d'après cer-
tains auteurs. Suzanne, surnommée Sanite, jeune affranchie, originaire
de Verrettes, grandit dans l'atmosphère des luttes politiques, elle épou-
sa le brillant général Charles Bélair, aide de camp de Toussaint qui
avait combattu à Savannah pour l'indépendance des Etats-Unis et
s'était couvert de gloire pendant la guerre civile du Sud. Nommé com-
mandant de l’Arcahaie, c'est là qu'il apprit la déportation de son chef.
Immédiatement Sanite devint l'inspiratrice de son mari. Patriote
convaincue, elle le décida à se soulever pour continuer la lutte pour
l'émancipation. Intrépide et persuasive, elle forme une armée em-
ployant tous les arguments pour convaincre les soldats. Elle était par-
tout aux côtés de son mari, en tenue de campagne elle assiste à toutes
les réunions mais son caractère altier provoqua l'abandon de Larose, le
collaborateur de Bélair. Elle tomba dans une embuscade française et
fut faite prisonnière. Son mari, désespéré en apprenant cette triste nou-
velle, se livra au Général Leclerc afin d'obtenir la libération de son
145 Dorsainvil, op. cit., p. 136, et Bellegarde, Dantès, Écrivains Haïtiens, p.
223, Ed. Deschamps, Port-au-Prince, 1950.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 70

épouse ou pour subir le même sort qu'elle. La Commission Militaire


au Cap ne tint pas compte [64] de la soumission volontaire de Bélair
et condamna Charles à la fusillade et Sanite à la décapitation. Jusqu'au
moment de l'exécution Sanite resta l'inspiratrice de son mari, elle
l'exalta par son courage et impassible elle le vit tomber criblé de
balles. Elle marcha à la mort, le front haut, refusant de se laisser ban-
der les yeux et de courber la tête sous le billot. » Et Sanite Bélair, face
aux soldats, les yeux grands ouverts et la tête haute, reçut en pleine
poitrine la décharge meurtrière 146. »
Henriette St. Marc, mulâtresse de Port-au-Prince, accusée d'avoir
fourni de la poudre aux nègres insurgés dans les montagnes de l’Arca-
haie, durant la terreur déchainée par Rochambeau, fut condamnée à
mort. « Un samedi, vers dix heures du matin, on la conduisit, précédée
de son cercueil, entre deux haies de soldats, sur la place du marché, en
face de la Cathédrale. Là, en présence d'une foule consternée, elle su-
bit avec la sérénité des martyrs de la religion le supplice de la pendai-
son 147. »
Mme Paul Louverture, enlevée de nuit avec son fils, le Colonel
Jean-Pierre Louverture, fut noyée dans la rade du Cap 148.
À l'Arcahaie le 18 Mai 1803 lors de la création du drapeau natio-
nal, par Dessalines qui arracha le blanc du drapeau français, une,
femme Catherine Flon cousut les bandes bleu et rouge qui symboli-
saient l'union des noirs et des mulâtres.
Le premier Janvier 1804, l'indépendance de la colonie française de
Saint-Domingue fut proclamée et Dessalines fut nommé gouverneur
général à vie du nouvel état qui reprit son nom indien d'Haïti.
En Septembre de la même année, suivant l'exemple de Napoléon,
Dessalines se fit proclamer Empereur.

146 Bellegarde, Ibid., pp. 226 et 227.


147 Bellegarde, Dantès, op. cit., p. 223.
148 Madiou, op. cit., II. p. 412.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 71

[65]

Haïti et ses femmes.


Une étude d’évolution culturelle.
Première partie : La femme haïtienne dans l’histoire

Chapitre IV
PÉRIODE HAÏTIENNE

Retour à la table des matières

Les luttes sanglantes de la Révolution n'avaient laissé que des


ruines de la civilisation matérielle qui avait fait la gloire de la colonie
française de Saint-Domingue. Les villes et les plantations avaient été
brûlées et les Français chassés ou exterminés.
Les nouveaux possesseurs de l'Ile n'avaient pu acquérir, pour la
plupart, qu'un vernis de culture française. Seuls, les affranchis et les
esclaves domestiques, les uns par l'éducation, les autres par un contact
avec les colons, avaient réellement acquis quelques-uns des éléments
fondamentaux de cette culture. La grande masse des esclaves tra-
vaillant dans les plantations n'avait, pour se guider dans sa nouvelle
vie, que les traditions africaines plus ou moins désagrégées par le
changement de milieu et la dispersion des familles et des tribus. L'es-
clavage avait détruit l'organisation politique et sociale ; il avait seule-
ment ajouté quelques nouveaux éléments aux croyances religieuses. Il
avait anéanti l'influence du clan en désorganisant et en dispersant les
familles. Il avait amoindri la condition de la femme en la faisant
considérer comme un instrument de plaisir passager. D'autre part, il
avait laissé des survivantes vivaces de la civilisation française ; des
coutumes et des institutions nouvelles, une langue commune : le
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 72

créole, les éléments de la religion catholique et un idéal de liberté et


de démocratie. Le pays n’avait pas d'administrateur compétent car les
Français n'avaient jamais permis aux affranchis de prendre part à la
conduite des affaires.
La production ruinée par les guerres de l'indépendance, devait être
reconstruite sur des fondations différentes de l'économie coloniale ba-
sée sur l'esclavage.
[66]
Dessalines, tout en maintenant une armée considérable pour proté-
ger le pays contre de nouvelles conquêtes, dut établir les bases des
institutions juridiques et économiques.
Il réglementa dans une grande mesure l’ordre social en commen-
çant par la propriété immobilière, le commerce, le fisc, l’état civil, la
justice, les droits des enfants naturels, l’armée et la culture. Pourtant
sur bien des points, les anciennes lois de la métropole durent servir de
règle, en attendant celles qu'édicterait le législateur haïtien.
Au point de vue social, dans ses discours, Dessalines proclamait la
volonté de la nouvelle nation d'adopter les coutumes et institutions eu-
ropéennes. Au moment du massacre général des blancs, tous ceux qui
étaient susceptibles d'aider le gouvernement furent épargnés : prêtres,
médecins, pharmaciens, artisans. Les prêtres furent chargés d'établir la
religion catholique, mais redoutant qu'ils ne servent d'agents à la
France, l'empereur se réserva l'autorité de nommer et de révoquer les
curés ; et sa constitution de 1805 énonça « que la loi n'admet pas de
religion dominante et que l’état ne pourvoit à l'entretien d'aucun culte
et d'aucun ministre. »
L'église catholique, dirigée par un clergé composé en grande partie
de moines défroqués et de prêtres chassés de France, n'était pas res-
pectée et ne pouvait assurer convenablement la tâche de la formation
morale du pays. Ce n'est qu'en 1860 que le gouvernement haïtien si-
gna un concordat avec le Saint-Siège qui assura l'établissement de la
religion catholique en Haïti.
Le peuple des villes et des campagnes continua sous la direction
des « houngans » à pratiquer les rites africains légèrement teintés - de
catholicisme.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 73

Les plantations coloniales ayant été confisquées, la plupart des


terres devinrent propriété de l'état qui les afferma et Dessalines édicta
des règlements très sévères pour obliger les anciens esclaves à retour-
ner à la culture de la terre.
D'après la constitution, tout citoyen devait posséder un art ou mé-
tier ; ceux qui n'en savaient pas étaient obligés de travailler la terre.
Plus tard, en 1814, Pétion, d'accord avec le Sénat, distrisbua [67]
aux vétérans de l'année et aux civils qui avaient rendu des services une
partie des terres de l'Etat.
Ces mesures contribuèrent à instituer le régime de la petite proprié-
té avec une classe paysanne attachée à la terre, mais qui, grâce à l'iso-
lement dans laquelle elle se trouvait, à cause de l'absence de moyens
de transport et de communication et la pénurie d'écoles, adopta un
mode de vie basé en grande partie sur les traditions africaines.
Nous allons voir le rôle qui était assigné à la femme dans la nou-
velle nation.
Quand l'haïtien victorieux proclama l'indépendance du pays, se
souvint-il des services de sa compagne pendant l'époque héroïque et
songea-t-il à lui donner une place dans le gouvernement du pays ? On
adopta avec exubérance les principes de la révolution française : liber-
té, égalité, fraternité, mais chez nous, comme dans la France métropo-
litaine, les femmes furent oubliées. L'égalité ne s'étendit pas jusqu'à
elles. Et Dessalines récompensant les héros de l'indépendance ne dis-
tingua même pas une seule femme. Elles n'étaient pas soldats, ne por-
taient pas d'épaulettes. C'étaient seulement de délicieuses compagnes
de plaisir.
La condition de la femme fut forcément le résultat de sa situation
pendant l'époque coloniale. Au lendemain de l'indépendance, le ma-
riage était l'exception, le concubinage la règle. Les guerres avaient sé-
paré beaucoup de familles et la vie des camps avait favorisé les unions
passagères comme elle se pratiquaient généralement pendant la colo-
nie, il n'y avait pas d'ailleurs comme nous l'avons vu, de tradition éta-
blie de mariage. La femme, plus encore que pendant l'esclavage, était
devenue le centre de la famille. Pour l'enfant, c'est elle qui incarnait le
foyer car le père, quand il existait, était presque toujours éloigné par la
guerre. Il y avait très peu d'enfants légitimes. Sanctionnant pour ainsi
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 74

dire cet état de choses, le 28 mai 1805, Dessalines fit une loi qui don-
nait aux enfants naturels, reconnus, les mêmes droits civils qu'aux en-
fants légitimes. D'après cette loi, le statut de l'enfant dépendait de la
reconnaissance de ses parents, il héritait de celui ou de ceux qui
l’avaient reconnu et l'enfant dont les parents mouraient avant la recon-
naissance et qui pouvait prouver sa filiation, recevait [68] sa part d'hé-
ritage ; les enfants nés hors mariage, étaient légitimés par le mariage
subséquent de leurs père et mère et un père engagé même dans les
liens du mariage pouvait reconnaître un enfant naturel né pendant, le
cours du dit pariage ; les droits de succession des enfants naturels,
étaient reconnus les mêmes que ceux des enfants légitimes, l'époux
avait le droit de désavouer l'enfant adultérin qui, dans ce cas n'héritait
que de sa mère 149. Il disait « qu'il serait injuste d'établir des droits in-
égaux dans les successions entre des hommes qui sortaient tous de la
même servitude ou de la dégradation ; que nulle disposition de loi ne
pouvait empêcher un haïtien d'hériter de celui qui lui avait donné le
jour quand celui-ci l'avait reconnu ; que les indigènes avaient tous été,
pour ainsi dire, légitimés par la révolution 150. »
Cette loi, comme le dit Madiou, était en harmonie avec les mœurs
des haïtiens qui, presque tous, étaient des enfants naturels ; toutefois,
elle consacrait une injustice envers la femme en permettant au père de
ne pas reconnaître son enfant et, sur simple soupçon, de recourir au
désaveu de la paternité. La même loi admettait le divorce pour des
causes multiples : adultère, incompatibilité de caractère et consente-
ment mutuel après simple tentative de conciliation devant le conseil
de famille. Cette loi encouragea les familles telles qu'elles étaient
constituées mais affaiblit le mariage qui ne devenait plus nécessaire
pour transmettre la propriété aux enfants.
Les mœurs continuaient à être aussi relâchés que durant la période
coloniale et les dirigeants eux-mêmes donnaient l'exemple de la dé-
bauche.
« Il (Dessalines) entretenait dans chaque ville des maîtresses aux-
quelles il fournissait des soins considérables... Le mariage loin d'être
honoré était presque un objet de mépris. Beaucoup de grands digni-
taires de l'empire étaient ; comme nous disons chez nous « placés » ou

149 Madiou, op. cit., pp. 215-216.


150 Madiou, op. cit., III, p. 216.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 75

vivaient en concubinage. Plusieurs d'entre eux pratiquaient la polyga-


mie 151. » Nous croyons que le fait d'avoir des concubines dans les dif-
férentes [69] villes n'était pas forcément une preuve de débauche de la
part de Dessalines, mais plutôt une survivance des habitudes colo-
niales et ancestrales qui autorisaient les hommes riches et influents à
avoir de nombreuses concubines et, d'autre part, ces femmes lui per-
mettaient de surveiller la conduite des fonctionnaires habitant ces
communautés et jouaient dans le nouvel état, le même rôle que les
« femmes » du roi de Dahomey et les concubines des administrateurs
coloniaux. Dessalines était pourtant marié depuis de nombreuses an-
nées à une femme remarquable dont la bonté et la douceur était pro-
verbiale.
Marie Claire Heureuse Bonheur, originaire de Léogâne, avait
épousé Dessalines lors du passage de celui-ci sans dette ville pour al-
ler combattre Rigaud révolté contre Toussaint. Leur union fut célébrée
avec éclat et de nombreux officiers et généraux y assistèrent. Madame
Dessalines légitima par son mariage deux enfants de son mari. Elle
conserva au faite des honneurs son humilité, son humeur égale, sa
charité active ; elle était aimée et honorée par tous ceux qui rappro-
chaient. File avait un grand ascendant sur son mari et ne craignait pas
d'encourir ses foudres pour sauver des malheureux de sa colère.
Quand Dessalines avait ordonné le massacre des Français à l'ex-
ception des prêtres, pharmaciens et artisans demeurés dans l'ile après
le départ de Rochambeau, elle sauva la vie de plusieurs de ces infortu-
nés en les cachant dans sa propre demeure. Le grand naturaliste Des-
courtilz échappa ainsi à une mort certaine, Après l'assassinat de son
mari, elle se retira aux Gonaives et, n'ayant point eu d'enfant, elle re-
cueillit quelques jeunes filles pauvres qu'elle éleva. Devenue infirme,
elle vécut très âgée entourée de la vénération publique.
L'histoire a aussi retenu le nom, de la folle « Défilée », qui le 17
Octobre 1806, après l'assassinat du Pont Rouge, recueillit précieuse-
ment les restes du fondateur de notre indépendance.
À la mort de Dessalines une assemblée constituante, fut, convo-
quée qui proclama la république et donna toutes les attributions du
pouvoir exécutif à une Assemblée unique, qui [70] élut le général
Christophe, président d'Haïti, Celui-ci n'accepta pas la constitution qui
151 Ibid., III ; p. 183.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 76

lui donnait un rôle secondaire et, après avoir essayé vainement d'im-
poser de force ses idées, il constitua dans le nord une république indé-
pendante qu'il transforma bientôt en royaume, tandis que son rival, le
général Pétion, était élu président dans le sud. La scission dura treize
ans.
Nous laissons à d'autres le soin de relater les tâtonnements inévi-
tables de la jeune nation noire qui, péniblement, cherchait sa voie sans
aucune aide des états possesseurs d'esclaves. Ils décriront les efforts
des leaders, brillants soldats, mais illettrés pour la plupart, sans au-
cune expérience administrative et qui, fidèles à leur idéal de justice et
de liberté, essayaient d'organiser un état souverain.
Nous nous contenterons d'indiquer ici les faits qui ont influé sur la
situation de la femme et sa participation à l'évolution de la nation.
Christophe, qui succéda à Dessalines, réprouvait les mœurs colo-
niales préconisant les unions libres. « Ces états précaires, disait-il, ne
convenaient guère à une constitution stable de la famille, » Il s'était
marié à l'âge de 26 ans en 1793 à Marie-Louise Codavid qui avait
alors 15 ans. Ils eurent quatre enfants 152. Madame Christophe comme
Madame Dessalines, exerça le plus heureux ascendant sur son mari.
Elle était, dit-on, « née dans des conditions relativement avantageuses.
Ayant reçu une éducation de famille, elle était particulièrement douée
par la nature et digne du titre de reine que la nation lui décernait avec
enthousiasme 153. » Elle partagea les périls et les péripéties de la longue
carrière de son mari avec le courage et l'héroïsme qui ont distingué
nombre de femmes de cette époque.
L'histoire rapporte que Christophe cédait avec tendresse à ce qui
pouvait faire plaisir à sa femme. Elle obtint ainsi la grâce de nom-
breux militaires et civils coupables d'avoir enfreint les ordres du roi.
Leurs deux filles, Améthyste et Athénaïs, qui avaient reçu une
brillante éducation sous la direction [71] de deux préceptrices améri-
caines, sont aussi célèbres pour leur intelligence et leurs talents.
Aucun homme ne pouvait prétendre à une fonctions dans le
royaume s'il n'était marié. D'après Leconte « c'est pour avoir exigé de
ses sujets cette formalité essentielle que certains d'entre eux s'unirent

152 Leconte, Vergniaud, « Henri Christophe dans l'Histoire » d'Haïti, p. 4.


153 Ibid., op. cit., pp. 269-270.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 77

en mariage avec leurs concubines ou y furent contraints moralement


par le roi, ce qui fit s'accréditer la version des mariages à l'amazone,
c'est-à-dire qui étaient conclus sous la pression de l'autorité royale et
malgré la répugnance des époux. Christophe n'allait jamais choisir des
épouses à ses sujets ; il obligeait ses dignitaires et fonctionnaires à se
marier ; et, comme le plus souvent, ceux-ci vivaient maritalement
avec leurs concubines, il n'entendait pas qu'elles fussent délaissées
quand elles étaient dignes de s'élever à la hauteur du mariage ; il de-
mandait simplement que la situation des concubines fut régularisée, et
que leur enfants, s'il y en avait, devinssent légitimes. Si parmi eux cer-
tains rompirent leur union à la mort du Roi, il y en a aussi qui n'eurent
qu'à s'en féliciter. D'autre part, Christophe facilitait le mariage de ses
préférés dès qu'il était instruit de leurs bonnes, dispositions 154.
Voulant, faire cesser le concubinage et contraindre les citoyens au
mariage, il promulgua le 23 mars 1807 une nouvelle loi par laquelle
les enfants naturels n'héritaient pas s'il y avait des enfants légitimes et
héritaient seulement du tiers en l'absence de descendants légitimes ;
les enfants adultérins ou incestueux ne pouvaient être reconnus ; la re-
cherche de la parenté était interdite ; la recherche de la maternité ad-
mise 155. Cette loi concernant' les enfants naturels était excessivement
sévère dans un pays où les neuf cent quatre-vingt-dix-neuf millièmes
de la population étaient nés en dehors du mariage. La loi de Dessa-
lines convenait mieux aux mœurs de l'époque 156.
Christophe, dans son code, se montra plus libéral envers la femme
que Napoléon. Témoin l'article 979 ainsi conçu : Le mari ne peut
vendre, aliéner, ni donner entre vifs les [72] immeubles dépendant de
la communauté sans le consentement de la femme, encore moins ceux
qui lui sont propres. » L'épouse pouvait donner entre vifs sans l'autori-
sation de son époux. Le divorce était défendu par la constitution,
mais le mariage pouvait être dissolu pour diverses causes telles que la
mort civile, la démence, la fureur, l'imbécilité, les maux contagieux et
incurables tels que la ladrerie, la punaisie et l'épilepsie 157.

154 Leconte, op. cit., pp. 275-276.


155 Madiou, Op. cit., III, p. 410.
156 Madiou, op. cit., III, p. 411.
157 Leconte, Vergniaud, op. cit., p. 289.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 78

Pétion et Boyer donnèrent au peuple l'exemple de l'union libre. Le


premier, dans sa lettre au sénat servant d'exposé de motifs à la loi de
1813 sur les enfants naturels, fait ainsi allusion aux mœurs de
l'époque : « S'il a été de tous temps et de tous pays un système dange-
reux à la prospérité des nouveaux états, c'est celui de vouloir faire tout
d'un coup disparaitre de vieilles habitudes pour en substituer de nou-
velles 158. » L'absence de clergé régulier, la survivance des coutumes
coloniales et ancestrales, retardèrent la formation des familles régu-
lières. Le placage, union d'un homme et d’une femme sans obligation
légale, devint général. Un homme pouvait avoir autant de femmes pla-
cées que ses moyens le lui permettaient. Les parents, bien qu'ambi-
tionnant le mariage pour leurs filles, ne voyaient pas d'inconvénients à
ce qu'elles se placent.
St. Rémy écrit en 1857 : « Le placage ou mariage primitif est en-
core une coutume haïtienne. Il ne demande aucune formalité mais je
dois confesser qu'il est plus respectable que beaucoup d'unions sancti-
fiées par la loi civile et religieuse. »
D'après Etzer VILAIRE « la pratique presque générale de l'union
libre n'est pas en ce temps l'effet d'une dépravation de mœurs. Sans
contrat, ni cérémonie religieuse, les conjoints ne restaient pas moins
fidèles aux liens qu'ils contractaient, d'ailleurs du consentement de
leurs pères et mères. Ces liaisons qui n'étaient point mal vues gar-
daient dans le monde tous les effets des unions légitimes. A Jérémie,
on ne connut qu'un exemple de rupture d'un de ces couples ainsi unis
sans cérémonie ; et le fait parut si insolite [73] que longtemps on en
parla comme d'un curieux événement 159. »
Peu à peu, on commença à se marier dans les villes. Comme dans
toutes les sociétés primitives, l'autorité du chef de famille — pater fa-
milias — était prépondérante. La femme et les enfants devaient se
plier au bon plaisir du chef. Il ne faut pas croire pourtant que la
femme était complètement annihilée. Elle joua un grand rôle social au
début de notre histoire nationale. Voici comment Vilaire décrit la vie
familiale à une époque qui n'était pas sans charme : « L'on vivait de
peu et de rien. Le coeur s'épanouissait à l'aise dans les villes médio-
crement peuplées au milieu d'une société sans prétention, ignorant tout

158 Mathon, François, « Dessalines Législateur », Voix des Femmes, p. 45 p. 6.


159 Vilaire, Etzer, La famille d'autrefois », Voix de Femmes No. 35, p. 3.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 79

du luxé (nous doutons de l'exactitude de cette assertion car les anciens


esclaves étaient avides de luxe)... Les familles se contentaient des di-
vertissements naturels, la promenade, le canotage, le barbaco ou pi-
quenique. À des plaisirs de cette sorte se joignait la culture de certains
arts. Les jeunes filles chantaient beaucoup, les messieurs pratiquaient
la musique, et très galants, se plaisaient à donner des sérénades aux
dames... Ces grandes familles avaient chacune un prolongement dans
le peuple... quantité de chefs de familles étaient de grands proprié-
taires, ils exploitaient leurs domaines avec un cortège de paysans,
leurs protégés. En travaillant sous leur direction, ceux-ci observaient
encore, à cette époque, la discipline exemplaire que Toussaint Louver-
ture avait su imposer, dans les champs et aux ateliers. Quelques-uns
étaient de vrais patriarches ; d'autres des sortes de chefs de tribus ;
d'autres encore exerçaient au sein des villes un ascendant jamais dis-
cuté, une sorte de magistrature morale. Dans toutes les circonstances
difficiles, pour tous les grands événements de la vie familiale, ils
étaient consultés et l’on suivait religieusement leurs avis 160. »
Si nous en croyons ce récit, le chef de famille jouissait d'une auto-
rité semblable à celle du clan africain. Les traditions avaient contribué
à reformer la grande famille détruite [74] par l'esclavage. De même, la
femme acceptait de nouveau des responsabilités économiques.
Aux époques troublées des révolutions, c'est elle qui, par son pa-
tient labeur, assura, très souvent seule, le bien-être et l’éducation de la
famille.
Au point de vue politique elle agissait dans l'ombre mais peut-être
plus sûrement. Elle était l’âme des conspirations, des tripotages poli-
tiques. Témoin cette Joute Lachenais, aussi belle qu'intelligente, qui
fut la maitresse de deux présidents et eut une influence très grande
dans le gouvernement. Gétinette Gétin, courrier durant les luttes de
l'indépendance et qui devint la conseillère écoutée du président Boyer.
En 1826, avec l'adoption du Code Napoléon, la loi sur le divorce et
les enfants illégitimes fut abrogée.
La femme mariée devint une mineure incapable d'exercer aucun
droit civil, Pourtant le président Boyer, par la loi de 1840 modifiant
109 articles du code civil et en abrogeant 70, s'est montré un précur-

160 Vilaire, op. cit., p. 3.


Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 80

seur du féminisme. Cette loi établissait la capacité civile de la femme


mariée qui pouvait, sans l'autorisation de son mari, recevoir un capital
immobilier, s'obliger, hypothéquer, acquérir et aliéner à titre gratuit ou
onéreux, même ester en justice, généralement faire toute espèce
d'actes et de contrats. Nous déplorons avec M. Dalencour qu'un esprit
d'opposition ait fait abroger cette excellente loi, trois ans après, par un
décret du gouvernement provisoire du 22 mai 1843 161. Cette loi repré-
sentait une innovation législative, car, partout dans le monde les idées
d'émancipation civile de la femme mariée ne s’imposèrent qu'à partir
de la seconde moitié du 19ème siècle ; elle était pourtant d'accord
avec les traditions africaines, l'importance économique de la femme
haïtienne et son rôle dans la famille.
La femme apparemment tenue en tutelle légale par son mari, sou-
vent presque illettrée, était pourtant une force avec laquelle il fallait
compter, elle élevait les enfants et le commerce haïtien était entre ses
mains, l'homme n’avait pas le temps de s'en occuper, il faisait de la
politique. La politique [75] est une loterie, et pour y gagner gros, on
doit risquer longtemps. Mais il faut vivre pendant ce temps et on vi-
vait grâce au travail de la femme.
« En Haïti, dit le Pasteur Bird, en 1869, une partie du commerce
est faite par les femmes, Ceci a commencé sans doute, parce que le
service militaire a enlevé les hommes de leurs foyers. Dans les dis-
tricts agricoles ce sont surtout les femmes et les enfants qui s'occupent
de la culture du café, la principale denrée d'exportation. Il arrive sou-
vent qu'en l'absence des hommes tout le travail soit fait par les
femmes. Dans les villes, elles s'occupent du commerce de détail, et
l'on doit admettre que, certaines d'entre elles montrent beaucoup de
tact dans cette branche d'industrie. Les grands marchands leur ac-
cordent parfois d'importants crédits et elles accumulent ainsi de
grandes richesses. On peut vraiment dire que la femme haïtienne a des
aptitudes commerciales, un fait qui a peut-être plus à voir avec les
particularités de la civilisation haïtienne que nous le pensons ordinai-
rement 162. » Le pasteur Bird croit que les activités commerciales em-
pêchaient la femme de s'occuper de ses enfants, tandis que, si le fait
161 Dalencour, Dr. François. « De l'émancipation de la Femme mariée en Haï-
ti », Voix de Femmes, No. 40, p. 3.
162 « The Black Man or Haytien Independance », from Historical Notes, Lon-
don 1869.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 81

est exact, il conviendrait plutôt d'en attribuer la cause à un défaut de


préparation. De plus, les origines de la femme haïtienne nous per-
mettent d'expliquer sans peine ses aptitudes commerciales qu'elle
avait hérité de ses ancêtres africains.
Après l'indépendance, les nouveaux gouvernants essayèrent d'orga-
niser un système d'éducation publique, mais les progrès furent lents à
cause du manque d'argent et d'instituteurs. L'influence française conti-
nua à dominer et l'éducation des filles fut négligée et considérée
comme d'importance secondaire. Toutefois, Pétion créa un pensionnat
de demoiselles en 1816 dont la direction fut confiée à une anglaise,
Mme Dury. De son côté, Christophe fit aussi venir six anglaises pour
diriger son système d'instruction publique.
Ces entreprises furent sans doute éphémères car il n'en [76] est pas
fait mention dans la suite. L'éducation des filles fut laissée presqu'en-
tièrement à l'initiative privée.
En 1817, Mme Courtois, Juliette Bussière Laforest, fille d'affran-
chis, qui avait été élevée en France, revint en Haïti et y ouvrit avec
son mari un externat et un pensionnat pour les deux sexes qui fonc-
tionna jusqu'en 1828. Elle collabora avec son mari à la publication de
la Feuille du Commerce, journal fondé en 1824 qu'elle dirigea seule
après l'exil de ce dernier.
Vers 1850, le pensionnat national de demoiselles fut réorganisé et
en même temps deux bonnes écoles de filles, celles de Mmes Isidore
Boisrond et Belmour Lépine, contribuèrent à donner une meilleure
formation à l'élite féminine.
En 1860, d'autres pensionnats de jeunes filles furent fondés ainsi
qu'une cinquantaine d'écoles publiques de filles. D'autre part, grâce à
la signature du Concordat avec le Saint-Siège, la même année, les
ordres catholiques commencèrent à occuper une place importante dans
l'éducation de la jeunesse. En 1864 et 1865, les Congrégations des
sœurs de St-Joseph de Cluny et des Filles de la Sagesse arrivèrent en
Haïti et y établirent des pensionnats pour la formation de l'élite, et des
écoles primaires pour les petites filles du peuple. Ces écoles entière-
ment dirigées par des françaises ont contribué à maintenir les cou-
tumes et les traditions françaises.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 82

Elles développèrent aussi l'esprit d'assistance sociale. En 1880


Mme Argentine Bellegarde Foureau fut nommée directrice du pen-
sionnat national de demoiselles à qui elle donna une impulsion nou-
velle. Les écoles de Célie Lilavois, d'Érima Guignard, de Mme Au-
guste Paret et de Clio Rameau contribuèrent aussi à diffuser l'ensei-
gnement parmi la jeunesse féminine.
Depuis la période coloniale l'haïtienne se dévouait volontiers pour
soulager les misères, mais la charité semblait être devenue l'apanage
des vielles dames et s'exerçait surtout par l'aumône. Certaines femmes
telles que Noguessine Pressoir, exercèrent un véritable apostolat.
[77]
Plusieurs associations charitables furent organisées à cette époque
sous les auspices de l'église. L'Association des Dames de Saint-Fran-
çois de Sales fondée en 1869 par Melle Pénélope Faine, l'Association
des Zélatrices de Saint-Vincent de Paul fondée en 1897 présidée du-
rant de nombreuses années par Mme Julien Dussek et enfin, en 1907,
l'Association Mixte de l'Œuvre Chrétienne.
L'haïtienne continua à s'intéresser à la politique et à prendre une
part active aux révolutions. Certaines telles que Pauline Brice et Mme
Nord Alexis participèrent aux campagnes, allèrent en prison et en exil.
Avec la signature du Concordat et la diffusion de l'instruction pu-
blique, les mariages se multiplièrent de plus en plus surtout dans la so-
ciété et dans les villes 163. Toutefois, d'après Sténio Vincent, en 1907,
les naissances à Port-au-Prince étaient illégitimes pour les quatre-cin-
quièmes au moins 164.
Dans les campagnes les progrès furent plus lents. Les paysans
conservant les habitudes ancestrales « se constituaient rarement une
famille unique et légitime. La multiplicité des femmes était l'apanage
de la richesse et de la puissance 165. »
La femme de la société continua à évoluer, l'ouverture de bonnes
écoles, de fréquents voyages en Europe, où les jeunes filles étaient
163 Dorsainvil op. cit., p. 277.
164 Vincent, Sténio, « La République d'Haïti telle qu'elle est ». Bruxelles,
1910.
165 Aubin E., En Haïti, Planteurs d'autrefois, nègres d'aujourd’hui, p. XXIV.
Paris 1910.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 83

quelquefois élevées dans les couvents rapprochaient sa mentalité de


celle des françaises contemporaines 166. En 1910, un voyageur note :
« Les femmes sont gentilles et raffinées, d'une excellente éduca-
tion 167. »
Vers la même époque, un autre est frappé par leur réserve : « Les
Haïtiens, particulièrement la population féminine, de l'élite et de la
bourgeoisie, sont très réservés. Elles m'ont paru « timides. » J'entends
par là qu'elles observent une distance respectueuse et une ligne de dé-
marcation dans leurs [78] Relations. Elles sont toujours polies, ai-
mables et leur attitude commande le respect... Une « mademoiselle »
n'accepterait pas d’être chaperonnée par un homme de sa connais-
sance ou de circuler avec lui dans les rues, à moins qu'elle ne soit ac-
compagnée par un parent ou une domestique, et elle doit l'avoir en
haute estime, particulièrement si c'est un étranger, pour accepter ses
services à cette occasion 168. »
Il remarque aussi que les maris sont très jaloux et que leurs
femmes doivent prendre des précautions pour ne pas les mécontenter.
Un visiteur masculin ne sera pas reçu par la maîtresse de maison en
l'absence de son mari, pourtant « les haïtiennes sont fidèles et recon-
naissent la sainteté de leurs vœux et obligations nuptiales, remplissent
leurs devoirs à l'extrême et supportent sans se plaindre beaucoup de
souffrances et de privations 169. »
D'après Carlet Auguste, « dans la bourgeoisie haïtienne le rigo-
risme des mœurs, des coutumes et certains préjugés désuets et ridi-
cules faisaient peser sur elles des lois, que seul pouvait imaginer l'es-
prit dominateur du sexe fort. L'égoïsme masculin, s'étayant sur une
conception tout au moins erronée de l'honneur féminin, servi de plus
par les rigueurs d'un protocole auquel seuls se reconnaissaient les
« gens comme il faut », condamnait, la plupart du temps, les femmes
mariées d'alors à partager l'existence entière entre les enfants, les do-
mestiques et les soins du ménage. L'univers entier s'arrêtait au seuil du
foyer. De distraction aucune, et alors même que le Cap en offrit que ce
166 Hills, Robert T. Cuba, Puerto-Rico with other island of the W.I., New-
York, 1898, p. 280.
167 Ibid.
168 Simpson, Montague, Six Months in Port-au-Prince, p. 85, p, 92, p. 93.
Philadelphie 1905.
169 Simpson, Montague, Op. cit., p. 93.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 84

fut certainement chose impossible, car il suffisait de peu pour qu'une


personne fut mal vue à cette époque. La jeune épouse qui avait le mal-
heur d'aimer le monde, de ne pas se plier à cette vie casanière, faisait
quelquefois jaser, tant il était obligatoire qu'une femme mariée ne dût
appartenir de corps et d'âme qu'à son mari et à son foyer. La lecture
elle-même n'échappait pas à la critique de ces princes de la morale ;
et, en vérité, s'il [79] nous en faut croire la légende, une femme qui li-
sait beaucoup ne laissait pas d'inquiéter 170. »
Ce tableau est sans doute un peu exagéré, toutefois il donne une
idée de la transformation du rôle de la femme dans cette classe, celle
de l'élite. Avec un vernis d'instruction, elle en vient à mépriser le com-
merce et concentre alors toutes ses affections, tous ses intérêts sur son
foyer. C'est une épouse d'un dévouement aveugle, niais ayant tout c'est
une mère caressante, vigilante, farouche. Il y a une certaine grandeur
dans son attitude. Elle ne connait que son nid. Bonne, pieuse et douce
de tempérament, dans les jours troubles des révolutions, elle est in-
consciente ou cruelle, suivant que les siens sont épargnés ou atteints.
Les barrières trop hautes entre le peuple et l'élite haïtienne l'isolent de
ceux qui auraient pu élargir son sens social canalisé dans sa maison.
De plus en plus s'impose dans le monde l'aristocratie de l'argent, haï-
tienne devient ambitieuse pour sa famille et pour elle, elle pousse son
mari aux complots politiques, à la poursuite des emplois publics. Elle
a été ainsi, sans le savoir, une des causes du désarroi de notre pays qui
ont amené l'intervention étrangère 171. Le 28 janvier 1915, après une
série de gouvernements éphémères, Haïti a été occupée par les forces
militaires des Etats-Unis d'Amérique qui y sont restées jusqu'en 1934 ;
le contrôle financier n'a pris fin qu'en 1947 avec le remboursement du
solde de, l'emprunt.
L'occupation américaine, les répercussions de la première guerre
mondiale et la crise économique, ne devaient pas tarder à changer en-
tièrement le genre de vie de l'haïtienne. Ce changement ne se produisit
pas tout d'un coup. Nous assistons ici à une lente évolution qui
d'abord, passa inaperçue puis bientôt bouleversant trop de barrières
s'imposa à l'observation de tout spectateur consciencieux.

170 Auguste Carlet « Visages féminins » Voix de Femmes, No. 35, p. 4.


171 Dantès Bellegarde, « Pour ou contre le Féminisme » Voix de Femmes,
No. 1935, p. 10.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 85

Pressées par le besoin, la femme, la jeune fille, qui avaient été tou-
jours confinées aux travaux d'intérieur, dépendant financièrement et
socialement des hommes de la famille, se virent obligées d'aller cher-
cher leur subsistance au dehors. [80] Leur préparation insuffisante li-
mitant leur champ d'action, elles songèrent à s'instruire afin de mieux
gagner leur vie. Ceci coïncida avec l'ouverture de deux écoles : l'Ecole
Elle Dubois pouf la formation professionnelle des filles et l'Ecole Nor-
male de Filles pour la préparation des institutrices. Ces deux écoles di-
rigées par des institutrices compétentes ouvrirent des horizons nou-
veaux à la jeunesse féminine qui avait dû se contenter jusqu'à présent
d'une instruction primaire supérieure. Nous assistons alors à une véri-
table ruée vers les écoles de commerce, quelques jeunes filles en-
trèrent à l'école de pharmacie 172. Les écoles d'infirmières et de sage-
femmes virent affluer de nombreuses élèves. Enfin en 1929, la Faculté
de Droit inscrivit ses premiers étudiants. En 1930, une nouvelle étape
est franchie, l'Ecole d'Art Dentaire et en 1934, la Faculté de Médecine
ouvrirent leurs portes aux jeunes filles. Avec l'indépendance écono-
mique, les femmes gagnèrent une plus grande liberté d'allure et de
pensée, elles s'intéressèrent davantage aux œuvres sociales et aux
sports. Les jeunes filles commencèrent à fonder des groupements
mondains, sportifs et littéraires, tels que Primavera en 1921, Fémina
en 1923 à Port-au-Prince ; Printania, en 1926, au Cap-Haitien ; l’Ex-
celsior à Jérémie, etc..
L'assistance sociale reçut une impulsion nouvelle. La jeunesse sen-
tit le besoin de se grouper dans un commun désir de justice sociale en
fondant des œuvres collectives. En 1925, deux associations de jeunes
filles, les pupilles de St. Antoine et le Noël virent le jour. Il y eut
quelques années plus tard toute une floraison d'autres œuvres sociales
féminines : la Crèche, les Pupilles de Ste. Thérèse, l'Œuvre des Colo-
nies de Vacances (1930), la Sainte Famille (1933), la Croix Rouge.
À partir de cette époque l'haïtienne s'émancipa de la tutelle de
l'église. Elle ne se contenta plus de participer aux œuvres paroissiales
comme « le Noël » et différentes confréries dirigées par les prêtres,
mais toutes les autres associations, [81] ci-dessus énumérées, furent
d'initiative laïque bien que parfois placées sous le patronage du clergé.
Même les jeunes filles dirigeaient elles-mêmes leurs associations ;
172 Par le règlement du 5 février 1920 de l'École de Médecine, les femmes
eurent accès à la section de Pharmacie.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 86

elles y puisèrent des habitudes d'ordre, de discipline et de décision. Le


rôle des femmes dans ce domaine fut très important, car toute l'initia-
tive de l'assistance sociale leur fut entièrement laissée jusqu'à l'organi-
sation de l'assistance publique en 1939.
Dès l'ouverture de l'Union Patriotique, organisée par Georges Syl-
vain pour lutter contre l'Occupation d'Haïti, (le 28 juillet 1915) par les
Forces Militaires des États-Unis d'Amérique, les femmes haïtiennes
participèrent à la lutte nationale en quêtant dans les maisons, les mar-
chés et les lieux publiques pour réunir des fonds pour le soutien de la
campagne et l’envoi des délégués aux Etats-Unis d'Amérique pour
plaider la cause haïtienne. En 1926, la Ligue Internationale des
Femmes pour la Paix et la Liberté décida de faire une enquête sur l'oc-
cupation militaire en Haïti. Paul Douglas, Emily Green Balch et Grâce
Watson furent reçus et guidés par Mesdames Georges Sylvain et
Pierre Hudicourt représentantes de la Ligue Internationale des femmes
pour la Paix et la Liberté en Haïti.
Le 1er mars 1930, Mesdames Perceval Thoby, Thérèse Vieux-Cles-
ca et Justinien Ricot organisèrent avec le concours des prêtres catho-
liques une grande procession qui, partant de l'église du Sacré-Coeur,
défila à travers les rues de la ville et s'arrêta devant l'hôtel où rési-
daient les membres de la Commission Forbes 173 en chantant des can-
tiques demandant la libération d'Haïti. Cette manifestation pacifique,
venant à la suite de nombreuses dépositions, prouva aux membres de
la Commission Sénatoriale que le peuple haïtien tout entier désirait le
départ des forces de l'occupation américaine.
À la suite de cette enquête des accords successifs entre le gouver-
nement Haïtien et celui des Etats-Unis d'Amérique [82] aboutirent à la
fin de l’occupation américaine en Haïti en aout 1934.
En analysant ces faits, nous voyons que l’haïtienne s'était littérale-
ment transformée. Évoluée, plus instruite, souvent économiquement
indépendante, acceptant ses responsabilités sociales, elle ne pouvait
manquer de se rendre compte de la situation inférieure qui lui était
faite dans la nation, d'aspirer à la liberté accordée à ses sœurs d'outre-
mer.

173 Commission d'Enquête envoyée par le Sénat Américain pour enquêter sur
l'Occupation Américaine en Haïti.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 87

Le féminisme était inconnu en Haïti. Les femmes bien qu'y jouant


un rôle considérable n'avaient jamais pensé à se grouper en vue d'une
action commune pour la revendication de leurs droits. Pourtant, petit à
petit, elles prenaient conscience du nouveau rôle de la femme dans le
monde.
Le 22 février 1934, Madeleine Sylvain, jeune avocate, réunit
quelques intellectuelles et leaders sociaux en vue de la fondation d'une
association pour l'émancipation politique et sociale de la femme. Cette
idée souleva un grand enthousiasme car elle répondait à un désir pro-
fond chez beaucoup de femmes de prendre leur part d'action et de res-
ponsabilité dans les manifestations de la vie nationale. Après quelques
semaines, le groupement comptait déjà des centaines d'adhérentes re-
crutées, en majeure partie, parmi les institutrices et les militantes des
œuvres d'assistance.
La nouvelle association tint à déterminer nettement son objectif en
assignant comme but dans ses statuts : l) de contribuer à l'amélioration
physique, intellectuelle et morale de la femme haïtienne pour la rendre
consciente de ses devoirs sociaux ; 2) de résoudre les problèmes
concernant la protection de l'enfant, de la femme, des vieillards et
l'amélioration du foyer familial ; 3) de faire reconnaître l'égalité civile
et politique de l'haïtienne.

Les statuts furent votés et un comité exécutif fut élu, le 3 mars


1934, composé d'un bureau de huit membres et des directrices des six
commissions entre lesquelles devait se répartir le travail de l'associa-
tion : éducation, publicité, législation, œuvres sociales, coopération in-
ternationale, comités régionaux.
Mme Pierre Hudicourt qui jouissait d'une grande considération
[83] à cause de sa participation aux œuvres sociales fut élue prési-
dente.
Deux mois après, l'association fut dissoute pour deux raisons.
D'une part, le gouvernement ayant pris ombrage de son programme
ambitieux, avait refusé de lui accorder l'autorisation de fonctionner.
Elle réclamait notamment : l'augmentation du nombre des écoles de
filles, la création de lycées féminins, l'égalité dans la famille, la libéra-
tion économique de la femme mariée, un salaire égal pour un travail
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 88

égal, le suffrage féminin, la création d'un département du travail avec


un bureau de la femme et de l'enfant, la liberté syndicale, la fermeture
des maisons de prostitution, etc..
D'autre part, l'Hétérogénéité des membres et leur manque d'expé-
rience avaient créé une division au sein de la nouvelle organisation.
D'un côté, une majorité timide et conservatrice, préférant abandonner
le mouvement, effrayée par l'opposition du pouvoir établi et par les ré-
percussions inattendues des idées nouvelles sur les traditions sécu-
laires, de l'autre, une minorité enthousiaste et décidée à poursuivre la
lutte pour la libération de la femme, mais incapable de formuler un
programme ralliant l'adhésion de tous.
Le jour même de la dissolution, le 10 mai 1934, la minorité pro-
gressiste décida de réorganiser l'association sur de nouvelles bases. Un
but unique, résumant tous les autres fut inscrit aux statuts : l'améliora-
tion physique, économique et sociale de la femme haïtienne.
L'effectif fut provisoirement limité au petit nombre des membres
fondateurs qui décidèrent de consacrer les deux premières années à
l'étude des problèmes féminins et sociaux sur le plan national et inter-
national. Un nouveau comité de direction fut élu composé de : Mes-
dames Madeleine Sylvain, présidente, Alice Garoute, vice-présidente,
Fernande Bellegarde, secrétaire-générale, Olga Gordon, secrétaire-ad-
jointe, Thérèse Hudicourt trésorière, Marie Corvington, trésorière-ad-
jointe, Alice Téligny Mathon, Esther Dartigue, Maud Turian et Geor-
gette Justin, conseillères.
Le gouvernement satisfait par le modeste programme de la « Ligue
Féminine d'Action Sociale » lui accorda sans difficulté [84] l'autorisa-
tion de fonctionner et la séance inaugurale eut lieu le 3 juin 1934.
Après un an de travail intensif, une équipe féministe homogène
était constituée avec un programme qui devait être exécuté méthodi-
quement 174.
Les fondatrices pensèrent que le féminisme, plus encore qu'un
mouvement d'émancipation politique, est avant tout un mouvement
d'amélioration sociale et c'est par ce féminisme là qu'elles débutèrent.
Elles voulurent grouper les bonnes volontés afin d'arriver à résoudre

174 Bellegarde, Fernande. Ligue Féminine d'Action Sociale. — Rapport de la


Secrétaire Générale, La Voix des Femmes, Vol. I, No. 1, Oct. 1955.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 89

les problèmes de l'assistance privée, de l'hygiène, de la protection de


la femme, de l'enfance, et, pour y parvenir, élever le niveau moral,
physique et intellectuel de la femme dans toutes les classes sociales.
L'action commença par la propagande pour le recrutement de nou-
veaux membres et la publication, en octobre 1935, d'une revue, « La
Voix des Femmes », avec Mme Jeanne Perez, rédacteur en chef ; Mme
Cléante Desgraves Valcin, gérante et Mme Amélie Laroche, secrétaire.
Ce bulletin mensuel devait servir de trait d'union entre toutes les haï-
tiennes et d'organe de diffusion des idées de la Ligue.
Cette modeste revue, fondée et dirigée par les femmes, ne dispo-
sant d'aucun capital, d'aucune subvention, sans un seul employé sala-
rié, a pu se maintenir de 1935 à 1942, époque à laquelle sa publication
a été provisoirement suspendue à cause de la guerre. Elle a beaucoup
contribué non seulement à l'amélioration de la condition de la femme,
mais aussi a l'évolution sociale en Haïti. En 1937, ce journal obtint
une médaille d'argent à l'Exposition de Paris à cause de la haute portée
sociale de son action.
En 1938, Mme Jeanne Perez quittait la rédaction de la « Voix des
Femmes » pour fonder une revue mensuelle à caractère littéraire qui
participa aussi à la campagne pour l'émancipation des femmes jusqu'à
sa fermeture en 1946.
La Ligue ne tarda pas à ouvrir des filiales dans différentes villes de
province. La première à Port-de-Paix, le 19 [85] février 1935, sous la
présidence de Mine Colbert St. Syr. Le 15 Septembre 1935, une se-
conde filiale fut fondée à St. Marc sous la direction de Madame Jé-
rôme Adée, une autre fut inaugurée en octobre 1936 aux Cayes par
Mme Albert Stacco. Mme Emmeline Carriès-Lemaire fonda, le 2 mai
1937 la filiale de Jacmel. Peu de temps après, Mme Albert Stacco,
laissant la direction de la filiale des Cayes à Mme Im Fougère, alla ré-
pandre les idées féministes au Cap-Haïtien avec le concours de Mme
Marie-Louise Barou. Ces filiales, tout en collaborant à la diffusion des
idées féministes dans leur région, fondèrent aussi des œuvres d'assis-
tance locale. A Miragoâne, l'Œuvre de la « Bouchée de Pain » adhéra
au programme de la Ligue en 1939.
Voulant étendre son œuvre éducative, la Ligue créa des cours du
soir pour les ouvrières dans les centres populeux de la Capitale et dans
chacune des villes où elle avait des filiales. Ces cours, qui répondaient
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 90

à un besoin, eurent tant de succès que d'autres associations, telles que


la Mission Patriotique des jeunes, en ouvrirent aussi. Ces efforts pri-
vés décidèrent bientôt le Gouvernement à fonder d'abord quelques
écoles du soir puis, à organiser l'éducation des adultes.
La Ligue donna, de plus, des conférences sur les sujets d'éducation,
de travail social, d'histoire, etc.. Deux bibliothèques furent créés pour
les membres à Port-au-Prince et à Port-de-Faix.
Une campagne systématique fut aussi menée pour la modernisation
de l'enseignement féminin par la transformation des écoles primaires
supérieures en lycées, l'introduction des cours ménagers dans les
écoles de filles et un programme bien compris d'éducation physique.
Cette campagne eut pour résultat immédiat l'ouverture de cours se-
condaires pour les jeunes filles dans plusieurs établissements privés,
ce qui leur facilita l'accès aux universités.

La réforme de l'enseignement, en 1938, donna satisfaction aux fé-


ministes sur bien des points : des femmes furent placées à des postes
de direction, le nombre des écoles rurales de filles fut augmenté, on y
introduisit des cours d'économie [86] ménagère et la pratique des
sports lut rendue obligatoire dans toutes les écoles.
Comme nous l'avons vu, l'haïtienne s’était toujours intéressée aux
œuvres, mais elle n'avait pas encore une vue d'ensemble lui permettant
d'étudier et de résoudre les problèmes sociaux. Elle s'occupait des
œuvres d'assistance et ne pensait pas à celles de prévoyance. Elle ne
s'attaquait pas à la base du mal, à la lutte contre les grands facteurs de
dégénérescence, l'alcoolisme, la prostitution, etc. La Ligue Féminine
d'Action Sociale essaya de s'élever au-dessus des efforts isolés pour
considérer l’ensemble du problème social, signalant ici ou là des la-
cunes à combler, une œuvre de coordination à accomplir. Elle vit, plu-
sieurs fois, ses efforts couronnés de succès, soit par l'initiative privée
ou publique, soit en collaborant elle-même à fonder de nouvelles
œuvres. C'est ainsi qu'elle encouragea ou collabora à la fondation de
la Société de Puériculture, de l'Obole du Pauvre, de la Bouchée de
Pain et de nombreuses œuvres d'assistance ou de prévoyance sociale.
En 1940, elle consacra son congrès à l'étude des problèmes sociaux.
En décembre 1943, elle ouvrit un Foyer Ouvrier.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 91

Melle Résia Vincent, sœur du Président de la République, Sténio


Vincent, ne se contenta pas de fonder l'Œuvre des Enfants Assistés
pour la protection de l'enfance, mais porta le gouvernement à organi-
ser l'assistance publique en créant la caisse d'assistance publique en
1939, qui permit d'ouvrir des asiles et des internats dans les princi-
pales villes.
De nouvelles œuvres furent créées : l'Association des Femmes Haï-
tiennes pour l'Organisation du Travail en 1935, Les Amis de la Maison
en 1937, la ligue pour la Protection de l'Enfance en 1939. Cette der-
nière, dirigée par Mme Jacqueline Wiener a fait une propagande ; in-
tensive pour une législation pour la protection de l'enfance et a publié,
un journal « L'Aube » pour la défense de ses idées,
L'Association des Guides Scoutes introduites en Haïti par Mme
René Durocher a contribué à la formation de la jeunesse. Aux Cayes
Mme Lionel Bermingham fonda l'œuvre de la « Charité S'il vous
plait. »
La loi sur le travail du 10 août 1934 améliora la situation [87] éco-
nomique des travailleurs des deux sexes en fixant le salaire minimum
à une gourde cinquante par jour et en établissant le congé payé de ma-
ternité de trois semaines avant et trois semaines après l'accouchement.
Malheureusement cette loi ne fut pas strictement appliquée.
Depuis sa fondation, la Ligue Féminine d'Action Sociale mena une
campagne active pour la modification du statut légal de la femme. Elle
fonda, le 7 Janvier 1933, un comité législatif mixte en vue d'étudier et
de concourir à l'adoption de lois sur l’hygiène, la prévoyance sociale,
le statut de la femme, la protection de l'enfance. Les personnalités sui-
vantes y ont collaboré : Mesdames Madeleine Sylvain Bouchereau,
Georgette Justin Daniel, Denise Guillaume. Olga Gordon, Alice Ga-
route, Léonie Madiou, Messieurs Dantès Bellegarde, Lélio Joseph,
Georges O'Callagham, Etienne Charlier et Juvigny Vaugues.
En 1936, le sénateur Denis St. Aude présentait, avec sept de ses
collègues 175, une proposition de loi sur la libre disposition du salaire
de la femme mariée. Cette loi, ayant bénéficié d'un rapport favorable
de la Commission chargée de l'examiner, n'a malheureusement même
pas été présentée au vote de l'Assemblée malgré les nombreuses dé-

175 Le nombre total des Sénateurs était de 21.


Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 92

marches de la Ligue Féminine d'Action Sociale. Elle a fait néanmoins


l'objet de nombreuses polémiques dans les journaux. Voici la conclu-
sion du rapport de la Commission Sénatoriale :

« Telle qu'elle est, nous pensons que cette loi donnera, pleine satisfac-
tion à tous, qu'elle témoignera de notre esprit de justice envers la femme
haïtienne, qu'elle, facilitera, au plus haut point les affaires commerciales
ou autres entreprises des femmes mariées ; qu'elle réparera, une injustice,
séculaire envers les femmes séparées de leur mari de corps et non de
biens, et tenues quand même sous une tutelle injuste ; bienfaits dont la
femme haïtienne sera redevable à la louable initiative du sénateur St.
Aude 176. »

[88]
La même année, deux autres propositions de lois concernant la
femme furent présentées au Sénat : la proposition de loi Fanfan sur la
recherche de la paternité et la proposition de loi Albert sur la régle-
mentation de la prostitution. Ces deux propositions furent rejetées.
Répondant à une demande expresse du Président de la République,
le comité législatif de la Ligue Féminine d’action Sociale présentait,
en Juillet 1939, un projet général de modification du Code Civil en ce
qui a trait au statut de la femme. Aucune suite ne fut donnée au projet
malgré les promesses réitérées du Département de la Justice.
Quelques mois après sa fondation, la Ligue recevait la visite de
deux déléguées de la Commission Interaméricaine de Femmes de
l'Union Panaméricaine, Madame Helena Hill Weed et Mademoiselle
Mary Winsor. Ces déléguées venaient demander la ratification du trai-
té de la nationalité de la femme signé par le gouvernement haïtien à la
conférence panaméricaine de Montevideo en 1923 et l'adhésion au
traité sur l'égalité des droits civils et politiques des hommes et des
femmes présenté à cette même conférence par l'Uruguay le Paraguay,
Cuba et l'Équateur. La ligue aida ces messagères du bon vouloir dans
leur mission délicate, adhéra aux principes formulés dans le traité des
quatre états et, depuis lors, réclama continuellement la ratification du
176 Rapport de la Commission de Justice du Sénat concernant la proposition
de loi St. Aude « Voix des Femmes », No. 19, Avril 1936 p. 7.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 93

traité sur la nationalité. Inscrite d'ailleurs au nombre des associations


affiliées à la Commission Interaméricaine des femmes, elle continua à
lui prêter son concours le plus étroit.
À la demande de la Ligue Internationale des Femmes, pour la Paix
et la Liberté, une section de paix fut fondée au sein de la Ligue Fémi-
nine d'Action Sociale. Elle coopéra étroitement avec cette association
et essaya de diffuser les idées de paix et de collaboration internatio-
nale. Cette section reçut en 1940, la visite de Mademoiselle Héloïse
Brainerd, présidente du comité des Amériques de la Ligue Internatio-
nale des Femmes pour la Paix et la Liberté.
« La Voix des Femmes », par des articles d'information essaya de
faire connaître à la femme haïtienne ses sœurs d'outre-mer.
[89]
Pendant la deuxième guerre mondiale, grâce à l'initiative des réfu-
giés européens, des ateliers furent ouverts pour la confection d'articles
de produits indigènes : acajou, fibre de cocotier, pite, latanier, etc..
Ces articles trouvèrent des débouchés aux États-Unis à cause de la fer-
meture des marchés européens fournisseurs de produits similaires.
Ceci contribua dans les villes à augmenter l'effectif de la main-
d’œuvre féminine et à élever les salaires de cette classe. Dans les cam-
pagnes, ceci procura un revenu additionnel aux familles car hommes,
femmes et enfants pouvaient faire des tresses en cocotier, en latanier
ou d'autres objets pendant leurs heures de loisir.
Le gouvernement du président Lescot, faisant droit aux revendica-
tions de la Ligue Féminine d'Action Sociale, apporta des améliora-
tions successives à la situation de la femme.
En octobre 1943, un lycée de jeunes filles fut ouvert à Port-au-
Prince et, en octobre 1944, elles furent admises à suivre les cours des
lycées de garçons dans les autres villes.
Dans le domaine légal, une véritable révolution juridique fut opé-
rée.
Le décret-loi du 23 octobre 1942 modifiant la loi du 22 août 1907
par laquelle la femme mariée à un étranger adoptait la nationalité de
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 94

ce dernier, permit à l'haïtienne de conserver sa nationalité dans le ma-


riage 177.
Le décret-loi du 11 janvier 1944 autorisa la femme mariée qui tra-
vaille à disposer librement de son salaire et des gains provenant de son
travail personnel.
D'après l'exposé des motifs de cette loi, le but de cette législation
était de combler une lacune du Code Civil, en enlevant au mari tout
pouvoir sur les gains et salaires personnels de sa femme, ainsi que sur
les économies réalisées par celle-ci et sur les biens et valeurs leur ser-
vant de placement 178.
L'amendement, apporté le 19 avril 1944, à la constitution [90] de
1935 permit à la femme d'être nommée ou élue aux emplois civils et
politiques.
Nous reproduisons, ci-après, la partie du message présidentiel qui
introduisit dans la Constitution cette importante réforme :

« Avec l'évolution de mœurs, la femme s'est créé une place remar-


quable dans tous les domaines de l'activité humaine. Les exigences de la
vie contemporaine lui imposent une participation directe à toutes les mani-
festations de la vie sociale et politique. Aussi, la règle de la capacité géné-
rale et absolue de la femme est-elle généralement consacrée dans le droit
moderne.
« Évidemment, tenant compte de nos mœurs politiques, il ne serait pas
sage de conférer actuellement à la femme haïtienne le droit prééminent de
suffrage ; mais il n'y aurait aucun inconvénient à admettre qu'elle soit éli-
gible aux fonctions à caractère représentatif de sénateur, de député et de
membre des administrations communales.
« Dans le domaine purement administratif, la femme haïtienne a donné
la mesure de son intelligence et de son savoir-faire. Le moment est venu
de l'admettre à l'exercice de certains droits politiques.
« C'est une œuvre de progrès politique à réaliser.

177 Le Moniteur, 97ème Année, No. 86,


26 Octobre 1942, Port-au-Prince 1942.
178 Le Moniteur, 99ème Année, No. 4, 13 Janvier 1944, Port-au-Prince 1944.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 95

« En conséquence, il convient de modifier l'article 4 de la constitution


dans le sens suivant :
« Article 4. Tout haïtien âgé de 21 ans accomplis, exerce les droits po-
litiques, s'il n'est dans aucun des cas d'incapacité prévu par la Loi.
« La, femme haïtienne, âgée de 30 ans accomplis, est éligible aux
fonctions de sénateur, de député et de membre des administrations com-
munales, dans les circonstances déterminées par la loi,
« Agée de 21 ans accomplis, la femme haïtienne peut être nommée à
tous autres emplois civils de l'ordre administratif, dans les conditions éta-
blies par la loi 179 »

[91]
Par cet amendement, l'haïtienne pouvait être élue ou nommée à
toutes les fonctions à l'exception de celle de président, mais le droit de
suffrage lui était toujours refusé.
Le 25 décembre 1944 un décret-loi fut promulgué autorisant la re-
cherche de la paternité dans certains cas déterminés et accordant aux
enfants naturels reconnus les mêmes droits que les enfants légitimes.
Ce décret-loi avait pour but d'accorder une plus grande protection aux
mères non mariées et aux enfants naturels, car l'exposé des motifs sou-
lignait : « la justice exige d'abord que les auteurs de l'enfant naturels
n'aient pas le .moyen de se dérober à l'obligation de le reconnaître, en-
traînant celle de lui donner leur nom et de pourvoir à son entretien et à
son éducation 180. »
D'autre part, en vue de faciliter le mariage des paysans, le gouver-
nement, par le décret-loi du 15 janvier 1945, les exonérait du paie-
ment des taxes des actes de mariage 181.
Malheureusement, l'amendement constitutionnel accordant l'éligi-
bilité à la femme n'était qu'une manœuvre politique destinée à atténuer
l'impopularité d'un autre amendement voté en même temps, prolon-
geant le mandat présidentiel.

179 Le Moniteur, 99ème Année, No. 34, 20 Avril 1944, Port-au-Prince, 1944.
180 Le Moniteur, 99ème Année, No. 105, 25 Déc. 1944, Port-au-Prince, 1944.
181 Le Moniteur, l00ème Année, No. 5, 15 Janvier 1945, Port-au-Prince, 1945.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 96

Il ne fut pas suivi, comme les féministes l'espéraient, par la nomi-


nation immédiate de femmes à des fonctions publiques importantes ;
et une révolution renversa le Gouvernement avant de nouvelles élec-
tions où la femme aurait pu poser sa candidature à des fonctions élec-
tives.
La révolution de janvier 1946 fut une révolte de la jeunesse et des
classes moyennes contre l'injustice, la misère et l'exploitation.
La participation de notre pays, à la lutte contre le fascisme, la dif-
fusion des idées démocratiques, l'écho de la proclamation des quatre
libertés par Roosevelt avaient contribué à former une conscience de
classe en vue de la revendication des droits humains pour tous.
[92]
Plusieurs femmes participèrent activement à la révolution, cer-
taines comme Lydia et Pauline Jeanty cachèrent les conspirateurs dans
leur maison, d'autres telles que Melle Lilli Fortuné, Mmes Jacqueline
Wiener et Jacques Roumain se trouvaient sur les barricades. Léonie
Madiou, blessée et arrêtée au cours des bagarres, fut considérée
comme l'héroïne du mouvement.
La Ligue Féminine d'Action Sociale mena une active campagne en
vue de faire reconnaitre le principe de l'égalité entre les sexes dans la
constitution que l'on allait élaborer. La victoire semblait assurée car
les trois quarts des membres de l'Assemblée Constituante avaient si-
gné une pétition demandant de reconnaître l'égalité des droits des deux
sexes dans la nouvelle constitution. Pourtant au moment du vote,
quelques constituants, signataires de la pétition, demandèrent à l'As-
semblée de ne pas accorder le droit de vote aux femmes. Les députés
Castel Démesmin et Émile St. Lot s'acharnèrent particulièrement
contre la femme, l'accusant d'être responsable de tous les maux d'Haï-
ti.
Le nouvel article de la constitution, non seulement n'accordait pas
à la femme l'égalité qu'elle sollicitait, mais lui enlevait le droit d'éligi-
bilité octroyé par l'amendement constitutionnel de 1944.
La délégation de la Ligue Féminine d'Action Sociale, après avoir
manifesté à haute voix son indignation, quitta la salle poursuivie par
les huées d'une foule mercenaire à la solde de députés malhonnêtes.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 97

Cet échec ne fit que redoubler l'activité de la Ligue Féminine d'Ac-


tion Sociale. Un pamphlet fut publié : « La Femme Ha tienne répond
aux attaques formulées contre elle à l'Assemblée Çonstituante » où,
après un compte-rendu sténographiée de la séance de la Constituante,
Mmes Madeleine Sylvain-Bouchereau, Alice Garoute, Cléante D. Val-
cin, Yvonne Hakime Rimpel, Marien Thérèse Poitevien réfutèrent les
arguments présentés par les constituants pour ne pas accorder à la
femme les droits politiques 182. « La Voix des Femmes [93] Recom-
mença à paraître bi-mensuellement avec une équipe plus nombreuse.
Toutefois la constitution de 1946 tint compte des revendications des
travailleurs et une nouvelle législation sociale vint consacrer leurs
droits. La liberté syndicale fut reconnue.
Le président Lescot, voulant apaiser les revendications populaires,
avait porté le salaire minimum à 2 gourdes 50 par le décret-loi du 25
décembre 1945. Une nouvelle loi du 19 décembre 1947 le porta à 3
gourdes 50.
Un Bureau du Travail avec une section de la femme et de l'enfant
ouvert avec comme directrice Mademoiselle Denyse Guillaume, jeune
avocate, ayant milité dans le féminisme, et Mme Léonie Madiou, an-
cienne directrice du Foyer ouvrier comme inspectrice du travail.
Bien que la tâche fut écrasante, elles organisèrent l'inspection des
ateliers employant une main-d’œuvre féminine, occupèrent du
contrôle du travail des enfants, de la création de syndicats féminins et
de l'élaboration de lois protégeant la femme et l’enfant en collabora-
tion avec les autres dirigeants du Bureau du Travail.
Malheureusement le décès prématuré de Denyse Guillaume inter-
rompit une carrière qui avait été très brillante. Lauréate de sa promo-
tion au baccalauréat et à la Faculté de droit elle avait obtenu le di-
plôme de licenciée en 1939. Elle fut secrétaire-générale de la Ligue
Féminine d'Action Sociale et membre de nombreux autres groupe-
ments civiques ou sociaux. Elle se fit remarquer par son éloquence
discrète et ses travaux juridiques en faveur de la femme et de l'enfant.
À partir de cette époque la participation directe de la femme aux
partis politiques et aux syndicats fut acceptée. Plusieurs femmes de-
182 La Femme Haïtienne répond aux attaques formulées contre elle à l'Assem-
blée Constituante, Société d'Éditions et de Librairie, Port-au-Prince, Haïti
1946.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 98

vinrent membres actifs des partis populaires chrétiens de droite et de


gauche : (PFC) et parti socialiste populaire (PSP). Le parti de gauche
« Mouvement Ouvrier Paysan » (MOP) ouvrit un Bureau d'Action Fé-
minine qui, le 14 novembre 1948, fonda un hebdomadaire d'action so-
ciale « La Famille » sous la direction de Mme Carmen Jean-François
Fignolé qui était aussi présidente du Bureau
L'influence féminine s'exerça dans les syndicats mixtes ou fémi-
nins et au premier congrès du travail en 1949 une jeune [94] ouvrière
intelligente, Octavie Stéphen, secrétaire générale du Syndicat des Ou-
vriers du Tabac, étonna l'assistance par un plaidoyer énergique présen-
tant les revendications des femmes de sa classe.
Mme Lucienne Heurtelou Estimé, femme du président de la répu-
blique Dumarsais Estimé ; s'intéressa activement aux œuvres sociales ;
elle ouvrit un bureau d'assistance privée et fonda une œuvre « La Dis-
crète Aumône. »
Ses subventions permirent aussi à quelques œuvres de se dévelop-
per : l'Orphelinat de l'Enfant Jésus fondée en 1944 par Mme Cyril
Walker, la Goutte de Lait fondée en 1949 par Mmes Bessières Oriol et
Raymond Laroche. L'Ouvroir National pour la confection et la vente
des ouvrages de broderie fut créé par le Gouvernement sous ses aus-
pices.
Mme Estimé fut la présidente d'honneur du Premier Congrès Na-
tional des Femmes Haïtiennes organisé en avril 1950 par la Ligue Fé-
minine d'Action Sociale. Ce congrès réunissait des délégués de 43 as-
sociations féminines dont 5 syndicats ouvriers, les directrices de l'Ou-
vroir National et du Bureau de la Femme et de l'Enfant. 28 déléguées
étrangères avaient aussi été envoyées par les Organisations Internatio-
nales : Nations-Unies, Organisation Internationale du Travail, l'Orga-
nisation des Nations-Unies pour la Science et la Culture et les Ligues
Internationales et Nationales de femme. Ce congrès suscita un grand
enthousiasme. Sur la proposition de Mme Lashmi Menon présidente
de la section politique du Congrès et chef de la Section du Statut des
femmes des Nations-Unies, un vœu fut voté à l'unanimité demandant
aux membres du Corps Législatif de faire les changements nécessaires
aux lois haïtiennes afin de donner aux femmes l’égalité civile et poli-
tique.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 99

Ce vœu fut présenté immédiatement par une délégation aux prési-


dents du Sénat et de la Chambre des Députés ; et le Gouvernement
promit de lui donner son appui 183.
Le mouvement féministe qui avait maintenant obtenu l'adhésion
[95] de tous les groupements féminins organisés, élargit son cadre
pour l'étendre à tous les secteurs.
La chute du gouvernement du Président Estimé, le mois suivant, ne
ralentit pas son action.
La Junte Militaire qui avait pris le pouvoir annonça que de nou-
velles élections auraient lieu pour le choix du président, des membres
du Corps Législatif et de l'Assemblée Constituante.
Une campagne intensive fut organisée en vue d'obtenir l'égalité des
droits civils et politiques, sans distinction du sexe, dans la constitution
qui devait être rédigée par l'Assemblée Constituante en novembre de
la même année aux Gonaïves.
La Ligue Féminine d'Action Sociale décida d'élargir ses cadres en
fondant des « Comités des Droits de la Femme » dans les différents
quartiers de Port-au-Prince, des villes et des bourgs de la république.
La campagne se poursuivit par la presse, la radio, les réunions popu-
laires ; les hommes inquiets se défendirent en organisant une contre-
propagande, mais le mouvement s'étendit rapidement, il y eut bientôt
17 comités à Port-au-Prince et aux environs, tous les partis politiques
et la presse donnèrent leur appui au mouvement. Les comités locaux
de province s'occupaient de diffuser les idées dans leur milieu et fai-
saient signer des pétitions adressées aux membres de l'Assemblée
Constituante leur demandant de reconnaître dans la nouvelle constitu-
tion l'égalité des sexe en donnant à la femme les droits civils et poli-
tiques. Des milliers de signatures d'hommes et de femmes de toutes
les
classes sociales et de toutes les villes et sections rurales du pays furent
recueillies 184.
Le Bureau Féminin du MOP mena aussi une active campagne pour
l'élection de son candidat et pour la reconnaissance de l'égalité des

183 Le Féminisme en Marche, Premier Congrès National des Femmes Haï-


tiennes, Port-au-Prince, Septembre 1951, pp. 1-27.
184 Le Féminisme en Marche, op. cit., pp. 37, 38.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 100

droits entre les sexes. Plusieurs réunions populaires furent organisées


par ce Bureau. « Les Comités des Droits de la Femme » participèrent
aussi à la campagne électorale en prononçant des discours pour les
droits de la femme aux réunions électorales organisées par les candi-
dats féministes.
[96]
Le décès de Mme Alice Garoute, présidente de la Ligue Féminine
d'Action Sociale, survenu le 2 octobre 1950, en pleine campagne, fut
l'occasion d'une véritable manifestation féministe ou les femmes de
toutes les classes défilèrent dans un imposant cortège pour prouver
leur attachement à leur leader et à la cause féministe. Mme Alice Ga-
route fut l'un des plus grands défenseurs de la femme en Haïti. Vice-
Présidente de 1934 à 1945, puis présidente de la Ligue Féminine d'Ac-
tion Sociale de 1945 à 1950, elle lutta constamment jusqu'à son der-
nier souffle pour l'émancipation de la femme.
Son activité débordante embrassait tout ce qui pouvait concourir au
bien du pays et par delà les frontières au progrès de l'humanité.
Les féministes jurèrent sur sa tombe de continuer la lutte jusqu'à la
complète libération de la femme.
Le 10 Octobre 1950, les femmes exposèrent leurs revendications
devant plusieurs milliers de personnes au Théâtre de Verdure à Port-
au-Prince.
Monsieur Edouard Tardieu, directeur du Journal « L’Action So-
ciale », organe du Parti Populaire Chrétien, Monsieur Étienne Char-
lier, directeur du Journal « La Nation », organe du Parti Socialiste Po-
pulaire » et Monsieur Jacques C. Antoine, ancien Ambassadeur d'Haïti
aux États-Unis d'Amérique prirent aussi la parole à cette réunion pour
appuyer le mouvement.
Le 4 novembre, jour de l'ouverture de l'Assemblée Constituante,
plus de mille femmes de toutes les classes sociales, venant de diffé-
rentes régions du pays, défilèrent aux Gonaïves avec calme et disci-
pline. Étendards déployés, portant des pancartes réclamant leurs
droits, elles parcoururent les rues de la ville en chantant l'hymne ; fé-
ministe et debout, sous un soleil ardent, elles attendirent pendant deux
heures, l'ouverture de la séance, à la suite de laquelle les déléguées des
différentes comités déposèrent au bureau de l'Assemblée Constituante
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 101

les pétitions couvertes de milliers de signatures d'individus des deux


sexes réclamant que la nouvelle constitution [97] donne aux femmes
des droits civils et politiques égaux à ceux des hommes 185.
Répondant à la demande de la Ligue Féminine d’Action Sociale,
de nombreuses lettres et télégrammes avaient été aussi envoyés à l'As-
semblée Constituante par les associations féminines internationales
demandant la mise en application en Haïti du principe de l'égalité des
sexes reconnu par la déclaration Universelle de Droits de l'homme et
par le Pacte des Nations-Unies.
Des représentantes des Comités des Droits de la Femme séjour-
nèrent aux Gonaïves durant le mois de novembre afin de monter la
garde pendant toute la durée des travaux de la Constituante. Ce fut
une précaution utile, car bien que les discours d'inauguration du Pré-
sident de la Constituante, Monsieur, Dantès Bellegarde et du ministre
de l'intérieur, Monsieur Luc Fouché, demandaient de reconnaître
l'égalité des sexes dans la nouvelle Constitution, la Commission char-
gée de l'élaboration du projet n'était pas en faveur des droits de la
femme. Grâce aux démarches des féministes et des Constituants parta-
geant leurs idées particulièrement du Président M. Dantès Bellegarde,
le principe de l'égalité des sexes fut reconnu dans la Constitution de
1950 après de vives discussions 186.
En effet, l'article 9 de cette Constitution établit formellement que
les haïtiens sont égaux devant la loi, qu'ils ont le droit de prendre une
part effective au gouvernement de leur pays et d'être nommés ou élus
à toutes les fonctions de l'Etat sans aucune distinction de sexe.
D’après l'article 4 « tout Haïtien, sans distinction de sexe, âgé de
21 ans accomplis, exerce les droits politiques... » toutefois, le
deuxième alinéa de cet article stipule que les femmes, ne pourront vo-
ter aux élections nationales que trois ans au maximum après leur parti-
cipation aux élections municipales. Après cette période, aucune en-
trave ne pourra être apportée à l'exercice de leurs droits politiques.
Le même article prévoit que transitoirement on devra continuer
[98] à appliquer les lois existantes régissant le statut de la femme ma-

185 Le Féminisme en Marche, op, cit., pp. 31, 32, 33.


186 Le Féminisme .... op. cit., pp. 33- 35.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 102

riée dans la famille jusqu'à ce que des réformes législatives permettent


de réaliser un régime d'égalité absolue entre les sexes 187.
Se basant sur cette prescription constitutionnelle, la Ligue Fémi-
nine d'Action Sociale réclame la modification immédiate des articles
du Code Civil qui établissent l'incapacité de la femme mariée et lui
donnent une position inférieure dans la famille. Cette association
continue aussi son action par ses cours du soir, sa permanence et son
journal, afin de préparer les femmes à remplir convenablement leurs
devoirs de citoyennes.
Mme Yolette Magloire, depuis l'accession de son mari, à la prési-
dence de la république, en décembre 1950, a fondé une œuvre d'assis-
tance : « La Fondation Mme Paul E. Magloire » qui a déjà exercé une
action sociale et humanitaire de grande envergure.
Disposant d'un budget d'une valeur d'environ ($100.000.00) cent
mille dollars, pour l'année 1952-53, provenant pour un peu plus de la
moitié de contributions d'État et pour le reste de dons et de produits de
fêtes, la fondation, en plus des distributions de vêtements et des dons
en argent à ses protégés, a fondé une garderie, un foyer d'école, des
cantines et un restaurant populaire. S'élevant au-delà des œuvres d'as-
sistance, elle a aussi organisé quatre ouvroirs dans les villes de pro-
vince pour l'amélioration de la situation économique de la femme du
peuple en lui procurant du travail ainsi qu'une formation profession-
nelle 188,
Jusqu'à présent, malgré la réforme constitutionnelle, le gouverne-
ment n'a nommé aucune femme à des postes de premier plan.
Quoique, comme nous le verrons dans la seconde partie, quelques
fonctionnaires occupent des emplois secondaires dans 1'admnistration,
ceci ne constitue pas un progrès véritable. Il y a pourtant, en ce mo-
ment, une élite féminine consciente de ses droits et devoirs civiques et
qui ne manquera pas d'apporter une coopération effective au progrès
du pays.
[99]

187 Constitution de la République d'Haïti 1950, Art. 4, 35, 9.


188 Rapport des activités de la Fondation Mme. Paul E. Magloire. Imp. Des-
champs, Port-au-Prince, Mars 1953.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 103

La Ligue Féminine d'Action Sociale a organisé en Septembre 1954


un séminaire pour la préparation des dirigeantes qui devaient conduire
une campagne intensive d'éducation civique pour la préparation de
l'haïtienne à l'exercice des droits politiques en janvier 1955.
Mme Mitchell, déléguée de la « League of Women Voters » Asso-
ciation des Femmes votantes des États-Unis participa à ce cours qui
furent suivis par un grand nombre de femmes de la capitale. Une tour-
née de conférences dans les principales villes étendit l'action à la pro-
vince.
Le séminaire et les conférences régionales comprenaient deux sé-
ries de discussions, l'une s'adressant aux institutrices et dirigeantes de
la bourgeoisie et l’autre aux leaders de la classe populaire en grande
partie illettrées.
Dès le début d'octobre, une campagne intensive d'éducation ci-
vique fut déclenchée par la Ligue à l'échelle nationale Rien ne fut né-
gligé, cours miméografiés distribués ; dans tout le pays, conférences
quotidiennes à la radio en français et en créole, affiches éducatives in-
vitant les femmes à s'inscrire et réunions dans les quartiers populaires
et dans les écoles pour les futures électrices et même les élèves des
classes secondaires des lycées.
La Ligue décida de patronner plusieurs candidatures féminines à
Port-au-Prince, Pétionville et au Cap-Haïtien en vue de susciter l'inté-
rêt et de porter les femmes à s'inscrire en grand nombre. Elle proposa
aussi aux candidates un programme minimum pour l’administration
municipale. Suivant cette recommandation la plupart d'entre elles pu-
blièrent leur programme basé sur celui de la Ligue et comportant un
plan d'action sociale et administrative qu'elles s'engageaient à pro-
mouvoir en cas de réussite. Ces déclarations de principe introduisirent
un élément objectif dans la lutte électorale qui jusqu'à présent était
principalement subjective.
Vingt huit femmes présentèrent leur candidature comme membre
des conseils communaux de différents villes et bourgs et les femmes
de toutes les classes s'inscrivirent en grand nombre sur les listes élec-
torales. Au total, il y eut environ une inscription féminine pour deux
masculines.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 104

Le 9 janvier 1955 pour la première fois en Haïti les femmes [100]


votèrent aux élections municipales et huit furent élues membres des
conseils communaux. Deux d'entre elles dirigeront pendant quatre ans
l'administration locale de leur municipalité et les cinq autres y colla-
boreront comme assesseurs.
Toutes sont de : femmes remarquables qui se sont toujours occu-
pées de politique et jouissent d'un grand prestige dans leur commu-
nauté.
Madame Ulysse Pierre Raymond, âgée de 72 ans, mairesse de Ca-
baret, dirige seule depuis plus de quarante ans un important établisse-
ment agricole et industriel qu'elle a développé petit à petit grâce à son
énergie et à son labeur. Elle a toujours contribué à l'amélioration so-
ciale et économique de sa localité.
Madame Constance Arnaud Zamor, mairesse de Mont-Organisé,
infirmière et commerçante est aussi une dirigeante d'une activité dé-
bordante.
Mesdames Denyse Ethéart ; Massa, Clément Coicou, Lise Pare,
Cavé Adolphe, Melles Marcelle Wiss et Bertha Gilot Anse-à-Foleur,
Gonaïves et Grand-Gosier ont aussi par leurs activités profession-
nelles ou privées prouvé leur intérêt au bien commun et contribueront
certainement au développement de leurs communautés respectives.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 105

[101]

Haïti et ses femmes.


Une étude d’évolution culturelle.

Deuxième partie
LA FEMME DANS
LA FAMILLE, LA SOCIÉTÉ
ET L’ÉCONOMIE HAÏTIENNE

Retour à la table des matières

[102]
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 106

[103]

Haïti et ses femmes.


Une étude d’évolution culturelle.
Deuxième partie : La femme dans la famille,
la société et l’économie haïtienne

Chapitre I
STATUT LÉGAL

1 — DROITS CIVILS

a) Mariage.

Retour à la table des matières

Le Code Civil réglemente en détail les relations familiales. Nous


étudierons d'abord les dispositions légales concernant les conditions et
les formalités du mariage.
La femme peut se marier à quinze ans et l'homme à dix-huit ans.
Pour des motifs graves par exemple si la fille est enceinte, le Président
de la République peut accorder la permission de célébrer le mariage
avant cet âge 189.
Le consentement des deux parties est nécessaire à la validité du
mariage 190.
Le consentement des parents est nécessaire quand la fille n'a point
atteint l'âge de vingt et un ans et le fils l'âge de vingt-cinq ans ; en cas
189 Léger, Abel. Code Civil d'Haïti, art, 133, Port-au-Prince Haïti, 1934.
190 C. C. art. 134.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 107

de dissentiment, le consentement du père suffit. Quand l'un des deux


est mort, ou s'il est dans impossibilité de manifester sa volonté, le
consentement de l’autre suffit 191.
Si le père et la mère sont morts, ou s'ils sont dans l'impossibilité de
manifester leur volonté, les aïeuls et aïeules ou à défaut le conseil de
famille les remplacent. En cas de dissentiment entre l'aïeul et l’aïeule
de la même ligne, il suffit [104] du consentement de l’aïeul ; en cas de
dissentiment entre les deux lignes, le mariage peut se faire 192.
Les enfants naturels reconnus doivent aussi obtenir le consente-
ment de leur père et mère ou de leurs ascendants dans les mêmes
conditions. Ceux qui n'ont point été reconnus doivent, jusqu'à l'âge de
vingt-et-un ans, obtenir le consentement du conseil de famille avant
de se marier 193.
La polygamie est défendue et constitue un crime puni de la peine
de travaux forcés 194.
Le mariage est prohibé entre tous les ascendants et descendants et
leurs conjoints légitimes ou naturels.
Il est aussi prohibé entre le frère et la sœur légitimes ou naturels,
les beaux-frères et belles-sœurs, l'oncle et la nièce, la tante et le neveu.
Néanmoins le Président de la République peut permettre le mariage de
ces derniers pour des causes exceptionnelles 195.
Les futurs conjoints sont libres de faire procéder à leur mariage ou
bien par l'Officier de l'État Civil conformément aux lois en vigueur ou
bien uniquement par le Ministre de leur religion conformément aux
prescriptions et rites de celle-ci. Dans ce dernier cas, le mariage reli-
gieux ainsi célébré produira tous les effets légaux du mariage célébré
devant l'Officier de l'État Civil pourvu que les conjoints réunissent les
conditions de capacité requises par le Code Civil, que le mariage soit
célébré publiquement c'est-à-dire en présence de deux témoins, par le
ministre du culte au domicile de l'une des parties et que le projet ait
été publié au domicile de chacun des conjoints. Le consentement des

191 C. C, art. 136-137.


192 C.C. art 138 et 146.
193 C. C, art. 147 et 148.
194 Code Pénal, art. 288.
195 Léger, Abel, op. cit., Art. 150, Code Civil.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 108

parents dans le cas où il s'impose devra être donné par écrit ou verba-
lement.
Les conjoints doivent payer une taxe de dix gourdes pour avoir une
copie de leur acte de mariage néanmoins le paiement de cette taxe est
supprimé pour les indigents 196.
Une action en nullité peut être intentée contre tout mariage qui a
été contracté en contravention des dispositions [105] légales soit par
les époux, soit par tous ceux qui ont intérêt, soit par le ministère pu-
blic 197.
Le mariage qui a été déclaré nul, produit néanmoins des effets ci-
vils à l'égard de l'époux qui l'avait contracté de bonne foi et des en-
fants issus de cette union 198.
Le Code se charge de fixer la situation réciproque des deux époux.
Le mari est le chef de la famille. Il doit protéger sa femme et elle doit
lui obéir 199. La situation est ainsi nettement établie : d'un côté, autorité
absolue et de l'autre dépendance complète. « Là est consignée, dit
Price Mars, la règle qui fixe les devoirs des époux avec une inflexibi-
lité tellement unilatérale que, des deux parties en cause, une seule a
probablement dressé le contrat 200. »
En se mariant la femme prend habituellement le nom de son mari
bien qu'il n'y ait aucune disposition légale qui l'y oblige. Elle continue
à porter ce nom même après la mort de son mari, mais en cas de di-
vorce elle reprend habituellement son nom de famille.
L'haïtienne mariée à un étranger conserve sa nationalité mais ne
peut la transmettre à son enfant que s'il n'a pas été reconnu par son
père. L'étrangère mariée à un haïtien suit la condition de son mari 201.
Le Code impose au mari comme à la femme le devoir de fidélité 202
mais ici l'inégalité entre les époux éclate de façon flagrante. La Légis-
196 Léger, op. cit., Lois-du 16 Décembre 1929 et Arrêté du 10 Janvier 1930.
197 Ibid., op. cit., Art, 165 et suivant C. C.
198 C.C. art. 187 et 188.
199 C. C. art. 197.
200 Mars. Price, op. cit., pp. 101 — 102.
201 Loi du 22 Août 1907 sur la nationalité modifiée par le décret-loi du 25 Oc-
tobre 1942.
202 Léger. Abel, op. cit., Art. 196.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 109

lation établit une distinction : l'adultère de la femme est un délit punis-


sable en quelque lieu qu'il ait été commis, celui du mari n'est puni que
lorsqu'il a été perpétré dans la maison conjugale. D'autre part, la faute
de la femme est passible d'emprisonnement pour une durée d'au moins
trois mois et de deux ans au plus. Le mari infidèle ne peut être
condamné qu'à payer une amende de cent à quatre cent gourdes 203.
[106]
Les époux se doivent mutuellement secours et assistance 204. Cha-
cun des époux contribue aux charges du mariage suivant les conven-
tions contenues, dans leur contrat et, s'il n'en existe point à cet égard,
la femme contribue à ces charges jusqu'à concurrence du tiers de ses
revenus 205. La responsabilité du mari est plus grande car l'article 198
du Code déclare que le mari est obligé de fournir à la femme tout ce
qui est nécessaire pour les besoins de la vie, selon ses facultés et son
état. La femme est obligée d'habiter avec son mari et de le suivre par-
tout où il juge à propos de résider 206.
La jurisprudence permet même à ce dernier de la prendre par la fa-
mine en séquestrant ses revenus personnels ou d'user de la force pu-
blique pour la ramener au domicile conjugal : manu militari entre
deux gendarmes. En revanche le mari est obligé de recevoir sa femme
et s'il refuse de le faire elle peut être autorisée par les tribunaux à se
faire ouvrir de force le domicile conjugal.

203 Code Pénal, art. 285 et 287.


204 Léger, Abel, op. cit., Art. 196.
205 Léger, Abel, Art. 1322.
206 CC. Art., 198.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 110

b) Régime des biens

À partir de vingt-et-un ans l'homme et la femme sont majeurs,


c'est-à-dire libérés de l'autorité paternelle et capables de tous les actes
de la vie civile, sauf les restrictions découlant du mariage 207.
La femme majeure, célibataire, veuve, divorcée ou séparée de
corps a le plein exercice de sa capacité civile, elle est souveraine maî-
tresse de ses biens, elle peut ester en justice, donner, aliéner, hypothé-
quer et acquérir meubles et immeubles. Toutefois, le législateur
conserve encore quelque méfiance à son égard car il refuse de lui
confier la tutelle d'un enfant qui n'est le sien et même de l'accepter
comme témoin à un testament 208.
Si elle se marie elle redevient immédiatement incapable, elle perd
la libre disposition de sa personne et de ses biens, [107] elle est mise
sous la tutelle de son mari et ne peut agir sans son autorisation 209.
Quelles que soient les clauses des conventions matrimoniales, l'in-
capacité de la femme mariée subsiste.
Même non commune ou séparée de biens, elle ne peut sans autori-
sation de son mari ester, c'est-à-dire intenter une action en justice 210.
Le principe de l'autorisation est général et s'applique dans tous les cas
où la femme comparait en justice soit en demandant soit en défendant,
quel que soit la matière de Faction qu'elle intente ou quel que soit l'ob-
jet de la demande dirigée contre elle et quel que soit son adversaire.
Elle ne peut de plus sous aucun régime aliéner ses biens meubles et
immeubles, acquérir à titre gratuit ou onéreux, payer une dette, rece-
voir le paiement d'une créance, accepter ou répudier une succession
sans le concours du mari dans l’acte ou son consentement par écrit. Si
le mari refuse elle peut demander cette autorisation au Tribunal qui la
donnera ou la refusera après avoir entendu le mari 211.

207 C. C. art. 398.


208 Léger, Abel, op. cit., Art. 354 et 789.
209 Code Civil, Art. 197.
210 C. C., art 208.
211 C. C., art. 201 – 202 – 2003.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 111

Cette autorisation est spéciale et ne valide qu'un acte déterminé.


Toute autorisation générale, même stipulée par contrat de mariage,
n'est valable que quant à l'administration des biens de la femme. 212
Le législateur a prévu quelques cas où la volonté de la femme peut
s'exercer librement : quand il s'agit de faire son testament, reconnaître
un enfant naturel qu'elle a eu avant son mariage, ou refuser son
consentement au mariage de ses enfants issus d'un précédent mariage ;
les émanciper et accepter les donations qui leur sont offertes. Elle peut
aussi faire les actes conservatoires susceptibles d'être accomplis par
les incapables, tels que transcrire une donation, inscrire son hypo-
thèque légale, adresser une sommation à ses débiteurs.
Elle peut aussi introduire sa demande en divorce et se défendre en
matière pénale 213. Mariée ou non elle est condamnée [108] aux mêmes
peines que l'homme à l'exception du délit d'adultère,
La femme condamnée aux travaux forcés n'y est généralement as-
sujettie qu'à l'intérieur des prisons et lorsqu'elle est condamnée à mort
et est enceinte, elle n'est exécutée que quarante jours après sa déli-
vrance 214. Il est d'ailleurs très rare qu'elle soit exécutée.
L'incapacité de la femme mariée ne concerne pas seulement les
actes juridiques particuliers, mais aussi et surtout le choix d'une pro-
fession. L'épouse soumise à l'autorité du mari et obligée d'habiter avec
lui ne peut exercer une profession indépendante et faire le commerce
sans l'assentiment de celui qui est son seigneur et maitre. Cette autori-
sation maritale peut-être expresse, c'est-à-dire résulter d'un acte écrit,
ou tacite, c'est-à-dire provenir du fait qu'elle exerce le commerce ou la
profession au vu et au su de son mari, elle est générale : la femme
commerçante peut tout faire, vendre, hypothéquer, pour les besoins de
son commerce et elle engage aussi le mari si elle est mariée sous le ré-
gime de la communauté mais le mari peut lui enlever son permis si
elle contracte au-delà de ses possibilités financières 215. Si le mari re-
fuse ou retire cette autorisation, elle peut la demander au tribunal.
Toutefois, quel que soit le régime matrimonial, la femme mariée
qui occupe un emploi ou exerce une profession distincte de celle de
212 C. C. art 199.
213 C. C. art 200, 776 et 201.
214 Code Pénal, Art. 14 et 16.
215 C.C. art. 204.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 112

son mari, peut disposer de son salaire ou des revenus provenant de son
travail personnel, à l'exception de la portion qui doit être affectée à sa
contribution aux charges du ménage. Elle peut en faire le dépôt dans
une banque ou dans une maison de commerce à son crédit personnel
ou l'employer pour l'acquisition de biens mobiliers ou immobiliers.
Elle peut, sans l'autorisation de son mari, aliéner à titre onéreux, les
biens ainsi acquis 216.
Ces dispositions ne sont pas applicables aux gains résultant [109]
d'un travail commun des époux. Dans ce cas, c'est toujours le mari qui
en a seul l'administration.
L'incapacité de la femme subsiste quel que soit le régime matrimo-
nial adopté, cependant les stipulations du contrat de mariage peuvent
l'augmenter ou la diminuer.
En principe les époux sont entièrement libres de fixer eux-mêmes,
par contrat, avant le mariage les dispositions régissant leurs biens
pourvu qu'elles ne soient pas contraires aux bonnes mœurs et ne dé-
rogent pas aux droits résultant de la puissance maritale sur la personne
de la femme et des enfants, ou qui appartiennent au mari comme chef,
c'est-à-dire seigneur et maitre de la communauté, ni aux droits confé-
rés par le Code au survivant des époux 217.
En tenant compte de ces restrictions, les époux peuvent adopter
avec ou sans modification l'un des régimes suivants : communauté
restreinte ou universelle, sans communauté, séparation de biens et do-
tal 218.
À défaut de contrat les époux sont censés mariés sous le régime de
la communauté légale qui forme le droit commun en Haïti 219.
Le régime de communauté est caractérisé par le fait que tout ou
partie des biens des époux sont mis en commun et ne sont partagés
qu'à la dissolution du mariage.
Toutes espèces de modifications peuvent être apportées conven-
tionnellement à ce régime. Consistant principalement dans la quantité
des biens faisant partie de la communauté et les droits respectifs d'ad-
216 Le Moniteur, 99e année, Mo. 4 — 13 Janvier 1944, Port-au-Prince, 1944.
217 Léger, op. cit., art., 1173 et 1174.
218 Ibid., art. 1282 à 1366.
219 Ibid., art. 1179.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 113

ministration et de disposition des époux 220. Quand tous les biens pré-
sents et à venir forment une masse commune ; nous avons le régime
de la communauté universelle 221. Quand les biens meubles seuls de-
viennent la propriété des deux époux ainsi que les revenus des im-
meubles personnels des époux et leurs biens à venir, nous nous trou-
vons en présence de la communauté légale, ou de meubles et d'ac-
quêts, notre régime de droit commun 222.
[110]
Quand tous les biens personnels que les époux possédaient avant le
mariage : meubles et immeubles continuent à leur appartenir en
propre, nous avons la communauté réduite aux acquêts, c'est-à-dire
aux acquisitions faites par les époux provenant de leur travail ou de
leur industrie commune et des économies qu'ils ont réalisé 223.
Dans le régime sans communauté, chaque époux conserve la pro-
priété de tous ses biens mais tant que dure le mariage la femme n'a pas
le droit d'administrer ses biens ni d'en percevoir les revenus qui sont
censés apportés au mari pour soutenir les charges du mariage 224.
Dans le régime sans communauté, chaque époux conserve l'entière
administration de ses biens meubles et immeubles et la libre jouis-
sance de ses revenus. Pourtant l'autorisation expresse du mari ou à son
refus de la justice est nécessaire pour l'aliénation de ses immeubles.
Chacun des époux contribue aux charges du mariage suivant les
conventions contenues en leur contrat ; et s'il n'en existe point à cet
égard, la femme contribue à ces charges jusqu'à concurrence du tiers
de ses revenus. À la dissolution du mariage, la femme recouvre la
pleine propriété de ses biens. Si le mari a eu la jouissance des biens de
sa femme durant le mariage, il n'est tenu à sa dissolution qu'à la repré-
sentation des fruits existants et ne doit point rendre compte de ceux
qui ont été consommés jusqu'alors.
Dans le régime dotal, la dot est le bien que la femme apporte au
mari pour supporter les charges du ménage, il en a l'administration et

220 Ibid., art. 1282.


221 Ibid., art. 1311.
222 Léger, Art. C. C. 1186 et suivants.
223 Ibid., Art. 1238 et ss.
224 Ibid., Art. 1315.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 114

la jouissance 225. Les immeubles constitués en dot ne peuvent être alié-


nés ou hypothéqués pendant le mariage par les conjoints excepté dans
des conditions nettement déterminées par la loi ou le contrat de ma-
riage. Les droits et obligations du mari concernant la dot sont ceux de
l'usufruitier. Il est responsable de toutes les prescriptions acquises et
de toutes les détériorations survenues par sa négligence. Si la dot est
mise en péril par sa négligence, la femme peut demander la séparation
de biens.
[111]
Le reste des biens de la femme qui n'ont pas été constitués en dot
sont paraphernaux et la femme en a l'administration et la jouissance,
mais si elle veut les aliéner, elle doit obtenir l'autorisation de la jus-
tice. À la dissolution du mariage, la dot doit être restituée à la femme
ou à ses héritiers qui devront prouver que le mari l'a reçu au moment
du mariage si celui-ci a duré moins de dix ans.
Nous allons en ce moment étudier la situation de la femme mariée
sous le régime de la communauté légale, car c'est celui qui régit la
presque totalité des mariages en Haïti.
Il est excessivement rare que l'on fasse un contrat de mariage dans
les villes et cela n'arrive jamais dans les bourgs et les communautés
rurales. Ceci est dû sans doute à divers facteurs, tels que l'absence de
grandes fortunes, l'ignorance légale des familles, les dépense supplé-
mentaires occasionnées par l'intervention du notaire ou la crainte de
froisser la susceptibilité du nouvel époux par des précautions inusi-
tées.
Sous le régime de la communauté légale on distingue trois patri-
moines : les biens communs, les propres de la femme et ceux du mari.
Le patrimoine commun comprend : a) les meubles ou biens facilement
transportables tels que mobilier, effets de commerce, titres, etc., pré-
sents et à venir des époux b) les immeubles, biens fixes ou immobiles
tels que maisons, terrains, etc. qu'ils acquièrent à titre onéreux pendant
le mariage ; c) les revenus, fruits, intérêts et arrérages échus ou perçus
pendant le mariage et provenant des biens propres qui leur apparte-

225 Ibid., Art. 1321, suivants.


Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 115

naient lors de la célébration du mariage ou de ceux qui leur sont échus


pendant le mariage à quelque titre que ce soit 226.
Le patrimoine propre de la femme et du mari comprend les im-
meubles qu'ils possédaient avant le mariage et ceux qui leur ont été
donnés ou légués après 227.
Durant le mariage, le mari administre seul les biens communs, il
peut les vendre, aliéner et hypothéquer sans le concours de sa femme.
Il n'est même pas tenu de lui rendre compte de son administration.
Seule exception, il ne peut [112] disposer à titre gratuit des immeubles
de la communauté, ni de l'universalité ou d'une quotité du mobilier
que pour l'établissement des enfants communs 228. Il peut néanmoins
disposer des effets mobiliers à titre gratuit et particulier au profit de
toutes personnes pourvu qu'il ne s'en réserve pas l’usufruit.
La communauté est responsable de toutes les dettes mobilières des
époux avant le mariage, pourtant en ce qui concerne les dettes mobi-
lières contractées avant le mariage par la femme, il est nécessaire
qu'elle puisse les prouver par un acte authentique antérieur au ma-
riage, une telle formalité n'est pas nécessaire pour les dettes du mari,
La communauté est aussi responsable de toutes les dettes contrac-
tées par le mari pendant la communauté ou par la femme avec le
consentement du mari 229. Si la femme a agi sans ce consentement
même avec l'autorisation de la justice, elle n'engage point les biens de
la communauté à moins qu'elle ne soit marchande et qu'il s'agisse des
biens de son commerce 230.
Les arrérages et intérêts des dettes personnelles des époux, les ré-
parations usufruitières de leurs immeubles propres sont aussi à la
charge de la communauté qui doit pourvoir aux frais occasionnés par
l'entretien et l'éducation des enfants et de toute autre charge du mé-
nage, en y ajoutant toutefois la part que la femme qui travaille doit
contribuer à cette fin 231.

226 Léger, op. cit., art. 1187.


227 Ibid. art 1189, et suivants.
228 Ibid., art, 1206 et suivants.
229 Léger, C. C. art., 1194 et suivants.
230 Ibid., art. 1211.
231 Ibid., art, 1194.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 116

En vertu du mandat tacite, la femme peut néanmoins faire sans au-


torisation tous les achats nécessaires à l'entretien de la maison et enga-
ger ainsi le mari et la communauté. Elle peut aussi, si elle est autorisée
par la justice, engager les biens de la communauté pour tirer son mari
de prison ou pour rétablissement des enfants communs en cas d'ab-
sence du mari. 232
Le mari a l'administration de tous les biens personnels de [113] la
femme, il est seul maitre de ses actions mobilières mais il ne peut alié-
ner ses immeubles personnels sans son consentement, il n'est respon-
sable du dépérissement de la fortune de son épouse que lorsque la
perte est survenue par sa faute 233.
Certaines garanties sont néanmoins accordées à la femme pour la
protéger contre la mauvaise gestion de son mari. C'est d'abord l'hypo-
thèque légale qui grève tous les immeubles présents et à venir de son
mari pendant et même après le mariage tant qu'il est débiteur de la
femme garantissant le paiement de toutes ses créances.
La femme ou ses héritiers a aussi le privilège au moment de la dis-
solution de la communauté d'y renoncer lorsque le passif excède l'ac-
tif.
Si elle renonce, elle sera affranchie de toute contribution aux dettes
à moins qu'elle ne se soit obligée conjointement avec son mari ou
lorsque la dette provenait originairement de son chef. Elle pourra re-
prendre les immeubles qui lui appartiennent ou leur prix s'ils ont été
aliénés ainsi que toutes les indemnités qui peuvent lui être dues par la
communauté 234.
À la dissolution de la communauté, la femme ou ses héritiers ne
sont pas tenus de respecter les baux des biens personnels de la femme
faits par le mari pour une période excédant neuf ans 235.
La communauté prend fin par la mort de l'un des époux, par la sé-
paration des biens, par la séparation de corps et pat le divorce.
Après l'acceptation de la communauté par la femme ou ses héri-
tiers, les biens et dettes sont partagés de la manière suivante :
232 Ibid., art. 1212.
233 Léger, C. C. art. 1213.
234 Ibid., art. 1238 et suivants.
235 Ibid., art 1214 et 1215.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 117

Les dettes de la communauté sont pour moitié à charge de chacun


des époux ou de leurs héritiers.
Dans tous les cas, le bénéfice d'émolument permettra à la femme
de n'être tenue des dettes de la communauté que jusqu'à concurrence
des biens qu'elle recueillera.
[114]
Lorsqu'une dette de la communauté aura été payée avec ses biens
propres, elle a droit à une indemnité sur les biens communs et en cas
d'insuffisance, sur les biens du mari 236.
La femme a aussi droit, au décès du mari, aux vêtements de deuil,
à la nourriture et au logement pendant trois mois et quarante jours 237.
Chaque époux ou ses héritiers prélèvent sur la masse des biens l)
ses biens personnels qui ne sont point entrés en communauté, s'ils
existent en nature ou ceux qui ont été acquis en remploi ; 2) Le prix de
ses immeubles qui ont été aliénés pendant la communauté et dont il
n'a point été fait remploi ; 3) Les indemnités qui lui sont dues par la
communauté.
Les prélèvements de la femme s'exercent avant ceux du mari, si les
biens n'existent plus, elle peut en réclamer le remboursement en ar-
gent ou en nature sur les biens de la communauté, et en cas d'insuffi-
sance, sur les biens personnels du mari. Celui-ci ne peut exercer ses
reprises que sur les biens de la communauté,
Après tous les prélèvements des deux époux, le surplus est divisé
également entre eux et leurs héritiers 238.
La femme peut demander au Tribunal la séparation des biens si sa
dot est mise en péril et lorsque le désordre des affaires du mari donne
lieu de craindre que les biens de celui-ci ne soient point suffisants
pour remplir les droits et reprises. La femme séparée de biens en re-
prend la libre administration et alors son statut deviendra semblable à
celui de la femme séparée de biens conventionnellement. Elle pourra
disposer de son mobilier, mais il lui faudra l'autorisation de son mari

236 Ibid., art. 1221 et 1222.


237 Ibid., art. 1260.
238 Ibid., art. 1253 à 1265.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 118

ou de la justice pour tous les actes importants 239. Elle devra contribuer
proportionnellement à ses facultés et à celles de son mari, tant aux
frais du ménage qu'à ceux d'éducation des enfants communs. Elle doit
supporter entièrement ces frais, s'il ne reste rien au mari, Les [115]
époux peuvent décider par acte notarié de mettre fin à la séparation
des biens et de rétablir la communauté qui reprendra alors effet du
jour du mariage.
Si la vie commune lui est insupportable, la femme peut recourir à
la séparation de corps ou au divorce.
Plusieurs femmes préfèrent la séparation de corps, car elle est per-
mise par l'église. Elle peut être demandée par chacun des époux pour
les causes qui donnent lieu au divorce, mais ne peut avoir lieu par le
consentement mutuel des époux. Quand elle est prononcée, elle sus-
pend la puissance maritale sur la personne et les biens de la femme,
elle entraîne toujours la séparation détiens et redonne à la femme sa
pleine capacité civile, sans qu'elle ait besoin de recourir à l'autorisa-
tion du mari ou de la justice, tout en laissant subsister les liens du ma-
riage. Après trois ans, le jugement de séparation de corps peut être
converti en divorce sur la demande d'un des époux 240.
La femme peut aussi demander le divorce pour l’une des causes
suivantes : adultère, excès, sévices, injures graves et ; publiques,
condamnation définitive de l'un des époux à une peine afflictive et in-
famante et par consentement mutuel 241. La femme pourra être autori-
sée, dès le début de la poursuite à quitter le domicile du mari. Dans ce
cas, le tribunal lui fixera une demeure provisoire ; elle pourra aussi
demander une pension alimentaire et la garde des enfants pendant
cette période. Après le divorce, c'est l'époux qui a obtenu gain, de
cause qui exerce la puissance paternelle ; à moins que le tribunal ne
décide pour le plus grand bien des enfants de les confier à l'autre
époux, à leurs grands parents ou à une maison d'éducation, mais
quelque soit le lieu où résident les enfants, les pères et mères
conservent toujours leurs droits de surveillance et surtout d'entretien.

239 Ibid., art. 1228 à 1237.


240 Léger, op. cit. Loi du 10 Mai sur la séparation de corps pp. 162 et 163.
241 Ibid., pp. 215 à 220.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 119

Dans le divorce par consentement mutuel, ce sont les époux qui


fixent eux-mêmes par écrit le sort des enfants 242.
La femme ne peut contracter un second mariage qu’un [116] an
après la dissolution du mariage précédent 243. Elle ne peut hériter, de
son mari, que s'il ne laisse pas de parent au degré successible, c'est-à-
dire au 6e degré 244.
La loi sur les pensions des employés publics garantit à la veuve
une rente viagère équivalente à la moitié de celle que son mari aurait
perçue ; toutefois cette rente sera partagée en deux, si la mère du dé-
funt est toujours vivante 245.
La loi sur les assurances sociales accorde aussi à la veuve non di-
vorcée d'un assuré, victime d'un accident de travail, une rente équiva-
lente à la moitié de celle à laquelle il aurait droit en cas d'incapacité
permanente et totale. Cette rente sera suspendue si la Veuve se remarie
ou vit publiquement en concubinage.
Si l’assuré n'était pas marié et avait néanmoins vécu maritalement
avec une femme pendant l'année qui a précédé immédiatement sa
mort, cette femme bénéficiera d'une rente équivalente à 40% de celle à
laquelle il aurait eu droit en cas d'incapacité permanente. Toutefois,
cette rente ne sera accordée qu’à la condition que l'assuré et sa concu-
bine aient été, durant leur vie en commun, libre de tout lien de ma-
riage. Elle ne sera suspendue que si la concubine contracte mariage ou
vit à nouveau publiquement en concubinage.
Chacun des enfants légitimes ou naturels mineurs de moins de 16
ans de l'assuré décédé aura droit à une rente équivalente à 30% de
celle à laquelle l'assuré aurait droit en cas d'incapacité permanente.
Les rentes aux orphelins seuls ou avec celles de la veuve ou de la
concubine n'excèdent pas 80% de la rente à laquelle l'assuré aurait
droit en cas d'incapacité permanente totale 246.

242 Léger, op. cit., art. 255, 256, 289.


243 Léger, op. cit, art. 213.
244 Ibid., art. 627.
245 Le Moniteur, Loi du 30 Septembre 1950 sur la pension.
246 Le Moniteur, Loi du 12 Décembre 1951 sur les assurances sociales.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 120

c) Rapports de la mère avec ses enfants légitimes.

Nous avons envisagé jusqu'à présent la situation de la femme [117]


dans ses rapports avec son mari ; nous allons l'étudier en ce moment
dans ses rapports avec ses enfants.
La mère comme l'épouse est reléguée au second plan. Les enfants
sont soumis à l'autorité de leurs parents jusqu'à leur majorité ou leur
émancipation, mais pendant le mariage, le père seul exerce cette auto-
rité 247.
Le père seul peut les autoriser à quitter la maison paternelle. S'il a
des causes de mécontentement grave au sujet de la conduite d'un en-
fant, il peut demander au juge de le faire arrêter et détenir dans une
prison ou une maison de correction, sans même que la mère soit
consultée 248. Ce pouvoir exorbitant n'est jamais donné à la mère, car
même lorsque veuve, non remariée, elle a l'exercice de la puissance
paternelle, elle ne peut faire détenir son enfant qu'avec le concours des
deux plus proches parents paternels ou à leur défaut de deux amis 249.
Le père peut élever ses enfants comme bon lui semble, sans tenir
compte de l'avis maternel. Le mineur de l'un ou l'autre sexe est éman-
cipé de plein droit par le mariage ; il peut aussi être émancipé dès l'âge
de quinze ans par son père ou à son défaut par sa mère ou s'il est or-
phelin, à l'âge de dix-huit ans par le conseil de famille. Le mineur
émancipé ne peut faire que certains actes d'administration 250.
Les parents contractent tous deux par le fait seul du mariage l'obli-
gation de nourrir, entretenir et élever leurs enfants 251.
La jurisprudence décide que cette obligation n'est pas solidaire et
pèse pour le tout sur chacun des époux.
Quand les parents sont divorcés, quelle que soit la personne à la-
quelle les enfants seront confiés, les père et mère conservent respecti-

247 Léger, art. 314 cc.


248 Léger, art. 315 et suivants.
249 Léger, art. 322.
250 Ibid. art. 386 et suivants.
251 Ibid., art. 189.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 121

vement le devoir de contribuer à l'entretien et à l'éducation de leurs


enfants, à proportion de leurs facultés 252.
Dans le divorce par consentement mutuel, les enfants deviennent
[118] immédiatement propriétaires de la moitié des biens de chacun
des époux. Les père et mère conservent néanmoins la jouissance de
cette moitié jusqu'à la majorité de leurs enfants, à la charge de pour-
voir à leur nourriture, entretien et éducation. Cette obligation cesse si
les biens personnels des enfants 253 peuvent suffire à les entretenir 254.
Elle est réciproque, les enfants doivent aussi des aliments à leurs père
et mère et autres ascendants qui sont dans le besoin. 255
Pendant le mariage, le père seul a l'administration et la jouissance
des biens personnels de ses enfants mineurs jusqu'à leur majorité ou
leur émancipation. Cette jouissance comporte des obligations ana-
logues à celles de l'usufruitier et les frais d'entretien de l'enfant.
À la mort du mari, la mère a la jouissance des biens de ses enfants,
et en cas de divorce, elle appartient à celui des parents en faveur du-
quel il a été prononcé 256.
Toutefois, les parents n'ont pas la jouissance des biens provenant
d'un travail ou d'une industrie séparée des enfants 257. D'autre part, la
loi n'oblige pas le père à rémunérer son enfant qui travaille pour lui.
Les mineurs doivent obtenir un permis de travail avant d'être em-
ployés dans les entreprises commerciales et industrielles.
Tenant compte de la coutume des paysans ou des citadins pauvres
de « mettre leurs enfants en service », c'est-à-dire de les confier à des
particuliers pour qui ils exécutent des travaux domestiques ou autres,
en échange de leur entretien et de leur éducation, une législation spé-
ciale et un service d'inspection ont été créés au Bureau de la Femme et
de l'Enfant, qui comportent le dépistage et l'inscription de ces enfants,
l'inspection de leur condition de vie, la surveillance de leur fréquenta-
tion scolaire (les écoles demi-temps leur sont [119] spécialement des-

252 Ibid., art. 290.


253 Léger, art. 331-332-333.
254 Léger, art. 326.
255 Léger, art. 191.
256 Léger, art. 325, 326, 327.
257 Léger, art. 328.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 122

tinées) 258 et la prévention et la répression des abus d'autorité et des


mauvais traitements.
Les enfants légitimes ou leurs descendants héritent de leurs père et
mère concurremment à égale partie avec les enfants naturels. Mais
seuls, les enfants légitimes héritent de leurs ascendants légitimes 259.
Le père et la mère, héritent conjointement de leurs enfants décédés
sans postérité et sans frères ni sœurs, ni descendants de ces derniers.
S'il y a des frères et sœurs, la moitié seulement de leur succession sera
partagée entre les ascendants 260.
Les libéralités par ace entre vifs ou par testament ne peuvent excé-
der la moitié des biens du déposant s'il ne laisse à son décès qu'un en-
fant ; le tiers, s'il laisse deux enfants et le quart, s'il en laisse trois ou
un plus grand nombre. Elles ne pourront excéder la moitié, si à défaut
d'enfant, le défunt laisse un ou plusieurs ascendants dans chacune des
lignes paternelle ou maternelle, et les trois quarts s'il n’en laisse que
dans une ligne. À défaut d'ascendant s et de descendants, les libérali-
tés testamentaires pourront épuiser la totalité des biens du disposant 261.
En cas de déchéance du père et à la dissolution du mariage par la
mort du mari ou par divorce obtenu en sa faveur, la mère est de droit
tutrice de ses enfants mineurs avec tous les attributs de la puissance
paternelle, sauf la différence que nous avons déjà signalée, en ce qui
concerne le droit de correction. Elle n'est pas obligée d'accepter cette
tutelle, mais doit en remplir les obligations jusqu'à la nomination d'un
autre tuteur.
Si la mère tutrice désire se remarier, elle devra, si elle ne veut pas
être déchue de la tutelle, avant l'acte de mariage, consulter le conseil
de famille qui décidera si la tutelle doit lui être conservée ; dans ce
cas, le nouvel époux deviendra co-tuteur 262.

258 Les enfants fréquentant ces écoles ne passent que la demi-journée à


l’école.
259 Léger, art. 1605 et suivants.
260 Ibid., art. 612 et Ibid, art. 612 et 614.
261 Ibid., art. 741 à 746.
262 Léger art. 331, 332, 333.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 123

[120]
À son lit de mort, la mère veuve a le droit de désigner un tuteur à
ses enfants mineurs. Sinon cette tutelle sera conférée à l’aïeul paternel
de préférence à l’aïeule maternelle et ainsi de suite, en montant de gé-
nération en génération.

d) Unions illégitimes.

En Haïti, traditionnellement la majorité des unions ne sont pas


sanctionnées par le mariage. Le placage est encore pour diverses rai-
sons la forme d'union la plus répandue dans les villes et dans les cam-
pagnes ; toutefois, le législateur ne réglemente pas les rapports des
concubins pendant ces unions souvent passagères. La loi sur les assu-
rances sociales vient pour la première fois de reconnaître les droits de
la concubine en accordant, comme nous l'avons mentionné précédem-
ment, une rente à la femme qui a vécu maritalement, pendant l'année
qui a précédé immédiatement sa mort, avec un assuré non marié vic-
time d'un accident de travail.
Durant le placage, les parties conservent leur pleine liberté sans
droit et devoir réciproques. La mère d'un enfant illégitime ne peut pas
obliger le père à l'épouser ; elle n'a droit à aucun dommage. Ce n'est
seulement qu'en cas de séduction déshonnête qu'elle peut réclamer une
indemnité de son séducteur en s'appuyant sur le principe du dommage
causé à autrui pour fait illicite 263.
La filiation maternelle ou paternelle d'un enfant né hors mariage
est établie par la reconnaissance volontaire ou judiciaire.
Le père et la mère peuvent reconnaître leur enfant dans son acte de
naissance ou à n'importe quel moment par un acte spécial devant l'Of-
ficier de l'Etat Civil 264.
Les enfants adultérins ou incestueux ne peuvent être reconnus.
L'enfant conçu pendant le mariage a pour père le mari, mais il ne
peut le désavouer que s'il prouve qu'à l'époque de la conception il était

263 Léger, art. 1166.


264 Léger Art. 305 cc. Ibid Art. 306.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 124

dans l'impossibilité physique de co-habiter avec sa femme. Il ne pour-


ra le désavouer même pour [121] cause d'adultère, à moins que la
naissance ne lui ait été cachée 265.
La légitimité de l'enfant né avant le cent-quatre-vingtième jour du
mariage ou trois cents jours, après sa dissolution pourra être contes-
tée 266.
Les enfants nés hors mariage, à l'exception des enfants adultérins
pourront être légitimés par le mariage de leurs père et mère 267.
La recherche de la maternité est admise. L'enfant naturel que sa
mère n'a pas reconnu peut intenter une action en recherche de la ma-
ternité, mais il sera tenu de prouver qu'il est identiquement le même
que l'enfant dont elle est accouchée 268.
La recherche de la paternité n'est admise que dans les cas : d'enlè-
vement ou de viol, lorsque l'époque de l'enlèvement ou du viol se rap-
portera à celle de la conception et de concubinage notoire pendant la
période légale de la conception.
Une femme placée avec un homme veuf, célibataire ou divorcé,
peut intenter une action en recherche de la paternité, afin d'obliger le
père à reconnaître son enfant naturel et ainsi lui donner son nom et
pourvoir à son éducation. Elle a les mêmes droits en cas d'enlèvement
ou de viol.
Si la mère n'intente pas cette action, l'enfant peut, dans les mêmes
cas, l'intenter lui-même dans l'année qui suivra sa majorité.
Cette action n'appartient qu'à l'enfant ou à la mère. Les héritiers de
l'enfant toutefois pourront continuer cette action si elle avait déjà été
intentée avant son décès.
Le jugement établissant la paternité ou la maternité a le même effet
que la reconnaissance. Les relations légales entre les parents et les en-
fants ne sont établies que par la reconnaissance volontaire ou judi-
ciaire.

265 Léger, art. 293 et 294.


266 Ibid., art. 295 et 296.
267 Ibid., art. 302.
268 Le Moniteur, 99ème année No. 105, 25 Déc. 1944 Port-au-Prince, 1944.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 125

L'enfant naturel reconnu a les mêmes droits que l'enfant [122] légi-
time. Il porte le nom du parent qui l’a reconnu ou s'il a été reconnu par
les deux, celui de son père.
Celui ou ceux qui ont reconnu l'enfant sont tenus de pourvoir à son
entretien et à son éducation. La puissance paternelle est exercée ordi-
nairement par le parent avec qui l'enfant habite ; si les parents habitent
ensemble, le père a la prépondérance comme dans le mariage.
La reconnaissance faite pendant le mariage par l’un des époux au
profit d'un enfant naturel qu'il aurait eu avant son mariage d'un autre
que son époux, ne pourra nuire ni à celui-ci ni aux enfants nés du ma-
riage ; néanmoins elle produira son effet après la dissolution de ce ma-
riage, s'il n'en reste point d'enfant 269. Dans ce cas, l'enfant naturel perd
son droit à une pension alimentaire parce que les sommes qui lui se-
raient attribuées devraient être prises sur les revenus dont jouissent les
époux.
Les enfants naturels légalement reconnus héritent de leur père ou
mère ou de leurs ascendants naturels. Ils n'héritent jamais des ascen-
dants légitimes de leurs père ou mère.
La part de l’enfant naturel sera égale à celle de l'enfant légitime.
En cas de prédécès d'un enfant naturel, ses descendants héritent de ses
droits 270.
Les enfants adultérins ou incestueux n'ont droit qu'aux aliments,
c'est-à-dire à l'entretien et à l'éducation. Ceci constitue seulement une
obligation morale bien qu'elle soit consignée dans le code, il leur est
impossible de faire valoir ce droit, car ils ne peuvent être reconnus 271.
La succession de l'enfant naturel décède sans postérité légitime ou
naturelle et sans frère ni sœur naturel, ni descendants d'eux est dévo-
lue au père ou à la mère qui l'a reconnu ou par moitié à tous les deux,
s'il a été reconnu par l’un et par l'autre.

269 Léger, art 308 cc.


270 Léger, art. 606 à 610 cc.
271 Ibid., Art. 611.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 126

Les ascendants légitimes de l'enfant naturel même reconnu n'ont


aucun droit à sa succession ; les ascendants naturels héritent [123] de
moitié, s'ils sont seuls ou du quart, s'il y a des frères et sœurs natu-
rels 272.

2. DROITS POLITIQUES.

Retour à la table des matières

La constitution de 1950 accorde les droits politiques à la femme,


mais limite provisoirement jusqu'en 1957 au plus tard l’exercice du
droit de vote, à l’électorat et à l’éligibilité aux fonctions munici-
pales 273.
Article 4. — Tout haïtien, sans distinction de sexe, âgé de 21 ans
accomplis, exerce les droits politiques, s'il réunit les autres conditions
déterminées par la Constitution et par la loi. Néanmoins, le droit de
vote pour la femme ne s'exercera à titre transitoire, que pour l’électo-
rat et l'éligibilité aux fonctions municipales. La loi devra assurer le
plein et entier exercice de tous les droits politiques à la femme dans
un délai qui ne pourra excéder trois ans après les prochaines élections
municipales générales.
Cette période accomplie, aucune entrave ne pourra empêcher
l'exercice de ces droits.
Le même article reconnaît « l'aptitude de la femme à toutes les
fonctions civiles de l’Administration Publique » et l'article 9 précise :
« Tout haïtien a le droit de prendre une part effective au gouvernement
de son pays, d'occuper des fonctions publiques ou d'être nommé à des em-
plois de l'État, sans aucune distinction de couleur, de sexe ou de religion. »
« L'administration des Services Publics de l'État, en ce qui concerne
les nominations, termes et conditions de service, doit être exemple de tout
privilège, de toute faveur et de toute discrimination 274. »

272 Léger, art. 616 et 617 cc.


273 Constitution de la République d'Haïti 1950. Imprimerie de l'Etat Port-au-
Prince, Haïti.
274 Constitution d'Haïti, Ibid.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 127

Les femmes peuvent donc être nommées ou élues à toutes les fonc-
tions ; légalement il n'existe aucune discrimination à leur égard, elles
sont soumises aux mêmes règlements administratifs que les hommes
et ont droit à une pension de retraite, [124] après au plus vingt-cinq
ans de service, équivalente à la totalité ou à une partie de leurs appoin-
tements, suivant qu'elles ont occupé des postes dans l'enseignement ou
dans d'autres services de l'État 275.
La loi sur le travail accorde aux femmes travaillant dans les ser-
vices publics de l'Etat et les entreprises privées, un congé annuel de 15
jours et un congé de maternité de six semaines, trois semaines avant
l'accouchement et trois semaines après, pendant lequel elles devront
toucher l'intégralité de leur salaire 276.
Enfin les femmes fonctionnaires de l'Etat et des Administrations
contrôlées par l'Etat, les employées des entreprises agricoles, commer-
ciales et industrielles, les institutrices des établissements d'enseigne-
ment privé et le personnel domestique rémunéré en nature ou en es-
pèces bénéficient des assurances sociales sur les accidents de travail.
Les femmes chefs d'entreprises, celles qui travaillent avec leur
mari et les enfants de 18 ans ou au-dessous qui travaillent pour le
compte de leur père et mère et à leur domicile sans recevoir un salaire
en espèces déterminé à l'avance, ne participent pas pour le moment
aux assurances sociales 277.
Les assurés, victimes d'accident de travail, ont droit à l'assistance
médicale et à une rente mensuelle proportionnelle au degré de l'inca-
pacité ou des deux tiers de leur salaire, suivant que l'incapacité est
partielle ou totale. Le montant de cette indemnité ne peut pas être in-
férieur à soixante-dix gourdes, ni supérieur à cinq-cents gourdes.
En cas de décès, les héritiers recevront de plus une indemnité funé-
raire, équivalente à un mois du salaire de base de l'assuré, victime d'un

275 Le Moniteur, lois sur les pensions du 5 Févr. 1923, du 12 Janv. 1943, du 25
Déc. 1945, Du 21 Août 1950 et du 20 Sept 1952.
276 Le Moniteur, Loi sur le travail 10 Août 1934.
277 Le Moniteur, Loi sur les assurances, sociales 12 Septembre 1951 Jusqu'à
présent pendant une période d'essai l’assurance accident de travail a été
seule mise en application ; plus tard les assurances couvriront les risques de
maladie et de maternité.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 128

accident au travail. Nous avons déjà parlé de la rente accordée à


l'épouse ou à la concubine et aux enfants.
[125]

3. COUTUMES TRADITIONNELLES

Retour à la table des matières

Comme nous l'avons vu, le code civil donne à l'haïtienne une situa-
tion inférieure dans la famille vis-à-vis de son mari et de ses enfants,
toutefois ces lois ne correspondent pas à un état de fait et ne tiennent
pas compte des conditions sociales.

a) Unions Matrimoniales.

Nous avons signalé que le « placage » union plus ou moins perma-


nente d'un homme et d'une femme, sans sanction légale ou religieuse
est le mode d'union le plus fréquent parmi le peuple des villes et des
campagnes.
Le mariage civil et religieux est pratiqué .presqu'exclusivement par
la bourgeoisie et la classe moyenne.
Les statistiques ont révélé qu'il y a plus de femmes que d'hommes.
D'après le dernier recensement sur une population totale de 3.100.000
habitants, il y avait environ 1.500.000 hommes et 1.600.000 femmes.
Parmi ce nombre, il y avait 252.491 individus mariés, soit 124.557
hommes pour 127.934 femmes et 2.022.790 célibataires : 1.016.321
hommes et 1.006.469 femmes 278.
En attendant que la publication des résultats du dernier recense-
ment ne nous permettent d'avoir des renseignements plus détaillés
pour l'ensemble du pays, nous nous baserons sur ceux du Département
du Nord-Ouest, qui ont été publiés récemment 279. Ce département
avait en 1950 une population totale de 168.279 habitants : 82.609

278 Chiffres fournis par l'Institut de Statistiques, 27 Mars 1953.


279 Bulletin Trimestriel .... No. 6 Sept. 1952 pp, 275.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 129

hommes et 85.670 femmes dont 8% seulement habitaient les zones ur-


baines : 13.568 habitants dont 5.654 hommes et 7.910 femmes. La po-
pulation rurale s'élevait à peu près à 92% soit 154.715 dont 76.955
hommes et 77.760 femmes. Nous constatons que la différence entre le
nombre d'individus des deux sexes n'est pas très importante mais
qu'elle se rencontre aussi bien dans la population urbaine que rurale.
En examinant la condition matrimoniale des deux sexes, il [126]
ressort que sur un total de 168.279 individus des deux sexes, il y avait
113.900 célibataires, 11.758 mariés, 40.163 placés, 1.844 veufs, 20 di-
vorcés, 361 séparés et 233 dont la condition matrimoniale était incon-
nue. Un examen de la condition matrimoniale de la population du sexe
féminin nous révèle que sur un total de 85.670 femmes, 49.311 étaient
âgées de plus de 15 ans, ce nombre comprenait 20.123 célibataires,
5.931 mariées, 21.467 placées, 14.10 veuves, 12 divorcées, 269 sépa-
rées et 106 dont la condition matrimoniale était inconnue. De plus,
parmi les fillettes âgées de moins de 16 ans, 4 étaient mariées et 16
placées.
Plus de 43.5% de l'effectif de la population âgée de 15 ans et plus
vivait dans le concubinage alors que 12% seulement à contracté ma-
riage. En outre, 40% vivait dans le célibat. Même à Port-au-Prince la
question est importante. La paroisse du Sacré-Cœur, qui est celle où il
y a le plus de mariages étant la paroisse de l'aristocratie de la capitale,
a eu à enregistrer en 1939, 55% d'enfants légitimes sur 510 enfants
baptisés, il faut noter toutefois que certaines campagnes environnantes
dépendent de la paroisse. La proportion est naturellement encore plus
grande dans les classes pauvres. Dans une enquête de l'Institut Haïtien
de Statistiques sur les conditions de vie de la population d'un quartier
pauvre de la Capitale (La Saline, Trou Cochon) sur 1987 individus des
deux sexes : 976 hommes et 1011 femmes, il y avait 354 hommes cé-
libataires et 360 femmes, 46 hommes mariés et 41 femmes 1 veuf et
14 veuves, 564 hommes placés et 587 femmes. On n'a rencontré au-
cune personne divorcée ou séparée. Plus de la moitié de l'effectif de la
population de ce quartier âgé de 15 ans et plus, vit dans le concubi-
nage alors que moins de 5% a contracté mariage. En outre, plus du
quart se trouve dans le célibat et on compte plus d'hommes mariés que
placés par rapport aux femmes. Cette dernière, constatation peut être
justifiée, disent les enquêteurs, par la coutume qu'un homme cohabite
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 130

parfois avec plus d'une femme 280. La proportion de placage n’est pas
plus élevée dans certaines communautés rurales : sur les 884 familles
étudiées par M. Dartigue un [127] peu plus de 25% prétendaient vivre
dans les liens du mariage. Dr. Simpson estime le pourcentage des
unions légitimes à 17% ; dans la région de Plaisance 281. D'autre part,
d'après les statistiques de l'Enseignement Rural 21.61% des parents de
1.453 élèves des fermes-écoles situées dans les centres ruraux et 30%
des parents de 333 élèves des écoles de bourgs sont mariés 282. Il y a de
grandes variations locales. À Poteau, communauté rurale, sur 275 fa-
milles, 17 seulement étaient mariées, sur 300 enfants 25 seulement
étaient légitimes, ce qui donne un peu moins de 8%. De même dans la
Colonie Agricole du Grand Bassin sur 299 colons adultes inscrits il
n'y en avait que 22 engagés par les liens du mariage, ce qui fait à peu
près 7% 283. D'après une enquête faite par le Département de l’Agricul-
ture sur les conditions de vie de 372 familles de la région de la Vallée
de l’Artibonite 62,6% ou presque les deux tiers des chefs de ménage
visités vivent dans la « placage » approximativement et 18% sont ma-
riés.
On observe une très faible proportion de célibataires et de veufs 284.
À Hinche, par contre nous avons constaté au cours d'une enquête que
sur 1.150 baptêmes, il y avait 690 enfants naturels pour 460 légitimes.
Le pourcentage est même plus élevé pour la population du bourg pro-
prement dit, car un grand nombre d'enfants naturels des campagnes
environnantes sont baptisés en ville.
Dans mon enquête parmi 230 femmes des bourgs et communautés
rurales il y a 123 personnes mariées, ce chiffre est particulièrement
élevé et ne représente pas les conditions habituelles existant dans les
campagnes 285. Les femmes interrogées constituent l'élite des commu-
nautés rurales, car les institutrices se sont adressées à leurs amies qui
sont ordinairement plus évoluées que la majorité. Dans les bourgs au
280 Ibid., p. 19.
281 Dartigue, op. cit. p. 1.
282 Rapport de la Section des Statistiques 1939-1940. Archives Services Na-
tional de la Production Agricole et de l'Enseignement rural.
283 Sylvain, Pierre G. (Le Problème Matrimonial dans les campagnes) Voix
des Femmes » No. 39 Mai 1939 p. 5.
284 Bulletin Trimestriel, op.cit. No. 7 Décembre 1952 p. 15.
285 Appendice I. Table 12.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 131

contraire, les femmes interrogées appartiennent en général, [128] à la


classe populaire, car c'est parmi ce groupe que se recrute la clientèle
des écoles rurales, des villages. D'après les statistiques de vitalité, il y
a eu en moyenne de 1933 à 1938, quatre-vingt pour cent d'enfants na-
turels 286. Nous croyons qu’actuellement ces chiffres sont toujours va-
lides.
Les raisons du concubinage sont d'ordre économique et social. Les
raisons les plus importantes sont : 1) La tradition. La polygamie était
généralement acceptée en Afrique, cette coutume s'est maintenue du-
rant la période coloniale car les Français n'encourageaient pas leurs
esclaves à se marier et elle subsiste jusqu'à présent à cause du manque
de prêtres et de l'insuffisance des voies de communication. 2) Les
obligations qui découlent du mariage. Tant qu'un homme n'est pas ma-
rié il peut reconnaitre tous ses enfants et partager ses faveurs comme il
veut entre ses concubines. S'il se marie sa femme légitime acquiert de
plus grands droits qui excitent la jalousie des autres rivales, la situa-
tion des enfants adultérins est difficile à régler. 3) le morcellement des
terres, les paysans héritent parfois de parcelles très éloignées l'une de
l'autre qu'il est beaucoup plus facile de surveiller si on y installe une
femme qui cultive le jardin avec ses enfants. 4) les frais pour la célé-
bration du mariage : achat d'alliance, de vêtements spéciaux, paiement
des cérémonies religieuses et civiles, frais de réception, 5) le rang so-
cial des gens mariés ; dans les communautés rurales si on se marie on
doit avoir un mobilier convenable et des conditions de vie beaucoup
plus élevées.
Le mariage est ordinairement célébré à l'église et il est enregistré et
légalisé par le prêtre. Il n'y a pas de mariage purement civil parmi les
gens du peuple.
Le « placage » se transforme souvent au bout d'un certain temps en
mariage, sauf quand l'union est stérile.
Les jeunes filles qui ne sont ni mariées, ni placées, sont candidates
au mariage jusqu'à quarante ou cinquante ans ; elles vivent ordinaire-
ment avec d'autres membres de leur famille et aident à l'éducation de
leurs petits parents ou filleuls.

286 Fontus, C. Indices de Vitalité et de Santé, p. 6.


Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 132

[129]

« À Marbial, dit Mme Comhaire Sylvain, jeunes gens et jeunes filles


ne se marient généralement pas avant vingt ans ils ne se « placent » pas
non plus avant cet âge. D'après les registres paroissiaux catholiques, il y a
eu en 1948 soixante six mariages, la moitié à peu près régularisant proba-
blement d'anciens « placages. » Dans le cas de quarante-huit d'entre eux,
la mariée avait moins de quarante ans, et dans dix-huit, elle avait entre
quarante et soixante-dix ans. L'âge moyen des épousées a été de trente-six
ans et celui des épouseurs, de trente-neuf ans. L'homme est, la plupart du
temps, plus âgé que la femme, dans quarante-six cas, la différence variait
de un à vingt ans, mais il y a de nombreuses exceptions. On trouvait cinq
couples du même âge et quinze dans lesquels la femme était plus âgée que
son mari de un à vingt-cinq ans 287.

Nous n'avons aucune statistique nous permettant d'évaluer l'éten-


due de la polygamie.
Herskovits prétend que les unions sont monogamiques en majorité
dans la région de Mirebalais, mes observations personnelles me
portent à croire, qu'en général, les unions polygamiques sont en majo-
rité dans les campagnes. Ces questions sont délicates à traiter, car les
femmes ne consentent pas toujours à avouer le fait à une étrangère.
J'ai fait une enquête partielle sur la question parmi quarante-trois
femmes rurales, seulement douze prétendaient être la seule épouse,
quinze avaient une co-épouse, douze en avaient deux et une plusieurs.
Cette étude est trop restreinte pour servir de base à des conclusions
définitives sur la question qui mérite une étude approfondie. Il faut te-
nir compte des différences régionales.
Dans certaines communautés l'Eglise a eu plus de succès dans sa
campagne pour le mariage et les unions monogamiques. Les sectes
protestantes ont obtenu de très bons résultats à cet égard. Récemment
quelques prêtres catholiques ont célébré des mariages en masse dans
certains endroits. Le gouvernement essaie aussi d'encourager les
unions légitimes et les écoles rurales mènent une campagne dans ce
sens. Toutefois, [130] en général, le paysan aisé se contente rarement

287 Métraux A., L’Homme... op. cit. p. 138.


Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 133

d’une seule femme. Certains potentats de village en ont parfois jusqu'à


une douzaine. En dépit des lois les mœurs sont réglées ici par la cou-
tume qui accepte volontiers les unions polygamiques. La situation est
un peu différente dans les bourgs et dans les villes, là l'idéal monoga-
mique prévaut au moins parmi la bourgeoisie : les mariages sont beau-
coup plus nombreux et la religion catholique a imposée ses règles de
conduite. Toutefois la monogamie n'est souvent qu'apparente. La cou-
tume accorde à l'homme une plus grande liberté qu'à la femme au
point de vue sexuel. Même marié, il a souvent une ou deux maitresses
et au moins des aventures passagères. Beaucoup de femmes ignorent
ou feignent d'ignorer ces relations extra-maritales pour ne pas troubler
la paix du ménage. Plusieurs néanmoins font éclater leur jalousie dans
de violentes scènes de ménage, refusent de nourrir leur mari ou in-
sultent publiquement leur rivale et finalement ont recours à la sépara-
tion et au divorce. Le plus souvent toutefois les choses ne vont pas
aussi loin et la femme ne prend pas au sérieux les aventures de son
époux tant qu'il lui donne suffisamment d'argent pour sa famille. Là
encore, il serait dangereux de généraliser, car il n'y a pas de règle fixe
en la matière. Mais en général, il est admis qu'une femme ne peut
compter sur la fidélité absolue de son mari.
À la campagne, une grande jalousie existe souvent entre les
femmes du même mari. Chacune habite avec ses enfants, dans une
chaumière séparée, ces maisons sont ordinairement situées dans des
cours différentes pour éviter les querelles continuelles. Toutefois, les
épouses ont plusieurs occasions de se rencontrer : au marché, dans les
danses, dans les veillées, ou chez des amis. Certaines ont recours à la
magie et aux maléfices pour se débarrasser de leurs rivales. Dans
d'autres cas, elles vivent en bonne harmonie avec les autres femmes et
acceptent que leur mari ait une ou plusieurs concubines.
À Port-au-Prince, il y a en général une vingtaine de divorces par
trimestre 288. Il est à remarquer que le divorce [131] est beaucoup plus
répandu à la capitale qu'en province, nous avons vu qu'il n'y avait que
vingt divorcés dans tout le département du Nord-Ouest par contre trois
cent soixante et une personnes étaient réparées de leur conjoint 289.
288 En 1952 on a enregistré vingt-six divorces durant le premier trimestre et
vingt-trois durant le deuxième. Bulletin Trimestriel de statistiques, No. 6.
Op. cit., p. 117.
289 Ibid. p. 179.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 134

Seuls les membres de la bourgeoisie des villes ont recours au divorce,


qui coûte au moins mille gourdes. Ces frais étant trop élevés pour la
majorité de la population et nécessitent trop de complications légales,
quand la vie commune est impossible, on se sépare sans aucune procé-
dure légale. L'homme abandonne le toit conjugal ou la femme va vivre
avec sa famille. Si elle ne se remarie pas, le mari retourne générale-
ment la trouver après quelque temps même s'il a une autre concubine.
Le plus souvent la femme ne quitte son mari que si elle a trouvé un
autre époux.
Les unions conjugales sont instables, en particulier le placage que
la diffusion du mariage tend à affaiblir. Il n'est pas rare qu'une femme
contracte deux ou trois unions. Dans mon enquête il y avait seulement
118 femmes sur 230 qui prétendaient n'avoir eu qu'une seule union.
Pourtant, la fidélité de la femme est sanctionnée par les mœurs pen-
dant le placage aussi bien qu'au cours du mariage. Pour les hommes
« la polygamie et la capacité économique des femmes facilitent la mo-
bilité de leur établissement. 290 »
Parmi les parents de 1510 élèves de fermes écoles étudiés, 739 vi-
vaient ensemble et 714 vivaient séparément et dans les bourgs sur 353
parents 140 vivaient ensemble et 133 vivaient séparément… Il semble
que le mariage n'empêche pas la séparation, mais la rende moins fré-
quente. Ainsi dans les centres ruraux, 29% des parents mariés et 4%
des parents non mariés et dans les bourgs trente-sept pour cent des pa-
rents vivaient séparément et soixante-six pour cent des parents non
mariés. La famille est souvent divisée. Il y a parfois dans une même
maison des enfants du père et de la mère avec des conjoints différents
et bien qu'en général tout le monde vive en bonne harmonie, il peut ar-
river, que le concubin ou la concubine qui accueille les enfants de
l'autre ne leur prodigue [132] par la même affection qu'à ses enfants
véritables. La même enquête révèle que quarante pour cent des petits
paysans vivaient avec leur père et mère, vingt-trois pour cent avec leur
mère, dix-huit pour cent avec leur père et quinze pour cent avec
d'autres parents. Dans les bourgs trente-six pour cent pétaient avec
leur père et mère, vingt-deux ; pour cent avec leur mère, douze pour
cent avec leur père et vingt-neuf pour cent avec d'autres parents.

290 Sylvain, Jeanne, « L'Enfance... » op. cit. p. 104.


Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 135

Il en est de même dans les classes pauvres des villes. D'après l'en-
quête de Mme Comhaire sur mille deux cent six enfants interrogés
dans mille trente-huit cas, la charge morale de l'enfant revenait à une
personne de la famille spirituelle ou naturelle, sur ce nombre il y avait
deux cent quarante-sept cas ou vingt-quatre pour cent où il ne s'agis-
sait ni du père ni de la mère, les enfants étant adoptés par des per-
sonnes de la famille ayant plus d'argent ou plus de loisirs, quatre-
vingt-huit enfants vivaient avec des étrangers, parfois il s'agissait d'en-
fants habitant d'autres régions du pays, venant pour leur éducation à la
capitale. Dans sept cent quatre-vingt-trois cas ou soixante-quatre pour
cent, c'étaient des femmes qui étaient responsables des filles, dans
cent cinquante-trois cas des hommes et dans cent cas des parents des
deux sexes 291.

b) relations familiales.

Quel que soit le mode d'union, la famille est l'unité sociale par ex-
cellence de la nation haïtienne. Dans les villes comme dans les com-
munautés rurales, la vie de famille est universellement répandue. On
ne rencontre point ou presque point d'individus vivant seuls, même les
célibataires vivent avec leurs parents.
Autrefois à la campagne, comme en Afrique, le groupement type
était la famille étendue, comprenant tous les individus vivants, issus
d'un ancêtre commun et placés sous l'autorité matérielle et morale du
chef de famille ; il s'est désagrégé en raison du morcellement des
terres et de la fragilité des [133] liens du mariage, pourtant il subsiste
en partie dans beaucoup d'endroits.
Les parents habitent ordinairement à proximité l'un – de l'autre leur
maison étant construite sur des terrains provenant d'un héritage com-
mun.
Certaines femmes interrogées au cours de notre enquête évaluent à
plus de cent le nombre des membres de leur famille, d'autres pré-
tendent qu'elles ne peuvent pas le calculer. Le plus âgé du groupe,
homme ou femme, a hérité des pouvoirs du chef de clan et exerce
avec les autres vieillards une autorité prépondérante sur la vie sociale
291 Comhaire Sylvain, Suzanne. « Ce que…», op. cit., pp. 6-9.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 136

et économique de la famille. On les respecte beaucoup et on les


consulte pour toutes les affaires, par exemple en cas de mariage, de
vente de terre, pour l'observance des rites ancestraux. Une femme peut
être chef de famille, mais cela n'arrive pas souvent, toutefois nous
avons personnellement rencontré le cas à la Nouvelle Tourraine ; une
vieille femme était le chef incontesté de tout un village qui comprenait
plusieurs centaines de personnes, presque toutes ses descendants. Elle
était âgée de plus de 80 ans, mais elle dirigeait le groupe et cultivait
elle-même son jardin. En ce moment, les liens familiaux tendent à se
relâcher, particulièrement dans les villes où la famille n'exerce pres-
qu'aucune influence sur ses membres.
Dans les communautés rurales jusqu'à présent, la famille façonne
l'individu, lui impose une grande partie de ses idées, de ses habitudes
et son idéal. Elle exerce aussi sur lui une contrainte sociale très forte ;
il est très difficile de désobéir aux traditions et aux coutumes du
groupe, sous ce rapport la famille étendue est parfois plus importante
que la famille biologique, Quand un groupe consanguin nombreux est
étroitement uni sous l'autorité d'un chef, l'observance des traditions est
plus stricte.
La famille restreinte comprenant les individus réunis ; dans la
même habitation se compose ordinairement de huit personnes, le père,
la mère, les enfants, d'autres parents (aïeuls, oncle, tante, etc.) et des
serviteurs.
Dans mon enquête, parmi 230 femmes des bourgs et districts ru-
raux, j'ai trouvé une moyenne de 4.75 enfants par [134] famille 292.
Près de la moitié des familles étudiées par Dartigue avaient de trois à
six enfants, il n'y avait que onze familles sans enfant et trente avaient
plus de dix enfants 293. Dans les villes, les familles sont aussi nom-
breuses, d'après une enquête de Madame Comhaire-Sylvain, parmi
1.206 élèves des écoles nationales de Port-au-Prince, la maisonnée
moyenne était de 8,8 membres, soit environ 5 enfants, 3 adultes et un
serviteur. Les enfants, d'après elle, ne sont pas tous forcément frères et
sœurs et de plus, les serviteurs sont souvent des enfants.
En général, les enfants sont accueillis avec plaisir par les parents et
bien traités. Même si l'homme a plusieurs concubines, il est légale-
292 Appendice I. Tableau 13.
293 Dartigue, op. cit., p. 2 et 3.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 137

ment considéré comme célibataire et a le droit de reconnaître tous ses


enfants. Dans le peuple, dit Mlle Sylvain, la venue d'un enfant est ac-
cueillie avec joie et une nombreuse progéniture est un sujet d'orgueil
qui augmente le prestige de la famille. Un père est fier d'avoir beau-
coup d'enfants, quelque soit le nombre de femmes qui leur ont donné
naissance. Une femme stérile est souvent abandonnée par son mari.
Avoir des enfants, c'est se procurer des bras pour le travail des
champs, et dans une économie où règne l'insécurité, c'est assurer le
calme de ses vieux jours et un enterrement convenable. Pour la
femme, c'est en plus, trouver de l'aide dans la maison, acquérir des
droits à un soutien permanent et parfois à un héritage ou à un mariage.
Aussi n'y a-t-il guère d'enfants sans père dans la région. L'homme que
la future mère désigne, reçoit la paternité sans protestation. Quand il
le peut, il paie les frais de l'accouchement, même s'il n'est ni marié, ni
placé. Il est rare que les patents d'une fille qui se trouve enceinte en
dehors d'une union régulière, fassent un esclandre. On essaie parfois
d'arranger les choses, mais si l'homme déplait, la venue de l'enfant
n'est pas considérée comme une raison suffisante en elle-même pour
aboutir à un mariage.
La fille ne sera pas chassée non plus, bien qu'on puisse lui faire
grise mine pendant quelque temps, et elle accouchera [135] chez ses
parents 294. Les enfants reconnus ont un droit égal à l'héritage de leurs
parents et même dans les unions polygamiques, il y a un partage plus
ou moins équitable entre les enfants des différentes femmes.
La chose se complique si le père est marié et que la mère soie l'une
de ses concubines, l'enfant est considéré comme adultérin et ne peut
être reconnu. Son sort est précaire. Mais les mœurs sanctionnant la
polygamie, poussent un père à prendre soin de ses enfants adultérins,
alors même que la loi ne l'y contraint pas. Il a le choix entre diffé-
rentes manières de pourvoir à son existence. Il peut donner une terre à
leur mère, dont ils hériteront tôt ou tard. Il a aussi la possibilité de leur
céder un bien par le moyen d'une vente fictive faite en leur nom. En-
fin, il peut demander à sa femme légitime de reconnaitre comme sien
l'enfant de sa concubine. Les officiers de l'État civil, habitués aux irré-
gularités et aux négligences des paysans, ne se montrent pas surpris

294 Sylvain, Jeanne G., « L'Enfance paysanne en Haïti » Haïti, Poètes Noires,
Présence Africaine, Ed. du Seuil 12, Paris 1951 p. 93.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 138

qu'un couple vienne déclarer un enfant plusieurs années après sa nais-


sance. Quant aux témoins bénévoles, ils ne manquent pas 295.
Jusqu'à ces dernières années, les membres de la bourgeoisie dési-
raient aussi avoir une nombreuse progéniture et les familles de sept à
dix enfants étaient fréquentes dans cette classe, car de meilleures
conditions hygiéniques permettaient de diminuer la mortalité infantile.
Toutefois, depuis l'occupation américaine, un changement com-
mença à se produire et plusieurs jeunes ménages souhaitent mainte-
nant limiter le nombre de leurs enfants, d'après leur situation écono-
mique. Néanmoins, les mesures de contrôle de naissance sont encore à
peu près inconnues et constituent l'exception, les traditions religieuses
et sociales étant fortement contre de tels procédés.
Ordinairement, la mère citadine comme la paysanne exerce la puis-
sance paternelle conjointement avec son époux ; c'est elle qui est en-
tièrement chargée de l'éducation de ses filles, qu'elle initie au fur et à
mesure aux coutumes du groupe. [136] Les parents ont une autorité
absolue toutes les fois qu'il y a à trancher une question d'importance
capitale, qui engagera l'avenir de l'enfant. Il faut noter pourtant que
cette tradition autoritaire tend à s'affaiblir et ne subsiste dans son inté-
grité que dans quelques familles. On cède aux influences modernes
qui laissent plus d'indépendance aux jeunes gens.
Toutefois, l'homme reste incontestablement le chef de la famille et
son autorité est très grande dans le ménage, surtout quand il est seul à
subvenir aux dépenses.
Dans le peuple des villes et des campagnes, le prestige masculin se
manifeste de différentes façons. A l'heure des repas, alors que la mère
s'affaire à la cuisine et que la tribu des enfants se disperse dans les
coins, le père, confortablement assis à la table, reste seul à manger
lentement les bons morceaux qui lui reviennent de droit 296.
Il est considéré tout naturel que l'homme batte sa femme ou sa
concubine, toutefois, la chose n'est pas toujours acceptée passivement
et cela donne parfois lieu à de violentes disputes de ménage.
J'ai eu l'occasion de défendre une jeune paysanne qui, voulant se
défendre contre la brutalité de son conjoint, lui avait lancé un tison à
295 Métraux, Alfred, « L'Homme », op. cit. p. 17.
296 Métraux, Alfred « L'Homme », op. cit., p. 103.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 139

la tête, qui le tua par accident. Elle fut acquittée par le tribunal, mais
n'osa retourner au village affronter la réprobation de la famille du dé-
funt. En général toutefois, la jurisprudence ne considère pas comme
un délit le fait par un mari de battre sa femme. Celle-ci, soumise en
apparence, désire pourtant un meilleur sort.
Au cours de la campagne féministe, l'argument décisif qui gagna
l'adhésion des femmes du peuple à la cause fût « que le règne du bâton
était terminé », que si la femme obtenait les droits qu'elle réclamait,
elle serait légalement protégée contre les violences de l'homme et
qu'elle pourrait l'obliger à reconnaître et à entretenir ses enfants. Ce
dernier argument a plus d'importance en ville qu'à la campagne, car
les paysans reconnaissent ordinairement leurs enfants naturels et c'est
seulement par négligence que certains tardent à le faire.
[137]
En ce qui concerne la question des biens, habituellement durant le
mariage, le mari n'exerce pas les pouvoirs que lui confère le législa-
teur. La femme de la bourgeoisie ou de la classe moyenne dirige le
foyer sans contrôle excessif du mari, elle fait tes dépenses du ménage
et à part quelques exceptions son conjoint la consulte avant de faire
des transactions importantes. A la dissolution du mariage, l'application
du régime de communauté n'est pas tellement désavantageuse pour
elle, car dans les classes aisées, les seules d'ailleurs dans lesquelles il y
ait une fortune à partager, le mari, par son travail, est souvent le seul
ou le principal artisan de la fortune commune, qui doit être partagée
également entre les deux époux.
Nous reviendrons ultérieurement sur cette question avec plus de détail
en étudiant le cycle de vie de la femme de la bourgeoisie.
La femme, quand elle travaille, contribue ordinairement aux dé-
penses de la famille et se charge souvent des frais du ménage si c'est
nécessaire. La loi l'oblige à participer aux dépenses pour le tiers, de
ses revenus, mais le mari ne consent à jouir des rentes de son épouse
que, forcé par la nécessité, car il considère qu'il doit seul subvenir aux
frais du ménage. Cette coutume toutefois se transforme rapidement
avec l'augmentation du nombre des femmes de la bourgeoisie qui
exercent un métier ou une profession.
La citadine du peuple ou de la classe moyenne travaille ordinaire-
ment autant que l'homme. Dans les familles régulières, le père et la
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 140

mère contribuent chacun aux besoins du ménage selon leurs revenus,


qui suffisent à peine à couvrir les besoins de chaque jour. En cas de
placage, les deux conjoints gardent leur indépendance économique,
mais bien souvent, une fois le caprice de l'homme passé, la femme » a
seule la charge une nombreuse famille, car le père ne se soucie pas de
l'entretien de ses enfants. D'autre fois, il, appartient à la bourgeoisie et
n'habite pas avec sa concubine ; il donne de temps en temps quelque
chose pour l'enfant, mais la plus lourde charge revient à la mère et aux
parents de la famille maternelle. Celle-ci, qui ne touche le plus sou-
vent qu'un infime salaire, comme domestique, couturière ouvrière
[138] ou marchande, ne peut subvenir seule aux frais d'une famille,
elle est donc obligée en quelque sorte de chercher un nouveau compa-
gnon qui l’aidera à payer un modique loyer. Cette femme, mère avant
tout, malgré sa vie de labeur, de privations, n'abandonne jamais ses
enfants ; au contraire, elle se sacrifie pour eux et fait tout son possible
pour leur procurer les bienfaits de l'instruction.
Après une rude journée de travail, c'est elle qui s'occupe encore de
préparer la nourriture de sa famille et de veiller au bien-être de tous.
Dans une enquête, parmi les élèves des écoles nationales de Port-
au-Prince, Mme Comhaire-Sylvain, en recherchant le sexe des sou-
tiens de famille, a constaté que dans 33.33% des 900 cas, c'étaient des
hommes, dans 33% des femmes et dans 33.75% des personnes des
deux sexes qui entretenaient la famille. D'après elle, « les premiers
chiffres correspondent souvent à deux, trois ou même quelquefois
quatre femmes par famille, peut-être à cause de l'infériorité des sa-
laires féminins. 297 »
Dans l'enquête du quartier de la Saline, Trou Cochon, dans 796
ménages, plus du quart des chefs étaient des femmes 298.
À la campagne, la famille est la cellule économique de la commu-
nauté rurale. Tous les membres sont partenaires dans une entreprise
commune, chacun a sa tâche à remplir. La femme a l'entière responsa-
bilité des besognes ménagères et elle participe aussi aux activités agri-
coles, entretien du jardin, élevage. Le mari fait le gros travail du jar-
din. Les enfants font l'apprentissage social et professionnel, ils aident
297 Comhaire-Sylvain, Suzanne, « Ce que font…» Voix des Femmes, Vol. 5,
No. 51, p. 6.
298 Bulletin Trimestriel, No. 6 p. 28.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 141

très tôt leurs parents et s'initient à leurs travaux. La femme travaille


autant que l'homme et durant l'union elle a la libre disposition du pro-
duit de son labeur.
Après la récolte des produits du jardin, elle met de côté ce qui est
nécessaire pour la famille et va vendre le surplus au marché. Plus éco-
nome que le mari, c'est elle qui décide ordinairement de l'emploi fait
de l'argent ainsi gagné. Dans [139] notre enquête, parmi les femmes se
livrant au commerce, une seule a répondu explicitement qu'elle ne dis-
posait pas du produit des ventes et neuf autres n'ont pas répondu à la
question ; à part cela, toutes prétendaient disposer du bénéfice 299. Le
mari s'occupe de la vente du bétail et des produits d'exportation, mais
il n'effectuera aucune transaction importante sans consulter sa femme.
Celle-ci règle les dépenses journalières, quand elle fait le commerce
ou si elle possède quelques sources de revenus, elle utilise une partie
de son argent pour acheter la nourriture de la famille, l'homme contri-
bue aussi aux dépenses du ménage.
Le surplus est mis de côté pour l'achat d'animaux et de terrain. La
paysanne occupe ainsi une place importante dans le foyer rural. Toute-
fois quand la vie conjugale est interrompue par la mort ou la sépara-
tion, la loi ne donne à la concubine aucun droit sur les biens acquis
pendant l’union ou la terre qu'elle a fécondée de son labeur. Plusieurs
paysans aisés, sentant l'injustice d'une telle situation, achètent une
terre au nom de leur maitresse ou lui font une donation sous forme de
vente fictive et la femme hérite du lopin de terre sur lequel sa maison
est bâtie et qu'elle et ses enfants ont aidé à cultiver. Souvent l'homme,
pour montrer son autorité et garder sa concubine sous sa dépendance,
ne fait connaitre sa volonté que dans un testament.
L'autorité du chef de famille est telle qu'à sa mort, les parents res-
pectent sa volonté et n'osent pas dépouiller la femme ou les enfants du
legs qui leur a été fait.
La concubine qui n'a pas reçu de terre, si elle a des enfants, jouit de
leur part d'héritage, si elle n'en a pas, elle ne possède rien et est à la
merci des héritiers. La coutume lui accorde la jouissance de la maison
construite pour elle et du jardin y attenant, mais à cause de la misère
générale, ce privilège lui est de plus en plus contesté 300.
299 Appendice I, Tableau 21.
300 Métraux, A., op. cit.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 142

Le père et la mère assurent les funérailles de leurs enfants et les en-


fants adultes celles de leurs parents. La responsabilité des funérailles
incombe au conjoint survivant si le défunt est [140] marié ou placé.
Quand les parents ne sont plus et en l'absence de conjoint survivant
cette responsabilité retombe sur les enfants adultes et les frères et
sœurs.
À la mort de l'un des conjoints, le survivant entre en possession de
droit de la moitié qui lui revient dans la communauté, l'autre moitié
devient la propriété des enfants et s'ils sont mineurs, le conjoint survi-
vant gère l'héritage. Le partage effectif de tous les biens ne se fait ha-
bituellement qu'à la mort des deux parents.

4. — Modifications du Code Civil proposées


par la Ligue Féminine d'Action Sociale.

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Nous avons constaté que la coutume particulièrement pour la bour-


geoisie ne correspond pas à la situation inférieure faite à la femme par
le code civil dans la famille.
Dans toutes les classes, même quand l'autorité du chef de famille
est absolue, l'exercice de la puissance paternelle appartient de fait aux
deux conjoints, il est donc étonnant que jusqu'à présent aucun change-
ment n'ait été apporté aux lois régissant le statut civil de la femme ma-
riée qui entravant la liberté de celles qui travaillent au dehors et ne
correspondent pas au principe d'égalité des sexes, reconnu dans la
Constitution. Celle-ci d'ailleurs ouvre la voie à une réforme du statut
civil de la femme, car le dernier alinéa de l'article 4 stipule que « la loi
règle les conditions auxquelles la femme sera transitoirement soumise
sous le rapport familial et matrimonial ; l'accès restant ouvert à toute
réforme jugée utile pour réaliser un régime d'égalité absolue entre les
sexes 301.
Une commission composée uniquement d'hommes avait été char-
gée de la préparation d'un projet de révision du Code Civil en vue de
le rendre conforme aux exigences du monde moderne. Se basant sur
301 Constitution d'Haïti, op. cit. art. 4.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 143

l'article 4 de la Constitution, la Ligue féminine d'action sociale a pré-


senté à cette commission le projet de révision qu'elle a déjà soumis
plusieurs fois aux différents gouvernements qui se sont succédés de-
puis 1939.
Jusqu'à présent, le gouvernement n’a pas encore présenté [141] de
projet de révision des codes, bien que le travail de la commission soit
terminé depuis longtemps.
Le projet essaie d'organiser le droit féminin dans le milieu familial,
c'est pourquoi il ne s'est pas contenté de penser aux biens et aux ré-
gimes matrimoniaux, mais avant tout aux rapports des époux entre
eux et à leurs rapports avec leurs enfants. Il a concentré son attention
sur la situation de la femme mariée qui a été envisagée sous trois as-
pects : 1) dans ses rapports avec son mari, 2) dans ses rapports avec
ses enfants, 3) et en ce qui concerne son patrimoine ou son régime
matrimonial.
Voici les grandes lignes de la réforme proposée :
Rapports des époux entre eux :

a) Le devoir d'obéissance pour la femme a été supprimé, toutefois


le mari a été conservé comme « chef de famille » tant qu'il rem-
plit ses obligations envers les siens. Il conserve le droit de fixer
la résidence de la famille, mais la femme a un droit de recours
au tribunal contre la fixation abusive de ce domicile.
b) L'égalité de traitement entre les deux époux au point de vue de
la fidélité conjugale a été établie dans le domaine pénal comme
en droit civil.
c) L'incapacité civile de la femme mariée a été supprimée, elle
conserve sa pleine et entière liberté d'agir sans l'autorisation de
son mari.
d) Les époux doivent participer tous deux aux dépenses du mé-
nage et une sanction légale a été attachée à l'accomplissement
de ce devoir.
e) Le conjoint, survivant hérite de la totalité de la succession, s'il
n'y a pas de descendants ou d'ascendants directs. S'il y en a, il a
un droit d'usufruit variant suivant la qualité des héritiers,
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 144

[142]

Rapport des parents avec leurs enfants.

La solidarité nécessaire du père et de la mère dans la famille a été


reconnue en mettant l'enfant sous l'autorité conjointe de ses parents
durant le mariage et en substituant la correction familiale à la correc-
tion paternelle.
La déchéance de la puissance paternelle peut être déclarée contre
les parents indignes.
À la mort du père, la mère devient tutrice de plein droit de ses en-
fants mineurs et elle conserve cette tutelle en cas de remariage.
Les femmes en général, mariées ou non, peuvent être nommées tu-
trices.
La recherche de la paternité est permise dans des conditions très
précises ne pouvant autoriser aucune action préalable en dehors d'une
grande probabilité, d'abord établie sur des faits vérifiables et la déci-
sion finale devant être due à une certitude aussi complète que pos-
sible. Le texte laisse au mariage sa supériorité morale et sociale mais
protège la femme contre la séduction et l'abandon notoire.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 145

Patrimoine de la femme et régimes matrimoniaux

a) Adoption de la communauté réduite aux acquêts, comme ré-


gime légal et de droit commun, ce régime représentant le prin-
cipe d'association qui doit exister entre époux durant le ma-
riage 302.
Les époux conservent la propriété des biens, meubles et im-
meubles leur appartenant avant le mariage, la communauté se
composant des acquêts, meubles et immeubles et des revenus
des biens propres ou acquis. Le principe de la liberté des
conventions matrimoniales est maintenu, les époux [143]
conservent le droit de fixer par contrat leurs conventions matri-
moniales.
b) Le mari administre la communauté, mais la participation de la
femme devient nécessaire pour tous les actes importants. La
femme administre seule ses biens propres.
c) Dans tous les cas et quel que soit son régime matrimonial la
femme a la libre disposition de son salaire, de ses autres gains
et des économies qu'elle a réalisées durant le mariage, toutefois
elle doit contribuer aux charges du ménage.

302 Personnellement je suis pour l'adoption du régime de la séparation de


biens avec participation aux acquêts qui répond mieux au principe d'égalité
des sexes.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 146

[144]

Haïti et ses femmes.


Une étude d’évolution culturelle.
Deuxième partie : La femme dans la famille,
la société et l’économie haïtienne

Chapitre II
RÔLE DE LA FEMME
DANS LES DIFFÉRENTES CLASSES
DE LA SOCIÉTÉ

1) RÔLE CIVIQUE ET SOCIAL

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Comme nous l'avons vu, la Constitution de 1950 confère la femme


les droits politiques qu'elle a exercé pour la première fois pour les
élections municipales en Janvier 1955. Elle lui donne aussi le droit
d'être nommée à toutes les fonctions publiques, mais jusqu'à présent,
il n'y a qu'un petit nombre de femmes qui occupent des postes de res-
ponsabilité dans l'administration publique.
Deux femmes ont été élues Magistrat Communal des villages de
Cabaret et Mont-Organisé ; six autres ont été élues assesseurs des
Communes de Pétion-Ville, Jérémie, Gonaïves, St. Marc, Grand-Go-
sier et Anse-à-Foleur.
Au Département des Relations Extérieures, le Chef de la Division
Administrative est une femme Melle Louise Villard qui dirige ce ser-
vice avec compétence. Depuis un an, le gouvernement a aussi nommé
plusieurs femmes à des postes diplomatiques comme attaché ou secré-
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 147

taire d'ambassade. Mme Fortunat Guéry, ancienne inspectrice des


écoles, a représenté Haïti durant plusieurs années comme Déléguées à
la Commission du Statut de la Femme des Nations-Unies et à la Com-
mission Interaméricaine de Femmes de l'Union Panaméricaine.
Au Département du Travail, deux femmes sont Chefs de Section et
le Service de la Femme et de l’Enfant est entièrement administré par
des femmes. Ce service contrôle les conditions de travail de la femme
et de l'enfant d'une manière [145] générale. Il veille à ce que les en-
fants en service fréquentant l'école, ne soient pas astreints à des tra-
vaux qui excèdent leur capacité physique et reçoivent un traitement
juste et humain. Il protège les gens en service contre les injustices
dont ils pourraient être victimes et assure l'exécution de toutes les dis-
positions de lois protectrices de la femme qui travaille, les inspectrices
attachées à ce service visitent régulièrement les ateliers et entreprises
employant la main-d’œuvre féminine » Elles collaborent avec les syn-
dicats féminins mixtes.
Les lois suivantes ont été préparées par ce service en collaboration
avec le Service Juridique : loi du 1er Septembre 1947 sur l'apprentis-
sage, loi du 5 Septembre 1947 sur le permis d'emploi aux mineurs et
loi du 12 Septembre 1947 sur les enfants en service.
Une femme dirige aussi le Service Social attaché à l'Office de l'ad-
ministration des Cités Ouvrières, créé en Septembre 1951.
Ce service a pour but d'éduquer les ouvriers qui bénéficient de lo-
gements sains et confortables, construits par le Gouvernement, afin de
leur permettre de les entretenir convenablement. Les employés du Ser-
vice Social visitent les familles, leur donnent des conseils sur la tenue
des maisons, les aident à résoudre les petits problèmes de ménage, les
détournent de la superstition et des plaisirs malsains et les orientent
vers l'école, les centres hospitaliers et les loisirs organisés. Ils essaient
en un mot, d'améliorer par tous les moyens possibles les conditions de
vie des habitants des Cités Ouvrières 303.
L'Ouvroir National dépend du Département de l'Économie Natio-
nale, créé en 1948, il a toujours été dirigé par des femmes. Il a une
grande salle de vente, où sont exposée pour être vendus les articles
confectionnés par les femmes dans les ateliers de l'Etat ou à domicile,
303 Voici le Département du Travail, (Bulletin de propagande, Port-au-Prince, Imp.
H. Deschamps, 1953).
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 148

Au Département de l'Education Nationale, il y a plusieurs Inspec-


trices, mais bien que la carrière de l'enseignement soit [146] exercée
en majorité par les femmes, dont plusieurs sont très compétentes, elles
n'y occupent aucun poste de commande.
Une femme est sous-directrice de la Banque Nationale d'Haïti, au
Cap-Haitien.
Quatre femmes viennent d'être promues adjudantes dans l'Armée
d'Haïti, elles travaillent depuis dix ans comme infirmières à l'Hôpital
Militaire, au titre de sergents. Elles portent l'uniforme bleu ainsi que
les insignes correspondant à leur .grade, elles ont droit au salut mili-
taire. Trois femmes ont occupé des postes techniques importants à
l'ONU et une quinzaine sont employées dans les Services administra-
tifs, la plupart comme secrétaire bilingues.
Seule, une petite minorité de femmes s'intéresse de façon constante
aux problèmes de politique nationale et internationale. Celles-là même
avant de pouvoir exercer le droit de vote, ont souvent participé effecti-
vement aux événements politiques. La .tradition qui portait les diri-
geants du passé à avoir des concubines dans les principales villes, afin
d'avoir des renseignements sur la vie politique, n'est pas tout-à-fait
morte et en ce moment, il y a un certain nombre d'espionnes attachées
au Département de l'Intérieur.
Les paysannes des deux sexes ne s'intéressent à la politique qu'aux
périodes d'élection, qui ne sont trop souvent synonymes que de bam-
boche et de ripaille pour l'homme. Quelques femmes du peuple et de
la classe moyenne jouent un rôle très actif en période électorale. Les
grosses marchandes et les revendeuses qui ont de marché en marché
sont utilisées par les candidats comme « chef de bouquement » agent
de propagande. Les sociétés de travail, étant des groupements orga-
nisés, sont aussi utilisés et naturellement leurs dignitaires féminins
jouent un rôle de premier plan.
Alfred Metraux décrit le rôle des dignitaires, féminins des sociétés,
tel qu'il l'a observé à Marbial.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 149

« Quelques grades de société sont attribués à des femmes qui toutes


sont affublées du titre de « reine » suivi d'une épithète : « bayonnette »,
« drapeaux », corbeille », dirigeuse », etc. Leurs fonctions échappent en-
core plus que celles des hommes à une définition précise, Les « reines, »
sont le plus [147] souvent en évidence à l'occasion des fêtes ou des danses,
mais elles sont aussi fort actives lors des grandes corvées organisées pour
la cueillette du café. La « reine principale » ou « reine bayonnette » est le
pendant féminin du président, Elle doit, comme lui, offrir une ou plusieurs
danses en échange desquelles la société lui accorde des journées de travail.
La « reine drapeau » porte une bannière chaque fois que la société défile
en formation militaire à la fin d'une journée de travail ou avant une dance.
On la voit encore flanquée du « guide drapeau » armé d'un bâton, escorter
cérémonieusement tout hôte de marque ou grand dignitaire de la société,
lorsqu'on le conduit saluer les tambours qui battent « aux champs. » Cette
reine, tout comme sa compagne, la « reine-dirigeuse » aide le gouverneur
et ses associés à partager la nourriture et à la distribuer à l'issue d'une
grande corvée ou pendant une fête. »
« La reine-drapeau » est moralement tenue de faire l e s frais d'une
danse ou si elle n’en a pas les moyens, de fournir à titre de contribution,
quelques litres de clairin ou des victuailles. La société la récompense de sa
générosité en lui accordant une journée de travail. »

La « reine-corbeille » est appelée ainsi, parce que c'est elle qui


passe le panier dans lequel les membres de la société déposent leurs
contributions pour organiser une danse ou pour acheter de nouvelles
membranes pour les tambours. Cette « reine » est en outre responsable
de la somme recueillie et partant, la trésorière de l'association. »
La société La Flè Komas a une « reine-consul qui tout comme son
collègue masculin, a le droit d'accorder asile à un membre coupable
d'une infraction à la discipline et aussi d'intercéder pour obtenir un
adoucissement de sa peine304.
En plus de son rôle économique, la société a un rôle social impor-
tant, non seulement dans les communautés rurales, mais aussi dans les
faubourgs des villes.

304 Métaux, Alfred, « L'Homme....... op. cit., pp. 55 et 56.


Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 150

Les sociétés ont toujours un orchestre et elles ont ordinairement un


lieu de réunion : local ou tonnelle avec piste de [148] danse, où l'on
organise régulièrement des bais ou autres réunions mondaines ou poli-
tiques. Aux périodes électorales, les candidats viennent y exposer leur
programme et parler au peuple. Ces réunions ont un cérémonial pom-
peux : les dignitaires sont escortés à leur entrée et à leur sortie et ils
sont salués par la musique. Après la réunion, l'hôte d'honneur ouvre le
bal avec la reine.
Au cours de la campagne féministe, ce sont les sociétés qui,
réunies par la Garde d'Haïti, ont permis à la Ligne Féminine d'Action
Sociale d’entrer en contact avec les femmes du peuple des villes de
Cap-Haitien, de Gonaïves et de St-Marc.
Les dirigeantes de la Ligue Féminine d'Action Sociale ont exposé
leur programme et leurs revendications devant les membres des deux
sexes des différentes sociétés, après des discussions parfois très vives,
l'adhésion des sociétés a été obtenue et les reines ont été les prési-
dentes choisies par leurs compagnes pour diriger les Comités de Quar-
tier pour les Droits des femmes. Elles ont une grande autorité et sont
traitées avec respect par les hommes comme par les femmes.
Elles ont assuré la participation des femmes du peuple de la ville
des Gonaïves en défilant avec leurs drapeaux lors de la manifestation
féministe du 4 Novembre 1950 pour réclamer l'égalité des droits pour
les deux sexes dans la nouvelle Constitution.
Traditionnellement la politique est l'apanage d'un petit groupe
d'hommes et en général, l'activité civique de la femme se limite à la
participation aux œuvres sociales.
Depuis la fermeture des partis politiques, qui avaient des sections
féminines, la Ligue Féminine d'Action Sociale est le seul groupement
féminin à s'intéresser à l'évolution générale du pays et à la participa-
tion des femmes à la politique.
Cette association, fondée en 1934, est dirigée par un comité com-
posé de treize membres élus pour deux ans, présidé depuis le mois de
Mars 1956 par Mlle Lydia Jeanty.
La Ligue travaille à l'amélioration de la condition de la femme en
Haïti sous tous ses différents aspects, [149] Son action s'étend à tout le
pays et à toutes les classes sociales, elle s'est affiliée en 1952 à l’al-
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 151

liance Internationale des Femmes pour unir ses efforts à ceux des
femmes du monde entier qui luttent pour la même cause. Elle a son
siège à Port-au-Prince où elle maintient à l'Avenue Marie-Jeanne une
permanence qui est ouverte tous les jours.
Nous avons déjà parlé de l'action de la Ligue en faveur de l'amélio-
ration des conditions de la femme et du suffrage. Pour le moment, elle
concentre ses efforts sur la préparation civique de la femme. À cette
fin, elle a recommencé à publier son organe « Voix des Femmes » et
organise chaque semaine des séances d'études et de discussions. Elle
vient aussi de fonder une caisse coopérative populaire.
Elle a sept filiales : à Port-de-Paix, à St. Marc, aux Cayes, à Pé-
tionville, à Léogâne, aux Gonaives et au Cap-Haitien, fonctionnant
avec les mêmes statuts que le Comité Central avec lequel elles colla-
borent étroitement. Ces filiales gardent néanmoins toute leur indépen-
dance en ce qui a trait à leur programme d'action immédiate, s'appli-
quant à satisfaire d'abord les besoins locaux. L'Association a de plus
des représentantes dans les autres villes importantes.
L'action éducative de la Ligue s'exerce par les cours du soir pour
les ouvrières dans quelques centres populeux. Tout en combattant
l'analphabétisme, on y inculque les premières notions d'hygiène, de
puériculture, de civisme et de morale ; des cours pratiques ménagers
sont ajoutés aux programmes des écoles dès que les disponibilités
budgétaires le permettent ; des séances de cinéma éducatif y sont
faites de temps en temps. L'action de ces cours est élargie par des as-
sociations d'ouvrières ayant un but récréatif et social et la création de
coopératives. Tous les deux ans, un Congrès réunit les membres de
l'Association ainsi que les représentantes des filiales, on y fait le bilan
de l'œuvre accomplie, on y discute le programme futur et les questions
sociales importantes pour le progrès du pays.
Comme on a pu le constater dans la première partie de notre ou-
vrage, la Ligue a joué un rôle important pour l’évolution de la femme
haïtienne. Si elle ne peut pas se vanter [150] de conquêtes éclatantes,
elle creuse son sillon petit à petit, son influence se fait sentir dans bien
des domaines, et bien qu'elle ne soit pas l’unique cause de certaines
améliorations sociales, elle en est certainement l'un des facteurs.
Depuis 1948, les organisations syndicales ont été créé en Haïti et la
femme participe à leurs activités. Certains syndicats, où la main-
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 152

d’œuvre féminine domine, sont exclusivement ou en majorité compo-


sés de femmes, tels que par exemple : le syndicat des ouvrières de ta-
bac, le syndicat des ouvrières des chaussures Bâta, le syndical des ou-
vrières de la petite industrie, le syndicat des blanchisseuses et le syn-
dicat des Ouvrières des Usines Brandt.
Ces organisations s'occupent surtout de défendre les intérêts écono-
miques de leurs membres, elles n'ont jusqu'à présent aucune influence
politique et leur action sociale est restreinte. Il en est de même de l'As-
sociation des Infirmières Haïtiennes et de l'Union des Instituteurs, qui
sont des groupements uniquement professionnels.
Il existe aussi quelques coopératives de production et de consom-
mation, dont les membres appartiennent le plus souvent aux deux
sexes.
La Ligue de Protection de l'Enfance, fondée en Août 1939 est diri-
gée par un comité mixte présidée par Mme Jacqueline Wiener.
L'Association s'occupe de la protection de l'enfance et particulière-
ment du dépistage des enfants maltraités et abandonnés. Elle lutte
pour la construction d'un Foyer pour les enfants sans abri. Elle a réussi
à faire adopter quelques lois pour la protection de l'enfance. Plusieurs
groupements s'occupent particulièrement de la formation de la jeu-
nesse. Parmi eux, il convient de citer :
L'Association Nationale des Guides d'Haïti, dirigée par Madame
René Durocher, chef-guide. Ce groupement poursuit les mêmes buts
qu'ailleurs, il a été introduit en Haïti en 1935 par Madame Madeleine
Sylvain Bouchereau, a été développé et organisé effectivement par
Mmes René Durocher et Paul Cassagonl, Melles Valentine Charlier et
Jeanne Durocher.
De nombreuses sections « ménies » ont été ouvertes dans [151] les
principales villes du pays. Des camps et congrès nationaux sont orga-
nisés chaque année. Les guides envoient aussi régulièrement des re-
présentantes aux Congrès internationaux. L'association est affiliée au
groupement international des Guides.
L'église catholique dirige d'importantes associations nationales de
jeunes : la Jeunesse étudiante Catholique (JIC) la Jeunesse Ouvrière
Catholique (JOC), qui ont des groupements féminins dans les princi-
pales villes du pays
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 153

L'Association des Noelistes et des Amies de la Maison (Noelistes


mariées) ont été fondées en 1926 et ont pour but la formation chré-
tienne de la jeunesse féminine. Elles s'occupent aussi d'œuvres d'assis-
tance et d'éducation du peu » pie dans leurs patronages et leurs écoles.
Melle Madeleine Gardiner est en ce moment présidente des Noelistes
et Mme Madeleine Paillère préside les Amies de la Maison.
Comme nous l’avons déjà mentionné, c'est surtout dans le domaine
de l'Assistance Sociale que la femme exerce une influence considé-
rable.
Il y a toute une floraison d'œuvres sociales dirigées par les
femmes.
La plus importante par ses activités multiples et son budget est la
FONDATION MADAME PAUL E. MAGLOIRE, fondée en Dé-
cembre 1950 par Madame Yolette Magloire, épouse du Président de la
République. De sa création à ce jour, la Fondation a ouvert les institu-
tions suivantes :

a) six cantines dans différentes villes du pays, qui distribuent


chaque jour 1.500 repas à des enfants et à des adultes indigènes;
b) une garderie enfantine à la Saline recevant chaque jour 75 en-
fants pauvres de 2 à 5 ans, dont les mères travaillent hors du
foyer;
c) un foyer école au Canapé Vert pour 275 élèves qui bénéficient
aussi d'une cantine et de cours professionnels;
[152]
d) un restaurant populaire donnant des repas aux ouvriers à très
bon marché.

De plus, avec le concours du Département de l'Économie Natio-


nale, des ouvroirs ont été installés dans les villes suivantes : Cap-Hai-
tien, Jacmel, Port-de-Paix et Môle St. Nicolas.
Ces ouvroirs procurent du travail aux jeunes chômeuses de ces lo-
calités. La Fondation a de plus fait des distributions de vêtements et
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 154

de jouets et des dons en argent à des œuvres d'assistance privée et à


des particuliers. 305
L'Association des Dames de St. François de Sales, fondée à Port-
au-Prince en 1869, est la plus ancienne des œuvres d'assistance fémi-
nine. En 1881, elle réussit, malgré de grandes difficultés, à doter le
pays d'un hospice qui, détruit par les révolutions, fût reconstruit grâce
au concours de généreux donateurs, c'est l'Hospice actuel où journel-
lement affluent des centaines de malades. En 1932, l'Association fon-
da un ouvroir et quatre cantines qui ont dû être fermés, faute de fonds.
Actuellement, elle continue à s'occuper de l'hospice et de ses nom-
breux protégés, ses distributions mensuelles de linge peuvent être éva-
luées à 600 gourdes. L'Association fonctionne sous le haut patronage
de l'Archevêque de Port-au-Prince et est dirigée par un Comité de
Dames, présidé par Mme Pierre Hudicourt.
L'Association mixte de l'Œuvre Chrétienne fondée en 1905 com-
prend une section féminine qui s'est toujours occupée d'action sociale,
elle a pour Présidente Mme Corine Audain Jardines. Son influence
s'exerce par des cours du soir et un groupement de guides.
Les Pupilles de Saint Antoine, œuvre de jeunes filles, fondée en
Juillet 1926, entretient une école pourvue d'une cantine, d'un atelier et
d’un dispensaire. Ce groupement s'occupe surtout de la protection de
l'enfance ; ses membres se recrutent parmi les jeunes filles de la bour-
geoisie, pour la plupart entre 18 et 25 ans, avec un certain nombre de
[153] membres plus âgées, servant de Conseillères. Elle est administré
par un Comité de 10 membres, présidé |par Mlle Jeanne Morel. Mme
Phocion Sanon dirige depuis la fondation l'école et le foyer.
Les membres réunissent les fonds en vue de l'entretien de leur
œuvre en donnant des bals, des conférences et des fêtes ; elles s'oc-
cupent aussi personnellement de surveiller le fonctionnement de
l'école et de la cantine et dirigent elles-mêmes un dispensaire et un pa-
tronage. Elles ont pu réunir les fonds leur permettant de construire un
foyer-école et un dispensaire pour leurs protégés. L'Œuvre a été re-
connue d'utilité publique et bénéficie d'une subvention du Gouverne-
ment.

305 Rapport des activités de la Fondation Mme. Paul E. Magloire, Janvier 1952
— Janvier 1953.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 155

Les Pupilles de Sainte Thérèse et les Abeilles sont des groupe-


ments aux buts analogues composés de jeunes filles de la classe
moyenne. Ces deux associations ont été fondées et sont dirigées par
des jeunes filles, mais sont placées sous le haut patronage du clergé
catholique. Elles diffèrent des œuvres paroissiales, parce que ce sont
les laïques qui ont toute l'initiative et la responsabilité, tandis que les
œuvres paroissiales sont dirigées par les prêtres. Ces dernières sont de
différentes sortes : les unes ont des buts nettement religieux, telles les
nombreuses Confréries d'Enfants de Marie et autres, attachées à
chaque paroisse et ayant une nombreuse clientèle, se recrutant dans
toutes les classes. D'autres ont des buts d'assistance et d'entraide so-
ciale. Parmi les plus importantes, il convient de citer : les Associations
des « Dames de Saint François de Sales » et des Noelistes, dont nous
avons déjà parlé et les groupements suivants :
L'œuvre du « Patronage de la Sainte Famille », fondée en 1930 par
un groupe de dames de la classe moyenne, dirigé un patronage et une
école pour laquelle elles ont construit un local dans un quartier
pauvre. Cette œuvre est présidée par Mme Phocion Sanon.
L'Association des « Thérésiennes » de Pétionville, fondée par
Sœur Etienne, religieuse paralysée des deux jambes, est dirigée par un
Comité de jeunes filles.
L'œuvre dont le but est avant tout le progrès spirituel de ses
membres, a ouvert deux écoles et un ouvroir et prête [154] aussi son
assistance à l’École Apostolique réunissant des fonds pour la forma-
tion de futurs prêtres.
Un certain nombre d'associations sont aussi dirigées par des Comi-
tés de Dames relevant des églises protestantes, telles que ; l'Action
Chrétienne Westléyenne, fondée par l'Eglise protestante du même nom
et la Société Dorcas, établie par l'Eglise Adventiste.
L'École St. Vincent, fondée en 1947 pour la rééducation des En-
fants handicapés (aveugles, sourds, muets) par Sœur Joan Margaret,
était à l'origine subventionnée uniquement par l'Eglise Épiscopale.
Les résultats obtenus par cette école, qui comblait une lacune, ont
été tellement satisfaisants qu'elle est en ce moment soutenue par une
Association Mixte, non confessionnelle pour la réhabilitation des in-
firmes.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 156

Plusieurs associations laïques s'occupent aussi d'assistance sociale.


Parmi elles, il convient de mentionner : l'œuvre des Enfants Assistés,
fondée par Melle Résia Vincent, sœur de l'ancien Président, en 1935.
Elle est gérée par un Conseil d'Administration et entretient un orpheli-
nat de deux cents petites filles, dirigé par des religieuses Salésiennes.
Cette œuvre de bienfaisance donne une formation professionnelle à
ses protégées, elle a de plus un patronage fréquenté par plusieurs cen-
taines de jeunes filles du quartier, une école du soir pour les femmes
du peuple et une autre pendant la journée pour les enfants pauvres du
quartier.
L'œuvre de la « Goutte de Lait » fondée en 1949, dans le but de
donner du lait aux enfants sous-alimentés de la région de la Saline est
dirigé par un Comité présidé par Madame Attié.
Le Comité de Bienfaisance de l'Hôpital, fondé en 1942 par un
groupe de dames haïtiennes et étrangères, s'occupe de venir en aide
aux malades des établissements hospitaliers.
L'Association des Roses, fondée en 1942 par Madame Fénelon
Boivert, dirige une école pour les adultes.
L'Association des Disciples de Claire Heureuse, fondée en Juin
1952, s'occupe principalement d'assistance sociale et de la protection
de l'enfance. Elle a un bureau de placement, une cantine, un dispen-
saire et des distributions de vêtements [155] et de lait. Elle est dirigée
par un Comité, présidé par Madame Célie Diaquoi-Deslandes.
L'Aide à l'Enfance Sous-Alimentée, fondée en Janvier 1953, a pour
but d'améliorer la diète des enfants pauvres en ouvrant des cantines
dans les quartiers ouvriers où des repas balancés sont distribués. Elle
est dirigée par un Comité, présidé par Madame Maria Franckel.
Quelques œuvres sont dues à l'initiative personnelle de femmes
d'élite, telles que par exemple : l'Orphelinat de l'Enfant-Jésus. En
1947, Mme Cyrille Walker, émue de la détresse d'une crèche fondée
par une mission étrangère, transporta l'œuvre dans sa maison privée.
Grâce à son dévouement, l'œuvre agrandie est en ce moment un foyer
où une cinquantaine de petits orphelins sont élevés jusqu'à ce qu'ils
puissent subvenir à leurs besoins. Mme Walker, qui consacre sa vie et
sa fortune à cette œuvre, s'occupe elle-même de réunir les fonds sup-
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 157

plémentaires par des fêtes et des souscriptions. L'Orphelinat reçoit


aussi une subvention du gouvernement.
Melle Solange Bordes, Mme Peralta et Melle Doris Burk dirigent
aussi plusieurs années des œuvres privées de secours à l'enfance, où
elles logent et entretiennent un nombre limité d'enfants abandonnés ou
sans ressource.
Il convient aussi de citer quelques associations mixtes. La Croix
Rouge, qui poursuit les mêmes buts qu'ailleurs, vient d'être réorgani-
sée en Juin 1953 et elle est actuellement dirigée par un Comité Central
de trente membres, dont neuf femmes. Madame Cyrille Walker est
Vice-Présidente.
L'œuvre des Colonies de Vacances, fondée en 1930 par le Dr. Ro-
dolphe Charmant avec le concours d'un groupe de dames, envoie
chaque année les enfants débiles des villes respirer l'air pur des mon-
tagnes. Depuis 1930, l'œuvre a sa « Maison Claire » dans les hauteurs
de Pétionville.
Il existe de plus de nombreux groupements littéraires ou confes-
sionnels, des « amicales de collège », s'occupant aussi d'entraide so-
ciale. En général, ces associations recrutent aussi membres parmi la
classe bourgeoise. Les plus importantes sont : L'Association des An-
ciennes Élèves de Sainte Rose de Lima, qui subventionne l'Orphelinat
de la Madeleine, fondé [156] en 1893, dirigé par des religieuses et
l'Association des Anciennes Élèves d'Elie Dubois, qui subventionne
un ouvroir.
Nous n'avons mentionné que les associations féminines ou mixtes
les plus importantes et les plus connues, existant à Port-au-Prince.
Pourtant l'action sociale des femmes habitant les villes de province a
obtenu parfois des résultats plus notoires qu'à la capitale. En ce mo-
ment, il existe de nombreuses associations, dont nous ne pouvons pas
parler, faute de renseignements précis. Il convient de signaler toutefois
que le Cercle Printania du Cap. fondé en Ï926, est une des associations
féminines les plus importantes du pays qui, en plus de ses autres acti-
vités, exerce une action sociale importante. Aux Cayes, l'œuvre de
« La charité s'il vous plait » fondée en 1935 par Mme Lionel Birmin-
gham, entretient un Asile pour les indigents. La Ligue Féminine d'Ac-
tion Sociale, l'Association Nationale des Guides, les groupements de
Jeunesse Catholique, ont des sections dans les villes importantes.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 158

En général, il n'existe pas d'association féminine dans les bourgs et


les communautés rurales, quand il y a une organisation, elle est le plus
souvent mixte, avec parfois une section féminine, et les activités sont
le plus souvent communes.

2) RÔLE ÉCONOMIQUE.

Retour à la table des matières

La femme de la bourgeoisie à Port-au-Prince ne travaille pas au de-


hors et ordinairement se consacre aux soins du ménage et à l'éducation
de ses enfants. Toutefois, les professionnelles, les commerçantes et les
employées de bureau continuent à travailler quand les revenus du mari
ne suffisent pas à entretenir la famille. La femme contribue aux dé-
penses du ménage par des travaux à domicile : couture, pâtisserie,
commerce ou en cherchant sa subsistance au dehors.
La femme a replis la place importante qu'elle occupait autrefois
dans le commerce, La loi du 16 Octobre 1936 réservant le commerce
de détail aux haïtiens d'origine, plusieurs maris étrangers se sont vus
obligés de passer leur maison de commerce sous le nom de leur
femme. Cette loi a été abrogée, mais la femme a continué à s'occuper
de commerce. Il y a plusieurs magasins très florissants dirigés entière-
ment [157] par les femmes. Elles commencent même à se lancer dans
le commerce avec l'extérieur. Mesdames Arnil St. Rome et Léon St.
Rémy dirigent de grandes maisons d'exportation. Un grand nombre de
femmes du peuple ont un commerce qu'elles dirigent seules dans une
petite boutique, au marché ou qu'elles promènent dans les rues.
Dans une enquête de l'Institut Haïtien de Statistique sur les condi-
tions de vie des habitants du quartier de la Saline, plus de 50% de
femmes qui travaillaient se livraient à des activités commerciales. 306
L'industrie proprement dite n'a guère tentée l'haïtienne, toutefois il
convient de noter l'œuvre accomplie par Madame Gauthier Ménos qui,
après la mort de son mari, dirigea seule pendant plusieurs années sa
briqueterie. Eh ce moment, un certain nombre de femmes sont pro-
priétaires et directrices d'atelier fabriquant des articles de la petite in-

306 Bulletin Trimestriel, No 6, Septembre 1952 p,30.


Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 159

dustrie artisanale. Quelques-unes dirigent aussi des hôtels et des pen-


sions de famille florissants et bien aménagés.
Madame Jean Desquiron dirige le plus important établissement
d'élevage de volaille de la République.
En général, en province, la femme de la bourgeoisie a un magasin
qu'elle dirige seule ou en collaboration avec son mari. Elle fait le com-
merce de détail et achète les denrées d'exportation produites par les
paysans.
Bon nombre de jeunes filles, après avoir achevé leurs études se-
condaires ou primaires supérieures, suivent les cours des écoles de
commerce, des écoles normales et des facultés et après avoir obtenu
leur diplôme, exercent leur profession ou travaillent dans les bureaux
et dans les magasins comme employées. La femme en général, est
cantonnée aux emplois subalternes, il n'y a pas ou peu d'avancement
pour elle, tandis que son camarade masculin, doué d'un peu d'intelli-
gence, peut gravir sans peine les échelons de l'administration, son acti-
vité est en général limitée aux tâches de second ordre.
Certaines jeunes filles, appartenant en général à la petite bourgeoi-
sie, sont infirmières, Celles qui sont dévouées et bien entraînées,
gagnent largement leur vie : leur salaire est [158] de deux cents à
quatre cents gourdes par mois, mais le métier est dur.
Les professions libérales sont rarement exercées par les femmes. Il
y a 50 pharmaciennes diplômées, mais il n'y a que trois pharmacies di-
rigées par des femmes ; plusieurs pharmaciennes sont employées
comme chef ou aide de laboratoire, elles touchent un salaire de 225 à
500 gourdes. Il y a une opticienne qui a étudié à l'étranger, cinq den-
tistes, une trentaine d'avocates qui n'exercent pas leur profession et
seize médecins qui toutes pratiquent la médecine, l'une dirige actuelle-
ment l'une des cliniques privées les plus achalandées, quatre sont em-
ployées dans les hôpitaux publics.
En Haïti, le professorat et la couture sont les deux professions qui
comptent le plus grand nombre d'adeptes parmi les femmes de la
classe moyenne et de la bourgeoisie. Nous avons en ce moment 1.030
institutrices employées dans les écoles urbaines et 357 dans les écoles
rurales.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 160

Le nombre des instituteurs est respectivement de 896 et 559. 307


Les institutrices employées dans les écoles publiques urbaines ou
rurales touchent un salaire de 200 à 400 gourdes. De plus, il y a un
grand nombre d'institutrices employées dans les écoles privées.
Quelques-unes diplômées de l'École Normale Supérieure enseignent
dans les lycées. Il est très difficile de chercher à évaluer le nombre de
femmes qui tirent leur subsistance de l'aiguille. Les couturières se
trouvent dans toutes les classes, presque toutes les femmes, ayant reçu
une éducation même rudimentaire, savent coudre plus ou moins 308,
aussi l'entreprise n'est-elle pas florissante.
D'après l'enquête de Mme Comhaire-Sylvain, faite, comme nous
l'avons déjà dit, parmi les 1.206 fillettes des écoles nationales de Port-
au-Prince », dans presque toutes les familles, 84%, il y a au moins une
autre personne que l'enfant à savoir coudre. Notons que dans le quart
des familles il y a non pas une, mais trois ou quatre personnes à
coudre ; mauvaise affaire pour les couturières, pensez-vous ? Il faut
[159] croire que non, car nous trouvons qu'on donne à coudre au de-
hors dans 62% des familles et qu'on achète du linge confectionné dans
17%. Quête sont donc les travaux de couture auxquels on se livre à la
maison ? D'abord le raccommodage, puis souvent la lingerie, (linge de
corps, de table, dé maison), les robes ; de tous les jours des enfants et
des femmes, quelquefois le linge et les costumes des garçons, et plus
rarement le linge des hommes. Bien entendu, on fait de temps en
temps une petite broderie de couleur et quelquefois une dentelle au
crochet. »

« Quelles confections achète-t-on ? Souvent des draps brodés, des nap-


perons, du linge de corps de luxe, surtout de petites culottes, « pantalettes »
qu'on trouve parfois à très bon marché, vu le peu de tissu qu'elles néces-
sitent, des robes, faites soi-disant sur un modèle étranger, des chapeaux, du
linge d'homme.
« Que donne-t-on à faire ? Des robes et encore des robes. S'il y a
quelques fillettes à n'avoir que deux ou trois robes, il y en a beaucoup
plus, même dans le milieu populaire, à en posséder une douzaine, deux
douzaines ou davantage. Même chez les couturières de profession, on
307 Bulletin Trimestriel de Statistiques, No. 5, Juin 1952, p. 198.
308 L'Enseignement de la couture est obligatoire dans les écoles de filles.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 161

donne quelquefois à coudre des robes au dehors, soit parce que le temps
manque, soit parce que l'enfant désire certains modèles plus chics pour les
jours de fête, soit au contraire, parce que la maman trouve plus écono-
mique de faire exécuter ses robes de tous les jours et celles de la fillette
par une autre couturière, dont les tarifs sont moins élevés. » 309

Les revenus des couturières sont variables. Les directrices des


grandes maisons de couture peuvent gagner de cinq à mille gourdes
par mois. Elles emploient de petites ouvrières à la journée, recrutées
dans un milieu modeste qui travaillent pour le salaire minimum de
cinq gourdes par jour, souvent moins. Certaines de ces ouvrières tra-
vaillent aussi chez elles, elles brodent merveilleusement pour un sa-
laire de misère. Les conditions de vie des ouvrières se sont beaucoup
améliorées depuis les dernières années, à cause de la [160] nouvelle
législation sur le travail dans les ateliers, elles ont un salaire moyen de
27 gourdes par semaine. 310
Pour donner Une idée des conditions antérieures nous reproduisons
ci-après le témoignage d'un ouvrière employée dans une chemiserie en
1940 : « Les petites mains qui montent les boutons et font les bouton-
nières touchent vingt centimes de gourde par jour, plus la nourriture à
midi (vingt centimes environ comme valeur). Celles qui préfèrent aller
manger chez elles sont libres de midi à une heure. Il n'y a pas de com-
pensation pour remplacer la nourriture. La journée de travail est d'en-
viron sept heures et demie ; de sept heures du matin à quatre heures du
soir, avec un intervalle de midi à une heure. En été, on arrive à sept
heures au lieu de sept heures et demie. Les ouvrières à la machine
« pédaleuses », gagnent trois gourdes par semaine plus la nourriture à
midi. Dans les périodes de presse, on peut avoir des heures supplé-
mentaires jusqu'à huit heures ou dix heures, avec paiement sur les
mêmes bases. Il y a une majoration de prix pour celles qui travaillent
vite, une petite main, spécialiste en boutonnières, peut arriver à tou-
cher autant qu'une pédaleuse qui fait des boutonnières à la machine, si
elle va aussi vite. Il parait que le fait s'est déjà produit. Une pédaleuse
peut arriver à toucher cinq gourdes par semaine. Les ouvrières sont de
309 Comhaire-Sylvain, Suzanne. Ce que font… notes manuscrites reproduites
avec la permission de l’auteur
310 Les statistiques sur les salaires proviennent de la Publication du departement
du Travail, revue du Travail, Mai 1952, p.79 et suivantes.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 162

plus obligées d'acheter chez le patron des étoffés et de la lingerie,


qu'elles payent au fur et à mesure sur leur salaire. Elles n'ont pas le
droit d'emporter les retailles trop petites pour être utilisées. Celles-ci
sont vendues au marché cinquante centimes le gros panier pour bour-
rer les oreillers. Les ouvrières à domicile sont payées à la tâche, Le
prix courant est de deux gourdes la douzaine de chemises, mais cer-
taines maisons trouvent des ouvrières à une gourde la douzaine. »
En ce moment, le salaire minimum journalier est passé de 1 gourde
50 en 1942, à cinq gourdes en 1951. Toutefois, certains patrons s'ar-
rangent à payer moins à leurs ouvrières en les employant à la tâche.
Le Conseil Supérieur des Salaires [161] créé en 1951 a fixé les sa-
laires minima pour certaines catégories d'entreprises. Il convient de
noter que le coût de la vie a aussi beaucoup augmenté.
Comme nous l'avons dit plus haut depuis la dernière guerre, il y a
de nombreux ateliers de vannerie et de tissage dont sept ou huit em-
ploient plusieurs centaines d'ouvrières ayant un salaire moyen d'envi-
ron vingt-deux gourdes par semaine si elles sont employées au
mois. 311
Certains commerçants achètent tout simplement les articles fabri-
qués par les ouvrières qui travaillent à domicile seules ou avec des
aides. Les ouvrières sont payées à la tâche pour tresser la pite. Beau-
coup d'ateliers permettent aux ouvrières habiles d'emporter la pite
chez elles pour la fabrication des tresses. Le salaire mensuel moyen de
1.249 employés de la petite industrie locale, couverts par l'Institut
d'Assurances Sociales était de G. 67.55 pour la période du 1er Sep-
tembre 1952 au 1er Mars 1953, tandis que le salaire moyen des em-
ployés des autres entreprises variait de Gourdes 117.70 à 393.75. 312
La tresse de cocotier en raison de son bas prix est confectionnée
surtout à la campagne. Cependant, on l'emploie en ville pour la fabri-
cation des chapeaux et des sacs, quoique sur une bien moindre échelle
que pour la pite.
Les femmes sont aussi employées dans les usines de préparation du
café, du tabac et à la filature. D'après l'enquête du Département du
Travail à Port-au-Prince en 1951, 683 ouvrières étaient employées

311 Département du Travail, Revue du Travail, 12 Mai 1952, p. 69.


312 Renseignements fourni par l'Institut Haïtien de Statistiques, Mars 1953.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 163

dans l'industrie du café et touchaient un salaire moyen de 20 G. par se-


maine. 144 ouvrières touchaient seulement 9 à 10 gourdes. Les ou-
vrières de la filature touchaient un salaire moyen de G. 37.40. Les dé-
butantes touchaient 21 gourdes par semaine. Les ouvrières des manu-
factures de tabac ont aussi un salaire moyen de 35 à 40 gourdes par
semaine.
La législation du travail ne réglemente pas le salaire des domes-
tiques, à l'exception de celles qui travaillent dans les hôtels ou les res-
taurants » Les blanchisseuses employées dans [162] les blanchisseries
gagnent de 15 à 17 gourdes par semaine. Les domestiques : femmes
de chambre, cuisinières, blanchisseuses, travaillant chez des particu-
liers, gagnent un salaire de vingt à quatre-vingts gourdes par mois,
elles sont de plus logées et nourries, si elles le désirent... Générale-
ment, le logement fourni est inadéquat et consiste en une chambre mal
meublée. La majorité des domestiques sont du sexe féminin. D'après
le recensement dans le Département du Nord-Ouest, il y avait en 1950
238 femmes domestiques pour 52 hommes. 313
Le salaire minimum des employées de magasin, qui a été fixé par
le Département du Travail, varie suivant le genre de commerce et le
type d'établissement entre 115 et 225 gourde. Elles travaillent ordinai-
rement de huit heures à midi et de deux à cinq et elles ont parfois des
heures supplémentaires le samedi et pendant la période des fêtes de
fin d'année.
D'après une enquête menée en 1951 par le Département du Travail
auprès de 10.000 ouvriers de 1.165 entreprises de la capitale, 63,37%
étaient du sexe masculin et 36,12% du sexe féminin. Le pourcentage
de travailleurs masculins est plus élevé, car cette enquête ne compre-
nait pas les travailleurs de la HASCO et du WHARF qui sont tous du
sexe masculin. Le pourcentage réel est probablement le même que ce-
lui de l'enquête de 1950 - 68,32% du sexe masculin et 31,68 % du
sexe féminin.
La main d'œuvre féminine prédomine seulement dans l'industrie du
café 78%, et dans les manufactures de tabac et de toile 73%. Par
contre, elle est très raréfiée dans les autres branches d'activités et
même pratiquement nulle dans certaines industries comme celle du
313 Bulletin Trimestriel, No. 6 p. 188. Les résultats détaillés du recensement
n'ont pas encore été publiés pour les autres départements.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 164

meuble (0,9%), celle du transport (5%) et dans les ateliers divers


(3%). 314
Comme tous les paysans un peu partout dans le monde, la pay-
sanne haïtienne a peu de loisirs, pourtant sa vie semble être plus rude
et plus laborieuse que dans la plupart des pays. Robuste, levée dès
l'aube, elle vaque à sa besogne [163] journalière. Herskovits nous la
dépeint pilant le maïs dans son mortier, travaillant au jardin et entre
temps s'occupant des bébés. 315
Dans notre enquête, nous avons constaté que la presque totalité des
femmes de bourgs et des districts ruraux ont l'entière responsabilité
des besognes ménagères ; elles se font toutefois aider par leurs filles
qui, au fur et à mesure, assument plus de responsabilités.
Les femmes font la cuisine, le ménage, la lessive, elles raccom-
modent les vêtements usagés, elles cousent en partie le linge de la fa-
mille, à l'exception des vêtements d'hommes que seulement 13%
d'entre elles confectionnent, elles transportent aussi l'eau et le bois, la
plupart du temps sur leur tête. Leurs occupations ne se limitent pas
aux travaux domestiques, elles participent aussi aux activités lucra-
tives. La majorité des femmes interrogées, 183 sur 230, se livraient à
l'agriculture et à l'élevage des animaux domestiques, même les
fillettes à l'école participaient à ces travaux, 197 sur 367. 316 Ceci est en
contradiction avec ce qu'Herskovits a constaté dans la région de Mire-
balais, où il prétend que la femme ne travaille guère au jardin. 317 C'est
peut-être une coutume locale, mais mes observations personnelles
confirment les résultats de l'enquête, et j'ai pu constater que les
femmes travaillent au jardin dans presque toutes les régions du pays.
Le fait a été aussi constaté à Marbial. En général, c'est l'homme qui
prépare le terrain et parfois établit la plantation, mais le sarclage et
l'entretien journalier des champs revient à la femme. La récolte est or-
dinairement faite par toute la famille, eu, si le champ est étendu, le tra-
vail est fait en commun par une « coumbite », ou une société comme
autrefois en Afrique. 318

314 Département du Travail. Revue du travail. Port-au-Prince, Mai 1982, p. 51


315 Herskovits, op. cit. pp. 68-69.
316 Voir Appendice 1, table No. 24, p. 18 a.
317 Herskovits, op. cit. pp. 67 et 85.
318 Voir Appendice I, table No. 24.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 165

Dans certaines régions, particulièrement dans le Sud, les femmes


participent aux « coumbites » et travaillent autant que les hommes ;
dans d'autres, elles sont uniquement chargées de la préparation de la
nourriture pour ces occasions.
[164]
La paysanne est ordinairement chargée de la vente des produits au
marché et dans les villages, la femme fait-le petit commerce de dé-
tail. 319 Dans notre enquête sur 597 femmes et fillettes, 439 se livraient
au commerce. 320
Un nombre considérable de paysans des deux sexes se livrent à des
occupations secondaires qui leur permettent d'accroitre leurs revenus.
Dans l'enquête de Marbial, sur 147 familles 37 seulement travaillaient
la terre sans autre occupation. 321 Un petit nombre de femmes aug-
mentent aussi les revenus de la famille par la couture. Il y avait seule-
ment 51 femmes sur 230 dans notre enquête qui cousaient pour de
l’argent. 322 Dans l'enquête de Marbial, près de la moitié des femmes de
la région se disaient couturières, de façon à pouvoir gagner à l'occa-
sion quelqu'argent durant la récolte. Plusieurs d'entre elles étaient très
habiles et confectionnaient des vêtements d'hommes et de femmes.
Elles avaient fait leur apprentissage chez des couturières de la région
ou en ville à Jacmel ou à Port-au-Prince. 323
Le nombre relativement élevé de machines à coudre qui se
trouvent même dans les districts les plus reculés, prouve que la femme
désire augmenter son habileté dans cet art.
Dans notre enquête, parmi les femmes et fillettes des bourgs et dis-
tricts ruraux, toutes les familles, à l'exception de deux, possédaient des
fers à repasser et 190 ou 31% possédaient des machines à coudre. Il
est même étonnant de constater que la machine à deux fils rencontre
plus d'adeptes dans les bourgs et les campagnes que la machine à un
fil, malgré la différence de prix. Cent une femmes possédaient une
machine à deux fils, soixante-dix-huit, une machine à un fil et onze,

319 Herskovits, op cit., pp. 82, 89.


320 Appendice I, table No. 24.
321 Ibid. p. 127.
322 Appendice I, Table No. 24, p.18 a.
323 Métraux, A. « L'Homme… » op. cit. p.76.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 166

une machine à pied. 324 À Port-au-Prince, les deux tiers des 1.200 fa-
milles de l'enquête de Mme Comhaire possédaient une machine à
coudre. Il est à remarquer que le plus souvent, ces machines servent à
plusieurs [165] familles et sont prêtées à des amies qui n'en possèdent
pas.
Les marchés jouent un rôle de premier plan dans l'économie des
campagnes. Il y a les grands marchés qui se trouvent dans les villes ou
à la croisée des routes importantes et où se rendent les habitants de
toute une région. Certains sont spécialisés pour la vente du bétail ou
de produits déterminés.
Les marchés ruraux ne comportent ordinairement pas de construc-
tion. Ce sont de grands espaces libres avec parfois des abris rudimen-
taires où les marchandes peuvent s'installer. À proximité, se trouve un
enclos pour les bêtes de charge.
À l'intérieur des marchés, il y a différentes sections pour la vente
des produits agricoles et artisanaux : viande, volaille, légumes, fruits,
céréales et chapeaux, sandales, tissus, cordes, nattes, etc… vêtements
confectionnés, articles de la ville, savon, fil, cigarettes, etc.
On y trouve aussi des boissons, des aliments cuits, des friandises
etc. Tout autour des marchés des villes ou villages, il y a une série de
boutiques où s'approvisionnent les marchandes.
Dans les marchés haïtiens comme dans les marchés dahoméens,
les échanges se font directement, les cultivateurs y écoulent leurs pro-
duits. Ce sont ordinairement les femmes qui y font le commerce.
Comme autrefois en Afrique, les paysannes se lèvent avant l'aube, par-
fois à deux heures du matin ou la distance est très grande, elles se
mettent en route la veille et dorment au bord du chemin ou sous des
galeries en attendant l'ouverture du marché.
Elles voyagent à pied en groupe, transportant leurs fardeaux sur la
tête, les plus fortunées ont un âne.
Le marché commence au lever du jour et dure jusqu'à deux ou trois
heures. Dès que les marchandes ont fini d'écouler leurs produits, elles
achètent les marchandises dont elles ont besoin et prennent le chemin
du retour.

324 Appendice I, table No. 21.


Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 167

De même qu'en Afrique, on remplit aussi certains devoirs religieux


en vue de s'assurer une bonne vente et le sexe du premier acheteur a
une grande importance pour déterminer [166] le succès des transac-
tions du jour. Certaines marchandes qui croient que les garçons leur
donnent de la « chance » refusent de vendre à une femme en premier.
Les grands marchés ruraux ont une vie intense, on y trouve quanti-
té de marchandes avec leurs produits étalés tout autour d'elles. Les
commerçants des villes ont aussi des éventaires improvisés où ils
étalent les étoffes et les marchandises importées. C'est une grande dis-
traction dans la vie monotone de la campagne, une occasion de ren-
contrer des amis habitant d'autres communautés. Les paysannes
voyagent parfois toute la nuit pour arriver à l'aube au marché avec très
peu de provisions. Ces jours-là, il est très difficile d'avoir des élèves à
l'école. Les transactions sont aussi très animées et sont toujours ac-
compagnées de longs marchandages et discussions.
Les hommes ne fréquentent le marché que pour vendre leur bétail
ou quelques articles qu'ils ont confectionnés. Certains viennent s'y
promener pour apprendre les nouvelles et les jeunes gens pour y ren-
contrer les jeunes filles.
Les vendeuses payent une taxe de 10 à 20 centimes, suivant l'es-
pace occupé. Elles doivent aussi payer 10 centimes pour chacune de
leurs bêtes de somme. L'État perçoit aussi un droit sur la vente du gros
et petit bétail et sur l'abattage des bêtes de boucherie. De plus, cer-
taines marchandes doivent avoir des patentes pour la vente de certains
produits, tels que l'alcool. Les marchés sont une source de revenus im-
portants pour les communes.
Pendant l'année fiscale 1951-1952 par exemple, plus de la moitié
des recettes communales ont été tirées des taxes prélevées dans les
marchés. En effet, les revenus des communes se sont élevés pour cette
période à près de cinq millions de gourdes. (4.979.687,39), dont deux
millions huit cent mille environ (2.799.829,05) provenaient des mar-
chés. Ce total comprend : 1.222.976,10 gourdes de taxes perçues dans
les marchés urbains, 383.127,55 dans les marchés ruraux, 29.275,45
gourdes pour les échoppes et tonnelles, 351. 129.00 gourdes pour la
vente des bestiaux, 299.605.85 gourdes pour l'attache des animaux
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 168

dans les parcs, 513.715,10 gourdes [167] pour l'abattage des bêtes de
boucherie. Il ne comprend pas les taxes perçues pour patentes. 325
Un grand nombre de femmes (155 sur 230 dans notre enquête)
s'occupent de la préparation et de la vente des commodités qui sont
vendues au marché.
Il y a un certain nombre de femmes qui ne s'occupent pas d'agricul-
ture, mais se livrent uniquement au commerce et passent d'un marché
à un autre, revendant ce qu'elles ont acheté. Elles sont appelées reven-
deuses ; elles disposent d'un petit capital et achètent les produits et les
revendant sur place ou en ville. Elles servent d'intermédiaires entre la
ville et la campagne.
Ce sont le plus souvent des marchandes urbaines qui se rendent
dans les marchés ruraux pour s'approvisionner et revendre leurs mar-
chandises en ville. Certaines font des transactions considérables et
voyagent constamment dans tout le pays d'un marché à l'autre, échan-
geant les produits des différentes régions contre les articles importés.
Parfois, elles conservent les denrées dont il y a pénurie pour faire
monter les prix et provoquant une disette temporaire.
« La plus grande difficulté, dit Mme Comhaire-Sylvain, pour une
femme qui veut s'adonner au commerce est de trouver la somme qui
lui permettra d'acheter son premier lot de marchandises. Il lui faut très
souvent emprunter de 20 à 30 gourdes à un taux d'intérêt qui varie de
5 à 10 gourdes pour une ou deux semaines.
Certaines revendeuses font fructifier l'argent que leur remet
l'homme avec lequel elles vivent, ou celui que leur confie leur fille ou
leur gendre.

325 Bulletin Mensuel du Département Fiscal, Port-au-Prince, Haïti Sept. 1952,


p. 31.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 169

« Les revendeuses sont généralement initiées au commerce par une pa-


rente ou une amie plus âgées qu'elles accompagnent clans ses voyages et
qui leur explique la loi de l'offre et de la demande, les présente à leurs
clientes et leur fait connaître des familles chez qui elles peuvent loger au
cours de leurs déplacements.
Le secret du succès pour une revendeuse est d'être informée [168] très
exactement de l'endroit où elle pourra trouver à bon compte un produit
dont elle obtiendra u n prix plus élevé à Port-au-Prince ou ailleurs. Pour
cela, elle est obligée de voyager constamment, soit en autobus, soit à che-
val ou à pied. Elle vend les produits qu'elle est allée chercher, aux mar-
chandes de la ville ou des bourgs. Celles-ci sont souvent d'anciennes re-
vendeuses qui, à force d'économie ou de sens commercial, sont parvenues
à acquérir un fonds de roulement important. Elles achètent au prix de gros
et approvisionnent d'autres revendeuses qui font le commerce de détail.
Elles sont appelées « spéculatrices » et sont pour la plupart des épouses ou
des concubines d'ouvriers ou d'artisans. »
« Les détaillantes qui constituent la seconde catégorie de revendeuses
sont des paysannes entreprenantes qui se livrent au commerce pour ac-
croitre les revenus de leur ménage : Leurs transactions sont de la plus
grande simplicité et ne leur apportent que de modestes bénéfices. » 326

L'ambition de toute revendeuse est d'accroitre son commerce pour


pouvoir tenir boutique. Il est très difficile d'évaluer les bénéfices réali-
sés par les boutiquières, à cause de la concurrence, elles sont obligées
de se contenter de très peu. Elles vendent parfois certains articles à
perte ou au même prix, en se servant de mesures un peu plus petites.
Elles n'ont presque pas de stocks personnels et prennent la plupart de
leurs articles de magasins de gros ou de producteurs, moyennant une
commission d'environ 20%.

« En général, dit Mme Comhaire-Sylvain, même lorsque les fonds de


boutique ont été fournis par le mari, les bénéfices reviennent entièrement à
la femme qui les utilise pour son entretien et celui de ses enfants. Quand

326 Métraux, Alfred « L’Homme… » op. cit., pp,85,86.


Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 170

les dettes ne rentrent pas assez vite, ou lorsqu'il s'agit d'effectuer une dé-
pense exceptionnelle, le mari peut être appelé à prêter de l'argent, mais
contrairement à ce qui a eu lieu pour le capital d'établissement, la femme
est tenue de le lui restituer en temps voulu. » 327

De plus, il y a à côté de ces boutiquières relativement [169] pros-


pères, un grand nombre de femmes qui ont de petits éventaires le long
des routes ou des sentiers, certaines colportent leurs produits de mai-
son en maison et de marché en marché.

3) CONTRIBUTION CULTURELLE
FÉMININE 328

a) Littérature, art et sciences.

Retour à la table des matières

Bien que la tradition ait toujours parlé du talent légendaire d'Ana-


caona « la reine samba » poétesse et musicienne, qui dirigeait un des
royaumes indiens à la découverte de l’ile ; malgré ce passé glorieux,
la femme n'a pas joué un rôle important dans les débuts de l’art et de
la littérature haïtienne.
Au siècle dernier, l'instruction des filles était négligée, la coutume
et les préjugés réservaient au maitre du foyer l'ambition littéraire, pré-
face de la politique et la plupart du temps, quand elles écrivaient, les
haïtiennes timides ne publiaient leurs essais en vers ou en prose que
sous le couvert des pseudonymes.
La littérature de cette époque n'a retenu que le nom de Virginie
Sampeur, dont les poèmes figurent dans toutes les anthologies.
Durant cette période, toutes les jeunes filles ayant reçu une éduca-
tion faisaient de la musique, de la peinture et des arts décoratifs, toute-

327 Ibid.
328 Le chapitre traitant de l'Education des femmes a déjà été publié en 1944
sous le titre : « Education des Femmes en Haïti ».
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 171

fois ceci ne constituait qu'une distraction et seules les musiciennes ti-


raient parfois leur subsistance de l'enseignement de leur art.
Au début du vingtième siècle de nouvelles écoles de filles for-
mèrent une pléiade d'élèves brillantes et l'artiste comme les autres, af-
firma sa personnalité. Ne se contentant plus du rôle d'amateur, elle es-
saya d'acquérir une expérience professionnelle.
Les revues littéraires de l'époque, la Ronde (1901) et Haïti Litté-
raire et Sociale (1905) se vantent d'avoir plusieurs [170] Collabora-
tions féminines, malheureusement presque toutes anonymes, signées
d'un nom de fleur ou d'un prénom.
Pourtant quelques novatrices plus hardies se décident bientôt à
faire des conférences et à abandonner l'anonymat Parmi elles on dis-
tingue : Luce Archin Lay, Mmes Théodora Holly ; Rosemond-Manigat
et Alice Garoute.
En 1912, Haïti Littéraire et Scientifique donne à ses lecteurs la pri-
meur d'un nouveau talent poétique en publiant l'un des plus émou-
vants poèmes de Mme Ida Flaubert « Pour Jacqueline » écrit à la suite
d'un deuil cruel
En 1932, le Cercle Fémina publia la revue du même nom Malheu-
reusement, quatre numéros seulement parurent.
En 1935, la Voix des Femmes fut fondée à Port-au-Prince. Cette re-
vue exclusivement écrite par des femmes, organe de la Ligue Fémi-
nine d'Action Sociale, mena une active campagne pour le progrès de
la femme et l'amélioration des conditions économiques et sociales.
Malgré quelques interruptions causées par des difficultés écono-
miques, elle continue à paraitre. Elle est en ce moment dirigée par
Melle Marie Thérèse Colimon.
Depuis lors, il y a eu plusieurs journaux littéraires ou sociaux diri-
gés par des femmes : La Semeuse, revue mensuelle, littéraire, 1936-
1946, l'Aube, organe de la Ligue de la Protection de l'Enfance, le
Trèfle, revue mensuelle de la Fédération des Éclaireuses d'Haïti
(1947) : la Famille, hebdomadaire d'action sociale, organe du Bureau
d'Action Féminine du Parti Politique (Mouvement Ouvrier Paysan)
(MOP) 1948-50.
En ce moment, à part la Voix des Femmes, il y a deux périodiques
d'information dirigés par des femmes : El Alba, hebdomadaire bi-
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 172

lingue, français et espagnol, pour le rapprochement interaméricain


fondé par Mme Emmeline Carriès Lemaire en 1950 ; Escale, bi-heb-
domadaire d'information, fondé et dirigé par Mme Yvonne Hackime
Rimpel, en 1951,
La consécration du livre a toujours été chose peu commune pour
ceux qui écrivent en Haïti ; faute de maison d'édition, c'est une entre-
prise très coûteuse et nos poètes et prosateurs souvent n'ont d'autre pu-
blicité que celle des revues ou des quotidiens. Quelques livres et de
nombreux manuscrits [171] ont été présentés à l'Exposition des
Œuvres Artistiques féminines organisée par le Premier Congrès Natio-
nal des femmes Haïtiennes en 1950.
Nous avons pourtant quelques écrivains féminins qui ont publié
leurs œuvres :

Mme Jean BRIERRE et Melle CASSAQNOL ont publié un


Guide Touristique HAÏTI BLUE SOUVENIR GUIDE (1955).
Mme Étienne ROURAND (Annie Desroys) auteur de trois ou-
vrages : deux drames « ET L'AMOUR VINT », « LA CENDRE SUR
LES PAS », et un roman « LE JOUG », (1934).
Mme Suzanne COMHAIRE-SYLVAIN, docteur es-lettres de
l'Université de Paris. Ethnologue, employée actuellement à l’ONU est
l'écrivain féminin haïtien le plus important. Elle est l'auteur de nom-
breuses publications scientifiques et littéraires, dont nous donnons ci-
après la liste imposante ;

Ouvrages publiés :

Le Créole Haïtien, Morphologie et Syntaxe, Port-au-Prince 1936


Les Contes Haïtiens, Origines et Diffusion, 2 vol. Port-au-Prince 1937
Contes du Pays d'Haïti, Port-au-Prince 1938
Le Roman de Bouki, Port-au-Prince 1940
Food end Leisure among the African Youth, Cape Town. 1950
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 173

Contributions

Introduction to Haiti, Pan American Union, Washington. 1951


L'Homme et la Terre dans la Vallée de Marbial, UNESCO, Paris, 1951
[172]
Marking a living in the Marbial Valley, UNESCO, Paris 1951
th
Procedings, 29 Congress of Americanist, Chicago 1952
Haitian Creole, American Anthropological Association 1953

Articles :

Veillées d'Haïti (Revue de Folklore) Paris, France 1933


La chanson haïtienne (Présence Africaine) Paris, France 1951
Contes haïtiens (Revue de l’AUCAM) Belgique 1936
Silhouettes indigènes (Grands Lacs) 1949-50
Le lingala des enfants noirs de Léopoldville (Kongo-Overzee) 1949
Les jeux des enfants noirs de Léopoldville (Zaïre) Belgique 1949
Proverbes recueillis à Léopoldville (Zaïre id.) 1949
Le travail des femmes à Lagos, Nigeria (Zaïre id.) 1951
Jeux congolais (Zaïre) id. 1952
Devinettes des enfants noirs de Léopoldville (Africa) Londres 1949
Les danses Nkundu du territoire d'Oshwe (African Studies) 1948
Afrique du Sud
L'habitation chez les Nkundu (African Studies) 1949
Afrique du Sud
[173]
Creole Tales from Haiti (Journal of American Folklore) E.U. 1937-38
Thezin, Haitian Tale (Bulletin Pan American Union) E.U. 1937
The Status of Women in Lagos, Nigeria (Pi Lamda Theta) E. U. 1949
Associations in Lagos, N. (Am. Catholic Sociological Rev. E. U. 1950
Silhouettes indigènes (Service de l'Information) Congo-Belge 1943-45
Noms de Lieux et de Familles (Le Temps) Haïti 1938-39
Vocabulaire des croyances paysannes (Voix des Femmes) Haïti 1938
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 174

Nos fillettes en dehors des heures de classe (Voix des Femmes) Haïti 1942

Co-auteur :

Loisirs, et divertissements à Kenscoff (Revue Iris. Sociologie) Bel- 1938


gique
La Alimentacion en Kenscoff (America Indigena) Mexico 1952

Melle Marie-Thérèse COLIMON, institutrice, actuellement di-


rectrice de la revue « LA VOIX DES FEMMES », a publié un drame
« LA FILLE DE L'ESCLAVE » (1949) et plusieurs textes scolaires,
Mme GAILLARD, institutrice, a publié un livre RECETTE DE CUI-
SINE, (1953)
[174]
Melle Germaine DENNERY, a collaboré à différents journaux et
revues et a publié un volume « CHANTS DU SOUVENIR » (1939)
Melle Edith DARTIGUENAVE a publié un volume HEROÏSME
D'UNE HAÏTIENNE (1955).
Mme Fortunat GUERY, ancienne inspectrice des écoles et repré-
sentante d'Haïti à la Commission du Statut de la Femme de l'ONU et à
la Commission Interaméricain de Femmes, collabore à différents jour-
naux et revues et a publié un volume d'essais : TEMOIGNAGE.
Mme Simone W. HIPOLYTE, assistante sociale et journaliste a
publié un ouvrage de vulgarisation scientifique. « TRAVAIL SOCIAL
PANORAMA ET DETAILS » (1951).
Melle Germaine JOUBERT, a publié un roman PAQUITO
(1954)
Melle Lélia LHERISSON, Institutrice, inspectrice honoraire à
l'Éducation Nationale, est l’auteur de plusieurs textes scolaires : PRE-
MIERES NOTIONS DE LECTURE (1929) NOTIONS DE LEC-
TURE, cours préparatoire (1935) MANUEL DE LITTERATURE
HAÏTIENNE et TEXTES EXPLIQUES DE LA LITTERATURE DES
AMERIQUES (1945). LA DESSALINIENNE, HYMNE NATIONAL
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 175

HAÏTIEN, HISTORIQUE (1947) LEÇONS DE CHOSES (1949)


PREMIERES NOTIONS DE NOMBRES (1951), POESIES ET
CHANTS cours préparatoire (1952) LES HEROS DE LTNDEPEN-
DANCE DANS L'HISTOIRE D'HAÏTI (1953)
Mme Emmeline Carriès-LEMAIRE, est actuellement en tournée
de conférences aux Etats-Unis d'Amérique, à Cuba, et au Mexique.
Elle a fondé en 1950 l'hebdomadaire EL ALBA bilingue, français et
espagnol, et a publié plusieurs ouvrages HISPANIOLA, étude histo-
rique et géographique en français et espagnol (1944) et quatre recueils
de poésies : MON AME VOUS PARLE (1941), CHANTS POUR TOI
[175]
(1944), POEMES A BOLIVAR (1948), COEURS DE HEROS,
COEURS D'AMANTS (1959).
Mme Constantin MAYARD, fut co-directrice de la Voix des
Femmes. Elle publia les ouvrages suivants : CHANTS pour les écoles
(1930) et CUISINE DES PAYS CHAUDS (1940) et de nombreux ar-
ticles d'information sociale et littéraire.
Mme Rose Lhérisson MICHEL, directrice de l'Ecole Normale
d’Institutrices, fondatrice et directrice du journal pédagogique
L'ECOLE, a publié de nombreux manuels scolaires actuellement en
usage dans les écoles HISTOIRE ET GEOGRAPHIE D'HAÏTI pour
les classes préparatoires (1949), HISTOIRE D'HAÏTI ET GEOGRA-
PHIE, cours élémentaire (1950), LEÇONS DE CHOSES (1951), INS-
TRUCTION CIVIQUE ET MORALE (1954), GRAMMAIRE (1952).
Melle Hélène MORPEAU, instructrice et rédactrice de la page fé-
minine du quotidien catholique LA PHALANGE, a publié une pla-
quette ROLE DE LA JEUNE FILLE DANS LA FAMILLE (1947) et
un volume d'essais PAGES DE MARIE ET D'HELENE (1954).
Melle Marguerite MICIUS, a publié un volume AU DELA DE
L'ETHER
Mme Herzulie Malgoire-PROPHÈTE, inspectrice de l'Enseigne-
ment Ménager a publié un livre « CUISINE SELECTIONNEE ».
(1955)
Mme Jeanne PEREZ, avocate, est l'un des écrivains féminins les
plus féconds. Elle fut rédactrice en chef de LA VOIX DES FEMMES
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 176

de 1935-37, puis elle fonda une revue littéraire et sociale LA SE-


MEUSE qu'elle dirigea de 1936 à 1948. Elle collabora aussi à d'autres
journaux et revues. Elle a publié les ouvrages suivants : TAINA ET
MES AMIS, miettes de souvenirs (1938), SANITE BELAIR, drame
historique en trois tableaux (1942), LA FEMME, ce qu’elle est, [176]
son action à travers les âges, son avenir, conférences prononcées sous
les auspices du Comité haïtien de l'Alliance Française (1948) LA
MANSARDE (1949). Elle a écrit l’article sur Haïti dans le volume LA
CONDITION DE LA FEMME DANS LA SOCIETE CONTEMPO-
RAINE publié sous la direction de Marc Ancel (Collection des tra-
vaux et recherches de l’institut de droit comparé (1937).
Mme Odette Roy-FOMBRUN, institutrice a publié un manuel
scolaire actuellement en usage dans les écoles INSTRUCTION CI-
VIQUE (1954).
Mme Ida SALOMON, femme de lettre qui vit depuis plusieurs
années à Paris, a collaboré à différentes revues littéraires françaises et
haïtiennes et a publié un recueil de poèmes COEURS DES ILES
(1924) qui reçut le Prix Normand de la Société des Gens de lettres.
Mme Colbert ST-CYR, institutrice, collabora à plusieurs journaux
et revues et a publié deux volumes de poèmes : GERBES DE
FLEURS (1949).
Melle Jeanne G. SYLVAIN, assistante sociale et ethnologue, fut
rédactrice de LA VOIX DES FEMMES et de l’instituteur Rural, est
l’auteur de plusieurs manuels scolaires actuellement en usage dans les
écoles et de nombreux articles dont quelques-uns publiés dans les re-
vues scientifiques étrangères. Son étude sur L'ENFANCE PAY-
SANNE A MARBIAL a été publié dans le livre HAÏTI, POETES
NOIRS (Présences Africaines 1950).
Melles Yvonne G. SYLVAIN, docteur en médecine, spécialiste en
gynécologie et en obstétrique, a publié de nombreux articles et
quelques communications scientifiques dans des revues médicales.
Elle a dirigé pendant quelques temps, la revue de l’Association Médi-
cale Haïtienne, dont elle était secrétaire.
Mme Virgile YALCIN, rédactrice à la Voix (tes Femme, [177] est
l’auteur de trois ouvrages : un recueil de vers, Fleurs et Pleurs (1924)
et deux romans : Cruelle Destinée (1929) et Blanche Négresse (1934).
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 177

Mme Marie Vieux-CHAUVET a publié de nombreuses nouvelles


dans différentes revues et son roman FILLE D'HAÏTI a obtenu le prix
de l’Alliance Française de 1935, il a été publié par une des plus
grandes maisons d'éditions françaises.
Mme Jacqueline WIENER, avocate et journaliste, est en ce mo-
ment inspectrice du travail. Elle fonda et dirigea la revue l’AUBE et
publia un recueil de poèmes (1951). Elle est et peut être considérée
comme l’une des fondatrices de la Société d'Art Dramatique, l’une des
meilleures actrices haïtiennes, professeur de diction au Conservatoire.
Enfin, l’auteur de cet ouvrage, Mme Madeleine Sylvain-BOU-
CHEREAU, avocate et docteur en sociologie, a dirigé longtemps la
Voix des Femmes et l’Instituteur Rural et a collaboré à différentes re-
vues et journaux haïtiens et étrangers, elle a publié deux volumes :
L'EDUCATION DES FEMMES EN HAÏTI (1944) Tome 1. Elle a
également publié deux manuels scolaires de lecture : LA FAMILLE
RENAUD et un BULLETIN pour les Instituteurs ruraux : L'ASSO-
CIATION NATIONALE des 4 C. Elle est aussi l’auteur du chapitre :
« LA CLASSE MOYENNE EN HAÏTI » publié dans « Materiales
para el estudio de la Clase Media en la America Latina V », publié par
la Section des Sciences Sociales de l'Union Panaméricaine et HAÏTI,
portrait d'un pays libre, édité en allemand. (1954)
Plusieurs autres femmes qui n'ont pas publié de livres ont pourtant
acquis une place importante dans les lettres haïtiennes par leurs écrits
imprimés dans la presse locale ou étrangère. Parmi elles, il convient
de mentionner particulièrement :
Mette Gilberte VIEUX, institutrice, membre de la Commission
Haïtienne de l’UNESCO, rédactrice à la Voix des [178] Femmes ou
elle a publié de nombreux articles et un roman feuilleton CBS
PAUVRES FILLES (1948).
Melle Denise ROY, avocate, Attachée Culturelle à l'Ambassade de
la Havane, dont les nouvelles et articles publiés dans la presse locale
et étrangère sont d'une facture impeccable.
Melle Jacqueline SCOTT, auteur de nombreux articles littéraires
et de deux romans inédits.
Comme nous l'avons dit ci-dessus, les musiciennes furent les pre-
mières artistes professionnelles haïtiennes. Jusqu'à présent, la majorité
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 178

des professeurs de musique sont des femmes et trois d'entre elles sont
aussi compositeurs.
Mme Lina Mathon-BLANCHET, fut l'initiatrice du mouvement
de renaissance du Folklore Haïtien. Elle fonda et dirigea une Troupe
de Danse Folklorique pour laquelle elle harmonisa de nombreux airs
populaires. Cette troupe a obtenu beaucoup de succès au cours de ses
tournées aux Etats-Unis d'Amérique.
Mme Carmen BROUARD, ancienne élève du Conservatoire de
Paris, dirige une École de Musique et a donné plusieurs récitals où
elle a fait entendre ses œuvres.
Melle Micheline LAUDUN, pianiste de talent, ancienne élève du
Conservatoire de Paris, a obtenu plusieurs prix à des concours interna-
tionaux et est en ce moment professeur de piano au Conservatoire Na-
tional.
Haïti compte aussi plusieurs cantatrices de talent dont quelques-
unes, telles que Mme Valério CANEZ, Melle Andrée LESCOT et Car-
men MALEBRANCHE ont donné des concerts au Canada, aux États-
Unis et en Europe.
La danse et le chant sont par excellence le mode d'expression artis-
tique de notre peuple. Notre folklore est d'une richesse incomparable
et les paysannes exécutent à la perfection les danses populaires les
plus compliquées, Depuis [179] une quinzaine d'années, des troupes
de danseurs et de chanteurs ont été organisés qui jouent régulièrement
à la radio et dans les théâtres. Ces troupes sont mixtes, mais presque
toujours les artistes doivent avoir aussi d'autres moyens de vivre, car
le produit des représentations ne suffit pas à les entretenir.
En 1949, le Gouvernement a fondé la Troupe Folklorique Natio-
nale dont les artistes reçoivent un salaire mensuel et doivent jouer ré-
gulièrement.
Une subvention a été aussi accordée à la SOCIETE NATIONALE
D'ART DRAMATIQUE qui représente des pièces de théâtre. Ces deux
sociétés sont mixtes ainsi que les autres groupes de théâtre ou de
danse d'amateur. L'artiste Emérane de PRADÏNES dirigeait une de ces
troupes. Mme. Wanda WÏENER, avocate, est aussi une de nos artistes
les plus remarquables en même temps auteur, metteur en scène, actrice
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 179

et danseuse, elle a créé et exécuté des spectacles de haute valeur artis-


tique.
Ce n'est que depuis 1944 avec l'ouverture du CENTRE D'ART que
la peinture haïtienne a acquis une renommée mondiale et est devenue
une véritable profession en Haïti. Avant cette époque, plusieurs
femmes peignaient pour leur plaisir, certaines enseignaient le dessin,
la peinture et les arts décoratifs et quelques-unes avaient même exposé
leurs œuvres : Mjnes Fombrun et Chenet, Melles Clémence Chéraquit,
Marcelle Appolon et Yvonne Sylvain.
En ce moment, il y a deux principales organisations de peintres
haïtiens « Le Centre d'Art et le Foyer des Arts Plastiques » qui sont
composés d'artistes des deux sexes. Les femmes exposent seules ou en
groupe et jouissent d'une complète égalité. Parmi elles, il convient de
mentionner : Melles Andrée MALLEBRANCHE, Jacqueline BOU-
CARD, Mmes Elmire MALLEBRANCHE, Jacqueline DORCELY et
Luce TURNIER. Cette dernière est la plus célèbre des artistes haï-
tiennes. Après avoir exposé plusieurs fois en Haïti ses œuvres, seule
ou en groupe, elle obtint une Bourse de la Fondation Rockefeller pour
aller continuer ses études aux États-Unis. De retour au pays, le Gou-
vernement français lui accorda une nouvelle bourse pour aller étudier
à Paris pendant [180] un an. Cette bourse a été prolongée par le Gou-
vernement Haïtien pour une nouvelle période d'un an. Melle TUR-
NIER a exposé ses œuvres en juillet 1953 à Hambourg, Allemagne, où
elle a obtenu un succès éclatant. Les critiques d'art à l'unanimité l'ont
reconnue comme une artiste de première classe. En 1955 elle a fait
trois expositions à Paris, à Washington et à Port-au-Prince.
Je ne saurais terminer sans dire un mot de l'œuvre artistique des
ouvrières de la petite industrie artisanale. La finesse du travail des
brodeuses haïtiennes est réputée dans toute l'Amérique et l'originalité
des articles confectionnés avec les produits indigènes a permis d'éta-
blir un commerce lucratif, alimenté par des ateliers où travaillent des
milliers d'artistes anonymes des deux sexes. Quelques-uns de ces ate-
liers sont dirigés par des femmes.
La carrière scientifique n'a guère tenté jusqu'à présent l'haïtienne.
Quelques-unes se sont pourtant dirigées vers les sciences médicales
ou paramédicales. Comme nous l'avons dit en parlant du rôle écono-
mique de la femme, nous avons, neuf femmes médecins, qui pra-
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 180

tiquent leur profession et dont, le savon et la compétence ne le cèdent


en rien à leurs confrères masculins.
Dr. Yvonne G. SYLVAIN est la première femme qui fût diplômée
de la Faculté de Médecine de Port-au-Prince.
En 1940, après avoir achevé ses études, elle obtint une bourse du
Bureau Sanitaire Interaméricain et elle l'utilisa pour aller aux États-
Unis où elle se spécialisa en obstétrique et en gynécologie pendant
trois ans dans les Universités Américaines. A son retour au pays, elle
fût nommée médecin des hôpitaux et plus tard professeur à la Faculté
de Médecine. En ce moment, elle dirige l’une des plus importantes
cliniques privées. Les autres femmes médecins, toutes diplômées de la
Faculté de Médecine de Port-au-Prince, sont :
Dr. Yolande Thomas LEROY (1941) qui s'est aussi spécialisée en
gynécologie aux États-Unis et en France. Elle poursuit en ce moment
des études supérieures à l'Université de Chicago.
[181]
Dr. Lucie Paultre-SAJOUS (1945) est chirurgien des hôpitaux.
Dr. Irmgart GOLDENBERG ZAGUERY (1948) s'est spéciali-
sée en pédiatrie pendant dix ans au Canada. Elle est ce moment la col-
laboratrice du Dr. SYLVAIN.
Dr. Edith Dreyfuss-HUDICOURT (1951) médecin des hôpitaux
a obtenu récemment une bourse de perfectionnement aux États-Unis.
Dr. Ghislaine André-RIGAUD (1951), Dr. Rolande Scott-JOLI-
BOIS (1951), Dr. Jacqueline TROUILLOT (1952) et Dr. Odette LA-
FONTANT (1952) ont commencé immédiatement à pratiquer la mé-
decine dès qu'elles ont obtenu leur diplôme. 329
Il y a cinq femmes dentistes, dont la plus célèbre est Dr. Germaine
Monfleury-NERE, professeur à la Faculté de Médecine et d'Art Den-
taire qui dirige aussi une clinique privée.
Parmi les quarante pharmaciennes, trois d'entre elles, Mme Alberta
Vieux-MONTAS, Melle Anette DUNCAN et Mme Daniella Poux-
329 Le nombre des femmes médecins augmente chaque année avec les nouvelles,
promotions. Durant ces trois dernières années sept femmes ont reçu leur di-
plôme. Drs. Numa, Sylvain, Léonie Tribié, Avaline Jocelyn, Jacqueline Riche,
Marie Thérèse Rousseau, Cora jean
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 181

PAILLERE dirigent leur propre pharmacie. Mme Lina Pierre-An-


toine-MOISE est depuis onze ans Professeur à la Faculté de Méde-
cine.
Il y a aussi plusieurs laborantines qui travaillent dans les labora-
toires publics et privés, des sages-femmes et des infirmières.
Mme Aliette Ackmed-VIEUX, chimiste assistant-professeur à
l'Ecole Nationale d'Agriculture, a obtenu récemment un diplôme d'In-
génieur chimiste de l'Université de Paris et poursuit ses études pour le
doctorat.
Nous avons déjà mentionné la contribution de Mmes Suzanne
Comhaire-SYLVAIN, Jeanne SYLVAIN et Madeleine [182] Sylvain-
BOUCHEREAU dans le domaine des sciences sociales.

b) Religion.

La femme est le pilier de l'église catholique qui n'a pas de


membres plus dévouées que les haïtiennes de la grande et petite bour-
geoisie. Les catholiques de cette classe pratiquent leur religion à part
de très rares exceptions. Elles vont régulièrement à la messe et fré-
quentent les sacrements, tandis que les hommes, après leur sortie de
l’école, sont très souvent libres penseurs. 330
C'est ainsi que dans l'enquête de Mme Comhaire-Sylvain, « la ma-
jorité des fillettes (59%) va à la messe du dimanche ; une forte propor-
tion y assiste également en semaine (près de 22%), le reste y va les
jours de fête ou appartient à une autre religion. 331
Un certain nombre de jeunes filles entrent dans les ordres religieux
établis en Haïti. Les familles n'accueillent pas ordinairement avec
plaisir la nouvelle de la vocation religieuse de leurs enfants. Pourtant
ces dernières années, le nombre des religieuses a augmenté, mais il ne
constitue qu'une infime minorité. Il y a deux ordres indigènes ; les haï-
tiennes entrent aussi dans les ordres dirigés par des françaises et des
belges.

330 Bien que la plupart du temps ils tiennent à la religion même s'ils ne la pra-
tiquent pas et y reviennent au moment de la mort.
331 Comhaire-Sylvain, Suzanne. « Ce que… » renseignements inédits.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 182

Dans les bourgs et les communautés rurales presque toutes les


femmes sont aussi catholiques. Parmi celles qui ont participé à notre
enquête, 212 sur 230 femmes et 307 sur 367 fillettes. La majorité :
122 sur 230 femmes et 225 sur 367 fille tes prétendent aller régulière-
ment à la messe quand il y en a dans la communauté. Presque toutes
les femmes ont baptisé tous les enfants, pourtant seulement 150 sur
230 ont fait leur première communion. Ceci est très souvent dû au
manque d'instruction religieuse, c'est pourquoi nous constatons une
plus forte proportion de femmes ayant fait leur [183] première com-
munion dans les bourgs ou il y a ordinairement une église et un
prêtre. 332
Le prêtre catholique jouit d'une grande autorité dans les villes et les
bourgs. Son pouvoir s'exerce parfois arbitrairement particulièrement
sur les femmes, qui n'osent pas lui désobéir.
À cause du manque d'instruction religieuse, les paysannes et les
femmes du peuple mélangent très souvent la religion catholique et les
pratiques vaudouesques et sont très attachées aux deux.
La femme aussi bien que l'homme peut être prête du vaudou ou
initiée et elle est aussi souvent possédée par les « loas », esprits ances-
traux durant les cérémonies.
Les prêtres et prêtresses du vaudou « houngan » et « mambo » ont
un rôle très important dans la communauté paysanne et jouissent d'un
grand pouvoir. Les « houmsis » prêtresses-servantes les assistent dans
les cérémonies. Les « houmfort » temples du vaudou constituent un
patrimoine familial et les pouvoirs du grand-prêtre sont transmis d'une
génération à l'autre. Un houngan qui se sent mourir ou devenir vieux
désigne comme successeur, un fils, une fille ou un membre de la fa-
mille. Il semble qu'obligation est faite à celui qui a été désigné de
prendre charge de la succession. Si celui-là n'était pas houngan, il
convoque un conseil de famille qui choisit un houngan à qui la maison
est confiée. Celui qui a été désigné devient président de société jusqu'à
ce qu'il soit houngan lui-même, s'il le désire. 333
Le houmfort est administré par une Société composée de digni-
taires des deux sexes.

332 Appendice I, Tableaux No. 6 et 7.


333 Maximilien Louis, « Le voudou… » op. cit, p.26
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 183

Ordinairement, la femme du houngan collabore avec lui et est éle-


vé la plupart du temps au grade de mambo. Elle préside les cérémo-
nies et invoque aussi les dieux. 334
Nous ne nous étendrons pas sur ce sujet qui a été l'objet de nom-
breuses discussions. 335

334 Ibid.
335 Ibid et Herskovits « Life » op. cit., chap 8 -14
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 184

[184]

Haïti et ses femmes.


Une étude d’évolution culturelle.
Deuxième partie : La femme dans la famille,
la société et l’économie haïtienne

Chapitre III
CYCLE DE VIE

1. ENFANCE

Retour à la table des matières

Dans la bourgeoisie comme dans le peuple, les enfants constituent


le but principal du mariage. Une femme qui, un an après son mariage
n'a pas encore d'enfant, commencera à s'inquiéter et aura recours aux
bons offices du médecin ou du « bocor » suivant sa classe sociale. Des
neuvaines seront faites aux saints pour implorer leur aide en vue d'ob-
tenir un enfant. Les paysannes et les femmes du peuple auront recours
aux prêtres du vaudou afin de savoir si ce retard ne provient pas d'un
mauvais sort ou d'un mal caché.
Dès le début de la grossesse, la femme, particulièrement celle de la
bourgeoisie, prend les plus grandes précautions et consacre la majeure
partie de son temps aux préparatifs de la naissance, confection de
layette et autres : Elle se fait examiner et soigner par un médecin ou
une sage-femme diplômée. La paysanne et la femme du peuple conti-
nuent à vaquer à leurs occupations, parfois jusqu'à la dernière minute.
En ce moment, les femmes de la petite bourgeoisie et du peuple com-
mencent à fréquenter les cliniques, des maternités des différents hôpi-
taux, dès qu'elles s'aperçoivent; qu'elles sont enceintes. Elles y sont
soignées gratuitement et le traitement des maladies vénériennes per-
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 185

met de diminuer en grande partie la mortalité infantile. Le pourcen-


tage de mortalité infantile parmi 2,487 femmes ayant accouché à l'Hô-
pital Général pendant l'année 1939-40 s'élevait à 26% y corn pris la
morti-natalité. Seule une infime minorité de paysannes bénéficie de;
services de l'hôpital, généralement l'accouchement [185] se fait à do-
micile et la mortalité infantile et maternelle est beaucoup plus élevée
et comparable à celle que nous avons constatée dans les résultats de
notre enquête, parmi 230 femmes des bourgs et districts ruraux, soit
environ un total de 418 enfants morts sur 1.478 enfants nés vivants ou
29% non compris la morti-natalité.

a) Bourgeoisie

Les femmes de la bourgeoisie sont généralement soignées par un


médecin ou une sage-femme diplômée, qui présida à l'accouchement.
En ce moment de plus en plus, les femmes aisées ont recours aux
soins d'un spécialiste en obstétrique dès les premiers mois de la gesta-
tion, surtout pour le premier bébé. Un spécialiste demande un salaire
de trois cent à sept cent cinquante gourdes pour un accouchement, y
compris le traitement pendant la grossesse et après la naissance. La
sage-femme se contente d'un salaire de cent cinquante gourdes. Les
frais d'hôpital varient de cent cinquante à trois cent gourdes.
Les sages-femmes font les accouchements à domicile ; les méde-
cins préfèrent en général faire accoucher leurs clientes en milieu hos-
pitalier.
Quand l'accouchement doit avoir lieu à domicile, le médecin ou la
sage-femme remet une liste à la famille, contenant tout ce dont on
aura besoin pour l'accouchement.
Le jour de la naissance, dès les premières douleurs, en même
temps que le praticien, on fait chercher les personnes âgées de la fa-
mille : mère, belle-mère, tante ou voisine, qui assistent généralement à
l'accouchement. Les jeunes filles et les enfants ne pénètrent dans la
chambre qu'après la naissance. L'accouchée est l'objet de la sollici-
tude, générale. Elle reçoit beaucoup de fleurs et de cadeaux et tous ses
parents et ses amis viennent la voir. Pour recevoir ces visites, elle a
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 186

préparé un trousseau de beaux draps et des chemises de nuit brodées.


Le bébé est aussi vêtu de jolies robes brodées.
À la maison ou à l'hôpital, il y a toujours constamment quelqu'un
au chevet de la nouvelle maman.
Le bébé est l'objet d'une attention continuelle, une infirmière [186]
ou une parente s'occupe d'exécuter les prescriptions du médecin ou de
la sage-femme et préside au bain et à la toilette du nouveau-né jusqu'à
ce que la mère se lève. Depuis quelques années on pratique le « lever
précoce » ; dès le deuxième ou le troisième jour, la mère commence à
faire des exercices et après six ou sept jours, elle est déjà debout et re-
tourne chez elle après huit ou neuf jours.
On baptise l'enfant ordinairement le premier mois. Les parrains et
marraines sont choisis à l'avance parmi les parents ou amis de la fa-
mille. C'est une marque de confiance et un honneur que d'être choisi
pour baptiser un enfant.
La marraine doit offrir la robe et tout ce que le bébé porte le jour
du baptême ; elle doit aussi donner un cadeau à la mère, le parrain
offre un cadeau à la mère et à sa commère et les rafraichissements
pour la réception. Les parrains et marraines devront désormais faire
régulièrement des cadeaux à l'enfant et s'intéresser à lui quand ils sont
riches, ils lui feront parfois un legs. Le père et la mère, le parrain et la
marraine se donnent mutuellement les titres de « compère » et de
« commère »,
La mère allaite ordinairement son enfant jusqu'à 9 mois ou un an et
s'en occupe elle-même, elle le baigne et la cajole. Si la famille est ai-
sée, une bonne est attachée au service exclusif du bébé ou bien, si les
moyens économiques ne le permettent pas, une petite domestique est
spécialement chargée de le promener, et de l'amuser sous le contrôle
vigilant de la mère. Dès l'âge de trois mois, on commence à ajouter
des bouillies à l'allaitement maternel et on introduit progressivement
d'autres aliments solides. La mère haïtienne a tendance à trop alimen-
ter ses poupons. L'idéal est d'avoir, un très gros bébé et l'alimentation
est, le plus souvent, défectueuse. La mère est aussi en général très co-
quette pour lui, spécialement, quand c'est une petite fille. Elle lui
confectionne de jolies robes, lui fait percer les oreilles et la pare de ru-
bans, c'est le centre d'attention de la famille et tous les adultes et les
autres enfants doivent se plier à ses caprices. Le bébé est sevré entre 7
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 187

et 9 mois. Il parle ordinairement très tôt, car chacun s'ingénie à lui ap-
prendre des mots nouveaux. On encourage aussi [187] l'enfant à mar-
cher en le mettant à terre clans un petit parc ou étroitement surveillé
dans une chambre. Dès qu'il commence à marcher, il est toujours suivi
par sa bonne ou par la petite domestique qui veille sur lui ou l'amuse.
L'éducation commence de très bonne heure, parfois, dès la première
semaine, on lui apprend à ne pas réveiller ses parents pendant la nuit
et aussitôt que possible à ne pas mouiller son berceau. Dès qu'il peut
s'asseoir, il est astreint à des stations régulières sur un vase. À deux
ans, il est puni s'il se salit. Il doit obéir à ses parents et à sa bonne. Il
apprend en même temps à parler français avec ses parents et créole
avec les domestiques. À trois ou quatre ans, l'enfant peut ordinaire-
ment s'exprimer dans les deux langues. Dès deux ans, il joue avec les
voisins, s'il n'a pas de frères et sœurs. La petite fille a des poupées et
d'autres jouets. A trois ou quatre ans, quelques enfants sont envoyés à
l'école maternelle, mais la plupart restent à la maison, où leur mère
leur apprend à chanter, à dessiner, leur raconte des histoires. La bonne
les amuse par le récit des contes du pays.
Jusqu'à ce qu'ils aillent à l'école, il n'y a pas beaucoup de différence
entre l'éducation des garçons et des filles. Toutefois, comme nous
l'avons vu, on a commencé à développer le goût de la parure chez la
petite fille, elle est déjà sensible aux rubans et aux jolies robes et elle
consent à demeurer tranquille pendant une coiffure compliquées qui
doit la rendre jolie ; elle imite sa maman en jouant avec ses poupées.
Vers cinq ou six ans, les garçons et les filles sont envoyés à l'école
où ils demeurent ensemble jusqu'à l'âge de sept ou huit ans, toutefois
certains parents envoient leurs fils dès le début dans une école de gar-
çons. Les petites filles commencent parfois très tôt à vouloir attirer
l'attention de leurs petits camarades ; j'ai vu des gamines de quatre et
cinq ans qui se disputaient les faveurs d'un camarade du même âge.
En général, les petites haïtiennes sont passives, dociles et tranquilles,
elles apprennent très tôt à demeurer des heures assises sans bouger à
l'école. Un jour, l'institutrice de la classe maternelle d'une grande
école étant absente, au signal de la cloche, ses élèves, une trentaine de
garçons et de filles de quatre à cinq ans, se rendirent dans la salle de
classe et a [188] tendirent tranquillement sa venue. Quand après un
quart d'heure une autre institutrice arriva, elle les trouva assis en si-
lence à attendre.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 188

La petite bourgeoise joue, pendant ses heures de loisir avec ses


frères et sœurs et avec les petits domestiques, elle étudie ses leçons,
son piano ou d'autres arts d'agrément, elle prend des leçons de danse,
de diction, de peinture, etc.; elle aide sa mère si la famille est nom-
breuse. Le samedi et le dimanche sont deux jours entiers de vacances.
Le samedi est généralement consacré aux visites pour la journée en-
tière chez des parents, aux excusions et aux jeux avec les amis. Le di-
manche on va, le matin, à la messe et à des réunions de famille où l'on
rencontre des cousins et des amis, et l'après-midi au cinéma ou à la
promenade.
La séparation se fait plus profonde entre les sexes, qui fréquent en
ce moment des écoles différentes, ont des jeux et des préoccupations
distincts ; une fille de dix ou douze ans est généralement timide en
présence de garçons du même âge et n'aime pas partager leurs jeux. Ils
se rencontrent, pourtant, dans les réunions mondaines, les bals d'en-
fants, et la fillette s'intéresse de plus en plus à son apparence exté-
rieure.

b) Classe moyenne et prolétariat des villes

La petite citadine pauvre est bien moins choyée que celle de la


bourgeoisie. La mère, tout en la chérissant autant, n'a pas le temps de
la gaver, car elle doit recommencer à travailler peu après la naissance,
dès que son congé de maternité est achevé ou même dès qu'elle peut
se lever, quand elle travaille à la maison. La plupart de ses femmes ac-
couchent en ce moment dans les salles semi-privées ou publiques des
hôpitaux et maternités ; elles bénéficient de meilleurs soins avec un
minimum de dépenses, huit gourdes tous frais compris.
Au début, il a été nécessaire de vaincre les préjugés et les craintes
de la femme du peuple, mais en ce moment, les lits des différences
maternités sont insuffisants pour satisfaire aux nombreuses demandes
et on est obligé de renvoyer les accouchées [189] chez elles avant les
neufs jours préalablement fixé pour leur hospitalisation.
Le baptême a parfois lieu sans cérémonie au moment où la mère
quitte l’hôpital, mais le plus souvent, si les moyens le permettent on
attend un peu afin de pouvoir faire une réception. Les liens qui
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 189

unissent parrains et marraines aux filleuls sont les mêmes que pour la
bourgeoisie. La petite citadine porte parfois des charmes, comme la
petite paysanne et est présentée rituellement aux esprits ancestraux si
ses parents sont des adeptes du vaudou.
L'alimentation est la plupart du temps défectueuse. Très souvent, la
mère est obligée de sevrer son bébé immédiatement, car elle doit re-
commencer à travailler au dehors. Même quand elle allaite l'enfant, à
partir de deux ou trois mois, elle ajoute toutes sortes d'autres aliments
au régime. D'après l'enquête du Dr. Yvonne Sylvain, les affections
gastro-intestinales représentaient 19% du chiffre total des mortalités
survenues à la salle des enfants à l'Hôpital Général, d'Août 1937 à
Août 1938. 336
Grâce à la propagande menée par les maternités, une amélioration
dans la diète alimentaire des nourrissons commence à se faire sentir.
D'autre part, les conditions d'hygiène dans lesquelles vivent les fa-
milles pauvres des villes favorisent la généralisation de parasitisme in-
testinal. « Des examens des matières fécales d'enfants de l'école des
Pupilles de St Antoine, pratiqués il y a trois ans au Laboratoire de pa-
rasitologie de la Faculté de Médecine, avaient permis de trouver par
les méthodes ordinaires plus de 50% de cas positifs. Les procédés
d'enrichissement firent monter ce pourcentage à plus de 80. À peu
près 15% des décès de la salle des enfants pour 1937 38 étaient dus à
l'helminthiase. »337
Quand la mère travaille, le bébé est laissé aux soins d'une parente
ou voisine, parfois celle-ci le néglige, car elle doit s’occuper de son
ménage ou d'autres travaux lucratifs. La [190] petite fille qui a pu,
malgré ces conditions adverses, traverser les dangers de la première
enfance, est placée sous l'égide d'une autre enfant, sa sœur ainée, ou
d'une petite domestique qui prend soin d'elle et l'amuse tout aussi bien
que la petite fille de l'élite. Pourtant les adultes s'occupent moins d'elle
et sa mère consent volontiers à la confier à un autre membre de la fa-
mille qui a un peu plus d'argent et de loisirs. Un grand nombre d'en-
fants de province ou de la campagne sont envoyés à la capitale pour y
faire leur éducation ou y apprendre un métier. Dans ce cas, les enfants
336 Sylvain, Dr. Yvonne, « La mortalité infantile » Voix des Femmes, No. 53, Déc.
1940, pp 8 et 88, Port-au-Prince.
337 Ibid.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 190

sont confiés soit à des parents ou à des parrains ou marraines, ou bien


à des amis ou protecteurs, moyennant une petite redevance en argent
ou en nature, ou bien ils doivent aider aux travaux de la maison, en
vue de couvrir les frais de leur entretien. Lorsque l'enfant appartient à
la même classe sociale que la famille chez laquelle il habite, il est
considéré comme faisant partie de la maison et il est traité en égal par
les autres enfants même s'il doit aider aux soins du ménage. Si une pe-
tite fille est placée dans une famille d'une autre classe sociale, elle est
assimilée à une servante ; elle est traitée en inférieure par les enfants
de la famille, et elle se trouve dépourvue de réelle affection, bien que
parfois elle soit traitée avec bonté et bien entretenue. Dans certains
cas, les petits domestiques sont chargés de besognes trop pénibles
pour leur âge, ils sont maltraités, considérés comme des bêtes de
somme. Parfois nous retrouvons ces petits déracinés à l'hôpital, vic-
times de mauvais traitements. Certains se sauvent pour échapper à la
tyrannie des maitres brutaux et deviennent la proie du vice et du vaga-
bondage. Ces cas sont heureusement rares, car la loi oblige en ce mo-
ment à inscrire ces enfants au Département du Travail, et à leur assu-
rer une existence confortable. La « Ligue de Justice Sociale » s'occupe
aussi du dépistage des enfants maltraités. Généralement, même si l'en-
fant est considéré comme un petit domestique, il n'est pas surchargé
de travail et trouve le temps d'aller à l'école et de s'amuser avec les
autres enfants de la famille ou du voisinage.
La petite fille pauvre aide très tôt sa mère aux soins du ménage,
fait les commissions et ne va pas ordinairement en [191] classe avant
sept ans et souvent dix ou douze ans, à cause des frais que cela repré-
sente. Certains parents pourtant sont heureux de pouvoir envoyer l'en-
fant à l'école depuis quatre ou cinq ans car elle échappe ainsi aux dan-
gers de la rue. D'après l'enquête de Mme Comhaire-Sylvain, l'âge
moyen des élèves du cours préparatoire et enfantin était d'un peu
moins de douze ans. 338 Pourtant, elle constate qu'on ne trouve pas la
différence de deux ans entre chaque cours comme le prétendent les
programmes. Ainsi, elle a trouvé 13 ans comme âge moyen pour le
cours élémentaire, 15 ans pour le cours moyen et 16 ans pour le cours
supérieur. Cela provient d'après elle, d'un changement de milieu intel-
lectuel « les parents de beaucoup d'enfants du cours préparatoire, et
ceci dans presque toutes nos écoles nationales, sont moins évolués que
338 Comhahe-Sylvaln, Suzane, Ce que…., Voix des Femmes, No. 52 op. cit. p. 7.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 191

ceux des enfants du cours élémentaire et ainsi de suite, ils mettent


souvent plus tard leurs enfants à l'école et les y laissent moins long-
temps. 339
D'après Mme Comhaire-Sylvain, « la proportion d'analphabètes
dans la maison croit en descendant l'échelle des cours. Elle est de
15.29% pour les cours moyen et supérieur, et 23.63% pour les élèves
du cours élémentaire et de 30.14% pour les élèves des cours prépara-
toire, enfantin, spécial et mi-temps. 340
Cela tient à ce que les parents désirent généralement donner à leurs
enfants une instruction au moins égale à la leur, mais une fois cette
égalité acquise, ils perdent patience devant la durée des études.
Lorsque le père et la mère sont analphabètes et la famille nombreuse,
il y a des chances pour que les fillettes ne dépassent pas le cours pré-
paratoire. Lorsqu'un seul des parents est analphabète ou que la famille
est restreinte, la fillette arrivera jusqu'au cours élémentaire et si elle
est intelligente, au cours moyen et au certificat Lorsque le père et
mère savent au moins lire et écrire, l'enfant ne quittera pas l'école
avant le cours moyen, et si la [192] maman a suivi le cours moyen, la
fillette suivra le cours supérieurs. Il y a naturellement des exceptions,
des candidates au brevet dont les parents son analphabètes, mais ces
cas sont rares fort heureusement, car ils produisent des déclassés et
brisent l'équilibre de la famille. » 341
L'école urbaine est encore en grande partie traditionnelle et la
fillette doit étudier passivement les leçons qu'elle récite par cœur.
L'éducation manuelle est limitée à l'enseignement de la couture. Mal-
gré cela, la petite haïtienne aime l'école ou elle rencontre des cama-
rades et où le travail est interrompu par des nombreuses récréations.
Les cours durent habituellement de neuf à onze heures et de deux à
quatre heures dans les écoles publiques. Parfois de huit à onze et de
une à quatre dans les écoles privées. La fillette a donc de nombreuses
heures libres. Les enfants en service fréquentent les écoles « mi-
temps » où ils ne doivent se présenter qu'une fois par jour : le matin
ou l'après-midi.

339 Ibid.
340 École « mi-temps » où Ton reçoit les enfants pendant leurs périodes de liber-
té, le matin ou l’après-midi.
341 Comhaire-Sylvain, Suzanne, Ce que…, op. cit., pp. 9, 11,
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 192

La petite fille de la classe moyenne et du peuple ne consacre pas


ses loisirs uniquement aux jeux et aux distractions : « Les enfants les
plus pauvres aident généralement à la confection du repas de famille
le soir et les jours de congé, surtout lorsqu'il s'agit des ainées. Presque
toutes, même celles de familles plus aisées, mettent le couvert, servent
et desservent quand il n'y a pas de serviteurs et une bonne majorité
s'intéresse à la confection de petits plats et de desserts. Presque toutes
les petites filles cousent un peu : raccommodage facile, robes de pou-
pée, ourlets pour aider la maman ou la grande sœur, boutons à placer,
ceinture à poser etc. Une grande majorité s'occupe aussi le samedi de
petits travaux de lessive et de repassage. On donne aussi un petit coup
de balai dans la maison, pas dans la cour ; le samedi on fait la chasse
aux insectes... et à toutes les bêtes nuisibles. Tous les jours, on s'oc-
cupe des petits frères et sœurs en bas âge lorsqu'on revient de l'école,
on les baigne, on les habille, on les porte, on les promène, on les
amuse. Dans certaines familles, on prépare le lait ou la bouillie du bé-
bé.
Tout cela, ce sont des distractions qui s'apparentent de [193] très
près au travail, qui ne s'en différencient en somme que par le fait
qu'elles sont volontaires et non imposées. H en est d'autres qui s'en
éloignent beaucoup plus, ce sont les jeux ; saut à la corde, ronde,
cache-cache, course, marelle, points cardinaux, foot-ball, ballon ont
aussi des partisans et même le saut de mouton chez les plus petites.
Jeux tranquilles, osselets, jeux avec les ficelles, on joue à la mar-
chande à la poupée ou à la maman avec un bébé en "chair et en os.
Certaines petites fillettes aiment beaucoup les jeux dits de garçon,
comme les billes et le cerf-volant. Puis vient une série de jeux où l'on
admet parfois les grandes personnes : les cartes, les dames, le ludo, pi-
noche, raconter des contes, l'école, la première communion, le bord de
l'eau la maison etc. Les petites fillettes adorent chanter et certaines se
vantent de connaître des centaines de chansons... elles danse aussi. La
fréquence avec laquelle elles se rendent à des réunions dépend de leur
âge et de leur quartier... Certaines se, déguisent pour le mardi-gras,
mais, en général, il y a répugnance à l'avouer, c'est considéré de mau-
vais ton, surtout chez les plus pauvres. Beaucoup d'enfants renient
également les veillées, cela ressemble trop aux « moun'morn' » (pay-
san) ; presque toutes se rappellent avoir assisté à des premières com-
munions, des baptêmes, à un mariage au moins. La grande majorité
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 193

des enfants dont nous nous occupons vont au cinéma une fois par an,
cinéma gratis le 1er ou le 2 janvier ; quelques-unes y vont tous les
mois et un tout petit nombre, tous les dimanches. Il y a encore cepen-
dant beaucoup d'enfants qui ne se rappellent avoir été au cinéma
qu'une ou deux fois, et trop d'enfant qui ne savent pas ce que c'est. »

« Les petites Port-au-Princiennes sont éminemment ; sociables, les


riches comme les pauvres et aiment la compagnie des amies. Elles lisent
peu. Il y a d'abord la fameuse question du créole. Le problème est cepen-
dant" résolu à partir du cours moyen ; les enfants ont un vocabulaire fran-
çais suffisant pour s'intéresser à de petits journaux ou à des livres, écrits
pour enfants de leur âge mais ils ont déjà pris d'autres habitudes. Il y a
aussi la question argent. Les petites filles qui nous intéressent pour le mo-
ment, appartiennent à [194] l’élément besogneux de la nation, certaines ne
mangent pas à leur faim. » 342

c) Classe paysanne.

Bien que la paysanne continue à vaquer à ses occupations jusqu'au


dernier moment et parfois accouche de son enfant au bord de la route,
surprise par les douleurs durant le trajet pour se rendre au marché, dès
le moment de la conception, elle a commencé à se préparer à la venue
de son bébé et à le protéger dans la mesure du possible. Les différents
rites religieux ont été accomplis, le prêtre du vaudou et les vieilles
femmes de la famille ont été consultés. Elle porte souvent un charme
pour se protéger ainsi que son enfant contre le mauvais œil. Quand
l'époque de la délivrance approche, elle fait des offrandes aux esprits
ancestraux. Les paysannes résidant à proximité des villes peuvent se
faire admettre dans les maternités des hôpitaux, mais comme nous
l'avons vu, le nombre des lits étant insuffisant, elles ne peuvent pas
toutes bénéficier d'un pareil traitement. Les cliniques et les dispen-
saires ruraux n'ont pas de maternités ni de service spécial d'accouche-
ment à domicile. Il n'y a pas de sages-femmes diplômées à la disposi-
342 Comhaire-Sylvain, Suzanne. « Les loisirs des fillettes de Port-au-Prince »
Voix des Femmes, Vol. V, No. 46, pp. 3, 4 et 10
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 194

tion des populations rurales. Dans les bourgs et les districts ruraux, on
doit, le plus souvent, se contenter des services des matrones, guidées
seulement par l'expérience et qui opèrent presque toujours dans des
conditions d'hygiène déplorables. Heureusement, la construction de
dispensaires-hôpitaux dans les bourgs améliorera bientôt la situation,
car les paysannes pourront y accoucher dans de meilleures conditions.
Les pauvres bébés se ressentent de l'ignorance des mères et de l'ab-
sence d'assistance médicale adéquate. 74.97% des femmes faisant par-
tie de notre enquête, avaient perdu une moyenne de 2,62 enfants par
famille, sur 6,62 soit 39% et à peu près la moitié des enfants (44%)
avaient succombé pendant la première année.343
[195]
Dans l'enquête de Melle Jeanne Sylvain sur la région de Marbial,
des renseignements reçus de 27 familles de Cochon Gras, il résulte
que des 163 enfants nés de ces familles, 61 sont morts en bas âge, soit
une mortalité de 38.42 % laissant une moyenne de 3 enfants vivants
par famille. 344
Comme nous l'avons vu, les paysannes peuvent se faire soigner
dans les cliniques rurales, s'il y en a dans le voisinage. Notre enquête
montre que seulement 71 femmes sur 597 ont déclaré être entièrement
dépourvues d'assistance médicale.
Il est vrai que 109 se contentent des services du « bocor » et que 68
s'adressent tantôt au « bocor, tantôt au médecin et tantôt à l'hôpital.
Enfin, 306 prétendent n'avoir recours qu'aux services du médecin ou
de l'hôpital. 345
Toutefois, il convient de remarquer que ces enquêtes, ayant été
faites avec l'aide des institutrices qui mènent une campagne active
contre le bocor et les superstitions, fait socialement réprouvé par
l'école, il est naturel de supposer qu'un grand nombre de femmes et de
jeunes filles n'ont pas voulu avouer qu'elles avaient parfois recours
aux services du bocor. Il est évident que dans un grand nombre de
communautés rurales, le bocor est la seule source médicale à laquelle
tous sont obligés de faire appel. Et que même là où le médecin, les

343 Voir Appendice I, table 13 et 14 p. 8a et 94.


344 Sylvain, Jeanne G. L'enfance » op. cit., p. 88.
345 Appendice II. Table No. 14 p. 9 a.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 195

dispensaires et les hôpitaux lui font concurrence, la grande majorité


des paysans et des citadins du peuple y ont recours toutes les fois
qu'ils pensent avoir affaire à une maladie « « surnaturelle », c'est-à-
dire causée pair la magie, et il convient de noter que le paysan est tou-
jours porté à donner une cause surnaturelle à n'importe quel symp-
tômes. Cependant, les maladies, survenant brusquement, les crises
nerveuses, les maladies mentales, sont fréquemment indiquées comme
appartenant à la classe surnaturelle, qui doivent être traitées par des
moyens-magiques. Toutefois, petit à petit, surtout dans les villes, l'in-
fluence des hôpitaux se fait sentir.
Melle Sylvain décrit un accouchement à Marbial, tel qu'elle [196]
l’a observé au cours de son enquête ethnographique : « Tout se passe
très simplement. Les enfants restent à la maison, les ainés aident la
grand'mère à la préparation de tout ce qui peut être nécessaire en la
circonstance, activant le feu, faisant chauffer Peau, lessivant, prépa-
rant le repas, prenant soin des petits, etc. Le mari ou un frère maintient
la femme et assiste l'accoucheuse. On a arrangé une petite chaise sur
laquelle la femme pourra s'asseoir pour donner naissance à l’enfant,
autrement elle restera debout. La paire de ciseaux ou la lame de rasoir,
avec laquelle on coupera le cordon est flambé (tout au moins dans la
vallée où l’influence de la ville est plus sensible). Après avoir coupé,
l’accoucheuse cicatrise avec un fer chaud. Le ventre du bébé est enve-
loppé d'une bande de toile. Ce n'est qu'après la naissance que la gran-
d'mère et les enfants sont appelés dans la chambre pour admirer le
nouveau-né.

« Après la délivrance, le placenta est enterré dans la case (afin que per-
sonne ne puisse s'emparer dans un but magique) et du feu est maintenu au-
dessus de l'emplacement. Les ciseaux sont placés sous la tête de la mère.
Ces deux mesures, selon la croyance populaire, assurent la chute rapide et
sans complication du cordon. Quand celui-ci tombe, on l'enterre et on
plante une arbre dessus, souvent un bananier, qu'on fera voir plus tard à
l’enfant, en lui disant que c'est son arbre. »
« Le bébé, après avoir été baigné par l’accoucheuse, est vêtu d'une pe-
tite robe courte de cotonnade, sa tête est étroitement emprisonnée dans un
bonnet, le bas de son corps est enveloppé dans une serviette ou un linge.
Puis il est disposé près de sa mère sur le lit ou la natte. Pendant une pé-
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 196

riode, qui varie selon les familles, il couchera seul avec elle. Dans cer-
taines maisons on place près de lui une bouteille emmitouflée, afin de
tromper la sorcière qui lui voudrait du mal. »
« La mère se bouche les oreilles avec du coton, elle ne doit rien man-
ger de « froid » (par exemple coco, avocat, corrosol), ni rien de blanc (ex-
cepté le lait), durant cinq mois. Elle boit des tisanes pendant trois jours et,
ensuite de l’eau tiède au soleil. Même dans les familles les plus pauvres,
on se [197] procure un poulet, qui lui sera offert sitôt après l'accouche-
ment.
« Pendant les premiers jours, la mère et l'enfant gardent la maison. En
attendant la montée du lait, et pour débarrasser le bébé des mucosités qui
l'empêcheraient de bien digérer (car le dedans du corps de la mère est sale,
et par conséquent celui de l’enfant aussi), on lui administre une purge.
« L'accoucheuse vient, chaque matin, pendant une semaine, baigner
l’enfant et prendre soin de la mère. Il faut toujours qu'un membre de la fa-
mille soit présent quand elle arrive, prêt à l'assister. Sa tâche n'est pas ter-
minée tant qu'elle n'a pas présidé à la sortie de l’enfant le septième jour, en
faisant des cérémonies pour le protéger des loups-garous. » 346

Parfois, pourtant, pour économiser le salaire de la sage-femme, et


surtout si ce n'est pas le premier enfant, les paysannes accouchent
seules ou avec l'aide de leur mari, pour couper le cordon.
À Marbial et dans la plupart des régions du pays, les matrones se
rangent en deux catégories : « les unes appelées fanm chaj ou akou-
chez (sages-femmes, accoucheuses) sont des matrones spécialisées,
elles sont réputées moins habiles que les autres, les dokté féy (doc-
teurs feuilles) qui soignent toutes sortes de maladies à l'aide de
feuilles et d'un petit nombre de produits pharmaceutiques à bon mar-
ché. Les hommes peuvent être dokté féy aussi bien que les femmes,
mais ils sont rarement appelés quand il s'agit d'un accouchement nor-
mal, tandis que leurs collègues féminines sont parfois très normal, tan-
dis vvé , prpiéé,' ouueee ('Uirejsen) une, qui se flattait d'avoir à son
actif sept-cent-quatre vingt quinze accouchements 347.

346 Sylvan, Jeanne. “L’enfance….” Op. cit., pp. 88, 90.


347 Ibid, p. 90.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 197

En cas de complications, une fam-chay aura recours à un dokté féy.


Leur tarif varie d'après la région et est ordinairement proportionné à la
capacité des clients. Par exemple, il est à Kenscoff de dix à deux
gourdes et à Marbial de quatre [198] gourdes pour un paysan aisé à
une gourde et même trente centimes pour les pauvres. »
Comme au Dahomey, la naissance des jumeaux, a une significa-
tion, particulière, les jumeaux ou « marassas » et l’enfant qui les suit
possèdent un pouvoir occulte, inné aux yeux des paysans, et ils ont
une place spéciale dans le rituel du vodou.
Immédiatement, après la naissance, on prend les plus grandes pré-
cautions pour protéger l'enfant contre les mauvais sorts ; d'abord un
cordon, retenant un petit sac de toile, qui renferme des produits ma-
giques, est passé à son cou afin de le préserver contre la magie, puis il
est ordinairement présenté rituellement aux « loas ». Dans certaines
régions on lui façonne la tête, comme le font quelques peuplades afri-
caines, entre autres les Ibos de l'Afrique Occidentale. 348 L'enfant est
toujours allaité au sein, le plus souvent, la mère recommence à vaquer
à ses occupations trois ou quatre jours après l’accouchement ou même
plus tôt si elle n'a personne pour l’aider. Parfois une semaine après
elle doit transporter l’eau de la rivière à sa maison. Dans ce cas, elle
prend la précaution de ne pas se baisser ou se mouiller les pieds, habi-
tuellement toutefois, elle attend quinze ou vingt jours avant de faire ce
travail, et de reprendre sa place au marché. À Marbial, ni elle, ni le bé-
bé ne vont à la rivière avant un ou deux mois. 349 Dans quelques com-
munautés, comme Kenscoff, après huit ou quinze jours, elle recom-
mence à travailler au jardin, à Mirebalais, elle ne le fait que deux mois
plus tard.
Dès l’âge de trois mois, parfois même avant, le bébé commence à
partager les repas de sa mère, celle-ci lui fait ingurgiter des aliments
qu'il est absolument incapable de digérer. Parfois, elle mâche la nour-
riture avant de la lui donner, ce qui facilite la digestion. Cette alimen-
tation défectueuse est l'une des causes de la mortalité infantile, si éle-
vée dans les campagnes.
L'enfant apprend à s'asseoir à trois ou quatre mois. À dix [199]
mois il commence à marcher, ordinairement sous l'égide d'une sœur
348 Talbot, P.A., The Peoples on Southern Nigeria, Vol. II, p. 356.
349 Sylvain Jeanne, « L’Enfance….», op. cit., p 89.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 198

ou d'un frère ainé, qui est désormais le gardien officiel « gardô ». Le


bébé n'est jamais abandonné à lui-même la mère l'emporte le plus sou-
vent avec elle ou, si elle doit s'absenter, la jeune « gardô » le surveille
et l'amuse. De plus, la plupart du temps, une voisine ou une vieille pa-
rente est chargée de jeter un coup d'œil sur les enfants.
Ordinairement, la « gardô » s'occupe complètement du bébé pen-
dant la journée, lui prépare son lait, son maïs, le lave, le baigne, fait sa
petite lessive, l'amuse. La responsabilité de l’ainée est souvent très pé-
nible dans nos mornes et elle n'ira à l’école que si la mère s'arrête as-
sez tôt d'avoir des enfants. S'il n'y a pas de filles parmi les ainés, un
petit garçon sert de « gardô. » Pour faire cesser cet état de choses, on a
annexé des crèches à une vingtaine d'écoles rurales, où les mères
peuvent déposer leurs bébés pendant la journée, permettant ainsi au
« gardô » d'aller à l’école.
L'éducation du bébé commence de bonne heure, dès la deuxième
année, il apprend à ne pas s'approcher du feu, à ne pas se mettre des
choses dans la bouche et à contrôler ses fonctions urinaires ; à deux
ans, un enfant qui mouille sa natte est battu. 350
La petite fille est ordinairement baptisée un ou deux mois après la
naissance, à moins que la communauté ne soit éloignée d'un village où
il y a un prêtre résidant. Dans ce cas, l'on attend la venue du prêtre qui
pendant sa tournée annuelle, baptisera tous les enfants nés depuis sa
dernière visite. Le baptême, événement important dans les campagnes
comme à la ville, est très souvent l'occasion d'une fête. Les parrains et
marraines joueront aussi un rôle dans la vie de l'enfant. Ils sont désor-
mais considérés comme des parents, ils prennent souvent leur filleul
chez eux, l'élèvent et remplacent au besoin les père et mère. En tous
cas, ils doivent être toujours prêts à l'aider en cas de besoin. Celui-ci a
aussi des devoirs envers eux ; il doit être soumis et obéissant, et en cas
de décès, il doit porter leur deuil et faire chanter des messes pour le
repos de leur âme. La parenté [200] s'étend à toute la famille spiri-
tuelle : À la campagne bien souvent, une paysanne ne fait pas de dis-
tinction entre ses frères et sœurs spirituels et naturels. Les divers
filleuls d'un même parrain et d'une marraine sont aussi frères et sœurs
des enfants de leur parrain et marraine. « Cette parenté spirituelle est
fortement sentie. Elle comporte un tabou sexuel. L'union d'un parrain

350 Herkovits, op. cit., pp. 96, 97


Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 199

et de sa filleule est nettement considérée comme incestueuse, de


même celle d'un frère et d'une sœur de baptême est inconcevable. »
« La croyance populaire veut que les âmes des enfants morts sans
baptême errent éternellement sur terre, sans jamais, pouvoir accéder
au ciel. Elles sont bossales (sauvages) et sans espoir.
Dans l'autre monde, les baptisés sont attachés à leurs parrains et
marraines, ainsi que dans la vie, ils l'ont été à leurs père et mère. 351
Au moment du baptême, l'enfant est aussi inscrit sur les registres
de l'état civil en qualité d'enfant légitime, si ses parents sont mariés,
ou d’enfant naturel, si ses parents vivent en union libre. C'est ordinai-
rement le père qui paie l'acte de naissance et le parrain supporte les
frais d'église et de réception ; il envoie des bonbons, des rafraîchisse-
ments et un cadeau à la mère et à sa commère. La marraine donne une
layette au bébé comprenant une belle robe longue de baptême. Au mo-
ment de lui passer la robe de baptême, on enlève le sac et le cordon
pour les remettre en place après la cérémonie.
On reçoit la famille pendant la journée et le soir, on organise une
petite danse, la première à laquelle assistera l'enfant.
Après le baptême, l'enfant est ordinairement présenté aussi aux es-
prits ancestraux dans une cérémonie. Il sera allaité par sa mère jusqu'à
dix-huit mois ou deux ans, mais il sera parfois sevré plus tôt, si sa
mère attend un autre bébé, ce qui arrive assez souvent, particulière-
ment dans les villes, car la mère recommence à avoir des rapports
avec son mari après deux ou trois mois, parfois même avant. « Le se-
vrage se fait [201] en un jour ou deux. Le jour choisi, une plante appe-
lée la loi est étendue sur le sein de la mère et quand l'enfant demande
le sein et le refuse à cause du goût amer, on lui offre sa nourriture pré-
férée en remplacement. Cette méthode est si efficace, qu'ordinaire-
ment un jour suffit. Comme précaution supplémentaire, le bébé ne
dort pas avec sa mère pendant trois ou quatre nuits après été sevré,
afin qu'il ne puisse pas prendre le sein pendant la nuit. 352
Bien que la mère paysanne soit aussi attachée à ses enfants que
celle de la bourgeoisie, sa tendresse est beaucoup plus calme, ses oc-
cupations d'ailleurs ne lui permettent pas de passer des heures à cajo-

351 Sylvain Jeanne, op. cit., 95, 96.


352 Herskovits, op. cit., p. 99.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 200

ler ses bébés. Par contre, le père, même polygame, est beaucoup plus
proche de ses bébés, car il en assume souvent la charge, quand la mère
s'absente. Les femmes sont patientes et bienveillantes envers les petits
enfants. La tendresse des mères est calme et sans effusion.
Jusqu'à l'âge de quatre ans, l'enfant est ordinairement laissé libre de
faire ce qui lui plait, sous la vigilance de son « gardô » qui ne le quitte
pas pendant les premières années. Dès l'âge de cinq ans, l'enfant ac-
compagne sa mère ou ses ainés, quand ils vont chercher l'eau, fait des
petites commissions, aide au ménage, commence à balayer la cour et à
s'occuper de rassembler les bûches et à activer le feu.
Bientôt, il commence à y avoir une différenciation entre les sexes :
les jeux et les occupations ne sont plus tout à fait les mêmes et les gar-
çons coucheront bientôt d'un côté et les filles de l'autre.
Les petites filles font des pâtés de terre, jouent à la poupée avec
des poupées de chiffon confectionnées par leurs sœurs ainées ou ache-
tées au marché ; elles s’amusent à écouter les contes, à chanter les re-
frains des chansons populaires et accompagnent bien souvent leur
mère au marché ou au jardin, dès l'âge de six ou sept ans. Très tôt, la
mère leur donne quelques articles à vendre dont le bénéfice leur re-
viendra bien souvent en propre. À sept ou huit ans, une petite mar-
chande sait déjà très bien calculer le prix de ses produits et reconnaitre
la valeur de la monnaie. Elle fait [202] aussi les commissions pour sa
mère et sait très bien acheter, même si elle n'est pas marchande ; dans
les bourgs, toutes les petites filles servent de commissionnaire. Dans
notre enquête, 63% des fillettes des bourgs et 82% des fillettes des
communautés rurales se livraient à des activités commerciales. Parmi
elles, 44% des fillettes des bourgs et 34% des fillettes rurales dispo-
saient du produit des ventes.353 Elles ont aussi souvent la garde des ani-
maux ; pour les y intéresser on leur donne en toute propriété une par-
tie des portées issues de leur élevage ; elles doivent aussi allumer le
feu, transporter le bois et faire la corvée d'eau.354
Dans notre enquête, dans les bourgs 46% des fillettes interrogées
s'occupaient des animaux domestiques, 74% transportaient l'eau et

353 Appendice I, Table No. 24 p. 18 a.


354 Comhaire-Sylvain, Suzanne et Jean. « Loisirs et Divertissements dans la ré-
gion de Kenskoff, Haïti p. 3 Bruxelles 1938.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 201

32% le bois. Dans les campagnes, 66% s'occupaient des animaux do-
mestiques, 74% transportaient l'eau et le bois.355
Les petites filles accompagnent aussi leur mère aux champs, ce-
pendant, ce genre de travail est plus répandu parmi les petits garçons.
Pourtant, nous ayons, constaté au cours de notre enquête que 43% des
fillettes des bourgs et 64,8% de celles des communautés rurales ai-
daient leur mère aux travaux agricoles. En général à partir de six ou
sept ans, elles participent à toutes les occupations de leur mère en pre-
nant de plus en plus de responsabilité au fur et à mesure qu'elles gran-
dissent. Dans notre enquête, nous avons constaté que les occupations
des femmes et' des fillettes sont les mêmes. La fillette apprend ainsi
son métier de femme, elle s'exerce à coudre, à cuisiner, à laver, à re-
passer et à prendre soin de ses petits frères et sœurs. C'est elle qui les
baigne et prépare leurs repas. Dans les bourgs, parmi les fillettes inter-
rogées, 90% aidaient à la lessive, 95% au ménage, 79% à la cuisine,
79% prenaient soin des bébés, près de 49% cousaient les vêtements de
la famille. Dans les campagnes, 93% aidaient à la lessive, 93% au mé-
nage et 82% à la cuisine, [203] 79% prenaient soin des bébés et 44%
cousaient les vêtements de la famille. 356
La petite fille participe aussi aux veillées et aux danses et l'une de
ses distractions préférées est l'audition des contes populaires, dans les-
quelles les traditions et la morale du groupe se trouvent condensées.
Dans notre enquête, parmi 367 fillettes des bourgs et des districts ru-
raux, 313 connaissaient des contes et en racontaient, 215 dansaient et
109 allaient dans les veillées. Leurs distractions favorites étaient les
jeux pour 226, les contes pour 55, la promenade pour 55, les danses
pour 30. Toutefois, il se peut que les enfants aient eu honte d'avouer
cette dernière distraction à leur institutrice, à cause de la mauvaise ré-
putation des danses de vaudou à l'école.
La couture et le chant furent aussi considérés comme des distrac-
tions par beaucoup de fillettes des districts ruraux, respectivement 25
et 30. La lecture était la distraction favorite seulement de 22 fillettes,
355 Appendice I, Table No. 24 p. 18 a.
356 Appendice I, Table No, 24.
En enseignant la puériculture dans une école rurale, j'ai été étonné de
constater que les petites paysannes étaient aussi habiles que leurs mères :
elles étaient déjà au courant de toutes les traditions et pratiques de leur
groupe et il suffisait de suppléer à l'insuffisance de l'éducation coutumière.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 202

bien que 237 prétendent lire. Il n'y a rien d'étonnant à cela, car on ne
peut trouver aucun livre intéressant dans les communautés rurales, en
dehors des livres classiques. 357
La séparation des sexes dans les jeux commence d'assez bonne
heure, vers sept ou huit ans, quelquefois plus tôt. Suivant la région, les
enfants jouent en groupes d'une même famille ou d'une même habita-
tion, ou en réunions plus nombreuses, comprenant tous les enfants de
la communauté. Comme nous l'avons vu, les jeux occupent une place
privilégiée, dans les distractions de la petite paysanne, jeux tranquilles
pour la plupart : poupée, fabrication de robes, maison de poupée,
confection de petits objets en roseau, jonc, liane et de paniers, sifflets
ou de petites nattes, rondes, jeux de courses, [204]jeux enseignés à
l'école et importés de la ville, se rapprochant de ceux des petites cita-
dines. 358
S'il y a une école de filles dans la communauté et que les parents
puissent faire la dépense d'une robe convenable et de sandales, l'enfant
y est envoyée parfois depuis l'âge de cinq ou six ans dans les bourgs,
généralement plus tard à la campagne, car l'école est souvent trop éloi-
gnée et la fillette ne peut s'y rendre sans fatigue avant dix ou douze
ans, et du reste, ses services sont parfois indispensables à la maison.
Elle ne passe souvent que deux ou trois ans à l'école quoique certaines
y restent huit à dix ans, surtout dans les bourgs. Un très faible pour-
centage des élèves, inscrites dans les écoles rurales de filles atteint la
classe intermédiaire II (4ème année) et la classe avancée (5ème et
6ème année) la grande majorité est inscrite dans les trois premières
années. 359
Dans notre enquête, 73 % des élèves des communautés rurales
étaient inscrites dans les classes commençantes. À l'école rurale l'en-
fant reçoit une instruction classique, agricole et ménagère
La discipline familiale est stricte ; une enfant qui désobéit ou
manque de respect aux personnes âgées de la famille est sévèrement
fouettée. 360
357 Appendice I, Tables nos 25, 26, 27.
358 Comhaire-Sylvain, « loisirs etc… op. cit. pp. 10, 11, 12.
359 Voir Appendice I Tables 10 et 11, p. 6. a. Environ 75% des élèves des
écoles rurales sont inseres dans la classe commercante.
360 Herskovits op. cit., p.100.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 203

« Il est rare, dit Jeanne Sylvain, que des pères soient cruels dans les
châtiments infligés à leurs enfants. Les coups, taloches et le refus de parler
au coupable, sont les seules punitions que nous ayons notées dans les fa-
milles. »

Les enfants sont punis pour désobéissance aux ordres qui leur sont
intimés en particulier au sujet des travaux qui leur incombent, pour
impertinence et manquement aux bonnes manières... On les bat quand
ils font du « désordre », qu'ils se battent, crient, brisent quelque objet,
etc. Il n'est pas porté de jugement moral sur le mensonge, et il n'est
puni que s'il se complique de circonstances qui entraînent des résultats
graves et désagréables. 361
[205]
Vers dix ou douze ans, si la famille peut faire la dépense, les en-
fants sont préparés à leur première communion, d'autres fois leur céré-
monie doit être retardée jusqu'à quatorze Ou seize ans. Si l'enfant ne
fréquente pas l'école, elle doit apprendre le catéchisme par cœur sous
la direction d'un sacristain ou instituteur payé par le prêtre.
Comme le baptême, la première communion est célébrée par une
fête familiale, particulièrement dans les bourgs. Vers cette même
époque, si la famille est un adepte du Vaudou, on donne aussi à la
fillette quelques renseignements concernant le culte des esprits ances-
traux et les sacrifices qui doivent être faits en leur honneur. 362
La petite fille ne reçoit aucune éducation sexuelle. Les logements
étroits où toute la famille dort dans une ou deux chambres, lui per-
mettent le plus souvent d'observer le comportement de ses parents.
Les jeunes enfants dorment habituellement dans le même lit que ceux-
ci et plus tard, dans la même pièce. Garçons et filles jouent librement
pendant la première enfance, toutefois, à partir de l'âge de sept ans une
division s'opère, les fillettes ne désirent pas participer aux jeux des
garçons, de peur d'être bagues. On leur défend aussi d'avoir des rap-
ports sexuels, et si elles sont surprises elles seront sévèrement fouet-
tées.
361 Sylvain, Jeanne, « l’enfance etc… », op. cit. p. 105.
362 Herskovits, op. cit., pp. 101, 102.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 204

2. ADOLESCENCE ET MARIAGE

a) Bourgeoisie

Retour à la table des matières

Les fillettes de la bourgeoisie fréquentent ordinairement des Insti-


tutions privées de jeunes filles, dirigées par des religieuses françaises
pour la plupart.
Les petites provinciales aisées y sont aussi envoyées comme pen-
sionnaires. Ces institutions ont été modernisées depuis l'ouverture du
Lycée de Jeunes Filles. Elles sont bien installées et suivent les pro-
grammes de l'Enseignement secondaire ; on y enseigne aussi les arts
d'agrément.
Les fillettes de revenus modestes suivent les cours du Lycée [206]
de jeunes filles ou des écoles primaires supérieures publiques ou pri-
vées ; en province, quelques-unes ne pouvant obtenir de bourse au Ly-
cée de jeunes filles, s'inscrivent dans les lycées de garçons.
Certaines jeunes filles de la bourgeoisie suivent les cours d'institu-
tions privées qui n'offrent que le programme de renseignement pri-
maire supérieur.
En général, les fillettes s'intéressent beaucoup à leurs études et ob-
tiennent souvent de meilleures notes aux examens que leurs cama-
rades masculins.
Elles se rendent à l'école dans l'auto familiale ou en groupe à pied.
Elles aiment beaucoup les amies et pendant les récréations, elles pré-
fèrent la conversation aux jeux.
Elles s'inscrivent volontiers dans les associations des guides scouts
et autres groupements catholiques, tels que les cadettes de la maison.
Elles aiment le bal, le cinéma, les promenades où l'on peut rencontrer
les garçons du même âge.
La jeune fille de la bourgeoisie est élevée en vue du mariage. La
fillette de treize à quatorze ans, et parfois même de huit à dix ans, a
souvent un amoureux ; ils se rencontrent au cinéma, dans les concerts
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 205

publics et dans les bals. Elle attache beaucoup d'importance à sa toi-


lette, encouragée en cela par sa mère, qui est très coquette pour ses
filles. Plus elle approche de l'âge du mariage, plus ses efforts sont diri-
gés en vue de plaire à un jeune homme, avec qui elle échangera des
promesses de mariage. Très souvent, les fillettes sont ainsi « engagées »
à quatorze ou quinze ans, mais ce n’est que vers dix-sept ou dix-huit
ans que l'affaire devient sérieuse et que les parents sont officiellement
prévenus ; s'ils ne voient pas d'inconvénients au mariage, l'engage-
ment devient officiel et l'on célèbre les fiançailles, parfois le jeune
homme fait connaître lui-même ses intentions mais tant que son père
n'a pas présenté sa demande à la famille de la jeune fille, il n'y a pas
de promesses entre les deux familles, et c'est une affaire personnelle
entre les jeunes gens, qui peut être rompue beaucoup plus facilement
que lorsque l'engagement est officiel
Une jeune fille engagée est étroitement surveillée par sa famille et
ne sortira jamais seule avec son fiancé. Sa mère [207] assistera aux vi-
sites du jeune homme, qui sera admis à faire sa cour à des jours et
heures déterminés. Il sera aussi régulièrement invité à déjeuner. Des
certaines familles, ces traditions commencent à se relâcher et une
beaucoup plus grande liberté est laissée aux fiancés, surtout s'ils ne
sont pas très jeunes. Les fiancés sont ordinairement jaloux et exi-
geants et ne permettent à leur promise de s'approcher d'aucun autre
homme.
Toutes les jeunes filles ne se fiancent pas immédiatement après
leur sortie d'école. Si elle ne désire pas faire des études secondaires,
vers quinze ou seize ans, elles passent leur brevet ; maintenant la plu-
part des jeunes filles riches continuent leurs études jusqu'à dix-huit
ans et passent leur baccalauréat. Après avoir obtenu leur diplôme,
quelques-unes sont envoyées à l'étranger pour se perfectionner dans
l'étude des langues, du commerce et des arts d'agrément; d'autres
suivent les mêmes cours en Haïti. Les moins riches entrent à l'École
Normale d'Institutrices, à l'école Professionnelle Elie Dubois ou dans
les Écoles de Commerce.
Un petit nombre, qui augmente chaque année avec la diffusion de
l'enseignement secondaire parmi les filles, entre à l'Université.
À dix-huit ans, la fillette est considérée comme une jeune fille et
fait son entrée dans le monde, en assistant à un bal de grandes per-
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 206

sonnes. Son éducation est ordinairement considérée comme achevée,


pourtant, si elle le désire, elle peut continuer à suivre des cours. Si elle
ne travaille pas, elle aide sa mère à prendre soin de la maison, ce qui
ne représente grand-chose, car il y a ordinairement beaucoup de do-
mestiques. Elle consacre ses loisirs à la couture, à la musique, à la
peinture, à la lecture de romans, à l'audition de cours, à des visites aux
amis, aux sports, aux promenades ou aux réunions sociales, mon-
daines et religieuses le bal, le cinéma, constituent souvent des distrac-
tions hebdomadaires, mais tous les efforts sont orientés en vue du ma-
riage. Elle attache beaucoup d'attention à sa toilette afin de plaire aux
jeunes gens. D'après les mœurs, ce sont ceux-ci qui ont l'initiative de
la demande en mariage. Pourtant, le contraire se produit bien souvent,
car les jeunes filles ont mille façons [208] détournées de faire savoir
leur préférence au jeune homme de leur choix. En tous cas, ce sont les
Jeunes gens qui décident cette circonstance et d’habitude, le jeune
homme ne fait demandé aux parents qu'après s'être entendu avec la
jeune fille. L'autorisation des parents, nécessaire pour le mariage des
enfants mineurs, est rarement refusée.
Les jeunes filles qui travaillent sont la grande majorité même dans
cette classe, car les fortunes véritables sont rares et les familles sont
nombreuses ; c'est pourquoi une jeune fille de dix-huit ou vingt ans
doit généralement subvenir, au moins en partie, à son entretien. Plu-
sieurs jeunes filles riches travaillent pour se distraire, La plupart du
temps, la jeune fille de la bourgeoisie travaille pour se procurer des re-
venus, en a tendant le mariage et ne s'intéresse pas réellement à sa
profession. Ce n'est que vers vingt-cinq ou trente ans que la jeune
fille, encore célibataire, commence à s'intéresser à son avancement
professionnel. Elle dispose librement de son salaire et contribue ordi-
nairement aux dépenses de la maison ; toutefois, elle conserve de quoi
se vêtir avec élégance, afin de trouver un mari.
En général, la jeune fille qui travaille s'intéresse davantage aux
œuvres ; elle est souvent membre de plusieurs associations ; pendant
ses heures de loisirs, elle mène à peu près la même vie que celle qui
ne travaille pas.
Ordinairement, une jeune fille ne peut sortir seule le soir pour aller
en promenade ou au cinéma, ni non plus en compagnie de camarades
masculins ; si elle n’a pas de frères ou de parents pour l'accompagner,
elle sortira avec un groupe de voisines. Quelques familles, toutefois,
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 207

accordent en ce moment plus d'indépendance aux jeunes filles et leur


permettent de sortir seules avec un jeune homme.
La durée des fiançailles varie suivant la situation économique. Dès
que le jeune homme est prêt à subvenir aux besoins de la famille, que
les meubles sont achetés et que la jeune fille a achevé son trousseau,
la date du mariage est fixée. Le fiancé fournit le mobilier, l'argenterie,
la vaisselle, la verrerie et le linge de maison; la jeune fille n'apporte
que son trousseau personnel, mais est responsable des frais, parfois
très élevés de la réception. La célébration du mariage [209] lieu en
grande pompe. Il y a deux cérémonies, une civile et l'autre religieuse.
Presque toujours, le mariage civil a lieu chez la jeune fille. La maison
est décorée de corbeilles de fleurs envoyées par les parents et les amis.
La cérémonie est : suivie d'une réception intime et le cortège se rend à
l'église. Le père ou son remplaçant accompagne la mariée, en robe
blanche. Le marié suit dans une autre voiture avec la marraine des
noces, puis viennent les garçons et les demoiselles d'honneur et les pa-
rents et amis. L'église est déjà pleine des autres invités qui attendent le
cortège. Une haie de curieux est ordinairement massée à l'entrée. La
cérémonie religieuse se poursuit avec la pompe majestueuse de la reli-
gion catholique : musique, fleurs, encens, sermon, etc. Toute l'assis-
tance va ensuite à une grande réception chez le père de la mariée.
La magnificence de la cérémonie est proportionnée à la richesse de
la famille. En province, la fête se prolonge par un bal qui dure toute la
nuit. Quelquefois, les choses se passent beaucoup plus simplement. Le
mariage civil est célébré par le prêtre à la sacristie, où la plupart des
invités saluent les mariés et seulement un groupe d'amis et de parents
les accompagnent chez eux pour une petite fête intime.
Dans tous les cas, le mariage est un acte solennel dans la vie de la
jeune fille et est considéré comme une fête mon daine par tous ses
amis, qui mettent pour l'occasion leurs plus beaux habits et en confec-
tionnent parfois de nouveaux pour la circonstance. Les demoiselles
d'honneur ont ordinairement des robes de soirée de même nuance. Les
amis et parents doivent donner des cadeaux au couple. Les nouveaux
mariés font habituellement un séjour de huit ou quinze jours à la cam-
pagne. Tout a été préparé à l'avance par la famille qui les accompagne
jusqu'à la maison où ils vont passer leur lune de miel.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 208

Peu de temps avant la célébration du mariage, la mère ou une pa-


rente apprend sommairement à la fiancée les secrets de la vie conju-
gale. Un grand nombre de jeunes filles étroitement gardées depuis leur
enfance sont entièrement ignorantes en matière de sexe jusqu'à ce mo-
ment. D'autres familles sont plus libérales et ne se gênent pas pour
discuter librement [210] de ces matières, devant les fillettes. Très sou-
vent, celles-ci s'instruisent mutuellement, la fillette est mise au cou-
rant à l'école, pendant la récréation par ses petites amies, mais elle se
gardera de discuter ces choses à la maison de peur d'être grondée. En
général, la jeune fille de la bourgeoisie, et même la jeune femme
ignorent toute mesure anticonceptionnelle. Une jeune fille qui se
trouve enceinte essaiera quelques remèdes de bonne femme,
conseillées par une amie intime, qui peuvent mettre sa vie en danger,
plutôt que d'avouer le fait à ses parents. Si elle n'a pas réussi à se dé-
barrasser de son enfant, quand il est impossible de cacher sa gros-
sesse, les parents informés mettront tout en œuvre pour décider le
jeune homme à l'épouser ; en général, celui-ci consentira et le mariage
sera célébré à la hâte, afin que l'enfant naisse légitime. La jeune
femme conservera ainsi son rang dans la société, mais certains parents
ne lui pardonneront pas facilement sa faute. Si le jeune homme ne
consent pas à se marier ou s'il est déjà marié, certaines familles provo-
queront l'avortement, tandis que d'autres essayeront de trouver un
autre mari pour la jeune fille, ou se résigneront à faire face au scan-
dale. En tous cas, après la naissance, l'enfant sera bien soigné par la
famille maternelle, La fille perdra toute considération parmi les
membres de sa classe et devra se retirer de la société. Toutefois, si elle
trouve un homme à vouloir l'épouser, elle conservera son rang social.
L'enfant élevé par la famille maternelle, continuera à faire partie de la
société. Il arrive parfois que les jeunes gens aient des relations
sexuelles durant leurs fiançailles. Si la naissance de l'enfant arrive
seulement quelques mois après le mariage le fait donnera lieu à des
commentaires mondains, mais ne diminuera pas le statut social du
couple.
Comme nous l'avons dit plus haut, après son mariage, la nouvelle
épouse désire le plus souvent avoir des enfants, auxquels elle consa-
crera la plus grande partie de son temps. La jeune femme de la bour-
geoisie s'occupe ordinairement de la direction de sa maison, son mari
lui remettant la plus grande part de son salaire pour subvenir aux frais
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 209

du ménage. Certains maris remettent à leur femme l'intégralité de leur


salaire, celle-ci administre la fortune commune, règle les dépenses
[211] du ménage, décide même parfois de ce qui doit revenir au mari
comme argent de poche, économise si possible. Certains jeunes gens
prennent l'habitude de remettre leur salaire à leur fiancée afin que
celle-ci économise pour l'achat des meubles et autres dépenses néces-
saires au mariage. Quelquefois le mari calcule approximativement le
coût des dépenses du ménage et remet cet argent à sa femme, ainsi
qu'une petite allocation pour sa toilette ; il garde le reste pour ses dé-
penses personnelles et décide de l'emploi des économies. Il est rare
que le mari fasse lui-même les achats pour la maison et règle les dé-
penses ; pourtant ceci arrive quelquefois, particulièrement si la femme
est prodigue et ne peut administrer convenablement la fortune com-
mune. Le standard de vie : nourriture, logement, vêtement, est assez
élevé et comparable à celui des femmes de cette classe dans les autres
pays.
Il est difficile, cependant, de parler en général de la femme de la
bourgeoisie. Nous avons étudié quelques cas concrets qui nous ont
permis de nous faire une idée des conditions de la vie dans cette
classe.
La famille bourgeoise se fait servir par plusieurs domestiques ; ils
font la cuisine, le ménage, s'occupent du jardin. Même dans la classe
moyenne et le peuple, si la situation économique ne permet pas d'avoir
des domestiques payés, on a recours à des enfants qui servent sans
gage, mais reçoivent logement et nourriture. Toutefois, la maitresse de
maison n'hésite pas à mettre la main à la pâte dans certaines occa-
sions. Ainsi presque toutes les femmes mettent la dernière main au
ménage, décorent la maison, confectionnent parfois des desserts et des
petits plats, s'occupent elles-mêmes de leurs bébés et cousent les vête-
ments de la famille, à l'exception des costumes d'hommes.
Plusieurs s'intéressent au jardinage, au piano et à la peinture.
Elles contribuent souvent à augmenter les revenus familiaux par le
travail à la maison : couture, pâtisserie et confiserie. Quelques-unes
continuent à travailler au dehors, forcées par la nécessité en vue de
contribuer aux dépenses du [212] ménage ou parce qu'elles ont pris
goût à leur existence professionnelle.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 210

La vie quotidienne comporte quelques distractions : la radio, la lec-


ture de romans et de revues, les visites aux parents, aux voisins et aux
amis, le cinéma, les parties de cartes, les expositions, les promenades,
les concerts publics et les réunions mondaines.
Quelques-unes mènent une vie sociale intense, conduisent elles-
mêmes leur auto, vont régulièrement au bal, au casino, etc. mais la
plupart ont une existence plutôt monotone, ne vont au dancing que
deux ou trois fois par an, pendant le carnaval et à la fin de Tannée et
n'ont guère de distractions en dehors de la famille et du cinéma.
L'ambition de toute jeune fille est d'être propriétaire d'une maison
d'habitation et si elle n'en possède pas, elle fera de grands sacrifices en
vue d'en acheter une.
Par exemple, Alice, récemment mariée, désirait avoir une maison,
le salaire de son mari bien qu'il fût de cinq cents gourdes et le sien de
deux cents gourdes, ne lui permettaient pas de faire facilement des
économies, d'autant plus que son mari devait aussi entretenir en pairie
sa mère et sa sœur, en leur versant une rente de cent cinquante gourdes
par mois. Leur budget de Cinq cent cinquante gourdes représentait ce
qu'un jeune couple bourgeois dépense pour vivre largement, car les
loyers sont assez élevés : on doit généralement payer au moins deux
cent gourdes une maison de quatre à six pièces dans les quartiers habi-
tés par cette classe. Pourtant, en se privant, la jeune femme réussit en
trois ans à économiser de quoi acheter un terrain, à raison de deux
mille gourdes. Entre temps la famille avait dû faire face aux dépenses
de deux accouchements et s'était augmentée de deux enfants. Au bout
d'un an, la construction était suffisamment avancée pour que la famille
puisse y prendre logement. Naturellement, il y avait encore de nom-
breuses années de privation en perspective, car la jeune femme avait
décidé son mari à s'engager à payer trois cent cinquante gourdes par
mois pour amortir le plus vite possible leur dette sur les matériaux de
construction, achetés à crédit, La famille de quatre membres, père,
mère et deux enfants, avec un troisième [213] en perspective, vivait
avec un budget de deux cent cinquante gourdes par mois, la rente à la
belle-mère ayant été diminuée à cent gourdes.
Il est rare, toutefois, que la femme soit aussi ambitieuse et veuille
réaliser le rêve de bâtir sa maison, au prix de si grands sacrifices. La
plupart préfèrent attendre plus longtemps afin de pouvoir exécuter
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 211

plus facilement le projet, mais en général la femme n'hésitera pas à sa-


crifier son confort et ses distractions en vue de faire l'acquisition d'une
propriété.
Le type de la maison, habitée par la famille, diffère suivant les
moyens économiques et la composition de la maisonnée, mais c'est
généralement une maison en bois, en briques ou en ciment d'au moins
quatre pièces, entourée d'un jardin. La famille habite ordinairement
seule, mais elle a des relations suivies avec les parents des deux côtés.
Toutefois, on a coutume de dire que la famille maternelle acquiert un
nouveau membre par le mariage de la femme, tandis que celle du mari
en perd un. La mère, si elle n'habite pas avec sa fille vient faire des sé-
jours prolongés chez elle en cas de maladies ou de couches, à moins
que la fille ne se rende chez ses parents pour avoir un enfant. Parfois,
quand les revenus sont modiques, le jeune couple habite chez les pa-
rents du mari ou de la femme, jusqu'à ce qu'il soit possible de louer
une maison personnelle. Dans d'autres cas, c'est un arrangement plus
ou moins définitif et l’on vit « en famille », suivant l'expression lo-
cale, c'est-à-dire, plusieurs familles habitent la même maison. En tous
cas, même si la famille est dispersée, il y a fréquemment de grandes
réunions familiales, parfois tous les dimanches ou à l'occasion de
fêtes. Les membres d'une même famille s'entr'aident, en cas de néces-
sité, les plus fortunés portent secours aux autres… Durant l’été, plu-
sieurs couples se réunissent généralement pour aller passer leurs va-
cances ensemble à la mer ou à la montagne, et les cousins vivent
comme frères et sœurs.
Les relations entre amis et voisins sont aussi très intimes, ils sont
parfois considérés comme de vrais parents, ces liens étant d'ailleurs, le
plus souvent, renforcés par une parenté spirituelle.
[214]
C'est la mère qui s'occupe généralement de l'éducation de ses en-
fants, particulièrement de celle des filles, elle choisit l'école et les le-
çons particulières qu'il convient de leur donner. Elle les aide à faire
leurs devoirs et à étudier leurs leçons, jusqu'à ce qu'elle devienne inca-
pable de le faire, si elle n'a pas achevé elle-même ses études secon-
daires. Pendant les premières années, elle ne sort le soir qu'accompa-
gnée de son mari, et celui-ci s'il est jaloux, la surveille parfois étroite-
ment. Plus tard, elle sort avec ses enfants et sert de chaperon à ses
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 212

filles. Si elle ne s'entend pas avec son mari, elle peut demander le di-
vorce, toutefois l'église catholique n'admet que la séparation ou le di-
vorce avec promesse de ne pas se remarier. Malgré cela, le nombre de
divorces a considérablement augmenté durant ces dernières années.
On croit généralement que cette augmentation est due à un relâche-
ment des mœurs, pourtant, nous croyons plutôt que cela vient surtout
d'un changement dans la compréhension du mariage.
Autrefois, la femme acceptait passivement le concept de la double
moralité. Elle savait qu'elle ne pouvait pas s'attendre à ce que le mari
soit fidèle et elle se consacrait à ses enfants, sans chercher à connaître
les aventures de son époux. Celui-ci la respectait et il était très attaché
à son foyer légitime, malgré les liaisons qu'il pouvait avoir au dehors.
La prospérité de la famille et l'avenir des enfants semblaient plus im-
portants que des liaisons passagères. En ce moment, la famille com-
mence à se désagréger, car la femme ne reconnaît plus à son mari le
droit de la tromper et préfère rompre le mariage, quand elle s'aperçoit
qu'elle a une rivale préférée, en d'autres cas, elle veut, par représailles,
jouir de la même liberté accordée par les mœurs à son mari ou si sa
moralité ne le lui permet pas, elle lui reproche bruyamment son infidé-
lité, celui-ci ne peut supporter cette nouvelle attitude de son épouse.
Cette révolte est la cause de la plupart des divorces bien qu'elle soit
souvent masquée par d'autres raisons, qui sont mises en avant pour ca-
cher la vérité.
En cas de divorce, la femme retourne ordinairement dans sa fa-
mille avec ses enfants jusqu'à ce que le tribunal attribue la garde des
enfants à l'un ou l'autre des deux conjoints. Le mari est obligé légale-
ment d'entretenir sa femme [215] et ses enfants pendant le poursuite
en divorce, mais très souvent, il ne le fait pas. Après le divorce, si la
mère a la garde des enfants, le père doit lui verser une pension pour
leur entretien, mais la plupart du temps, il ne continue pas à payer
pendant longtemps.
La femme divorcée se remarie fréquemment bien que la religion
catholique ne le permette pas. Malgré cette défense, bon nombre de
femmes, réputées bonnes catholiques, n'hésitent pas à le faire.
Quelques-unes acceptent le verdict de l'église et se mettent bravement
au travail pour gagner leur vie et celle de leurs enfants.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 213

Les familles haïtiennes ont rarement des économies, c'est pourquoi


la veuve doit ordinairement travailler pour entretenir ses enfants, si
elle en a. Toutefois, la plupart du temps, la famille de son mari et la
sienne l'aident à entretenir et à élever les orphelins. Si le mari était
fonctionnaire du gouvernement et avait atteint l'âge du soixante ans et
qu'il avait travaillé pendant vingt-cinq ans au service du gouverne-
ment, elle a droit à une pension de retraite, qui est la moitié de celle
que son mari aurait touché. Si la mère du mari est vivante cette pen-
sion est partagée en deux.
La femme de la bourgeoisie, qui demeure célibataire, réside ordi-
nairement avec d'autres personnes de sa famille. Elle aide parfois à
prendre soin des enfants de sa famille, soit en adoptant quelques-uns
d'entre eux, soit en contribuant à leur entretien. Maintenant, de plus en
plus, elle tient à avoir son indépendance économique par le travail. Sa
vie journalière ne diffère pas de beaucoup de celle des femmes ma-
riées,

b) Classe moyenne et prolétariat des villes.

La fillette de la petite bourgeoise et de la classe populaire des


villes, fréquente en général les écoles publiques de filles, ou les cours
sont gratuit. Quelques parents néanmoins envoient leurs filles dans les
institutions privées, au prix des plus grands sacrifices,
La fillette, en général, ne poursuivra pas ses études au-delà de
l'école primaire, pourtant, certaines s'inscrivent aux cours complémen-
taires des écoles primaires supérieures, au [216] lycée, dans les écoles
normales et professionnelles et même à l'université. Le travail scolaire
est beaucoup plus pénible pour les enfants de cette classe, car elles
sont en général sous alimentés et n'ont pas les moyens d'acheter les
livre nécessaires. De retour à la maison elles doivent aider leur mère
aux soins du ménage et ne trouvent pas le plus souvent une pièce tran-
quille et éclairée pour étudier leurs leçons. En dépit de cela, quelques
fillettes de la classe populaire obtiennent des succès scolaires, et si la
famille peut réussir à économiser pour les maintenir en classe jusqu'à
obtenir leur brevet ou leur bachot, elles peuvent continuer leurs études
pour apprendre un métier ou une profession. La majorité néanmoins,
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 214

n'ayant pas assez d'instruction, soit entre en apprentissage pour ap-


prendre la couture ou commerce immédiatement à travailler à la mai-
son ou au dehors comme ouvrière, vendeuse, marchande ou domes-
tique.
Nous avons déjà parlé précédemment des loisirs des fillettes. En
grandissant, l'adolescente continue à aider au logis, ses sorties sont
plus fréquentes, elle va plus souvent à la promenade, au cinéma et au
bal, elle aime écouter la radio. Si elle en a l'occasion, elle fait volon-
tiers partie de groupements de jeunes gens: jeunesses ouvrières catho-
liques, amicales de collège, confréries qui lui permettent de s'échapper
un peu de son milieu.
Elle souffre de la promiscuité des logements étroits, elle est atta-
chée à sa famille, mais espère s'en évader par un mariage ou un pla-
cage, qui améliorera sa condition ; c'est pourquoi elle consacre la plus
grande partie de l'argent dont elle peut disposer à sa toilette.
Elle jouit naturellement d'une bien plus grande indépendance que
la jeune fille de la bourgeoisie. Pourtant, quelques familles de la classe
moyenne exercent aussi une surveillance stricte, ne désirant pas que la
jeune fille ait des contacts sexuels, ce qui pourrait l'empêcher de se
marier. Elle désire se marier tout autant que la jeune fille plus fortu-
née. Pourtant, les conditions sont souvent beaucoup plus difficiles
pour elle et les tentations plus nombreuses, de sorte qu'elle n'arrive
pas toujours à réaliser son ambition. Si elle est jolie et instruite, elle
est souvent la proie des hommes de la bourgeoisie, [217] qui, céliba-
taires ou mariés, désirent s'amuser avec elle et la prendre pour mai-
tresse, tout en épousant une jeune fille de leur classe. D'autres fois, ce
sont des jeunes gens de sa classe qui la courtisent, mais ne veulent pas
accepter la responsabilité découlant d'un mariage. Dans ce cas, la fille-
mère doit entretenir son ou ses enfants en tout ou en partie. Fréquem-
ment, ces derniers ne sont même pas reconnus par leur père dont ils
n'ont pas le droit légalement de porter le nom ; pourtant le plus sou-
vent, reconnus ou non, ils portent le nom de leur père, qui n'ose pas
les désavouer publiquement, de crainte du scandale. Toutefois, la
jeune fille trompée n'a aucun recours légal contre son séducteur, qui
peut continuer impunément à avoir des enfants dont il n'acceptera pas
la responsabilité. La plupart du temps, le père verse une petite rente,
pour faciliter l'entretien des enfants, au moins pendant les premières
années.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 215

Si la citadine du peuple se marie, les choses se passent à peu près


comme dans la bourgeoisie, avec moins de frais et d'apparat, mais le
mariage est aussi une cérémonie solennelle. Après le mariage, elle
continue à travailler, car le salaire du mari est presque toujours insuffi-
sant. Le pourcentage des personnes mariées varie avec la situation
économique ; il est très faible parmi les plus pauvres car l'on doit at-
tendre pour se marier de pouvoir acheter le mobilier et les ustensiles
de ménage. La jeune fille doit coudre son trousseau, broder la lingerie
de la maison. Il y aura aussi une fête ou tous les parents et amis seront
invités. La jeune fille de cette classe est ordinairement instruite depuis
longtemps des faits de la vie et très souvent, durant les fiançailles elle
a déjà cédé aux séductions de son fiancé.
Le niveau de vie varie suivant les salaires et l'instruction. Certains
ouvriers ou petits commerçants aisés sont propriétaires d’une gentille
maison de quatre à cinq pièces, avec une petite cour, et ils ont de
beaux meubles en acajou, une radio et même un frigidaire. Leur ali-
mentation et leur habillement diffèrent peu de celui des familles peu
fortunées de la bourgeoisie.
Les femmes, en général, travaillent plus durement et ont moins de
distractions qui consistent seulement à écouter la [218] radio, rendre
visite aux amies et aller au cinéma. Presque toujours catholiques, elles
vont régulièrement à l'église et ne pratiquent pas ouvertement la su-
perstition. La femme du peuple illettrée, même catholique, est ordinai-
rement une adepte du vaudou ; elle vit la plupart du temps dans des
taudis dépourvus de tout confort, fréquemment pires que les foyers
paysans. Le budget est minime et la famille est le plus souvent obligée
d'habiter les faubourgs, ou elle est entassée dans une seule chambre,
donnant sur une cour sordide. Les enfants ne mangent pas toujours à
leur faim, mais on essaye de les habiller convenablement et de les en-
voyer à l'école On économise plutôt sur la nourriture que sur l'habille-
ment. Une domestique qui touche seulement une vingtaine de
gourdes, envoie parfois son enfant dans une école privée, ou elle est
obligée de payer pour l'écolage.
D'après Mme Comhaire-Sylvain « Dans les milieux très pauvres, le
nombre de personnes couchant dans une même pièce est quelquefois
ahurissant : deux familles du Bel-Air détiennent le record de notre en-
quête avec vingt et une personnes le chiffre douze se trouve dans tous
les quartiers. Ces chambres ont presque toujours moins de douze
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 216

mètres carrés... À peu près la moitié des enfants couchent sur des lits...
Dans les familles très pauvres, il n'y a, le plus souvent, qu'un lit sur le-
quel couchent le père, la mère et un ou deux bébés, les autres per-
sonnes ont des matelas, des nattes ou rien du tout. Quand l'homme
n'habite pas la maison, le lit a beaucoup plus d'occupants, jusqu'à six,
lorsqu'il s'agit de ce que nous appelons couramment : lits à deux
places. Les petits divans canapés si étroits, les lits à cadres, hébergent
souvent trois personnes. Les grands matelas servent dans certains cas,
à neuf personnes ; vous comprenez aisément que la plupart de ces en-
fants couchent à moitié par terre. Dans certaines familles, on étend des
nattes jusque sous le lit des parents... À cause de l'exiguïté des mai-
sons, il est quelquefois impossible d'avoir des tables de dimensions
suffisantes pour accueillir tous les membres de la famille... Quelque-
fois, on fait deux services, d'autres fois, les enfants mangent sur leurs
genoux. Beaucoup de nos enfants sont sous-alimentés. L'habitude des
trois repas s'est à peu près généralisée en [219] ville, mais ces repas
sont quelquefois excessivement légers et mal composés. Prenons par
exemple, le menu des treize enfants de l'école Théophile Martin, qui
font trois repas par jour : le matin, sept enfants absorbent une tasse de
café et un biscuit ou un morceau de pain, quatre de l’acassan avec ou
sans pain, un enfant du lait ou du pain, un autre du chocolat et du pain.
À midi, huit de ces enfants mangent des pois et riz ou petit-mil avec
des pois (ni viande, ni légume, même le dimanche, dans d'autres quar-
tiers, ce serait du mais moulu), trois autres, de la viande avec ou sans
bananes et deux du hareng-saur ou de la morue avec des bananes. Le
soir, trois enfants se nourrissent de lait et pain ou chocolat et pain,
deux enfants de pois et riz, ou riz et morue, un enfant de bouillon,
trois de vivres, un enfant qui prend des pois et riz à midi, un de la mo-
rue et de la banane le soir.
L'alimentation des enfants a été notée durant trois jours consécutifs
(dimanche, lundi, mardi) afin de déterminer la nourriture habituelle. 363
Il est très difficile d'évaluer le prix de la vie pour une famille de
cette classe, nous avons constaté que les revenus sont tout à fait va-
riables.

363 Comhaire Sylvain Suzanne. – Ce que font les fillettes en dehors de leurs
heures de classe (manuscrit).
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 217

Les résultats d'une enquête des Département du Travail et de


l'Agriculture sur le budget des familles à bas salaire, permettent de se
faire une idée du coût de la vie pour les familles à faible revenu.
L'enquête englobe 55 familles réparties en trois zones. La zone I
comprend 33 familles de paysans propriétaires de régions rurales des
environs de St. Marc.
La zone II comprend 17 familles d'ouvriers travaillant également
dans des exploitations agricoles des régions de Gonaïves, Fort-Liberté
et Port-de-Paix et la zone III comprend 5 familles d'ouvriers urbains
du Cap-Haitien.
Les dépenses hebdomadaires sont respectivement pour la zone I de
45 gourdes 50 par famille et de .G. 6.82 par personne, pour la zone II
de 46 gourdes 94 par famille et de G. 9.04 par personne, pour la zone
III de 27 gourdes 71 par famille et de 9,21 par personne.
[220]

« Les revenus familiaux sont inconnus pour la première zone, puisqu'il


s'agit de propriétaires et sont respectivement de 33 gourdes 79 et de 39
gourdes 60 pour les deux autres zones. Le revenu comprend les sommes
gagnées par le père et la mère. Les dépenses pour la zone II dépassent les
salaires sans doute parce que les sommes gagnées par la mère ne sont pas
toujours mentionnées.»
« La moyenne des salaires pour 17 chefs de famille dans la zone II est
de 26 gourdes 44 par semaine ; la moyenne des salaires pour 11 mères de
famille dans la même zone est de 11 gourdes 36 par semaine. »
« Pour la zone III (Cap-Haitien) la moyenne des salaires hebdoma-
daires pour 4 pères de famille est de 25 gourdes 50 et la moyenne des sa-
laires pour 4 mères de famille est de 24 gourdes. 364
Le budget est réparti de la façon suivante : zone I, alimentation 66,4%,
cuisine (charbon, bois, savon) 5 ;6% ; habillement 1,17%, soins médicaux
2,7%, loisirs 8;2%.
Zone II, alimentation 61%, cuisine 7,23% ; habillement 21,81%, loyer
6,01%, soins médicaux 0,15% ; loisirs 4%.

364 Bulletin Trimestriel, No. 2 octobre 1951, pages 46, 47, 48, 49.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 218

Zone III, alimentation 52,1%, cuisine 11%, habillement 15,8 % ; loyer


16,8%, soins médicaux 0,3% ; loisirs 4%.
Le nombre de pièces par logement est de 2,7 pour la zone I, de 1,7
pièce par logement pour la zone II et de 1 pièce pour la zone III. En outre,
la valeur actuelle du mobilier est respectivement de 297,280 et 141
gourdes. 365

En général, les conditions de logement des familles pauvres des


villes sont bien pires que celles de la campagne, c'est pourquoi le gou-
vernement a entrepris un vaste programme de construction de loge-
ments ouvriers dans les principales villes du pays.
La nouvelle cité ouvrière Paul E. Magloire comprend 181 habita-
tions de 3 et 4 pièces éclairées à l'électricité, tandis que 75% des 796
habitations du quartier de la Saline (Trou Cochon) n'ont qu'une seule
pièce sans eau ni électricité.
[221]
Le nombre moyen de personnes par familles est de 6 pour la zone
de St. Marc, 2 adultes et 4 enfants, dont l'âge moyen est de 10 ans, et
de 5 pour les autres zones et l'âge moyen des enfants est de 8 ans. Les
familles plus nombreuses consacrent un plus fort pourcentage de leurs
revenus à l'alimentation. 366
Les conditions de vie pour la femme de cette classe sont souvent
très dures, sans beaucoup de compensation. Parfois, la femme vieillis-
sante se voit abandonnée après de nombreuses années de vie com-
mune pour une concurrente plus jeune et plus désirable. Heureuse-
ment, les enfants sont en général très attachés à leur vieille mère et ils
en prennent soin jusqu'à sa mort ; pourtant les conditions de logement
sont si difficiles dans les villes, que parfois ils sont obligés de l'en-
voyer à l'asile des vieillards.

c) Classe paysanne

365 Bulletin Trimestriel, No 2, octobre 1951, ibid.


366 Bulletin Trimestriel, No 2. Oct 1951, p. 51
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 219

Plusieurs adolescentes, après avoir ou non fréquenté l'école, sont


placées comme apprentie chez une couturière ou une personne qui
possède une machine à coudre, pour se perfectionner dans cet art.
Elles sont heureuses de ces occasions de se réunir avec des fillettes de
leur âge et d'échapper aux travaux des champs.
Les jeunes paysannes de quinze à dix-huit ans ont en général ache-
vé leur apprentissage familial. Elles dirigent et prennent soin des
jeunes enfants, aident leur mère aux travaux ménagers, travaillent au
jardin ou font le commerce. Elles vendent pour leur propre compté et
disposent de leurs bénéfices.
En ce moment, plusieurs écoles rurales de filles ont des cours com-
plémentaires ménagers pour leurs anciennes élèves et les jeunes filles
illettrées de la communauté. Celles qui y sont admises s'occupent des
bébés à la crèche annexée à l'école, elles cuisent les repas pour la can-
tine, confectionnent leurs robes, apprennent les petites industries de
transformation des matériaux indigènes et travaillent au jardin « et à la
basse-cour.
[222]
Les jeunes gens des deux sexes sont soumis entièrement à l'autorité
de leurs parents jusqu'à leur mariage ou leur placage. A partir de la pu-
berté, les adolescentes sont étroitement surveillées et ne sont pas ordi-
nairement envoyées seules faire les commissions,
À Marbial, dit Melle Jeanne Sylvain, « les fillettes et les jeunes
filles ne sortent jamais après le coucher du soleil sans être accompa-
gnées et sans une destination bien définie. On leur apprend à ne ja-
mais consentir à s'arrêter au bord du chemin pour une conversation
avec un admirateur. Les rencontres ont lieu en groupe, au marché, de-
vant la chapelle ou l'église, dans les veillées ou « dernières prières »
ou encore au cours des visites chez les parents ou chez des amis com-
muns. Entre voisins pourtant, les occasions de se voir ne manquent
pas, car on s'entr'aide pour les travaux des champs, auxquels les filles
participent aussi bien que les hommes,
Quand le moment de songer à l'avenir sera arrivé, lorsqu'un
homme, s'approchant de la fille qui lui plait, voudra lui faire part de
ses sentiments, se conformant à la leçon de modestie qui lui a été ap-
prise elle le repoussera et le renverra à ses parents. Le jeune homme,
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 220

après avoir choisi un ou plusieurs émissaires parmi les parents de la


jeune fille et s'être plus ou moins assuré des sentiments qu'elle n'a pas
voulu avouer au premier abord, doit s'adresser à ses parents pour de-
mander leur intervention. » 367
En général, les préliminaires du mariage sont les mêmes que pour
la jeune fille des autres classes sociales. C'est le jeune homme qui
prend l'initiative de courtiser une jeune fille de son choix. S'ils sont
d'accord, la jeune fille l'autorise à faire la demande à ses parents.
Celle-ci doit être le plus souvent écrite et remise solennellement.
L'opinion des parents a une importance essentielle dans les unions. De
même que pour la jeune fille de la bourgeoisie, si le jeune homme est
étranger à la communauté, la famille prend des renseignements avant
de donner son consentement. C'est aussi une grande offense de refuser
un jeune homme qui a été autorisé [223] à présenter officiellement sa
demande. Les fiançailles durent pendant au moins six mois et habi-
tuellement deux ou trois ans pendant lesquels le jeune homme fait sa
cour à la jeune fille et à sa famille et fait les préparatifs nécessaires. A
l'occasion du mariage, le père donne habituellement à son fils un lopin
de terre sur lequel il bâtit sa maison et dont il pourra tirer sa subsis-
tance. Il est considéré indispensable que le nouveau couple ait une
maison indépendante et quelques meubles. La jeune fille, de son côté,
prépare son trousseau et sa famille économise pour lui acheter sa vais-
selle et sons linge de maison, si la situation pécuniaire le permet. On
lui donne aussi des animaux en cadeau au moment du mariage. La
chasteté n'est pas obligatoire, c'est une affaire personnelle entre les
deux fiancés. La jeune fille avoue ordinairement à son fiancé ses
aventures précédentes et il passe outre, pourtant la virginité est appré-
ciée et récompensée par un respect et des attentions spéciales. Au
contraire, les garçons sont censés avoir des aventures sexuelles avant
leur première union. Les fiancés sont présentés rituellement aux es-
prits ancestraux de leur famille réciproques, avant le placage ou le ma-
riage. On fait une visite au cimetière pour annoncer aux morts l'union
projetée et s'attirer leur bénédiction. Si le mariage est célébré à
l'église, il est habituellement suivi d'une réception accompagnée de
discours, de boissons et de danses.
Dans les bourgs et les communautés rurales, le mariage jouit d'un
grand prestige comme dans les villes, mais rares sont ceux qui
367 Sylvain, Jeanne G., « L’Enfance ….. op. cit,, p. 107 et 108.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 221

peuvent se payer ce luxe immédiatement.


Le placage est accompagné de certains rites et il est socialement
accepté par la communauté paysanne. Toutefois, il y a certaines dis-
tinctions entre la femme mariée et la femme placée, cette dernière
n'ayant droit au titre envié de « Madame », qu'après la célébration du
mariage, autrement, elle demeurera toujours « Mamzelle. »
Si elle se marie, elle aura la suprématie sur les autres concubines et
un plus grand prestige dans la communauté... C'est aussi ordinaire-
ment le signe d'une meilleure condition économique, car seuls ceux
qui ont des moyens peuvent se payer un tel luxe, C'est pourquoi l'am-
bition cachée de toute [224] paysanne est de transformer un jour son
union en mariage.
D'après mon enquête sur les conditions de vie de 297 femmes et
jeunes filles des bourgs et districts ruraux, les femmes de ce groupe,
qui constitue celui de la majorité des haïtiennes, ont un standard de
vie très primitif, mais parfois supérieur à celui de la femme pauvre des
villes.
La majorité des femmes étudiées vivait dans des maisons de deux
ou trois pièces, 229 sur 597 vivaient dans des maisons de deux pièces,
224 dans des maisons de trois pièces, 110 dans des maisons de quatre
pièces et 28 dans des maisons d'une seule pièce. La dimension des
maisons est à peu près la même dans les bourgs et les campagnes, tou-
tefois dans les bourgs, il y a souvent un petit nombre de maisons de
cinq, six ou sept pièces et même des maisons à plusieurs étages. 368
Toutefois, les différences entre les bourgs et les communautés rurales
sont plus grandes si nous considérons la construction, la toiture et la
structure de la maison ; 263 femmes rurales sur 316 vivaient dans des
maisons couvertes de chaume, tandis que 123 seulement sur 281 des
femmes des bourgs vivaient dans des maisons couvertes de tôles pour
seulement, 51 dans les districts ruraux. Il en est de même de la struc-
ture ; tandis que la presque majorité des parois des maisons rurales,
soit 271 sur 315 étaient « clissées », c'est-à-dire faites en gaules entre-
lacées recouvertes de boue et blanchies à la chaux, Seulement 135 sur
281 des parois des maisons des bourgs étaient « clissées », les autres

368 Appendice I Table No 20.


Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 222

étant en bois ou en pierre, De même encore pour le plancher, 287 sur


316 maisons rurales n'avaient pas de plancher, et 126 sur 281 des mai-
sons des bourgs. Toutefois la différence entre le nombre de latrines est
beaucoup soins sensible ; 255 maisons rurales sur 316 en étaient dé-
pourvues, et 197 sur 261 dans les bourgs. En ce qui a trait à l'ameuble-
ment, il est en général plus nombreux dans les bourgs, comme nous
avons pu le constater dans le détail de cas étudiés. Nous avons porté
dans nos tables le nombre de lits, qui est une marque de prestige dans
les districts ruraux.
[225]
M. Dartigue, dans son enquête sur 884 familles rurales, n'a trouvé
que 50% des familles possédant un lit 369 ; nos chiffres sont beaucoup
plus élevés, seulement 32 femmes sur 316 ne possédaient pas de lit 370,
Cette différence peut s'expliquer de la façon suivante : comme nous
l'avons indiqué précédemment, notre groupe de femmes constituent
l'élite des communautés rurales, nous avons aussi considéré comme lit
tout meuble si rudimentaire soit-il, qui permet au paysan de ne pas
coucher par terre. Ceci comprend ce que l'on appelle communément
« wharf » à la campagne, c'est-à-dire quatre pieux fichés en terre avec
des gaules placées au travers. D'autre part, certaines écoles ont mené
récemment une campagne pour la construction des lits, qui, confec-
tionnés à l'école, ont été distribués dans les familles paysannes. Dans
notre enquête, la majorité des familles possédait un lit, soit 172 sur
316 rurales et 132 sur 281 des bourgs, respectivement, 85 rurales et 90
des bourgs avaient deux lits. Naturellement, le nombre de familles
possédant plus de deux lits était plus élevé dans les bourgs que dans
les districts ruraux. Toutefois, si l'on compare le nombre de lits au
nombre moyen de personnes vivant dans la maison, soit environ sept,
on constatera que presque dans toutes les familles il n'y a qu'un petit
nombre de personnes couchant sur des lits. Ordinairement, dans les
districts ruraux, le lit est un signe de prestige et certains paysans ne
s'en servent pas, le réservant pour les hôtes de passage, généralement
les parents et les bébés couchent sur le lit, le reste de la famille dort
sur des nattes ou des chiffons. S'il y a plusieurs lits, le deuxième lit
peut servir aux personnes âgées de la famille s'il y en a ou aux filles
ainées. Dans les bourgs, il y a un petit nombre de familles tout le
369 Dartigue, op. cit., p. 4.
370 Appendice I, Table No 20.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 223

monde couche sur un lit, à l'exception des petits domestiques qui


dorment sur une natte.
D'après notre enquête, la diète paysanne est mieux balancée qu'on
ne le croit généralement ; elle comprend des aliments de toutes caté-
gories. Il y a pourtant des variations régionales. En général, l'alimenta-
tion se compose en majeure partie d'aliments farineux, les aliments
protéiques sont en nombre [226] restreint ou ils sont surtout consom-
més en très petite quantité, même quand le paysan prétend boire du
lait et manger de la viande, c'est ordinairement en quantité insuffi-
sante. Seulement 158 familles rurales sur 316 et 165 familles des
bourgs sur 281 prenant régulièrement du lait et généralement la quan-
tité consommée n'est pas de plus d'un demi litre pour sept personnes.
D'après notre enquête, dans les bourgs il y a un plus grand nombre de
familles dont la diète comporte de la viande et du poisson frais ou sec,
tandis que dans les communautés rurales on consomme davantage les
fruits et les légumes. Sur 316 familles rurales 193 prenaient deux re-
pas par jour et 101 trois repas, tandis que 120 familles des bourgs pre-
naient deux repas et 155 prenaient trois repas. Un grand nombre de fa-
milles rurales qui prétendaient prendre trois repas, se contentaient
d'une légère collation à midi ; des fruits, du pain ou de la cassave et
des « douces » ou de la confiserie. Les deux véritables repas paysans
se prennent le matin vers dix heures et le soir vers six ou sept heures.
Très souvent, le matin, on se contente de café et de pain et on ne prend
qu'un seul repas substantiel le soir.371
À la campagne, l'homme mange seul ou avec des hôtes ; selon la
tradition africaine, la femme le sert et mange après lui avec ses en-
fants. Dans les bourgs, généralement toute la famille mange ensemble
à la mode européenne.
L'habillement des paysannes est très simple et consiste ordinaire-
ment en une chemise ou un jupon recouvert d'une robe d'une seule
pièce, retenue à la taille par un mouchoir ou par une ceinture et d'un
foulard de couleur unie ou à dessin, noué autour de la tête, surmonté
d'un grand chapeau de paille pour se protéger de l'ardeur du soleil.
Quand elles visitent le bourg, elles portent des sandales. Toutefois
la plupart d'entre elles ont aussi une paire de souliers pour les grandes
fêtes. À la campagne, elles circulent ordinairement pieds nus, ce qui,
371 Appendice I, Table 22.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 224

joint à la saleté du sol due à l'absence de latrines, cause la prolifération


des parasites intestinaux. Dans notre enquête, sur 597 femmes et
fillettes, 310 avaient une seule paire de souliers et 124 en avaient deux
paires, 47 environ en avaient trois ou un plus grand nombre. [227]
Deux cent quatre-vingt-quatorze avaient une paire de sandales, 46 en
avaient deux et 19 en avaient trois La paysanne est coquette et aime à
se parer de bijoux à bon marché ; presque toutes portent constamment
des anneaux en or ou plaqué, comme boucles d'oreilles. Dès la nais-
sance, on perce les oreilles de toutes les petites filles et si les parents
n'ont pas de quoi acheter tout de suite les boucles d'oreilles, on passe
un fil ou une brindille dans le trou, afin qu’il se ne ferme pas.
Les paysannes ont souvent aussi un ou plusieurs colliers, qu'elles
confectionnent elles-mêmes avec des perles importées, en faïence ou
en verre ou avec des grains du pays.
Dans notre enquête, 450 sur 597 femmes et fillettes avaient une ou
plusieurs boucles d'oreilles et 286 avaient des celliers. 372
Elles ne filent, ni ne tissent l'étoffe de leurs robes qui sont ordinai-
rement en zéphyr importé de couleur, à barres ou à ramages ou en gros
bleu fabriqué dans le pays. Les robes sont achetées toutes faites au
marché où elles ont été confectionnées par des couturières de la ville
ou de la communauté, ou bien elles sont cousues à la main par les
paysannes elles-mêmes. Nous avons vu dans notre enquête que des
femmes cousent 373, mais très souvent, elles ne font pas toutes les cou-
tures de la famille et ne confectionnent! Jamais les vêtements
d'hommes, qui sont faits par des couturières ou des tailleurs profes-
sionnels.
Les chapeaux de paille sont ordinairement confectionnés dans les
communautés, très souvent par des hommes qui sont dans certaines
régions, plus habiles que les femmes en vannerie. Les sandales sont
ordinairement confectionnées dans les communautés rurales, mais les
souliers sont fabriqués dans les bourgs et dans les villes. Les foulards
sont importés et achetés au marché. Dans nos tableaux, nous n'avons
indiqué que les pièces les plus importantes d'habillement, laissant de
côté les vêtements de dessous. La majorité des femmes et des jeunes
filles faisant l'objet de l'enquête, soit 320 sur 597 possédaient [228] de
372 Appendice I, Table No. 21.
373 Appendice I, Table No. 24.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 225

trois à huit robes, quelques-unes en avaient davantage et même plus


d'une vingtaine ; 197 avaient un seul chapeau, 213 en avaient deux et
103 en avaient trois ou un plus grand nombre. 228 possédaient de un à
deux foulards. 374 En général, la petite paysanne fréquentant l'école,
tend à abandonner le costume traditionnel pour adopter les modes de
la ville ; dans l'enquête, plusieurs fillettes déclarèrent qu'elles ne se
servaient plus de foulards. De même, les femmes des bourgs ont ten-
dance à abandonner le foulard ou « tignon », qui les assimile aux pay-
sannes et à adopter les modes de la ville.
La famille paysanne dépense peu, pour la vie journalière, car une
partie des aliments sont tirés du jardin. En général, les revenus sont
bien inférieurs à ceux des paysans de la région de St. Marc, étudiées
dans l'enquête du Département de l'Agriculture.
À Marbial, Mme Comhaire-Sylvain a étudié en détail les budgets
familiaux de huit familles, s'élevant de 200 à 1400 gourdes par an. 375
La maison et l'ameublement primitif sont confectionnés sur place
presqu'exclusivement avec des matériaux du pays. Les paysans pro-
duisent eux-mêmes presque tout ce qui est nécessaire à leur alimenta-
tion, à l'exception de la farine, de l'huile et du poisson salé. Ils doivent
aussi acheter les étoffes de leurs vêtements, les outils, les machines
agricoles et les ustensiles ménagers.
Nous avons déjà parlé des conditions familiales et des occupations
habituelles des femmes de cette classe, nous n’y reviendrons plus.
Leurs distractions sont à peu près les mêmes que celles des fillettes.
177 sur 230 femmes de notre enquête connaissaient des contes et en
racontaient, 190 chantaient des cantiques et 112 des romances. 136
dansaient, 141 allaient dans les veillées et 42 faisaient partie d'une as-
sociation. Leurs distractions favorites étaient : pour 59 la danse, pour
30 les jeux, pour 23 le chant et pour 26 l'audition des contes chantés,
La lecture n'avait que deux ferventes, pourtant [229] 48 prétendaient
lire parfois ; dans la plupart des cas, il s'agissait de leurs prières 376,
toutefois 74 savaient lire plus ou moins et 95avaient fréquenté l'école,
mais 18 seulement pouvaient s'exprimer couramment en français. 377
374 Appendice I, Table 21.
375 Méraux, op. cit., p. 120 et suiv.
376 Appendice I, Table Nos 25, 26, 27
377 Appendice I, Tables 8 et 9.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 226

C'est l'une des raisons pour lesquelles elles ne pouvaient vraiment pas
s'intéresser à la lecture, d'autre part, il est très difficile de se procurer
des livres dans les communautés rurales, et la fillette, quelques années
après avoir quitté l'école, oublie bien vite le vocabulaire acquis.
La paysanne a beaucoup d'amies, elle aime bavarder avec ses voi-
sines, faire la route du marché en compagnie, aller dans les réunions,
au marché, etc.
Comme nous l'avons dit plus haut, les vieillards sont respectés et
les enfants prennent soin de leur vieille mère, qui d'ailleurs leur, est
toujours utile. Elle soigne les malades, veille au maintien des tradi-
tions ancestrales et s'occupe des petits enfants.
Les funérailles sont l'un des événements les plus importants de la
vie paysanne, elles sont ordinairement précédées, par une grande
veillée à laquelle assistent tous les membres de la famille et de la
communauté. On passe la nuit à raconter des contes appropriés à l'âge
et au caractère du mort, car la fête est en son honneur. La cérémonie
funéraire est accompagnée de rites. 378 Pendant neuf jours on se réunit
tous les soirs à la maison mortuaire et on passe la soirée à prier, chan-
ter, à dire des contes, à boire et à jouer. Les enfants doivent porter le
deuil de leurs parents et faire chanter des services pour le repos de
leur âme, sinon le mort viendra les rappeler à leurs devoirs. Pourtant,
si la situation économique ne permet pas de faire immédiatement les
dépenses du deuil, on peut remettre cette obligation à plus tard, sans
toutefois jamais l'oublier. Une paysanne peut porter le deuil de sa
mère ou de sa marraine dix ans après la mort de celle-ci.
Dans notre enquête, nous avons cherché à savoir quelles étaient les
ambitions des femmes pour leurs enfants et pour [230] elles-mêmes et
si elles étaient satisfaites de leur situation.
Soixante-cinq femmes sur deux cent trente étaient satisfaites de
leur situation et 118 ne l’étaient pas. 379 114 désiraient avoir une
meilleure situation économique et de plus, 33 avaient exprimé des
vœux spécifiques, dépendant aussi d'une amélioration économique. 380

378 Herskovits, op. cit., pp. 205-218


379 Appendice I, Table No. 31.
380 Appendice I, Tables No. 28
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 227

La majorité, 148, désiraient instruire leurs enfants, de plus, 40 dési-


raient leur faire apprendre un métier ou une profession spécifiée. 381
La majorité des fillettes (228 sur 367) désiraient être couturières,
107 voulaient être commerçantes et seulement 30 souhaitaient être in-
firmières ; 25 désiraient voyager et 17 se marier. 382
Comme on le voit, en général les femmes de cette classe veulent
améliorer leur standard de vie ; l'instruction leur parait le moyen le
plus sûr d'atteindre leur idéal, c'est pourquoi elles désirent que leurs
enfants possèdent ce sésame bienfaisant. La fillette est conservatrice
et pratique. Elle désire augmenter ses revenus ; pour cela les métiers
qu'elle connait lui semblent tout indiqués : couture et commerce.
L'agriculture n'a pas été désignée par un plus grand nombre, parce
que pour certaines cela fait partie de la vie journalière et il est inutile
de le mentionner ; les autres, au contraire, désirent avoir une existence
moins pénible et s'élever d'un échelon dans la société, pour cela elles
méprisent les occupations agricoles, qui sont indignes d'une jeune fille
instruite.

381 Appendice I, Table No 29.


382 Appendice I, Table 30.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 228

[231]

Haïti et ses femmes.


Une étude d’évolution culturelle.

CONCLUSIONS GÉNÉRALES

Retour à la table des matières

L'Ile d'Haïti a été successivement habitée par des peuples de race et


de civilisations différentes. Certains ont disparu ou ont émigré
ailleurs ; pourtant tous ont laissé leur empreinte et ont contribué à la
formation de la culture haïtienne. La situation de la femme peut être
expliquée largement par ses origines historiques et sociales. Elle est
principalement le résultat d'un mélange des traditions africaines et
françaises et d'autres forces sociales qui ont agi sur elle.
La contribution indienne à la culture haïtienne n'a pas été étudiée
en détail. Nous croyons qu'elle consiste surtout en techniques maté-
rielles. La femme a été le principal agent de transmission de ces tech-
niques et grâce à elle, certaines coutumes domestiques, telles que la
préparation des aliments indigènes, se sont conservées intactes.
La contribution espagnole a été très importante car c'est durant
cette période que les éléments fondamentaux de la culture européenne
furent importés dans l’ile par l'établissement des cadres économiques
et sociaux et de la religion catholique.
Pendant la période de colonisation française, les civilisations fran-
çaises et africaines furent importées dans le pays. Elles subsistèrent
côte à côte et exercèrent une influence réciproque l'une sur l'autre tout
en se modifiant mutuellement tandis que la grande institution de l'es-
clavage laissait son empreinte sur la vie coloniale, contribuant à désa-
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 229

grège) les deux cultures et à établir un système de caste. La femme me


devint le jouet des passions. Libre, elle était considérée comme une
courtisane ou une enfant gâtée ; esclave, elle sentait peser sur elle le
joug de l'esclavage et du sexe, véritable bête de somme, elle devait
aussi satisfaire les caprices de son maitre.
Elle prit part aux luttes pour l'indépendance ; pourtant, sa condition
ne fut guère améliorée. Coutume, tradition, loi, contribuèrent à déter-
miner sa situation inférieure dans la société haïtienne. Elle reprit pour-
tant son importance économique.
Après l'indépendance, la nouvelle nation adopta les coutûmes
[232] et institutions françaises, toutefois, les traditions africaines
continuèrent à prédominer dans les campagnes
Actuellement la femme, à l'exception des membres de la bourgeoi-
sie et de la classe moyenne, est encore en grande partie superstitieuse,
illettrée, ignorance des principes les plus élémentaires de l'hygiène, de
l'économie ménagère et des forces qui bouleversent le siècle. Souvent
seule, chef d'une famille nombreuse, elle vit dans des logis étroits et
malsains à la merci des convoitises de l'homme. Toutefois, bien que
considérée comme inférieure par la loi et souvent par la coutume, elle
joue un rôle important dans la famille et la communauté haïtienne.
L e vent du siècle a pénétré en Haïti. L'automobile, la radio, la
presse, les cinémas, les conditions économiques modernes et l'in-
fluence de l'occupation américaine, ont contribué à changer le genre
de vie de l'haïtienne, qui, en ce moment, prend conscience d'elle-
même et de son nouveau rôle social et économique et vient d'obtenir
les droits politiques. La situation des femmes en Haïti n'a pas été déli-
bérément fixée pour leur donner un statut inférieur à celui des
hommes, elle est seulement le résultat des circonstances historiques.
Toutefois, les coutumes traditionnelles doivent être changées si la na-
tion haïtienne veut progresser, car, comme le dit Letourneau « Aucun
progrès social sérieux et durable n'est possible si la femme n'y parti-
cipe pas pour y aider et en bénéficier. »
« Qui oserait contester la néfaste influence d'une mère inférieure
sur sa descendance, à laquelle elle imprime un cachet de déchéance, à
la fois par l'hérédité et par l'éducation. Mais il s'en faut que le mari lui-
même, s'il n'a pas une rare solidité de caractère, échappe à la dégrada-
tion. Avec raison Stuart Mill dit que, si la femme ne pousse son mari
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 230

en avant, elle le retient ; or, la femme telle que l'ont faite jusqu'ici
l'évolution historique et l'éducation, a été le plus souvent aveuglément
conservatrice. » 383
Pourtant, il ne suffit pas d'améliorer le sort de la femme dans le
cadre de l'organisation sociale actuelle, le problème [233] féminin
n'est qu'une des phases du problème haïtien en général, et tant que cer-
tains changements fondamentaux n'auront pas été apportés aux institu-
tions sociales et économiques, nous ne pouvons pas espérer arriver à
améliorer la situation de la femme.
Les problèmes de l'hygiène, de l'éducation, des récréations, de l'as-
sistance sociale, du développement économique, du régime de pro-
priété, du travail, du mariage, de la famille et de l'organisation poli-
tique doivent être envisagés dans leur ensemble. Ces problèmes dé-
passent le cadre de noire étude et ont déjà fait l'objet de nombreuses
discussions. Nous nous contenterons de rappeler brièvement certains
aspects de la question strictement féminine, en nous souvenant qu'elle
ne saurait être résolue sans un examen et une amélioration des condi-
tions sociales en général.
Examinons rapidement la position de la femme sous ses différents
aspects : situation matérielle, économique, sociale et pédagogique et
cherchons les améliorations qu'on pourrait y apporter.
Au point de vue matériel, nous avons vu que le standard de vie
était très bas et que la femme était surchargée d'une quantité de be-
sognes ménagères qui pourraient être supprimées ou facilitées par
l'emploi d'outils et de matériel modernes. Mais, d'une part, le plus sou-
vent, sa condition économique ne lui permet pas de se les procurer et,
d'autre part, elle ne sait pas tirer le meilleur parti possible des res-
sources naturelles. Il serait nécessaire de donner aux femmes du
peuple une éducation ménagère appropriée, qui leur permettrait d'af-
fronter les difficultés de la vie dans des conditions moins défec-
tueuses. Le gouvernement a établi des cours ménagers dans plusieurs
écoles des villes et des campagnes ; nous espérons qu'ils pourront être
généralisés afin que toutes celles qui en ont besoin puissent en bénéfi-
cier.

383 Letourneau, op. cit., p. 506


Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 231

Au point de vue économique, nous avons vu que la femme, à l'ex-


ception d'une petite minorité appartenant à l'élite, contribue comme
l'homme à l'entretien de la famille et à la prospérité de la nation. Le
travail de la femme est nécessaire, d'une part, à cause de la modicité
des salaires masculins et parce que plusieurs d'entre elles sont chefs de
famille et [234] doivent entretenir et élever leurs enfants. La responsa-
bilité de la famille pèse plus lourdement sur la mère et c'est souvent
grâce à ses efforts que les enfants sont nourris, vêtus et instruits. Elle
doit alors jouer le double rôle de soutien de famille et de maitresse de
maison, et sa tâche est ainsi plus lourde que, celle de l'homme. Pour-
tant, son salaire est presque toujours inférieur, bien que l'égalité de sa-
laire pour un travail égal soit reconnue par la loi. Mais avant de crier à
l’injustice, nous allons étudier d'abord les raisons de ces différences.
À la campagne, il ne saurait être question de salaires. La famille
paysanne, le plus souvent, cultive son jardin individuel et dispose elle-
même du produit de ses récoltés. Si veut améliorer la situation de la
paysanne aussi bien que celle du paysan, il est nécessaire d'augmenter
leurs revenus d'une part, par l'emploi de méthodes agricoles modernes
et par une meilleure répartition des terres ; de l'autre, par l'introduction
d'industries agricoles et par rétablissement de coopératives de vente et
de consommation.
Dans les classes populaires des villes, les femmes gagnent moins
que les hommes. Quelles sont les raisons de cette différence ? En exa-
minant les occupations habituelles des femmes qui travaillent, nous
constatons qu'il y a des métiers dits féminins, qui sont presqu'exclusi-
vement réservés aux femmes, tels que la couture, la pâtisserie, certains
emplois domestiques, et que seulement quelques métiers sont exercés
par les deux sexes : commerce et certains emplois administratifs et
professionnels.
Les métiers les plus communément exercés par les femmes sont la
couture, le commerce, les emplois domestiques cuisine, lessive, mé-
nage, soin des enfants et un petit nombre d'industries ; vannerie, pite,
triage de café, cigarettes, etc. Le professorat et les emplois administra-
tifs et professionnels sont, en général, exercés par les membres de la
bourgeoisie et de la classe moyenne.
Les métiers féminins sont, pour diverses raisons, moins bien rétri-
bués que les métiers masculins : 1) parce qu'on pense ordinairement
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 232

que la femme a moins de responsabilités que l'homme ; 2) parce que


la femme, pressée par le besoin, [235] accepte des salaires de famine ;
3) parce que, prétend-on, la femme peut consacrer moins de temps à
son travail à cause de ses occupations ménagères ; 4) à cause du petit
nombre de métiers féminins ; 5) à cause de l'insuffisance de la prépa-
ration professionnelle.
Nous avons constaté que la femme, mariée ou non, ne travaille pas
pour son plaisir ou dans le but d'augmenter ses revenus, mais le plus
souvent pour subvenir à son entretien et à celui d'une ou de plusieurs
personnes dépendant d'elle. Elle accepte parfois un salaire insuffisant
pour ne pas faillir à ses responsabilités.
La pratique ne prouve pas que la femme consacre moins de temps
que l'homme à son travail, au contraire, les occupations domestiques
par exemple, sont celles qui ont les heures de travail les plus longues,
souvent de six heures du matin à huit heures du soir, parfois avec
l'obligation de coucher chez le patron et de continuer à travailler pen-
dant la nuit. De même pour le travail à domicile, la couturière, si elle
veut gagner un salaire minimum, doit travailler huit ou dix heures par
jour.
Il est vrai que le petit nombre de métiers féminins empêche la
hausse des salaires dans ces professions. Eh général, on ne considère
pas qu'il soit nécessaire d'avoir reçu une préparation professionnelle
pour les exercer. Nous avons vu que toutes les écoles de filles en-
seignent la couture, aussi un grand nombre de femmes qui désirent ga-
gner leur vie, cherchent à le faire par le travail à l'aiguille. La multipli-
cité des couturières et la concurrence entre elles maintiennent des sa-
laires de famine. Il en est de même des emplois domestiques. L'abon-
dance des candidates, leur manque de préparation abaissent le prix de
la main-d’œuvre au-dessous d'un minimum de subsistance.
Nous voyons que, si l'on améliorer les conditions économiques
dans lesquelles vit la femme, il importe avant tout de supprimer les
causes réelles de rétribution insuffisante du travail féminin en aug-
mentant le nombre des écoles professionnelles pour l'enseignement
des métiers plus ou moins manuels et en réglementant un apprentis-
sage qui complète ces études. L'introduction de nouvelles industries et
l'ouverture [236] d'ateliers coopératifs assureraient un minimum de
subsistance à la femme qui travaille, lui permettant de subvenir à son
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 233

entretien et à celui de ceux qui dépendent d'elle. Ces mesures contri-


bueraient, non seulement à élever le standard de vie, mais aussi la mo-
ralité, car c'est bien souvent la misère qui oblige les femmes à se pros-
tituer.
Les ouvroirs de la Fondation Magloire pourraient servir de centre
de formation pour l'organisation d'un vaste réseau de coopératives de
production agricoles et artisanales.
Les femmes de la bourgeoisie et de la classe moyenne qui fré-
quemment travaillent aussi pour gagner leur vie, sont parfois appelées
à entrer en concurrence avec leurs camarades masculins ; dans ce cas,
les salaires sont plus ou moins égaux, mais, le plus souvent, elles n'ont
pas accès aux postes de direction. Est-ce la preuve d'une discrimina-
tion injuste ? Pas tout-à-fait, car nous constatons que les préjugés
contre l'avancement, des femmes qui travaillent sont quelquefois justi-
fiés par le défaut de préparation de certaines d'entre elles et la négli-
gence dans l'exercice de leur profession, qu'elles considèrent comme
provisoire.
En effet, une bonne culture générale est aussi nécessaire qu'une
préparation professionnelle dans les emplois de secrétaire, de sténo-
dactylographe, et dans les postes de l'administration. Là encore, les la-
cunes de l'instruction féminine desservent la femme qui travaille. Il est
nécessaire non seulement de lui faciliter l'accès des études supé-
rieures, mais encore d'organiser sérieusement et de généraliser l'ensei-
gnement secondaire qui y conduit. La femme, ayant reçu une éduca-
tion professionnelle adéquate, sera alors capable de' rendre de biens
meilleurs services dans le commerce, l'industrie et le gouvernement, et
petit à petit, elle verra s'abaisser les barrières qui empêchent en ce mo-
ment, même les plus capables, de briguer des postes importants.
Au point de vue, social, nous avons constaté que la femme, mariée
ou non, occupe une place de première importance dans la famille dont
elle porte très souvent seule, l'entière responsabilité ; pourtant, dans le
mariage, sa personnalité se trouve assujettie à la puissance maritale,
elle redevient une mineure, incapable de gérer ses affaires, et [237] de
disposer de son salaire. Les droits de la mère sont sacrifié à ceux du
père. Hors du mariage, la jeune fille est insuffisamment protégée par
la loi contre les convoitises masculines. Les conséquences des rap-
ports sexuels pèsent uniquement sur la femme, l'homme est le plus
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 234

souvent sans responsabilité légale effective. Le concubinage et la po-


lygamie sont deux grandes plaies sociales et économiques. Il est diffi-
cile de les combattre et vain de croire qu'elles peuvent être facilement
supprimées, car ce sont des traditions anciennes et profondément enra-
cinées. Toutefois, l'émancipation sociale de la femme, l'avenir écono-
mique de la nation dépendent en partie de la solution de ce problème.
Tant que l'homme pourra impunément avoir des enfants, ici ou là, sans
en prendre l'entière responsabilité, tant qu'il pourra partager ses fa-
veurs entre plusieurs concubines, la femme sera toujours une esclave
obligée de peiner durement pour l'entretien de ses enfants et exposée
par la misère aux chutes les plus lamentables. « Malgré tout son dé-
vouement, la paysanne n'est assurée d'aucune situation stable vis-à-vis
de l'homme qui peut, du jour au lendemain, la répudier selon les ca-
prices de l'heure. Au point de vue légal, elle ne peut rien réclamer, au-
cun contrat n'obligeant le pseudo-mari. » 384 Cette situation entraine la
division de la famille, car la, mère est souvent obligée de se séparer de
ses enfants, qu'elle ne peut pas élever. Ses responsabilités écono-
miques l'empêchent de s'occuper convenablement de ses bébés et elle
est obligée de les laisser à la garde des ainés, qui ne sont pas en me-
sure de s'acquitter de cette tâche et sont eux-mêmes privés d'instruc-
tion.
D'autre part, le grand nombre des concubines entraine le trop grand
morcellement des propriétés et la misère, provoquée par l'excédent de
population. Ce problème est très délicat et ne peut être résolu par des
prohibitions législatives et des sanctions légales. Il faudrait, par l'édu-
cation, exercer une réforme profonde des mœurs et de l'opinion pu-
blique.
Pourtant, les efforts de l'église et de l'état peuvent bâter [238] cette
réforme. L'église peut exercer une action en intensif fiant la propa-
gande menée en faveur du mariage et de la monogamie. L'état peut
agir en promulguant une législation propre à protéger la famille contre
l'injustice et les abus de pouvoir et en obligeant l'homme à accepter
ses responsabilités de père, car les lois ne doivent pas toujours se
contenter de refléter les mœurs ; elles peuvent aussi exercer une action
bienfaisante en contribuant à introduire de nouvelles règles de
conduite.

384 Sylvain, Pierre G., op. cit., p. 5


Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 235

Comme nous avons pu le constater, le code civil maintient la


femme dans une situation nettement subordonnée tout en la protégeant
comme on protège un être faible et en cherchant à garantir ses intérêts.
Elle est considérée comme une mineure en tutelle et déclarée inca-
pable. Célibataire ou concubine elle gère sa fortune comme elle l'en-
tend, mais une fois mariée, elle perd sa liberté et son pouvoir de
contracter et d'agir.
Les réformes légales essentielles à envisager sont : la suppression
de l'incapacité dans le mariage, l'égalité entre époux et les droits
égaux sur les enfants. La femme aura bientôt la pleine jouissance des
droits politiques. Comme nous l'avons vu, elle a fait ses preuves dans
le domaine de l'assistance sociale et nous sommes certaines qu'une
participation des femmes aux affaires publiques exercera une heureuse
influence sur l'avenir du pays.
Au point de vue pédagogique, nous avons constaté les nombreuses
lacunes de l'éducation féminine : nombre insuffisant d'écoles, spécia-
lement dans les districts ruraux, absence de formation professionnelle,
enseignement secondaire et supérieur insuffisants. L'amélioration éco-
nomique et sociale de la femme dépend en grande partie de l'éduca-
tion qu'elle reçoit. En définitive, l'orientation de cette éducation dé-
pendra avant tout du rôle que l'on décidera d'assigner à la femme dans
la société. Elle sera différente si l'on pense qu'il est uniquement néces-
saire de la préparer à mieux remplir un rôle secondaire dans la famille
et la société, ou si l'on veut arriver à développer sa personnalité afin
de lui permettre de mieux participer au progrès du pays. L'haïtienne
évolue lentement. Une éducation adéquate doit lui permettre, de rem-
plir son [239] rôle dans la reconstruction de la famille et de la société.
Le Gouvernement haïtien a compris qu'aucun progrès social et éco-
nomique ne peut être réalisé tant que l'idéal démocratique était res-
treint à une moitié de la population et il vient d'accorder les droits po-
litiques aux femmes afin d'arriver à une collaboration des deux sexes
pour le bien du pays.

[240]
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 236

[241]

Haïti et ses femmes.


Une étude d’évolution culturelle.
Première partie : La femme haïtienne dans l’histoire

APPENDICE I
Le Procès de la Ligue féminine pour l'exercice intégral
des droits politiques en 1957 et la participation fémi-
nine au renversement du Gouvernement du Président
Magloire

Retour à la table des matières

Depuis Décembre 1950, date de la promulgation de la Constitu-


tion, aucun changement n'ayant été apporté au statut civil de la
Femme, la Ligue Féminine d'Action Sociale attendait avec impatience
le moment où les femmes pourraient participer à la vie publique afin
de pouvoir elles-mêmes défendre leurs droits et exercer une influence
sur la politique générale en mettant l'accent surtout sur le point de vue
social
L'article 4 de la Constitution prévoyant que « la loi devra assurer le
plein exercice de tous les droits politiques à la femme dans un délai
qui ne pourra excéder trois ans après les prochaines élections munici-
pales générales « les femmes devaient participer aux élections sénato-
riales et présidentielles de Janvier et d'Avril 1957 car la loi électorale
du 21 Juillet 1954, modifiée le 8 Octobre 1954 et en Octobre 1956 sti-
pule dans son article premier que « tous les haïtiens sans distinction de
sexe. » sont électeurs. En Octobre 1956, 22 mois après les élections
municipales l'Assemblée Nationale consultée par l'Exécutif avait ap-
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 237

prouvée la loi électorale sans apporter, de changement à l'article pre-


mier qui d'accord avec la Constitution assurait à la femme « le plein et
entier exercice de tous les droits politiques » dans les délais prescrits.
Toutefois la Commune de Port-au-Prince, outrepassant ses pou-
voirs, a dans un arrêté du 15 novembre 1956 voulu ravir à la femme
des droits acquis en invitant seulement « les citoyens mâles de la
Commune jouissant de la capacité électorale à se faire inscrire sur les
registres afin fie participer aux prochaines élections sénatoriales.
[242]
Seize membres du comité directeur de la Ligue Féminine d'Action
Sociale, agissant au nom de leur association et de l'ensemble des
femmes haïtiennes, intentèrent un procès à l'Administration Commu-
nale de Port-au-Prince, réclamant immédiatement l'exercice intégral
des droits politiques reconnus par la constitution et par la loi et leur
permettant de s'inscrire dans toutes les communes d'Haïti en vue
d'exercer leurs droits civiques.
Bien que, vu l'urgence (les inscriptions devant commencer le 18
Novembre l'affaire ait été portée à l'extraordinaire devant le tribunal
civil pour être entendue le 15 novembre ; durant trois semaines consé-
cutives des délais de procédure invoqués par le ministère public et
l'avocat de la commune ne permirent même pas de plaider.
Pour décourager les femmes des mesures d'intimidation furent em-
ployées en faisant garder militairement le palais de justice et même la
salle d'audience. Une demande d'inscription provisoire des femmes
sur les registres électoraux en attendant le règlement de l'affaire, intro-
duite devant le juge des référés qui doit rendre un jugement immédiat,
fut, après l'avoir entendu, renvoyée par devant le tribunal civil pour
incompétence.
Il est clair que le gouvernement sachant que le jugement ne pouvait
qu'être favorable à la cause des femmes, avait l'intention de prolonger
la procédure jusqu'à la fin des inscriptions.
Le coup d'état du 6 décembre, par lequel le président Paul E. Ma-
gloire, après avoir démissionné se saisit inconstitutionnellement du
pouvoir exécutif et fit de nombreuses arrestations, provoqua la grève
générale qui fut dirigée par les groupements d'opposition parmi, les-
quels les femmes.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 238

Les femmes haïtiennes, dès le dimanche décembre ont formé un


groupement qui devait selon les prévisions réunir dix mille adhésions :
au premier chef, dix leaders, ayant chacune dix seconds ignorés des
autres. Chacune de ces seconds (100) ayant à son tour dix amies sûres
(1000) qui réunissent au dernier échelon chacune dix soldats. Les
questions posées qui presque toujours reçoivent une adhésion enthou-
siaste : « Voulez-vous faire partie d'un mouvement de résistance?
Êtes-vous prête à répondre à un mot d'ordre, quel qu'il soit ? »
Il est probable qu'en fin de compte le tiers seulement de cet effectif
[243] ait pu être groupé, à cause de la difficulté pour, chacun; de trou-
ver dix amies sûres et discrètes, d'autant plus que les contacts devaient
tous être faits dans les 24 heures, néanmoins dès l'après-midi du di-
manche, on travaillait fiévreusement, reproduisant : à la main, à la ma-
chine, au duplicateur un premier tract demandant aux ambassades
étrangères de ne pas reconnaître le gouvernement illégal du général
Magloire. Il est le même jour non seulement remis dans les ambas-
sades mais distribué par toute la ville. Le lundi, sans plus attendre de
mot d'ordre 90% des magasins sont fermés. La ville se couvre de gen-
darmes, la police cherche activement les meneurs qui n'existent pas,
chaque haïtien de son propre chef étant résolu à ne pas céder. La fu-
reur du Gouvernement se heurte à du vent, les commerçants que l'on
tente de chercher chez eux pour les obliger à ouvrir sont introuvables.
Ce premier succès encourage les forces de la résistance qui com-
mencent à s'organiser. Tous les groupes préparent fiévreusement des
tracts et les répandent dans la ville. Le lundi il apparait clairement que
le mouvement spontané de grève est dénué de toute cohésion, des
groupes isolés prennent des initiatives, distribuent des tracts, mais
ignorent ce que font leurs voisins. Si dans les 24 heures, la grève ne
s'étend pas aux bureaux publics et aux administrations les timides du
commerce rouvriront certainement leurs, portes.
Le travail de l'Union des Femmes durant ces 24 heures consistera
non seulement à intensifier la grève, mais à établir le contact et la co-
hésion entre les différents groupements.
Un nom eau tract demandant à toutes les femmes haïtiennes de
cesser le travail est partout distribué avec une impudence et une au-
dace ; sans pareilles : À Damiens par exemple Mme X., qui depuis
deux jours avait quitté son travail, se présente le mardi matin au bu-
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 239

reau du directeur général : « Mr. le directeur je ne suis pas venue ce


matin au travail, mais chargée d'une mission spéciale, elle lui tend
avec simplicité un tract et fait ensuite le tour du bureau pour distribuer
ses petits papiers. Au même moment une autre se promène ouverte-
ment aux Contributions, entraînant les employés féminins qui toutes la
suivent après la lecture du tract.
Cependant, entre temps, les dix leaders choisies dès l'origine parmi
le membres des différente secteurs de l'opposition sont entrées [244]
en contact avec les chefs de partis pour obtenir un accord commun sur
l'attitude à prendre après l'effacement du général Magloire. Après di-
vers pourparlers et échanges de vues tous acceptent de soutenir le Tri-
bunal de Cassation pour rester dans les normes constitutionnelles.
Le mardi 11 décembre plus de la moitié des bureaux publics sont
en grève et presque toutes les pompes de gazoline à défaut des chauf-
feurs publics.
Il est bruit que le corps diplomatique essaye d'obtenir l'effacement
du Gouvernement qui échafaude sans succès combinaison après com-
binaison. Il se plaint, par l'intermédiaire de son ambassadeur à Wa-
shington, de l'attitude des commerçants américains qui ont pris part à
la grève. On prétend que le département d'état aurait répondu à Zéphi-
rin présentant les doléances de son gouvernement : « Quel gouverne-
ment ? Il n'y a pas actuellement de gouvernement en Haïti,
Le mardi après-midi ruse qui semble devoir réussir : réunion au pa-
lais de la chambre de commerce. Trente-deux commerçants sont
convaincus d'ouvrir leurs portes. Leurs noms sont immédiatement pu-
bliés à la radio pour inspirer l'exemple. Mais la vigilance des agents
de grève n'est pas prise en défaut : Les propriétaires des grands maga-
sins sont censés aller chercher chez eux leurs employés avec l'appui
de la police. Le mot d'ordre est passé : tract et téléguiole et pas un em-
ployé n'est chez lui le mercredi matin. Ce jour-là, non seulement tous
les magasins sont fermés mais aussi tous les bureaux publics. Les
écoles des gardes malades, les internes des hôpitaux sont en grève.
À 9 h. a.m. les quartiers généraux de l'opposition sont avertis
qu'une dernière combinaison se trame : le général Magloire remet le
pouvoir au président du tribunal de cassation, mais reste généralissime
des armées avec plein pouvoir de tirer les ficelles et la couverture d'un
pouvoir constitutionnel. On prépare fiévreusement les tracts, à la ma-
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 240

chine, à la main, au mimographe : « Attention, peuple haïtien : Et mal-


gré l'ambiguïté du communiqué, annoncé pour une heure p. m. et at-
tendu fiévreusement d'heure en heure jusqu'à 4 h. personne n'est dupe.
Mais les nerfs sont à bout. A peine les derniers mots entendus À
quatre heure et demie, une foule furieuse se porte en face du palais
[245] hurlant : « A bas Magloire » des groupes de jeunes gens exaspé-
rés parcourent les rues aux mêmes cris. Ou entend partout des corps
de feu la plupart tirés eu l'air pour disperser la foule. Néanmoins dans
certains secteurs les échauffourées de la police et des civils sont plus
sérieuses ; Les militaires casernes depuis dix jours sont aussi énervés.
Dès cinq heures une foule dense est massée devant la prison attendant
la sortie des prisonniers politiques. Un militaire de la garde bouscule,
parait-il un groupe plus entreprenant parmi lequel se trouve l’ex-colo-
nel Clermont, deux fois lauréat des jeux Olympiques pour le tir, le co-
lonel proteste, le gendarme menace de le coucher en joue, il l'abat.
Quelques minutes après deux officiers de la police se présentent à
la maison privée du colonel avec l'intention de l'arrêter sans mandat.
Les récits les plus contradictoires tentent d'expliquer l’altercation qui
suivit. Ce qui est vrai c'est que les deux officiers trouvèrent la mort et
que la famille Clermont (le père, ses quatre fils, sa femme et ses filles)
tous excellents tireurs, soutinrent pendant près de trois heures le siège
de la police qui, en désespoir de cause mit le feu à la maison. Les
Clermont n'y étaient plus, s'étant enfuis au nez de la Garde, grâce à
l'uniforme du père et à la voiture des officiers tués, demeurée dans la
cour.
Le jeudi matin, 13 décembre, le mot d'ordre ayant été passé que
seul le départ de Magloire doit mettre fin à la grève, la totalité des ma-
gasins reste close.
En dépit des coups de feu qui retentissent encore sporadiquement
dans divers points de la ville et des conseils de prudence venus de
toute part et signalant l’énervement de la garde, un groupe de femmes,
environ cent cinquante, se réunissent dès dix heures à la cathédrale
pour des prières publiques : chants de circonstance : Pitié, mon Dieu,
« Pace Domine » et un fameux psaume 35 qui semble avoir été com-
posé sur l'heure tant il est approprié, font les frais de la réunion.
Au retour, les communiqués espérés, mais non attendus, tant la mé-
fiance est devenue la règle résonnent à la radio. Les prières des
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 241

femmes ont été exaucées. Le général Magloire est démissionnaire et


s'embarque à l'étranger. Le général Levelt est démissionnaire et le Pré-
sident de la République demeure le seul chef des armées de terre et de
mer.
[246]
Le mouvement de résistance passive a été couronnée de succès par
le rétablissement des normes constitutionnelles et l'instauration du
Gouvernement provisoire présidée par Monsieur Joseph Nemours
PIERRE-LOUIS.
Ce gouvernement a présenté un projet de loi au corps législatif afin
de permettre à la femme d'exercer immédiatement les droits politiques
reconnus par la constitution et de participer aux élections sénatoriales
et présidentielles de 1957.
Par ce bref aperçu on peut constater que la femme a joué un rôle
important dans la révolution pacifique en vue du renversement de la
dictature, de la reconquête des libertés publiques et des droits de la
personne humaine sans distinction de sexe, de classe ou de race.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 242

[247]

Haïti et ses femmes.


Une étude d’évolution culturelle.
Première partie : La femme haïtienne dans l’histoire

APPENDICE II
Présentation schématique des conditions de vie
de 597 femmes et jeunes filles des bourgs
et districts ruraux

Retour à la table des matières

Une enquête a été faite auprès de 230 femmes et 367 fillettes des
bourgs et districts ruraux pour se rendre compte par des cas concrets
du genre de vie et des occupations des femmes de nos bourgs et dis-
tricts ruraux. Le nombre restreint des femmes interrogés ne nous per-
mettra pas de tirer des conclusions absolues pour la vie de la femme
haïtienne en général ; toutefois il donnera une idée de la vie d'un
grand nombre d'entre elles.
Il convient de noter que les cas présentés constituent l'élite des
Communautés rurales, car ce sont les femmes intelligentes et éclairées
qui ont bien voulu se prêter à notre enquête. D'autre part pour les
bourgs, au contraire, notre enquête comprend généralement la fiasse
moyenne et la classe pauvre et quelques membres de la bourgeoisie.
Dans les différents tableaux le terme : bourgs (a) désigne les
femmes habitant les bourgs ; bourgs (b) désigne les fillettes ; bourgs
désigne femmes et les fillettes : rurales (a) les femmes habitant les
communautés rurales : rurale (b) les fillettes : rurales désigne les
femmes et les fillettes rurales.
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 243

Dans certains tableaux où les détails personnels sont étudiés


femmes et fillettes ont été considérées séparément, dans d'autres trai-
tant des conditions matérielles nous n'avons pas jugé nécessaire de
faire cette distinction.

[248]
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 244

IDENTIFICATION
Tableau No. 1
Distribution Géographique des Femmes et Fillettes
par Département et Communautés. 385

Total
Nord Nord-Ouest Artibonite Ouest Sud

provenance
No. pers

No. pers

No. Pers

No. pers

No. Pers

No. Pers

No. pers

No. pers

No. pers

No. pers

No. pers
Bourgs (a) 16 5 8 2 21 3 22 5 16 4 93
Bourgs (b) 110 6 … … … … 39 2 39 2 199
Rurales (a) 22 7 4 1 45 6 49 5 17 5 137
Rurales (b) 58 3 20 1 34 2 20 1 47 3 179
Total 236 21 32 4 100 11 140 13 119 14 597

Tableau No 2
Voyages ou déplacements N’a pas répondu
A visite seulement environs

départements

A été à l’étranger
Les autres communautés du

Les autres
département

Provenance Total

Bourgs (a) 10 55 25 3 … 93
Rurales (a) 35 34 22 19 27 137
Total 45 89 47 22 27 230

385 Pers signifie personnes. Com. signifie communautés.


Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 245

Tableau No 2
Âge des Femmes

Pas spécifié
Plus de 60
22-30

31-40

41-50

51-60
Provenance Total

Bourgs (a) 9 50 22 9 … 3 93
Rurales (a) 16 52 46 13 6 4 137
Total 25 102 68 22 6 7 230

Tableau No 4
Âge des fillettes

Pas spécifié
Plus de 16
14-16
11-13
5-10

Provenance Total

Bourgs (a) 30 58 22 10 6 188


Rurales (a) 27 54 46 18 12 179
Total 63 146 68 28 18 367

Tableau No 5
Religion des femmes
Provenance Catholiques Protestantes Pas répondu Total
Bourgs (a) 89 2 2 93
Rurales (a) 123 11 3 137
Total 212 13 5 230
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 246

Tableau No 6
Pratiques religieuses des femmes

Fait régulièrement des


A fait sa première
Va régulièrement

communion

ses enfants
à la messe

A baptisé

services
Provenance Total

Bourgs (a) 60 76 90 386 21 93


Rurales (a) 62 74 122 39 137
Total 122 150 121 60 230

Tableau No 7
Religion des fillettes
Dénomination et pratiques religieuses
Dénomination Assistance régulière à la messe
Pas spécifié

OUI

Non spécifié
Protestantes
Catholiques

parfois
NON

Total
Provenance

Bourgs (a) 186 … 2 142 32 12 2 188


Rurales (a) 171 2 6 83 65 23 8 479
Total 357 2 8 325 97 35 10 367

386 Une femme sans enfant.


Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 247

Tableau No 8
Nombres d’années d’école

N’a pas fréquenté l’école

deux ans1 mois à

Plus de 8 ans

Indéterminé
2 à 4 ans

4 à 6 ans
Provenance Total

Bourgs (a) 38 3 8 21 8 5 93
Rurales (a) 104 6 8 9 4 2 137
Total 142 16 16 30 12 7 230

Tableau No 9
Aptitude après éducation
Sait lire Sait écrire Sait parler

Total
Passablement

Passablement

Passablement
bien

bien

Provenance bien

Bourgs (a) 42 5 38 3 15 0 93
Rurales (a) 25 2 23 10 3 3 137
Total 67 7 61 3 18 3 230

Tableau No 10
Éducation des fillettes
Nombre d’années d’école
7 et au-dessus

Indéterminé
1-2 ans

3-4 ans

5-6 ans

Total

Provenance

Bourgs (a) 45 66 37 38 2 188


Rurales (a) 102 36 26 7 8 179
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 248

Total 147 102 63 47 10 367

Tableau No 11
Classe des Fillettes

Commençante I et II

Intermédiaire I et II

Avancée I et II

Nombre total
Indéterminé

de fillettes
Provenance

Bourgs (a) 88 64 30 6 188


Rurales (a) 132 32 11 4 179
Total 220 96 41 10 367

Tableau No 12
Conditions Matrimoniales
Mari Vivant Type d’union
Mariée après union libre

Union libre et mariage


Pas spécifié

Union libre
Provenance
Mariée
NON
OUI

Bourgs (a) 81 10 2 50 7 5 31
Rurales (a) 120 12 5 48 18 4 67
Total 201 22 7 98 25 9 98
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 249

Tableau No 12 (suite)

Nombre de mariage ou d’unions

Nombre total de femmes interrogées


Pas spécialise
4 ou plus
Provenance
1

3
Bourgs (a) 48 9 1 1 34 93
Rurales (a) 70 18 10 1 38 137
Total 118 27 11 2 72 230

Tableau No 13
Nombre d’enfants vivants et morts par famille

Moyenne enfant vivant


No de femmes ayants

No d’enfants vivants
No de femme ayant
perdu des enfants
des enfants

par famille
Provenance

Bourgs (a) 92 (1) 75 404 4.34


Rurales (a) 131(2) 84 656 4.82
Total 223 159 1060 4.75
(1) Une femme n’avait pas d’enfant
(2) Quatre n’avaient pas eu d’enfant, une avait eu un enfant mort et une n’a pas
répondu
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 250

Tableau No 13 (suite)
Nombre d’enfants vivants et morts par famille

No total d’enfants par


No d’enfants morts

Moyenne d’enfants
morts par famille

Moyenne
famille
Provenance

Bourgs (a) 195 2.6 599 6.51


Rurales (a) 223 2.65 879 6.70
Total 418 2.62 1478 6.62

Tableau No 14
Nombre d’enfants vivants et morts par famille

Plus de 10 ans

Non spécifié

No total d’enfants
No 2.1-5 ans
1.1-2 ans

morts
0-1 an

Provenance

Bourgs (a) 92 30 26 17 15 195


Rurales (a) 92 27 28 22 34 223
Total 184 57 54 39 49 418
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 251

Tableau. No 15
Assistance Médicale (1)

B
M

BM

No famille ayant eu malades


Non spécifié

Pas assez

No total de famille
HB
HM

HBM
Bourgs (a) 10 32 15 8 4 2 6 8 63 93
Bourgs (b) 22 62 9 26 10 2 17 38 32(2) 188
Rurales (a) 4 32 53 13 11 1 4 7 95 137
Rurales (b) 5 42 20 62 14 1 10 18 50(3) 179
Total 41 168 97 97 34 6 37 71 240 597

(1) H signifie hôpital, M signifie médecin, B signifie Bocor, Spe. Signifie spéci-
fié, Ass. Signifie assistance, Fam. Signifie famille.
(2) 35 n’ont pas répondu
(3) 40 n’ont pas répondu
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 252

CONDITIONS ÉCONOMIQUES

Tableau No. 16
Propriété Foncière

Plus de 50 carreaux
2.1-3 carreaux

10.1-20 carreaux

20.1-50 carreaux

Total
Moins de 1 carreau

1-2 carreaux
Pas de terre

Provenance

Bourgs (a) 3(1) 4 20 14 13 7 2 (2) 93


Rurales (a) 18 (3) 7 30 20 4 3 19 (4) 137
Total 21 11 50 34 17 10 3 230

(1) 2 ont affermé des terres


(2) 75 et 11o carreaux de terres
(3) 10 ont affermé des terres
(4) 80 carreaux
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 253

Tableau No 17
Nombres de volailles par famille
Nombre de volailles

de femmesNombre total
beaucoup

peu
au-dessus41 et
volaillesPas de
Provenance

21-40
11-22
6-10
Bourgs (a) 14 1-5
23 18 27 7 2 2 … 93
Rurales (a) 15 38 33 23 13 5 9 1 137
Total 29 61 51 50 20 7 11 1 230

Tableau No 18
Nombres d’animaux par famille

de femmesNombre total
Nombre de volailles

au-dessus41 et

beaucoup
volaillesPas de

Provenance
21-40
11-22
6-10
1-5

Bourgs (a) 14 26 12 30 16 6 4 93
Rurales (a) 13 39 36 36 12 1 13 137
Total 27 64 48 66 28 7 17 230

Tableau No 19
Nombres de maisons par famille
Provenance Nombre de maisons
Pas de maisons

Nombre total

1 2 3 4 5 8
Pas Spé
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 254

de femmes
Bourgs (a) 2 41 21 11 4 3 1 10 93
Rurales (a) … 64 34 10 5 … 1 23 137
Total 29 61 55 21 9 3 2 33 230

CONDITIONS MATÉRIELLES
Tableau No. 20
Logement
Nombre de pièces Toiture

4 et au-dessus

Pas spécifié
mélange
chaume
Provenance

Tôle
1 2 3

Bourgs (a) 14 10 2 50 7 5 31
Rurales (a) 120 12 5 48 18 4 67
Total 201 22 7 98 25 9 98

Tableau No. 20 (suite)


Structure Plancher
Pas spé

Carrelé

Provenance
ciment
Clisse

pierre

Terre
bois

Bourgs (a) 135 18 18 110 125 38 57


Rurales (a) 271 11 11 29 227 38 40
Total 406 29 29 139 139 76 97

Logement (suite)
Plancher (suite) Cuisine W.C
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 255

cuisine

Sans cuisine

Pas spé
Pas spécifié

Pas spécifié
Sans W.C
mélange
Planche

W.C
25 18 18 247 32 2 50 7 1
3 6 2 269 44 3 48 18 1
28 24 20 516 76 5 98 25 2
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 256

Logement (suite)
Nombre de lits Moyenne de
personnes Total de fa-
Pas de lit
1 2 3 Plus vivant dans milles
la maison
4 132 90 34 21 7.4 281
32 172 23 23 4 7.06 316
36 20 175 57 25 7.23 597

Tableau No 21
Vêtements
Nombres de robes No de foulards

Pas spécifié

Pas spécifié
1-2

3-5

6-8

9-11

Plus de 11

beaucoup

1-2

3-5

6-8
provenance
Bourgs (a) 7 30 31 5 16 … 4 44 15 1 33
Bourgs (b) 8 74 71 21 13 … 1 55 11 2 …
Rurales (a) 13 49 39 12 10 5 7 81 26 2 28
Rurales (b) 28 111 30 9 … 1 … 48 3 … 128
Total 56 264 171 47 39 6 12 228 55 5 189

Tableau No 21
Vêtements
Nombres de chapeaux No de souliers
1 2 3 et au-dessus Pas spé 1 2 3 et au-dessus Pas spécifié
21 37 24 11 41 22 16 14
40 88 52 8 95 53 16 24
51 44 21 21 75 25 10 27
85 54 6 34 99 24 5 …
197 213 102 74 320 124 47 65
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 257

Tableau No 21
Vêtements
Nombres de sandales No de boucles d’oreilles

3 et au-dessus

3 et au-dessus
Pas spécifié

Pas spécifié
1 2 1 2

75 11 … 7 44 26 9 14
111 14 12 51 108 29 7 44
105 16 1 15 73 22 6 36
103 5 6 … 95 10 1 73
394 46 19 73 320 87 23 167

Tableau No 21
Vêtements
Nombres de colliers No de Machines à coudre

No. Total de femmes interrogées


3 et au-dessus

Pas spé

1 fil

À pied
2 fils

1 2

31 12 2 48 13 17 3 93
71 15 5 97 27 45 5 188
50 14 2 71 24 20 2 137
77 7 … 95 14 19 1 179
229 48 9 311 78 101 11 597
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 258

Tableau No 22
Alimentation
No de repas par jour Composition des repas

Pas spécifié

Poisons frais

Poisons secs
provenance

viande
œufs
Lait
1 2 3

Bourgs (a) 4 120 155 2 165 105 210 69 101


Rurales (a) 15 193 101 7 158 80 204 35 91
Total 19 313 256 9 323 185 414 104 192

Tableau No 22 (suite)
Alimentation
Composition des repas cont.
Farineux

Bouillon
Légume

haricots
cassave
millet

fruits
vivre

Total
mais

Pain
riz

153 158 80 263 144 144 109 246 89 120 281


180 191 150 283 56 56 89 268 116 251 316
333 349 230 546 200 200 198 514 205 371 597
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 259

EMPLOI DU TEMPS

Tableau No 23
Heure lever et coucher

A.M. Heures Lever P.M Heures coucher

Nombre total de femmes interrogées


Pas spécifié

Pas spécifié
provenance
2 3 4 5 6 7 8 7 8 9 10

Bourgs (a) 1 1 18 54 16 2 … 3 11 45 29 6 2 93
Bourgs (b) … 1 16 98 13 8 … 2 15 112 52 7 2 188
Rurales (a) … 3 24 89 10 2 1 3 2 53 61 19 2 137
Rurales (b) … … 19 106 … 7 … 1 39 93 40 7 … 179
XX

Total 1 5 77 347 39 19 1 9 67 303 182 39 6 597


X
2 se couchent à 5 heures
XX
3 se couchent à 6 heures
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 260

Tableau No 24
Travail
Provenance Agriculture élevage commerce disposer couture
Bourgs (a) 67 67 72 71 60
Bourgs (b) 81 89 119 53 92
Rurales (a) 111 109 100 91 79
Rurales (b) 116 119 148 81 80
Total 375 384 439 296 308

Tableau No 24 (suite)
Travail
Lessive Ménage Eau Bois cuisine Soins des bébés
89 86 59 58 89 …
171 180 140 61 150 150
125 118 88 83 131 …
116 168 134 134 147 142
551 552 134 336 517 292
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 261

Tableau No 25
Occupations habituelles du soir
Provenance
Bourgs (a) Bourgs (b) Rurales (a) Rurales (b) Total
couture 5 10 18 9 42
contes 27 36 15 45 123
chants 6 4 5 28 43
causerie 28 … 16 2 46
danses 1 … 8 2 11
Distractions diverses 3 … 6 1 10
Etude … 104 … 1 105
Jeux 4 13 … 7 24
Lecture 4 13 … 7 24
Occuper des enfants … 2 6 2 8
Promenade 5 2 9 2 18
Phono … … 3 … 3
Prière 9 38 20 30 97
Repas 4 … 5 … 9
Travail 5 14 16 42 77
Toilette 2 2 … 9 13
Visite 2 … 2 … 4
No Total de femmes interrogées 93 137 137 179 597
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 262

Tableau No 26
Distractions Habituelles

Provenance Raconter Chanter des Danser Lire


des contes
romances cantiques
Bourgs (a) 74 56 76 59 27
Bourgs (b) 167 (x) (x) 102 131
Rurales (a) 103 56 114 87 21
Rurales (b) 146 (x) (x) 113 106
Total 490 112 190 361 285
(x) cette question n’a pas été posée dans le questionnaire des fillettes

Tableau No. 26 (suite)

Faire partie d’une association Aller aux veillées No total de femmes


interrogées
16 48 93
43 46 188
26 93 137
25 61 179
110 248 597
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 263

Tableau No 27
Distractions favorites
Provenance

Total
Bourgs (a)

Bourgs (b)

Rurales (a)

Rurales (b)
Distractions

agriculture 1 1 2 4 8
Bain … 8 … … 8
Bal 4 1 4 8 17
Chants 10 … 18 30 58
Contes 10 36 16 19 81
commerce 3 2 1 2 8
Couture 1 9 1 25 36
Danse 16 17 43 22 98
Ecole … 5 … 3 8
Équitation 2 … 1 … 3
Gaguerre … … 2 … 2
Jeux divers 13 134 17 92 256
Lecture … 6 2 16 24
Phono 1 … 1 … 2
S’occuper des enfants 2 … … … 2
S’occuper du ménage … … … 8 8
Poésies … 4 … 22 6
Promenade 8 33 4 … 67
Prière 6 … 4 … 10
Travail … … 3 2 3
Travaux manuels … … … 2 2
Veillées 1 … 7 … 8
Visites 3 3 5 2 13
Vodou … … 1 1
No Total de femmes interrogées 93 188 137 179 597
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 264

Haïti et ses femmes.


Une étude d’évolution culturelle.
Table des matières
AVANT-PROPOS [V]

PREMIÈRE PARTIE.
La femme haïtienne dans l’histoire

INTRODUCTION [3]

Chapitre I. Période indienne et espagnole [5]


Chapitre II. Tradition africaine [19]
Chapitre III. Période française [45]
Chapitre IV. Période haïtienne [65]

DEUXIÈME PARTIE.
La femme dans la famille, la société et l'économie haïtienne [103]

Chapitre I. Statut légal [106]

1. Droits Civils [103


a) Mariage [103]
b) Régime des biens [106]
c) Rapport de la mère avec ses enfants légitimes [116]
d) Unions illégitimes [120]
2. Droits politiques [123]
3. Coutumes traditionnelle [125]
a) Unions matrimoniales [125]
b) Relations familiales [132]
4. Modifications du code civil proposées par la Ligue Féminine d'Action
Sociale [140]

Chapitre II. Rôle de la femme dans les différentes classes de la société. [144]

1. Rôle civique et social [144]


2. Rôle économique [156]
3. Contribution culturelle féminine [169]
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 265

a) Littérature art et sciences [169]


b) Religion [182]

Chapitre III. Cycle de vie. [184]

1. Enfance [184]
a) Bourgeoisie [185]
b) Classe moyenne et prolétariat des villes [188]
c) Classe paysanne [194]

2. Adolescence et mariage [205]


a) Bourgeoisie [205]
b) Classe moyenne et prolétariat des villes [215]
c) Classe paysanne [221]

CONCLUSIONS GÉNÉRALES [231]

Appendice I

Le Procès de la Ligue Féminine d'Action Sociale pour l'exercice intégral des


droits politiques en 1957 et la participation féminine au renversement du gou-
vernement du président Magloire [241]

Appendice II

Présentation schématique des conditions de vie de 597 femmes et jeunes filles


des bourgs et des communautés, rurales [247]

Appendice III

Bibliographie [249]
Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957) 266

[249]

Haïti et ses femmes.


Une étude d’évolution culturelle.
Première partie : La femme haïtienne dans l’histoire

APPENDICE III
BIBLIOGRAPHIE

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[252]

Fin du texte

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