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(1953)
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siques des sciences sociales, un organisme à but non lucratif
composé exclusivement de bénévoles.
Cette édition électronique a été réalisée par Rency Inson Michel, bénévole,
étudiant en sociologie à la Faculté des sciences humaines à l’Université
d’État d’Haïti et fondateur du Réseau des jeunes bénévoles des Classiques
des sciences sociales en Haït, à partir de :
Un organisme communau-
taire œuvrant à la diffusion en
libre accès du patrimoine intel-
lectuel haïtien, animé par Ren-
cy Inson Michel et Anderson
Layann Pierre.
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Courriels :
Dantès BELLEGARDE
enseignant, écrivain, essayiste, historien et diplomate haïtien [1877-1966]
[123]
Avertissement [7]
Invitation au voyage [9]
[4]
[5]
DANTÈS BELLEGARDE
Ancien Ministre d'Haïti à Paris et à Washington
Commandeur de la Légion d'Honneur
[6]
Dantès Bellegarde, Haïti et son peuple. (1953) 12
[7]
AVERTISSEMENT
[9]
INVITATION AU VOYAGE
l'on pourrait bien trouver dans le ciel de velours sombre une place
pour en clouer de nouvelles.
Peut-être vous arrivera-t-il d'être quelque peu secoués. Mais vous
ne l'êtes pas moins en traversant la Manche. Les vents parfois passent
en rafales sur l'Atlantique et soulèvent des vagues énormes surmon-
tées de leurs franges d'écume : c'est là encore un spectacle magnifique
auquel, si vous êtes artistes, vous ne pourriez rester indifférents. Soyez
pourtant rassurés : les tempêtes ne sont pas dans nos régions aussi fré-
quentes qu'on le croit. Le plus souvent le voyage s'achève, et l'on n'a
connu que ces brises délicieuses qui sont l'un des charmes les plus cer-
tains des longues traversées transatlantiques.
Et quelle joie pour vos yeux quand vous aurez abordé les côtes
d'Haïti, — dentelle de pierre que la nature a travaillée comme une ar-
tiste, avec ses baies et ses fines aiguilles de terre, et ses anses bleues
où les embarcations semées sur la mer ainsi que des papillons blancs,
viennent s'abriter à l'approche des orages !
Je vous souhaite d'arriver à Port-au-Prince par un clair matin de dé-
cembre, au moment où le soleil se lève sur la ville à moitié endormie.
J'ai entendu dire à un Européen que l'entrée de la capitale haïtienne est
plus belle que celle de Naples. Je n'en sais rien, n'ayant jamais vu
Naples. Ce que je peux affirmer, c'est que le golfe de la Gonâve, au
fond duquel Port-au-Prince est bâti, offre un arrangement merveilleux
où tout — île de la Gonâve barrant le golfe, ciel et mer bleus, rivages
verdoyants, montagnes aux tons changeants sous le [11] pinceau du
soleil — semble avoir été disposé par une main intelligente pour pro-
duire la plus grandiose impression de beauté. Dans la vaste baie aux
eaux profondes et plus calmes que celles du lac de Genève, on pour-
rait sans danger réunir les plus gros cuirassés et porte-avions du
monde entier.
Quand vous aurez débarqué à Port-au-Prince, vous entendrez re-
tentir à vos oreilles des sons français, et vous en serez peut-être éton-
nés : il y a encore en France tant de gens à ignorer que le français est
la langue nationale des Haïtiens ! Les portefaix qui s'empresseront au-
tour de vous pour vous prendre vos bagages vous parleront un lan-
gage, que vous ne comprendrez pas tout de suite. Mais prêtez-y
quelque attention : vous vous apercevrez bien vite que ce langage est
un simple patois formé presque entièrement de mots français, dont le
Dantès Bellegarde, Haïti et son peuple. (1953) 15
[13]
Chapitre I
L’ÎLE D’HAÏTI
*
* *
S'étendant en arc de cercle de la Floride aux bouches de l'Oré-
noque, l'archipel des Antilles, connu dans les pays de langue anglaise
sous le nom de West Indies ou Indes Occidentales, sépare l'océan At-
lantique de la mer des Antilles ou Caraïbes. Il comprend les Grandes
Antilles, les Petites Antilles et les Bahamas. Du groupe des Grandes
Antilles la deuxième en grandeur est l'Ile d'Haïti, qui a une superficie
d'environ 77.000 kilomètres carrés, venant après Cuba (115.000 km 2),
précédant la Jamaïque (11.000 km2) et Puerto Rico (9.620 km2). D'une
longueur approximative de 650 kilomètres sur une largeur de 260, elle
est située, à l'entrée du golfe du Mexique, entre 17°30'40" et
19°58'20" de latitude nord et 68°20' et 74°30' de longitude ouest de
Greenwich.
Placée au croisement des principales lignes structurales des
Grandes Antilles, l'île d'Haïti doit à cette situation sa forme et son re-
lief distinctifs. Elle est constituée par un faisceau de rides monta-
gneuses surgissant de la mer de façon abrupte et, par suite de son sys-
tème orographique tourmenté, elle offre une variété étonnante de cli-
mats locaux et de paysages végétaux. Sa grande chaîne montagneuse
centrale, la Cordillera, qui se prolonge au nord-ouest par le Massif du
Nord, est en direction, à l'ouest, de la Sierra Maestra de Cuba et, à
l'est, des hauteurs de Puerto Rico, tandis que le [15] Massif de la
Hotte, dans la partie méridionale, est en direction des monts de la Ja-
maïque.
Les côtes d'Haïti, surtout celles de la partie occidentale occupée
par la République d'Haïti, sont extrêmement découpées. On dirait que
la nature a pris un plaisir d'artiste à creuser ses rivages d'échancrures
fantaisistes. Entre deux baies larges et profondes le voyageur ren-
contre une infinité d'anses, de criques, de havres, où les embarcations
assaillies par l'orage trouvent un abri sûr. Les caps, se suivant à peu de
distance, se projettent dans la mer tantôt comme d'énormes masto-
dontes tantôt comme de fines aiguilles. Et nul spectacle n'est plus va-
rié ni plus pittoresque que cette suite ininterrompue de baies et de
pointes.
Grâce à ses dentelures, l'île d'Haïti présente, proportionnellement à
sa superficie, l'un des plus grands développements de côtes qui soient
Dantès Bellegarde, Haïti et son peuple. (1953) 18
Bien que le rythme des saisons soit le même en Haïti que dans les
pays d'Europe et que le printemps, l'été, l'automne et l'hiver s'y suc-
cèdent dans le même ordre contrairement à ce qui se produit dans l'hé-
misphère [18] sud, on peut dire qu'il y a dans l'île deux périodes où les
états de l'atmosphère sont nettement différenciés : la saison pluvieuse
et la saison sèche, celle-ci s'étendant généralement d'octobre à avril.
La saison pluvieuse n'est d'ailleurs pas continue ; les pluies se
concentrent particulièrement au printemps et en été ; elles se pro-
longent souvent en automne par les pluies de la Toussaint. Il faut noter
qu'elles présentent de grandes irrégularités locales dues, en une large
mesure, à l'action des vents chargés d'humidité qui se condensent au-
dessus des hautes chaînes montagneuses.
« L'île d'Haïti, d'après le savant météorologiste R.P. Schérer, est si-
tuée dans le grand courant dit l'alizé. C'est l'alizé son vent dominant,
désigné en Haïti par le nom de vent Nord-Est ou Est. Les brises de
mer et de terre, de plaine et de montagne, se produisent périodique-
ment dans les 24 heures. Les vents cycloniques sont rares... Les pluies
tombent généralement dru et pendant un court espace de la journée.
C'est le régime torrentiel. Une pluie de deux heures paraît déjà longue.
Rarement elles dépassent quatre heures. Une pluie de 12 ou 24 heures
est regardée comme extraordinaire : elle suppose une perturbation at-
mosphérique. Ce ne sont pas d'ailleurs les longues pluies qui four-
nissent beaucoup d'eau au pluviomètre. Généralement, les courtes
pluies sont aussi les plus intenses ».
Ces pluies bienfaisantes qui rafraîchissent l'atmosphère et arrosent
la terre, ces brises délicieuses qui, venant de la montagne ou soufflant
de la mer dans un mouvement alterné, renouvellent l'air et atténuent
les ardeurs de l'été, contribuent à faire d'Haïti un pays non seulement
agréable mais salubre, où les plantes, les animaux et l'homme trouvent
des conditions satisfaisantes de vie et de développement.
[19]
*
* *
La végétation en Haïti est très variée par suite de la diversité des
climats locaux et de la différence de composition des terrains géolo-
giques. Ainsi on trouve dans la République d'Haïti les plantes des ré-
gions très humides, semi-arides ou arides. Tandis que la vallée du
Dantès Bellegarde, Haïti et son peuple. (1953) 21
[23]
Chapitre II
LA RÉPUBLIQUE D'HAÏTI
ET SA POPULATION
[25]
LA POPULATION RURALE
[28]
LES VILLES
Planche 1
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S. E. Le général Magloire,
Président de la République d'Haïti. (Cl. Doret.)
Dantès Bellegarde, Haïti et son peuple. (1953) 33
Planche 2
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[33]
1716, la ville s'agrandit peu à peu et devint avant 1791 l'une des cités
les plus jolies et les plus florissantes de Saint-Domingue. Elle est,
avec Gonaïves, le débouché de la fertile région arrosée par l'Artibo-
nite, l'Estère et leurs affluents. Saint-Marc est le principal port d'expé-
dition du coton. Il exporte aussi du campêche et l'excellent café récol-
té dans les Cahos. La marque « café Saint-Marc » est l'une des plus ré-
putées sur le marché du Havre. Saint-Marc possède une usine pour la
fabrication de l'huile de coton comestible et du savon de lessive.
Petit-Goâve, à 45 milles au sud-ouest de Port-au-Prince, a une po-
pulation d'environ 12.000 habitants. Le port est excellent et offre des
facilités pour le chargement et le déchargement des bateaux. C'est un
centre commercial et industriel important. Dans les environs de la
ville se trouvent quelques-unes des plus grandes usines du pays pour
la préparation du café, produit en abondance dans la plaine de Léo-
gane et dans les montagnes qui entourent Grand-Goâve et Petit-
Goâve.
Miragoane, qui est à 62 milles sud-ouest de Port-au-Prince, a envi-
ron 8.000 habitants. La ville est bâtie sur une baie bien protégée et très
profonde, — ce qui permet aux bateaux de fort tonnage d'accoster à
quai. C'est un débouché pour le café et le campêche. A une heure et
demie de la ville se trouve l'étang de Miragoane, « miroir éclatant et
métallique entouré d'une ceinture de montagnes », que les Indiens ap-
pelaient Caguani.
Jérémie, à 140 milles ouest de la capitale, est l'une des plus jolies
villes d'Haïti, avec une population d'environ 14.000 âmes. Il possède
une bonne rade, malheureusement exposée pendant l'hiver aux vents
violents qui soufflent dans le canal du Môle St-Nicolas. C'est un port
d'expédition de café et de cacao. Les plus importantes cacaoyères du
pays sont établies dans la région de la Grand'Anse dont Jérémie est le
débouché. [34] C'est dans les environs de cette ville que se trouvait
l'habitation de la Guinaudée où naquit, en 1762, du marquis de La
Pailleterie et d'une négresse, Césette Dumas, Alexandre Davy, le pre-
mier des trois Dumas.
Dantès Bellegarde, Haïti et son peuple. (1953) 35
[37]
RÉSIDENTS ÉTRANGERS
[42]
[43]
Chapitre III
L'ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE
Planche 3a
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Planche 3b
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Planche 4
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[49]
ou des mules particulièrement réputées pour leur endurance aux
longues courses en montagne. Notons que chevaux, mules et ânes
tendent à disparaître à mesure que se développe, à l'intérieur du pays,
le transport automobile.
*
* *
Beaucoup de gens confondent production et exportation. Compa-
rant les tableaux d'exportation durant la période coloniale et sous l'ad-
ministration haïtienne, ils reprochent aux haïtiens de produire aujour-
d'hui moins qu'avant 1804. Ils oublient que la population de Saint-Do-
mingue, qui était environ de 500.000, consommait moins que la popu-
lation actuelle qui est de 3.500.000 et qui absorbe la plus grosse por-
tion de la production nationale. Saint-Domingue exportait presque
toute sa production parce qu'elle était avant tout colonie d'exploitation
destinée à enrichir sa métropole. Haïti libre retient une quantité consi-
dérable de sa production pour sa propre consommation et n'en exporte
que le surplus pour se procurer les marchandises qu'elle ne produit pas
ou qu'elle ne peut produire en quantité suffisante ou en qualité satis-
faisante.
On risque de méconnaître l'effort économique d'Haïti si l'on ne
tient compte de cette importante considération. Les statistiques doua-
nières ne donnent qu'une idée incomplète de l'activité agricole et in-
dustrielle du pays puisqu'elles ne consignent point la quantité et la va-
leur, par rapport aux indices des prix étrangers, des produits végétaux,
animaux et autres fournis par l'agriculture et les industries agricoles
d'Haïti et qui font l'objet du commerce intérieur de la république haï-
tienne.
[50]
En attendant que des statistiques bien faites viennent établir en dol-
lars américains la valeur de la production nationale consommée à l'in-
térieur du pays, on doit se contenter de consulter les tableaux du com-
merce extérieur, — ce qui constitue d'ailleurs un indice excellent
quoique insuffisant pour permettre d'apprécier le développement de
l'activité économique.
Dantès Bellegarde, Haïti et son peuple. (1953) 50
[55]
Chapitre IV
RELIGION ET CULTURE
21 Les esclaves marrons, dont un certain nombre savaient lire et écrire, se ser-
vaient de la langue française. Voir à ce sujet Les Marrons du Syllabaire, par
Jean Fouchard, Ed. Deschamps, P. au P. 1953.
Dantès Bellegarde, Haïti et son peuple. (1953) 58
avec les livres où les Français ont déposé les trésors de leur sensibilité
et de leur intelligence, les Haïtiens vivent et respirent dans le climat
créé par les idées, les traditions, les croyances françaises. Ils en sont
tout imprégnés, et l'on ne peut s'étonner qu'ils aient la même concep-
tion que les Français du droit, de la justice, des principes supérieurs de
vie morale qui font la noblesse et la dignité de la nature humaine.
Beaucoup d'étrangers et quelques Haïtiens, peu au courant de l'his-
toire de la nation haïtienne et de sa psychologie, pensent que l'attache-
ment des Haïtiens à la culture française est simple imitation de singe.
Ils ne se rendent pas compte que cette culture fait partie de la person-
nalité nationale haïtienne et qu'y renoncer serait pour le peuple haïtien
une mutilation. Il s'est en effet formé en Haïti une « entité », qui n'est
ni africaine ni française, mais qui appartient à l'Afrique par le sang et
par certaines coutumes héritées des ancêtres africains ; à la France un
peu par le sang et beaucoup par l'esprit : c'est là un alliage indisso-
luble, d'où la nation haïtienne tire sa force et sa volonté de conserva-
tion.
Dantès Bellegarde, Haïti et son peuple. (1953) 61
[63]
LITTÉRATURE HAÏTIENNE
ter des plans d'organisation sociale. Presque tous ont milité dans la po-
litique ou dans le journalisme. C'est pourquoi le groupe des historiens
et sociologues est particulièrement imposant. Et c'est aussi pourquoi
leurs productions, nées souvent dans la fièvre des polémiques,
manquent parfois de ces qualités de fond et de forme qui donnent aux
œuvres de l'esprit une valeur durable.
*
* *
Guy-Joseph Bonnet, Thomas Madiou, Baron Vastey, Beaubrun Ar-
douin, Céligny Ardouin, Saint-Rémy, Bauvais Lespinasse, Emile
Nau ;, Eugène Nau, Linstant Pradines, Saint-Amand, Demesvar De-
lorme, Hannibal Price, Armand Thoby, Edmond Paul, Boyer-Bazelais,
F.D. Légitime, Louis-Joseph Janvier, Dr Dehoux, Exilien Heurtelou,
Montfleury, Duraciné Pouilh, Enélus Robin, Emmanuel Edouard,
Dantès Fortunat, Dulciné Jean-Louis, Justin Bouzon, Joseph Jérémie,
Justin Dévot, François Manigat, Frédéric Marcelin, Georges Sylvain,
Solon Ménos, Louis Borno, Jacques N. Léger, Edmond Héraux, Jo-
seph Justin, Furcy, Châtelain, [65] Enoch Désert, J.-B. Dorsainvil, L.-
J. Marcelin, H. Pauléus-Sannon, Fleury Féquière, Thalès Manigat, Ne-
mours Auguste, Camille Bruno, Louis Audain, Léon Audain, Ver-
gniaud Leconte, Adhémar Auguste, Rosalvo Bobo, Edouard Pouget,
L.-C. Lhérisson, Elie Lhérisson, Justin Lhérisson, Auguste Magloire,
Windsor Bellegarde, Sténio Vincent, Candelon Rigaud, Ulrich Duvi-
vier, Marcelin Jocelyn, Seymour Pradel, Jean Price Mars, Brun Ricot,
Gaston Dalencour, Abel Léger, Georges Léger, Général Nemours, J.C.
Dorsainvil, Duraciné Vaval, François Dalencourt, Antoine Michel, B.
Danache, Louis Mercier, Placide David, Frédéric Burr-Reynaud, Jules
Faine, Stéphen Alexis, Louis-Emile Elie, Suzanne Comhaire-Sylvain,
Madame Garoute, Franck Lassègue, Madeleine Sylvain-Bouchereau,
Yvonne Sylvain, Fortuna Guéry, Jeanne Sylvain, T.-C. Brutus, Hanni-
bal Price fils, Pierre-Eugène de Lespinasse, Félix Magloire, Pétion
Gérome, Rodolphe Charmant, Félix Soray, Hermann Corvington, Clo-
vis Kernizan, Perceval Thoby. Clément Magloire, Camille Lhérisson,
Arthur Lescouflair, Catts Pressoir, Rulx Léon, Maurice Armand,
Georges Séjourné, Francis Salgado, Schiller Nicolas, Edmond Margo-
nès, Beauvoir, Etienne Charlier, Mentor Laurent, Clément Lanier,
Marc Malval, Louis Gassion, Constant Pierre-Louis, Louis Maximi-
lien, André Liautaud, Maurice Dartigne, Louis Baguidy, François Du-
Dantès Bellegarde, Haïti et son peuple. (1953) 63
maine, Dieu — qui sont les mêmes pour les poètes de tous les temps
et de tous les pays.
La liste des poètes, dont la plupart sont en même [67] temps des
prosateurs distingués, est très longue 25 : Jules Solime Milscent, Isaac
Louverture, Pierre Faubert, Coriolan Ardouin, Ignace Nau, Charles
Séguy-Villevaleix, Virginie Sampeur, Oswald Durand, Abel Elie, Ali-
cibiade Fleury-Battier, Ducas Hippolyte, Pascher Lespès, Alcibiade
Pommayrac, Tertulien Guilbaud, Aurèle Chevry, McDonald
Alexandre, Isnardin Vieux, Louis Borno, Georges Sylvain, Auguste
Scott, Arsène Chevry, Massillon Coicou, Amédée Brun, Etzer Vilaire,
Justin Lhérisson, Nerva Lataillade, Edmond Laforest, Damoclès
Vieux, Probus Blot, Maurice Brun, Jules Rosemond, Constantin
Mayard, Charles Moravia, Ida Faubert, Seymour Pradel, Ernest
Douyon, Henri Durand, Luc Grimard, Léon Laleau, Frédéric Burr-
Reynaud, Christian Werleigh, Dominique Hippolyte, Georges Lescou-
flair, Louis Morpeau, Antonio Vieux, Louis Hall, Emile Roumer, Carl
Brouard, Jacques Roumain, Roussan Camille, Jean Brierre, F. Moris-
seau-Leroy, Baguidy, Thoby-Marcelin, Emmeline Carriès-Lemaire,
Jacqueline Wiener-Silvéra, Justinien Ricot, Gervais Jastram, Magloire
Saint-Aude, René Bélance, Marcel Dauphin, Regnord Bernard, Pros-
per Chrisphonte, René Dépestre, Paul Laraque, etc.
Ces poètes ne sont évidemment pas d'égale valeur et ne peuvent
tous prétendre à l'originalité. On trouve représentées dans leurs
œuvres toutes les tendances qui ont marqué la littérature française du
dix-neuvième siècle comme de la première moitié du vingtième, de-
puis le romantisme de Victor Hugo jusqu'au surréalisme d'André Bre-
ton. Il y a là néanmoins une matière extrêmement riche, et il faut sou-
haiter qu'un critique consciencieux et compétent vienne mettre en lu-
mière les joyaux précieux déposés dans le coffret poétique d'Haïti.
Parmi les romanciers et conteurs nous trouvons quelques [68] noms
d'écrivains remarquables : Emeric Bergeaud, Demesvar Delorme,
Louis-Joseph Janvier, Frédéric Marcelin, Justin Lhérisson, Fernand
Hibbert, Antoine Innocent, Justin Godefroy, Jules Dévieux, Amilcar
Duval, Félix Magloire, Edgar N. Numa, Etzer Vilaire, J. B. Cinéas,
Stéphen Alexis, Léon Laleau, Félix Courtois, Thomas Lechaud, Ri-
25 V. Morceaux choisis d'auteurs haïtiens, tome I, 1904. — Anthologie de
Poètes haïtiens, par Louis Moreau, 1925. — Panorama de la Poésie haï-
tienne, par Lubin et Carlos Louis, 1950.
Dantès Bellegarde, Haïti et son peuple. (1953) 65
[72]
LE CRÉOLE HAÏTIEN,
PATOIS FRANÇAIS
mettre le son nasal partout où bon lui semble, selon les besoins de la
phonétique qu’il préfère ».
Voici un exemple de la méthode Doret :
[78]
[79]
30 Moreau de St-Méry a cité une chanson créole écrite en 1750, dont nous re-
produisons la première strophe : Lisette quitté la plaine. — Moin perdi bon-
heur à moin. — Gié à moin semblé fontaine, — Dépi moin pas miré toué. —
Le jou, quand moin coupé canne, — Moin songé Zamour à moin. — La nuit,
quand moin lan cabanne, — Lan dormi moin quimbé ou. »
31 V. Idylles ou Essais de poésie créole, par un Colon de St-Domingue, Ca-
hors, Combarieu, imprimeur, 1821. Dans une courte préface, l'auteur définit le
créole « une espèce de jargon ou de français corrompu que parlent générale-
ment les Nègres, les créoles et la plupart des colons de nos îles d'Amérique ».
Dantès Bellegarde, Haïti et son peuple. (1953) 75
Planche 5a
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Planche 5b
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Planche 6
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[81]
toute la sagesse narquoise et la philosophie fataliste de la paysannerie
haïtienne. Malheureusement, le lecteur s'arrête découragé devant la
difficile besogne de déchiffrer l'orthographe compliquée que Sylvain a
dû adopter pour rendre les sons créoles.
Quelques auteurs dramatiques ont su avec bonheur utiliser le
créole. Massillon Coicou, dans une spirituelle comédie de mœurs lo-
cales, l’Ecole Mutuelle, a fait un heureux emploi des plus piquants de
nos proverbes populaires en les adaptant exactement aux multiples si-
tuations de la pièce. Pollux Paul et Augustin nous ont donné quelques
vaudevilles d'une gaieté étourdissante où se signalèrent Sterne Rey
P.D. Plaisir et Clément Coicou, l'impayable Papayoute. Aujourd'hui,
un acteur, devenu populaire sous le nom de Languichatte, fait la joie
du public de toutes les classes de la société port-au-princienne avec
ses monologues créoles, souvent satiriques, parfois mélancoliques et
toujours pleins d'esprit jaillissant. Dans un genre plus relevé, M. Al-
phonse Henriquez a composé un Boukman d'une grandeur farouche,
qui n'a pas encore été porté à la scène mais dont la lecture publique
permet d'espérer pour l'auteur le plus retentissant succès.
Dantès Bellegarde, Haïti et son peuple. (1953) 80
[82]
LE FOLKLORE HAÏTIEN
3. La rosée fait banda tout temps soleil pas levé. — La rosée fait
la fière tout le temps que le soleil n'est pas levé. Le mot banda
vient de l'espagnol. Faire la banda, d'après Faine, c'est se pava-
ner dans ses beaux atours.
4. Quand mapou tombé, cabritt mangé feuilles-li. — Quand un
gros arbre comme le mapou tombe, les cabris mangent ses
feuilles. On comprend facilement l'allusion aux potentats qui,
lorsqu'ils tombent du pouvoir, reçoivent le coup de pied de
l'âne.
5. Femme, cé bois pourri. — La femme, c'est comme du bois
pourri. Il ne faut pas s'appuyer sur elle, avoir confiance en elle.
Henri IV exprimait la même méfiance en disant :
ne se reproduit pas généralement dans les airs dits du mode haïtien, le-
quel est bâti sur l'échelle diatonique de la gamme moderne ».
*
* *
Par quels procédés, ces chansons et danses populaires, ces chants
liturgiques, qui accompagnent les cérémonies vodouesques, se trans-
forment ou se déforment au contact de la civilisation, une anecdote
contée par M. Candelon Rigoud nous en donne un piquant exemple.
L'auteur des « Promenades dans la Plaine du Cul-de-Sac » 32 nous ra-
conte qu'il fut fort étonné, un jour qu'il assistait à une cérémonie du
Vodou, d'entendre entonner comme un chant rituel l'air célèbre du Roi
de Thulé. La voix était jeune et assez juste. Il interrogea la chanteuse
— une hounci, c'est-à-dire une assistante de la maman-loi— et apprit
qu'elle avait été bonne pendant quelque temps chez une grande canta-
trice haïtienne, Mme Franck Faubert. Et voilà comment Gœthe et
Gounod ont fourni des thèmes à la liturgie du Vodou.
Wagner a dit que « la chanson et la danse sont les deux sources de
la musique. » Nos danses et nos chansons sont-elles assez riches de
matière pour inspirer nos musiciens ?
D'une part, écrit Lassègue, « on a les chants du terroirs : mélopées
des indigènes, meringues populaires, thèmes coloniaux français ou an-
glais, et chansons africaines : tout cela constitue un héritage bien di-
vers. Et, d'autre part, on peut considérer les œuvres de nos [89] com-
positeurs, qui représentent en majorité le produit d'une éducation mu-
sicale exotique. Pour avoir plus spécialement subi l'influence de la
musique européenne, nous en sommes restés longtemps tributaires.
D'autres, tels que Théramène Ménès et Occide Jeanty, avaient essayé
d'en secouer le joug ; mais leurs efforts isolés ou inconstants n'avaient
pas déclenché de réaction en faveur de la composition folklorique. En-
fin Justin Elie vint, et le premier, pour donner une impulsion nouvelle
et sérieuse à notre musique, recueillit des thèmes populaires et en tira
des œuvres originales. C'est pour s'être inspiré du mouvement musical
opéré en Russie par Borodine, en Hongrie par Brahms et Listz, en
Norvège par Grieg, qu'il a définitivement tourné l'esprit haïtien vers
toutes ces chansons intimement liées à la vie nationale et desquelles
sortira, non sans doute par des arrangements harmoniques et mélo-
32 Promenades dans les campagnes d'Haïti, 1930.
Dantès Bellegarde, Haïti et son peuple. (1953) 86
[93]
Chapitre V
MŒURS ET CROYANCES
POPULAIRES
Tout d'abord, le grand reproche que l’on fait aux Haïtiens, c'est de
rester fidèles à des croyances que l'on ne retrouve que chez les peu-
plades primitives de l'Afrique, privées de tout contact avec la civilisa-
tion moderne. Dans certaines imaginations étrangères, le mot Vodou
évoque on ne sait quelles scènes terrifiantes d'orgie et de canniba-
lisme.
Un fait historique a donné prétexte à l'accusation d'anthropophagie
portée contre le peuple haïtien. En 1863, huit personnes, habitant le
quartier de Bizoton situé à quelque distance de la capitale, furent ac-
cusées d'avoir volé un enfant et de l'avoir ensuite tué et mangé.
Condamnées à mort par le tribunal criminel de Port-au-Prince, elles
furent toutes fusillées le 13 février 1864, bien qu'il se trouvât quatre
femmes parmi elles. Malgré cette répression brutale, que le gouverne-
ment haïtien avait voulu rendre éclatante afin de montrer sa réproba-
tion d'un tel crime, le fait, rapporté avec un grand luxe de détails par
sir Spencer St-John dans son livre The Black Republic, a servi de
thème à d'innombrables écrits d'auteurs américains, tels que Seabrook
(The Magic Island), Craige (Cannibal Cousins), Loederer (Voodoo
Fire in Haïti), qui ont présenté Haïti comme le pays de la magie et son
peuple comme une nation de « possédés » en état permanent de crise
épileptiforme. Dans un rapport officiel de 1919, l'amiral Knapp, de la
marine des États-Unis, ne craignit pas d'accuser tout le peuple haïtien
de pratiquer le Vodou et d'être plus ou moins anthropophage afin de
trouver une justification à l'occupation militaire du pays.
[95]
Qu'est-ce en réalité que le Vodou ? Le docteur Louis Mars en
donne cette définition : « Le Vodou est une religion primitive qui se
pratique dans des temples édifiés à cette fin appelés, « houmforts ».
Des recherches spécialisées (Vodou et Névrose, de J.G. DorsainviL,
Ainsi parla l'Oncle, de Jean Price Mars, Life in a Haïtian Valley, de
Herskovitz) en ont fait ressortir le caractère purement religieux, dénué
de ce cannibalisme que lui imputent l'ignorance de certains écrivains
blancs, une presse malveillante et la complaisance candide de l'Haïtien
lui-même. Le rituel coutumier exige le sacrifice de volaille et de qua-
drupèdes en offrande aux dieux divers de l'Olympe africain. La danse
est de règle, comme pour bien des religions. Il s'y ajoute des crises de
possession qui panachent l'intérêt de telles réunions. Ces crises de
possession s'explicitent en phénomènes de dissociation mentale : l'in-
Dantès Bellegarde, Haïti et son peuple. (1953) 90
dividu est possédé de son dieu, change de voix, modifie son accoutre-
ment et parle de lui-même à la troisième personne » 37.
Dans le langage populaire, « pratiquer le Vodou » est synonyme de
« danser le Vodou ». Voici comment un éminent médecin haïtien, Dr
Léon Audain, décrit cette danse du Vodou : « À certaines époques de
l'année, on immole des boucs, des moutons, des poulets et des pin-
tades... pour les manger. On boit du tafia d'une manière démesurée.
On danse au son du tambour, de la clochette, du triangle et du cata.
On se livre même à des tours de prestidigitation assez remarquables ».
Ces festins sont bruyants et prennent parfois une allure quelque peu
lubrique, mais, comme le fait remarquer Catherine Dun-ham, ils ne
sont jamais obscènes. Ces cérémonies où se complaisent nos gens du
peuple ne sont pas néanmoins complètement inoffensives. « Leur dan-
ger, constate le Dr Audain, réside dans l'abrutissement périodique et
intense, dans l'excitation nerveuse des servantes (ou [96] houncis)
trop propre à engendrer des névroses telles que l'hystérie et l'épilepsie,
et, du fait même de ces névroses, certaines suggestions criminelles,
plus rares certainement qu'on ne pense mais cependant possibles » 38.
Cette conclusion du Dr Audain est pleinement confirmée par les nom-
breuses observations recueillies par le docteur Louis Mars, professeur
de psychiatrie à la Faculté de médecine de Port-au-Prince, sur des cas
de délire paranoïaque à thème mystique greffé sur une psychose al-
coolique.
Personne ne pense à nier qu'à ces divertissements gastronomiques
se mêlent parfois des pratiques de magie ou de sorcellerie. On ne peut
en effet s'étonner que des paysans ignorants attribuent à des causes
mystérieuses les événements heureux ou pénibles qui leur arrivent et
dont ils sont incapables de trouver eux-mêmes l'explication. Et l'on
comprend que la magie se soit associée à leurs croyances religieuses,
héritées des ancêtres africains, quand on se rappelle, comme le rap-
porte Moreau de St-Méry, que les sorciers étaient nombreux dans la
colonie de Saint-Domingue parce que les roitelets de la côte
d'Afrique, qui en avaient grand'peur, les vendaient volontiers aux trafi-
quants négriers.
Pour avoir vécu au milieu des simples gens dont il exprime les sen-
timents et les croyances, un écrivain haïtien, M. Antoine Innocent, a
décrit, dans un roman, Mimola, les scènes du Vodou ; et ses descrip-
t i o n s d ' u n « manger-marassas » , d ' u n « manger-les-morts »,
d'une « crise de possession » pourraient, par leur précision, figurer
dans un ouvrage d'ethnographie. Dans son avertissement aux lecteurs,
l'auteur explique le motif qui le guida dans le choix de son sujet :
« J'ai voulu montrer les analogies, les affinités qui existent entre le Vo-
dou
Dantès Bellegarde, Haïti et son peuple. (1953) 92
Planche 7
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Planche 8
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[97]
et les religions de l'antiquité. J'ai essaye de faire voir que l’origine des
divinités africaines est la même que celle des divinités romaines,
grecques et hindoues. Leur source se trouve dans ce besoin que
l'homme porte en lui de croire, à Chaque âge de l'humanité, à l'exis-
tence d’êtres supérieurs et invisibles, lares, mânes, dieux, ancêtres ou
saints » 39. Cette observation de M. Antoine Innocent rejoint celle de
M. Octave Homberg qui écrivait, en 1928, dans la Revue des Deux-
Mondes de Paris : « Nos ancêtres grecs et romains ont été animistes
comme le sont aujourd'hui les Noirs du Niger et du Congo. Entre les
chênes de Dodone et les bois sacrés d'Afrique, il n y a aucune diffé-
rence essentielle, non plus qu'entre les devins, les augures et les
griots ».
Mimola ne contient pas seulement des scènes vodouiques, l’auteur
y décrit aussi la ferveur religieuse des foules catholiques qui s’as-
semblent chaque année à Ville-Bonheur, la Lourdes d'Haïti. A l'Haïti
superstitieuse des Spencer St-John, Seabrook, craige, Loederer et
autres, il convient d'opposer l'Haïti chrétienne, avec ses églises, ses
chapelles et ses temples, toujours pleins le dimanche dans les villes et
les campagnes, de fidèles fervents et convaincus ; avec ses écoles trop
peu nombreuses encore pour recevoir la foule innombrable d'enfants
de toutes les classes sociales qui se pressent à leurs portes, avides de
s'instruire ; avec ses hôpitaux, hospices et dispensaires où les masses
populaires apprennent à se débarrasser de leurs maux physiques et,
aussi, de ces superstitions qui les asservissent à là domination malfai-
sante des houngans, bocors, magiciens, sorciers et charlatans de tout
acabit
[98]
*
* *
Ce qu'on ne peut contester et qu'aucun voyageur — je crois — n'a
jamais contesté au peuple haïtien, c'est la grande douceur et la simpli-
cité de ses mœurs. Hospitalier et bon, il reçoit l'étranger avec un em-
pressement cordial. Que ce soit dans la montagne ou dans la plaine,
l'accueil est le même : la hutte grossière du montagnard, la case mo-
39 Antoine Innocent : Mimola, P.-au-P. 1906
Dantès Bellegarde, Haïti et son peuple. (1953) 95
[100]
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* *
L'un des reproches les plus sévères faits au peuple haïtien, à part
celui qui se rapporte au culte du Vodou, a trait à la pratique du concu-
binage, que l’on confond avec la polygamie. On a voulu y trouver une
preuve d'immoralité foncière. Ce reproche est injuste. Le concubinage
est sans doute la règle dans le peuple et principalement parmi les pay-
sans, mais il y constitue, sous le nom de « placage », une sorte d'union
libre, de connubium injustum qui, dans beaucoup de cas, a plus de so-
lidité que nombre de mariages réguliers. Pour comprendre l'existence
de cette coutume et sa persistance dans la classe prolétarienne d'Haïti,
il faut remonter à l'époque coloniale : les colons blancs entretenaient
de nombreuses concubines, les femmes blanches étant en petit nombre
à St-Domingue. D'autre part, les nègres ne se mariaient pas beaucoup
entre eux, parce qu'ils ne se souciaient pas d'avoir des épouses dont le
maître pût « abuser », suivant le mot du P. du Tertre. D'ailleurs, on ne
mariait pas les esclaves : on les accouplait, comme on fait pour les
animaux, afin d'en obtenir de beaux « produits » propres à augmenter
la richesse du grand planteur en cheptel humain.
Pour le paysan, l'union libre, qui lui permet d'avoir à la fois plu-
sieurs concubines vivant dans différentes sections limitrophes, est le
moyen économique de se procurer une progéniture nombreuse, d'où il
tire, pour la culture de ses champs, une main-d'œuvre docile et à bon
marché.
[101]
Le concubinage tend à disparaître de la société haïtienne, ou tout
au moins à s'y faire plus discret. Dans la classe cultivée, on se marie
généralement, et la jeune fille de la plus modeste condition, ayant pas-
sé par l'école primaire, considérerait comme une insulte d'être deman-
dée en « placage ». Répétant une prescription de l'acte constitutionnel
de Toussaint Louverture de 1801, la Constitution de 1950 actuelle-
ment en vigueur comporte la disposition suivante : « Article 21. — Le
[102]
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[103]
Chapitre VI
RELATIONS
FRANCO-HAÏTIENNES
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*
* *
Haïti était restée, pendant les vingt premières années de son exis-
tence, séparée pour ainsi dire du monde entier. La France n'avait pas
encore reconnu son indépendance et les États voisins, possesseurs
d'esclaves, évitaient soigneusement tout contact avec le petit peuple
noir qui avait été assez audacieux pour briser de ses propres mains ses
fers et se proclamer libre et indépendant à la face de l'univers esclava-
giste. Elle ne recevait presque rien de l'étranger : ni marchandises, ni
livres. Or, sait-on quel fut le premier livre sorti de la petite imprimerie
qui existait alors à Port-au-Prince ? Une grammaire française. Et pour
répondre à un besoin irrésistible : l'amour des discours, qui montre
bien que nous sommes d'esprit latin, l'auteur de cette petite gram-
maire, le général Juste Chanlatte, allait composer un traité de rhéto-
rique française quand la mort vint l'empêcher de réaliser son téméraire
projet.
Les deux peuples — français et haïtien — étaient d'ailleurs récon-
ciliés avant que fussent établies sur pied d'égalité leurs relations poli-
tiques. De nombreux Français étaient restés dans le pays après la pro-
clamation de l'indépendance ou y étaient venus en toute confiance par-
tager le sort de la jeune république. L'un d'eux, Sabourin, fut notre
premier Grand-Juge, c'est-à-dire ministre de la justice. Lorsque le Pré-
sident Pétion créa en 1816 le premier lycée haïtien, c'est à un Français,
M. Balet, qu'il en confia la direction. Et des médecins, comme le doc-
teur Fournier de Pescay, apportèrent leur précieuse collaboration à
l'Ecole de Médecine, dont la fondation avait été projetée dès [109]
1818 et qui ne prit corps qu'en 1823 avec la création d'une Académie
d'Haïti comprenant deux facultés, l'une de médecine et l'autre de droit.
De ce lycée de Port-au-Prince, comme de ceux qui furent créés
plus tard au Cap-Haïtien, aux Cayes, à Jacmel, aux Gonaives, à côté
d'établissements privés tel le Collège Cauvin aîné, sortit une jeunesse
ardente, désireuse de transformer Haïti en lui donnant des institutions
libérales et en changeant les conditions de vie morale et matérielle du
peuple haïtien par la diffusion de l'instruction dans toutes les couches
de la société. Il faut noter en effet, à l'avantage des Haïtiens, qu'ils re-
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Chapitre VII
COOPÉRATION
INTERNATIONALE
gnie [116] de volontaires d'Haïti à la guerre qui mit aux prises une
nouvelle fois, de 1812 à 1815, Anglais et Américains. A la sanglante
Dantès Bellegarde, Haïti et son peuple. (1953) 108
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