Indignation helvétique, se rater pour mieux sauter
Depuis la mi-mai, l’Espagne a vu naître le mouvement des « indignés », protestant contre le
chômage, la précarité, la corruption et les dérives de la démocratie, des points essentiels qui rongent ce pays. Repris en France quelques jours plus tard, des jeunes revendiquent leur appartenance à ce même mouvement, prenant comme référence l’ouvrage du désormais très connu Stéphane Hessel « Indignez-vous ! ». Ce dernier, interviewé par Le Nouvel Observateur, dit toute sa sympathie pour ce mouvement et le suivre avec intérêt, mais il ne s’y reconnaît pas car ce dernier ne comporte pas des valeurs fondamentales, essentielles, soit celles proclamées par le Conseil national de résistance, dans son programme de 1944, et les valeurs universelles de la Déclaration des droits de l’Homme de 1948, dont M. Hessel est le co-auteur. Hessel est donc réservé pour soutenir une contestation française qui ne fait pas référence à ces éléments essentiels, même si elle s’autoproclame être de la veine de son livre. En comparaison aux revendications légitimes espagnoles, la Suisse est encore bien épargnée par ces problématiques, et si elle doit faire face à d’autres éléments tout aussi malsains méritant véritablement l’indignation, elle ne pouvait reprendre «le truc» espagnol à son tour sans avoir mené une réflexion de fond sur des revendications qui lui sont propres et sont susceptibles de lever des foules. Mais c’était sans compter sur quelques champions de la récupération, qui osent de dire apolitiques, mais qui sont pourtant très engagés, car ce mouvement se réclame avant tout citoyen. Une poignée de jeunes politiciens de la gauche suisse veulent donc importer ce mouvement d’indignation à l’état brut. Nos indignés « made in Schwizerland » ont donc créé une page Facebook en appelant un maximum d’helvètes à l’indignation, relayé par quelques médias qui ne semblent pas dupe de leur manque de revendication claires pour la Suisse, car faisant des liens vaseux avec nos amis espagnols. Cette poignée de vrais excités et pseudo indignés sont à distinguer de bien d’autres indignés pour leurs capacité à engager des révoltes contre tout et rien. Il faut dire que cette poignée de révolutionnaires helvétiques voulant reprendre cette vague d’indignation à leur sauce ont menés dans un passé récent, et mènent encore actuellement des combats tellement fondamentaux, notamment contre les clients de prostituées, les émissions de télé un peu bling-bling, les fumeurs et les automobilistes, eux qui habitent de grandes villes bien desservies par les transports publics. Nos bobos urbains ont donc tenté samedi de mettre le feu à la Suisse, sans véritablement savoir pourquoi, probablement pour une nouvelle vague d’aseptisation de la société, mais surtout pour se faire un peu de publicité. Résultat, on a compté une centaine de manifestants en tout dans divers regroupements. Alors si cette « indignation helvétique » ne voit pas dans ses premiers jours de véritables revendications se poser, ce dont je doute fortement si ce sont les mêmes qui continuent de vouloir en tenir les rennes, elle restera l’indignation de moutons et d’une poignée de bobos et de culs bénis d’opérette qui se fera sans moi… Mais ne jetons pas le bébé et l’eau du bain, car pour moi il est évident que des jeunes de la société civile helvétique doivent s’inspirer de ce mouvement d’indignation, et s’organiser entre eux, sans politiciens. Le fondement de cette révolte peut effectivement trouver des raisons d’exister en Suisse, elles sont multiples, et notamment non pas un rejet de la gauche ou de la droite, mais bien le rejet de toute la classe politique et son mode d’organisation. Emile Pouget, un des artisans de l’anarcho-syndicalisme, posait déjà ce genre de limites pour que le monde ouvrier pratique l’action directe, sans récupération des politiques. En Suisse on pourrait déjà commencer par licencier tous les cadres d’UNIA qui font des carrières au PS, et supprimer la paix du travail, véritable machine à permettre les pires délocalisations. Mais attendons de voir comment la jeunesse helvétique s’organise, si elle le fait, et quelles seront ses revendications, à ce moment là, les citoyens qui peuvent s’y retrouver, descendrons dans la rue, qu’ils soient politiciens, ou pas, mais pas pour prendre ou reprendre les rennes du mouvement. Si j’ai un message à leur donner, c’est de prendre courage, travailler, rester solidaires, et n’accepter d’aucun politicien qu’il se fasse leur porte-parole, et je me réjouis de les rejoindre, en simple citoyen, dans la rue.