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RWANDA Seth Sendashonga Le régi autorise les massacres” eth Sendashonga était ministre de Intérieur du Front See rwanda (FPR lors de pouvoir en juillet 1994. Hutu, chef d'une organ éudiante opposée au rég En désaccord avec Paul Kagame, sur a politique répressive menée {ir Mtge: Que s'est-l passé en 1990, quand es rétugiés tutsis d’Ouganda ont lancé leur guerre contre le régime eHabyarimana ? Sela Sedasiona : Le probleme des réfugiés avait 6 occulté par le régime, mais les FPR depuis longtemps. Ils soubaitaient Cette guerre. Habyarimana sen est servi pour apparsitre comme le seul rempart 26 1¢ Habyarimana, et ce titre exilé du Rwanda depuis 1975, il avait rallié le FPR en 1992, en devenant rapidement l'un de ses idGologues. ‘homme fort du Rwanda, tion du génocide, eur du pays, ila sande tune tentative de res de la nation contre ce que la prop: présentait com tauration de la monarchie tutsie. Cette 1a, Habyarimana avait été contraint par le discours de La Baule d'adopter le multipartisme, et les mailles de son filet sétaient un peu desserrées. Ila utilisé la menace du FPR pour resserrersa dictatu re. Tlestalléjusqu’a cré detoutes piéces li par le FPR. Il s'en une attaque de AUTRE AFRIQUE DU démissionné et s'est réfugi¢ ysant les responsabilités des des autres, et explique pourqu Nairobi (Kenya) cen septembre 1995. Quelque temps plus tard, il échappait A une tentative d’assassinat. Dans cette interview a “L’Autre Afrique’, Seth Sendashonga revient sur les or nset iliation nationale est aujourd'hui impossible au Rwanda, a moins d'une intervention de la communaut internat er des dizaines de mil- liers de personnes quil a dé relacher un an plus tard, cédant& la pression interna tional. ‘Comment avez-vous réagi 2 cette premiére attaque du FPR contre le Rwanda ? Vavais prévenu le gouvernement dHa- byarimana des intentions belliqueuses du FPR. Sa réaction a été celle que je viens est servi pour arr e actuel de décrire: des simulacres et des arresta- tions massives. Je me suis donc dit que ce régime méritait qu'on le combate par tous les moyens et je me suis rapproché du FPR. Celui-ci apparaissait a 'époque comme lunique alternative ala dictature d'Habyarimana, car opposition intérieu- re était écrasée Quels étaient vos liens avec le FPR cette époque 7 Je connaissais le programme politique du FPR depuis 1982. II présentait en filigra- ne la these d'un triptyque bienheureux hutus-tutsis-twa sous I'époque de la monarchie, avant la colonisation. J’étais en total désaccord avec cette idée qui est selon moi un mensonge fondamental, car les confits ethniques et sociaux exis- taient au Rwanda avant la colonisation. Je refusais donc, dans un premier temps, de ‘mejoindre deux. Mais le FPRm'acontac- t€de nouveau Kampala en 1991. Je leur ai dit que jétais d’accord pour les rejoindre a une condition : qu’ils recon- naissent dans leur préambule laégitimité de la révolution sociale de 1959 et réfu- tent leuridéologie dun passé pré-colonial idyllique.IIsm’ont donné le feu vert pour réécrire cette partie du préambule et je ‘me suis joint deux. ourquol le FPR avait-il besoin de vous ? IIs me cherchaient pour améliorer leur image politique. Le FPR était un mouve ment fondamentalement tuts Forigine mais qui devait obtenir aval des Hutus Pour acquérir une reconnaissance inter- nationale. Quels étaient vos espoirs 7 Je voulais parvenir & faire plier le régime d'Habyarimana pour permettre une ou- verture démocratique au Rwanda. Il était nécessaire de le forcer & définir une ci- toyenneté rwandaise qui succéde une citoyenneté ethnique et régionaliste. Il fallat 'obliger respecter leslibertés fon- damentales et le pluralisme politique. Ny avait-ildone aucun parti politique Vintérieur du Rwanda capable de militer pour des idées semblables 7 Seul le FPR avait un réel pouvoir poli- tique et était capable de faire bouger les choses. opposition intérieure avait attendu le discours de La Baule pour oser se manifester. Ce n’est qu’en no- vembre 1990, dans une espace de fuite en avant, qu'Habyarimana a autorisé le multipartisme en invitant également le FPR & se restructurer comme un parti Lopposition rwandaise a été créée & coups de sifflet ! ‘Quel était votre role au sein du FPR ? Je faisais l'interface entre Popposition in- Xéricureet le FPR. Ils'agisait pourle FPR de contrer la propagande du régime en cherchant tous les points de convergence possibles entre l'opposition interne au Rwanda et la guerilla ‘Quels étaient vos principaux Interlocuteurs au sein du FPR 2 A Kampala, je voyais Paul Kagame, Alex Kanyarengwe. Le FPR savait-ii qu'un ‘génocide menacait les Tutsis de 'intérieur ? Bien sir ! Tous les responsables le sa- vaient. Cette menace de génocide était ‘une composante de la politique rwanda se depuis 1965. C’était une politique de prise d’otages. Le gouvernement d'Ha- byarimanaatablé sur cette prise d’otages pour s'assurer que les Tutsis n'attaque- raient pas. Et de fait, les massacres ont commencé dés le déclen- chement de la guerre en 1990. Qui soutenait le FPR& Vintérieur ‘du Rwanda ? En avril 1994, quand la guerre a eu lieu, le FPR avait un nombre impor- tant dadeptes a l'intérieur du pays. Ils étaient essentiellement tutsis. Les Hu- tus, spontanément, n'avaient pas confian- Les Tutsis avaient été mis a l'écart de la vie publique depuis 1959. Ils avaient donc des raisons objectives de se rallier au FPR. Quant aux Hutus, ils se rappe- Iaient les abus de la monarchie. Les Hu- ‘tusaussi voulaient un changement de ré- gime, mais sans aide extérieure. Ils étaient dans cette logique qui veu- AUTRE AFRIQUE DU 21 AU 27 JANVIER 1998 ag ene Cec im ec DEL CLUE ae UA POLITIOUE qu'entre deux diables, on préfere celui que l'on connait le mieux Comment étes-vous parvenu & vous libérer de ce manichéisme interne Avotre société ? Depuis 1975, je vivais& Nairobi en com- pagnie notamment de Tutsis rwandais qui mont aidé. J'ai donc pu surmonter ce probléme de communication entre nos deux ethnies. Qui sont, d’aprés vous, les auteurs de Vattentat contre ravion qui transportait Habyarimana, le 6 avril 1994, lorsqu'll allat atterrir Kigali ? Je n’exclus aucune hypothese. Le FPR ‘comme les FAR (Forces armées rwan- daises, NDLR) pouvaient le faire. Lares- ponsabilité de cet attentat est en tout cas, rwandaise . Quel aurait été 'intérét du FPR dans cet attentat 7 3 Le FPR pensait que la Minuar (Mission des Nations unies pour l'assistance au > ‘Rwanda, NDLR) allait intervenir pour empécher les massacres et que la mort {d'Habyarimana conduirait, sur le plan in- térieur, & une situation de facto qui force- rait les autorités & composer véritable- ‘ment avec hui Pourquoi les FAR ‘auraient-elles fait cet attentat 7 Le président Habyarimana avait fait se- Jon eux trop de concessions au FPR. Pour beaucoup de FAR, il fallait a tout prix stop- per le processus de paix mis en place & Arusha Comment expliquez-vous gouvernement du FPR, dont vous faisiez partie &'époque, ait pas ouvert. denquéte sur cet attentat quia conduit ‘au massacre de plus de 500 000 Tutsis cet Hutus modérés ? Certes, le gouvernement rwandais n'a pas fait sa propre enquéte. Il a néan- ‘moins proposé i toute personne concer- née d’en faire une. Personne n’a pris la balle au bond. Mettez-vous a la place d'une armée qui vient de se battre et de prendre le pouvoir. Elle avait beaucoup d’autres choses & faire. D'aprés ce que je sais, le 7 aac dent : quand les militaires francais sont venus évacuer des orphelins et des person- nalités ecclésiastiques d Butare, au sud du Rwanda, & lademande de ces dernieres. Aleur départ de Butare, ils sesonttrouvés face a desmi- Titaires du FPR quiles atten- daient et quionttiré sur eux. Les Francais ont riposté. II n’ya pas eu de blessé. A ce moment, le téléphone a bien fonctionné entre Kagame et Fourcade. En juillet 1 Comment s'est passée la formation du gouvernement a la suite de la prise pouvoir du FPR ? Le FPR a appelé les rescapés de tous les partis. Le FPR s'octroyait la présidence quelles accords d’Arusha réservait au parti du défunt Habyarimana et créait une vice-présidence. Maisila vite décide de tout imprimer dde son cachet. Larmée a pris en charge la police et la justice. Elle s'est immédiate- ment comportée comme une armée qui vient de faire un coup d’Etat. Elle s'est mise a traiter les députés et méme les ministres comme des domestiques. Au yeux de lopinion internationale, le FPR respectait apparemment les accords Arusha. Dans les fats, rien ne se déci- de désormais au Rwanda endehors de Iétat-major. SER cy Vous étiez ministre deV'intérieur du nouveau régime, puis vous avez décidé de démissionner tun an plus tard. Pour quelles raisons ? Jesuis parti en avait 1995, quelques joursavant le massacre de Kana- 1ma, parce que je ne voulais pas tomber dans le pitge dans lequel s'est emprison- inéle FPR. Le FPR mis en place un mé- canisme de marginalisation sociale des Hutus et des rescapés du génocide qui slaccompagne de massacres, d'assassi- nats, dappropriations des biens d’autrui Et depuis mon départ, c'est allé crescen do. Mémeles Tatsis rescapés du génocide sont marginalisés par les nouveaux maitres. Ley Sau Pourquoi ? Lesnouveaux maitres les accusentd avoir ‘rahi le pays en étant restés au Rwanda 994, le FPR s’empare de Kigali. aprés la révolution de 1959, Dans Vidée de certains rapatriés, qu’ils expriment ‘ouvertement, c'est donc un peu de leur faute sis se sont fait tuer. Comment expliquez-vous que les massacres de populations civiles hhutues par 'armée se soient poursuivis et accentués partois ? Le régime actuel, sl n'encourage pas les massacres, les autorise. Les militaires qui cont commis des massacres sans étre punis recommencent, La rébettion hutue a elle aussi multiplié les massacres de populations civles tutsies... Dés janvier 1997, V'armée rwandaise a systématiquement éliminé les ex-FAR qui étaient revenus dans le pays. Il les cont assassinés avec leur fa- mille, Certains ont été ar- rétés et retrouvés pendus dans leur celfule, Fessaie deme mettre ila place de ces réfugiés, forces de re- tourer dans leur pays et de faire face & une mort programmeée. II n’est pas étonnant que certains aient choisi de mourir 'arme a la main. ne Pt’ Cee Comment expliquez-vous que la rébellion hutue soit toujours aussi nuisible malgré la destruction des camps de réfugiés fin 1996 et la mort de centaines de milliers de réfugiés hutus ? Aprés la destruction des camps de réfu- sigs, !AFDL (Alliance des forces dém cratiques de libération, NDLR) s'est pr cipitée vers Kisangani, laissant des 1 gions, comme le Masisi, aux mains de la rébellion hutue. En outre, Kagame avait envoyé tellement d’hommes aux cotés de Kabila que le Rwanda était dégarni, On pouvait aller de Kigali, au centre, jusqu’a UA POLITIQUE Gysenie, au Nord-Ouest, sans voir un militaire ! Des eX-FAR se sont infiltrés au Rwanda quand les militaires rwandais combattaient dans Vex-Zaire Paul Kagame accuse la population civile hutue de soutenir les rebelles dans le Nord-Ouest. Pensez-vous que cette rébelion soit opulaire ? Lerégime de Kagame fait actuellementla méme erreur que celui d’Habyarimana, en 1990, Au départ, une partie de la po- pulation aurait probablement dénoncé Tesrebelles hutus au gouvernement. Mais, pilus les années passent, plus la répression se enforce, plusles Hutusse radicalisent. Que pensez-vous que devienne un paysan dont la fille s'est fat violer pendant des jours par des militaires qui lui volent aus- si ses choux et ses vaches ? La rébellion grandit en fonction de la répression de Tarmée. Plus la répression est forte, plus la rébellion gagne en popularité. Les Hu- ‘tus restés au Rwanda en 1994 ne s‘atten- daient pas subir une répression a grande échelle. La plupart étaient des Hutus mo- dérés. Mais beaucoup sont tombés depuis dans l'extrémisme, Ils sont plus attentifs aux problémes posés par lethnicité quis ne étaient és lors, quel avenir pour le Rwanda ? Kagame pense que tous les problémes ‘ont une solution militaire. Mais tant que Varmée est dans le méme esprit que la rébellion, répondant chaque massacre de Tutsis par un massacre de Hutus, il n'y a pas d’issue militaire possible. La seule issue pour sortir de la radicalisa- tion de la société rwandaise serait une intervention militaire internationale qui puisse faire taire les protagonistesarmés. Ceserait une solution transitoire, laseu- lea mon avis qui permettrat la volonté des Rwandais de ne plus étre l'otage des groupes armés. Cette solution ae parfum de impossible, ne trouvez-vous pas ? Ily avait une autre solution : V'auto-amen- cement du régime. Mais le régime a deja dépassé ce stade. Propo recueillis a Nairobi par ‘ALaA Morasu 29

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