Vous êtes sur la page 1sur 1

Forum et débats

Dossier. Les rites républicains. Olivier Ihl, professeur de science politique à l’IEP de Grenoble et
écrivain (1). A chaque époque, sa fête nationale.

810 mots
13 juillet 2007
La Croix
LACRX
37798
Français
Copyright 2007 Bayard-Presse - La Croix “All Rights Reserved”

Le mot d’ordre est lancé : le 14 juillet sera « nouveau style ». Un détachement militaire de chacun des
vingt-six autres pays de l’Union européenne défilant sur les Champs-Élysées, une garden-party dédiée
« aux victimes et plus largement à tous ceux qui ont traversé des épreuves » ou accompli « un acte de
bravoure », enfin, le soir, un grand concert sur le Champ-de-Mars et une conférence de presse
remplaçant la traditionnelle interview du chef de l’État. Voilà pour le coup de jeune annoncé.
Dépoussiérer le 14 juillet : la pratique n’a rien d’inédit. Quelques jours après son élection, le président
Valéry Giscard d’Estaing promettait, lui, de renouer avec l’esprit « populaire » du 14 juillet. D’où, pour la
revue des troupes, l’innovation d’un parcours situé au cœur du Paris révolutionnaire, de la Bastille à
République.

D’où aussi des exhortations à multiplier illuminations et décorations pour commémorer non plus la sage
Fête de la Fédération de 1790 mais bien la prise de la Bastille en 1789. L’initiative suscita, on s’en
doute, approbation puis circonspection. Raviver le rituel de la Fête nationale ? Le général de Gaulle,
comme d’autres, y avait pensé. Deux mois après le 13 mai 1958, il fit défiler quinze mille hommes sur
les Champs-Élysées. Parmi eux, quatre mille soldats musulmans, deux mille Algériens. Une manière de
célébrer son projet de communauté française. Mieux : de faire de la métropole et de l’outre-mer les
acteurs d’une fête de la « grandeur nationale ».

Réapparue en 1880, sous la IIIe République, la fête du 14 juillet a régulièrement entonné la trompette


du changement. Comme en 1919, avec la célébration de la Victoire destinée à « glorifier les
soldats-paysans » et le « triomphe définitif du droit ». Comme en 1935, où le 14 juillet retrouve sa
dimension émancipatrice. Les émeutes sanglantes du 6 février 1934 sont dans tous les esprits.
Pression des ligues, mouvements d’extrême droite, et, au dehors, développement du fascisme et du
nazisme : le Front populaire apprendra à défiler en chantant à la fois La Marseillaise et L’Internationale.
Avec Vichy, le 14 juillet s’éclipsa au profit d’un 1er mai transformé en « Fête de saint Philippe » ou d’une
Fête de la Victoire, le 11 novembre, plus martiale que jamais.

Mettre en mouvement le nombre, provoquer la reconnaissance, entretenir la flamme du souvenir : le


14 juillet de la Résistance resta quant à lui bien loin de « l’atavisme national », bien loin aussi de l’appel
« aux instincts et aux passions de la jeunesse », du folklore et de la nature. Le 14 juillet de la
Résistance, ce fut celui, dans la zone libre, des quartiers ouvriers pavoisés (comme la Guillotière à Lyon
en 1942), celui des attitudes de défi individuel, dans la zone occupée. Dans son Journal intime,
Madeleine Jacob le note, le 14 juillet 1941, elle n’a pas pu déposer son bouquet de fleurs au pied de la
statue de la place de la République. La vigilance d’un service d’ordre l’en a empêchée. Mais elle a
rencontré sur son chemin des gestes de courage. Ici, de jeunes femmes en robe blanche, corsage
rouge et chapeau bleu ; là, un camion portant à l’arrière un drapeau tricolore.

Depuis 1945, si les fêtes de la République sont présentées comme n’étant plus capables d’inspirer ou
d’imposer, c’est toujours vers elles que les tenants d’un nouveau contrat social se tournent. En 1958,
c’est devant l’hôtel de ville de Paris qu’André Malraux, le 14 juillet, proclame réconcilier « le peuple de
France » et celui qui défila place de la Bastille (« celui qui voulait la République sans le général de
Gaulle comme celui qui voulait le général de Gaulle sans la République »). En 1981, on se souvient que
la présidence de François Mitterrand s’est ouverte sur une fête : celle de la Bastille et une cérémonie au
Panthéon, dans l’euphorie de la première victoire de la gauche après vingt-trois ans d’opposition.
Comme si la fête de la Nation avait gardé intacts ses pouvoirs d’évocation, et en particulier - vieux rêve
caractéristique d’un pays révolutionnaire - celui d’être le langage le plus proche et le plus analogue à la
construction d’une Cité.

Depuis le Bicentenaire de la Révolution, les lampions semblaient éteints, les drapeaux décrochés.
Après avoir levé un peuple de gestes et de regards, le spectacle, murmurait-on, s’était confié à une
autre ronde : celle, solitaire, des souvenirs… Ce qui est sûr, c’est qu’en 2007, la Fête nationale nourrit
plus que jamais la nostalgie. Et avec elle, un corollaire obligé : la volonté de renaissance.

LC7664772.xml; 7664772

Document LACRX00020070713e37d00008

Page 1 of 2 2009 Factiva, Inc. Tous droits réservés.

Vous aimerez peut-être aussi