LaCroix -mercredi23 novembre 2016
FRANCE
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Qurest-ce que le « conservatisme »?
— Francois Fillon se
revendique d’une droite
classique, traditionnelle,
conservatrice. Un terme
qui, au cours de histoire,
s'est chargé d'une
connotation péjorative.
C’est aux lendemains de la Ré-
volution francaise que le mot ap-
parait, désignant une réaction A
Yévolution culturelle, politique et
sociale verse libéralisme, née de
esprit des Lumiéres et du mou-
vement révolutionnaire. Redou-
tant la remise en cause de cer-
taines valeurs comme de l’ordre
social, les conservateurs « adop-
tent alors une philosophie de Vhis-
toire qui insiste sur Vimpératif de
protéger certaines traditions de
Faction dissolvante dela raison,
rappelle Olivier Ihl, professeur
de sciences politiques. Le philo-
sophe anglais Edmund Burke en
est l'un des chefs de file lorsqu'il
écrit, dans sa Critique de la Ré-
volution fran eaise, quest vrai et
Juste ce qui dure” >.
Cette opposition entre immo-
bilisme et mouvement, conserva
tisme et progressisme, structure
dés lors la vie politique. Entre
1815 et 1830, la droite légitimiste
porte ainsi le projet de la restau-
ration face aux droites bonapar-
tiste et orléaniste, plus libérales
sous certains aspects. Mais cette
proximité du conservatisme avec
des « mouvements condamnés par
Phistoire, comme la restauration
monarchique ou vichyste, plus
proche de nous, a rendu peu d peu
le terme tabou, y compris droite,
analyse I’historien Mathias Ber-
nard, sauf pour quelques figures
comme Philippe de Villiers ».
Ainsi, en 2007 encore, Nico-
las Sarkozy, qui avait fait de la
dénonciation de I’héritage de
Mai 68 un de ses themes de cam-
pagne, n’assumait pas ouverte-
ment le conservatisme de son
projet sur ce point, « préférant le
maquiller derriere la rhétorique
de la rupture », souligne Ma-
thias Bernard. Mais, depuis, la
menace globale a laquelle notre
société est confrontée a renforcé
un désir de protection et de réas-
surance qui s‘accompagne d'un
renouveau conservateur. « Le
discours qui met en avant la né-
cessité de conserver un modéle,
voire un rang, fait mouche dans
une société francaise fragilisée »,
poursuit I'historien.
Pourtant, le terme « conserva-
tisme » reste péjoratif. Il est uti-
lisé aux deux bords de l’échiquier
politique pour dénoncer I'immo-
bilisme de l’adversaire, en ma-
tidre de réforme du travail pour
la droite, d’évolution des moeurs
pour la gauche. Malgré cela,
Frangois Fillon est le premier
candidat majeur a revendiquer le
caractére « conservateur » de ses
propositions sur le plan soci¢tal.
A profite ainsi d’une cohérence
inédite entre I’électorat auquel
il s’adresse, le projet qu’il porte
et limage publique qu'il offre,
mordant sur « la frange catho-
lique traditionnelle de Vélectorat
du Front national dont son an-
cien concurrent Nicolas Sarkozy
tentait de séduire la fraction po-
pulaire », note Olivier Ihl. Le po-
litologue s’interroge quant ace
positionnement politique, no-
tamment sur la question du ma-
riage homosexuel: « Projerer de
réécrire la loi, ce west pas seule-
ment vouloir conserver mais faire
machine arriére, ce qui est la dé-
finition méme d'une démarche
réactionnaire. Si celle-ci heurte
une partie importante dela po-
pulation, elle peut générer de
‘fortes divisions, voire une véri-
table désunion de la communauté
nationale. »
Beatrice Bouniol