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Victor Daras
Ces paroles sont issues d’un article2 écrit par l’internationaliste Michael Doyle, l’un
des principaux représentants de la théorie de la paix démocratique. Selon cet auteur, il
existerait une corrélation cum hoc sed non protper hoc entre la démocratie et la paix. Cette
théorie est issue de l’observation empirique qu’à travers différents facteurs économiques,
politiques et géographiques, les démocraties libérales ne se font pas la guerre. Cette
observation a donc conduit des auteurs, tels que Doyle, à théoriser que ce sont les facteurs
politiques internes propre aux démocraties libérales qui promeuvent la paix et la stabilité entre
ces types de régimes. Néanmoins, cette théorie possède des failles et peut aisément être
remise en question au travers du prisme d’autres théories telle que le réalisme. Ce travail
tentera de répondre à cette question : la théorie de la paix démocratique est-elle pertinente
dans l’analyse des relations internationales ?
Afin de répondre à cette problématique, cet écrit confrontera dans un premier temps les
approches réaliste et libérale, afin de comprendre les raisons subjacentes au maintien de la
paix entre les Etats. Puis, nous tenterons d’examiner si les démocraties sont moins
belliqueuses que les non-démocraties.
A la fin du XXe siècle, les internationalistes libéraux ont observé qu’il y avait eu très peu
de guerres entre des Etats dits démocratiques et par conséquent, la théorie de la paix
démocratique se fonde sur le postulat que les démocraties libérales sont garantes de la paix.
1
Ronald Reagan cité par Doyle, M. W. "Liberalism and World Politics." The American Political Science Review 80,
no. 4 (1986): 1151
2
L’article en question s’intitule: « Liberalism and World Politics »
3
Kant, E., Projet de paix perpétuelle : esquisse philosophique, (Librairie Philosophique Vrin ; Nouvelle édition,
2000) : 93-130
Selon l’approche normative de cette théorie ce sont les valeurs libérales que partagent les
démocraties, telles que la liberté d’expression, la protection des minorités, les droits de
l'homme4, qui amènent ces régimes à interagir par des moyens non violents tels que la
diplomatie. Doyle affirme que ce sont ces valeurs communes qui permettent aux démocraties
de se faire confiance et d’être capable de régler des différends de manière non-violente5.
En effet, selon les réalistes, le type de régime présent au sein d’un Etat ne permet pas
de garantir la paix. D’après cette approche, les Etats sont continuellement dans l’optique
d’augmenter leur sécurité par le biais d’une augmentation de leurs capacités militaires, car
dans un monde anarchique, seule la sécurité apportée par la puissance militaire peut garantir
la survie d’un Etat et permettre un certain statu quo garant de la paix, communément appelé :
équilibre des forces. Ainsi la paix existant en Europe ne serait pas le fait des démocraties
présentes sur ce continent, mais plutôt le résultat de l’équilibre de puissance entre la France, le
Royaume-Uni et l’Allemagne. Cependant, cet équilibre peut être insuffisant pour maintenir la
paix, ainsi les réalistes mettent en avant les bienfaits de la dissuasion mutuelle comme garante
4
Owen, J. M. "How Liberalism Produces Democratic Peace." International Security 19, no. 2 (1994): 99
5
Doyle, M.W. "Kant, Liberal Legacies, and Foreign Affairs." Philosophy & Public Affairs 12, no. 3 (1983)
6
Ibid.: 225
7
Rosato, Sebastian. “The Flawed Logic of Democratic Peace Theory.” The American Political Science Review 97,
no.4 (2003): 588
du statu quo. Néanmoins, cette quête de l’augmentation des capacités militaires est vectrice
du dilemme de sécurité8.
Dans un de ses articles, Doyle démontre que depuis 1815, il n’y a pas eu de guerres qui
ont opposé des Etats démocratiques les uns contre les autres9. Ces preuves empiriques
semblent soutenir la thèse de la théorie de la paix démocratique. De fait, il semblerait que les
Etats démocratiques aient dans leurs relations réciproques un comportement moins belliqueux
que celui qu’ils pourraient entretenir avec des régimes autoritaires, comme le démontre de
nombreux conflits ayant eu lieu ces dernières années (guerres d’Irak, de Lybie…). En effet,
depuis la période de l’après seconde guerre mondiale, aucune grande crise susceptible de
déboucher sur une guerre entre les démocraties n’a eu lieu : « la corrélation entre démocratie
et paix est pour moi l’une des rares choses que la science politique puisse affirmer en matière
de relations internationales. »10 Néanmoins, Layne stipule que si cette théorie a réussi à
identifier une corrélation entre : démocratie et paix : « it fails to establish a causal link. »11.
L’auteur explique, entre autres, que l’ensemble des données pour tester cette théorie est limité
et cite l’exemple du peu de démocraties existantes entre 1815 et 194512, ce qui peut rendre
approximatif l’argumentaire établi par Doyle.
De surcroît, Rosato affirme que les démocraties ont tendance à agir comme les non-
démocraties dans leur politique étrangère en profèrant des menaces et en utilisant la force
militaire si elle est justifiée. Pour appuyer ses propos, il cite les interventions étatsuniennes
dans le contexte de la guerre froide à l’encontre de régimes dit de gauches, qui n’étaient pas
des régimes autocratiques et qui partageaient des valeurs communes avec les démocraties
libérales13. Nous pouvons citer l’exemple du coup d’Etat de 1954 au Guatemala : […] nous
nous sommes arrangés pour interrompre, en 1954, une expérience démocratique. Il s’agissait
pourtant d’un régime réformiste, capitaliste et démocratique, du type new deal, que notre
intervention a permis d’éliminer… » 14.
8
Jervis, R. "Cooperation Under the Security Dilemma." World Politics 30, no. 2 (1978): 169-70
9
Doyle, M. W. "Kant, Liberal Legacies, and Foreign Affairs." Philosophy & Public Affairs 12, no. 3 (1983) : 217
10
Fukuyama, F. « La post-humanité est pour demain. », Le monde des débats 4, n°332 (1999) : 17
11
Layne, C. "Kant or Can’t: The Myth of the Democratic Peace." International Security 19, no. 2 (1994): 38
12
Ibid.: 39
13
Rosato, Sebastian. “The Flawed Logic of Democratic Peace Theory.” The American Political Science Review 97,
no.4 (2003) : 590-1
14
Chomsky, Noam, De la guerre comme politique étrangère des Etats-Unis, Marseille, Agone, 2002 : 48-49
En s’appuyant sur ces faits, nous pouvons légitimement nous interroger sur le bien-fondé
de ces interventions par les puissances démocratiques qui semblent remettre en cause la thèse
principale de la théorie de la paix démocratique. De plus, il ressort qu’être étiqueté comme
une démocratie ou non-démocratie dépend des grandes puissances et est une qualification
partiale. C’est ce que Battistella met en avant en s’interrogeant si les adeptes de cette théorie
ne qualifieraient pas de manière subjective les types de régimes afin de valider leur hypothèse
de travail15.
15
Battistella, Dario. Théories des relations internationales, Paris, Presses de Sciences Po, 2003 : 483-484
Robert W. Cox, « Social Forces, States and World Orders: Beyond International Relations”, Millennium:
16