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Le multilatéralisme : idéalisme à l’épreuve des RI

“La seule voie qui offre quelque espoir d'un avenir meilleur pour toute l'humanité
est celle de la coopération et du partenariat.” En ces mots, Kofi Annan, secrétaire général
des Nations Unies de 1997 à 2006, illustre la raison d’être du multilatéralisme. En ce sens, le
dialogue, la coopération et la mise en commun des intérêts étatiques demeurent essentiels
quant à l’universalisation du progrès et de la paix.

En effet, le multilatéralisme « consiste pour les Etats à élaborer collectivement les


règles régissant leurs relations et à conduire des politiques concertées » selon Marie-Claude
Smouts, Dario Battistella, Pascal Vennesson dans leur Dictionnaire des relations
internationales. En ce sens, le multilatéralisme apparaît à la fois comme une stratégie, mais
également comme une politique. La méthode mise en avant par le multilatéralisme consiste
en la négociation, la concertation et la coopération à plusieurs, c’est-à-dire à plus que deux
États. Cette stratégie est le fruit de nombreuses années d’organisation des relations
internationales. Nous pouvons observer son origine dans l’ordre westphalien du XVIIème
siècle, résultant de la signature des Traités de Westphalie le 24 octobre 1648 à la suite des
guerres de trente et quatre-vingts ans. Cet ordre, ou tournant dans les relations
internationales, tend à poser les bases d’un multilatéralisme par la reconnaissance d’une
souveraineté extérieure et intérieure des États mais aussi et surtout en érigeant un équilibre
des puissances comme priorité. La notion de multilatéralisme ne pourrait être saisie sans au
préalable définir les contours de la souveraineté, tant celle-ci est au fondement des
échanges interétatiques. Nous entendons par souveraineté l’indépendance d’un état, sa
capacité à ne pas se soumettre au travers de son autorité suprême sur un territoire et une
population donnée, et par sa liberté d’organisation interne. Ainsi, la souveraineté, c’est ce
qui, classiquement, va ancrer, territorialiser les relations internationales. Weber nous dit
que l’État est une organisation qui revendique, sur un territoire donné, le monopole de la
violence légitime. De fait, le modèle wébérien se trouve en adéquation avec le principe de
souveraineté. Ainsi, la souveraineté ne pourrait être violée en vigueur du principe
d’interdiction de l’ingérence, et de l’impossibilité des individus de vivre dans des espaces
sans souveraineté.

Le dialogue, la coopération deviennent alors de mise pour assurer un certain


maintien de la paix, une sécurité collective. Peu à peu le multilatéralisme tend à devenir une
véritable politique. En effet, le XIXème et le XXème siècle sont marqués par l’émergence des
premières organisations internationales, d’abord très spécialisées, puis d’autres plus
globales à l’instar de la SDN et de l’ONU. En cela, le multilatéralisme devient une politique,
dans la mesure où, par le biais de ces organisations, les Etats vont coopérer et être amenés
à construire des politiques de manières concertées, en vue de satisfaire des intérêts
communs, dans un éventail très large de domaines.

Dans le cadre de leur souveraineté, les États cherchent individuellement la


maximisation de leurs intérêts. De fait, le multilatéralisme dans son acception idéaliste se
trouve mis à l’épreuve face à la réalité des relations internationales, dans la mesure où la
seule mise en commun des intérêts étatiques ne pourrait entraîner leur satisfaction. Ainsi, il
s’agira de se demander à quelle(s) condition(s) le multilatéralisme parvient à mettre en
commun des intérêts étatiques.
Pour cela, il conviendra d’étudier les conditions de la réussite d’un multilatéralisme,
dans un premier temps au travers du débat qui l’anime, et de l’efficacité de la mise en
commun des intérêts étatiques. Puis nous nous intéresserons à la facilitation de la mise en
commun des intérêts des États au travers des organisations interétatiques, et des conditions
qui les régissent.

I. Le multilatéralisme comme politique de convergence des intérêts


A. Un multilatéralisme en débat

Le multilatéralisme en tant que stratégie se retrouve comme fondement de


l’idéologie de la première chaire de Relations Internationales en 1919 au sein de l’université
du Pays de Galles. Cette chaire, également nommée “chaire de Woodrow Wilson”, a
l’ambitieuse vocation de construire et contribuer à une forme de pacifisme. En effet, celle-ci
est construite dans le prolongement de la politique idéaliste de Wilson. Il s’engage dans une
large révolution de la diplomatie et des relations internationales. Il instaure de nouveaux
rapports reposant sur l’équilibre des puissances, un contrôle plus étroit des activités, et la
transparence. Il s’érige de fait en défenseur de la paix par le droit et non plus de la paix par
la force et fait émerger l’idée d’une sécurité collective. En effet, la chaire Wilson est créée
dans le dessein d’accompagner la création de la SDN et le développement du droit
international afin d’apaiser l’instabilité et les tensions entre les Etats à la suite du premier
conflit mondial. L’idéalisme de Wilson est remis en question dès les années 1930 par la
vision réaliste, qui se représente le monde international comme un monde à l’état de nature
au sens de Hobbes. Hans Morgenthau, penseur réaliste, écrit en 1948 dans Politics among
Nations que les RI correspondent à “l’entrechoquement d’Etats guidés par la maximisation
de leur « l’intérêt national défini en termes de puissance”. Il traduit ainsi la pensée réaliste
qui s’oppose largement à l’idéaliste. Ils nous disent que les violences privées sont, en
interne, régulées grâce à l’Etat. En revanche, hors de ces frontières, c’est l’état de nature ou
l’anarchie qui règne : Un état de nature composé d’Etats en compétition qui s’affrontent
suivant des logiques de puissance : soit qu’il s’agisse de s’imposer aux autres, soit de résister
aux tentatives extérieures de contrôle. De fait, le droit est incapable de saisir les
mécanismes des relations internationales, puisqu’il en serait l’effet. En ce sens, Morgenthau
place les intérêts au cœur des relations internationales, et non plus la paix, la recherche des
principes moraux. Bien que l’approche idéaliste a motivé le développement des relations
internationales, l’approche réaliste demeure la plus plébiscitée, offrant de fait un débat
continuel entre ces deux courants.

B. Le multilatéralisme ou maximisation des intérêts étatiques

Le développement et l’adhésion au multilatéralisme s’explique par le fait que les


États, trouvent nombre d’intérêts à prendre part à la coopération et aux organisations
interétatiques. En effet, le monde s’est vu déchiré par deux grandes guerres, une nécessité
de pacifisme et de coopération s’impose. La sécurité collective s’impose comme un intérêt
majeur, afin que chaque pays puisse se prémunir de toute déstabilisation. Elle se conçoit
comme un système interétatique, à deux facettes. Le premier pan est matériel, puisqu’un
État est dissuadé d’utiliser des moyens militaires de façon offensive lorsqu’il s’expose aux
forces non pas d’un autre État mais de tous les autres. Le second est moral, dans le sens où
attaquer un autre État signifie attaquer l’ensemble des États. La sécurité collective promeut
ainsi une indivisibilité de la paix. L'origine de la sécurité collective est la recherche d'un
remède aux défauts que comporte la structure de la communauté internationale.
Contrairement à l'ordre juridique intérieur aux États, il n'existe pas une dimension
exécutoire dans l'ordre juridique international. Or, il n'y a pas de sécurité véritable si ce sont
les États individuels qui doivent y pourvoir ; c'est l'ensemble des États qui doit remplir cette
fonction en agissant contre les perturbateurs.
D’autre part, le multilatéralisme concourt à la mise en commun des intérêts par le
biais des organisations interétatiques notamment, elles peuvent être internationales
comme le FMI ou l’OMS ou régionales comme l’Union Africaine ou l’Union Européenne.
Selon Braveboy-Wagner, ces organisations régionales bien que parfois peu intégrées dans la
scène internationale, ont tout de même des intérêts. On avance l’hypothèse fonctionnelle,
l’adhésion répond à des problèmes pratiques, elle permet par exemple la facilitation des
échanges, et l'hypothèse identitaire soit l’affichage d’une identité et d’une position
commune. Plus généralement la coopération peut relever de dispositions fonctionnelles afin
de tirer des conflits des avantages, ou de dispositions cognitives, dans la mesure où la
coopération sous-entend une reconnaissance des états coopératifs, un rapprochement
formel, l’établissement de relations et un apprentissage collectif entre les puissances.
Finalement l’intérêt à la coopération peut être de nature coercitive, dans la mesure où un
régime plus puissant ou un régime de sanction peut contraindre un autre acteur à rallier une
coopération qui n’était au départ pas souhaitée. Autrement dit, la portée obligatoire des
traités et de normes, la menace de sanctions ou les risques de l’isolement sont autant
d’invitations forcées à coopérer.
Il faut avant tout retenir qu'au-delà d’une coopération, le multilatéralisme
correspond d’abord à une quête de maximisation des intérêts individuels. Ainsi, s’inscrire
dans un multilatéralisme, renvoie d’abord à une reconnaissance de la souveraineté étatique
et offre une possibilité d’inscription dans un rapport de force. Ne pas s’inscrire dans une
dynamique multilatéraliste représente un réel coût symbolique, qui dans le cadre d’un
monde globalisé, interconnecté, est non négligeable. En ce sens, la coopération est
essentielle, et se trouve être facilitée, notamment par les organisations interétatiques.

II. Une institutionnalisation du multilatéralisme


A. Les organisations interétatiques comme matérialisation et cadre du multilatéralisme

Afin que le multilatéralisme parvienne à atteindre ses objectifs, il se doit d’être


encadré. De fait, l’efficacité de la coopération étatique est conditionnée à l’existence
d’organisations internationales. En ce sens, la poursuite des intérêts étatiques et leur mise
en commun résulte de l'œuvre de ces organisations. Une organisation interétatique est « un
ensemble structuré où des participants appartenant à des pays différents, coordonnent leur
action en vue d’atteindre des buts communs » selon Marie-Claude Smouts, Dario Battistella,
Pascal Vennesson. Dès lors, l’organisation interétatique est une entité juridique,
apparaissant comme la matérialisation d’un multilatéralisme, qui est résolument la
politique adoptée par ces entités à l’instar de l’ONU, qui est pensé et présenté comme une
organisation universelle plus efficace, coercitive et englobante que la SDN.

Les organisations internationales sont des entités aux caractéristiques singulières. En


effet, elles résultent d’un acte volontaire, s’incarnant par un traité ou une convention
démontrant une volonté des Etats de s’unir et s’accorder. De plus, les organisations
internationales ont une matérialité, par l’existence d’un siège et de concertations régulières
et planifiées, et souvent des organes exécutifs, législatifs et judiciaires pour les plus
universelles d’entre elles. C’est par ces caractéristiques que les organisations internationales
représentent le socle et le réceptacle des intérêts étatiques et permettent la coopération et
le dialogue quant à leurs intérêts.

À mesure que les besoins deviennent grandissants au sein de la société


internationale, et que le multilatéralisme représente une voie privilégiée dans la quête de
satisfaction des intérêts étatiques, les organisations interétatiques se multiplient et voient
aussi leurs compétences s'accroître. En effet, l’organisation interétatique est alors chargée
de faire respecter les droits de chacun de ses membres, de gérer les biens publics mondiaux,
mais aussi la régulation de la mondialisation, l’assistance c’est-à-dire l’aide à la
reconstruction des économies dévastées par les conflits, ou encore l’action sur des
domaines très vastes tels que les droits des enfants, la condition féminine, l’environnement,
la santé etc. Les organisations interétatiques ont finalement pour vocation une mission de
maintien de la paix, et de solidification d’une sécurité collective. Rejoindre une organisation
interétatique a pour dessein de se tenir en dehors de conflits, de se prémunir contre toute
déstabilisation. Ces missions sont toutes incarnées par l’ONU. Elle touche à tous les
domaines, et tente de concilier les intérêts étatiques individuels pour arriver à une
potentielle harmonie de la société internationale. Force est de constater que ses missions se
confrontent à nombre de difficultés, mises en reliefs par la contradictions des intérêts
étatiques et l’hégémonie de certaines puissances.

B. Les organisations internationales confrontées au réalisme.

La seule mise en commun des intérêts étatiques ne saurait les satisfaire et


harmoniser la société internationale. Guillaume Devin dans son ouvrage Les organisations
internationales pose la question des contraintes auxquelles sont soumises les organisations
internationales dans la bonne réalisation du multilatéralisme. En cela, il fonde la théorie du
triangle de la fonctionnalité, selon laquelle chaque organisation internationale, pour être
efficace serait prise dans un triangle composé de 3 pôles, la représentativité, la légitimité et
l’efficacité. En effet, la représentativité part du postulat et du constat qu’aucune OI ne serait
suffisamment intégrée pour que ses membres abandonnent leur identité d’Etat. De fait, au
sein de l’ONU, chaque membre réclame une représentativité à la hauteur de ce qu’il estime
être son poids et son importance. Cette caractéristique du triangle se joue au niveau des
agents, et de la représentation des ressortissants nationaux dans les organes qui composent
les OI. Si cette représentativité n’est pas remplie et respectée, cela entache la crédibilité des
OI et leur prétention à l’universalité. Un défaut de représentativité va jouer sur la légitimité
de l’OI, dans la mesure où moins celle-ci est représentative, moins elle est considérée
comme légitime, et ainsi, son efficacité va être grandement remise en question. En ce sens,
représentativité et légitimité sont intimement liés. Par exemple, l’OMS va être légitime si
elle parvient à endiguer une épidémie, mais si elle n’y arrive pas, son efficacité est remise en
cause, entraînant conjointement une contestation de sa représentativité et donc de sa
légitimité à exercer cette tâche.

Ainsi, les objectifs portés par les organisations internationales afin de permettre un
multilatéralisme tel qu’entendu par ses principes fondateurs représentent en quelque sorte
un idéal qui est nuancé par la réalité des relations internationales. En effet, elles
représentent un champ de lutte et sont le réceptacle de l’inégale répartition de la puissance
à l’échelle mondiale. Si le multilatéralisme se veut un moyen de représenter et de porter les
intérêts de tous les Etats, la réalité est toute autre et est marquée par une hégémonie des
Etats omnipotents sur la scène internationale, à l’image du droit de véto au sein du Conseil
de Sécurité, laissant place à des États sur dominants à la poursuite de leurs propres intérêts.

Conclusion:
Pour conclure, la mise en commun des intérêts étatiques est conditionnée à une
certaine efficacité du multilatéralisme. En effet, bien que l’idéalisme dans les RI soit au
fondement des actions multilatérales, le réalisme prime, privilégiant les propres intérêts des
États coopératifs. La réussite de la mise en commun des intérêts étatiques dépend d’un
certain intérêt pour les Etats à coopérer. Dans ce dessein, les OI s’imposent comme les lieux
de rencontre et de coopération des Etats permettant cette mise en commun des intérêts. En
ce sens, les OI s’imposent véritablement comme une institutionnalisation et une
matérialisation du multilatéralisme. Ces dernières sont également soumises à certaines
conditions de représentativité, de légitimité et d’efficacité permettant de mener à bien les
objectifs du multilatéralisme. Néanmoins, l'idéalisme du multilatéralisme se trouve mis à
l’épreuve des relations internationales, dans la mesure où il ne peut échapper aux rapports
de forces omniprésents dans l’espace international. Miroir de ce champ de lutte, le
multilatéralisme s’illustre dans une profonde crise, remettant en cause sa légitimité et son
efficacité dans les relations internationales. En ce sens, le multilatéralisme constitue à la fois
un acquis et un pari, qu’il est peu probable de voir disparaître, mais qui se retrouve affaibli
par la méfiance et le désengagement liés aux discours quant à son futur incertain.

Bibliographie:

Source primaire:

- Alles, Delphine ; Ramel, Frédéric et Grosser, Pierre (2018), Relations internationales :


cours, exercices corrigés, méthodes commentées. Paris : Armand Colin. Chapitre 6 :
Les organisations intergouvernementales.

Ressources bibliographiques:

- Jacqueline Braveboy-Wagner, Institutions of the Global South, London/New York:


Routledge, 2009
- Guillaume Devin, « L’avenir du multilatéralisme. Pourquoi le multilatéralisme est-il
résilient et fragile malgré tout? », CERI, 2020
- Guillaume Devin. Les organisations internationales-2e éd. Armand Colin, 2016.
- Asmara Klein, Camille Laporte et Marie Saiget (dir.), Les bonnes pratiques des
organisations internationales, Paris, Presses de Sciences Po, 2015.
- Hans Morgenthau, Politics among nations, New-York, Knopf, 1948
- Marie-Claude Smouts, Dario Battistella, Pascal Vennesson, dir., Dictionnaire des
relations internationales, Dalloz, 2003
- Max Weber, Le savant et le politique, trad. par J. Freund, Paris, Plon, 1959

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