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Le Héros est arrivé :

Un stratagème narratif japonais


Pour être admiré, il faut savoir se mettre en scène. Les héros japonais le savent bien, et c’est pour cette
raison que ces derniers ont une façon tout à fait caractéristique d’entrer en scène au meilleur moment,
en se pliant à un schéma de récit bien jalonné et indéfiniment répété. Peut-être même un peu trop
répété.

L’arrivée d’un héros sauveur est une scène clichée des séries japonaises : il s’agit d’une séquence
narrative extrêmement bien rodée et qui apparaît dans les passages héroïques. Ce stratagème est
présent dans le manga, mais il est en fait aussi très largement utilisé dans l’animation, et les séries live
télévisées de l’archipel. Grâce à son schéma habile qui joue sur les sentiments du spectateur, il permet
de lui faire ressentir de puissantes sensations.

Sans se presser…

Le schéma de l’arrivée peut être précisément défini : tout lecteur habitué à la narration des œuvres
japonaises le reconnaîtra sans difficulté.
Etape 1 : Durant un combat, un personnage est en difficulté, le plus souvent devant un grand nombre
d’adversaires, ou un autre personnage bien plus puissant que lui. Le personnage est sur le point d’être
vaincu, comme par exemple lorsque son adversaire veut lui porter le coup de grâce.
Etape 2 : L’un des personnages pousse un cri de désespoir ; il peut s’agir de celui qui se bat, ou bien de
l’un des « personnages témoins » qui assistent à la scène. Le personnage qui crie est le plus souvent
féminin. Cette étape n’est pas toujours présente, mais elle est très importante car elle constitue le point
de climax de la séquence.
Etape 3 : Tout d’un coup, brutalement parfois, un événement bref se produit : c’est très souvent une
attaque, et notamment un jet de projectiles. L’événement ou l’attaque déstabilise l’agresseur qui
croyait avoir partie gagnée. Il est stoppé net dans son élan et essaye de comprendre ce qui s’est passé
et qui est intervenu.
Etape 4 : Un nouveau personnage apparaît, plus ou moins lentement (dans tous les cas sans se presser),
tandis qu’il prononce une réplique plus ou moins héroïque, voire lyrique dans certains cas. Bien
souvent, le personnage se trouve en hauteur, perché sur une hauteur difficile à atteindre, comme un
toit, un poteau électrique, etc. Cette hauteur est bien sûr une métaphore de sa position vis-à-vis de la
situation : au dessus de la mêlée, il s’abaisse à intervenir pour sauver le héros, alors qu’il est d’un
niveau supérieur.
Etape 5 : Les ennemis se ruent sur lui, mais il les abat en général facilement. Parfois, il préfère
disparaître mystérieusement.
A noter qu’en version animée, il n’est pas rare que la musique se taise à l’étape 2 ou 3 (ce qui permet
de mieux entendre le personnage qui crie exprimer son désespoir), pour revenir triomphalement avec
un morceau où dominent les cuivres et les percussions. Ce type de musique souligne bien sûr le statut
héroïque de la scène, et du personnage qui vient d’apparaître.

Héros en cascade

On trouve cette séquence clichée dans des œuvres où l’héroïsme est de mise et où le personnage
principal doit être aussi invincible que droit et juste, c’est-à-dire principalement les séries destinées
aux garçons. Le meilleur exemple est Machine Robot Cronos (La Revanche des Gobots), et son héros
Nick, le prince de la pose héroïque, virile et galbée, qui a marqué les mémoires par ses inénarrables
répliques au lyrisme inspiré (cf AL 82). Kenshirô intervient lui aussi, au début du récit de Hokutô no
Ken (Ken le Survivant), pour sauver Lin en respectant la séquence, et notamment l’étape 2. Or Lin est
une enfant devenue muette jusqu’à sa rencontre avec Kenshirô ; le cri qu’elle pousse est d’autant plus
émouvant.
Il est extrêmement courant de rencontrer ce schéma dans les séries sentai, qui visent un jeune public.
Même une série aussi ancienne que Sankukai en montre des exemples, comme lorsque Ryu fait
précéder son arrivée de quelques shuriken bien placés. Le fameux sentai français France Five respecte
comme ses modèles les étapes de la séquence : dans l’épisode 3, alors que les vaillants héros colorés
sont au tapis et qu’un vicieux monstre absorbe leur dernière énergie, un mystérieux sauveteur vient à
leur rescousse (après avoir lancé sa veste sur la tête du monstre pour l’aveugler et attirer son attention)
et se débarrasse de la menace avant de tirer sa révérence en gardant ses secrets. Il n’est en fait pas
étonnant de voir que les séries live utilisent largement la séquence car elle provient des jidai-geki, ces
« séries d’époque » live de cape et d’épée très courantes à la télévision japonaise, où un samurai joue
souvent les redresseurs de tort en tentant de garder l’anonymat.

Fixer l’image du héros

La séquence est l’occasion de caractériser le personnage salvateur, en faisant ressortir ses principales
caractéristiques. Dans l’extrait de Bastard !! présenté ci-contre, la séquence permet d’individuer les
quatre séraphins (c’est-à-dire leur donner des traits distinctifs et individuels), les différencier
clairement grâce au discours et à la posture qu’ils présentent lors de l’étape 4 : élégance et retenue
pour Raphaël, gaieté naïve pour Gabrielle, etc. Dans le passage de l’OAV 1 de Giant Robo, Taisô
apparaît à l’écran avec une pose de conquérant et boit de l’alcool afin de montrer à quel point il est
fêtard, nonchalant et viril. Piccolo sauve toujours Son Gohan de la même façon dans les films de
Dragonball Z : en jouant les sauveurs au visage impassible, il cultive son image de combattant
misanthrope et taciturne qui ne fraie pas avec les autres membres de la bande.
On observe parfois des variations par rapport au modèle : ainsi dans Sailormoon1, le Smoking Masqué
fait son apparition avec en fond sonore une mélodie douce accompagnée des fameuses castagnettes,
loin des modèles musicaux ronflants des anime précédents. On se trouve en effet dans une série shôjo
où l’héroïsme est teinté de sentimentalisme bon marché : on n’y lance pas une boule d’énergie lors de
l’étape 3 mais une rose, ce qui respecte davantage l’imaginaire du prince charmant à la fois gracieux et
protecteur.

J’ai trop la classe !

Le héros justicier est donc un cliché fortement ancré dans la tradition narrative japonaise actuelle.
L’une de ses qualités principales est sa modestie idéale : même lorsqu’il fanfaronne, il risque sa vie de
manière désintéressée. Une fois les personnages sauvés, il n’attend ou n’exige aucune gratitude ou
rétribution de leur part, dans la grande tradition du héros redresseur de tords. Néanmoins, le
comportement très brillant du héros au moment de son intervention, ses répliques décisives et
supérieures peuvent le faire passer pour prétentieux : très souvent la réplique des ennemis devant ce
discours est fuzakeruna ! (« tu te fous de notre gueule ! »), ce qui montre bien qu’il en fait trop. Pour le
lecteur/spectateur en revanche, son comportement est hautement délectable.
Mais pourquoi la séquence de l’arrivée du héros possède-t-elle une telle efficacité ? Visiblement, son
effet repose sur la sollicitation très rapide et très contrastée des sentiments du spectateur. Celui-ci
ressent par empathie un profond désespoir devant le sort des personnages, qui se trouvent en grand
danger et même sur le point d’être annihilés, tout en espérant qu’ils seront sauvés ; ce sentiment dure
un certain temps, tout au long de l’étape 1, et monte en puissance jusqu’à son summum, marqué par le
hurlement de l’un des personnages à l’étape 2. Ce cri libérateur appelle l’intervention du héros et le
passage à l’étape 3 : c’est un élément extérieur qui vient brusquement briser la tension, et introduit
l’idée que les personnages ne vont peut-être pas y rester. L’apparition lente du héros renverse alors peu
à peu la polarité de la scène, au fur et à mesure que ce dernier met les agresseurs au tapis. L’arrivée
héroïque permet donc de conduire le lecteur à travers des sentiments intenses de crainte et d’espoir, et
de conclure le passage par une issue heureuse et rassurante.
Il faut également souligner ici l’importance pour un auteur japonais de la reproduction des schémas
narratifs, et particulièrement dans le monde du manga et de l’animation : lorsqu’une série d’un auteur
a du succès, d’autres auteurs sont fortement incités à prendre exemple sur lui et à adopter ses
caractéristiques. L’imitation fonctionne donc à plein régime et l’on reproduit avec zèle les schémas les

1
On ne dira jamais assez à quel point Sailormoon ressortit avant tout au genre des sentai.
plus efficaces, ceux qui ont prouvé maintes fois leur efficacité, dont celui de l’arrivée du héros. Mais si
le schéma se révèle trop usé, on le parodie…

Trop c’est trop

L’un des meilleurs exemples de parodie de la séquence narrative de l’arrivée du héros se trouve dans
Niji-iro Tôgarashi, d’Adachi Mitsuru. Alors que Shichimi est aux prises avec des bandits et en grande
difficulté devant une Natane impuissante, un mystérieux personnage intervient. Il lance tout d’abord
des cotillons en guise de signe d’arrivée, puis tient des paroles d’un lyrisme naïf complètement décalé
par rapport à la situation, qui fait sombrer la scène entière dans un burlesque hilarant : « Si le vent doit
souffler, qu’il en soit ainsi / Si la pluie doit tomber, qu’il en soit ainsi / Même si je n’aime point voir
les lames nues s’abattre comme la pluie / Que l’on me pardonne, au nom du monde, et au nom des
hommes / Je suis le magma de la justice né de la Terre / Les gens m’appellent… 2 ». Bien que l’on
reconnaisse clairement dans le passage les cinq étapes du schéma, on ne peut que remarquer que la
plupart de ces étapes portent la marque d’une dégradation des éléments mis en scène (les cotillons qui
remplacent une explosion, les paroles pseudo poétiques mais à côté de la plaque qui valent lieu de
discours décisif, etc.) : tout cela n’a pas l’air bien sérieux. La parodie est la preuve que cette séquence
a fait son temps.
Derrière l’évolution de ce schéma codifié avec précision, on peut retrouver la problématique du
sentiment héroïque et de sa dégradation depuis les années 1980 dans la production japonaise3. Tout
d’abord, la scène de l’arrivée du héros est enthousiasmante, puis elle est parodiée et devient du même
coup comique, et enfin le héros n’est plus héroïque du tout et ce genre de scène disparaît. Cowboy
Bebop représente ce modèle de l’anti-héroïsme japonais, avec son lot de réactions inattendues qui ne
correspondent en rien à la séquence canonique en question : dans l’épisode 5, où Spike vient sauver
Faye dans la cathédrale, il n’hésite pas à agir sans aucune dimension héroïque, notamment en tirant sur
le ravisseur de Faye au risque de la blesser. On retrouve ce motif presque à l’identique dans la
première scène du long métrage, où Spike abat le bandit qui a pris une vieille dame en otage, ainsi que
dans le passage de l’adaptation manga de Nanten Yutaka avec la jeune reporter. Loin des brillants
héros salvateurs précédents, Spike est un anti-héros désabusé qui n’endosse pas l’habit de celui qui fait
la morale aux autres et se comporte comme un modèle.
L’arrivée du héros est ainsi une véritable marque de fabrique japonaise, un « classique » qui exalte
avec régularité les sentiments héroïques du spectateur. Malgré les parodies dont elle peut faire l’objet
ou son abandon dans des récits plus modernes, elle n’en reste pas moins d’une extrême efficacité.
Peut-être tout simplement parce qu’elle représente un équilibre condensé de tout récit héroïque :
craindre la défaite, puis savourer le triomphe…

Den Sigal

Encadré : Quelques exemples de la séquence

Etape 1 : Etape 2 : Etape 3 : Etape 4: Etape 5:


Situation Personnage qui Attaque Arrivée, Résultat
crie ? salvatrice posture, et
discours du
héros
Saint Seiya, Seiya, Shiryû et Non (les Une plume de Le lecteur voit Ikki engage le
manga Shun ont été mis personnages phénix a été Ikki apparaître, combat avec
volume 10 au tapis par sont projetée vers en trois cases Shaka.
Shaka dans la inconscients) Shaka, qui est pendant
maison de la blessé à la lesquelles il se
Vierge. Ce main (cette rapproche en
dernier même main marchant
2
Afin de ne pas réduire le plaisir du lecteur de la série en version française, nous ne dévoilerons pas la fin de la
réplique, qui est à mourir de rire…
3
Voir « Anime et Epopée » (AL 90).
s’agenouille avec laquelle il calmement,
auprès de Shun et menaçait entouré de
s’apprête à lui d’achever flammes.
porter le coup de Shun).
grâce .
Giant Robo, Daisaku, Ginrei Daisaku crie, Une gerbe Gros plan sur Taisô affronte
OAV 1 et le professeur alors d’énergie Taisô, perché Alberto après
Gô sont qu’Alberto contre le coup sur un pipe-line avoir assuré la
poursuivis par annonce « c’est de grâce que en compagnie sécurité des
Alberto dans une le coup de s’apprête à de Tetsugyû. Il héros qui
zone industrielle. grâce ! ». donner Alberto. accuse Alberto peuvent
Leur véhicule est de s’être s’enfuir.
stoppé par l’onde attaqué à ses
de choc amis en son
d’Alberto. Ce absence et
dernier va déclare qu’il va
pulvériser de sa s’occuper tout
dernière attaque seul de lui et de
le groupe des Koshakuten.
héros. Pour finir, il
boit un coup.
Sailor Moon, Usagi en Alors que le Tel un éclair L’Homme Usagi crie de
série TV, mauvaise posture monstre hurle rosâtre, une masqué se tient plus belle et
épisode 1 devant le monstre « c’est la fin », rose lancée perché sur une utilise ainsi
qu’elle est venue Usagi pousse d’on ne sait où fenêtre, la cape involontaireme
combattre dans la un hurlement. vient se ficher au vent, nt l’un de ses
bijouterie, elle est dans le sol. Le dominant la pouvoirs
à terre et fon en monstre situation. Il cachés, puis
larme. Le s’arrête net en tance Sailor abat finalement
monstre lance criant « qui est Moon, en lui le monstre.
son bras pour là ? ». disant que
donner le coup de pleurer ne
grâce. résoudra pas
son problème.
Dragonball Songohan est mis Il pousse un Un rayon Piccolo se tient Il engage le
Z, film 9 à mal par Bojack gémissement d’énergie darde dressé sur combat avec
et ses sbires, il en se préparant du ciel, et l’extrémité Bojack.
reçoit acculé et à à être frappé repousse la d’un clocher,
moitié groggy par l’attaque. boule d’énergie les bras croisés,
des rayons de Bojack, qui la cape volant
meurtriers. Il cherche du au vent.
perd son état de regard qui a
super Saiya, alors agit.
que Bojack lui
envoie une boule
d’énergie afin de
l’achever.
Bastard ! !, Les humains sont Alors que Un éclair Les quatre Ils s’attaquent à
Tome 19 décimés par des Shera est tuée, tombe du ciel séraphins Kon-Ron le
démons tous plus McPain crie et foudroie l’un apparaissent, diable.
cruels les uns que son dépit. des démons. en descendant
les autres, et un Les autres du ciel dans
petit groupe créatures de leur gloire.
mené par McPain l’enfer sont Dark Schneider
tente de leur paniquées. les suit de près.
échapper. Ils
rencontrent des
démons
surpuissants.

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