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Alerte juridique

Longtemps, le principe de précaution n’a pas été retenu contre les opérateurs téléphoniques
en matière d’installations d’antennes relais. Mais les choses pourraient changer.
Le Conseil d’État pourrait bien prendre davantage en compte cette notion.
 Yvan Gavail • yvan.gavail@orange.fr

Antennes-relais :
face au principe
de précaution
a controverse scientifique relative riverains ou/et des autorités publiques La simple crainte,
L à la dangerosité des antennes-
relais de téléphonie mobile est à
l’échelle de l’essor de ladite téléphonie
locales, lors de l’installation d’antennes-
relais.
si elle est considérée
comme légitime, constitue
mobile. Le fait que nos voisins euro- À cela s’ajoute le décalage entre un un trouble anormal
péens astreignent les opérateurs à res- risque évalué par la science, et un de voisinage
pecter des normes, bien inférieures à « risque perçu » car, parfois, certains
celles édictées en France, alimente éga- administrés se plaignent de troubles Pas de principe de précaution
lement les craintes. Tout ceci entre- alors même que les antennes instal- pour les juridictions administratives
tient l’inquiétude, voire l’hostilité des lées ne sont pas en service. Et nous Les juridictions administratives ne ces-
n’en sommes pas à un accord généra- sent de rappeler qu’en l’état actuel des
lisé des scientifiques, qui permettrait la connaissances scientifiques, il n’est pas
résorption de ces conflits par une har- établi qu’une antenne relais de télé-
monisation des positions législatives phonie présente un risque pour l’or-
entre les pays. ganisme humain2 et que ce manque
d’indications précises, quant aux
Une nécessaire protection risques pour la santé de la population,
en droit interne fasse obstacle à une interdiction por-
La Cour européenne des droits de tant sur l’installation d’antennes-relais
l’homme est sensible au fait que la et à l’application du principe de pré-
législation nationale ait pris ou non les caution3. Cette imprécision est rappe-
mesures adéquates afin de protéger la lée par l’avis de l’AFSSET (Agence fran-
santé des citoyens, dans l’hypothèse çaise de sécurité sanitaire de
où les antennes pour la téléphonie l’environnement et du travail) du
mobile s’avéreraient un jour constituer 14 octobre 2009 qui indique que les
effectivement un risque sérieux pour antennes-relais de téléphonie mobile
la santé de la population1. n’engendrent pas de risques sanitaires
« identifiés » pour la population rive-
Suivant l’article 5 de la Charte de l’en- raine. En résumé, bien qu’il n’existe
vironnement, le principe de précaution aucun élément scientifique probant
est subordonnée à une « procédure d’éva- confirmant d’éventuels effets nocifs
luation des risques et l’adoption de mesures des stations de base et des réseaux
provisoires et proportionnées afin de parer sans fil pour la santé, l’hypothèse d’un
à la réalisation du dommage ». C’est jus- risque ne peut être totalement exclue.
tement la controverse scientifique sur La problématique reste donc la même.
l’évaluation des risques qui semble être
la source des divergentes solutions ren- Du fait que les risques pour la santé
dues par les deux ordres de juridictions. publique, que pourrait provoquer l’ins-

44 LA LETTRE DU CADRE TERRITORIAL N° 390 - 15 NOVEMBRE 2009


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tallation projetée, ne reposent sur maire ne puisse empêcher ou inter- DES EFFETS THERMIQUES
aucune donnée scientifique4, les rompre des travaux de construction ET NON THERMIQUES
moyens tirés de la méconnaissance du d’une antenne-relais alors même que Les antennes relais de
principe de précaution ne peuvent être des particuliers, ayant intérêt à agir, téléphonie mobile ont des
retenus5. Le risque n’étant pas avéré, voient leur action prospérer. Cette effets thermiques et non
le maire ne peut opposer un refus d’au- regrettable situation ne saurait perdurer. thermiques. Pour les
torisation d’urbanisme relative à l’ins- premiers, le décret n° 2002-
tallation des matériels de téléphonie Les ordonnances récentes 775 du 3 mai 2002 fixe des
valeurs d’exposition à ne pas
mobile en référence au principe de pré- des juges de référés dépasser. Ces valeurs ont été
caution6, ni faire usage des pouvoirs de
police générale qu’il tient du CGCT7.
montrent qu’on s’achemine définies dans la
recommandation du Conseil
vers une application de l’Union européenne du
La jurisprudence civile évolue du principe de précaution 12 juillet 1999 relative à la
Nonobstant le fait qu’une démolition limitation de l’exposition du
d’une installation puisse être prononcée À l’instar des conclusions du rappor- public aux champs
suite à cette présence visuelle négative teur public, Yann Aguila (sous l’arrêt électromagnétiques.
permanente8, la question sur l’inno- du Conseil d’État du 20 avril 2005, Pourtant, l’état actuel des
connaissances scientifiques
cuité des expositions aux ondes se pose Société Bouygues Telecom), on peut
ne permet pas d’établir de
également pour le juge judiciaire. raisonnablement penser que la Haute manière précise les seuils,
juridiction administrative pourrait rete- tant des effets thermiques
Aucun risque sanitaire, aucun danger nir le principe de précaution à la que non thermiques, au-delà
pour l’organisme humain du fait de la lumière de ce nouveau contexte juri- desquels il y a atteinte sur la
présence de stations de téléphonie dique. Jusqu’à présent en effet, dans santé des personnes. C’est
mobile ne peut être avéré lorsqu’ont été les affaires qui ont été rendues, les faits pourquoi, l’article 42 de la loi
respectés les seuils d’exposition régle- étaient antérieurs à l’adoption de la n° 2009-967 du 3 août 2009
mentairement fixés9. Cependant, pour Charte de l’environnement, d’autant de programmation relative à
la mise en œuvre du Grenelle
la cour d’appel de Versailles, « aucun élé- que cette Charte s’est vu reconnaître
de l’environnement prévoit la
ment ne permet d’écarter péremptoirement une valeur constitutionnelle11. Le prin- mise en place d’un dispositif
l’impact sur la santé publique de l’exposi- cipe de précaution prévaudra t-il sur de surveillance et de mesure
tion de personnes à des ondes ou des champs l’intérêt public, s’attachant à la cou- des ondes
électromagnétiques ELF ». En outre, le res- verture du territoire national par le électromagnétiques menées
pect des normes édictées par le décret réseau de téléphonie mobile7 ? par des organismes
du 3 mai 2002, la licéité de l’activité et indépendants accrédités.
son utilité pour la collectivité ne suffi- Les ordonnances rendues récemment
sent pas à eux seuls à écarter l’existence par les juges de référés, tant de Créteil12
d’un trouble anormal de voisinage10. À que d’Angers13, montrent que l’on s’ache-
ce titre, la cour d’appel n’a pas manqué de mine vers une application du principe
relever que l’opérateur n’a pas, alors de précaution. Ceci étant, le juge de Cré-
même qu’il était en capacité, mis en teil assoit son jugement non seulement 1. CEDH, 17 janvier 2006, Katharina Luginbühl
œuvre les moyens techniques permet- sur le principe de précaution mais éga- c/Suisse n° 42756.
tant d’atteindre un niveau de champs lement sur le devoir de prudence dont 2. CE, 13 décembre 2006 n° 284237.
CE, 28 novembre 2007, Cne Saint-Denis
électromagnétiques émis par les équi- cette notion est également source de n° 300823.
pements et installations radioélectriques controverse. Il convient d’attendre la 3. CE, 22 août 2002, Cne Vallauris n° 245624.
en deçà de celui fixé réglementairement. position du juge de fond et celle de la 4. CE, 1er décembre 2006,
Sous réserve d’une prise de position dif- Cour de cassation en la matière. ■ Cne Saint-Denis n° 294131. CE, 4 avril 2005,
Sté française du radiotéléphone (SFR) c/Cne
férente de la Cour de cassation saisie Pennes Mirabeau, n° 267388.
d’un pourvoi formé à l’encontre de l’arrêt 5. CE, 4 août 2006, Comité réflexion information
rendu par la cour d’appel de Versailles, DOCDOC et lutte antinucléaire n° 254945.
« le caractère anormal de ce trouble causé 6. CE, 20 avril 2005,
à lire
s’infère de ce que le risque étant d’ordre sani- Sté Bouygues Telecom n° 248233.
Sur www.lettreducadre.fr, rubrique
taire, la concrétisation de ce risque empor- « au sommaire du dernier numéro » :
7. CE, 2 juillet 2008, SFR n° 310548.
terait atteinte à la personne ». Donc, la « Antennes relais : interdiction et cas
8. TGI Carpentras, 16 février 2009, n° 08/00707.
simple crainte, à condition qu’elle soit de conscience », La Lettre du cadre 9. CA Aix-en-Provence, 15 septembre 2008.
considérée comme légitime, constitue territorial N° 371, 15 décembre 2008. 10. CA Versailles, 4 février 2009 n° 08/08775.
un trouble anormal de voisinage10. à télécharger 11. CE ass. 3 octobre 2008,
Commune d’Annecy n° 297931.
Sur www.lettreducadre.fr/base- 12. TGI Créteil, 11 août 2009, RG n° 09/658,
Un rapprochement juridique.html Puybaret et a. c/SA Orange France.
entre les juridictions ? - CE, 20 avril 2005
13. TGI Angers, 5 mars 2009, RG n° 08/00765,
- CA Versailles, 4 février 2009
Il résulte des différentes appréciations - TGI Créteil, 11 août 2009.
Mme Girardeau épse Cassegrain eta. c/SA
des deux ordres de juridiction qu’un Orange France et a.

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