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« Changer la loi, un effet d'affichage politique »

Marcel Gauchet

Libération, lundi 24 octobre 2005

Marcel Gauchet est philosophe et rédacteur en chef de la revue le Débat. Il est notamment
l'auteur de La Religion dans la démocratie. Parcours de la laïcité (Gallimard, 1998). Il
analyse les raisons du retour du thème de la laïcité dans le discours politique.

Pensez-vous que, d'ici à 2007, la laïcité va devenir un thème de campagne électorale ?

C'est un problème de stratégie électorale, de clientèle des uns et des autres : est-ce qu'on fait
une segmentation de la clientèle, est-ce qu'on fait un saucissonnage des individus par
catégories à l'américaine ou pas ? C'est un vrai débat interne au milieu politique sur la bonne
manière de mener aujourd'hui une campagne présidentielle. Je ne pense pas qu'en dehors du
milieu politique cette question de laïcité tracasse vraiment le "loustic" moyen.

Nicolas Sarkozy ou Manuel Valls ont-il raison d'arguer du retard dont souffrent les
musulmans en matière d'édification de lieux de culte pour demander une modification
de la loi de 1905 ?

Il y a un problème absolument réel qui est celui des lieux de culte musulmans mais cela se
résume essentiellement à ça. Maintenant, quelle est la bonne méthode pour le résoudre ? Est-
ce que cela implique de changer la loi ? Là, on entre dans l'effet d'annonce et d'affichage
politique. Changer la loi, c'est jouer la politique de la reconnaissance, il y a ceux qui pensent
qu'il faut utiliser ce genre d'arme et ceux qui pensent que c'est contre-productif.
Les religions ne sont pas vraiment demandeuses d'une modification de la loi de 1905. Elles
critiquent surtout une interprétation "laïciste", notamment à gauche, qui veut cantonner
strictement les religions à la sphère privée.

La gauche a dans son camp un lobby républicain, laïc, particulièrement rétrograde. Pourtant, à
part peut-être dans le monde latin, et encore car la situation y est très contrastée, je pense que
les religions ont intégré l'idée qu'elles n'ont plus à faire la police en matière publique, qu'elles
ne sont plus une force d'encadrement normative. Elles sont devenues laïques. Dans l'opinion
publique également, la séparation des religions et de la politique est tellement entrée dans les
esprits que les forces religieuses ne sont plus perçues comme une menace à l'ordre politique
démocratique. Elles apparaissent comme des composantes de la société civile aussi légitimes
que les syndicats. Cette conversion-là est faite. Dans le cas de l'islam, c'est encore contentieux
aussi bien dans l'esprit des musulmans que dans celui des autres. Personnellement, je suis
assez convaincu que les musulmans européens sont déjà largement absorbés dans cette
réinterprétation moderne de la place des religions. Même s'il y a aussi des gens très "rétros" à
l'intérieur de l'islam, je ne vois pas vraiment de menace de leur part sur la République.
Seuls les protestants demandent clairement un "toilettage" de la loi.

Avec les protestants, on est vraiment dans la politique et dans l'effort désespéré d'une minorité
peau de chagrin pour essayer d'exister. Ils font du bruit, mais ils n'ont pas beaucoup de
divisions.

Propos recueillis par Catherine COROLLER

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