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Invitation à la Coexistence

Episode : 9
Au nom d’Allah le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux. Louange à Allah Seigneur de l'Univers, et que la
Bénédiction et le Salut d’Allah soient accordés à notre maître, le Messager d’Allah.
Nous continuons avec la biographie de l’Imam Malik pour apprendre comment établir des points d’accord avec les
autres, parvenir à la coexistence avec eux et à l’entente de nos cœurs tout en demeurant fidèles à nos principes moraux.
C’est une méthode de pensée dont ce programme donne l’apprentissage.
Nous traiterons aujourd’hui deux points essentiels au sujet de l’Imam Malik: son école de pensée et sa coexistence avec
quatorze Califes dont neuf Omeyyades et cinq Abbassides.
L’école de pensée de Malik.
Pour cet Imam, le Fiqh (interprétation des lois divines et des hadiths) se base sur un seul principe : Apporter le bien-
être aux gens et leur faciliter la vie. Il pense qu’il y a dans le Coran et les hadiths un texte pour appuyer toute action
profitable aux êtres humains. D’après son point de vue, la Charî‘a (lois divines) a cinq objectifs et tout verset ou hadith
qui énonce une règle mène à l’un d’eux. Malik, qui est le premier à avoir formulé cette idée, insiste fortement sur ce
point et les cinq objectifs, dans l’ordre d’importance d’après lui, sont : La préservation de la religion, de l’honneur, de la
vie, de l’intellect et des biens matériels. Par exemple, la fornication est défendue pour la préservation de l’honneur, et
les jeux de hasard pour préserver les biens matériels. De l’autre côté le mariage doit être encouragé et facilité pour la
préservation de la vie et de l’honneur.

L’Imam Malik savait que, en grande partie, il pouvait trouver ces règles de Fiqh qui devaient faciliter la vie aux
gens dans la Sunna (tradition) du Prophète (BP sur lui) à qui Allah dit : Et Nous ne t'avons envoyé qu'en miséricorde
pour l'univers. ”[1] En effet, entre deux solutions, le Messager d’Allah (BP sur lui) a toujours choisi la plus facile à
exécuter à l’exclusion du péché. Convaincu de cette idée, après le Coran, l’Imam Malik déduisait ses règles de Fiqh du
comportement et des paroles des habitants de Médine qui avaient pris le Prophète (BP sur lui) pour modèle et
représentaient l’adaptation la plus facile à la Charî‘a. Il a été un pionnier dans cette façon de penser, que certains ont
refusée, et qui l’a amené à conclure que l’avis unanime de la société ou la coutume confirme la règle tant qu’elle ne
contredit pas la religion. Une petite histoire illustre bien ce principe. Un homme était venu d’Andalousie pour lui poser
une question de jurisprudence. L’Imam lui répondit ne pas connaître la réponse. L’homme répliqua que la question
n’était pas difficile et qu’il ne saurait que dire à ses compatriotes, lui qui était venu de si loin pour leur trouver une
réponse. Malik lui dit : “ Tu leur diras que Malik ne la sait pas parce qu’il ne peut donner un avis jurisprudentiel à des
gens dont il ne connaît pas les us et les coutumes. Demande à qui les connaît.”

Le souci de Malik à faciliter la vie aux gens et sa capacité à se mettre à leur place élargissait son aire d’entente avec
eux. C’était la raison pour laquelle ses adeptes étaient si nombreux. Nous pouvons suivre cette méthode et essayer de
nous entendre avec toutes les autres personnes proches ou lointaines, amies ou ennemies, pareilles ou opposées sans
toutefois nous humilier ou perdre nos principes. Il ne faut pas aller de là à penser que nous n’aurons jamais d’ennemi
mais nous pourrons trouver des points communs avec un grand nombre de personnes. C’est le trait essentiel du Fiqh de
l’Imam Malik qui se basait sur ces versets et ces hadiths d’une importance primordiale pour lui : “ … il ne vous a
imposé aucune gêne dans la religion … “ [2] …Allah veut pour vous la facilité, Il ne veut pas la difficulté pour
vous …” [3] " Allah veut vous alléger (les obligations,) car l'homme a été créé faible. " [4] “Vous avez été
envoyés pour faciliter la vie aux gens et non la rendre difficile.” “Il ne faut ni se faire, ni faire du tort.”

Il était tellement difficile à Malik de prononcer le mot “illicite” qu’il inventa d’autres inconnus moins tranchants. Il
disait par exemple : “Incorrect de mon point de vue, non apprécié ou cela n’amène pas du bien.” Il a mis quarante ans à
écrire son livre “Al-Mouwatta’ ” parce que chaque fois qu’il trouvait une solution à un problème jurisprudentiel plus
avantageuse pour les gens, il changeait la première. Nous trouvons ainsi plusieurs versions de ce livre parce que certains
de ses élèves ont transcrit les premières réponses et les autres les plus tardives. Cet esprit très souple et très ouvert lui a
valu une grande considération de la part des autres Imams qui, lorsque l’un d’entre eux donnait un avis contraire à celui
des autres, le qualifiaient de dérogatoire ou aberrant mais jamais vis-à-vis de Malik. Ils disaient simplement : “Malik a
contredit ce point de vue.”

Il ne faut pas aller de là à croire que Malik n’avait jamais de différends avec les autres surtout au début de sa vie
lorsqu’il insistait à appliquer l’opinion des gens de Médine à toutes les situations. Nous traiterons en détail une autre
fois le contenu de sa lettre à l’Imam Al-Leith ibn Sa‘d qui vivait en Egypte et en Syrie mais je me contente de
mentionner qu’il lui reprocha d’avoir permis aux gens d’unir les deux salat de Al-Maghrib (le crépuscule) et de Al-Ichâ’
(le soir) en temps de pluie. Il refusait cet avis qui n’avait jamais été pratiqué par les gens de Médine. Al-Leith lui fit
remarquer que le temps et la pluie là où il vivait étaient différents de Médine et Malik qui prenait en compte les us et
coutumes finit par l’approuver. C’est peut-être pour cette raison que, lorsque à la fin de sa vie l’homme était venu
d’Andalousie lui demander son opinion, il avait refusé de lui répondre et lui avait conseillé de questionner un Faqih
(savant juriste) du pays. Il avait eu également à la fin de sa vie un très beau mot qui démontre sa tolérance. Il disait “La
science (religieuse) est un arbre dont les racines sont à Médine, les branches en Iraq et les fruits en Egypte”.

Une petite histoire qui m’a été racontée démontre très bien comment, dans un moment de distraction et si nous ne
prenons pas soin de réviser tous les points, notre jugement peut être erroné. Une dame qui attendait son train à la gare
avait été s’acheter un livre et un sac de confiserie pour passer le temps. Elle se plongea dans la lecture si profondément
que, après un certain temps, elle fut étonnée de voir une petite fille entrain de se servir de ses confiseries et la regarder
en souriant. La dame se sentit fortement irritée surtout lorsqu’elle vit la petite fille prendre rapidement la dernière pièce,
la partager en deux et en mettre une partie dans sa bouche. Elle était encore perplexe et ne savait pas quelle attitude
prendre, gronder la fille ou lui donner une tape sur la main, lorsque son train arriva. Elle y monta toute furieuse de ne
pas avoir eu le temps de donner une leçon à la fille. Mais une fois installée à sa place quel ne fut son étonnement de voir
ses confiseries intactes dans son sac à main. Elle comprit que c’était elle qui, dans un moment de distraction et toute
plongée dans sa lecture, avait tendu la main vers le sac de confiserie de la fille pareil au sien. Et c’était pour cela que la
petite, amusée, lui souriait.

Nous agissons souvent ainsi lorsque nous avons des différends avec les autres sans essayer de savoir quel est leur point
de vue. Mais l’ultime coexistence sera de se mettre à la place de l’autre et de voir le problème du même angle que lui
avant de formuler notre sentence.

Le comportement de Malik vis-à-vis des souverains.

L’Imam Malik a vécu durant le règne de quatorze Califes de deux dynasties opposées et son comportement avec eux
démontre bien son principe de coexistence. Il est né tout d’abord au temps de Al-Walid ibn ‘Abdil Malik. Ensuite vint
Soulaïmane ibn ‘Abdil Malik suivi de ‘Omar ibn ‘Abdil ‘Aziz qui mourut lorsque Malik était âgé de neuf ans. Il a
ensuite vécu avec six autres Omeyyades suivis de cinq Abbasides : Abou Al-‘Abbas, Abou Dja‘far Al-Mansour, Al-
Mahdy, Al-Hâdi et finalement Haroun Ar-Rachid qui lui avait envoyé ses enfants Al-Amine et Al-Ma’moune pour les
instruire.

Il faut savoir que tous ces souverains avaient beaucoup de considération pour Malik et respectaient son Fiqh. Comment
y était-il arrivé ?

Les gens sont de deux sortes, les hypocrites qui flattent les souverains et les extrémistes qui sont agressifs dans leur
opposition. L’Imam Malik n’était ni des uns ni des autres, il était neutre. Il pensait qu’il avait une école de pensée
indépendante des cercles des hommes du pouvoir et de leurs différends. Il ne voulait pas prendre parti dans leurs
conflits mais juste avoir la possibilité d’aider les gens. Il est demeuré effectivement hors de la lutte des deux familles
qui se disputaient le pouvoir.

Les Abbasides avaient fait la faute au début de leur règne, de frapper fort sur les gens du Hidjâz (Mecque et Médine) et
c’était de ces lieux que toutes les révoltes étaient parties, celles de Al-Hussein, de Az-Zoubaïr et de Hassan ibn An-Nafs
Az-Zakya. Les maîtres de Malik parmi lesquels même Ibn Hourmoz s’étaient unis à ce dernier. Mais, au milieu de tout
cela, Malik pensait qu’il devait dire la vérité, conseiller les souverains sans s’associer à aucune révolte ni aucun parti au
dépend de l’autre. Il communiquait avec tout le monde avec beaucoup d’équilibre.

Bien qu’il ne fût pas d’accord avec les Abbasides, il les conseillait et restait neutre dans sa relation avec eux. Certaines
personnes de cette famille qui ne l’aimaient pas essayèrent de le faire tomber en disgrâce près du Calife Abou Djafar Al-
Mansour qui avait forcé les gens du Hidjaz à lui prêter le serment d’allégeance. Ils s’en allèrent poser cette question à
Malik : “Si un homme a divorcé de sa femme sous contrainte, est-ce que ce divorce est valable ?” Malik répondit :
“Non.” Il lui demandèrent de donner une preuve et il récita ce hadith : “Allah n’inflige pas de punition aux membres de
ma Umma pour le mal qu’ils ont accompli par oubli, par mégarde ou sous contrainte.” Les hommes s’en allèrent
rapporter à Al-Mansour que Malik approuvait les révoltés du Hidjaz contre lui puisqu’il pensait qu’ils avaient été
contraints à prêter le serment d’allégeance.

Les peuples de l’Iraq, de Darfour et du Liban doivent remarquer, comme dans cet incident, que le désaccord allumé par
un tiers parti étouffe la coexistence entre les compatriotes. Malik avait répondu à la question sans aucune mauvaise
pensée ni sous-entendu et les hommes avaient utilisé ses paroles pour arriver à leurs fins. Al-Mansour l’appela et lui
ordonna de changer sa Fatwa (règle énoncée d’après l’interprétation d’une loi de la Charî‘a) mais il refusa
catégoriquement. Il lui demanda d’annoncer au moins en public qu’il n’avait pas eu l’intention d’approuver la révolte
mais Malik refusa toujours. Le Calife menaça de le faire fouetter sans succès et le grand Imam si digne reçu plus de cent
coups de fouet devant la foule.

Malik aurait pu se venger et encourager les milliers qui assistaient à ses leçons à l’émeute. S’il avait voulu, il aurait pu
soulever une révolte plus ample que celle de Hassan mais il disait : “Moi, j’ai été fouetté mais je sauvegarde le sang des
Musulmans.” C’est un point très subtil parce que certaines personnes peuvent faire périr des dizaines d’innocents pour
venger leur personne. Cette attitude finit par faire comprendre à Al-Mansour qu’on lui avait menti et il essaya après cet
incident à se rapprocher de Malik. Il lui a même proposé de faire de son livre Al- Mouwatta’ le seul livre de Fiqh en
vigueur mais Malik refusa parce qu’il acceptait les différences de pensées.

Al-Mansour s’en alla visiter Malik à Médine parce qu’il avait fini par voir que cet homme était neutre, refusait de
prendre parti et insistait à demeurer ainsi. Il voulut l’amadouer et lui demanda ce qui pouvait lui faire plaisir. Malik
répondit : “Que tu ailles frapper aux portes des Musulmans de Médine qui sont les Emigrés et les Ançârs, ordonner un
don en argent pour chaque famille et embrasser leurs enfants.” C’est vraiment merveilleux de voir un homme qui a été
si maltraité chercher ainsi à accorder les gens. Il aidait celui qui lui avait causé du tort à embellir son image dans la
société. Un seul geste de sa part aurait soulevé une révolte mais il ne pensait pas ainsi. Il se disait qu’il pouvait
supporter l’injustice qui lui avait été causée mais, en compensation il allait effacer celle causée aux autres. Al-Mansour
s’exécuta et donna un don à chaque famille. Ensuite, il s’en alla chez Malik et lui dit qu’il voulait également lui en faire
un. Malik répondit : “Ô Prince des croyants, j’ai ce qui me suffit.” Al-Mansour lui dit : “ N’est-ce pas toi qui fait un
grand bruit avec la meule lorsque ta fille pleure de faim pour que les voisins ne l’entendent pas ?” Malik s’exclama : “
Et comment savez-vous cela ?” Al-Mansour sourit et dit : “Il est de mon devoir de connaître l’état de mes sujets.” Avec
malice, il lui faisait comprendre qu’il le surveillait. D’ailleurs Malik accepta plus tard les dons des Califes qui étaient
son revenu principal et, lorsqu’on le lui reprocha, il dit : “Est-ce que je ne leur donne pas des conseils et je leur dis la
vérité tout en gardant ma dignité, pourquoi ne pas alors les prendre ?” Il faut comprendre également que Malik acceptait
ces dons parce que, avec sa grande intelligence, il voulait faire comprendre aux souverains qu’il n’était pas contre eux,
c’était une sorte de coexistence.

Il ne craignait jamais de dire la vérité à un calife. Une fois Haroun Ar-Rachid avait manqué à un serment et envoyé
demander aux Imams comment il pouvait racheter sa faute. Tous lui conseillèrent de libérer un esclave d’après le Coran
qui, dans ce cas, ordonne aux nantis de libérer un esclave et aux démunis de jeûner trois jours. Tous avaient formulé le
même conseil à part Malik qui lui dit de jeûner trois jours. Le Calife répliqua qu’il était assez riche pour pouvoir libérer
un esclave mais Malk lui répondit : “Ô Prince des croyants, ce que tu as appartient aux Musulmans pas à toi, tandis que
ton corps t’appartient et tu peux donc jeûner.”

On avait reproché à Malik ses visites aux souverains mais il avait répliqué qu’il le faisait pour leur apprendre la Sunna
du Messager d’Allah (BP sur lui) qui disparaîtrait sans cela. Qui d’autre si ce n’est lui, pouvait la leur apprendre, les
conseiller et leur ordonner de dire la vérité. Il gardait ces liens avec eux pour préserver la science et la tradition du
Prophète (BP sur lui).
Remarquons son neutralisme, sa coexistence et son effort à préserver le sang des Musulmans.

Nous arrivons presque à la fin de la biographie de Malik qui a vécu quatre-vingt six ou quatre-vingt treize ans selon les
versions. Avant sa mort il avait demandé à Moutraq, un de ses élèves, ce que les gens disaient de lui. Il lui répondit :
“Certains te louent et d’autres te critiquent.” Il s’exclama : “Louange à Allah.” Son élève lui demanda pourquoi il
remerciait Allah et Malik lui répondit : “Les gens sont ainsi et je prie Allah de me préserver d’être exclusivement loué
ou exclusivement critiqué.” Moutraq qui ne saisissait pas cette logique lui demanda de nouveau pourquoi. Malik
répondit : “S’ils me louent uniquement, ils feront du tort en m’emplissant de vanité et s’ils me critiquent uniquement,
cela sera un témoignage contre moi devant Allah.” Il pensait trouver l’équilibre ainsi en ayant des gens qui le louent et
d’autres qui le critiquent. C’est cela la coexistence.

Au moment de sa mort on lui demanda comment il se sentait et il répondit : “Vous sentirez un jour la miséricorde
d’Allah que je ressens à présent et vous L’en aimerez fortement.” Ensuite, il se mit à répéter : “Ô Allah, ô Magnanime.”
Jusqu’à ce qu’il se soit éteint. Il avait laissé une fille et trois garçons. Ach-Chafi‘i qui se trouvait à la Mecque en ce
moment raconta : “Ma mère m’avait dit avoir vu cette nuit un songe où quelqu’un lui disait que la personne la plus
savante sur terre était morte.” J’ai tremblé et je lui dis : “Malik est mort.” Les gens de Médine n’ont jamais versé autant
de larmes à part pour les Califes bien guidés. La mort de Malik leur rappelait celle du Messager d’Allah (BP sur lui). Il
a été enterré à Al-Baqî‘ (cimetière de Médine) et sa tombe se trouve près de celle de Ibrahim le fils du Prophète (BP sur
lui). Il avait préparé le chemin à la science du Fiqh, à Al-Boukhari et à Ach-Chafi‘i, puisse Allah le recouvrir de Sa
miséricorde et nous réunir avec lui au Paradis.

[1] Al-'Anbiyâ' (LES PROPHETES) : 107.


[2] AL-HAJJ (LE PELERINAGE) : 78).
[3] Al-Baqara (LA VACHE) : 185).
[4] An-Nisâ' (LES FEMMES) : 28).

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