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|,II)AGOGIE. . .

LES PARLURES
Ou le françaisrégionalen classede langue

Existe-t-ilun français,ou desfrançais?Existe-t-ilune languefrançaise,ou bien des


languesfrançaises?Le rôle desfrançaisrégionaux(les "parlures", pour reprendre
une terminologielittéraire),en effet, est loin d'être négligeable,si l'on veut mieux
comprendre,mieux approcher,la languefrançaise.mais il faudrait d'abord savoir
ce que l'on entendpar "françaisrégional":s'agit-iltout simplement d'un écartau
"bon usage",tel que pouvaitle concevoirVaugelasau XVII. siecle(l) - ce qui
impliqueunevisionélitisteet. finalement,réductrice,du sujet,ou biend'un français
spécifique,qui possèdesespropresrègles,mêmesi elless'écartentdesnormesoffi-
cielles?

Le fait est qu'un visiteurétrangerpeut setrouver déroutêpar la façon de parler de


certaines personnes qui viventdansdesrégionsoù de fortestraditionslinguistiques
marquentencoreaujourd'huila langueorale(le MassifCentral,par exemple).Le
parler rêgional,en ce sens,apparaîtracommeun obstaclepour le visiteur,habitué
soit à une langueaseptisée, artificielle,soit, dansle meilleurdescas,à une langue
plus moderne,plus jeune, véhiculéepar des méthodescommeArchipel, mais qui
correspondentessentiellement à un vocabulaireurbain qui, malgréla télévision,n'a
pas pénétrétoutesles campagnesfrançaises(2).
Il existedonc encoretoute une gammede françaisrégionauxqui diffèrent de la nor-
me, à la fois sur le plan de la phonétique,du vocabulaire,de la morphologieet de la
syntaxe.Etudier cesvariétéslocalesdu françaispermettraà l'étudiant de se fami-
liariser avec d'autres formes de français, mais ausside travailler sur le français
"standard", grâceaux comparaisons qu'il estpossibled'opérerentrelesdifférentes
versionsqu'on lui proposera.On pourra enfin réfléchir sur la manièredont les
françaisrégionauxsont perçuspar ceuxqui détiennentou croientdétenirle privilège
de l'orthodoxie linguistique:en effet, quand Molière, Maupassant,ou plus prèsde
nous, GoscinnydansAstérix, transcriventune manièrelocalede parler le français,
I'intention est toujours ironique - le françaisrégionalapparaîtalors uniquement
comme un faire-valoir du français standard,phénomèneque traduit de manière
explicitele mot "parlure", vocableavant tout dépréciatif.

Le travailpédagogique
proposéici sur lesfrançaisrégionauxreposeessentiellement
sur deuxtypesd'approche:

- un premiercontactavecl'écrit, grâceà trois textes d'époquesdifférentes(XVIIo,


XIX. et XX" siècle).

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u n cl cu x iènrc ollt ac t ,c c ttc l ' o i s -cai v e cl ' o ra l , g râ c cà I' cnrcgi strcrncnt
du cl i scoul s l.e clcrrxièrnc
tcxte proposéestextrait desTragédieset Farcespaysannes,
t l'un l ra bit antde M ar s ei l l e . de Maupas_
sant (3). Au gré des nouvellesqui parsèmentce recueil,
en effet, Maupassantévoquc
la vie rurale en Normandie, et présentedes personnages
Notre propos seradonc, tout d'abord, de familiariser les êtudiantsavec les spécifici- typiques, prototypes d'
monde paysanà la fin du XIX. siècle.Bien entendu, .ttt pâ,
tés de quelquesfrançais régionaux(ou "paysans") en repérant les formes qui s'écar- ieur langageque les
paysans normands se distinguent du lecteur parisien: grâce
tent de la norme. Le premier texte choisi est un classiquedu genre, puisqu'il s'agit de à sa transcription quasi
phonétiqueMaupassantamuseseslecteurset donne
la Scène I de I'Acte II du Dom Juan de Molière, qui met en scènedeux jeunes pay- à sesrécits une couleur localeet
une saveur qu'ils n'auraient pas si les personnagess'exprimaieni
sans (Charlotte et Pierrot) dont le parler pittoresque est chargé de faire rire le en rrançais càu_
rant:
public par sa naiveté et sesexpressionsfautives, ou archaïques. Dans l'extrait que
nous présentons, Pierrot explique à Charlotte comment il a sauvé de la noyade deux Dîles donc, Io mère, pourquoi que vous ne v'ne7 point dîner
voyageurs: à ra maison, quand vous
pctssezà Epreville? on en jase; on dit comme co que j'sommes
pu amis, eî ça me fait
deuil. vous savez, chez mé, ne payerez point.i'suis pas'regardant à un dîner.
Enfin donc, j'estions sur le bord de la mar, rnoi et le gros Lucas, et ie nous arnusions ,vous
Tant que Ie coeur vous en dira, v'nôz ians retenue,
à batifuler avec des mottes de tarre que je nous jesquions à la tête; car, comrne tu ça m'fera p"raisir.
saisbiqn, le gros Lucqs aime à batifoler, et moi par fouas je botifole itou. En batifo- temps, les étudiantspeuvent_établirdes comparaisonsavec le pre-
lant donc, pisque bqtiloler y o j'ai aparçu de tout loin queuque chose qui grouillait ?î^L11-o..mier
rruer texte, en essayantde repérer des formes, des expressions,qui
se retrouvent dans
dsns gliau, et qui venait comme envors nous psr secousse.Je voyais celo fixiblement les deux extraits (par exempre,au niveau syntaxique, l'accord
oe ta premicre person-
et pis tout d'un coup je voyais que je ne voyais plus rien. ne du singulier avec la première personne du pluiiel.-7'sommes
uu 1i.,, de nous som_
rnes).
On constatefacilement que de nombreux mots, ainsi que certainesexpressions,ne
correspondent pas à ce que nous avons appelé le "français standard". Il est possible Dans un deuxièmetemps, il s'agira d'appréhenderles formes
typiquesdu parler nor-
d'opérer sur ces diffêrences qui fondent la parlure une classification relativement mand, en utilisant le cadre déjà employé:
simple:

l) Vocabulaire: il s'agira pour les étudiantsde noter les mots qui, selon eux, ressor- l) Vocabula ire: ça nte fait cteutit(çame fait de la peine) (4).
tent du lexique paysan (itou, batifoler). Le rôle du professeurconsistealors à les
expliquer et à les traduire, si nêcessaire,en français standard. 2 Phonétique: rné : rnoi. Rôle des élisions(v,nez,j' : je, rn, : me).
2)Phonétique: certains mots sont prononcés de manière inhabituelle. Cette pronon- 3 Morphologie: pu : plus.
ciation est transcritedans le texte par Molière. Le "e", par exemple,est transformé
en "a" (la mar : la mer, la tarre : la terre, bian : bien, aparçu : aPerÇu,.. .).
La diphtonguaison de fois aboutit dans le texte à fouas. De même gliau est une dé-
formation phonétique de I'esu. **:F

3)Morphologie: plusieurs fois des vocables français subissentdes transformations


qu'il s'agit de repérer pour retrouver la forme originale. Jesquions, par exemple
vient de jetions, queuque chose correspond à quelque chose, fixiblement àfixement,
pis à puis.
Avec Le Bouclier Arverne, d'Uderzo et Goscinny, nous quittons
re domaine propre-
ment dit de la parlure, sanspour autanr nous élôigne,
au rruniuirlégional, même si
4) Syntaxe: des formes fautives apparaissent plusieurs fois dans ie texte. Les les auteurs ne retiennent de lui que ses aspectsphonétiques
(r,accenttypique des
retrouver et les identifier, puis donner la forme correcte,voici un exercicede gram- auvergnats,caractérisépar le chuintementdess-c'èst_à
airè parie passagedu / s / au
maire qui pourra faire réfléchir les étudiants, en leur faisant constater que dans le / J/)' L'exemple choisi nous montre justement Astérix
et obélix qui s,interrogent sur
discours de Pierrot la première personnedu singulier s'accordeavec un verbe à la l'étrangeté de I'accent de leurs hôt.rr ..,.r*-ci
répondent en utilisant le plus
première personne du pluriel Q'estions, je nous amusions, je nous jesquions). d',/s,/possible,afin d'insister sur le caractère parodique
de la transcription (de mê_
me, le jeune qui apporte des saucisses,et qui zozote,
Jelon les anciens, prononce une
{.* {<
phrase plus proche de l'exercice de style que
de la conversation .tu.untel,

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,/ cllcs rcgardontà droite,/ ellesregardentà gauchemais
heu. . . (rire) elleschanrcrrl
1'ttts/ / Quand une bête passe/ d'un arb(r) à. . . I'autre
elles se mettent à crier / / l:.t
pl'st ellesse jettent,/ sur le b. . . le premier bâton qu'ellrr-.
u"v.nt" // .j.').
Si besoinest, on peut donner aux étudiantsquelquesindicationspour
comprendrelc
texte (il s'agit de la capture et de l'élevage dei appelants (appeauxj
destinésà ia chas_
se aux grives). une fois celui-ci compris, on opèrera un clàise-ent
des traits linguis-
tiques propres au français régional àe la provence:

l) vocab.ulaire:fenestron (petite fenêtre), verguette(petite


baguette flexible). on no-
tera que le locuteur hésite avant de prononcer ces mots,
car il sent qu'its ne soni pà,
véritablementfrançais.

2) Phonétique: on se contentera de noter les


traits les plus saillants (l,absenced,opo-
sitionentre /e/ et/ e,/ensyllab.or.u"rt"_.t.fais,iail;-ii;;;;"r,
syllabe fermée - cf . gauch.e,autre, etpoui / oe r/ en
/"u^r"" ) _ iï.ïÀ) oator;on notera
.d'autre part la fréquence du /o/, ptus pÀnoncé que dans a,a-uirésrégions cf . grue
/ïlyA/ ou ailes/ €.tA/t. -

3) morphologie: arbustres,au lieu d'arbustes.

4) syntaxe: Tout le tour av lieu de tout autour ou I'emploi


du ,,y,, explétif,
Les étudiantspeuventici reconstituerles mots déforméspar I'accentauvergnat provençalisme caractéristique:
7,y ovais mis.
(chiècles: siècles,perchonne : personne,jojote : zozote.. .) A I'inverse,on
peutessayerde transcrirelestextesécritsnormalementen leur donnantun caractère
auvergnat(ex: Chalut la chochiété,che chont des chauchicheschèchespour le
déchert.). comme on le voit, même rapid.,.",,. ;oe des français rêgionaux
(de quelques
français-régionaux),que nous avons menée à la fois dani le t.rfipïÈt
dans l,espace,a
ryi-il d'aborder plusieursaspectsde la langue française.Bien entendu, il est pos_
sible de les exploiter de différentesmanières,et dans ie caa.e
o;optlquesvariées(par
Pour terminerce rapidetour d'horizon desfrançaisrégionauxen classede langue,il exemplepour un cours de civilisation).L'essentiel,à nos yeux,
*i qu" ce type d,étu-
apparaîtindispensable d'aborderle domainede l'oral. Cetteapprocheimpliqueune de serve à.mieux approcher res différences linguistiq"er au
français, sans pour
nouvellestratégie:lesêtudiantsdoiventécouterle texte,le comprendre, puisdéter- autant tomber dans les travers que nous avons notés chez les
auteurs abordés: les
miner ce qui, seloneux, distinguele françaisqu'ils viennentd'écouterdu franÇais français régionaux possèdentleurs règles,leurs propres logiques-il
serait dommage
standard. de les négliger.

Transcriptiondu discours: Alain MUSSET


Yollà // Par exemple/ je. . . je me fais d'abord une petite cabane/ (rires)hein /
toute en. . en broussailles quoi / / Yoyez/ et je plantedespetits "arbustres" / tout
"le" tour / / Alorsà I'intérieur/ je me fait despetites. . "fénestrons" (sousce). . . NOTES:
toujoursà l'intérieur/ je regardeque "j'y" avaismis souscespetitsarbustres/
des... verguettes // C'estdes. .. desbâtonsquoi/ p(l)acéstout(t) autour / avec l) Selon vaugelas, en effet,.le bon. usagec'est
"la façon de parler de la plus saine partie de la Cour, con-
du. . . dela glue//Yoyez/ /Et je laisseça// Je rentreà I'intérieur/ je prendsmesap- formément à la façon d'écrire de la pùs,uin. pu.ti.
J., auteurs du temps,,.
on notera le caractère très restrictif de la formule (il
pelants/ / Auparavantquoi ,/ toujours/ et je lesmetsautour / / Cesbêteselleschan- s;agit de la cour, et même d,une partie de la cour
-
"l a pl us.sai ne" ),ai ns i que l e pri mat donné à l ' éc ri t' s ui
tent// Maisilfautfaireheu...aucunbruithein i ' ôral pui s que,:ru r"c on a. parl er,,doi t s e c onfor-
/pa(r)cequesinon...ellessontlà mer "à la façon d'écrire".

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2) Bien entendu, ces différences linguistiques reposent essentiellementsur des points mineurs: on peut être
surpris par I'accent, par des expressionslocales, par la présencedans la lângue de certains archaismes,
mais passé le premier moment de surprise, l'oreille s'habitue à écouter un français différent.

3) l.vlaupassant,scènes de la vie de Province, Textes présentéspar D. et p. cogny, Bordas, paris, 1966,


190 p.

4) Deuif vient du latin dolus (peine, souffrance) qui donne dol en vieux français ou dolor en Espagnol. On
constatera que cette formule archaïque est plus proche de I'espagnol (me duele'1,que le français moder-
ne.

5) Carton, Fernand et alt., Les Accents des Français, Hachette, paris, 19g3, pp. 50-51.

QUELQUES LECTURES:

Bulletin Bibliographique du Centre de Documentation, no 8, Novembre 1985: Les provinces Francaises.


BAL d e M e x i c o .

Carton, Fernand, et alt.: Les Accents des Français (livre et cassette),Hachette, paris, 19g3, 94 p.

Langue Française, no 18, Mai 19'73:Les Parlers Régionaux, ntmêro réalisé sous la direction d'Alain le-.
rond. Larousse, Paris, 136 p.

Walter, Henriette: Enquête phonologique et variétés régionales du Français, PUF, paris, 19g2,252 p.

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