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Recherche technique, innovation

et structures industrielles :
de la crise des représentations aux réalités économiques

Daniel Dufourt, Dominique Foray

L
' A N A L Y S E des changements techniques en écono-
mie de la production a constamment buté sur l'obs-
tacle que constitue la nécessité d'avoir à expliciter et à
rendre compte des rapports entre réalités techniques
et phénomènes économiques. Cet obstacle peut être aujourd'hui
surmonté à une triple condition :
— rendre à la recherche technique le statut éminent qui est
le sien dans la genèse des mutations industrielles en la distinguant
rigoureusement de la recherche de développement ;
— expliciter les fonctions de la recherche technique dans
l'organisation des relations entre système technique et système
productif ;
— concevoir l'innovation industrielle, sur la base de la
reconnaissance de ses quatre caractères fondamentaux relatifs à
son contenu, sa spécificité, son orientation et sa direction,
comme le support privilégié de l'intégration des réalités techni-
ques et du calcul économique au sein d'une pratique sociale
visant à la transformation des structures de production.
Après avoir exposé les éléments essentiels d'une telle
démarche, nous montrerons sa pertinence et son caractère opé-
rationnel en procédant à un examen critique des représentations
concurrentes du changement technique, en vue de déceler les
conditions au terme desquelles elles paraîtraient plus aptes à
rendre compte des réalités économiques actuelles.
L RECHERCHE TECHNIQUE d'intégrer aux choix techniques les éléments d'un calcul écono-
mique. E n effet, « au stade du développement, on est, en prin-
ET INNOVATLON INDUSTRIELLE :
cipe, suffisamment assuré de la valeur technique du procédé.
NATURE ET FONCTIONS Mais des inconnues majeures subsistent quant à la rentabilité ;
l'étude à entreprendre suppose l'engagement de sommes impor-
L'analyse des rapports entre technique et économie est tantes sur plusieurs années. Il y a donc à la fois un problème de
d'abord obscurcie par une confusion persistante entre recherche financement et un problème d'appréciation d'un risque' ». E n
technique et recherche de développement. Après avoir montré la d'autres termes, la recherche de développement constitue une
nécessité d'une telle distinction, nous formulerons un cadre procédure systématique d'évaluation des « quaKtés économi-
d'analyse des relations entre système technique et système pro- ques » des solutions ou procédés techniques. A ce titre, elle est
ductif, puis nous montrerons à quelles conditions l'étude des donc une technologie de gestion de l'innovation technique : elle
propriétés fondamentales de l'innovation industrielle peut fait subir aux phénomènes, objets de la recherche technique, un
conduire à une meilleure compréhension des relations entre changement d'espace-substrat et les repère désormais dans un
changements techniques et dynamique industrielle. espace économique à l'aide de méthodes permettant Vintégra-
1. Recherche technique et recherche de développement : tion des phénomènes techniques au calcul économique.
un problème de délimitation des frontières du calcul économi- Cette distinction entre recherche technique et recherche de
que développement est, à nos yeux, fondamentale : alors que la
Aucune discipline n'ayant proposé à ce jour de modèle recherche de développement est partie intégrante de l'innovation
théorique pertinent des relations entre science, technique et industrielle, la recherche technique, en revanche, possède à
société', les distinctions usuelles entre recherche fondamentale, l'égard de celle-ci un statut d'autonomie. Cette distinction cons-
recherche appliquée et développement industriel", non seule- titue donc un préalable nécessaire à l'analyse des relations entre
ment omettent l'essentiel, mais sont en outre rapidement niées phénomènes techniques et phénomènes économiques. E n effet,
par des solutions empiriques. Ainsi un expert particulièrement si les orientations de la recherche technique et les propriétés de
qualifié met-il bien en évidence l'importance de ce problème lors- l'innovation industrielle se conditionnent mutuellement, il n'en
qu'il propose le mode d'évaluation suivant des fonctions de la reste pas moins que les résultats de la recherche technique ne
recherche : « U n avis sur la façon dont la recherche peut contri- peuvent être valablement appréciés qu'au regard des propriétés
buer à la vie de l'entreprise ne devrait être donné que par un de la dynamique des systèmes techniques, tandis que les poten-
scientifique compétent, connaissant et sachant juger les problè- tialités de l'innovation industrielle ne sauraient être décelées et
mes de production, de vente et de financement de l'entreprise ; évaluées qu'au regard des propriétés de l'organisation' de l'indus-
dans le cas où une personne de ce genre n'existerait pas, un avis trie.
ne devrait être donné que par deux ou trois personnes qui, en se 2, Problématique des rapports entre système technique et
réunissant, peuvent juger à la fois de Vutilité de certaines recher- système productif
ches dans telle ou telle direction et de leur signification commer- U n préalable à l'analyse des relations entre système techni-
ciale potentielle'. » que et système productif consiste en l'étude de la structuration de
La multiplication, en pratique, de compromis de ce type chacun de ces systèmes. Il sera ensuite possible d'identifier les
aboutit à l'absence d'une véritable méthodologie susceptible propriétés de la recherche technique et de l'innovation indus-
d'autoriser le choix des procédés d'investigation adéquates pour trielle comme respectivement mode de gestion de ces relations et
définir, collecter et traiter les informations pertinentes sur les forme d'expression des tendances qui gouvernent leur évolution.
modalités et le contenu des articulations entre technique et éco- 2,1, La structure du système productif
nomie tant au niveau de l'atelier, de l'entreprise, de la branche La structure du système productif peut être saisie comme
qu'au niveau du système productif dans son ensemble. le résultat du processus historique au terme duquel des activités
L'indice le plus frappant du caractère essentiel et critique de de production ont revêtu certaines caractéristiques qui leur ont
ces difficultés est l'incapacité du système statistique occidental à permis de se développer de manière autonome sous la forme
établir une distinction à la fois scientifiquement fondée et opéra- d'industries particulières. Ces industries ne sont pas cependant
tionnelle sur le plan de la collecte de l'information entre considérées comme immuables : elles peuvent disparaître dès
recherche technique et recherche de développement. Fritz lors que les propriétés qui leur confèrent leur identité sont remi-
Machlup illustre bien cette carence lorsqu'il observe que « la ses en cause notamment sous l'effet de l'évolution des rapports
limite entre l'activité de l'inventeur {Le, la production de nouvel- entre système industriel, mouvements de la force de travail et
les connaissances techniques) et le travail de mise au point (déve- transformation du système des besoins. O n aboutit ainsi à une
loppement) est souvent arbitraire sauf en ce qui regarde les conceptualisation de l'industrie en tant que système, caractérisé
inventions brevetables, où la limite réside dans la formulation des par une organisation spécifique et un type de fonctionnement
demandes de brevets' ». Dans son principe, la recherche techni- particulier. Cette conceptualisation s'appuie sur la mise en évi-
que est constituée de l'ensemble des connaissances nécessaires à dence de trois propriétés fondamentales". La première propriété
la mise au point de produits ou procédés nouveaux (au sens que conduit à affirmer le caractère spécifique des orientations du pro-
ce terme revêt dans la terminologie de la propriété industrielle) grès technique dans une industrie particulière. Ce caractère spé-
reproductibles, et commercialisables et à l'élaboration des cifique est, en effet, déterminé par la nature des points nodaux de
moyens requis pour reproduire ces produits et procédés indus- maîtrise industrielle qui définissent la qualité, le contenu et la
triellement'. O n considérera, en outre, avec Mario Bunge, que dynamique des technologies mises en œuvre dans l'industrie
lorsque les connaissances techniques sont « compatibles avec la considérée. La deuxième propriété traduit la manière dont une
science contemporaine et contrôlables par la méthode scientifi- industrie s'empare de formes déterminées d'expression des
que' », elles constituent une technologie, La recherche de déve- besoins de la société (exemple : adduction d'eau) et leur confère
loppement, à laquelle on attribue souvent la même finalité qu'à la une identité marchande (exemple : tuyaux de fonte) après avoir
recherche technique, a cependant pour caractéristique essentielle généré un ensemble de fonctions industrielles nécessaires à l'at-
tribution des propriétés technico-économiques requises aux pro- pilon, reposant sur un principe de déformation par chocs) ou à
duits et aux procédés ainsi élaborés. Grâce à l'analyse de la valeur un système technique « moderne » (la fritté-forgé, c'est-à-dire la
(« value analysis » et « value engineering »), il devient ainsi pos- compression de poudres). D e la même façon, une filière techni-
sible de montrer le caractère également spécifique des fonctions que peut ne correspondre à aucune industrie.
industrielles, en tant que médiation nécessaire entre le système Il existe une filière technique de l'usinage, il n'existe pas
des besoins et la demande solvable, propres à une industrie déter- d'industrie de l'usinage. S'il n'existe pas de relations termes à ter-
minée. La troisième propriété a trait aux modalités de constitu- mes entre un système technique et un système productif, par
tion et de renouvellement du stock de capital fixe productif adé- contre l'évolution d'une industrie, par exemple la tendance à la
quat à l'activité. Il s'agit donc de rendre compte des modalités simplification-complexification des modes opératoires" consti-
selon lesquelles des ensembles techniques sont transformés en tue un élément propre à modifier les caractéristiques d'une filière
stock de capital fixe productif et des travailleurs hétérogènes technique au niveau des relations de rigidké, de complexité, voire
quant à leurs formations, qualifications, savoir-faire en un tra- de cohérence. Il est donc possible d'affirmer que l'organisation
vailleur collectif, susceptible de prendre en charge la réalisation d'une filière technique est la forme que prennent les contrakites
effective des différentes opérations de production. nées de la nécessité du maintien de l'invariance de l'organisation
2.2. La structure du système technique d'une industrie. A l'opposé, la dynamique repérée au niveau des
Le système technique est constitué, selon B . Gille, de fîkères techniques, du système technique provoque une nécessité
structures, ensembles et filières techniques. Toutefois, cette d'intégration des techniques au sein du système productif dans la
décomposition exprime, dans la perspective de B . Gille, le mou- mesure où il n'y a point a priori conipatibilité entre les modifica-
vement de la technique sous l'effet de ses propres déterminations tions morphologiques des filières techniques et les caractéristi-
mais cependant finalisé par l'influence des contraintes tant ques structurelles du système productif même si l'organisation
d'ordre qualitatif que quantitatif qui provoquent, d'une part, le des fikères techniques est définie à partir des contraintes pesant
processus de saturation d'un système technique et, d'autre part, sur les industries constitutives du système productif.
la nécessité de la constitution d'un système nouveau. Mais 2A. Relations système technique-système productif et
B . Gille n'apporte pas, ce faisant, de réponse satisfaisante à la recherche technique
question du mode de produaion de ces contraintes et des raisons D e ce qui précède, nous pouvons déduke que la recherche
pour lesquelles elles parviennent en quelque sorte à canaliser la technique est globalement la gestion des relations entre système
rationalité proprement technique de l'évolution des techniques technique et système productif. A ce titre, elle revêt une double
vers des objectifs d'une nature autre que purement technique. forme :
C'est la raison pour laquelle P. Garrouste'°, après avoir rigoureu- — d'une part, elle s'identifie à la maîtrise de l'expression, au
sement défini les notions de complexité du travail vivant et de niveau d'une flHère technique, de la dynamique du système pro-
complexité du travail mort, montre que le rapport complexité du ductif. Elle apparaît alors sur la base de la définition de l'organisa-
travail mort/complexité du travail vivant constitue une des tion d'une filière technique comme une contrainte externe expri-
caractéristiques structurelles des relations qui existent entre les mant dans le champ de la technique la nécessité du maintien de
différents éléments d'une filière technique, les autres étant la rigi- l'invariance de l'organisation d'une industrie ;
dité et la cohérence. La filière technique peut alors être définie — d'autre part, elle consiste en la gestion de la compatibilké
comme un système organisé à partir de relations caractérisant entre la dynamique spécifique d'une flHère technique et les carac-
son identité. Les relations de cohérence, de rigidité et de téristiques structurelles du système productif. A ce niveau, la
complexité renvoient respectivement à la variabilité des rende- recherche technique est évaluée en fonction de sa capacité à don-
ments des procédés constitutifs d'une filière technique, à l'orga- ner une forme stable au sein du système productif à l'expression
nisation du travail de ces procédés et au rapport qualitatif entre de la dynamique d'une fiHère technique.
les fonctions exécutées par le travail mort et le travail vivant. Sur Si la recherche technique apparaît amsi comme la gestion
la base de cette structuration du système technique, il est possible des relations entre système productif et système technique, la
de rendre compte de la production des contraintes qui suscitent dynamique même de ces relations lui échappe puisqu'elle repose
l'évolution des techniques. En effet, celle-ci peut être pensée sur la projection du calcul économique sur les réaktés techniques,
comme résukant de la contradiaion existant entre la nécessaire d'une part, et sur la transformation des critères d'appHcation
cohérence du système technique qu'affirme B . Gille et la dyna- eux-mêmes "du calcul économique sous l'effet des contrakites de
mique des filières techniques résultant de la nécessité du maintien cohérence du système technique, d'autre part.
de l'invariance de leur organisation. C'est à l'innovation industrielle, en tant que forme
23. Les relations entre système technique et système pro- concrète du mouvement dialectique de ces deux tendances, que
ductif revient la fonction d'incarner la dynamique des rapports entre
Sur la base de ces définitions, analyser les rapports existant système technique et système productif.
entre système technique et système productif revient à étudier les 3. Recherche des fondements d'une théorie de l'innova-
rapports entre filière technique et industrie comme éléments de tion industrielle
la structuration de ces deux systèmes. Ainsi, les contraintes qui Après avok identkîé les propriétés de l'innovation indus-
naissent de la nécessité pour une industrie de préserver l'inva- trielle, nous montrerons la nécessité d'inscrke l'analyse de celles-
riance de son organisation ont des manifestations au niveau tech- ci dans un système conceptuel qui permette d'en analyser les
nique. Cependant, une industrie appartenant à un système pro- effets à des niveaux kitermédiakes entre le système productif,
ductif ne renvoie pas d'une manière univoque à un élément d'un considéré dans son ensemble, et l'entreprise ou la branche d'acti-
système technique dans la mesure où une industrie donnée peut vké, considérées comme Heux exclusifs de sa mise en œuvre.
être en « correspondance » avec des filières techniques apparte- 3,1. Les propriétés de l'innovation industrielle
nant à des systèmes techniques différents. C'est le cas de l'indus- Pour être en mesure d'analyser les relations entre les élé- .
trie de la forge où l'on constate la mise en œuvre de procédés ments pertinents de la dynamique sociale à l'origkie des transfor-
techniques appartenant à un système technique « classique » (le mations du système productif et d'en proposer une expkcation
cohérente, une théorie de l'innovation industrielle devrait pou- une perspective plus systémique, d'un phénomène qui intègre
voir répondre à l'ensemble des questions suivantes : ces différentes dimensions selon des modalités que révéleraient
a. Quelle est la spécificité du processus social qui régit la les conditions spécifiques de sa mise en oeuvre dans l'industrie, de
conception, la mise au point et la diffusion de l'innovation telle manière que ce qui est réellement important, tant du point
industrielle p2ir rapport aux autres phénomènes sociaux suscep- de vue analytique que théorique, se situe dans la conceptualisa-
tibles d'exercer une influence sur la dynamique à long terme du tion du processus même de cette intégration ? O n retrouverait
système industriel ? Cette première interrogation met au jour là, en réactualisant la signification profonde, la perspective de
une des plus redoutables ambiguïtés qui caractérisent les théories K. Marx qui distingue à juste titre, à propos de la fabrique et des
du changement technique, à savoir la confusion entre l'objet définitions qu'en donne le docteur Ure, « une définition qui s'ap-
d'analyse — ici, l'innovation industrielle — et la problématique plique à tout emploi possible d'un système de mécaniques » ; et
théorique qui enferme la réalité étudiée dans un réseau de déter- «l'autre, qui caractérise son emploi capitaliste et, par
minations où celle-ci puise sa signification et son domaine de per- conséquent, la fabrique moderne ». Quelle que soit l'alternative
tinence. Si l'on considère par exemple l'innovation industrielle retenue, ne convient-il pas d'admettre que le contenu essentiel
comme l'agent général des transformations de la division du tra- d'une théorie de l'innovation industrielle se dévoile dans le traite-
vail, qui ne voit que la signification du phénomène étudié et sa ment réservé au problème de la hiérarchisation des différentes
portée sont en quelque sorte confondues avec la théorie de la dimensions du phénomène observé ou tout au moins dans
division du travail qui en prédétermine la compréhension ? l'énoncé des principes d'analyse permettant de repérer les articu-
Si l'on retient, en revanche, la définition d'inspiration lations cruciales entre ces différentes dimensions ?
schumpeterienne de l'innovation, à savoir première application Peut-on mettre, en effet, sur le même plan l'invention du
commerciale réussie de l'invention, l'analyse est nécessairement collier d'attelage, telle que la retrace le commandant Lefebvre des
orientée vers une vision micro-économique du phénomène qui Nouettes, et l'invention de la fraiseuse ? Dans un cas, l'apparition
sera amenée logiquement à privilégier l'étude des comporte- du nouvel objet technique est déterminée, d'une part, par l'évo-
ments et singulièrement du comportement de l'entrepreneur lution de l'urbanisation, des densités de peuplement et des rap-
innovateur. Cette vision micro-économique s'oppose immédia- ports nouveaux qui se nouent entre agriculture et artisanat
tement au qualificatif industriel qui, lui, renvoie à un stade déter- industriel et, d'autre part, par les modalités de l'extraction et du
miné de l'évolution de la division du travail, lequel ne peut être prélèvement du surplus agricole, mais elle ne bouleverse en rien
caractérisé qu'à une échelle macro-économique en termes de les caractères établis de la division du travail qui sont seulement
structures. reproduits sur une autre échelle''. Dans l'autre cas, l'apparition
Il n'est sans doute pas indifférent de constater, précisé- du nouvel objet technique s'inscrit dans un mouvement de spé-
ment, que c'est vers la fin de la dernière décade du XVIir siècle cialisation des machines-outils sur la base de la fabrication de
qu'apparaissent la plupart des systèmes modernes de protection produits standardisés, à partir de composants assemblés et inter-
de la propriété industrielle. L'histoire atteste donc que l'appari- changeables, et contribue, de ce fait, à bouleverser les caractères
tion de l'innovation industrielle, dans le cadre des rapports établis de la division du travail, le système de qualifications et les
sociaux de production, caractéristiques du capitalisme concur- grilles de rémunération". Comment rendre compte de ces diffé-.
rentiel, nécessite la création de droits de propriété ad hoc. Cette rences autrement qu'en recherchant les fonctions caractéristi-
constatation conduit à s'interroger, au demeurant, sur les ques de l'innovation industrielle qui en définissent le contenu ?
conséquences de l'intégration dans des. patrimoines privés des Deux types d'analyse sont susceptibles, à cet égard, de
résultats de la recherche scientifique et technique. La première mettre en évidence la nature des fonctions de l'innovation indus-
conséquence est l'apparition d'un marché des inventions : là où il trielle : il s'agit de l'étude fonctionnelle du procès de travail et de
y a propriété, il y a nécessairement possibilité d'aliéner ce droit de l'analyse structurelle des processus de production. Dans la pers-
propriété. La deuxième conséquence est l'intervention de l'Etat : pective de l'analyse structurelle des processus de production telle
l'apparition d'un marché engendre la nécessité d'une sanction que la développe notamment D . Sahal'', on aboutit à une distinc-
sociale du droit de propriété. Cette triple évolution : création de tion entre trois grandes catégories d'innovations : les innovations
droits de propriété, apparition d'un marché, intervention de structurelles qui sont suscitées par les disparités dans les rythmes
l'Etat, n'était cependant nullement incluse dans les caractères des de croissance entre les éléments et la totalité d'un système ; les
techniques et de la connaissance technique, puisque la technolo- innovations de matériaux qui sont suscitées par la nécessité de
gie, comme l'a justement souligné R . E . Caves'', est une forme de satisfaire aux exigences nouvelles résultant de l'adoption de nou-
capital intangible et constitue à ce titre un « bien public ». Pour veaux critères technologiques d'élaboration liés au changement
comprendre la nécessité de cette triple évolution, il convient d'échelle des objets ; les innovations de systèmes qui résultent de
donc, au-delà de l'étude des techniques et des connaissances qui l'association de technologies intégratives en vue de simplifier
en règlent l'usage, de s'intéresser aux fonctions de l'innovation radicalement la structure générale d'un objet. Nous retiendrons,
industrielle. ici, de préférence à la précédente, la perspective de l'analyse fonc-
b. Quel est le contenu de l'innovation industrielle f tionnelle du procès de travail'", qui établit des relations hiérarchi-
S'agit-il d'un résultat cristallisé dans un artefact technique, ques entre objet de travail, moyen de travail et force de travail.
d'une réalité en mouvement qui constitue le support matériel des Cette analyse montre que les tendances générales de la division
transformations de la production, d'une stratégie d'un groupe du travail et du progrès technique, en mode de production capi-
social ou l'enjeu de stratégies antagonistes ? S'agit-il d'un phéno- taliste, font apparaître trois périodes distinctes : une période de
mène multidimensionnel touchant à la fois à la technique, à l'or- transition de la manufacture à la fabrique qui comcide avec l'avè-
ganisation du travail, à la gestion de la production, à l'économie nement du machinisme et au cours de laquelle l'innovation porte
et à la sociologie industrielle, etc., et, à ce titre, justiciable d'un essentiellement sur le moyen de travail" ; une période de transi-
traitement spécifique dans la perspective des théories qui ont per- tion de la fabrique à la grande industrie au cours de laquelle le
mis la constitution de ces différents champs de la connaissance en centre de gravité de l'innovation industrielle se déplace des
autant de savoirs relativement autonomes ? O u s'agit-il, dans moyens de travail vers l'objet de travail : c'est avec l'avènement
de l'industrie chimique, l'émergence d'un ensemble d'industries peut que constater, à la suite de J . - P . Courtheoux, que, si l'his-
des biens intermédiaires qui matérialisent le processus d'appro- toke a souvent conservé des éléments d'analyse des technolo-
fondissement de la division du travail'* ; une période, enfin, où gies, elle n'a, en revanche, conservé pratiquement aucune trace
l'innovation industrielle a pour fonction d'autoriser l'industriali- des caractéristiques essentielles de l'exercice des métiers qui auto-
sation de la production de matériaux nouveaux à l'aide de tech- risent la mise en œuvre de ces technologies"".
nologies génériques dont l'emploi conduit à une redéfinition La deuxième question a trak à l'identké et à la spécifické
radicale des relations entre moyen de travail, objet de travail et des groupes sociaux à l'origine de la mise au point et de la diffu-
force de travail''. A chacune de ces périodes, l'innovation indus- sion des innovations. A cet égard, si M. Bloch faisak, dès 1948'',
trielle, et non les changements techniques en eux-mêmes, remplit des observations capitales sur la nécessité de ne pas analyser les
une fonction spécifique : dans la première période, le remplace- enjeux de l'innovation comme significatifs en eux-mêmes de
ment de l'outil par la machine conduit à rendre la production l'expression de la stratégie de tel groupe social, mais bien au
indépendante du contrôle que peut exercer l'ouvrier de métier ; contrake d'identifier, au préalable, les stratégies des groupes
dans la deuxième période, la segmentation verticale du processus sociaux pour en déduke ensuite les qualités de l'innovation,
de production tend à rendre la production indépendante des dépouillée ainsi de ses vertus intrinsèques, pour être revêtue de
limites technico-économiquès liées aux propriétés des matériaux celles que lui prêtent les acteurs sociaux, il n'en reste pas moins
utilisés et notamment leur degré, alors élevé, de pureté ; dans la que l'on observe dans ce domaine un oscillation significative de
troisième période, l'abolition de la séparation entre activité de l'analyse entre deux courants opposés. Le premier insiste sur le
production et activité de mise en forme des matériaux et leur réseau de relations existant entre les acteurs et attribue aux pro-
intégration au sein d'un même cycle d'opérations conduisent à priétés de ces relations des facteurs de succès et d'échec de l'inno-
émanciper l'industrie des obstacles à l'automatisation nés des vation'^ Dans la perspective de ce premier courant, un élément
formes de la division du travail mises en place dans la période détermmant de la diffusion, au X X ' siècle, des innovations, tient
précédente, dans le cadre du développement des industries de aux modalités parfois récentes, toujours spécifiques, d'kistku-
biens intermédiaires'". E n d'autres termes, les industries de biens tionnaHsation de l'activité de recherche et surtout de recherche
intermédiaires, dont la fonction résidait dans la mise en forme de technique sous forme d'une activké professionnelle. Le second
matériaux d'usage courant au début de ce siècle, sont aujourd'hui courant met, au contraire, l'accent sur l'avènement de pôles
brutalement remises en cause par les conditions de production et déséquilibrants dans ce système de relations. Dans la perspective
de transformation des nouveaux matériaux". Au-delà de cette de ce second courant, l'émergence des poHtiques scientifiques
approche fonctionnelle de l'innovation industrielle, il convient dans l'immédiat après-guerre, leur subordkiation de plus en plus
de s'interroger sur les conditions qui en régissent la diffusion. prononcée à des impératifs économiques" se sont traduites par
c.En quoi les modalités de diffusion de l'innovation l'autonomisation progressive de poHtiques de l'innovation (dis-
industrielle lui confèrent-elles un caractère spécifique f Au- tkictes des politiques de la science), elle-même précipkée par
delà des éléments fondamentaux de la dynamique économique l'échec des tentatives d'application des méthodes du type
dont N . Rosenberg et C. Frischtak" regrettent qu'ils n'aient pas P.P.B.S. ou R . C . P . à la gestion des crédks de recherche-dévelop-
été intégrés dans une problématique appropriée destinée à rendre pement. Cette évolution met évidemment, selon les protagonis-
compte de la genèse et de la diffusion des innovations, il apparaît tes de ce second courant, au premier plan le rôle de l'Etat comme
que deux questions fondamentales restent encore mal élucidées agent de la gestion des rapports entre recherche et industrie et
et grèvent de ce fak la compréhension de ce troisième caractère comme facteur principal des vicissitudes, voke des crises dans ces
essentiel de l'innovation industrielle. rapports, du fait du caractère très conventionnel, voire réducteur
La première question a trak au rôle des savoir-faire", aux des représentations sur lesquelles il fonde son action. Cette criti-
formes de la circulation de la connaissance technique^' et plus que est d'ailleurs, au-delà des apparences plus brillantes, particu-
généralement à hiplace des relations non marchandes^' dans le lièrement justifiée dans le cas de la France'°, ce qui apparaît d'au-
processus des kinovations. Cette question renvoie en fait à deux tant plus inexpHcable que ce sont avant tout des économistes
problèmes distincts : celui des conditions dans lesquelles la français qui ont mis en évidence le quatrième caractère de l'inno-
connaissance technique et les savoks relatifs à la mise en œuvre vation industrielle, à savoir d'être la matériaksation d'une dkec-
de cette connaissance se sont autonomisés vis-à-vis de la tion déterminée du changement technique.
recherche scientifique ; celui du caractère parcellake et descriptif d. Qu'elles sont les orientations privilégiées, les directions
de la connaissance du rôle des savok-fake, ouvriers notamment, manifestes de l'innovation industrielle .^En France, deux types
dans la dkîusion des nouvelles technologies. S'agissant du pre- d'analyse ont proposé une réponse à cette question. F. Perroux"
mier problème, les travaux récents de C. Peyrard montrent a, le premier, analysé les processus de propagation verticale et de
comment l'appHcation des résultats de la connaissance scientifi- propagation horizontale comme des orientations du change-
que dans la production génère, à travers les nécesskés de son ment technique, des « avenues de l'innovation industrielle »
propre cheminement, un savok-fake d'abord et un savok kidukes par les caractéristiques macro-économiques, de nature
ensuke (la chronologie n'étant pas conforme à la réaUté mais au structurelle, du système productif. J . - L . Maunoury", à la suite,
processus de reconnaissance sociale qui kitervient avec un net considère «l'enchaînement structurel des nouveautés techni-
décalage par rapport à cette réafité) de type nouveau puisque tri- ques », mais déplace le centre de gravké de l'analyse du niveau
butake de l'évolution, historiquement déterminée, du contenu et macro-économique, à celui qui lui paraît plus opérationnel de
des formes de la division du travail. Ces travaux attestent, en l'analyse du comportement des entrepreneurs. Prenant
outre, de l'existence d'une division du savok induite par la divi- l'exemple des moteurs thermiques, il expUque leur évolution,
sion du travail, qui semble justifier aujourd'hui la reconnaissance d'une part, comme le résultat d'une combinatoke de structures
sociale d'un savok kidustriel (c'est-à-dke dont la genèse, le élémentakes et, d'autre part, comme l'effet « des intentions des
contenu et la mise en œuvre sont intrinsèquement Hés aux responsables de l'évolution ou de l'apparition de combmaisons
conditions courantes de la production) distinct de la connais- structurelles ». Les structures apparaissent ainsi comme des fais-
sance technique. E n ce qui concerne le second problème, on ne ceaux d'intentions cristallisées. « Et c'est cette véritable dialecti-
que des structures et des intentions qui permet de comprendre et D e ce fait, la portée opératoke d'une telle définition est très
non pas seulement de décrire l'évolution technique". » Plus limitée, puisque aucun concept intermédiake ne permet d'expri-
récemment, le débat entre auteurs souvent qualifiés abusivement mer la nature des relations existant entre les trois ordres de phé-
de néo-schumpeteriens sur les facteurs de l'apparition d'innova- nomènes étudiés (besokis, accumulation du capkal, dynamique
tions en grappe a permis, grâce notamment aux contributions de des techniques), ni de montrer comment ces relations influent
Mensch, C. Freeman, Soete et R. Ayres'', d'établir que seules sur la genèse, la mise au point et la diffusion de l'innovation
l'identification et l'analyse de ces orientations du changement industrielle.
technique permettent de mettre au jour la signification et la logi- Inscrite dans la perspective de l'analyse économique néo-
que des transformations du système productif. classique, une telle définition condukait à marier le phénomène
3.2. Les présupposés d'une théorie de l'innovation indus- d'induction de l'kmovation, sous l'effet des variations des prix
trielle relatifs des facteurs, et le processus schumpeterien de destruction
L'identification et l'analyse du contenu des caractères de créatrice. Dans la perspective de l'analyse marxiste de la dynami-
l'innovation industrielle conduisent à formuler deux prescrip- que du mode de production capitaUste, une telle définition
tions méthodologiques fondamentales : condukait à mettre en évidence le caractère déterminant, tant du
• Expliciter les niveaux d'analyse auxquels l'appréhension point de vue des transformations du rapport salarial (opposition
de ces caractères est pertinente et produire les concepts relais (ou entre système des besoins et nécesskés de l'accumulation capka-
concepts intermédiaires nécessaires). Hste) que celui des lois de la concurrence capitaHste (ceUes-ci pro-
• Construire le système de relations hiérarchisées qui per- mouvant un usage spécifique des forces productives) d'une
met d'intégrer dans une perspective globale cohérente, l'analyse double tendance, ceUe à l'économie dans l'emploi du capital
de l'ensemble des propriétés de l'innovation industrielle. constant et ceUe à l'élévation de la composition organique du
a. Le rejet des théories globalisantes capital. Dans l'un et l'autre cas, compte tenu du degré de généra-
La nécessité de réfléchir sur les rapports qu'entretiennent la Hté auquel se situe l'analyse, une teUe définition rendrait vaine
science, la technique et la société a pour effet de mettre en évi- toute tentative d'élucidation du processus grâce auquel les indus-
dence l'inadaptation fondamentale d'une formulation théorique tries (et non les fkmes) apparaissent ou disparaissent et surtout
du processus d'innovation qui ne précise pas le domaine de perti- interdkait toute investigation destinée à comprendre les évolu-
nence des concepts employés et qui ne formule pas le type de tions du sytème industriel qui ne sont pas (immédiatement)
relations existant entre les quatre grands caractères de l'innova- réductibles à des transformations dans les rapports sociaux de
tion analysés précédemment. Prenant l'exemple d'une théorie production.
globalisante qui conduirait à définir l'innovation industrielle de la b, La nécessité de niveaux intermédiaires d'analyse
manière suivante : Une théorie de l'innovation kidustrieUe doit, selon nous,
« L'innovation industrielle est un processus orienté par les être en mesure de rendre compte de ses quatre caractères fonda-
propriétés de la dynamique des systèmes techniques, régi dans sa mentaux : spécificité, contenu, orientation et diffusion. O r , ces
mise en œuvre par les nécessités de l'accumulation du capital, quatre caractères sont l'expression de dimensions du phénomène
ayant pour objet l'adaptation du potentiel de production (dispo- étudié qui sont, eUes-mêmes, hiérarchisées les unes vis-à-vis des
nible sous la forme d'un stock différencié de moyens de produc- autres. E n effet, fake abstraction du contenu de l'innovation
tion matériels et immatériels et de forces de travail) à l'évolution pour ne s'intéresser qu'aux modaHtés de diffusion n'est possible
des besoins de la société et consistant en un compromis provi- que dans un cadre théorique bien particuHer et conduit d'une cer-
soire entre trois logiques d'évolution, elles-mêmes support des taine manière à nier l'existence d'un certain nombre de dimen-
stratégies des groupes sociaux : logique du changement techni- sions du phénomène. E n effet, il faut concevoir l'innovation
que, logique du système des besoins et logique de l'accumulation comme un processus linéake et séquentiel pour séparer arbitrai-
du capital. » rement la genèse de l'innovation (sa production) de son appHca-
Une telle définition met certes l'accent sur les caractères de tion commerciale (diffusion) et justifier ce découpage sur la base
l'innovation : sa spécifické, en tant qu'expression d'un compro- d'une double dichotomie entre invention et innovation d'une
mis provisoke entre les trois logiques d'évolution ; son contenu, part, entre mise au point et diffusion d'autre part. D e ce point de
en tant que vecteur des transformations structurelles de l'appa- vue, les études remarquables des géographes et des économètres
reil productif ; son rythme de diffusion, en tant que commandé sont exemplaires.
par les lois de l'accumulation du capital ; son orientation, en tant Lorsque, dans la tradition inaugurée par Hagerstrand", la
que déterminée par la dynamique des systèmes techniques. Elle conceptuaHsation du processus de diffusion met en avant le
véhicule également une représentation des rapports entre concept fondamental de champ moyen d'information, il s'agit
science, technologie et société, puisqu'elle assigne à l'innovation d'une représentation qui, par construction, est indifférente au
le statut d'instance médiatrice entre chacun de ces ordres de phé- contenu de l'innovation puisque seuls sont retenus dans l'analyse
nomènes. Néanmoins, pour juger de l'intérêt d'une telle défini- . de la diffusion les aspects relatifs à la communication. Disons que
tion et de la perspective qu'elle contient, il faut apprécier tant son l'on procède à l'énoncé d'une théorie générale de la diffusion des
statut théorique que sa portée opératoire. informations relatives à une innovation et que ce qui est saisi,
Envisagée sous l'angle de son statut théorique, une telle c'est effectivement l'ensemble du processus de communication,
définition énonce, en définitive, la place de l'innovation indus- support de la diffusion. Mais, en revanche, aucune des propriétés
trielle dans la dynamique du mode de production capitaHste. A distinctives de l'innovation considérée, par exemple les quaHtés
ce titre, elle induit une compréhension de l'innovation indus- particuHères du produit ou fonctions spécifiques du procédé,
trielle qui tend à assimiler les propriétés de celles-ci à ses effets sur n'est prise en compte dans l'analyse. D e la même façon, la tradi-
les lois d'évolution du système économique. E n se situant à un tel tion économétrique, qui formule son analyse en termes de
degré d'abstraction, une telle définition conduit à esquiver comportement d'imitation'" et représente les effets de celui-ci
l'analyse des médiations entre système des besoins, système sous la forme d'une courbe logistique exprimant le rythme de la
industriel et systèmes techniques. diffusion, s'appuie sur une analyse qui n'intègre ni les caractéris-
tiques de l'industrie qui constitue le milieu de diffusion de l'inno- force et travail, objet de travail et moyen de travail) rendues
vation, ni les caractéristiques de l'innovation elle-même en tant nécessaires par les bouleversements de la division du travail.
que support (direct ou indirect) des transformations des Cette interprétation, à l'évidence, met l'accent sur les relations
conditions de production. O r , comme l'ont bien noté Kelly et (non expHckées) Hant les caractères de spécificités de contenu
Kranzberg'', il y a nécessairement rétroaction de la diffusion sur du processus d'innovation mais tend à négHger les deux autres
le contenu de l'innovation, si bien qu'une conceptualisation per- caractères, ce qui peut conduke à une interprétation historique
tinente du processus d'innovation doit analyser cet effet de erronée des conditions dans lesqueUes les machkies et le système
rétroaction. de machines se sont diffusés ;
D e la même manière, les incertitudes rencontrées dans l'in- — soit comme une mutation quaHtative du système des for-
terprétation d'un phénomène comme le machinisme ne sont- ces productives entraînant le passage d'un système technique à
elles pas imputables à l'incapacité d'exprimer les relations asymé- un autre dans la perspective des historiens des techniques et des
triques existant entre les caractères de spécificité et d'orientation cybernéticiens. L'expHcation que Norbert Wiener propose de
du processus d'innovation ? Ces incertitudes et cette incapacité l'avènement de la deuxième révolution industrieUe est tout à fait
n'expliquent-elles pas la coexistence d'un grand nombre de théo- significative de ce point de vue puisqu'U considère que « la trans-
ries rivales, explicatives du machinisme et entre lesquelles il n'est mission et la subdivision de l'énergie par l'usage du petit moteur
pas possible de départager ? En effet, le machinisme apparaît électrique » furent une « invention qui change les postulats fon-
selon les perspectives des auteurs : damentaux des conditions de l'industrie"" » dans la mesure où eUe
— soit, comme le mouvement d'ensemble qui permet de rend caduc le recours à des arbres de transmission, nécessitant un
comprendre les rapports existant entre l'avènement de la pre- raccord rigide entre le moteur et le système de Hgnes de paHers, et
mière révolution industrielle et les flux d'innovations solidaires reHant les machines à une seule source d'énergie consommée en
qui ont permis dans quelques branches d'activité —capitales quantités très élevées par les dispositifs mécaniques de transmis-
quant à leur part dans la satisfaction des besoins de la société sion.
(industrie textile et sidérurgie)— de modifier simultanément Il est clair que cette intervention privUégie l'étude des rela-
l'échelle de la production, la qualité des produits et leur prix. tions entre les caractères de contenu et d'orientation, au détri-
C'est en quelque sorte l'interprétation des grands historiens de la ment des deux autres ; les cybernéticiens subordonnent le carac-
révolution industrielle (P. Mantoux, C . Ballot entre autres'') et, tère de contenu à celui d'orientation, et les historiens des techni-
plus près de nous, des historiens économistes ( N . Rosenberg, ques assujettissent celui d'orientation à celui de contenu.
F . Caron, par exemple"). Les traits distinctifs d'une telle inter- En résumé, et sans prétendre à l'exhaustivité, les théories
prétation sont une conception continuiste du processus d'inno- générales du machinisme reposent sur une vision partieUe et par-
vation-diffusion ; la prise en compte des perfectionnements suc- ceUaire du processus d'innovation, dans laqueUe l'accent est mis
cessifs apportés à l'innovation au cours même de sa diffusion et de manière unUatérale sur des relations déterminées entre les
des contraintes d'utilisation minimale du capital produaif, l'in- caractères de ce processus, ainsi que l'atteste le tableau 1 :
sistance sur le poids des complémentarités technologiques dans Remarquons que seul Marx étabHt un rapport dialectique
la diffusion d'une innovation particulière. En d'autres termes, on entre les critères qu'il retient. E n revanche, tant les sociologues
met l'accent sur les caractères de contenu et de diffusion au détri- que les historiens économistes étabHssent une relation asymétri-
ment des caraaères de spécificité et d'orientation ; que entre les caractères qu'Us retiennent : le caractère relatif à la
— soit, comme l'instrument privilégié de la mise en œuvre diffusion domine celui de la spécificité chez les sociologues, tan-
de la discipline du travail nécessaire au fonctionnement du sys- dis que le caractère relatif au contenu domine celui de diffusion
tème de production fondé sur les usines comme le suggèrent chez les historiens économistes. En outre, les théories du machi-
D . D i c k s o n , S.Marglin, A . G o r z et autres'° et d'une certaine nisme recensées, dont on voit qu'eUes sont largement complé-
manière les tenants de l'histoke sociale et/ou de la sociologie du mentakes et non concurrentes, laissent de côté un ensemble de
travail''. Dans cette interprétation, les innovations techniques relations pertinentes ; entre spécificité et orientation (1,3), entre
sont une réponse à la nécessité dans laquelle se trouvent les entre- diffusion et orientation (3,4). Une théorie achevée de l'innova-
preneurs capitaHstes d'affermk leur contrôle social sur le dérou- tion industrieUe devrak donc expHcker et hiérarchiser les rela-
lement des opérations de production. C'est donc un phénomène tions existant tant à l'intérieur qu'entre les six couples de caractè-
social, en l'occurrence la forme de gestion sociale de la produc- res suivants :
tion rendue nécessaire par le développement du mode de pro- (spécifické/contenu) (A)
duction capitaHste, qui commande, oriente et délimite le phéno- (spécificité/orientation) (B)
mène du machinisme. Remarquons que, dans cette interpréta- (spécificité/diffusion) (C)
tion, il existe un Hen intkne, souvent resté inaperçu de ses adep- (contenu/dkfusion) (D)
tes, entre l'analyse des formes sous lesqueUes le contrôle social (contenu/orientation) (E)
des opérations de production est mis en œuvre et la tendance (diffusion/orientation) (F)
(supposée) à la déquaHfication du travail ouvrier. A notre sens, ce Il apparaît ainsi que l'élaboration d'une teUe théorie néces-
Hen est imputable à une relation déterminée (mais non expHcitée) site le recours à un critère qui permette de déterminer la structure
supposée exister entre les caractères de spécificités de diffusion hiérarchique existant entre les couples de caractères A, B , C, D ,
du processus d'innovation ; E , F. Une des modaHtés concevables de formaHsation de ces rap-
— soit, comme la forme de division du travail adéquate au ports hiérarchiques consiste à attribuer une valeur à chacun des
passage de la subsomption formeUe à la subsomption réeUe du caractères, valeur eUe-même fonction du poids relatif qu'exer-
travail sous le capkal, dans le procès de travail, dans la perspec- cent les rapports entre science, technique et société sur la signifi-
tive de K. Marx'". Ici, l'accent est mis sur le fak que le machinisme cation de ce caractère. Amsi, la valeur la plus forte peut être attri-
constitue un mode de structuration du système productif autori- buée au caractère de spécificité, une valeur légèrement inférieure
sant la mise en place des transformations du procès de travail" au caractère de diffusion. E n revanche, les caractères de contenu
(c'est-à-dke des transformations ayant affecté les relations entre et d'orientation paraissent dominés par d'autres facteurs respec-
TABLEAU 1 TABLEAU 3
Mode de constitution des théories du machinisme
Domaines de Réalités Contributions Enoncé des
Caractère de Spécificité Contenu Orientation Diffusion recherche industrielles significatives conditions d'une
l'innova- (1) (2) (3) (4) meilleure adé-
tion -> quation aux réa-
lités industrielles

Spécificité Innovations Grappes d'inno- Schumpeter Rosenberg


(1) - (2)
Marx et cycles longs vations Mensch et Frischtak
(1)
Succession des Freeman
Contenu (2) - (1) (2)-(4) branches
(2) - ( 3 )
(2) Marx Historiens Historiens dominantes
des économistes
Innovations et Naissance, Carlsson
techniques
transformations évolution et
Orientation structurelles des déclin des
(3) - ( 2 )
industries industries
(3) Cyberné-
ticiens Innovations et Développement Marx Blackburn,
division du et crise du Rosenberg Coombs
Diffusion (4)-.(l) travail machinisme et Green
(4) Histoire
sociale Innovations et Constitution Schmookler
Sociologie mouvements et développement Nelson et
d'industrialisation d'une technologie Winter, Dosi Sahal

Innovations et Environnement Schumpeter


structures de de la firme Scherer, Kamien Dasgupta
marché et Profitabilité et Schwarz et Stiglitz
profitabilité Mansfield
David

Innovations et Choix de gestion Abernathy Gold


stratégies du changement et et
des firmes technologique Utterback Rosegger

TABLEAU 2

[Spécificité/Contenu]
-®- domaine de pertinence :

Forme de la division
du travail
m
Troisième niveau d'abstraction
(le plus général)

[Contenu/Diffusion]

Propriétés industrielles

[Spécificité/Diffusion]
-d) domaine de pertinence :

Transformation du procès
de travail

4)-
n Contenu/Orientation]
Deuxième niveau domaine de pertinence :

Processus d'industrialisation

[Spécificité/Orientation]
domaine de pertinence :
Premier niveau
(le plus différencié) Rythmes économiques

[Diffusion/Orientation]
® Etats limites : saturation, blocage, rupture
tivement les propriétés de l'industrie et les propriétés de la dyna- duk dans sa schématisation la séquence clef « crédk-innovation-
mique des systèmes techniques. E n reconsidérant alors les six nouveUe combkiaison productive"' », considère que les mouve-
couples de caractères, en distinguant trois niveaux d'analyse et en ments cycHques sont soumis à la logique de destruction créatrice
explicitant pour chaque couple le domaine de pertinence des créée par l'innovation, bref, pose les jalons d'une théorie globale
concepts mobilisés, nous pouvons caractériser de la manière sui- des Hens entre kinovations et ondes longues. Outre le travail
vante l'ossature d'une théorie de l'innovation industrielle : voir imposant réaHsé sur les statistiques de l'époque et débouchant
tableau 2. sur cette vision de cycles enchevêtrés dont les points de retourne-
Cette représentation de la structure d'une théorie de l'in- ment coïncideraient accidenteUement à certakies périodes"', l'ap-
novation industrielle nous a permis et contraint à un retour criti- port principal de l'auteur réside dans sa représentation des moda-
que sur notre discipline, visant à expliciter les conditions d'une Htés de diffusion des innovations : après l'apparition de l'kmova-
meilleure adéquation entre les représentations les plus significati- tion, œuvre de quelques entrepreneurs pionniers, ceUe-ci se dif-
ves des changements techniques et les réalités industrielles. fuse en grappe sous l'knpulsion des entrepreneurs-knitateurs.
« O n a affake ici à un processus de groupage-diffusion des
innovations majeures que Schumpeter rend par les mots anglais
n. REPRÉSENTATIONS "clusterkig", "bunchkig" ou "swarming". Contrakement aux
DES CHANGEMENTS TCCHNIQUES affkmations de nombreux commentateurs, les "imitateurs" ne se
ET RÉALITÉS INDUSTRIELLES bornent pas simplement à de simples "copies conformes" en
matière d'innovation. Ils peuvent en effet apporter un certain
Six domaines de recherche, correspondant aux six couples nombre d'améliorations et réaHsent ainsi des innovations indui-
de caractères, ont donc été repérés. Au sein de chacun d'entre tes'°. » U n moment délaissées, les idées de Schumpeter ont
eux s'élaborent des représentations alternatives du changement cependant resurgi ces dernières années sous la plume de quelques
technique, destinées à rendre compte d'un certain type de réalités économistes déskeux d'expHquer la crise contemporaine en réfé-
industrielles. L'objectif de cette seconde section est donc, d'une rence à une théorie technologique des cycles longs''.
part, d'examiner la pertinence de ces représentations en tentant — «Das technologische Patt»
d'évaluer leur capacité à saisir les réalités industrielles auxquelles Sous ce titre, G. Mensch pubHe le premier ouvrage
elles se trouvent confrontées et, d'autre part, d'énoncer pour cer- contemporain consacré à l'interprétation technologique des
taines d'entre elles les conditions d'une meilleure adéquation aux mouvements longs". La thèse principale que défend cet auteur
réalités industrielles. Les six domaines de recherche sont présen- peut être résumée comme suit : les dépressions constituent les
tés dans le tableau 3. Nous les envisagerons ensuite successive- périodes privilégiées de l'innovation en provoquant un raccour-
ment. cissement des délais nécessakes à l'appHcation industrieUe des
1. Les liens innovations technologiques - cycles longs inventions : les époques de prospérité apparaissent en revanche
Une façon pertinente de rendre compte du rôle de l'inno- comme défavorables à la mise en œuvre des changements techni-
vation technologique dans la dynamique des systèmes produc- ques radicaux ; la crise contemporaine, enfin, déclenchera de
tifs, sur la base de l'analyse des propriétés de spécificité et de façon quasi automatique les processus d'innovation, bases de la
contenu, est d'identifier et de caractériser les relations existant prospérité de demain. Prenant appui notamment sur le travaU
entre innovations et cycles longs. Quel est le rôle de l'innovation pionnier de Jewkes, Sawers et StUlerman, consacré à l'étude de
dans la production des mouvements de longue durée ? Une telle soixante et une innovations de la première mokié du XX^ siècle",
question se trouve à la base des interprétations technologiques Mensch teste l'hypothèse dite du « wagon train effect » (d'abord
des ondes longues, dont les premiers jalons ont été évidemment quelques wagons avancent puis le train entier se met en mouve-
posés par Schumpeter dans l'un de ses ouvrages fondamentaux. ment) et met en évidence la formation de grappes d'innovation
Business Cycles''. Après une période de désintérêt relatif envers lors des périodes de récession. Les critiques les plus vives formu-
les thèses de cet auteur, celles-ci ont suscité ces dernières années lées à l'encontre de l'ouvrage de Mensch ont porté tout d'abord
un engouement nouveau et apparemment durable débouchant sur la fiabUité des données et sur l'mterprétation qu'en proposak
sur de nombreux essais d'interprétation technologique de la l'auteur'". Suivant ces critiques, d'autres, tels Kneinknecht" ou
crise. Nous verrons que, développés sous la double impulsion de Van Duijn'', ont tenté de tester les hypothèses de Mensch à l'aide
G . Mensch dans les années 70 et de C. Freeman au début des de séries statistiques nouveUes, sans remettre fondamentalement
années 80, ces travaux échouent au fond à rendre compte des en cause le cadre général d'analyse. Les résultats obtenus appor-
réalités industrielles qui se trouvent au cœur de la problématique teront quelques raffinements à la version kiitiale. La critique
des cycles longs, à savoir l'existence d'innovations majeures majeure formulée à l'encontre de cette Hgnée de travaux ne porte
d'une part, la diffusion des innovations en « grappe » d'autre cependant pas sur la question de la fiabiUté des données. EUe
part. Profondément sceptiques à l'égard des interprétations tech- concerne beaucoup plus ceUe de l'interprétation des résultats sta-
nologiques des cycles longs, N . Rosenberg et C. Frischtak, enfin, tistiques en termes de relation de causaHté.
se sont attachés récemment à énoncer les conditions d'une meil- — « New Technology Systems »
leure adéquation de la théorie aux faits dans le cadre de ce champ Reprenant et complétant les données utUisées par Mensch,
particuHer d'investigation'". Freeman, Clark et Soete" montrent que la thèse essentieUe de
— «Business Cycles » cette recherche, selon laqueUe la dépression constituerait un fac-
Prenant appui sur l'idée de représentation de l'activité éco- teur d'accélération des processus d'innovation, n'a pas été scien-
nomique en termes de mouvements cycHques, déjà présente tifiquement étabHe. Faut-U pour autant rejeter l'intuition schum-
notamment dans l'œuvre de KondratiefP', J . A. Schumpeter peterienne de l'existence d'une relation forte entre innovation et
développe dans Business Cycles une théorie unitaire des trois cycle long ? Freeman et autres ne le pensent pas au terme d'une
cycles fondamentaux dits de Kondratieff, de Juglar et de Kitchin. recherche dont la méthodologie révèle une perception beaucoup
Ayant forgé ainsi une rythmique de l'activité économique, sur la plus fine des facteurs régissant la diffusion des innovations en
base de séries statistiques fortement styHsées, Schumpeter intro- grappe. Plutôt que de mettre au jour, par tâtonnement, des phé-
nomènes de concentration d'innovations dans le temps qui ris- changement technique basées sur l'étude des caractères de
quent de n'être que de purs «artefacts statistiques'^ », par contenu et de spécifické, et des réaktés kidustrielles dont elles
conséquent dénués de toute signification en termes d'interpréta- prétendent être capables de rendre compte, nous mesurons l'am-
tion technologique des cycles longs, Freeman et autres s'em- pleur de l'effort théorique demandé par Rosenberg et autres. E n
ploient à rechercher des liens de cohérence technique et écono- énonçant les conditions qui devraient être satisfaites, préalable-
mique, les solidarités qui, unissant les innovations entre elles, ment au développement d'une théorie technologique des cycles
sont à la base de l'émergence de véritables constellations de nou- longs, ces auteurs posent en somme les premiers jalons d'un véri-
velles techniques, appelées « nouveaux systèmes technologi- table programme de recherche scientifique, au sein de ce premier
ques ». Réhabilitant la notion de « band wagon effect », tout en domaine d'kivestigation.
lui donnant son véritable contenu d'expression et de matérialisa- 2. Innovations et transformations structurelles des indus-
tion des relations de cohérence entre les techniques, les filières et tries
les industries, ces auteurs imposent avec force la thèse du rôle L'étude des caractères de contenu et de diffusion définit un
majeur joué par la succession des nouveaux systèmes technologi- deuxième champ de recherche, au seki duquel les représentations
ques dans les mouvements longs : « Le band wagon effect est de l'innovation doivent permettre de rendre compte du rôle des
extraordinairement important ; selon nous, c'est l'explication changements techniques dans le mouvement d'apparition, de
principale des phases de rapide expansion (upswing) caractéristi- transformation et de disparition des industries ; mouvement que
ques des mouvements longs''. » La discussion est cependant loin nous considérons comme kréductible à celui décrivant la vie et la
d'être close. S. Solomou, dans un article récent, attaque en effet mort des fkmes.
durement les travaux des économistes du Sussex'° : « La relation Les deux exemples présentés ci-dessous illustrent akisi en
de causalité n'est pas clairement affirmée. C'est une chose de quoi certaines réaktés industrielles n'ont de véritable signification
montrer en quoi les technologies ont contribué au b o o m de qu'en référence à une théorie de l'organisation de l'industrie et de
l'après-guerre ; c'en est une autre d'établir le rôle moteur et spé- son évolution. La mise au point du four de refusion métallurgi-
cifique de la dynamique des systèmes techniques dans les mou- que, qui survient au XIX^ siècle, permet à la fonderie de s'affran-
vements longs. » Ainsi, remarque Solomou, l'effet de grappe ou c h k du recours au haut fourneau pour fondre le métal, de s'ex-
d'essaimage n'a de réelle signification que si l'existence des cycles trake donc du centre sidérurgique auquel elle apparteniait aupa-
longs a été scientifiquement établie. O r , ceci n'est pas effectué par ravant et de s'organiser progressivement en tant qu'industrie
Freeman et autres, qui limitent leur investigation à la période de autonome. Il est clak que la signification fondamentale de cette
l'après-guerre. Tout aussi récemment, S. Moss développe une innovation réside moins dans l'améHoration des performances
critique qui, par certains côtés, se rapproche de la précédente'' : de telle ou telle installation (encore que cet effet soit bien réel) que
« Les théoriciens keynésiens des ondes longues semblent n'avok dans la mise en place des bases techniques adéquates à l'autono-
jamais douté de l'existence et de l'importance du phénomène misation et à l'auto-organisation d'une activité productive, aupa-
cycKque. Leur méthode semble en effet vouée à fake appel à des ravant intégrée à une autre industrie : en substituant aux Hens de
métaphores, trajectokes, grappes, systèmes pour expliciter leur dépendance organique qui fiaient la fonderie au centre sidérurgi-
compréhension des ondes longues. Je n'ai pas connaissance de que, de simples relations d'approvisionnement, le four de refu-
l'existence d'une quelconque base théorique tant pour ces méta- sion fait surgk des unités de fonderie autonomes, caractérisées
phores que pour l'idée selon laquelle le niveau d'investissement par la possession d'une structure spécifique de biens d'équipe-
serak déterminé par l'intenské de la concurrence schumpete- ment'". La même logique d'évolution peut être aujourd'hui évo-
rienne. » quée pour décrire les transformations de l'activité de production
— Les bases d'un nouveau programme de recherche des fibres optiques" : la mise au point du procédé de dépôt
Annonçant d'emblée leur scepticisme à propos des inter- externe par plasma, associé au multifibrage — câblage en Hgne —
prétations technologiques des mouvements longs, Rosenberg et permet à cette activité de s'affranchir du recours aux techniques
Frischtak" énoncent les quatre conditions qu'il conviendrait de verrières et favorise ainsi son autonomisation par rapport aux
satisfaire pour bâtir une théorie technologique des cycles longs, industries auxquelles elle empruntait initialement équipements et
s'étonnant au passage qu'une telle précaution méthodologique compétences.
n'ak encore jamais été respectée, en dépk du foisonnement de Les représentations du changement technique élaborées
travaux pubUés sur ce sujet. Selon ces auteurs, quatre catégories dans le cadre de ce champ de recherche devraient être en mesure
de relations devraient être étudiées : en définitive de rendre compte des réaktés industrielles détermi-
— la causaUté : les changements dans les taux d'innovation nées par quatre types d'innovations :
gouvernent-ils les changements dans les taux d'investissement et — Les innovations qui, à l'image du four de refusion ou du
l'impact combiné des grappes d'innovation prend-il la forme de procédé de dépôt externe par plasma, favorisent l'autonomisa-
fluctuations au niveau de î'output et de l'emploi agrégés ? tion de l'activité et sa constitution sous la forme d'une industrie
— la synchronisation : comment s'opère la diffusion des indépendante et organisée, en permettant à ses structures pro-
kinovations ; y a-t-il synchronisation des différents processus de ductives de s'affranchk progressivement du recours aux techni-
dkîusion et cette synchronisation est-elle suffisante pour expHci- ques, savok-faire et équipements que celles-ci empruntaient ini-
ter un modèle de croissance agrégée sur longue période ? tialement aux industries existantes. Basée sur la conception et la
— l'impact des innovations sur l'économie tout entière : mise au point de biens d'équipement spécifiques, point de pas-
quel est le rôle, notamment des flux kitersectoriels des nouvelles sage obkgé de l'améHoration de l'efficacité productive, la dyna-
consommations intermédiakes, des nouveaux composants et mique du changement technique peut être considérée dans ce cas
des nouveaux équipements dans la propagation des effets écono- comme révélant une tendance à la réduction de la variété origi-
miques des innovations ? neUe autour de formes stables, constitutives d'une norme.
— la récurrence : les grappes d'innovation possèdent-elles — Les innovations qui, au contraire, participent au mouve-
un caractère récurrent" ? ment d'industriaHsation, basé notamment sur la mise en place
Au terme de ce rapide panorama des représentations du des conditions nécessakes au passage d'une structure artisanale à
une structure de production permettant la fabrication à grande réaUté la contribution majeure à la compréhension des problè-
échelle, sans que cette dynamique prenne appui sur l'organisa- mes de notre temps par rapport à laqueUe les autres méthodes,
tion d'une industrie, celle-ci restant à mettre en place. Dans ce statistiques et théoriques, ne doivent être placées qu'au rang
cas, une certaine amélioration de l'efficacité technique peut être d'auxikake. » Investigation, ajoute Carlsson, qui ne sera pas fon-
obtenue, sans que soit remise en cause l'absence d'autonomie de damentalement chronologique mais qui sera orientée vers la
l'activité. recherche des Hens de causafité.
— Les innovations qui permettent à une industrie de Troisièmement, la construction de cette tradition doit
s'adapter (aux nouvelles contraintes relatives à l'évolution des s'appuyer sur l'analyse mkiutieuse des processus d'évolution
conditions d'usage de la force de travail et d'emploi des machi- technique. « Q u e savons-nous en effet des caractères de l'évolu-
nes, à la transformation du besoin social et à l'apparition de nou- tion de teUe ou teUe technologie ? » Carlsson remarque à cet
velles normes et prescriptions techniques), sur la base de change- égard le peu de prestige que les recherches historiques et les étu-
ments structurels subordonnés au maintien de l'unité de cette des de cas apportent à leurs auteurs, en dépit des travaux pion-
industrie. Dans ce cas, le changement technique produit une cer- niers réaksés par Mansfield et Rosenberg dans ce domaine.
taine variété, tolérable et admissible par les propriétés qui régis- Quatrièmement enfin, l'I.D. en voie de constitution dok
sent le fonctionnement de l'industrie. prendre appui sur les sciences du management. Ce ken privUégié
— Les innovations, enfm, qui ne permettent l'adaptation de entre les deux disciplines permettra en effet d'orienter l'investiga-
l'industrie qu'à la condition de remettre en cause son unité. E n tion vers l'étude des processus de transformation structureUe
rendant caduque l'une au moins des propriétés de son organisa- plutôt que vers la production de résultats agrégés.
tion, elles déclenchent ainsi un processus de mutation indus- L'identification de toute une série de questions inélucidées,
trielle. relatives au rôle des innovations dans les transformations struc-
Il est clair qu'une telle problématique théorique du change- tureUes des industries, conduit donc à repérer l'existence d'un
ment technique n'aurait pu être développée sans le secours d'une vide théorique et à identifier ainsi une première dkection de
analyse originale de la dynamique industrielle, elle-même recherche prioritake, dont le développement dépendra de la
comprise comme le processus grâce auquel les industries (et non faculté des économistes à se conformer aux « quatre commande-
les firmes) apparaissent, s'adaptent et disparaissent. ments » formulés par Carlsson.
O r , B o Carlsson, à l'occasion d'une communication adres- 3 . Innovations et division du travail
sée à la 12' conférence de l'Association européenne pour la Nous avons déjà abordé un aspect fondamental des Hens
recherche en économie industrielle, établit qu'une telle concep- entre innovations et division du travaU en examinant, au cours de
tion originale de la dynamique industrielle fait encore largement la première section, le rôle de l'innovation en tant qu'agent de la
défaut au sein de la théorie économique'*. redistribution des fonctions au sein du procès de travaU.
Face à l'Industrial Organization (I.O.), tradition domi- Trois périodes ont été distkiguées, correspondant à trois
nante qui développe une théorie de la concurrence à travers niveaux d'intervention de l'innovation sur les relations hiérarchi-
l'étude des structures de marché, des stratégies et des performan- ques entre objet, moyen et force de travaU. Le second aspect de
ces et à laquelle on associe habituellement les noms de Chamber- cette question, qu'U convient d'examiner à présent, recouvre
lain, Mason et Bain'', Carlsson identifie en effet un espace de l'impact de la conception et de la mise au point de nouveaux
recherche « singulièrement négligé », à l'intérieur duquel devrait biens d'équipement sur le fractionnement du système productif
se développer une autre tradition, celle de l'Industrial Dynamics, en branches. Une teUe perspective de recherches a notamment
dont les précurseurs auraient pour nom Marshall, Schumpeter, été bien explorée par N . Rosenberg à l'occasion de travaux por-
Kuznets. «J'appellerai cette autre tradition "Industrial Dyna- tant d'une part sur les conditions de l'avènement de la produc-
mics" (I.D.), faute d'un meilleur terme. J'aurai préféré celui tion de masse aux Etats-Unis" et d'autre part sur les modaHtés de
d'économie de l'industrie mais ce dernier est trop proche du propagation au reste du système productif de la dynamique
terme générique d'économie industrielle. » industrieUe engendrée par les caractères de cette production de
.Par rapport à l'I.O., l'I.D. serait plutôt orientée vers masse'°.
l'analyse des changements technologiques, de ses causes micro- Développant cette double perspective, à travers l'étude des
économiques et de ses conséquences macro-économiques. Selon formes, du contenu et de l'orientation de l'évolution du machi-
E. Dahmen'^ elle se préoccuperait davantage des transforma- nisme aux Etats-Unis et en Angleterre, N . Rosenberg apporte un
tions structurelles que de la croissance, elle privilégierait l'analyse éclakage extrêmement original et précieux sur le rôle des innova-
du contenu et de l'orientation des processus dynamiques au tions techniques dans la recomposition du système productk en
détriment de la production de résultats agrégés. branches. Par « système américain de manufacture », N . Rosen-
D e façon peut-être moins systématique que Rosenberg et berg décrit la composante du système productk américain qui,
Frischtak (supra), Carlsson présente tout de même un au début du X X ' siècle, peut être caractérisée par les cinq traits
« research-agenda », grâce auquel il expHcite les conditions d'une suivants" :
meilleure adéquation des représentations économiques élaborées — la production en grande série d'objets manufacturés à
à ce niveau aux réaktés industrielles que nous avons évoquées. partir d'éléments standardisés et interchangeables, eux-mêmes
Premièrement, « la tradition de l'I.D. doit développer un fabriqués à l'aide de machkies-outUs spéciaUsées ;
cadre micro-macro destiné à formuler les "macro-questions per- — le recours à des instruments de mesure et à des exigences
tinentes" en référence aux informations micros admkablement relatives aux dimensions, formes et aspects de surface des pro-
détaillées et approfondies ». duits, sans rapport avec ce qui est en vigueur dans le reste du sys-
Deuxièmement, la construction de cette tradition doit tème productif ;
s'appuyer sur une connaissance significative des processus histo- — la mise au point et la fabrication des outUs et des machi-
riques d'industriaHsation. Pour défendre ce point de vue, nes par les techniciens de l'entreprise eUe-même, condition
Carlsson reprend les termes mêmes de Schumpeter : « L'histoke nécessake du développement d'une production de masse sur la
kidustrieUe n'est pas seulement indispensable ; eUe constkue en base du machinisme ;
— l'apparition des prémices d'une science de la gestion des capacités de production et des équipements fonaionnant à l'ori-
entreprises et des organisations, matérialisée dans la constitution gine au sein d'industries différentes, les conditions et les exigen-
de bureaux d'étude et de méthodes, qui privent les contremaîtres ces requises par les mouvements de procédés (emprunt-adapta-
des responsabilités en matière d'organisation de la production, tion) d'un secteur à un autre, telles sont quelques-unes des réak-
qu'ils endossaient traditionnellement ; tés industrielles dont les représentations du changement techni-
— l'emploi d'une main-d'œuvre qualifiée, mieux payée et que forgées au sein de ce domaine particuHer d'investigation doi-
plus stable que dans la moyenne des industries américaines. vent être en mesure de rendre compte. Il apparaît alors que
La nécessité de disposer de machines-outils spécialisées, l'analyse économique a abordé de biais cette série de questions en
fabriquées par des branches spécifiques, constitue donc un sous- développant une double problématique : l'une, relativement
produit du fonctionnement du système, qui contribue à la mise ancienne, a trait à l'identification des facteurs régissant la
en place d'une nouvelle division du travail fondée sur le machi- demande de nouveautés techniques ; l'autre, plus récente, est
nisme. centrée sur la notion de trajectoire en tant que conceptuaHsation
Mais ce n'est pas tout. En examinant ensuite comment les économique du mouvement de la technologie. Nous verrons
caractères généraux du système américain de manufacture se cependant que, en dépk de la richesse de ces travaux, nombre de
propagent dans le reste du système productif, N . Rosenberg fait questions relatives au rôle des kmovations technologiques dans
apparaître en pleine lumière le rôle des innovations techniques et les processus d'industriaHsation restent encore peu étudiées.
singulièrement de l'évolution du machinisme dans la recomposi- — « Technological push vs, demand pull»
tion du système productif en branche'". L'ouvrage susceptible de servk de référence fondamentale
Selon N . Rosenberg, le phénomène de convergence tech- à la thèse du rôle moteur de la demande est, sans conteste, celui
nologique constitue le vecteur fondamental de cette propagation. de Schmookler'", dans lequel celui-ci met au jour l'existence
Il s'agit d'un double mouvement : d'une corrélation positive entre l'augmentation de I'output de
— d'une part, le transfert vers d'autres secteurs de machi- l'activité inventive et l'élévation du volume des ventes au sein
nes initialement créées dans des activités caractéristiques de la d'une industrie déterminée. A travers l'exemple du chemin de
première révolution industrielle : l'industrie textile et l'industrie fer, Schmookler réfute la notion de poussée technologique,
de la fabrication de locomotives pour l'essentiel ; conçoit la dynamique des connaissances scientifiques et techni-
— d'autre part, la création d'une industrie de la machine- ques comme entièrement subordonnée aux stimuH de la
outil sur la base du développement d'entreprises autonomes spé- demande et confère au Hen entre la demande solvable et la dyna-
cialisées dans la fabrication de ces machines. mique de l'invention un rôle expHcatif majeur. Se positionnant
Le phénomène de convergence technologique apparaît de façon critique par rapport à cette thèse, G . Dosi" en enregistre
ainsi comme très prononcé aux Etats-Unis où il a donné lieu à les trois faiblesses de base : premièrement, une conception du
une filiation historique entre les manufactures d'armes, les fabri- changement technique passive et purement mécanique vis-à-vis
cants de machines à coudre, les cycles et la construction d'auto- des conditions du marché ; deuxièmement, une incapacké à
mobiles. expHciter le « pourquoi » et le « comment » de certains dévelop-
Cette convergence entre ces activités industrielles s'effec- pements technologiques ; troisièmement, une occultation des
tue sur la base de la résolution de problèmes techniques qui leur changements dans la capacité inventive, non dkectement Hés à
sont communs : taillage des engrenages, fabrication des roule- l'évolution des conditions de marché. Dosi conclut : « Les ambi-
ments à billes, frottement, contrôle, etc. guïtés théoriques de cette approche se reflètent inévkablement au
Il apparaît ainsi que l'analyse historique des conditions de niveau des études empkiques des déterminants de l'innovation. »
l'avènement de la production de masse aux Etats-Unis, fondée Evaluant précisément un ensemble de travaux récents consacrés
sur l'étude approfondie des systèmes de production successifs à cette question, Mov^ery et Rosenberg" démontrent que la thèse
basés sur le machinisme, permet de révéler le rôle des innova- centrale de ces recherches, selon laqueUe la demande exprimée
tions dans la structuration en branche du système productif. sur un marché exercerak une influence prépondérante sur le pro-
Cette analyse, développée initialement par Marx et prolongée et cessus d'innovation, n'a jamais été scientkiquement étabHe. En
systématisée dans le cas américain sous la plume de Rosenberg, outre, l'ensemble de l'œuvre de Rosenberg est marquée par la
est aujourd'hui poursuivie notamment par Blackburn, Coombs conviction suivante : si la dynamique de la demande est suscep-
et Green'', à l'occasion de travaux portant sur la recherche, par- tible de favoriser la production d'une innovation, rien ne garantit
delà les inévitables disparités interindustrielles, d'un modèle dans cette relation que les solutions technologiques adéquates
général de développement historique de la mécanisation, sur la puissent être élaborées. Il existe un ensemble de contraintes et de
base d'une analyse fonctionnelle du procès de travail. propriétés du processus d'innovation dont l'analyse en terme
4, Innovations technologiques et mouvements d'indus- d'évolution des marchés ne peut rendre compte. Il apparaît, en
trialisation définitive, que les deux branches de l'akernative examinée ici
Tandis que le domaine de recherche fondé sur l'étude des sont indépartageables. Sahal" les renvoie dos à dos en dénonçant
caractères de contenu et de diffusion est consacré, comme nous l'insuffisance des études empkiques présentées à l'appui. Quant à
l'avons vu, à l'analyse du rôle de l'kmovation, dans les transfor- Scherer", son étude de la mise au point de la « Watt Boukon
mations structurelles des industries (2, supra), le champ d'mves- Steam Engine » s'achève sur l'acceptation de la pertinence de
tigation défini par l'étude du couple de caractères contenu et l'une et de l'autre hypothèse. C'est à une conclusion du même
orientation est en revanche axé sur la capacité des technologies à ordre que parvient Abernathy" au terme de son examen des fac-
se constituer et à se développer, en tant que support d'une pro- teurs qui déclenchent les processus d'innovation dans l'industrie
duction marchande ; et cela indépendamment de l'existence automobUe. La question soulevée —technological push or
éventuelle de structures industrielles spécifiques. Le rôle des demand puU ? — du moins dans sa formulation présente, semble
innovations dans le passage d'un système artisanal à un système donc inélucidable.
de production permettant une fabrication à grande échelle, la — Trajectoires et régimes technologiques
recherche et l'étabHssement des cohérences nécessakes entre des Nous trouvons à l'origine des nouveUes représentations du
développement des technologies, notamment proposées par procédés, dus aux problèmes de cohérence entre équipements
R. Nelson et S. Winter'° et G. Dosi'', l'extension de la notion de conçus et mis au point dans des industries différentes. D e plus,
routine à l'analyse des choix stratégiques de la firme'' : l'entre- les directions du changement technique qui portent sur la créa-
prise, observent Nelson et Winter, apparaît comme structurée tion d'équipements spécifiques dans la nouveUe activité ne peu-
par un ensemble de routines et l'activité innovative, en tant que vent être interprétés comme favorisant l'instauration des rela-
support des mutations, est elle-même « configurée » (« patter- tions de cohérence nécessakes, par l'intermédiake de la mise en
ned ») par cet ensemble. Nelson et Winter avancent alors la place d'une structure du capital productif autonome. Nombre de
notion de régime technologique (paradigme chez Dosi) pour stratégies industrieUes enfin, ceUe visant notamment à maintenk
décrire la situation dans laquelle le développement technologique la nouveUe activité productive au sein des industries qui lui four-
constitue un sous-produit de la recherche de routines. L'exemple nissaient initialement les techniques et les savok-fake, ne peuvent
de la mise au point du Douglas D C 3 vient étayer cette thèse : en être comprises. Reprenons sur ce point l'exemple des fibres opti-
déterminant la conception des appareils pendant deux décades ques. Corning Glass s'est lancé dans cette activité sur la base d'un
(1930-1950), ce modèle se trouve à la base d'un nouveau régime potentiel technologique acquis au cours de cent années de spécia-
technologique. Celui-ci définit le cadre strict à l'intérieur duquel Hsation verrière".
les trajectoires technologiques vont pouvoir se déployer. Ainsi, Les structures industrieUes existantes attribuent ainsi la
les trajectoires constituent le mode d'exploitation d'un potentiel production des préformes et des fibres aux groupes verriers et le
technologique donné. Insistant sur l'étroite parenté du couple câblage aux P M E travaiUant dans la câblerie traditionneUe. Une
paradigme-trajectoire avec les notions hicksiennes d'impulsion teUe caractérisation de « l'ake technologique de départ » est fon-
et d'innovation kiduite, J . - L . Gaffard et E. Zuscovitch peuvent damentale car eUe permet de comprendre pourquoi Corning,
écrire" : « Ce qui est réellement nouveau, c'est qu'en cherchant à déskeux de valoriser son potentiel verrier, n'apporte que des per-
donner un contenu concret aux notions d'impulsion et d'innova- fectionnements relativement mineurs à ses procédés de fibrage
tion induite, en se référant aux notions de paradigme et de trajec- (économie d'écheUe, automatisation), sans jamais tenter de
toke, deux aspects essentiels des processus de changement sont concevok les équipements spécifiques, qui améHoreraient certes
mis en lumière : leur caractère cumulatif et leur spécifické. » notablement les performances de fabrication mais risqueraient
Cette spécificité des trajectokes est notamment bien étudiée par aussi de créer les conditions d'une automatisation de l'activité de
R. Nelson et S. Winter dans un article antérieur'". Ils étabHssent production des fibres optiques par rapport aux industries exis-
en effet que les trajectokes caractéristiques de l'évolution des tantes. C'est pourquoi Cornkig bloque l'industriaHsation de
industries sont kréductibles aux logiques générales de change- cette technologie, afin de conserver sa position de domination
ment technique, associées principalement à l'exploitation pro- stratégique. Ainsi, la question de la constitution et du développe-
gressive des économies d'écheUe latentes et à l'extension de la ment d'une technologie ne semble pouvok être immédiatement
mécanisation. Bien plus, cette spécificité retentit sur la capacité résolue à l'intérieur d'un cadre théorique réduit trop rapidement
des industries à exploiter les trajectokes technologiques aux mécanismes d'une pure sélection par l'environnement.
communes, teUes que la mécanisation ou l'automatisation. Ainsi, Trop de réaHtés industrieUes échappent en effet encore aux
« l'ascendant pris au XIX' siècle par l'mdustrie du coton sur ceUe représentations du changement technique forgées en référence à
de la laine est dû pour une large part au fait que les processus de ce cadre théorique. Une seconde direction de recherche priori-
production sont plus aisés à mécaniser dans un cas que dans taire se dégage donc, et cela quand bien même D . Sahal aurait
l'autre ». Il est clak que la reconnaissance de ce caractère de spéci- commencé à explorer systématiquement cette voie, en analysant
ficité représente une condition fondamentale d'une meiUeure le rôle des changements de dimensions dans le développement
adéquation des représentations du changement technologique d'une technologie, en décrivant la dynamique de l'évolution
aux réaktés kidustrieUes, en permettant d'avancer la notion de technique comme un processus relativement autonome, bref, en
variété intersectorieUe des trajectokes. Est-ce cependant une s'employant à réduke de façon significative l'écart existant entre
condition suffisante ? Nous ne le pensons pas. Il s'agit tout au réaHtés et représentations".
plus de l'exigence minimale que toute théorie économique des
5. Innovations, structures de marché et profitabilité
mouvements d'industriaHsation doit s'employer à respecter, sauf
C e champ de recherche, basé sur l'étude des caractères de
à accroître encore plus l'écart existant entre les représentations
spécificité et de diffusion, constitue le domaine le mieux exploré
économiques et les réaHtés industrieUes. Mais cette exigence ne
par l'analyse économique, avec d'une part la contribution de l'In-
suffît pas. Il importe aussi de caractériser l'aire technologique de
dustrial Organization relative aux Hens entre stnictures de
départ, ceUe qui confère à la trajectoke sa spéckické, en tant
marché et activités de recherche et d'autre part les travaux de
qu'activité productive se constituant par emprunt et adaptation
Mansfield sur le rôle de la profitabiHté dans l'expHcation des pro-
de techniques initialement détenues par d'autres industries.
cessus de production et de diffusion des kinovations.
Faute d'une teUe caractérisation, Nelson et Winter aussi bien que
— Les liens structures de marché - activités de recherche
Dosi sont conduits à référer trop rapidement le mouvement d'in-
L'étude de la relation existant entre les structures de
dustriaHsation à un processus de sélection par l'envkonnement ;
marché et la production des innovations avait au départ comme
mécanisme complexe qui intègre des dimensions, sectorieUe-
objet essentiel la vérkîcation des hypothèses de Schumpeter,
ment déterminées, de profîtabiUté et de comportements d'imita-
selon lesqueUes le pouvok de monopole, d'une part, les entrepris
tion et d'investissement". En d'autres termes, la discrimination
ses de grande taiUe, d'autre part, instauraient le cHmat le plus
des trajectokes est opérée immédiatement dans l'univers écono-
favorable à la poursuke d'une activké de recherche. En effet, le
mique, sans référence particulière aux caractéristiques spécifi-
pouvok de monopole empêche l'imitation et encourage par là
ques de la dynamique des techniques". En l'absence d'une teUe
même l'innovation. U permet en outre de consacrer des ressour-
caractérisation, les modaHtés de constitution et de développe-
ces importantes au financement de l'activité de recherche-déve-
ment d'une technologie par transferts de techniques et d'équipe-
loppement ( R - D ) . Quant à la taille des firmes, l'accession à un
ments ne sont pas analysées. Echappe du même coup à l'investi-
certain niveau de dimensions permet d'exploiter pleinement les
gation l'ensemble des facteurs de blocage à l'mdustriaHsation des
économies d'écheUe au sein de l'activké de recherche eUe-même.
E n effet, selon les termes de Fischer et de Temin'' : excepté dans le court terme, les structures de marché et la nature
— l'accroissement de taille autorise la spécialisation du per- de l'activité inventive sont toutes deux endogènes ; que le degré
sonnel de R - D ; de concentration dans une industrie ne peut être traité comme
— en favorisant la diversification, cet accroissement permet une donnée, que ces variables dépendent de conditions de base,
une meilleure utilisation des résultats de recherche, par applica- telles que la technologie, la demande, la nature du marché des
tion de ceux-ci à un plus grand nombre de produits et de procé- capitaux et les structures juridiques et institutionnelles. Nous
dés ; allons donc étudier la relation entre degré de concentration et
— la présence d'indivisibilité enfin au niveau de l'activité de activités de recherche. Mais ces deux variables étant considérées
recherche rend le développement de celle-ci plus profitable pour comme endogènes, leur relation ne pourra être considérée
les grandes entreprises. comme simplement causale. » Renouvelant ainsi considérable-
Confrontée à quatre grands types de difficultés (l'identifi- ment l'architecture même des modèles dans le domaine de
cation rigoureuse de l'input et de I'output du processus d'inno- l'analyse des liens entre structures de marché et innovations,
vation, la mesure de la taille, celle du pouvoir de marché, la déter- Dasgupta et Stiglitz contribuent de façon significative à énoncer
mination du sens de la relation causale entre les variables expri- les conditions d'une meilleure adéquation des représentations
mées), la recherche économique, visant à tester les hypothèses aux réalités industrielles, au sein de ce champ particulier de
précitées, va connaître une triple progression. recherche.
La première a pour cadre l'étude pure et simple des rela- —Production et diffusion des innovations et profitabilité
tions qui lient le degré de concentration et/ou la taille des firmes à En considérant que l'importance des ressources consacrées
l'intensité de R-D'°. E n dépit des résultats obtenus (« jusqu'à une par l'industrie et les inventeurs individuels à la R - D dépend de la
certaine taille, l'effort d'innovation croît plus que proportionnel- profitabilité escomptée des innovations futures, E . Mansfield"
lement par rapport à la taille ; à un certain seuil, la courbe connaît place cette notion au cœur même de sa théorie du changement
un point d'inflexion et l'effort d'innovation décroît relativement technologique : « L'accroissement au XVnr siècle de la demande
par rapport à la taille'' », la persistance d'inégalités intersectoriel- de fil, dû à la diminution des prix des tissus et à une élévation de la
ies d'intensité de R - D , à structure de taille et degré de concentra- quantité de tissu produite, conjugué à une pénurie de fileurs et à
tion équivalents, marque le caractère partiel de l'analyse dévelop- l'augmentation de leurs salaires, élève les bénéfices des innova-
pée à ce premier niveau. tions consacrées à l'accroissement de la productivité du travail
Une deuxième vague de travaux peut être alors caractérisée dans les filatures et stimule directement les activités de recherche
par l'introduction de variables supplémentaires. La notion d'op- orientées vers la mise au point de métiers mécaniques. » D e la
portunité technologique tout d'abord est formulée par Scherer" même façon, le modèle standard de la diffusion, élaboré par
en vue de traduire en termes de relations quantifiables les inégali- Mansfield, place la profitabilité au premier rang des facteurs
tés intersectorielles de « capital technologique ». Le niveau des expliquant le taux d'imitation".
connaissances de base et de l'expérience accumulée peut intro- Il convient d'ailleurs de remarquer avec D . Mowery" que
duire en effet une distorsion dans la liaison que l'on tentait d'éta- les contributions théoriques les plus importantes dans ce
blir précédemment entre les structures de marchés et l'activité de domaine, notamment celles de Mansfield et de David'°°, insistent
R - D privée. La notion d'appropriabilité ensuite évoque les toutes sur l'importance de la profitabilité. Seuls échappent à la
conditions et les formes d'appropriation des bénéfices de l'inno- règle, si l'on peut dire, les travaux dus à N . Rosenberg'°' et à
vation par les firmes. La tendance dominante aujourd'hui est B . Gold'°', qui mettent en jeu d'autres facteurs explicatifs tels que
d'attribuer à la combinaison de ces deux variables — opportunité les contraintes de complémentarité entre les équipements, le
et appropriabilité — le rôle majeur dans l'explication des relations développement des aptitudes techniques chez les utilisateurs ou
qui lient les structures de marché à l'activité inventive''. l'importance des perfectionnements des innovations après leur
Mais, en dépit des raffinements apportés à l'analyse, l'insa- première introduction'".
tisfaction demeure. Pour Kamien et Schwarz", toutes ces études Ainsi, même si Mansfield admet l'existence d'autres fac-
souffrent d'un défaut majeur, commun à un grand nombre d'in- teurs dans la détermination des rythmes d'innovation'"", lui et ses
vestigations empiriques : le choix des indicateurs est tributaire successeurs construisent fondamentalement leur théorie du
des données disponibles et non pas d'une conceptualisation changement technologique sur la notion de profitabiHté escomp-
déterminée des relations entre les variables retenues. Dès 1974, tée de l'innovation.
Devine formulait une critique fondamentale qui, à notre sens,
reste toujours valide" : le véritable problème ne réside pas tant En centrant son analyse des réaHtés industrieUes sur des
dans le caractère plus ou moins systématique et stable des rela- grandeurs (profitabUité, structures de marché, conception pure-
tions statistiques que dans la signification théorique des résultats ment marchande de la technologie) immédiatement exprimables
obtenus. Quel est le sens de la relation de causalité ? Ce redou- en termes économiques, la théorie économique trouve ici son
table problème, qui apparaît par exemple au niveau du rôle des champ privUégié et en quelque sorte naturel d'investigation. Il est
barrières à l'entrée (peut-on, en effet, prétendre, comme le fait utUe cependant de souHgner avec Abernathy, auteur que nous
Comanor, que l'absence de barrière à l'entrée est une cause d'in- retrouverons bientôt, que c'est bien l'environnement de la firme
tensité élevée de R - D alors que cette intensité constitue en elle- qui constitue ici le concept fondamental par rapport à celui beau-
même une barrière à l'entrée ?), ne pourra être résolu théorique- coup plus secondaire d'innovation.
ment que par l'insertion des relations statistiques dans des struc- 6, L'innovation comme élément stratégique des firmes
tures causales complexes hiérarchisées, préalablement définies. Il Contrairement au courant de recherche précédent, les
s'agit là d'un objectif qui sera poursuivi dans le cadre d'une troi- investigations poursuivies dans le cadre de ce dernier domaine de
sième grande vague de travaux. vaHdité sont centrées sur le processus d'innovation lui-même, en
Dasgupta et Stiglitz se proposent d'envisager ainsi de façon tant que support des changements de stratégie des firmes. O n a
simultanée la constitution de structures de marché spécifiques et coutume d'associer à cette tradition de recherche les noms
la production des innovations" : << Nous considérons que. d'Abernathy et Utterback'°', héritiers principaux de la pensée de
Burns et Stalker qui, dès les années 60, pubkent une série d'étu- technologique par les fkmes. Nous montrerons ensuite que, ins-
des sur le management stratégique de l'innovation'"'. crite dans un domaine de vaHdité défini par le couple de caractè-
Dans sa version la plus achevée, œuvre d'Abernathy et res diffusion et orientation, cette démarche ne peut en revanche
Clark'°', la théorie du changement technologique comme vecteur prétendre à rendre compte du rôle des innovations dans les
stratégique distingue quatre grands types d'innovation. Ceci est transformations structureUes des kidustries.
effectué sur la base d'une double critériologie, associée première- L'outU forgé par Abernathy et Clark permet en effet de
ment au degré de rupture déterminée par l'innovation dans le fake ressortk trois grands c h o k de gestion du changement tech-
domakie des compétences relatives à la technologie et à la pro- nologique des fkmes.
duction et deuxièmement au degré de rupture déterminée par Le premier est caractérisé par le passage du stade des inno-
l'innovation dans le domaine du marché et des consormnateurs. vations « architecturales » à celui des innovations « réguHères ».
Abernathy et autres étabHssent ainsi la carte (« transikence Notons que cette séquence avait déjà été décrite à l'occasion de
map ») sur laqueUe les innovations peuvent être situées. travaux antérieurs, comme le passage du stade fluide (marqué
par une grande kistabiUté dans la conception du produk) au stade
systémique (décrit comme la combinaison entre un produit en
rupture quelque sorte «pétrifié» et un afflux d'innovations de pro-
cédé'°') : l'explokation des avantages kihérents à l'introduction
« market niche « architectural » d'une innovation «architecturale» exige un changement
phase »
d'orientations stratégiques, ké à la nécessake recherche de per-
marché/ fectionnements progressifs, sur la base de l'kicorporation du tra-
continuité consommateur rupture vaU et des savoks dans les équipements (mécanisation) et de
technologie/production l'augmentation coroUake de la rigidité des procédés et des pro-
duits.
Ce qui, selon Abernathy, doit retenk en premier keu l'at-
« regular » «revolutionnar » tention a trait au moment même de la transition, durant laqueUe
la substitution d'une logique de gestion du changement techno-
continuité
logique à une autre impose la transformation de la « configura-
tion de l'unité productive ». Ces périodes de transition sont ainsi
exceUemment analysées dans l'ouvrage qu'Abernathy a consacré
Les auteurs identifient tout d'abord les innovations dites à l'industrie automobUe'°'.
« architeaurales », qu'Us placent en haut à droite. En provo- Le deuxième choix de gestion du changement technologi-
quant des ruptures radicales aux deux niveaux énoncés, ces inno- que est au dke même d'Abernathy plus difficUe à saisk : « Les
vations sont à l'origkie de la création des nouveUes kidustries et kinovations mcrementales dans les produks et les procédés
de la recomposition des anciennes. EUes définissent les configu- n'amékorent pas seulement les performances de "l'architecture".
rations de base des produits et des procédés et commandent les EUes peuvent aussi accrokre la versatikté de la technique, en
orientations en termes de « marketmg » et de technologie, qui fonction des nouveUes exigences de la demande sociale. L'es-
guideront les développements futurs. sence de l'accroissement de la versatUité réside dans une meU-
Le deuxième type d'innovation est placé en haut à gauche leure compréhension des possibUités de la technologie à s'adap-
de la carte. Ces innovations transforment le marché (« innova- ter à différentes fonctions de la demande finale"°. »
tion in the market niche phase ») sans toutefois remettre en cause Amsi, ce deuxième choix privUégie la combkiaison d'une
les compétences existant dans le domame de la production et de double logique de gestion de changement technologique, carac-
la technologie. térisée notamment par l'absence globale de rupture au niveau des
Le troisième type d'innovation, situé en bas à gauche de la compétences dans le domaine de la technologie et de la produc-
carte, recouvre les avancées technologiques qui ne déterminent tion.
aucune rupture. Innovations dites « réguHères » (« regular kino- Le troisième choix stratégique, enfin, ne fait pas référence à
vation »), ceUes-ci appartiennent le plus souvent au domaine des la gestion des structures productives existantes comme précé-
changements « kivisibles », dont les effets cumulatifs sur les demment. Il est au contrake caractérisé par la création de ruptu-
coûts et les performances peuvent être paradoxalement extraor- res, à l'aide de nouveUes innovations « architecturales » et/ou
dinairement knportants. «révolutionnakes». Adoptée consécutivement à un change-
Les innovations révolutionnakes enfin (en bas, à droite) ment majeur de l'envkonnement (technologie, demande sociale,
sont ceUes qui rompent avec les compétences acquises dans le poHtique étatique), une teUe option stratégique impHque un
domaine des techniques et de la production, sans que ces ruptu- degré de variété technologique, caractéristique d'une industrie
res soient trop perceptibles au niveau du marché et des consom- naissante : « Ainsi, en opposition avec la séquence-type : nais-
mateurs. sance, croissance, maturité et déclin, notre outU suggère la possi-
Selon Abernathy et autres, l'outU ainsi forgé représente bUité d'une dé-maturité'". »
beaucoup plus qu'une simple mise en catégorie des innovations. L'apport de ce courant de recherche semble donc précieux
Il constitue en effet un cadre théorique offrant la possibikté pour rendre compte de la façon dont les firmes peuvent gérer le
d'analyser les relations entre innovation, concurrence et évolu- changement technologique et dont ces choix retentissent sur la
tion des industries. structure même des systèmes de production. Deux critiques doi-
L'avantage de notre représentation de la structure d'une vent être cependant formulées à l'encontre des travaux d'Aber-
théorie de l'innovation industrieUe est de permettre de vérifier si nathy et de ses coUègues.
l'objectif affiché par ces auteurs est atteint. Nous verrons tout Premièrement, la représentation des changements techni-
d'abord que l'approche d'Abernathy apporte effectivement un ques qui prévaut ici est fondamentalement détermmée par l'idée
éclakage précieux sur la question de la gestion du changement selon laqueUe ceux-ci concourent tous à promouvok l'accès à
une phase détermmée du mouvement d'industriaKsation, à CONCLUSION
savoir la phase de la production de masse. O r , des travaux
récents, notamment dus à Piore et Sabel"^ ont montré cormnent Parvenus au terme de cette étude, nous espérons avoir
l'existence de ce paradigme — l'avènement inéluctable de la pro- montré que, en dépit de l'abondance des travaux développés
duction de masse — a contribué à interdire l'analyse d'une foule dans le domaine de l'économie de l'innovation, différentes direc-
de phénomènes manifestement contradictoires et notamment tions de recherche restent encore peu explorées, voire même
relatifs au maintien de formes variées d'industriaKsation, fondées négHgées. Plus précisément, deux grandes orientations nous
sur un réseau de petites et moyennes entreprises. semblent aujourd'hui prioritaires, au regard tout à la fois de l'im-
Ainsi, la réduction du système productif à l'industrie auto- portance des réalités industrielles auxquelles elles font référence
mobile opérée par Abernathy diminue la force de la démonstra- et de la faiblesse des contributions théoriques qu'elles ont jusqu'à
tion en faisant apparaître comme universel (les trois types de présent suscitées. Il s'agit, d'une part, de l'analyse du rôle des
choix stratégiques) ce qui, au fond, n'est valable que pour une changements techniques dans la dynamique industrielle, elle-
composante déterminée du système produaif. même comprise comme le processus grâce auquel les industries
Deuxièmement, nous ne pensons pas que la théorie (et non les firmes) apparaissent, s'adaptent et disparaissent ;
d'Abernathy soit en position de revendiquer la possibilité de d'autre part, de l'étude de la capacité des technologies à se consti-
rendre compte du rôle des changements technologiques dans les tuer et à se développer en tant que support d'une protection mar-
transformations structurelles des industries. Le prétendre chande, sans que celle-ci donne lieu à la constitution d'une indus-
reviendrait en effet à confondre histoire de l'industrie et histoires trie en tant qu'entité organisée.
des firmes ; confusion qu'Abernathy semble entretenir lorsque, Ces deux domaines concrets d'investigation peuvent être
dans l'introduction de son ouvrage, il précise que celui-ci est insérés dans une perspeaive de recherche globale que, après
consacré à l'histoire de Ford et, dans une moindre mesure, de Gold, Carlsson, Mensch, Pierce et Rosegger, nous pourrions
General Motors"' ; confusion qui apparaît nettement en outre appeler «dynamique industrielle» (I.D.). L'avantage d'une
dans le contenu qu'il donne à la notion d'environnement"". Qui stricte caractérisation de cet espace de recherche, telle que
ne voit que l'environnement ainsi décrit est celui de la firme et B . Carlsson a su l'effeauer {supra, II), est de nous permettre
non pas celui de l'industrie ? d'énoncer au fond ce qui constituerait les grands principes d'ac-
Par rapport à ces critiques, qui épargnent cependant le tion de travaux futurs, inscrits dans cette perspective globale"' :
cœur de l'analyse d'Abernathy, à savoir les interactions entre la l'I.D. est plutôt orientée vers l'analyse des changements techno-
gestion de l'innovation et la configuration de l'unité productive, logiques, de ses conditions micro-économiques et de ses
nous nous bornerons à reprendre, pour finir, les différentes conséquences en termes de mutations structurelles du système
conditions d'une meilleure adéquation des représentations éco- productif. L ' I . D . se préoccupe davantage des transformations
nomiques aux réalités industrielles, énoncées et mises en œuvre structurelles que de la croissance, elle privilégie l'analyse du
par les économistes de la Case Western Reserve University, et contenu et de l'orientation des processus dynamiques au détri-
notamment par Gold et Rosegger. ment de la production de résultats a g r é é s . D e plus, toujours
Au terme d'une étude approfondie des insuffisances pro- d'après Carlsson, la construaion d'un cadre micro-macro, la
pres aux méthodes conventionnelles d'analyse et d'évaluation connaissance approfondie des processus historiques d'industria-
des innovations technologiques, Gold retrace les trois grandes lisation, l'analyse des propriétés de la dynamique des systèmes
exigences dont le respect devrait marquer une étape significative techniques et le lien avec les sciences du management constituent
dans la constitution d'une analyse scientifique des réalités indus- les quatre grandes conditions dont le respect conditionne fonda-
trielles, au sein du domaine particulier de recherche envisagé mentalement l'avancée des travaux au sein de cette perspective
dans le cadre de ce dernier paragraphe. Selon Gold"', il est impé- globale. Il s'avère en définitive que répondre à ces exigences
ratif, premièrement, d'approfondir les caraaéristiques des diffé- requiert, outre l'élaboration d'une théorie de l'industrie {supra,
rents types d'innovations, au lieu de postuler que ceux-ci sont I), la mise en place, sur le plan méthodologique, d'une procédure
essentiellement homogènes au point de vue économique ; de colleae de l'information, cohérente avec la problématique
deuxièmement, de rendre compte de la succession des effets théorique du changement technique qui sous-tend cette perspec-
intermédiaires grâce auxquels l'impact physique initial de l'inno- tive globale de recherche, et adaptée aux conditions effeaives de
vation engendre un ensemble de transformations dans les rela- réalisation des mesures. La mise au point d'une telle procédure,
tions économiques internes à la firme ; troisièmement, enfin, de dont l'élaboration est en cours d'achèvement'", constitue ainsi
montrer comment les effets des innovations sont en quelque une exigence essentielle qui, seule, permettra de passer au stade
sorte façonnés, d'une part par les choix managériaux et d'autre de la collecte systématique des données pertinentes et de leur
part par les pressions externes. interprétation en référence aux schémas théoriques forgés dans le
Auteurs notamment du modèle « productivité-coût-profi- cadre de cette analyse originale de la dynamique industrielle.
tabilité », grâce auquel il devient possible de répondre aux deux
premières exigences formulées"', Gold et ses collaborateurs ont
abordé les principaux thèmes de l'économie de la produaion
— la diffusion technologique"', l'évaluation des changements"^
l'automatisation"', les liens innovations-économies d'échelle''° et
le management stratégique''' — en prenant garde à chaque fois
d'améliorer significativement l'adéquation des représentations
aux réalités industrielles.
Notes du système productif», Critiques de l'économie politique, n° 22.
25. Cf C. Peyrard, 1985, Innovations, travailleur collectif et évolution
1. Cf. w. Bijker, T. Pinch et T. Hugues (eds), 1986, New Developments des formes de la division du travail et du savoir dans la sidérurgie fine.
in the Social Studies of Technology, Cambridge, Mass., M.I.T. Press. Annexe 2 au rapport final de l'ATP 950060, « Recherche technique et innovation
2. Cf. O.C.D.E., Direction des Affaires scientifiques, Méthode type pro- industrielle », Programme Science, Technologie, Société du CNRS.
posée pour les enquêtes sur la recherche et le développement : la mesure des 26. J.-P. Courtheoux, 1959, « Privilèges et misères d'un métier sidérurgi-
activités scientifiques et techniques. Conférence de Frascati, Paris, 1963. que au xix'= siècle : le puddleur », Revue d'histoire économique et sociale,
C. Freeman, « La Mesure des activités scientifiques et techniques », pp. 161-134.
UNESCO, Rapports et études statistiques, n° 15, 1969, Paris. 27. M. Bloch, 1948, « Les Transformations techniques comme problème
C. Freeman, « Mesure de I'output de la recherche et du développement de psychologie collective », Journal de psychologie normale et pathologique,
expérimental », Rapport inventaire, UNESCO, Rapports et études statistiques, janvier-mars, pp. 104-115.
n°16, 1970, Paris. 28. Cf a) Roy Rothwell, M. Teubal, 1977, « Sappho revisited : a reap-
3. B. R. Williams, 1961, « Conditions de l'innovation industrielle », Eco- praisal of the Sappho Data », in Karl A. Stroetmann (éd.). Innovation, Econo-
nomie appliquée, tome XIV, n° 2-3, p. 316. (Souligné par nous.) mie Change and Technology Policies, Interdisciplinary Systems Research,
4.F. Machlup, 1961, «Invention et recherche technique». Economie vol. LI, Birkhaùser, Bâle.
appliquée, tome XIV, n° 2-3, p. 278. b) H. Hakansson (éd.), Industrial Technological Development. A Net-
5. Ainsi l'invention technique n'est pas socialement située, alors que la work Approach, Croom Helm, 1987.
recherche technique est nécessairement liée à une activité d'entreprise. 29. Cf M.J. Cetron, J . D . Goldhar, 1970, The Science of Managing
6. M. Bunge, 1983, « Technologie et Philosophie », chapitre xiii, in Epis- Organized Technology, 4 volumes, Gordon and Breach, New York. Voir plus
témologie. Editions Maloine, p. 217. particulièrement les volumes I et IV.
7. J.-L. Kahn, 1968, Au service de la recherche technique. Collection de 30. Cf P. Papon, 1978, Le Pouvoir et la science en France, Editions Le
l'A.N.R-T., Editions Eyrolles, p. 36. Centurion.
8. Cf. infra, 2.1. 31. F. Perroux, 1957, Théorie générale du progrès économique. Les
9. Cf. D. Foray, 1987, Innovations technologiques et dynamique indus- composants, tome I, La Création, tome II, La Propagation. Cahiers de l'ISEA,
trielle, PUL, Lyon. série I, n° 2 et n° 3.
10. P. Garrouste, 1984, Filières techniques et économie industrielle, 32. J.-L. Maunoury, 1968, La Genèse des innovations. La création tech-
PUL, Lyon. nique dans l'activité de la firme, PUL, Paris.
11. D. Foray, 1985, « Innovation majeure et transformation des structu- 33. Op. cit.
res productives. Une étude de cas : le procédé de coulée en moule plein », Revue 34. Cf Mensch, 1975, Das technologische Patt. Innovationen Ûberwin-
économique, n° 5, pp. 1081-1116. den die Dépression, Umschau Verlag.
12. R. E. Caves, 1973, Effects of the International Technology Transfers C. Freeman, 1983, Long wawes in the World Economy, Butterworths.
on the U.S. Economy, Colloque NSF, juillet 1974, pp. 27-42. C. Freeman, J. Clark, L. Soete, 1982, Unemployment and technical
13. Il est significatif que l'apparition du collier d'attelage rigide coïncide innovation. A study oflong wawes and économie development, Frances Pinter,
avec la renaissance des villes de 800 à 1000. Cf Jean Gimpel, 1975, La Révolu- Londres.
tion industrielle du Moyen Age, Seuil, Paris, et Paul Bairoch, 1985, De Jéricho à R. Ayres, 1984, The Next Industrial Révolution, B.P.C.
Mexico. Villes et économies dans l'histoire, Gallimard, Collection Arcades. 35. T. Hagerstrand, 1957, « Migration and Area », Lund Studies in Geo-
14. C f Nathan Rosenberg, 1969, The American System of Manufactu- graphy, n° 13, Séries B, Human Geography, Lund. Voir également
res, Edinburg. Métal working: yesterday and tomorrow, The lOOth Anniver- T. Hagerstrand, « On Monte Carlo Simulation of Diffusion », in Quantitative
sary Issue of American Machinist, McGraw Hill, 1978, Otto Mayr et R. C. Post Geography, Parti: Economie and Cultural Topiois, Northwestern University
(eds). Yankee Enterprise. The Rise of the American System of Manufactures, Studies in Geography, n° 13, 1967.
Smithsonian Institution Press, 1981. 36. Cf T. Boidard, 1985, Le Modèle standard de diffusion de l'innova-
IS.Devendra Sahal, 1985, «Technological guide posts and innovation tion et ses prolongements : un examen critique. Annexe 1 au Rapport final de
avenues », Research Policy, vol. XIV, pp. 61-82. l'ATP 950069, « Recherche technique et innovation industrielle ».
16. C f D. Dufourt, « Cadrage théorique et méthodologique », in Auto- 37. Cf P. Kelly, M. Kranzberg, 1978, Technological innovation : a criti-
matisation, formes anciennes et nouvelles, PUL, 1980, pp. 3-54. cal review of current Knowledge, San Francisco Press, Inc.
17. C f Armando de Palma, Le macchine e Vindustria da Smith a Marx, 38. Cf. P. Mantoux, 1959, La Révolution industrielle au xviir siècle,
Picola Biblioteca Einaudi, n° 171, Turin. éditions Génin, Paris.
M. Khanchi, 1986, La Rationalisation du machinisme et de la division C. Ballot, 1923, L'Introduction du machinisme dans l'industrie fran-
du travail : de Babbage à Taylor, Mémoire de DEA en Economie de la produc- çaise. Comité des travaux historiques et scientifiques. O. Marquant, Lille.
tion, Université Lumière (Lyon 2). 39. Cf N. Rosenberg, 1972, Technology and American Economie
M. Berg, 1980, The Machinery Question and the Making ofthe Political Growth, M. E. Sharpe, Inc., New York.
Economy, 1815-1848, Cambridge University Press. N. Rosenberg, 1976, Perspectives on technology, Cambridge University
18. C f S. Heinman, 1980, Aspects économiques de la révolution scienti- Press.
fique et technique. Editions du Progrès, Moscou. N. Rosenberg, 1982, Inside the black-box. Technology and Economies,
W. N. Parker, Technology, « Resources and Economie Change in the Cambridge University Press.
West », in A. T. Youngson (éd.), Economie development in the long run, St F. Caron, 1985, Le Résistible Déclin des sociétés industrielles, Librairie
Martin's Press, 1972. Académique Perrin.
19. C f Don Groves, John Wachtman, 1985, «Materials Characteriza- 40. D. Dickson, 1973, « Facteurs qui ont contribué au processus d'inno-
tion. Vital and often Successful, Yet Still A Critical Problem », Materials and vation technologique pendant les premières phases de la révo ution industrielle
Society, vol. IX, n° 1, pp. 45-58. en Grande-Bretagne », in Le Transfert de technologie aux petites industries,
Nathan E. Promisel, 1985, « Of Perspectives, Issues and Politics in Mate- OCDE, Paris-, 1974, pp. 125-152.
rials Technology », Materials and Society, vol. IX, n° 3, pp. 271-280. S. Marglin, 1974, « What Do Bosses Doll ? The Origins and Fonctions of
20. C f a) R. Thaller, Les Matériaux composites et leur diffusion : une Hierarchy in Capitalist Production », Review of Radical Political Economies,
étude de cas d'innovation technologique transsectorielle et intégrative, vol. VI, pp. 60-112.
novembre 1985. A. Gorz et autres, 1973, Critiques de la division du travail. Seuil, Paris.
b) N. Massard, Recherche technique et mise en œuvre des connaissan- 41. R. Price, 1982, «Théories of labour process formation. Review
ces scientifiques dans la production : le cas des fibres optiques, novembre 1985. Essay », The Journal of Social History, pp. 91-110.
c) P. Aussendou, Stratégies industrielles et industrialisation des nouvel- 42. Cf D. MacKenzie, 1984, « Marx and the Machine », Technology and
les technologies : l'exemple des biotechnologies à partir du cas de l'Institut Pas- Culture, n° 25, pp. 473-502.
teur Production, 1972-1983. 43. Cf C. R. Littler, 1982, The Development ofthe Labour Process in
d) T. Biega, Mouvement d'industrialisation et diffusion des nouvelles Capitalist Societies, Heinemann, Londres.
céramiques : aspects techniques et technologies. P. Blackburn, R. Coombs et K. Green, 1985, Technology, Economie
Les références a, b, c, d constituent l'annexe 3 (novembre 1985) au rap- Growth and the Labour Process, MacMillan Press.
port final du contrat « Recherche technique et innovation industrielle » effectué 44. N. Wiener, 1954, Cybernétique et Société, Les Deux Rives.
sous la responsabilité scientifique de D. Dufourt et P. Garrouste dans le cadre de 45. J. A. Schumpeter, 1964, Business Cycles : a theoritical, historical and
l'action thématique programmée Science, Technique et Société du CNRS. statistical analysis ofthe capitalist process, 2 vol., McGraw Hill, New York.
21. Cf D. Dufourt, 1986, «Nouvelles technologies et création 46. Deux ouvrages, édités par Freeman, rassemblant les contributions
d'emplois », Informations et commentaires, n° 57. majeures du courant « néo-schumpeterien » sur le sujet : 1984, Long Waves in
22. N. Rosenberg, C. Frischtak, 1984, « Technological innovation and the world economy, Frances Pinter, Londres.
long wawes », Cambridge Journal of Economies, vol. VIII, pp. 7-24. 1984, Design, innovation and long cycles, Frances Pinter, Londres.
23. C f A. Barcet, C. Le Bas, C. Mercier, 1985, Savoir-faire et change- 47. J.-P. Potier, in « Innovations et mouvement long de type Kondratieff
ments techniques : essai d'économie du travail industriel, PUL, Lyon. Le "modèle Schumpeter-Mensch" : un mythe », Annexe 1 du rapport final
24. C f D. Foray, 1983, « Dynamique de l'automatisation et dynamique S.T.S., novembre 1985, op. cit., rappelle que Schumpeter a bénéficié en la
matière d'un double héritage : celui de Kondratieff certes, mais aussi celui du lopments in the Social Studies of Technology, MIT Press, Cambridge, Mass.
Français). Lescure. J.-L. Gaffard et E. Zuscovitch, 1986, « Mutations technologiques et choix
48. Séquence mise au point dans le premier ouvrage de Schumpeter, stratégiques des entreprises », papier préparé pour le Manuel d'économie indus-
1961, Theory of Economie Development, Oxford University Press, New York. trielle, GRECO-CNRS (éd.).
49. Coïncidence qui expliquerait par exemple, selon Schumpeter, la crise 83. J.-L. Gaffard et al., 1986, op. cit.
de 1929. 84. R. Nelson et S. Winter, 1977, « In search of a useful theory of innova-
50. J.-P. Potier, 1985, op. cit. tion », Research Policy, vol. VI.
51. Rappelons tout de même qu'une voix au moins rompit le silence avant 85. Démarche en quelque sorte prolongée et systématisée par K. Pavitt,
la période contemporaine ; celle de F. Perroux qui offre en 1965 une contribution comme le montrent Gaffard et autres, in, 1984, « Sectoral Patterns of technical
de premier ordre à l'analyse de l'œuvre de Schumpeter, 1965, La Pensée écono- change, towards a taxonomy and a theory », Research Policy, 13.
mique de Schumpeter, Librairie Droz, Genève. 86. D'où quelques flottements dans la définition de la notion même de
52. G. Mensch, 1975, D^s Technologische Patt, Innovationen Ûherwin- sélection. Celle-ci s'opère-t-elle dans un champ des possibles (Dosi), ce qui est en
den die Dépression, Umschau Verlag, Francfort-sur-le-Main. contradiction flagrante avec la « pensée biologiste », ou parmi les existants
53. Jewkes, Sawers et Stillerman, 1958, The sources of invention, (Nelson et Winter) ? Sur ce point, cf. les observations pertinentes de Van den
MacMillan, Londres {X éd. en 1969). Belt et ali., 1986, op. cit.
54. Cf. E. Mansfield, 1983, «Long wawes and technological 87. Cf. N. Massard, 1985, op. cit.
innovations », Papers and Proceedings of the American Economie Review. 88. D. Sahal, 1979, Récent advances in a theory of technological change,
C. Freeman, J. Clark et L. Soete, 1982, Unemployment and technical discussion papers. International Institute of Management, W. Berlin.
innovation, Frances Pinter, Londres. 1980, Farm tractor and the nature of technological innovation, discus-
55. A. Kneinknecht, 1984, « Prosperity, crisis and innovation patterns », sion papers. International Institute of Management, W. Berlin.
Cambridge journal of économies, 8. 1980, The nature and significance of technological cycles, discussion
56. J. Van Duij, 1983, The Long Wave in Economie Life, G. Allen and- papers. International Institute of Management, W. Berlin.
Unwin, Londres. 89. F. Fischer et P. Temin, 1973, « Return to scale in research and deve-
57. C. Freeman et al., 1982, op. cit., chap. m. lopment : what does the Schumpeterian hypothesis imply ? », Journal of Politi-
58. Selon l'expression que Y. Ullmo emploie à propos des cycles de Kon- cal Economy, 81.
dratieff, in « Notes de lecture », Revue économique, vol. XXXVII, 3, 1986. 90. Cf. D. Hamberg, « Invention in the industrial research laboratory »,
Pour Sahal, il conviendrait d'ailleurs de bien distinguer les grappes Journal of Political Economy, avril 1963.
composées d'innovations non liées des grappes constituées par des innovations W. Comanor, 1967, « Market structure, product differentiation and
se produisant mutuellement. Les premières renverraient aux cycles d'innova- industrial research», Quaterly Journal of Economies, 81.
tions et les secondes aux cycles technologiques. Seules ces dernières devraient F. M. Scherer, 1965, « Firm size, market structure, opportunity and the
être mises en relation avec les cycles longs. output of patented inventions », The American Economie Review, 55.
Cf. D. Sahal, 1983, « Invention, innovation and économie évolution», 91. J. Markham, 1965, « Market structure, business conduct and innova-
Technological forecasting and social change, 23. tion », Papers and Proceedings of the American Economie Review.
59. C. Freeman a affiné depuis sa lecture des dynamiques technologiques 92. F M. Scherer, 1967, « Research and development resource allocation
en distinguant trois catégories « d'événement » : les innovations radicales, les under rivalry », Quaterly Journal to Economies, 81.
nouveaux systèmes technologiques et les changements de paradigme technico- 93. Cf. R. Lewin, A. Klevorick, R. Nelson et S. Winter, 1984, Survey
économique ; chacun pesant d'un poids différent dans les mouvements longs. Cf. research on R-D appropriability and technological opportunity. Part 1, Yale
C. Freeman et C. Perez, The diffusion of technical innovations and changes of University.
techno-economic paradigm, Venice Conférence on innovation diffusion, mars 94. M. Kamien et N. Schwarz, 1982, Market structure and innovation,
1986. Cambridge University Press, Londres.
60. S. Solomou, 1986, « Innovation Clusters and Kondratieff Long 95.J. Devine, 1974, «Diversification, merger and innovation», in
Wawes in économie growth », Cambridge Journal of Economies, 10. Devine et autres. An introduction to industrial économies, Georges Aller et
61. S. Moss, 1986, « Investment and innovation over the long wawe », Unwin, Londres.
Research Policy, 15. 96. Dasgupta et Stiglitz, 1980, « Industrial structure and the nature of
62. N. Rosenberg et C. Frischtak, 1984, op. cit. innovative activity », Economie Journal, 90.
63. Dans sa réponse, C. Freeman notait que les trajectoires technologi- 97. E. Mansfield, 1968, Industrial Research and Technological Innova-
ques déterminent les caractéristiques des ondes longues, seulement si leur appli- tion, W. W. Norton, New York.
cation est générale ; ce critère de généralité intégrant trois dimensions : universa- 98. E. Mansfield, 1961, « Technical change and the rate of imitation »,
lité technique, conditions écologiques, conditions sociales et institutionnelles. Econometrica, 29. Outre la profitabilité, deux autres facteurs sont considérés
C. Freeman, «Prometheus Unbound », Futures, 1984. comme déterminants : le volume des investissements requis et le nombre des fir-
64. Cf. D. Foray, 1987, op. cit., chap. iv. mes ayant déjà adopté l'innovation.
65. Cf. N. Massard, 1985, op. cit. 99. D. Mowery, 1986, The diffusion of new manufacturing technolo-
66. B. Carlsson, Reflections on « Industrial Dynamics », the Challenges gies, Carnegie Mellon University.
Ahead, 12^ conférence annuelle de l'EARIE, Cambridge, septembre 1985. 100. P. David, 1969, A contribution to the theory of diffusion, Center of
67. La manière dont l'Industrial Organization aborde la question de l'in- research on économie growth mémorandum.
novation sera envisagée ultérieurement. 101. N. Rosenberg, 1972, « Factors affectingthe diffusion of new techno-
68. E. Dahmen, 1984, « Schumpeterian Dynamics : some methodologi- logy », Exploration in Economie History, vol. X, n° 1.
cal notes », Journal of Economie Behaviour and Organization, vol. V, 1. 102. B. Gold, 1983, « On the adoption of technological innovations in
69. N. Rosenberg, 1969, op. cit. industry : superficial models and complex décision processes », The trouble
70. N. Rosenberg, 1976, op. cit. with technology, Frances Pinter, Londres.
71. Cf. D. Dufourt, 1986, op. cit. 103. Facteurs dont la prise en considération remet en cause la structure
72. N. Rosenberg, 1976, op. cit. théorique même du modèle de Mansfield. Sur ce point, cf. T. Boidart, 1985, op.
73. Blackburn, Coombs et Green, 1985, Technology, économie growth cit., et D. Foray et C. Le Bas, « Diffusion de l'innovation dans l'industrie et fonc-
and the labour process, MacMillan Press. tion de recherche technique : dichotomie ou intégration », Economie appliquée,
74. J. Schmookler, 1966, Invention and Economie Growth, Harvard tome X X X I X , n° 3.
University Press, Cambridge, Mass. 104. E. Mansfield s'est ainsi intéressé récemment au problème de la circu-
75. G. Dosi, 1984, Technical Change and Industrial Transformation, lation de l'information entre les firmes rivales, 1985. « How rapidly does new
MacMillan, Londres. industrial technology leak out ? », Journal of Industrial Economies, vol.
76. D. Mowery et N. Rosenberg, 1979, « The. influence of market XXXIV, n° 2.
demand upon innovation : a critical review of some récent empirical studies », 105. Les articles de base d'Abernathy et Utterback ont été publiés en
Research Policy, vol. VIII. 1975, « A dynamic model of product and process innovation », Oméga, 3 et en
77. D. Sahal, 1981, Patterns of Technological Innovation, Addison- 1978, « Patters of industrial innovation », Technology Review, 80.
Wesley Publishing Company, Reading, Mass. 106. Burns et Stalker, 1961, The management of innovation, Tavistocks
78. F. M. Scherer, 1984, Innovation and Growth, The MIT Press, Cam- Pub., Londres.
bridge, Mass. Pour un bilan raisonné de l'ensemble de cette littérature, cf. J.-C. Taron-
79. W. Abernathy, 1978, The Productivity Dillemma, The John deau, 1982, Produits et technologie : choix politiques de l'entreprise indus-
Hopkins University Press, Baltimore et Londres. trielle, Dalloz, Paris.
80. R. Nelson et S. Winter, 1982, An Evolutionary Theory of Economie 107. W. Abernathy et K. Clark, 1985, « Innovation : Mappingthe winds
Change, Havard University Press, Cambridge, Mass. of créative destruction », Research Policy, 14.
81. G. Dosi, 1984, op. cit. 108. Abernathy et Utterback, 1975, op. cit.
82. Deux études récentes font le point sur ce courant d'analyse : H. Van 109. Abernathy, 1979, op. cit.
de Belt et A. Rip., 1986, « The Nelson-Winter/Dosi Model and Synthetic Dye 110. Abernathy et Clark, 1985, op. cit.
Chemistry », Paper prepared for Bijker, Pinch and Hughes (eds.), New Deve- 111. Abernathy et Clark, 1985, op. cit. La notion de « dé-maturité » est
au cœur des propositions de politique industrielle formulées par Abernathy,
Clark et Kantrow, Industrial Renaissance, Basic books, New York, 1983.
112. Piore et Sabel, 1984, The second industrial divide, Basic books,
New York, Sabel et Zeitlin, « Historical alternatives to mass production : poli-
tics, markets and technology in xix' », Past and Présent, 108, 1985.
113. Abernathy, 1978, op. cit.
114. Abernathy et Clark, 1985, op. cit.
115. B. Gold, G. Rosegger, M. Boylan, Evaluating Technological Inno-
vations, Lexington books, Lexington Mass., 1979.
116.B. Gold, «Productivity, technological change and international
competitiveness », Technovation, 1, 1982.
117. B. Gold, « Technological diffusion in Industry : Research needs and
, short-comings », The Journal of industrial économies, mars 1981.
G. Rosegger, « Diffusion of technology in industry », in Gold et autres,
1979, op. cit.
118. G. Rosegger, « Comparing a new technology with its predecessor-
Steel Making», Oméga, 5, 1980.
M. Boylan, « Evaluating Input Changes in a given facility — Iron
Making», Oméga, 5, 1980.
119. B. Gold, « Perspectives on continuing advances in automation : past
limitations and emerging potentials », Technovation, 4, 1986.
120. G. Rosegger, « Diffusion and scale dynamics : a case study », Tech-
novation, 1, 1982.
121. B. Gold, « CAM set new rules for production », Havard Business
Review, novembre-décembre, 1983.
122. B. Carlsson, 1985, op. cit.
123. Cf. « L'Observation des changements techniques », numéro spécial
de la revue Analyse de Systèmes, préparé et rédigé par des membres de l'UA
CNRS 945, « Economie des changements technologiques », paru en septembre
1987.

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