La blessante
clarte de
Wittgenstei
lest un des plus grands philosophes du XX'siécle et, si sa pensée
reste d'une exigence extréme, sa "Correspondance philosophique””
traduite par Elisabeth Rigal, offre un précieux apercu sur sa créativité
de penseur reléqué dans une solitude radicale. pan novent nepexer
CORRESPONDANCE Z
ce qutun pen: ‘grandeur que naus sommes tiands mondiale, immédiat aprés-querre.
seur original ? La {de pareilles correspondances. Nile Atmosphere intellectuelle: Vienne
réponse cingle : un ‘voyeurismenitajalousier’entrenten et Cambridge, les échanges, qui sou
ppenseur dont foxuvre ligne de compte. C'est au contraire vent finissent dans "incomoréhen:
constitue une origine. mus par fenvie de sintroduire dans sion, avec quelques titans. Ceux-c
Aprés lui, rien ne peut plus étre atmosphere ou une pensée de portent des noms : Bertrand Rus
‘comme avant. I! modifie durable premigre force a pu germer,naftre, sell, George-Edward Moore, John
ment le cours de la pensée. Il on ‘rottre. est pour cOtoyer la gran: Maynard Keynes, Rudolph Carnap
‘transforme le paysage.lI en appa dour Soit:lireceslettres écrtes par et Gottlob Frege, inventeur de la
ralt que deux ou trois dela sorte par Wittgen-steln revient a approcher ogique formelle moderne. Atmos:
siecle, Au XX siécle, sels Edmund deson cuvre, faire unpas verselle, phére des lieux ol esprit et His:
Husser! (qui fut, salon Gérard Gra: avancer vers le seul toire se croisent : Vienne et Cam-
nel, « le plus grand philosophe Certes, la correspondance bridge au temps de leur splendeur,
apparu depuis les Grecs >), Martin rouvee pas les portes de leuvre. Toutes ces ltres sont imprégnées
Heidegger, son disciple, et Ludwig Celle reste difficile, résiste & la de.ces atmospheres; c'est en elles,
Wittgenstein paraissent de cette facilté, exigeant de son lecteur un et non dans oeuvre, que le lecteur
trempe. La récente publication, travail acharné. Russell luirméme aura leloisir de pénétrer.
dans une traduction <'Elisabeth 4 ne comprend pas un traitre
Rigal, aux éditions Gallimard, de la ‘mot de mon travail », reconnait “NE SORTE DE COMBAT”
Correspondance philosophique de Wittgenstein, en 1919. faut des
Wittgenstein, permet aularge public années avant avoir faite tour cu Du début (en 1912, alors qu'il n'a
aller vers ce philosophe. Tractacus logico-philosophicus,'e que 23 ans) aa fin (on 1951, année
‘Les lttres rapprochent les étres seul livre que Wittgenstein ait fait de la mort du philosophe), cette
humains les uns des autres. Si elles publier avec forcedifficulté).Ifaut correspondance est marquée par
rapprochent écivainset pilosophes | ‘des années avant de commencer deux traits allan :Texpérience de
de leurs parents et amis, elles leur 3 le comprendre. Wittgenstein, la solitude de la pensée, et de son
font nouer aussi des relations plus | “mwa=m= | a ne se lt pas, ¢a se travaille | _intermitence entre des tats vaé
I
faut penser, fare de la philosophie
dans les intervalles signalés par ce
« presque », Du fait des obstacles
‘que sa santé dresse devant son tra
vail penser est Spisodique. Le poids
du corps et du psychisme éloigne
les unes des autres les périodes
non de santé mais, employons
une catégorie nietzschéenne, de
«grande santé », nécessaires a la
pensée dont le surgissement est
aléatoire,Instituteur 8 Trattenbach,
village autrichien éloigné de toute
humanité raisonnable, dans les,
années 20, Wittgenstein confesse
3 Russell quill est déprimé, las de
vivre, et bien entendu incapable
de faire dela philosophie. Si Pascal
décrivait les avantages de la mala-
die, Wittgenstein se lamente plutot
de Ses inconvénients,
Nul ne tiendra ces lettres pour
Une introduction 3 la philosophie
de Wittgenstein. Elles permettent
cependant de approche, tout en
invitant & franchir le soull. Par ai-
leurs, elles possedent une vateur
cen elles-memes, indépendante de
oeuvre. En effet, elles sont le mell-
leur témoignage qui soit de 'expé:
rience de la pensée. Wittgenstein
"éprouve dans une triple difficulté
celle d’étre en mal de penser, celle
du passage de cet appel a la per:
sée a sa réalisation, et enfin celle
de la compréhension. Il est amer,
se plaint-l, en 1919, en évoquant
son Tractacus logico-philosoph
cus, « de penser que personne
ne fe comprendra, méme une fois
imprimé ».
29a ei 206i 7