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Le bonheur n'est pas une partie de plaisir.

Dans un recueil d'articles qu'il consacre Siegfried Kracauer (intitule en franais Kracauer
l'exile), l'historien et philosophe tats-unien Martin Jay, spcialiste notamment de la Thorie
critique, note ceci : dans les annes 1960, Adorno souponne Kraucer auquel le lie ce que Jay
appelle < une amiti perturbe >> d'tre devenu << un conformiste en qute de bonheur >>. Il en
veut pour preuve, notamment, son intrt pour les industries culturelles, ses faiblesses supposes
pour le cinma commercial d'Hollywood.
Le retournement qui s'opre dans le <<soupon>> adornien mrite qu'on s'y arrte. Selon
cette optique et la critique de la modernit qui la fonde, la qute du bonheur cesse absolument
d'tre l'horizon dans lequel le sujet thique inscrit ses conduites, elle est au contraire un chemin de
traverse et une capitulation face aux conditions existantes - c'est--dire, pour reprendre la formule
adornienne, la vie mutile. In ne saurait imaginer plus radicale rupture dans le cours de la tradition
philosophique issue de la Grce antique, copie par les Romains, remise en selle par un
Montaigne, etc. Dans l'optique <<renverse>> que propose Adorno, dans la perceptive de la
critique qu'il soutient, l'accord que recherche le sujet avec le cosmos, cette sorte d'harmonie qui
constitue la ligne d'horizon de la qute du bonheur, ceci devient le geste biais par excellence.
Vivre dans la vrit, dans l'esprit de la critique, c'est au contraire cultiver, approfondir sans relche
l'irreconciliation avec le monde dans sa forme prsente, s'tablir dans la dysharmonie et donc
rcuser toute espce de <<bonheur>>, en ce sens. Le bonheur est devenu une denre avarie,
une sduction corruptrice, car il est ce qui tend rconcilier le sujet avec le faux cosmos par
excellence - le monde de la marchandise, de l'alination du sujet aux ftiches ou encore, en
langue benjaminienne, aux fantasmagories de toute sorte.

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