Vous êtes sur la page 1sur 10

14/2/2017 Les expressions de puissance d’agir chez Spinoza - La spécificité de la conception spinoziste de l’éternité de l’esprit - Publications de la S…

Publications
de la
Sorbonne
Les expressions de puissance d’agir chez Spinoza
| Chantal Jaquet

La spécificité de la
conception
spinoziste de
l’éternité de l’esprit
p. 39-46

Texto completo
1 L’éternité commune que Spinoza propose aux hommes de
partager n’est cependant pas banale, car elle ne se présente
http://books.openedition.org/psorbonne/134 1/10
14/2/2017 Les expressions de puissance d’agir chez Spinoza - La spécificité de la conception spinoziste de l’éternité de l’esprit - Publications de la S…

pas comme le couronnement de vertus théologales, mais


théorétiques, puisqu’elle est le corrélat de la puissance
intellectuelle de l’entendement. Ainsi « le suprême effort de
l’esprit et sa suprême vertu » ne consistent pas à cultiver la
foi, l’espérance et la charité, mais à « comprendre les choses
par le troisième genre de connaissance »1. Le désir de
connaître n’a ni le goût du fruit défendu, ni l’odeur du péché
d’orgueil ; il ne porte pas en lui les germes de la mort mais de
l’éternité. Loin de souscrire pleinement aux paroles de
l’Ecclésiaste et de valoriser l’humilité intellectuelle, Spinoza
proclame ouvertement que quiconque accroît sa science
accroît son bonheur. L’originalité de la conception spinoziste
de l’éternité de l’esprit tiendrait donc à son intellectualisme.
2 Toutefois, avant de faire de l’auteur du Traité de la réforme
de l’entendement le buccinateur des Lumières, il faut
remarquer que l’idée selon laquelle la connaissance vraie
confère l’éternité n’est pas neuve, puisqu’elle figure aussi
bien dans la tradition philosophique grecque que dans la
pensée juive. Si le philosophe platonicien est aussi un homme
politique qui doit remplir son devoir royal bon gré mal gré,
dans la cité, il n’en reste pas moins un esprit épris de
contemplation. La vision intelligible des idées arrache l’âme
au tourbillon mortel du devenir et lui confère l’être immuable
grâce à sa participation au divin. Sans mépriser les vertus de
l’intellect pratique, Aristote à son tour affirmera la
souveraine perfection du genre de vie contemplatif. Les
vertus théorétiques l’emportent sur les vertus morales et la
prudence cède le pas à la sagesse même si le chemin de la
contemplation est malaisé. Cette suprématie accordée à la vie
contemplative est légitime en raison de la double perfection,
du sujet qui exerce la meilleure partie de lui-même, à savoir
l’intellect, et de l’objet auquel il s’attache, à savoir Dieu,
substance première. La vie selon l’intellect procure le
bonheur et constitue le Souverain Bien, car elle arrache
l’homme à son destin mortel en affirmant la prééminence de
l’élément divin en lui.
« Si donc l’intellect est quelque chose de divin par
comparaison avec l’homme, la vie selon l’intellect est
également divine comparée à la vie humaine. Il ne faut donc
pas écouter ceux qui conseillent à l’homme, parce qu’il est
http://books.openedition.org/psorbonne/134 2/10
14/2/2017 Les expressions de puissance d’agir chez Spinoza - La spécificité de la conception spinoziste de l’éternité de l’esprit - Publications de la S…

homme, de borner sa pensée aux choses humaines, et mortel,


aux choses mortelles, mais l’homme doit, dans la mesure du
possible, s’immortaliser et tout faire pour vivre selon la partie
la plus noble qui est en lui… »2

3 Bien que sa conception de l’éternité ne puisse être assimilée à


une forme d’immortalité, Spinoza s’inscrit dans un courant
de pensée classique qui voit dans la puissance cognitive un
moyen de vaincre la mort et qui estime que, hors de l’esprit,
point de salut, quel que soit par ailleurs le rôle attribué au
corps dans cette conquête du salut. L’inventaire de la
bibliothèque spinoziste révèle la présence d’ouvrages
aristotéliciens et, s’il n’est pas absolument certain que
Spinoza disposait d’un volume de l’Éthique à Nicomaque, il
connaissait toutefois bien les thèses d’Aristote. De toute
façon, l’idée d’une conquête de l’éternité par les voies de
l’entendement lui était familière en raison de sa double
formation intellectuelle latine et juive.
4 Spinoza possédait un exemplaire du Guide des Égarés et il
n’ignorait manifestement pas les analyses de Maïmonide
comparant la valeur respective des « quatre espèces de
perfection » distinguées par « les philosophes anciens et
modernes ». L’auteur du Guide définit d’abord l’espèce qui a
le moins de valeur à ses yeux et qu’il appelle « perfection en
fait de possession »3. Cette première espèce regroupe en fait
l’idéal ploutocratique et l’idéal timocratique qu’Aristote
distinguait dans l’Éthique à Nicomaque. En effet, le désir de
richesse qui anime l’homme d’affaires et la soif d’honneur et
de dignité propre à l’homme politique s’alimentent en réalité
à la même source, la volonté de posséder, et ne sont pas de
nature différente. Ils concernent des biens extérieurs à nous
et qui ne dépendent pas de nous. Biens imaginaires et non
réels, accidentels et non essentiels en raison de leur caractère
fluctuant et périssable.
5 La deuxième espèce de perfection « se rattache plus que la
première à l’essence de la personne : c’est la perfection dans
la conformation et la constitution du corps »4. Les hommes
qui la recherchent sont non seulement soucieux de la santé
de leur corps mais de son épanouissement et de sa beauté.
Cette perfection toute corporelle que l’homme ne possède pas
« en tant qu’homme » mais qu’il partage « avec les plus vils
http://books.openedition.org/psorbonne/134 3/10
14/2/2017 Les expressions de puissance d’agir chez Spinoza - La spécificité de la conception spinoziste de l’éternité de l’esprit - Publications de la S…

des animaux » s’efface devant la troisième espèce qui


concerne les qualités morales et l’acquisition de la vertu. Tout
en reconnaissant le caractère essentiel de la perfection
morale, Maïmonide considère qu’elle n’est pas le bien
suprême et absolu. Il rejoint ainsi Aristote dans l’affirmation
de la supériorité des vertus intellectuelles.
« La quatrième espèce est la véritable perfection humaine ;
elle consiste à acquérir des vertus intellectuelles, c’est-à-dire à
concevoir des choses intelligibles, qui puissent nous donner
des idées saines sur les sujets métaphysiques. C’est la fin
dernière <de l’homme> qui donne à l’individu humain une
véritable perfection ; elle appartient à lui seul, c’est par elle
qu’il obtient l’immortalité et c’est par elle que l’homme est
<réellement homme>. »5
6 En dépit des distances que Spinoza prend explicitement à
l’égard de Maïmonide dans le Traité théologique et politique,
il partage avec lui l’idée d’une solidarité entre l’éternité de
l’esprit et sa puissance de comprendre. Cependant, sous des
airs de fausse parenté, il s’éloigne de la tradition. Malgré un
appareil conceptuel classique, il inaugure une voie d’accès à
l’éternité totalement éclairée par la lumière naturelle, sans
recourir à aucun mythe, ni à aucune croyance religieuse, pour
baliser, illustrer ou corroborer sa doctrine. Il ne cherche pas à
établir une correspondance entre le contenu de sa
philosophie et celui de la foi. Sur ce point, il se démarque
totalement de Maïmonide et de son postulat de l’unité entre
foi et savoir. Pour lui, foi et savoir doivent être absolument
distingués non pas en vertu de leur caractère foncièrement
contradictoire et antinomique mais en vertu de leur radicale
altérité. La foi vise l’obéissance et se distingue de la
connaissance naturelle aussi bien par son objet que par ses
fondements et ses moyens6. C’est d’ailleurs au nom de cette
autonomie de la spéculation rationnelle que l’auteur du
Traité théologique et politique en vient à revendiquer la
liberté de philosopher. La connaissance naturelle et la
connaissance révélée n’ayant rien en commun, « chacune
occupe son domaine sans s’opposer à l’autre et sans devoir la
servir »7.
7 C’est cette différence bien connue de principe qui va
permettre d’expliquer pourquoi l’immortalité
http://books.openedition.org/psorbonne/134 4/10
14/2/2017 Les expressions de puissance d’agir chez Spinoza - La spécificité de la conception spinoziste de l’éternité de l’esprit - Publications de la S…

maïmonidienne n’a rien à voir avec l’éternité spinoziste. En


affirmant l’unité entre la foi et le savoir, l’auteur du Guide des
Égarés est amené à tenter une conciliation difficile entre la
spéculation et la révélation. Ainsi l’immortalité acquise grâce
aux vertus intellectuelles doit nécessairement coïncider avec
les enseignements religieux et prendre la figure d’une
résurrection dont il faut élucider le caractère énigmatique en
vertu de l’exigence d’unité et de compatibilité entre la raison
et la révélation. C’est pourquoi Maïmonide s’efforce dans son
Épître sur la Résurrection des morts de réfuter ceux qui
nient la résurrection des morts et qui demeurent perplexes
devant les affirmations contradictoires de la Tora à ce sujet.
La résurrection se présente comme un miracle, car elle paraît
violer les lois naturelles. Toutefois, ce miracle n’est pas
incompréhensible. Il suffit de prouver que les miracles sont
logiquement possibles pour que la résurrection n’apparaisse
plus nécessairement comme une croyance irrationnelle. Par
possible, Maïmonide entend à la fois ce qui est non
contradictoire et ce qui peut être admis sur la base du
témoignage des prophètes. Il ne suffit pas en effet de montrer
qu’une chose est non contradictoire pour l’admettre, il faut
aussi une raison positive. Cette raison positive repose sur le
récit des prophètes et la foi que nous leur accordons.
Maïmonide va ainsi déduire la possibilité de la résurrection à
partir de la croyance en la création du monde ex nihilo.
« La croyance en la création du monde ex nihilo oblige
nécessairement à croire que tous les miracles sont possibles,
et donc que la résurrection des morts est possible ; et tout ce
qui est possible quand un prophète nous en apporte le récit,
nous le croyons et nous n’avons pas besoin de l’expliquer ni
de le faire sortir de son sens obvie. »8
8 Or, dans le Guide des Égarés, il a montré l’absurdité de la
croyance en l’éternité du monde et établi la thèse de la
création ex nihilo. Par conséquent, si le miracle qui consiste à
faire jaillir l’être du néant s’est réalisé, a fortiori tous les
miracles sont possibles, y compris celui de la résurrection.
9 Pour Spinoza, l’auteur du célèbre guide finit lui aussi par
s’égarer, car tout en proclamant les vertus de l’intellect, il est
conduit malgré lui à subordonner le savoir à la foi ou à
interpréter l’Écriture d’une manière telle qu’elle ne
http://books.openedition.org/psorbonne/134 5/10
14/2/2017 Les expressions de puissance d’agir chez Spinoza - La spécificité de la conception spinoziste de l’éternité de l’esprit - Publications de la S…

contredise pas la raison. Il oblitère ainsi le sens des textes


sacrés ou congédie la raison, renonçant à toute explication
plus serrée après avoir montré la possibilité du miracle. Il
exerce de ce fait une double violence qui dénature et
l’Écriture et la raison.
« Si, pour lui, il était établi par la raison que le monde est
éternel, il n’hésiterait pas à forcer l’Écriture et à l’expliquer de
telle sorte qu’elle finisse par avoir l’air d’enseigner cela
même. »9
10 Par ailleurs, la méthode de Maïmonide rend fragile la thèse
de l’immortalité de l’esprit. Celle-ci en effet ne résulte pas de
l’examen de la nature interne de l’esprit et ne découle pas
d’une démonstration directe, fondée sur une nécessité propre
à l’esprit. Elle est établie indirectement, car somme toute elle
dépend de la démonstration de la fausseté de la thèse de
l’éternité du monde. Or, s’il était établi que le monde est
éternel, Maïmonide ne pourrait plus s’appuyer sur cet
argument de la création ex nihilo pour soutenir que
l’immortalité conquise grâce aux vertus intellectuelles prend
la forme d’une résurrection. La récusation de la thèse d’une
création ex nihilo risquerait d’entraîner dans sa chute la thèse
d’une résurrection. Il devient en effet impossible, dans ce cas
de figure, de faire état d’un miracle premier pour attester de
la possibilité de tous les miracles, y compris celui de la
résurrection. Il faudrait alors trouver un autre miracle.
11 Spinoza refuse cette logique piégée et s’efforce de décrypter le
vrai sens de l’Écriture à la lumière de l’Écriture elle-même et
d’établir philosophiquement l’éternité de l’esprit à la lumière
de la seule raison. De toute façon, avant de voir si l’Écriture
s’accorde avec la raison ou la contredit, il faut établir le sens
du texte sacré et l’examiner de manière interne en dégageant
ses propres normes et finalités. Il n’est donc pas plus légitime
d’asservir la philosophie à des exigences religieuses qui lui
sont étrangères que de torturer l’Écriture au nom d’une
raison qui la questionne de l’extérieur. Mythes, paraboles et
prophéties ne délivrent pas d’enseignement philosophique.
C’est pourquoi la démonstration de l’éternité de l’esprit
s’effectue purement de manière géométrique sans référence
ni appel à des croyances religieuses.

http://books.openedition.org/psorbonne/134 6/10
14/2/2017 Les expressions de puissance d’agir chez Spinoza - La spécificité de la conception spinoziste de l’éternité de l’esprit - Publications de la S…

12 La partie V de l’Éthique n’introduit pas une rupture analogue


au saut de la foi qui désavoue une raison superbe et
impuissante. Si elle annonce un changement de perspective,
elle ne congédie pas pour autant la méthode géométrique.
L’éternité de l’esprit n’est ni un dogme religieux, ni un
mystère sacré comme celui de la résurrection. Elle se prouve
et s’éprouve certes, mais non comme un acte de foi. Entre la
croyance en une vie éternelle et la démonstration de l’éternité
de l’entendement existe la même distance que celle qui
sépare la certitude morale de la certitude mathématique10.
Dénuée de tout fondement religieux, l’éternité est le résultat
d’une déduction conforme au système. Ainsi, la
démonstration more geometrico de l’éternité prouve
l’autonomie de la spéculation philosophique et la distingue
radicalement du mythe ou de la croyance.
13 L’écart qui sépare la démarche spinoziste de la tradition
philosophique ne se résume pas à des différences
méthodologiques. Comme la méthode est inséparable du
contenu, c’est tout le sens de la recherche du salut et de
l’éternité qui se trouve modifié. En effet, la conquête de
l’immortalité de l’âme était généralement envisagée comme
la poursuite d’un idéal situé aux confins de l’horizon humain.
Elle venait couronner les efforts d’une raison qui s’arrime au
divin pour échapper au tourbillon du devenir et de la mort
grâce à cette union. En ce sens, la contemplation constitue un
avant-goût éphémère du bonheur futur dont jouira l’âme
après la mort. Or, chez Spinoza, l’éternité s’éprouve
actuellement et ne saurait succéder à une existence
temporelle, faute de quoi elle se réduirait à une modalité de
la durée.
14 C’est pourquoi elle n’est ni une récompense future ni le
résultat d’un jugement dernier. Spinoza rejette ainsi tous les
mythes et toutes les croyances qui présentent l’immortalité
comme la récompense du mérite des justes. Il ne souscrirait
donc pas plus au mythe d’Er le Pamphilien qu’à la conception
judéo-chrétienne de la résurrection. Il dissocie ainsi
totalement la doctrine de l’éternité d’une théorie de la
rétribution des œuvres. Une telle conception implique
nécessairement la croyance en un Dieu juge qui trie le bon

http://books.openedition.org/psorbonne/134 7/10
14/2/2017 Les expressions de puissance d’agir chez Spinoza - La spécificité de la conception spinoziste de l’éternité de l’esprit - Publications de la S…

grain de l’ivraie, rétribue les bons et met au rebut les


méchants.
15 Or, pour Spinoza, prêter à Dieu les qualités d’un juge qui
s’afflige des œuvres des méchants et se réjouit de celles des
justes, c’est sombrer dans l’anthropomorphisme le plus
grossier. Il y a peut-être « lieu en théologie de dire que Dieu
éprouve des désirs, que les œuvres des méchants l’affligent et
que celles des justes lui donnent de la joie ; mais en
philosophie sitôt que nous avons aperçu qu’il est
inadmissible de conférer à Dieu les qualités pouvant rendre
un homme parfait – tout comme il est inadmissible
d’attribuer à l’homme les caractères propres à un éléphant ou
un âne – ces manières de dire et toutes autres analogues ne
conviennent plus »11. L’idée d’un jugement dernier où Dieu
consacre et massacre, élit et réprouve, invite par ailleurs les
fidèles à subordonner la moralité à des considérations
intéressées qui la pervertissent. Le salut n’est plus analysé en
termes éthiques, mais en termes économiques de gain et de
perte. La foi se résume alors à un pari avantageux où l’on
mise une existence finie pour gagner une existence infinie.
Ainsi, le coût des efforts investis sera-t-il largement
compensé et amorti par le futur profit. Celui-ci viendrait-il à
manquer ? Adieu lois, morale, religion, piété12 ! Pour Spinoza
l’éternité de l’esprit n’est pas le prix du fardeau de la
moralité, car il ne la pense pas comme une récompense.
Certes, l’élimination de l’idée de rétribution n’entraîne pas
l’absence d’une corrélation entre vertu et béatitude.
Toutefois, comme la vertu est par elle-même sa propre fin,
elle n’a besoin d’aucune autre gratification que celle qu’elle
tire d’elle-même.
16 L’originalité de la perspective spinoziste réside enfin dans le
statut accordé au corps dans la conquête du salut. Spinoza
n’épouse ni les thèses chrétiennes de la résurrection, ni les
thèses platoniciennes de la séparation du composé
psychosomatique. Il ne proclame ni la résurrection de la
chair après la mort ni la destruction pure et simple de ce qui
fut « le tombeau de l’âme ». Apparemment le corps meurt
alors que l’âme demeure ; l’esprit semble purifié de tous les
éléments qui ont trait au corps, comme la mémoire et
l’imagination, mais cette séparation de fait n’est pas une
http://books.openedition.org/psorbonne/134 8/10
14/2/2017 Les expressions de puissance d’agir chez Spinoza - La spécificité de la conception spinoziste de l’éternité de l’esprit - Publications de la S…

scission absolue consommant la fin du monisme spinoziste. Il


est vrai que Spinoza se propose d’examiner à partir de la
proposition XX de la partie V de l’Éthique « tout ce
appartient à la durée de l’esprit sans relation au corps ».
Cette formule n’introduit pas pour autant un dualisme et ne
signifie pas que l’éternité de l’esprit soit indépendante de
toute relation au corps, faute de quoi Spinoza se contredirait
en affirmant par ailleurs que la grandeur de la partie
éternelle de l’esprit est proportionnelle à l’activité du corps13.
Lorsqu’il annonce son intention d’analyser ce qui concerne
« la durée de l’esprit sans relation au corps », il sous-entend
sans relation à l’existence présente, actuelle du corps, mais il
n’exclut nullement la référence à l’essence du corps.
L’éternité de l’esprit est tributaire de la saisie intuitive de
l’essence du corps humain. Il n’est donc pas question de
rompre ce qu’il est convenu d’appeler « le parallélisme »
puisque l’esprit continue à être l’idée du corps. Il n’est plus
toutefois l’idée d’un corps existant actuellement au sens
premier du terme actuel, car il ne conçoit plus le corps « en
relation avec un certain temps et un certain lieu ». Il est l’idée
d’un corps actuel au sens second du terme, car il saisit
l’essence du corps telle qu’elle est contenue en Dieu d’une
manière éternelle et nécessaire. Spinoza ne célèbre donc ni le
triomphe de la chair, ni sa mortification, ni corps glorieux, ni
corps honteux. En ce sens, il est impropre de parler de vie
éternelle à propos de sa doctrine si l’on entend par cette
expression l’union charnelle d’un corps et d’un esprit.
L’éternité dont il est question est essentiellement
intellectuelle puisqu’elle est l’apanage de l’entendement
saisissant l’essence du corps. L’originalité de la conception
spinoziste de l’éternité de l’esprit résiderait donc bien en
définitive dans son intellectualisme. Si vie il y a, il s’agit d’une
« vie de l’esprit laquelle se définit par l’intelligence »14.

Notas
1. Éthique V, XXV.
2. Éthique à Nicomaque, X, 7, 1177b30.
3. Guide des Égarés, Troisième partie, ch. 54, p. 631, Édition Verdier.
4. Ibid., p. 632.

http://books.openedition.org/psorbonne/134 9/10
14/2/2017 Les expressions de puissance d’agir chez Spinoza - La spécificité de la conception spinoziste de l’éternité de l’esprit - Publications de la S…

5. Guide des Égarés, Troisième partie, ch. 54, p. 631 à 633, édition
Verdier.
6. Cf. Traité théologico-politique, Préface, § 11, p. 71, G. III, p.10.
7. Traité théologico-politique, Préface, § 11, p. 71, G. III, p. 11 (l. 1).
8. Épître sur la résurrection des morts, ch. VIII, p. 148, édition Verdier.
9. Traité théologico-politique, ch. VII, § 20, p. 315, G. III, p. 114, l. 8 à 10.
10. Cf. à ce propos le chapitre II du Traité théologico-politique.
11. Lettre XXIII, p. 219-220, G. IV, p. 148, l. 3 à 8.
12. Cf. à ce sujet Éthique V, XLI, scolie.
13. Éthique V, XXXIX.
14. Éthique IV, ch. V.

© Publications de la Sorbonne, 2005

Condiciones de uso: http://www.openedition.org/6540

Referencia electrónica del capítulo


JAQUET, Chantal. La spécificité de la conception spinoziste de l’éternité
de l’esprit In: Les expressions de puissance d’agir chez Spinoza [en
línea]. Paris: Publications de la Sorbonne, 2005 (generado el 14 febrero
2017). Disponible en Internet:
<http://books.openedition.org/psorbonne/134>. ISBN:
9782859448066. DOI: 10.4000/books.psorbonne.134.

Referencia electrónica del libro


JAQUET, Chantal. Les expressions de puissance d’agir chez Spinoza.
Nueva edición [en línea]. Paris: Publications de la Sorbonne, 2005
(generado el 14 febrero 2017). Disponible en Internet:
<http://books.openedition.org/psorbonne/127>. ISBN:
9782859448066. DOI: 10.4000/books.psorbonne.127.
Compatible con Zotero

http://books.openedition.org/psorbonne/134 10/10

Vous aimerez peut-être aussi