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Gardent Stéphane

Mémoire de Master 2 recherche en Sciences de l’Information et


Communication : 24 crédits

Sports, communication et géopolitique :

le cas du Qatar

Université Stendhal, Institut de la Communication et des Média


Avenue du 8 mai 1945, 38130 Echirolles

UFR de communication

Sous la direction de Patrick-Yves Badillo

Année universitaire 2011 – 2012

1
2
Remerciements :
En premier lieu, je souhaite remercier mon tuteur de
mémoire, Monsieur Patrick-Yves Badillo pour le temps,
les orientations et les conseils qu’il m’a accordés durant
cette année me permettant ainsi de réaliser ce travail de
recherche.

En second lieu, je souhaite remercier mes parents et


mon frère pour deux choses : tout d’abord pour leur aide
dans la vérification de la langue française mais aussi
pour leur soutien durant cette année de travail.

Enfin je souhaite remercier mes amis qui ont su me


soutenir cette année dans la réalisation de ce mémoire.

Merci à tous et à toutes.

3
Résumé :
Ce mémoire traite du rapport entre le sport et les relations
géopolitiques et diplomatiques inter-états. A travers l’exemple
du Qatar qui a décidé d’investir de manière importante le
monde sportif pour se faire connaitre du monde et exister sur
la carte géopolitique, nous avons étudié la relation entre sport,
communication et enjeux géopolitiques. Partir de la lunette
qatarie pour élargir à l’ensemble des relations entre les états
par le biais du sport nous semble le plus approprié dans la
mesure où le Qatar est le pays qui investit le plus dans le sport
aujourd’hui. Au travers du soft power qu’il modernise, le
Qatar cherche à faire évoluer son image de pays du Moyen-
Orient. Il serait toutefois faux de penser que le sport a toujours
été un atout dans les relations diplomatiques. Le sport est un
moyen possible, mais un moyen incertain d’entretenir des
relations diplomatiques cordiales avec l’extérieur comme le
montre ce travail de recherche.

Mots clés :

- Qatar
- Sports
- Image
- Soft power
- Sport power
- Al Jazeera
- Diplomatie

4
Table des matières

Introduction................................................................................................. 6

Partie 1 : Qatar : Histoire, économie et médias, un pays tourné vers l'Occident ... 11

Chapitre 1 : Le Qatar aujourd'hui ........................................................................................... 12

Chapitre 2 : Une histoire mouvementée ................................................................................. 16

Chapitre 3 : Al Jazeera : "Une opinion et l'opinion opposée"................................................. 23

Partie 2 : Du soft power au sport power, le sport dans les relations géopolitiques 30

Chapitre 4 : Entre hard power et soft power, une diplomatie médiatico-sportive qatarie ...... 31

Chapitre 5 : Le Qatar se passionne pour le sport .................................................................... 36

Chapitre 6 : Le sport, un vecteur efficace dans les relations diplomatiques ? ........................ 44

Conclusion ................................................................................................. 53

Bibliographie ............................................................................................. 56

5
Introduction

6
« Nul doute que les compétition sportives et en particulier les Jeux Olympiques,
reflètent la réalité du monde et constituent un microcosme des relations
internationales ».1 Cette déclaration prononcée le 25 novembre 1975 au congrès de
Neuchâtel par Juan Antonio Samaranch (membre du Comité International Olympique
depuis 1970, un comité dont il fut le président de 1980 à 2001) montre l’existence d’un
rapport entre sport et géopolitique. Ce que ne dit pas cette déclaration, c’est si cette
relation est positive ou négative pour le pays qui utilise le sport dans les relations
géopolitiques. C’est l’une des questions à laquelle nous allons apporter une réponse
dans ce travail de recherche.

Mais avant de présenter les différents questionnements qui vont structurer l’évolution de
cette étude, il nous semble important de définir la notion centrale de notre sujet, la
géopolitique. Pour ce faire, nous avons convoqué différents auteurs qui étudient aussi
bien les relations internationales que la géopolitique à proprement parler.

Si les différentes acceptions de la géopolitique se rejoignent autour de l’influence


géographique sur les décisions politiques, des nuances sont apportées en fonction de
l’auteur qui manipule le concept. C’est Pascal Boniface, directeur de l’Institut des
Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), qui l’affirme dans son ouvrage La
géopolitique, les relations internationales. « Les premières références ont fait de la
géopolitique l’idée que l’environnement géographique pouvait déterminer la nature de
l’homme et les politiques à suivre à des racines anciennes ».2 Son ouvrage est
particulièrement intéressant pour comprendre et connaître les différentes entrées dans
cette notion puisqu’il présente un nombre important des références évoquées dans la
citation précédente. Pour le géographe allemand Friedrich Ratzel, fondateur de la notion
de géographie politique, la géopolitique est « la science qui établit que les
caractéristiques et conditions géographiques jouent un rôle décisif dans la vie des
Etats ».3

1
WAHL Alfred, « Sport et politique, toute une histoire ! ». Outre-Terre, n°8, 2004, 8 pages.

2
BONIFACE Pascal, La géopolitique, les relations internationales. Paris : Eyrolles, DL 2011, 199 pages.
3
Ibid 2.

7
Si ce n’est pas lui qui est à l’origine de la notion même de géopolitique, ces travaux sur
la géographie politique ont influencé celui qui est reconnu comme le fondateur de la
discipline le suédois Johan Rudolf Kjéllen.4 Ce dernier, professeur de science politique
à l’université de Göteborg, présente la géopolitique comme une « science de l’Etat en
tant qu’organisme géographique tel qu’il se manifeste dans l’espace ».5 En France,
l’auteur de référence en géopolitique est Yves Lacoste. C’est ainsi qu’il est présenté par
Pascal Boniface. Pour Yves Lacoste, la géopolitique est « l’analyse des rivalités de
pouvoir sur des territoires, tout ce qui concerne les rivalités de pouvoir ou d’influence
sur les territoires et les populations qui y vivent ».6

Sophie Chautard ajoute dans son Dictionnaire de géopolitique que cette discipline est
liée à cinq données fondamentales. Selon elle, pour appréhender ce concept, il est
important de prendre en considération les notions de conflictualité, d’espace de
frontière, d’impérialité et de mondialité. La conflictualité renvoie à la lutte pour la
détention des ressources, l’espace à l’ensemble des différentes surfaces de la
territorialité classique et spatiale (maritimes, terrestres, aériennes et atmosphériques) la
frontière à une limite territoriale politique et juridique, l’impérialité à la domination
d’un Etat sur des populations d’origines diverses et la mondialité à des lieux
stratégiques qui permettent aux acteurs d’agir sur de nombreux Etats.7

Arnaud Lafolie définit quant à lui les objectifs de la discipline dans l’introduction de
son ouvrage Le Monde arabe tel qu’il est. Il explique que « le but de la géopolitique est
d’analyser les relations politiques entre les sociétés humaines en s’appuyant sur la
géographie et son impact sur les modes de vie et les mentalités des populations ».8

Un autre concept important dans le cadre de ce travail de recherche doit être défini.
Celui de sport. La définition usuelle du sport disponible dans le Dictionnaire Hachette
2010 présentant le sport comme une activité physique destinée à développer et à
entraîner le corps n’est pas celle que nous retiendrons. C’est le sport en tant que
compétitions sportives mondialisées qui va nous intéresser dans cette étude.

4
SMOUTS Marie-Claude, Dictionnaire des Relations Internationales : approches, concepts, doctrines. Paris : Dalloz, 2006, 553 pages.
5
BONIFACE Pascal, La géopolitique, les relations internationales. Paris : Eyrolles, DL 2011, 199 pages.
6
Ibid 5.
7
CHAUTARD Sophie, Dictionnaire de géopolitique. Levallois-Perret : Studyrama, 2008, 273 pages.

8
LAFOLIE Arnaud, Le monde arabe tel qu’il est. Paris : L’Œuvre, DL 2011, 190 pages.

8
Pascal Boniface présente le sport sous cet angle dans son ouvrage précédemment cité La
géopolitique, les relations internationales.

Ce travail de recherche n’a pas pour vocation d’étudier les discours produits par les
acteurs mais plutôt la manière dont les acteurs légitiment une action
communicationnelle internationale par le sport. Cette étude vise à étudier le
positionnement d’un Etat sur la carte géopolitique mondiale par une communication
sportive. On va chercher à savoir si le sport peut-être ou non un moyen de négociations
et d’existence dans l’espace publique international que représente la diplomatie. De fait,
il nous semble important de définir le terme d’espace public.

La notion d’espace public apparaît dans la traduction de la thèse de Jürgen Habermas en


1961 intitulée Strukturwandel der Öffentlichkeit. Pour lui, il s’agit de « la sphère
intermédiaire entre la vie privée de chacun et l’Etat monarchique qui affectionne le
secret ».9 Thierry Paquot qui présente ces travaux dans son ouvrage L’espace public
définit cette notion comme « une pratique démocratique, une forme de communication
et de circulation des points de vue, une confrontation des opinions privées que la
publicité s’efforce de rendre publiques et un lieu du débat politique ».10 C’est cette
dernière caractéristique de l’acception, à savoir l’espace public comme lieu de débat et
de négociations politiques que nous allons prendre en considération au cours de ce
travail puisque la diplomatie, que nous allons définir dans la seconde partie de cette
étude, apparaît à la vue de cette définition comme un espace public international de
négociations inter-états.

Ces définitions nous amènent à nous interroger sur les questions suivantes : Est-ce que
le sport peut-être un instrument dans le fonctionnement géopolitique inter-états ?
Autrement dit, est ce que le sport peut-être utilisé comme un instrument de visibilité
internationale dans les relations interétatiques ? Cela nous amène de fait à nous
intéresser et à questionner la notion d’image. Est-ce que le sport peut améliorer l’image
d’un pays à l’International ou du moins participer de la création d’une image différente
des stéréotypes liés à la région géographique dans laquelle il se trouve ? Quelles valeurs
les acteurs cherchent-ils à puiser dans le sport pour les associer à l’image de leur pays ?

9
PAQUOT Thierry, L’espace public. Paris : La Découverte, 2009, 125 pages.
10
Ibid 9.

9
C’est à ces questions que nous allons répondre en procédant dans une première partie à
une présentation du Qatar au niveau historique et médiatique. Cette présentation a pour
objectif de montrer l’importance de l’international pour l’émirat. Nous étudierons
ensuite le rapport entre sport, diplomatie et image autour du cas qatari et d’un panorama
historique visant à questionner l’aspect positif ou négatif d’une utilisation du sport dans
la diplomatie. Cette seconde partie nous amènera à questionner les concepts de
diplomatie, d’hard power et de soft power, ce dernier étant particulièrement prisé par le
cheikh dirigeant du Qatar dans les changements qu’il souhaite pour son pays.

10
Partie 1 : Qatar : histoire, économie et
médias, un pays tourné vers l’Occident

11
Ce travail de recherche a pour objectif d’étudier les relations entre sport
communication et géopolitique autour du cas du Qatar. Il nous a donc semblé important
de procéder à une présentation de ce pays au niveau historique, économique et
médiatique. Ce panorama permet de comprendre que posséder des rapports forts avec
les grands pays occidentaux n’est pas une réalité récente pour ce pays, mais bien une
réalité liée à sa tradition et à son histoire.

Chapitre 1 : Le Qatar aujourd’hui

Entouré par l’Arabie Saoudite, l’Irak et l’Iran, le Qatar, qui signifie « Encore
plus » en Arabe, se caractérise par sa petite taille. D’une superficie de 11 milles 586
km2, le pays compte environ 1 million 850 milles habitants.11 La majorité d’entre eux
sont des étrangers issus d’Asie pour la plupart. Monarchie de droit divin située sur la
rive gauche du golfe Persique, le Qatar a, depuis 1971 et la signature de son autonomie,
Doha comme capitale. Ville d’environ 1 millions d’habitants. Doha a été fondée vers
1850. Siège d’Al Jazeera, la télévision qatarie, elle est le centre économique du pays.
Au niveau économique justement, le Qatar possède une croissance forte et la population
de gros revenus. « Les qataris bénéficient de l’un des tout premiers niveaux de vie au
monde avec en moyenne plus de 32 000 dollars par an et par habitant et plus de
120 000 dollars par an pour les nationaux. La croissance économique dans le pays est
forte »12 précise Fatiha Dazi-Héni dans son ouvrage Monarchies et sociétés d’Arabie. Si
les chiffres évoqués dans ce livre sont en dollars, c’est pour pouvoir comparer plus
facilement avec le reste du monde, la monnaie nationale au Qatar étant le Riyal Qatari
(1 euro équivaut à peu près à 4.5 riyals qataris et 1 dollar à 3.7 riyals qataris).

11
MENARD Robert et STEINER Thierry, Mirages et cheikhs en blanc : enquête sur la face cachée du Qatar, le coffre-fort de la
France. France : Moment, 2010, 217 pages. et http://www.statistiques-mondiales.com/qatar.htm (consulté le 29 mai 2012)
12
DAZI-HENI Fatiha, Monarchies et sociétés d’Arabie : Le temps des confrontations. Paris : Presse de Science Po, DL 2006, 363 pages.

12
Carte du Moyen Orient13

13
CADENE Philippe et DUMORTIER Brigitte, Atlas des pays du Golfe. Paris : PUPS, DL 2011, 118 pages.

13
Carte Qatar14

14
In : http://www.statistiques-mondiales.com/qatar.htm (consulté le 29 mai 2012).

14
Tableau de présentation du Qatar15

Capitale Doha

Population16 1 millions 620 milles environ en 2009

Superficie 11 586 km2

Régime politique Monarchie de droit divin

Monnaie Riyal qatari

Langues Arabe (langue officielle) et anglais

Religions Islam, Chrétienté

15
SFEIR Antoine, Dictionnaire Moyen-Orient. Paris : Bayard, 2011, 946 pages.
16
Pour la donnée population, nous avons pris en compte les chiffres issus du livre mirages et cheikhs en blancs de Robert Ménard et Thierry
Steiner car le dictionnaire du Moyen Orient annonçait 848 milles habitants pour l’ensemble du Qatar et 1 millions pour la seule ville de
Doha, ce qui nous a obligé à trouver d’autres sources pour cette donnée.

15
Chapitre 2 : Une histoire mouvementée

Indépendant depuis 1971, le Qatar a connu des périodes plus ou moins longues
de domination ou de protectorat. Cet aspect qui peut paraître anecdotique est important
dans cette étude car il montre l’importance de l’extérieur pour le pays. Les portugais et
les ottomans se sont succédé, de 1517 à 1538 pour le Portugal et de 1538 à 1867-1868
pour l’empire ottoman. Jusqu’à cette date de 1867, le Qatar est affilié à l’Etat voisin du
Bahreïn. 1868 marque un tournant important pour l’émirat puisque l’émirat passe sous
pavillon britannique et signe un accord de protectorat avec l’empire colonial. Ce
protectorat n’intervient pas de suite mais est signé 50 ans plus tard en 1916. En échange
d’une protection contre les puissants voisins qui l’entourent, l’Arabie Saoudite, l’Iran et
l’Irak, l’Angleterre obtient l’exclusivité sur les concessions pétrolières qataries
découvertes aux alentours de 1930. La base de cet accord réside donc dans cet échange
entre protection britannique et pétrole qatari.

Avant d’exporter du pétrole et du gaz aujourd’hui (le Qatar est le troisième pays
producteur de gaz), l’économie du pays était concentrée principalement autour de
l’industrie des perles. Mais la période 1920-1930 a été terrible pour ce secteur d’activité
au Qatar avec l’arrivée du Japon sur le marché. Fatiha Dazi-Héni parle même de mort
pour qualifier la situation de l’économie des perles au moment de l’arrivée sur ce
marché du Japon. « A la fin des années 1920, la crise de l’industrie perlière causée par
la concurrence japonaise tue l’économie locale ».17 Le Qatar avec l’aide de son
nouveau protecteur prospecte donc son sol et trouve des gisements d’hydrocarbures. Les
premières exportations ne se feront toutefois qu’à la toute fin des années 1940. La
famille régnante du Qatar, la famille Al Thani (voir généalogie page 17) profite de cela
pour s’enrichir en s’accaparant la redistribution des rentes du pétrole. Un véritable
monopole se crée pour la famille. Ce monopole n’est pas sans conséquences pour une
famille touchée par d’importantes querelles internes. Des affrontements internes vont
s’accroître et se multiplier. Une division entre les branches directement au pouvoir et les
autres apparaît à cause des revenus que la rente de l’exploitation des hydrocarbures
rapporte.

17
DAZI-HENI Fatiha, Monarchies et sociétés d’Arabie : Le temps des confrontations. Paris : Presse de Science Po, DL 2006, 363 pages.

16
Généalogie de la dynastie des Al Thâni, la famille régnante
du Qatar et dates de règne18

18
TALON Claire-Gabrielle, Al Jazeera : libertés d’expression et pétromonarchies. Paris : Presse Universitaires de France, 2011, 286 pages.

17
Le niveau de filiation sera l’indicateur défini par le cheikh Ali Al Thani, au pouvoir de
1949 à 1960, pour définir à quel part de la rente chaque branche de la famille royale
peut prétendre. Cette décision n’est pas acceptée de tous et en 1955-1956, les branches
indirectes Al Hamad et Al Attîya s’associent pour réclamer plus. « Les cheikhs Ali
Abdallah (1949-1960), Ahmad (1960-1972), Khalifa (1972-1995) et Hamad (1995-
actuel) se succèdent à la faveur d’une suite de coups d’Etats »19 précise Claire Gabrielle
Talon dans son ouvrage sur Al Jazeera, la chaîne télévisée qatarie que nous présenterons
dans le troisième chapitre de ce travail de recherche. A l’inverse cette période est
propice pour la population qatarie. Le pouvoir veut construire une identité nationale et
lance plusieurs axes de travail qui abondent en ce sens. Le principe de préférence
nationale pour les emplois, les logements et les commerces est ainsi institutionnalisé.
Cette période se poursuit jusqu’en 1971, année qui marque la fin du protectorat
britannique sur le pays. Le Qatar obtient son indépendance et le cheikh Ahmad décide
de donner une Constitution à l’Emirat. Barah Mikaïl explique cet événement important
de l’histoire politique et économique qatarie par un changement d’orientation de la
politique britannique au Moyen Orient. « En 1971, c’est la volonté de Londres de
modifier la nature de la relation la liant au Qatar qui décidera ce dernier à déclarer
son indépendance formelle, le 3 septembre 1971 et à se doter d’une Constitution
provisoire ».20 L’année suivante, l’année 1972, est marquée par le renversement du
cheikh Ahmad par le cheikh Khalifa. Ce dernier décide de poursuivre et d’accentuer ce
que son prédécesseur avait entamé en termes d’infrastructures politiques. Suivant le
modèle de son ancien pays protecteur anglais, le cheikh Khalifa décide de doter le pays
d’une bureaucratie importante. Fatiha Dazi-Héni explique que cette orientation politique
a été bénéfique aussi bien pour le pays que pour la personnalité du cheikh. « En 1971,
durant le règne d’Ahmad Al Thani (1960-1972), Le Qatar accède à l’indépendance et
décide de se doter d’un système bureaucratique élaboré par l’ancienne puissance
coloniale, un appareil moderne. En 1972, le cheikh Khalifa Al Thani arrive au pouvoir.
Sa stratégie jusqu’à ce qu’il soit destitué en 1995 a été de doter le pays
d’infrastructures modernes et de promouvoir des développements sociaux. Il développe
un programme urbain et souhaite rassembler la population qatarie par catégories
socioprofessionnelles.

19
TALON Claire-Gabrielle, Al Jazeera : libertés d’expression et pétromonarchies. Paris : Presse Universitaires de France, 2011, 286 pages.
20
MIKAÏL Barah, « Le paradoxe diplomatique du Qatar comme moyen d’accès à la consécration ». Revue internationale et stratégique,
n°69, 2008, 11 pages.

18
L’élite du pays étant regroupée à Doha la capitale ou dans des villes nouvelles. Cette
fondation d’un Qatar moderne confère au cheikh une image de modernisateur et
quelqu’un de populaire ».21 Toutefois le Qatar a encore besoin de l’extérieur pour
assurer sa croissance. Le pays se tourne alors vers ses voisins les plus proches et plus
vers l’Europe et décide en ratifiant la Charte d’Abou Dhabi le 25 mai 1981 de participer
au Conseil de Coopération du Golfe (C.C.G) avec le Koweit, l’Arabie Saoudite, le
Bahreïn les Emirats Arabes Unis et Oman. Le tableau suivant issu de l’Atlas des Pays
du Golfe de Philippe Cadène et Brigitte Dumortier montre aujourd’hui les différences
majeures entre ces six pays.

Tableau de présentation des Etats membres du Conseil


de Coopération du Golfe22

21
DAZI-HENI Fatiha, Monarchies et sociétés d’Arabie : Le temps des confrontations. Paris : Presse de Science Po, DL 2006, 363 pages.
22
CADENE Philippe et DUMORTIER Brigitte, Atlas des pays du Golfe. Paris : PUPS, DL 2011, 118 pages.

19
Barah Mikaïl présente ce projet politico-économique du seul point de vue de la création
d’un marché commun entre ces six nations voisines du Moyen-Orient. Philippe Cadène
et Brigitte Dumortier vont plus loin et analyse plus en profondeur le rôle et les actions
de cette alliance politique. Le premier secteur d’action dans lequel intervient le Conseil
de Coopération du Golfe est sécuritaire. C’est un point important pour le Qatar qui
comme nous l’avons vu au moment de son protectorat britannique et comme nous le
verrons avec les Etats Unis d’Amérique ci-après a besoin de l’extérieur pour être en
sécurité. Cette caractéristique de la politique intérieure a été mise en exergue par Alexis
Normand dans son ouvrage Les émirats du Golfe au défi de l’Ouverture. Il explique que
« l’impératif sécuritaire, condition du développement, est au cœur de la politique
extérieure des Emirats et du Qatar, qui observent les tensions régionales avec
inquiétude, faute de disposer eux même des instruments coercitifs de la puissance ».23

Autrement dit, le Qatar n’a pas les moyens d’avoir un Hard Power efficace ce qui
explique pourquoi il insiste tant sur le Soft Power, des notions que nous définirons dans
la seconde partie de ce travail de recherche. La sécurité est un aspect important pour le
Qatar comme l’explique d’ailleurs Philippe Cadène et Brigitte Dumortier. « En 1981, au
moment où il est créé, le C.C.G (Conseil de Coopération du Golfe) répond au souci de
constituer une alliance stratégique défensive contre l’Iran ».24 Néanmoins précise
Alexis Normand dans l’encadré 3 qu’il consacre au C.C.G, « L’intégration militaire du
Golfe reste très en-deçà des ambitions initiales, principalement en raison des réticences
des Emirats à participer à une enceinte dominée par l’Arabie Saoudite ».25 De fait,
l’économie est très vite placée au centre des préoccupations du Conseil. Toutes les
informations recueillies au cours des différentes lectures sur ce sujet se rejoignent sur
l’importance de ce secteur dans le fonctionnement du Conseil. « Dès le début, tout
particulièrement sous l’influence du Koweït, le C.C.G s’engage vers la voie d’une union
douanière et d’un marché commun. Il devient progressivement une instance
d’intégration économique prenant comme modèle l’Union Européenne »26 ajoutent les
deux auteurs Philippe Cadène et Brigitte Dumortier.

23
NORMAND Alexis, Les émirats du Golfe, au défi de l’ouverture : le Koweit, le Bahreïn, le Qatar et les Emirats Arabes-Unis. Paris :
L’Harmattan, DL 2011, 170 pages.
24
CADENE Philippe et DUMORTIER Brigitte, Atlas des pays du Golfe. Paris : PUPS, DL 2011, 118 pages.
25
NORMAND Alexis, op cit.
26
CADENE Philippe et DUMORTIER Brigitte, op cit.

20
Les autres secteurs sont petit à petit abordés et discutés par le Conseil Suprême qui
dirige le Conseil. L’ensemble des Chefs d’Etats membres y siège avec une présidence
qui change reprenant ainsi le modèle européen de l’Union Européenne. L’industrie, les
infrastructures et le transport sont améliorés pour favoriser le développement régional
et assurer une circulation plus facile des populations entre les différents Etats du
Conseil. L’entente n’est toutefois pas parfaite entre les différents Etats membres du
Conseil, chacun des six Etats membres voulant posséder les bureaux liés au Conseil au
sein de sa capitale.

Concernant la politique intérieure au Qatar, la décennie 1980-1990 est marquée par une
montée en puissance dans l’échiquier politique du futur cheikh dirigeant, le prince
héritier Hamad. Ce dernier n’apprécie que modérément la politique de son père qui vise
à plus de modernisation. Commandant en chef des armées depuis 1972, il devient
ministre de la défense en 1977. Il est apprécié de l’armée nationale qatarie, une réalité
dont il tirera profit au moment de son putsch contre son père le 27 juin 1995. Ce coup
d’Etat n’est pas accepté au Moyen-Orient et une tentative de contre coup d’Etat est
lancée en 1996 dans le but de réinstaller le cheikh Khalifa sur le trône qatari. Elle
échouera et le cheikh Hamad sera reconnu comme nouveau dirigeant principal du pays.
Il veut que son pays soit connu à l’International et œuvre dans ce sens en tentant de
moderniser son pays dans des domaines variés comme l’éducation ou les médias avec le
lancement de la chaîne de télévision Al Jazeera.

Mais avant cela, il décide d’asseoir son autorité et celle des siens en instaurant le
principe d’hérédité du pouvoir. C’est l’un de ses fils qui lui succédera. Concernant
l’éducation, il lance un important projet intitulé « Cité de l’Education »27 auquel il
associe sa seconde épouse cheikha Mozah Bint Nasser Al Missned. Cette Cité de
l’Education est une volonté d’accueillir sur le sol national qatari un nombre important
de grandes universités américaines et européennes parmi lesquelles l’école supérieure
de commerce de Paris (Sup de Co Paris), et l’Institut des Etudes Politiques de Paris (IEP
Paris). Cette volonté de voir les femmes actives dans la société est également l’une de
ses actions politiques principales. Ces dernières peuvent voter et être élues depuis les
premières élections au conseil municipal de la Capitale Doha en 1999.

27
DAZI-HENI Fatiha, Monarchies et sociétés d’Arabie : Le temps des confrontations. Paris : Presse de Science Po, DL 2006, 363 pages.

21
Le cheikh a également insisté sur l’importance des hydrocarbures en mettant
d’importants moyens pour accroître la production de gaz. L’international n’est pas en
reste puisque le cheikh engage son pays à signer des accords pour gérer efficacement
ses ressources avec des compagnies telles Shell et Total.28

Au niveau militaire et sécuritaire enfin, le Qatar décide d’accueillir sur son sol la base
américaine du Centcom après que son puissant voisin l’Arabie Saoudite, pays avec
lequel les relations sont tendues, ait refusé d’accueillir davantage de troupes américaines
sur son sol. Pour Pascal Boniface, cette arrivée des troupes américaines est doublement
positive pour le pays. Elle crée un partenariat avec le pays le plus puissant du monde ce
qui de fait entraîne une plus grande exposition médiatique du pays et assure « une
garantie absolue de sécurité face à ce puissant voisin ».29 Pour Barah Mikaïl, cette
arrivée est « révélatrice de l’accentuation par le cheikh des choix pro-américains de son
pays ».30 L’année 2003 est une année importante pour le Qatar puisqu’en plus
d’accueillir l’armée américaine, le cheikh décide de doter le pays d’une nouvelle
Constitution qui a été rédigée en quatre ans selon Antoine Sfeir qui l’évoque dans son
Dictionnaire du Moyen-Orient. Pour Fatiha Dazi-Héni, cette étape « constitue l’un des
points clés du processus de transition démocratique engagé par l’émir ».31 Composée
de 149 articles, répartis en cinq chapitres, elle limite l’importance religieuse par rapport
à la législation et annonce l’établissement d’un parlement de 45 membres dont les deux
tiers seront élus. Si le cheikh Hamad cherche à améliorer l’image de son pays en
l’emmenant sur la voie de la démocratie, il est faux de penser que le Qatar a atteint ce
stade puisqu’il n’y a pas de mentions écrites autorisant les partis politiques ou les
organisations politiques. De plus « ce texte contient de nombreux gardes fous qui
permettent à la famille régnante de conserver le contrôle des affaires de l’Etat en toutes
circonstances. [Enfin], l’autorité de l’émir ne peut être remise en cause ».32

28
DAZI-HENI Fatiha, Monarchies et sociétés d’Arabie : Le temps des confrontations. Paris : Presse de Science Po, DL 2006, 363 pages.
29
BONIFACE Pascal, « Le Qatar se veut un modèle pour le Golfe ». Le Monde diplomatique, n°603, 2004, 1page.
30
MIKAÏL Barah, « Le paradoxe diplomatique du Qatar comme moyen d’accès à la consécration ». Revue internationale et stratégique,
n°69, 2008, 11 pages.
31
DAZI-HENI Fatiha, op cit.
32
DAZI-HENI Fatiha op cit.

22
Procéder à cette présentation historique du pays est importante selon nous car elle
illustre l’importance que l’extérieur a pu avoir et a encore dans l’évolution de l’Etat
qatari. Exister à l’étranger a semble-t-il toujours été l’un des objectifs des dirigeants
qataris. S’ils ont décidé d’utiliser le sport pour y arriver aujourd’hui, une réalité que
nous présenterons dans la seconde partie de cette étude, un autre aspect de l’histoire du
pays explique également cette idée. La chaîne de télévision Al Jazeera que nous allons
présenter a été lancée pour apporter un regard neuf sur le Moyen Orient et pour faire
parler du pays à l’international en décidant de rompre totalement avec le style habituel
de traitement des autres médias présents au Moyen-Orient.

Chapitre 3 : Al Jazeera : « Une opinion et


l’opinion opposée »

Comme nous venons de le voir dans la présentation historique du Qatar,


l’actuel cheikh dirigeant du pays, le cheikh Hamad Bin Khalifa Al Thani a l’ambition
principale de faire connaitre ou reconnaitre son pays sur la scène internationale
mondiale. En poste depuis 1995, le cheikh Hamad a lancé une politique dans tous les
domaines de la société que Karim Emile Bitar chercheur à l’IRIS et spécialiste du
Moyen-Orient qualifie, dans son article Un Arabe pauvre est un Arabe un Arabe riche
est un riche, de bling-bling. « En tout état de cause, le Qatar est aujourd’hui devenu
pour la France un partenaire stratégique privilégié et incontournable, le pivot d’une
nouvelle politique arabe, une politique arabe bling-bling ».33 Les médias ne sont pas
oubliés dans cette politique qui vise à changer l’image du pays à l’international, aux
yeux de l’Occident en priorité. Fatiha Dazi-Héni va plus loin et explique que le succès
de la chaîne que nous allons présenter résulte d’un ton de traitement différent et encore
jamais utilisé par les médias du Moyen-Orient. « La stratégie des dirigeants qui
consiste à promouvoir l’image de leur pays, jusque- là peu visible sur la scène
internationale, pour cause de superficie réduite et parce qu’ils vivent dans l’ombre de
grands voisins, a indéniablement été couronnée de succès.

33
http://www.rue89.com/rue89-eco/2012/03/14/qatar-un-arabe-pauvre-est-un-arabe-un-arabe-riche-est-un-riche-229641 (consulté le 5 juin
2012).

23
Le Qatar a utilisé la voie médiatico-diplomatique pour se forger une identité
nationale, grâce à la chaîne de télévision Al Jazeera dont la liberté de ton tranche
dans un paysage médiatique aseptisé. La nouvelle chaîne satellitaire contribue à
relayer dans le monde arabe cette réorientation de la politique intérieure qui séduit
l’Occident ».34

Cet aspect caractéristique de la chaîne d’information qatarie est repris par l’ensemble
des auteurs qui ont étudié ce média. Lancée en 1996, Al Jazeera, qui signifie l’Ile ou la
Péninsule a pour devise « Une opinion et l’opinion opposée ».35 Al Jazeera est lancée
suite à un conflit diplomatique avec le voisin du Bahreïn qui n’a pas apprécié que des
leaders d’opinion hostiles au pouvoir bahreïni passent à l’antenne sur l’ancienne
télévision qatarie. Le cheikh veut un média satellitaire fort et décide le 8 février 1996 de
créer Al Jazeera avec l’ambition selon Claire-Gabrielle Talon « d’incarner au dépend
du grand voisin saoudien l’identité arabo islamique du XXIème siècle ».36 La motivation
de ce média est donc double pour les dirigeants qataris, émanciper le pays de la
puissance saoudienne et bien se faire voir à l’international par un traitement médiatique
différent. Si le lancement a lieu en février, la diffusion commence en novembre de la
même année.

Al Jazeera est une chaîne « onshore ». Elle émet depuis le sol qatari ce qui là encore est
une nouveauté par rapport aux télévisions satellitaires antérieures existant au Moyen-
Orient. L’histoire de la chaîne est à l’image de son pays d’origine le Qatar. Elle est
particulièrement mouvementée au niveau des critiques qui lui sont adressées. Si le
cheikh annonce au moment de son lancement que l’Etat n’influencera pas la politique
de la chaîne, ce dernier assure son financement puisque les revenus publicitaires ne lui
permettent pas de combler ses frais. 500 millions de Riyals Qataris sont ainsi donnés
pour que la chaîne démarre. Lors de son lancement, le cheikh Hamad décide de centrer
Al Jazeera sur l’information après avoir visionné un pilote d’émission mêlant
informations et divertissements qui lui a déplu.37

34
DAZI-HENI Fatiha, Monarchies et sociétés d’Arabie : Le temps des confrontations. Paris : Presse de Science Po, DL 2006, 363 pages.
35
MILES Hugh, Al Jazira : la chaîne qui défie l’Occident. Paris : Buchet-Chastel, 2006, 458 pages.
36
TALON Claire-Gabrielle, Al Jazeera : libertés d’expression et pétromonarchies. Paris : Presse Universitaires de France, 2011, 286 pages.
37
MILES Hugh, op cit.

24
Les dirigeants qataris vont profiter de l’abandon d’un projet similaire de chaîne
d’informations en Arabie Saoudite pour récupérer un important personnel qualifié et
formé par la British Broadcasting Corporation (BBC). Cette dernière avait décidé de
lancer en 1994 en partenariat avec la chaîne saoudienne Orbit une chaîne
d’informations. Après avoir formé tout un personnel de journalistes, de cadres et de
techniciens, le média anglais décide d’abandonner le projet devant le manque de libertés
de la presse dans ce pays. Jugé trop proche du pouvoir saoudien en place, le projet est
oublié. Pour Hugh Miles, ce sont les divergences culturelles et les divergences
éditoriales qui sont la cause de cet échec médiatique.38 Les dirigeants d’Al Jazeera
profitent de l’occasion et récupèrent la moitié de ce personnel qualifié.

Très vite, le temps de programmation quotidien augmente. Il faut que la chaîne diffuse
le plus vite possible en continu. De six heures par jour en 1996, elle arrive à une
programmation continue trois années plus tard en 1999 après avoir chaque année
procédé à une augmentation du temps de programmation.39 Voulant rompre avec la
mainmise saoudienne au niveau des médias du Moyen-Orient, la chaîne décide
d’émettre gratuitement, la seule condition à sa réception étant de posséder une antenne
satellitaire. Pour accroître son temps de diffusion tout en possédant une qualité
supérieure, Al Jazeera a besoin d’un signal plus fort, que le signal que le répéteur à
bande Ku qu’elle possède à son lancement peut lui offrir. Là encore, elle profite d’une
erreur de l’un de ses concurrents qui émettait via le satellite Arabsat avec un répéteur en
bande C plus puissant. Le Canal France International (CFI) diffuse en effet à une heure
de grande écoute pour les enfants un programme pornographique à la place du
programme enfantin prévu. Un véritable scandale médiatique éclate et le CFI perd son
signal en bande C au profit d’Al Jazeera en novembre 1997.40 Une fois le personnel de
qualité en place, la possession d’un signal de transmission fort et le choix de mettre
l’information régionale, mondiale et internationale au cœur du dispositif médiatique, la
chaîne va très vite se distinguer au Moyen-Orient par ses scoops, les personnalités
reçues et les informations qu’elle transmet. Avant d’évoquer cet aspect caractéristique
d’Al Jazeera, il est important de présenter les statuts de la chaîne aussi bien du point de
vue de son financement qu’au niveau des instances qui la régissent.

38
MILES Hugh, Al Jazira : la chaîne qui défie l’Occident. Paris : Buchet-Chastel, 2006, 458 pages.
39
KAJJA Kamal, « Al Jazeera, phénomène ou leurre ». Hérodote, n°133, 2009, 13 pages.
40
MILES Hugh, op cit.

25
Au niveau de sa gestion, la chaîne a un statut particulier par rapport aux autres médias
de presse écrite ou de radio qataris. Une année après son lancement en 1996, le Qatar
décide de créer sur le modèle de la British Broadcasting Corporation la Qatar General
Broadcasting and Television Corporation connue sous le nom de QBC. Les missions de
cette institution qui possède toutes les stations de télévision et de radio de l’Etat étaient
de contrôler la conformité des contenus avec les normes culturelles de l’Etat, de réaliser
des programmes susceptibles d’être vendus à l’international tout en fournissant une
couverture audiovisuelle de l’action politique interne qatarie. Cette institution gère donc
l’ensemble des médias nationaux à une exception près Al Jazeera. Le cheikh Hamad
décida en effet de créer une autorité spécialement pour gérer la chaîne d’information
satellitaire. Cette organisation nommée Fondation Publique Qatarie pour la création de
la Chaîne Satellitaire organise le fonctionnement de la chaîne selon un régime propre,
« sans être liée aux procédures et aux règles en vigueur au Gouvernement »41 précise
ainsi Claire-Gabrielle Talon.

Un autre point particulier lié au statut de la chaîne est mis en avant par les différents
auteurs qui ont étudié ce média. Il est difficile d’établir de manière certaine le statut de
la chaîne d’information qatarie. Le fait que l’Etat finance la chaîne pose la question de
son indépendance, un aspect pour lequel elle est d’ailleurs fortement critiquée. Les
sommes données par le cheikh dirigeant posent la question de savoir si Al Jazeera est
une chaîne publique ou commerciale. Dans la mesure où elle est financée par des fonds
étatiques, il serait simple de faire un raccourci en affirmant que ce média est au service
du pouvoir, ce que l’Etat nie en bloc en affirmant ne pas influencer la ligne éditoriale de
la chaîne. Claire-Gabrielle Talon explique que « de ce point de vue l’opacité de la
gestion d’Al Jazeera renvoie à l’ambigüité plus générale du statut des fonds publics au
Qatar. La nature privée ou publique de la chaîne est d’autant moins claire que le
budget de l’Etat est une affaire de famille ».42 Si le débat existe sur le statut de la
chaîne, aucune discussion ne semble possible sur le traitement médiatique particulier
que la chaîne utilise pour analyser les différents sujets. Par son ton et les personnalités
reçues Al Jazeera a modifié l’espace audiovisuel arabe précise Kamal Kajja.43

41
TALON Claire-Gabrielle, Al Jazeera : libertés d’expression et pétromonarchies. Paris : Presse Universitaires de France, 2011, 286 pages.
42
Ibid 41.
43
KAJJA Kamal, « Al Jazeera, phénomène ou leurre ». Hérodote, n°133, 2009, 13 pages.

26
Tous les auteurs se rejoignent sur le côté moderne et innovant de ce média. Le terme de
révolution est souvent associé à la chaîne. Karim Emile Bitar justifie cette idée en disant
que « la création d’Al Jazeera en 1996 a été une véritable révolution dans le paysage
médiatique arabe. Pour la première fois une chaîne s’ouvrait aux débats
contradictoires et accueillait les opposants de toutes les tendances, libéraux,
progressistes, islamistes, nationalistes…. On avait rompu avec la propagande des
chaînes gouvernementales officielles ».44 De fait il est difficile de lui assigner une
affiliation politique. La première grande exclusivité internationale de la chaîne
d’information arrive en 1998. Elle est le seul média à diffuser des images des
bombardements américains en Irak suite au refus du gouvernement irakien de coopérer
avec les inspecteurs du désarmement de l’Organisation des Nations Unies (ONU).

En agissant de la sorte, Al Jazeera fait parler de lui et de fait du Qatar. Les Américains
vont encore critiquer la chaîne en lui reprochant d’inciter à la guerre sainte contre les
Etats-Unis en diffusant plusieurs vidéos d’Oussama Ben Laden. Georges Bush ira même
jusqu’à envisager le bombardement de la chaîne pour stopper la diffusion de ces
reportages. Il serait faux de penser que le Qatar par le biais d’Al Jazeera n’a subi des
critiques issues uniquement des Etats-Unis. La liberté de ton de la chaîne a également
heurté de nombreux dirigeants des pays du Moyen-Orient et du Golfe arabique,
provoquant de nombreux incidents diplomatique entre le Qatar et les dirigeants de ses
pays voisins. A l’inverse, les populations apprécient l’orientation apolitique de la
chaîne. En recevant des opposants au régime des différents pays, Al Jazeera a ouvert un
espace de dialogue et de débats qui n’existait pas dans le monde médiatique au Moyen-
Orient. Fatiha Dazi-Héni éclaire ce propos en disant d’Al Jazeera que « c’est une
innovation médiatique qui sert de pilier à l’image de marque du Qatar. Al Jazîra est
très controversée dans nombre d’Etats arabes qui tour à tour ont fermé les bureaux de
la station dans leur pays de façon temporaire ou définitive (Tunisie, Algérie, Maroc,
Lybie, Bahreïn, Koweit, Jordanie et Arabie Saoudite), suite à des émissions donnant la
parole aux mouvements d’opposition de chacun de ces Etats. Avec pour conséquence
d’accroître la popularité de la chaîne au sein des populations arabes voisines ».45

44
http://www.rue89.com/rue89-eco/2012/03/14/qatar-un-arabe-pauvre-est-un-arabe-un-arabe-riche-est-un-riche-229641 (consulté le 5 juin
2012).
45
DAZI-HENI Fatiha, Monarchies et sociétés d’Arabie : Le temps des confrontations. Paris : Presse de Science Po, DL 2006, 363 pages.

27
Donner une image différente tout en supplantant l’hégémonie médiatique saoudienne,
tel est l’objectif du Qatar avec Al Jazeera. Les patrons de la chaîne sont au courant des
critiques qui accompagnent le quotidien de la chaîne. Ainsi Jihad Ballout, directeur des
relations publiques de la chaîne Al Jazeera confiait à Hugh Miles « Quand nous avons
commencé à recevoir des plaintes, il y avait de quoi s’arracher les cheveux. Nous étions
accusés d’être anti-israéliens, islamistes, nationalistes arabes et financés par la CIA
[Central Intelligence Agency, l’agence de renseignement américaine] ».46

Une autre critique est infondée selon eux, celle qui consiste à dire que la politique
intérieure qatarie n’est pas traitée, ce qui reviendrait à dire que la chaîne est aux mains
du pouvoir, un aspect totalement impensable pour eux qui voulaient rompre avec les
médias traditionnels du Moyen-Orient accusés de relayer la pensée étatique. Un point de
vue défendu par Claire-Gabrielle Talon. « Pourtant, contrairement à cette opinion
répandue, la chaîne n’a en rien occulté les choix diplomatiques controversés de la
diplomatie qatarie. La présence d’une base américaine sur le sol de l’Emirat, les
contentieux du régime avec l’Arabie saoudite, le Bahreïn et le Gouvernement égyptien,
l’accueil d’un bureau de commerce israélien et de militants islamistes au Qatar, tout
cela a été discuté en direct et à des heures de grande écoute dans les émissions les plus
célèbres d’Al Jazeera telles que Sans frontières et Plus qu’une opinion, les journalistes
relayant les critiques internes et internationales ».47

Pour continuer d’exposer la vision du monde qatarie, les dirigeants de la chaîne ont
décidé de se diversifier en lançant plusieurs déclinaisons de « la plus populaire des
chaînes arabes ».48 En 2003, c’est une version sport qui est proposée aux spectateurs. Il
faut dire que le sport est, comme nous le verrons dans la deuxième partie de ce travail
de recherche, un élément central de la politique extérieure qatarie. En 2006, c’est une
version en anglais d’Al Jazeera qui est créée pour concurrencer les médias occidentaux.
Une version pour enfants a également vu le jour. Tous ces évènements ainsi que la
manière de les traiter ont été récompensés par l’organisation de la Journée mondiale de
la liberté de la presse le 1er mai 2012 au centre national des conventions de Doha.

46
MILES Hugh, Al Jazira : la chaîne qui défie l’Occident. Paris : Buchet-Chastel, 2006, 458 pages.
47
TALON Claire-Gabrielle, Al Jazeera : libertés d’expression et pétromonarchies. Paris : Presse Universitaires de France, 2011, 286 pages.
48
Ibid 47.

28
Cette Journée illustre le tournant médiatique opéré par Al Jazeera au Moyen-Orient. S’il
est important d’accueillir ce genre d’évènement sur son sol, le Qatar a décidé de
candidater à l’organisation d’évènements sportifs pour se faire connaître encore plus.
Une diplomatie par le sport est-elle possible ? C’est ce que nous allons voir dans la
deuxième partie de cette étude.

29
Partie 2 : Du soft power au sport power, le
sport dans les relations géopolitiques

30
Chapitre 4 : Entre hard power et soft power, une
diplomatie médiatico-sportive qatarie

Le sport est le secteur d'activité choisi par l'émirat du Qatar pour exister sur la
scène internationale. Avant de présenter cette réalité dans le chapitre 5 de ce travail de
recherche, il nous semble important de procéder à une définition des notions de
diplomatie, hard power et soft power. Il faut dire que le sport est l'instrument
diplomatique prioritaire dans lequel le Qatar a décidé d'investir pour tenter d'exister et
de rayonner sur la carte mondiale. C'est Pascal Boniface dans son article Le Qatar hyper
puissance du sport ? qui l'affirme. « Le Qatar a choisi la diplomatie sportive pour
exister sur la carte, Il n'a pas les moyens de se constituer une armée suffisamment forte
pour contrer les éventuelles menaces qui pèsent sur lui. Le hard power lui étant interdit,
il mise sur le soft power, Al Jazira et le sport. Le Qatar mise sur la visibilité du sport et
son attractivité pour exister sur la carte et se faire connaître de façon positive dans le
monde entier ».49
Pour tenter de prendre en considération l'ensemble des composantes de ces termes, nous
avons convoqué différents auteurs des sciences politique, de géopolitique et des
sciences des relations internationales dans le but d'avoir une acception de chacun des
concepts, la plus complète possible. C'est la notion de diplomatie que nous allons
éclaircir en premier. Il faut dire que le hard power et le soft power sont des instruments
possibles de diplomatie entre les états.
La diplomatie est un concept complexe dans la mesure où la définition varie en fonction
de l'auteur qui la manipule. « Il n'existe pas de définition universellement admise de la
diplomatie »50 confie Marie-Claude Smouts dans son Dictionnaire des Relations
Internationales. Les idées de persuasion, de dialogue et d'échanges doivent être
associées à la définition de la diplomatie.

49
http://pascalbonifaceaffairesstrategiques.blogs.nouvelobs.com/archive/2011/01/29/le-qatar-hyper-puissance-du-sport.html (consulté le 6
juin 2012).
50
SMOUTS Marie-Claude, Dictionnaire des Relations Internationales : approches, concepts, doctrines. Paris : Dalloz, 2006, 553 pages.

31
Cette auteure présente la diplomatie comme « une conduite pacifique des relations entre
entités politiques. Cette pratique traduit un choix politique en faveur du dialogue. C'est
une branche de l'administration publique spécialisée dans les relations avec l'étranger
». Elle ajoute que « le diplomate a une triple fonction : représentation, information et
négociation ».51 Pour Pascal Gauchon qui a coordonné le travail de recherche
aboutissant au Dictionnaire de géopolitique et de géoéconomie, la diplomatie désigne
« l'ensemble des actions par lesquelles un Etat exprime ses prises de position et négocie
ses revendications auprès de la communauté internationale, en dehors de tout recours à
la force ».52 La diplomatie est plus complexe que cette définition ne laisse le supposer.
Cette réalité est étayée par la distinction opérée par Marie-Claude Smouts qui divise en
deux catégories la diplomatie. Selon elle, il existe ainsi la diplomatie coercitive et la
diplomatie préventive.
Appelée compellence en anglais (contraindre, forcer, obliger à) la diplomatie coercitive
insiste sur la force armée. Elle est « une menace et/ou un emploi volontairement limité
et graduel de la force armée destiné à persuader un adversaire de mettre un terme à
une action en cours, de revenir au statu quo ante, ou d'entreprendre une action qu'il
juge indésirable ».53 L'action et la menace sont centrales dans cette forme de diplomatie.
A l’inverse, la passivité y est impossible. Cette façon de penser n'aboutit pas toujours
au résultat escompté précise l'auteure. Des nuances sont ainsi apportées au niveau de la
cohérence de l'action réalisée, au niveau de la compréhension du message transmis et au
niveau de la rationalité de l'adversaire à qui le pays cherche à faire changer la politique
engagée.
Le terme de diplomatie préventive a été inventé par l'égyptien Boutros Boutros-Ghali
politicien et secrétaire général des Nations Unies de 1992 à 1996. C'est dans le cadre de
l'Agenda pour la paix qu'il a utilisé cette notion qui vise à «éviter que des différends ne
surgissent entre les parties, d’empêcher qu’un différend existant ne se transforme en
conflit ouvert et, si un conflit éclatait, de faire en sorte qu’il s’étende le moins possible
».54

51
SMOUTS Marie-Claude, Dictionnaire des Relations Internationales : approches, concepts, doctrines. Paris : Dalloz, 2006, 553 pages.
52
GAUCHON Pascal, Dictionnaire de géopolitique et géoéconomie. Paris : Presse Universitaires de France, 2011, 659 pages.
53
SMOUTS Marie-Claude, op cit.
54
In Agenda pour la paix publié en 1992

32
Marie-Claude Smouts reprend d'ailleurs cette citation dans sa présentation et ajoute que
l'information est au cœur de cette branche de la diplomatie, dans la mesure où elle
permet « de comprendre les situations et d'anticiper sur les événements ».55
Si le soft power est la branche choisie par le Qatar pour exister sur la carte géopolitique
mondiale, il nous semble important de procéder à une définition du hard power. Cette
dernière qui se rapproche de la diplomatie coercitive est l'une des deux faces du pouvoir
d'action d'un État au niveau de sa politique étrangère. Pour Pascal Gauchon que nous
avons déjà convoqué pour définir la diplomatie, le hard power est lié à la puissance d'un
État. Reprenant les propos de Raymond Aron dans Paix et guerre entre les nations qui
présentait la puissance comme la capacité de faire, produire et détruire, il présente les
fondements du hard power. « Les fondements du hard power ont longtemps été
traditionnels : importance démographique, potentialités géographiques tant du sol que
du sous-sol ».56 Si les États-Unis sont aujourd'hui la première nation à ce classement du
hard power, l'auteur précise qu’une alliance entre les états est souhaitée pour acquérir ou
maintenir un niveau intéressant de hard power. La capacité à détruire militairement est
l'une des caractéristiques majeures de ce concept de relations internationales. « Hard
power rime avec projection militaire (guerre proprement dite et, souvent, maintien
d'hommes sur un territoire jugé stratégique) ou a tout le moins capacité de dissuasion
par un arsenal crédible, aptitude à entretenir des bases en dehors du territoire national
».57 Pour Frank Attar, dans son Dictionnaire des relations internationales de 1945 à nos
jours, le hard power se caractérise par deux éléments : la coercition et l'incitation
appuyée,58 autrement dit la contrainte.
La notion de soft power qui est la base de la politique qatarie a été inventée par Joseph
Nye. Présenter ce personnage spécialiste des questions de relations politiques nous
semble important dans cette étude. Enseignant géopoliticien américain à l'Université
d'Harvard, il a occupé des postes à hautes responsabilités politiques puisqu'il a été sous
secrétaire d’État dans l'administration Carter et secrétaire adjoint à la défense durant la
présidence de Bill Clinton.

55
SMOUTS Marie-Claude, Dictionnaire des Relations Internationales : approches, concepts, doctrines. Paris : Dalloz, 2006, 553 pages.
56
GAUCHON Pascal, Dictionnaire de géopolitique et géoéconomie. Paris : Presse Universitaires de France, 2011, 659 pages.

57
Ibid 56.
58
ATTAR Frank, Dictionnaire des relations internationales de 1945 à nos jours. Paris : Seuil, DL 2009, 1084 pages.

33
Si étymologiquement parlant, cette notion est le contraire d'hard power, soft étant
l'opposé d'hard, il est important selon son inventeur de posséder les deux versants dans
sa manière de gérer la politique extérieure. Le soft power ou « pouvoir doux » désigne
selon Pascal Boniface la « capacité de faire faire à d'autres ce qu'ils n'auraient pas fait
autrement, et ce, sans recourir à la force ».59

La force militaire ne suffit plus selon Joseph Nye, dans la mesure où le monde n'est plus
bipolaire comme à l'époque de la Guerre Froide. Maîtriser le soft power est vital pour
un pays s'il veut avoir une image positive à l'international car « si un État est capable de
légitimer son pouvoir aux autres, il rencontrera moins de résistance pour les faire plier
à ces vœux. De fait, la puissance qui sait manier le soft power obtient l'adhésion des
autres ».60 Pour Michel Foucher, diplomate et géographe français, il s’agit d’une
méthode douce des relations internationales. C’est la capacité d’un Etat à élargir son
pouvoir d’attraction, et à dominer les échanges en employant des outils non coercitifs.61
Si Joseph Nye est l'inventeur à proprement parlé de ce concept, Edward Hallett Carr
parlait de pouvoir sur l'opinion quand il décrivait les différentes catégories de la
puissance. Une vision qui doit être rapportée à celle de soft power selon Pascal
Gauchon. Il ajoute que le soft power prend trois orientations possibles. La première
réside dans les moyens mis en œuvre pour peser sur l'agenda international.
On retrouve ici la théorie développée par Mac Combs et Shaw intitulée théorie de
l'agenda setting. Cette théorie est importante dans le cas du Qatar. En associant sport et
médias, l'émirat oriente les spectateurs sur les événements à suivre, en l’occurrence les
événements sportifs que le pays organise ou va organiser. Pour développer cette pensée
communicationnelle, les deux auteurs sont partis du double constat suivant : il est faux
de dire que les médias influencent directement le public et il est faux d'affirmer que les
médias ne l'influencent pas. Après avoir étudié les campagnes électorales américaines,
ils concluent leur étude en expliquant que les médias mettent les informations qu'ils
désirent à l'agenda. Autrement dit l'influence médiatique sur le public intervient
davantage sur le choix médiatique de l'événement que le média juge important de
suivre, que sur la manière dont le public doit penser les événements.

59
BONIFACE Pascal, La géopolitique, les relations internationales. Paris : Eyrolles, DL 2011, 199 pages.
60
GAUCHON Pascal, Dictionnaire de géopolitique et géoéconomie. Paris : Presse Universitaires de France, 2011, 659 pages.
61
In http://www.slate.fr/story/49553/FRANCE-cartes-soft-power-france (consulté le 5 juin 2012).

34
Schéma illustrant la théorie de l’agenda setting)

La séduction est la deuxième manière dont le soft power peut s'exprimer. Pour séduire,
il faut que l’Etat possède les instruments de consommation qui donnent envie au pays
visé d'adopter le même style de vie (cinéma, musique, culture et sports). Le principe de
codécision communément appelé « co-opt » est la troisième façon dont le soft power a
de l'influence. Ce principe « repose sur la capacité d'un État à faire partager ses vues
par les autres jusqu'à faire pencher la décision du groupe en sa faveur. Cela revient à
obtenir de quelqu'un qui veuille la même chose que vous alors qu'il n'y était initialement
pas nécessairement favorable. La codécision revient à rendre évidente ses propres idées
dans l'esprit d'autrui ».62 Pour Pascal Boniface, qui a consacré tout un chapitre à cette
notion dans son ouvrage La géopolitique, les relations internationales, le soft power «
est le système de pouvoir le plus efficace. C'est le pouvoir d'influence, la capacité
d'attraction dont peut bénéficier un pays, un ensemble d'actions qui facilite la conquête
des marchés. Si une nation parvient à persuader une autre que leurs intérêts sont
communs, elle parviendra beaucoup plus facilement et plus durablement à la faire
adhérer à sa politique que si elle veut obtenir ce résultat par la contrainte ».63

62
GAUCHON Pascal, Dictionnaire de géopolitique et géoéconomie. Paris : Presse Universitaires de France, 2011, 659 pages.
63
BONIFACE Pascal, La géopolitique, les relations internationales. Paris : Eyrolles, DL 2011, 199 pages.

35
Chapitre 5 : Le Qatar se passionne pour le sport

« Il est plus important d’être reconnu au Comité International Olympique


(CIO) qu’à l’Organisation des Nations Unies » explique le cheikh dirigeant qatari
cheikh Hamad Bin Khalifa Al Thani. Ces propos ont été relayés par son directeur de
communication, M. Al-Mulla qui déclare que « le sport est le moyen le plus rapide de
délivrer un message et d’assurer la promotion d’un pays ».64 Une double déclaration
forte reprise par de nombreux auteurs qui étudient le rapport entre le sport et le Qatar.
Ainsi Pascal Gillon et Loïc Ravenel, maîtres de conférences en géographie et
chercheurs au laboratoire Thema, dans le chapitre intitulé un reflet de la mondialisation
extrait de l’ouvrage Géographie et géopolitique de la mondialisation la reprennent. On
voit ainsi dans ces propos apparaître les objectifs que les dirigeants de l’émirat veulent
atteindre par le sport. Il faut organiser des événements sportifs majeurs pour attirer les
médias et les regards des spectateurs sur le pays. Si le Qatar est aujourd’hui connu en
France pour ses investissements massifs dans le football, tous les sports intéressent le
pays. Avant de les présenter, il faut préciser que le Qatar a également décidé d’organiser
sur son sol un nombre importants d’événements dans des sports très variés.

Ils ont organisé un tournoi de Golf depuis 1998, un open de tennis masculin depuis
1993 et une version féminine depuis 2001 l’Open de Doha, le tour cycliste du Qatar
depuis 2002, une épreuve du championnat du monde de moto grand prix depuis 2004 et
une épreuve de la Diamond League en athlétisme depuis 2009. Les plus grands sportifs
mondiaux participent à ces compétitions. Ces événements annuels contribuent à faire
connaître le pays qui cherche à organiser sur son sol d’autres événements encore plus
importants, à l’image des jeux olympiques d’Asie organisés en 2006 ou des
championnats du monde de handball version 2015 et de football version 2022 que le
Qatar s’est vu confier.

64
MENARD Robert et STEINER Thierry, Mirages et cheikhs en blanc : enquête sur la face cachée du Qatar, le coffre-fort de la
France. France : Moment, 2010, 217 pages.

36
Outre l’organisation d’événements sportifs majeurs, le Qatar veut profiter de sa richesse
pour investir de manière importante les différents clubs professionnels mondiaux. Tous
les pays sont concernés par ces investissements financiers massifs qui visent à attirer les
regards sur le Qatar. Il faut développer l’image du Qatar en l’associant à des marques
mondialement connues ou en passe de le devenir à l’image du FC Barcelone et de
Malaga en Espagne et du Paris Saint Germain en France. « L’émirat connait
d’importants excédents financiers. Ces derniers iront bien sûr satisfaire les besoins de
consommation mais seront également mis au service d’une plus grande visibilité
internationale. C’est dans ce but que le pays mise sur le sport »65 analyse Pascal
Boniface dans son article Le Qatar se veut un modèle pour le Golfe.

Le cas du club de football de Paris est symptomatique des espérances placées dans le
sport par les dirigeants qataris. En renforçant de manière considérable le niveau de
l’équipe par l’acquisition de grands joueurs, les dirigeants qataris assurent un
rayonnement au club, à la ville et au pays. Il serait faux de penser que le Qatar ne retire
rien de toute ces sommes dépensées. Pour être crédibles, les qataris, qui investissent
dans les clubs européens, ne doivent pas se concentrer uniquement sur l’aspect sportif.
Ils doivent s’inscrire dans des projets à long terme, améliorer les structures et les
équipes dirigeantes internes au fonctionnement du club. Les recrutements de Leonardo
et de Carlo Ancelotti pour le secteur sportif et celui de Jean-Claude Blanc pour
l’administratif s’inscrivent dans cette volonté et montrent que toutes les actions
entreprises sont réfléchies et réalisées dans le but d’améliorer le fonctionnement et les
résultats du club. Pour se voir organiser des compétitions de l’envergure d’un mondial
de handball mais surtout de football, il faut que leur politique d’actions menées au
quotidien dans les clubs soit cohérente afin de convaincre les membres des instances
sportives internationales.

Un autre point positif pour l’émirat du Qatar accompagne ces investissements massifs et
ce sponsoring des clubs européens. Des partenariats, avec les Etats dans lesquels le
Qatar investit, se créent, des partenariats positifs pour les deux nations. Un aspect mis
en avant par Robert Ménard et Thierry Steiner. « Paris-Doha ? Un axe gagnant-
gagnant. Pour l’Elysée, les coups de main de l’émir sont autant d’occasions de faire
apparaître la France comme un médiateur incontournable sur la scène internationale.
Pour le Qatar, il s’agit de ne pas tout miser sur sa relation avec les Etats-Unis.
65
BONIFACE Pascal, « Le Qatar se veut un modèle pour le Golfe ». Le Monde diplomatique, n°603, 2004, 1 page.

37
Rester en bons termes avec tout le monde, tel est l’objectif de la diplomatie
qatarienne ».66 Il faut dire que l’axe Paris-Doha évoqué dans cette déclaration marche
fort au niveau du sport. Outre la relation avec le football, relation la plus connue de par
la médiatisation importante de ce sport, le Qatar a engagé des sommes importantes au
niveau de l’hippisme avec le rachat du prix de l’Arc de Triomphe, renommé depuis
2008 Qatar Prix de l’arc de triomphe et au niveau du handball avec le rachat du club de
handball de Paris. Ces investissements en France s’inscrivent selon Stéphane Schindler
dans « une volonté qatarie d’acquérir des partenaires qui soient en mesure d’aider et de
protéger le pays. Ca coûte moins cher d’acheter le PSG que de se construire une
armée ».67

Pour se faire connaître et exister sur la carte géopolitique mondiale, le Qatar a décidé de
candidater à l’organisation d’événements sportifs majeurs, y compris dans des sports où
il n’a aucune histoire à l’image du handball et du football, des sports pour lesquels il a
été désigné pays hôte pour les championnats du monde 2015 de handball et 2022 de
football. L’historien Driss Abbassi estime dans son ouvrage L’Imaginaire sportif, que
cette vision relève « d’une croyance collective dans la capacité du sport à engendrer
des lendemains meilleurs, une croyance dans la capacité du sport à inventer le futur
».68 Ces compétitions sont à classer selon Edigio Dansero, professeur de géographie
politique et économique à l’université de Turin dans la rubrique des méga-événements.
Une rubrique qu’il définit dans son article La territorialisation olympique : le cas des
jeux de Turin 2006, comme « un processus doté d’une d’organisation précise dont les
dimensions spatiales et temporelles interagissent intensément : lors de chaque étape du
processus – de la candidature à la phase de préparation, au cours des compétitions
elles mêmes et de celles qui suivent – l’espace affecté par le méga-événement est utilisé
comme ressource et est affecté pour s’adapter aux objectifs du projet, lesquels peuvent
évoluer à mesure que le processus progresse ».69

66
MENARD Robert et STEINER Thierry, Mirages et cheikhs en blanc : enquête sur la face cachée du Qatar, le coffre-fort de la
France. France : Moment, 2010, 217 pages.
67
In http://www.lesrendezvousdusport.fr/photos/rdv-12-qatar-et-football (consulté le 5 juin 2012).
68
ABBASSI Driss, L’Imaginaire sportif. Médias et histoire dans le sport contemporain. Paris : Mare & Martin, 2007, 128 pages.
69
DANSERO Egidio et MELA Alfredo, « La territorialisation olympique : le cas des jeux de Turin, 2006 ». La revue de géographie alpine,
Tome 95 N°3, septembre 2007, 11 pages.

38
Ces méga-événements sont suivis par des milliards de téléspectateurs, ce qui explique
pourquoi les pays veulent les avoir sur leur sol. Organisations événementielles et actions
politiques semblent donc lier. « De tous temps, parallèlement à la victoire sportive,
l’organisation de grandes compétitions sportives a intéressé les pouvoirs d’État. Cette
volonté d’organiser les grandes manifestations sportives est essentiellement d’origine
politique ». Manuel Gros explique par ces propos l’importance du sport pour le monde
politique. Il ajoute que « l’organisation des compétitions sportives est essentiellement
axée sur le prestige national ». 70 Le prestige national est la raison qui pousse le monde
politique à être candidat à l’organisation de ces événements mondiaux. Jean Meynaud
dans son ouvrage Sport et Politique estime que « ce n’est pas désormais le moindre des
mobiles de l’intervention de l’État dans le domaine sportif »71
Le monde politique accorde une place importante au sport aujourd’hui. Cette réalité est
justifiée par la présence des plus hautes instances dirigeantes politiques des pays au
moment de la désignation de la ville hôte pour les Jeux Olympiques ou du pays hôte
pour une coupe du Monde et par l’importance des moyens mis en œuvre pour être élu à
l’organisation de ces événements sportifs de premier ordre mondial. Le sociologue et
éditorialiste chinois Miao Wei considère ainsi que « le sport est un projet de face, un
instrument essentiel de légitimité et de puissance pour le régime. Des sommes énormes
et beaucoup de bureaucratie lui sont désormais dévolues ».72
L’objectif pour un pays d’organiser ces événements est de changer son image en
associant à son pays les valeurs traditionnelles qui sont associées au sport. L’objectif est
ici de faire de son pays une véritable marque avec des valeurs positives associées, à
savoir le dépassement de soi, le fair-play, l’esprit d’équipe et la santé. On est ici au cœur
du marketing sportif, une branche de l’économie qui a pour objectif l’utilisation du sport
et des sportifs au profit d’un produit, d’une entreprise ou pour le Qatar d’un pays.

70
COLLOMB Pierre, (ss dir de), Sport, droit et relations internationales. Paris : Economica, 1988, 321 pages.
71
MEYNAUD Jean, Sport et politique. Paris : Payot, 1966, 321 pages.
72
RICHARD Luc, Pékin 2008. Pourquoi la Chine a déjà gagné. Paris : Mille et une nuits, 2008, 194 pages.

39
Associer des valeurs positives à son nom est l’objectif visé par les investissements
qataris dans le sport mondial, la finalité de cette politique étant d’améliorer son image.
Cette idée de marketing autour du sport est reprise par Frédéric Bolotny, économiste du
sport qui explique dans une interview accordée au bi-hebdomadaire France Football que
tous ces investissements dans le sport s’inscrivent dans « une stratégie de marketing où
le Qatar utilise le football comme porte voix mondial ».73 L’image des sportifs est
également importante pour les dirigeants qataris. Ils comptent sur eux pour venir
participer aux tournois qu’ils organisent sur leur sol et s’appuient sur eux lorsqu’ils sont
candidats à l’organisation des méga-événements précédemment évoqués. Ainsi
Zinedine Zidane, l’un des plus grands footballeurs de tout les temps, a servi de prête-
nom et de vitrine à la candidature qatarie à l’organisation de la Coupe du Monde 2022.
Les sportifs sont importants, qu’ils soient en activité ou en retraite comme Zinedine
Zidane.
Ce sont eux qui apportent le prestige et la lumière à une nation lors des grandes
compétitions. Il n’est donc pas étonnant de voir le Qatar tenter d’arracher des sportifs de
haut niveau à leur pays d’origine. Pascal Boniface présente le cas de l’ancien coureur de
demi-fond kényan Stephen Cherono que l’émirat du Qatar a naturalisé. 74 Devenu Saif
Said Shaheen, le coureur a offert à son pays d’adoption une médaille d’or aux
championnats du monde d’athlétisme de Paris organisé au stade de France en 2003. Une
victoire de prestige d’autant plus spéciale pour le coureur qu’il a triomphé devant un de
ses anciens compatriotes kényans. La nationalité et le prestige des sportifs sont vraiment
importants comme l’attestent les deux cartes suivantes issues de l’Atlas du sport
mondial.

73
BOLOTNY Frédéric, « Pas le droit à l’erreur ». France Football, n°3429, 27 décembre 2011. 1page.
74
BONIFACE Pascal, « Le Qatar se veut un modèle pour le Golfe ». Le Monde diplomatique, n°603, 2004, 1 page.

40
Carte illustrant les changements de nationalité aux JO
d’Athènes 200475

Carte illustrant les audiences aux JO de Pékin 200876

75
GILLON Pascal, GROSJEAN Frédéric, RAVENEL Loïc, Atlas du sport mondial. Paris : Autrement, 2010, 80 pages.
76
Ibid 75.

41
Etablir une corrélation entre ces deux cartes nous semble important dans ce travail de
recherche pour justifier l’importance des sportifs pour un pays. Sur ces deux cartes, on
voit les changements de nationalités aux Jeux Olympiques organisés à Athènes en 2004
et les audiences médiatiques lors des Jeux Olympiques suivants disputés à Pékin en
2008. La première carte montre qu’une véritable course aux sportifs a lieu pour tenter
de naturaliser les meilleurs sportifs. La seconde carte illustre les audiences médiatiques
dans les pays. Un parallèle apparaît très vite de l’observation de ces deux cartes. On voit
en effet que les spectateurs suivent en priorité les exploits de leurs compatriotes sportifs.
Pour attirer du monde devant les écrans nationaux, il est donc important d’avoir des
sportifs de haut niveau. On peut voir que l’événement le plus suivi aux Etats-Unis a été
la course offrant au nageur américain Mickael Phelps sa huitième médaille dans la
compétition. Les espagnols quant à eux se sont passionnés durant cette compétition pour
la finale de tennis entre Raphael Nadal et le chilien Fernando Gonzales. Par leurs
exploits et leurs victoires, les sportifs participent de l’image de leur pays. Ils sont des
ambassadeurs chargés de promouvoir une image positive de leur pays.

Il est aujourd’hui possible de mesurer cette image selon un indice développé par le
conseiller politique britannique Simon Anholt. Présenter cet indice nous semble
essentiel car il illustre l’importance de l’image pour un pays. « Cet indice a été créé au
profit des gouvernements nationaux désireux de connaître le renom et le profil de leur
nation. Les pays sont jugés en fonction de ce qu’ils font et non pas de ce qu’ils disent.
C’est la raison pour laquelle je fais peu de cas de la labellisation des nations : à mon
avis, c’est une idée à la fois fausse et dangereuse. Les nations ont des images de
marque qui sont d’une importance vitale pour leurs progrès et leur prospérité dans le
monde moderne. Les pays dont l’image est forte et positive peuvent exporter plus de
produits, attirer plus de culture, de personnes, de services, de touristes, d’investisseurs
et de migrants, tout en suscitant l’attention et le respect des autres gouvernements. Les
pays dont l’image est terne ou abîmée ont beaucoup plus de mal à atteindre tous ces
buts coûteux. C’est ce qui explique l’importance de l’image. Seuls une nouvelle
politique, de nouveaux investissements et des innovations sont susceptibles de
transformer l’image d’un pays, ce qui est un très long processus ».77

77
In http://www.magazin-deutschland.de/fr/artikel-fr/article/article/wie-wichtig-ist-sport-fuer-das-image-mr-
anholt.html?cHash=90bddcc80e&type=98 (consulté le 5 juin 2012).

42
Selon lui, le sport influence l’image d’un pays. Il prend le cas de l’Allemagne qui a
organisé la coupe du Monde de football 2006. S’il estime que le pays a changé son
image, il ajoute qu’il n’a pas su en tirer un bénéfice important à long terme. « J’ai déjà
écrit de nombreux articles sur les rapports entre les grands événements sportifs et
l’image d’un pays et sur ce qui fait la différence entre de bons Jeux olympiques ou de
championnats du monde et ceux qui tombent dans l’oubli peu de mois après avoir eu
lieu. De surcroît, j’ai analysé minutieusement comment le concept d’excellence sportive
contribue de manière positive à comprendre la mentalité de la population d’un pays. Ce
lien est très fort. Après avoir accueilli le Mondial de football 2006, l’Allemagne est
grimpée d’un coup au 1er rang du NBI 2007 et 2008, mais, comme je l’avais prédit, cet
effet n’a pas duré. Renforcer l’image d’un pays tient bien plus d’une course de relais
que d’une simple course. ? L’Allemagne n’ayant pas bâti sur le succès de son
championnat de football, les gens en reviennent tout doucement à leurs anciennes vues
sur le pays. C’est ce qui arrive toujours et le seul moyen de l’empêcher est de prouver
encore et toujours de manière spectaculaire que le pays mérite la réputation à laquelle
il aspire.78 Pour conclure la présentation de son indice, il donne les indices qui illustrent
la réussite de l’organisation d’un événement mondial.

« Cela dépend totalement de la manière dont cet événement sera mis en valeur.
Certains pays savent véritablement présenter de leur pays d’accueil une image qui est
adoptée comme telle par l’opinion publique – c’est le cas de l’Australie et de l’Espagne
pour les Jeux olympiques – d’autres organisent un événement particulièrement réussi
sans en rajouter, avec pour résultat qu’il tombe rapidement dans l’oubli, comme dans le
cas d’Athènes. Or il s’agit de bien plus que de veiller à ce que l’événement soit bien
organisé, qu’il soit spectaculaire et se déroule sans accrocs : il s’agit de savoir si les
immenses possibilités médiatiques sont bien mises à profit pour transmettre une image
vraie, significative et inoubliable du pays d’accueil ».79

78
In http://www.magazin-deutschland.de/fr/artikel-fr/article/article/wie-wichtig-ist-sport-fuer-das-image-mr-
anholt.html?cHash=90bddcc80e&type=98 (consulté le 5 juin 2012).
79
Ibid 78.

43
Pour le Qatar, il semble évident que le sport soit un outil efficace de diplomatie et un
bon moyen de faire évoluer son image pour exister sur la carte géopolitique mondiale.
Régis Soubrouillard, journaliste en charge des questions internationales pour le
magazine Marianne parle même dans son article PSG, Champions League : le Qatar
invente le « sport power » de Sport Power pour définir la relation qui unit le Qatar au
sport.80

Chapitre 6 : Le sport, un vecteur efficace dans les


relations diplomatiques ?

Pour ce chapitre, il nous semble important de nous éloigner du cas du Qatar et d’étudier
le rapport entre le sport et la géopolitique au niveau historique et mondial. L’objectif est
de savoir si le sport peut-être un moyen réellement efficace dans la conduite des
relations diplomatiques. Ce chapitre sera l’occasion d’un panorama historique illustrant
positivement et négativement les rapports entre le sport et la diplomatie.

Le sport peut être un outil positif dans la conduite des relations géopolitiques et
diplomatiques mondiales. Le sport est même en avance par rapport à la géographie
mondiale comme l’explique Pierre de Coubertin, le fondateur des Jeux Olympiques
modernes dans une déclaration reprise par Pascal Gillon, Frédéric Grosjean et Loïc
Ravenel dans leur Atlas du sport mondial. « La règle fondamentale des olympiades
modernes est All Games, All Nations. Une nation n’est pas nécessairement un Etat
indépendant et il existe une géographie sportive qui peut différencier parfois d’avec la
géographie politique ».81 Cette réalité est appuyée par les propos de Pascal Boniface qui
présente le cas de la Palestine, une nation qui n’a pas d’Etat mais qui est reconnue au
Comité International Olympique (CIO). « Le sport peut-être en avance sur la
géopolitique, mais pas trop. La Palestine qui n’a toujours pas d’Etat est membre du
CIO depuis 1994 ».82

80
In http://www.marianne2.fr/PSGChampions-League-le-Qatar-invente-le-sport-power_a213316.html (consulté le 5 juin 2012).
81
GILLON Pascal, GROSJEAN Frédéric, RAVENEL Loïc, Atlas du sport mondial. Paris : Autrement, 2010, 80 pages.
82
BONIFACE Pascal, « Géopolitique des Jeux Olympiques ». Le Monde diplomatique, n°605, 2004, 1 page.

44
La carte suivante illustre cette avance que possède la géographie sportive sur la
géographie politique. On voit l’ensemble des pays reconnus par le CIO et pas par
l’ONU.

Carte illustrant la géographie sportive83

Le sport a rapproché des Nations dont les relations politiques étaient tendues. Plusieurs
exemples dans l’histoire prouvent l’importance du sport dans l’amélioration passagère
des relations entre les Etats car il serait faux de considérer le sport comme un outil
miracle permettant aux pays d’oublier leurs différents politiques et idéologiques. La
Chine et les Etats-Unis s’étaient ainsi affrontés au cours d’une rencontre de ping-pong.
Cette rencontre symbolique est appelée par les historiens du sport la diplomatie du ping-
pong. « En 1971, l'équipe de tennis de table américaine avait été invitée par ses
homologues chinois. L'évènement avait été le prélude à la visite du président
américain Richard Nixon en 1972 en Chine. Une diplomatie du ping-pong que le Qatar
a fait revivre en organisant en novembre 2011, une rencontre entre la Corée du Nord,
la Corée du Sud, l’Inde et le Pakistan »84 précise Maxime Goldbaum dans son article,
La diplomatie du ping-pong fait son retour au Qatar.

83
GILLON Pascal, GROSJEAN Frédéric, RAVENEL Loïc, Atlas du sport mondial. Paris : Autrement, 2010, 80 pages.

84
In http://www.lemonde.fr/sport/article/2011/11/21/la-diplomatie-du-ping-pong-fait-son-retour-au-qatar_1606741_3242.html (consulté le 6
juin 2012).

45
En 1998, la rencontre lors de la coupe du Monde de Football organisée en France entre
l’Iran et les Etats-Unis a aussi été un facteur d’apaisement passager entre les deux
nations. Cette notion d’apaisement passager est importante. Le sport ne peut pas tout
gérer et n’a pas des répercussions toujours positives comme nous l’expliquerons dans la
suite de ce travail de recherche. Si les répercussions d’une rencontre sportive sont
incertaines avant la fin de l’épreuve, de nombreuses régions du monde utilisent la
diplomatie sportive. Seul le sport concerné change en fonction de sa popularité, de son
histoire et de son ancrage dans les pays concernés.

Ainsi Laurent Gayer, Chercheur au Centre de Sciences humaines de New Delhi (CSH,
Inde) et chercheur associé au Centre d’études de l’Inde et de l’Asie du Sud EHESS-
CNRS présente la diplomatie du cricket pour évoquer les relations diplomatiques
existantes autour du sport entre l’Inde et le Pakistan. Une présentation de cette
diplomatie nous semble importante dans cette étude car elle montre le lien qui unit le
sport et le monde politique. « Le cricket est, depuis les années 1980, un instrument de
leur rapprochement. Suscitant une véritable fièvre en Asie du Sud, le cricket y est
intimement lié au politique. Cette diplomatie sportive, rappelant la « diplomatie du
ping-pong», qui a contribué à la normalisation des relations sino-américaines au cours
des années 1970, s’est initiée dès le milieu des années 1980. En 1987, alors que les
relations indo-pakistanaises connaissaient une grave crise, le général Zia s’invita à
Jaipur pour assister à un match entre l’équipe indienne et sa rivale pakistanaise. Cette
visite impromptue contribua à une décrue significative des tensions entre les deux
adversaires et donna le véritable coup d’envoi de la diplomatie du cricket, patronnée
par les plus hautes autorités des deux pays. La diplomatie du cricket impulsée par les
Pakistanais a amorcé un processus de rapprochement des sociétés indienne et
pakistanaise. La diplomatie du cricket a permis d’instaurer un nouveau climat de
confiance entre les deux rivaux, tout en contribuant à l’expression d’émotions
collectives longtemps réprimées ».85

85
In http://www.afri-ct.org/IMG/pdf/diplomatie_du_cricket.pdf (consulté le 6 juin 2012).

46
Le sport collectif n’est pas le seul à être sollicité par les politiques en matière de
diplomatie. Les sportifs individuels aussi jouent un rôle à l’image du Pakistanais Aisam-
ul-Haq Qureshi et de l'Indien Rohan Bopanna qui ont joué ensemble lors du tournoi de
tennis de l’US Open, le plus gros tournoi de tennis américain de la saison, l’un des
quatre tournois du grand chelem de la saison de tennis.86

Comme nous l’avons précédemment présenté dans cette étude avec le cas Iran-Etats-
Unis de la Coupe du Monde 1998, le football est utilisé dans les relations
diplomatiques. Un exemple plus récent vient apporter un éclairage important sur le
rapport important qui existe entre le monde politique et le football. Le match disputé
entre les équipes nationales de Turquie et d’Arménie en octobre 2009 est
symboliquement fort. Quelques jours après la signature d’un traité entre les deux pays
visant à renouer des relations diplomatiques, les deux équipes se sont affrontées à
Ankara, la capitale de la Turquie pour lancer ce que Guillaume Perrier appelle dans son
article Deuxième mi-temps de la diplomatie du football entre Ankara et Erevan, la
diplomatie du football. « Quatre jours après la signature à Zurich d'un accord
historique entre la Turquie et l'Arménie, le match de football prévu mercredi 14 octobre
à Bursa, en Turquie, pouvait difficilement passer pour un événement sportif. Sans enjeu
sportif, les deux équipes étant éliminées des qualifications pour la Coupe du
monde 2010, le match était donc un premier test de la solidité du processus de
réconciliation. Comme au match aller, en septembre 2008, à Erevan, où le président
turc avait fait le voyage, lançant ainsi la diplomatie du football avec l'Arménie ».87

Cette notion de diplomatie du football n’était pas appelée ainsi mais un match qui eut
lieu en 1974 fut le premier événement de ce qu’on pourrait une diplomatie positive par
le football. Lors du premier tour de la Coupe du monde de Football disputé en 1974, les
équipes nationales de l’Allemagne séparée, la République Fédérale d’Allemagne (RFA)
et la République Démocratique allemande (RDA) s’affrontent. Un pas supplémentaire
est ainsi réalisé dans le rapprochement des deux nations.88

86
In http://www.lemonde.fr/sport/article/2011/11/21/la-diplomatie-du-ping-pong-fait-son-retour-au-qatar_1606741_3242.html (consulté le 6
juin 2012).
87
In http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2009/10/14/deuxieme-mi-temps-de-la-diplomatie-du-football-entre-ankara-et-
erevan_1253776_3218.html (consulté le 6 juin 2012).
88
In http://www.lemonde.fr/sport/article/2011/11/21/la-diplomatie-du-ping-pong-fait-son-retour-au-qatar_1606741_3242.html (consulté le 6
juin 2012).

47
Si le sport a entretenu ou participé à la création de relations diplomatiques, faisant de lui
un outil positif de la géopolitique mondiale, de nombreux exemples montrent qu’il a
également été utilisé comme un frein aux relations interétatiques. Le sport n’est de toute
façon pas un instrument suffisant. C’est du moins ce que pense Paul Dietschy,
chercheur rattaché au centre d’histoire de Science Po et maître de conférences en
histoire du sport, « Le sport est un thermomètre des relations internationales. Il faut que
les conditions soient réunies en amont, et que les Etats aient au préalable la volonté
de faire évoluer leur politique extérieure. Ce n'est pas le ping-pong qui a amené le
rapprochement entre les États-Unis et la Chine, car il était déjà imaginé à la fin des
années 1960. Ces événements servent au mieux de symbole, au pire de prétexte ».89

Au cours de l’histoire, le sport a également été utilisé aussi bien pour véhiculer une
image associant idéologie politique et prestige sportif, que pour montrer une opposition
idéologique politique. Il a ainsi servi de faire valoir à des régimes totalitaires qui ont
utilisé le prestige de la victoire pour montrer la force et le bénéfice que leur vision du
monde pouvait engendrer. Les dictateurs ont ainsi accordé une place importante au sport
et ils ont souvent associé le prestige de la victoire à la force de leurs idées. Si Adolf
Hitler a tenté de montrer « la force » du régime nazi allemand lors des Jeux Olympiques
de Berlin en 1938, Benito Mussolini, président du conseil italien de 1922 à 1943 a lui
misé sur le football, un sport très populaire dans son pays. C’est Paul Dietschy, dans son
article Le siècle du football, qui présente l’impact des victoires lors des coupes du
monde de football de 1934 et 1938 pour le régime fasciste du duce italien. « Et
pourtant, en Italie, le football participe à la fabrication du consensus autour du Duce,
par le biais des moyens de communication de masse. Ces médias, célèbrent à travers le
footballeur, l’homme nouveau et viril valorisé par le régime. La propagande fasciste
fait son miel des deux titres mondiaux gagnés par la Squadra Azzura, l’équipe nationale
italienne en 1934 et 1938. La coupe du Monde remportée en 1934 en Italie en présence
de Mussolini en présence est une magnifique vitrine pour les grandes réalisations du
régime et une excellente tribune pour un Duce au sommet de sa popularité.

89
In http://www.lemonde.fr/sport/article/2011/11/21/la-diplomatie-du-ping-pong-fait-son-retour-au-qatar_1606741_3242.html (consulté le 6
juin 2012).

48
En 1938 la troisième coupe du Monde gagnée par l’Italie est saluée par les organes de
propagande fascistes qui interprètent cette victoire comme une démonstration de force
».90
L’histoire des Jeux Olympiques est marquée par ces conflits diplomatiques qui ont
abouti à de nombreux boycotts. Les Jeux Olympiques de Berlin en 1936 ont ainsi été
l’occasion pour le régime allemand de véhiculer au monde l’image d’une nation
supérieure. Cet exemple n’est pas présenté pour montrer le rapport entre sport et
diplomatie au sens de création de relation inter-état mais plutôt pour montrer
l’importance que le sport peut donner en termes d’image et d’identité au niveau
mondial. « En 1936, les Jeux de Berlin furent l’occasion de l’affirmation du National
socialisme. Tout était fait en effet pour démontrer la supériorité de l’organisation nazie,
la supériorité biologique de la race aryenne sur les races impures et tout le monde
connaît le désappointement du Führer lorsque le noir Jesse Owens gagna deux
médailles d’or contre les blonds athlètes nazis. L’affirmation des systèmes est de fait
encore plus éclatante ».91 Le choix du régime politique est ainsi légitimé par le sport.
Le sport prend davantage d‘importance au lendemain de la seconde guerre mondiale.
Les états en ont conscience, ce qui explique l’importance et les retombées qu’il va
engendrer au niveau diplomatique. Par opposition à la diplomatie du football que nous
avons précédemment présentée dans cette étude, on peut parler de « guerre du football »
pour évoquer la nature de la relation diplomatique existante entre le Honduras et le
Salvador en 1969. Les rencontres éliminatoires en vue d’une qualification pour la coupe
du Monde 1970 organisée par le Mexique se conclurent par la mort de 5000 personnes
environ. Cette « guerre du football » ou « guerre de cent heures » pour exprimer le
temps qu’elle a duré montre les rapports meurtriers qui peuvent exister autour du sport
dans des rapports de politique extérieure.92 La neutralité politique comme fondement du
sport est ainsi complètement remise en cause. Le sport peut se prétendre apolitique mais
il est difficile de le considérer totalement comme tel à l’image des affrontements
symboliques sportifs qui se sont déroulés entre les Etats-Unis et l’URSS.

90
DIETSCHY Paul, « Un siècle de football ». L’histoire, n° 266, 2002, 7 pages.
91
Pierre COLLOMB (ss dir de), Sport, droit et relations internationales. Paris : Economica, 1988, 321 pages.

92
In http://meridien.canalblog.com/archives/2009/07/19/14457469.html (consulté le 7 juin 2012).

49
La période de la Guerre Froide, qui s’étend de 1947 à 1991 est particulièrement propice
à cet affrontement entre deux visions du monde par la lunette du sport. L’objectif est
simple pour les deux acteurs du monde bi-polaire de l’époque, l’Union des Républiques
Socialistes Soviétiques (URSS) et les Etats-Unis. Il faut faire mieux, c'est-à-dire être
devant l’autre au nombre de médailles et de titres olympiques remportés. C’est Pascal
Boniface, dans son article sur le rapport entre la géopolitique et l’histoire des Jeux
Olympiques intitulé Géopolitique des Jeux Olympiques qui explique l’importance de ces
événements dans la lutte à distance que se livraient les deux entités politiques majeures
de l’époque.
C’est l’importance du prestige retiré du nombre des médailles qui est mis en avant par le
chercheur. Il explique ainsi que le sport est un vecteur de rayonnement identitaire et
idéologique international. « Durant la guerre froide, la rivalité Est-Ouest se retrouvait
aussi dans les joutes olympiques, Washington et Moscou espérant prouver la
supériorité de leur système par le décompte des médailles. Dès sa deuxième
participation, en 1956, l’URSS passe devant les Etats-Unis avec 37 médailles d’or
contre 32. Supériorité confirmée en 1960 (43 contre 34). En 1964, les Etats-Unis
reprennent le dessus (36 à 30), puis en 1968 (45 à 29). A Munich [en 1972], il y a une
double victoire des pays communistes, l’URSS remporte 50 médailles d’or, les Etats-
Unis 33, une supériorité confirmée en 1976 et bien sûr en 1980, les jeux de Moscou
étant boycottés par l’Ouest. Les derniers Jeux de la guerre froide, à Séoul [1988] furent
encore un triomphe pour les pays communistes. L’URSS arriva en tête avec 55
médailles d’or suivie de la RDA avec 37 médailles d’or. Les Etats-Unis terminèrent
troisièmes avec 36 médailles ».93
Les logiques d’acteurs montrent ici une légitimation de l’idéologie politique par le
prestige des résultats sportifs favorables. Le sport n’est toutefois pas un moyen certain
d’améliorer l’image du pays organisateur de l’événement à l’international. Le cas de
Pékin 2008 illustre ces propos. Alors que la communication menée par les dirigeants
chinois visait à moderniser l’image de la ville en la présentant comme une ville
écologique, les incidents organisés par Reporters sans frontières en réponse au conflit
sino-tibétain ont considérablement dégradé l’image de la Chine.94

93
BONIFACE Pascal, « Géopolitique des Jeux Olympiques ». Le Monde diplomatique, n°605, 2004, 1 page.
94
MENARD Robert et STEINER Thierry, Mirages et cheikhs en blanc : enquête sur la face cachée du Qatar, le coffre-fort de la
France. France : Moment, 2010, 217 pages.

50
Tous les exemples de relation entre le sport et la diplomatie interétatique, qu’ils soient
positifs ou négatifs, nous amène à relativiser les ambitions qataries qui considèrent le
sport comme un moyen certain de se faire voir, d’exister et d’entretenir des relations
positives diplomatiques avec le reste du monde. Le sport peut-être un instrument de
diplomatie positif, mais aussi un moyen de pression importante quand deux pays
s’opposent sur une décision politique.

Le dernier exemple va avoir lieu avec le boycott de l’Euro 2012 de football annoncé par
les instances gouvernementales françaises. La délégation politique française refuse
d’envoyer un ambassadeur politique suite à l’emprisonnement d’Ioula Timochenko,
condamnée en 2011 à sept années de prison. La ministre des Sports française Valérie
Fourneyron explique cette action dans un entretien accordé au journal Libération.
«Aucun membre du gouvernement ne sera aux matches en Ukraine. Le Quai d'Orsay a
informé le gouvernement ukrainien et le gouvernement polonais de cette situation. C'est
une position prise au regard de la préoccupation qui est la nôtre du respect des valeurs
européennes et notamment à la lumière de la situation de Mme Timochenko. Chacun
prend ses responsabilités, aujourd'hui la France a pris une position au regard d'une
situation particulière actuellement en Ukraine, au regard de la détention de Mme
Timochenko. Comme vous l'avez vu, la position a également été partagée par la
chancelière allemande Angela Merkel, le président de l'UE Herman Van Rompuy et le
président de la Commission européenne José Manuel Barroso ».95

La principale différence qui apparait dans cet exemple réside dans le fait que ce sont les
hommes politiques qui boycottent la compétition et le pays organisateur. Ce n’est plus,
comme dans les exemples précédemment présentés, les sportifs eux-mêmes sur décision
politique qui boycottent la compétition. Le prestige, la médiatisation, le marketing et la
neutralité inhérente au sport laissent à penser qu’il est difficile en terme d’image de ne
pas faire partie d’une telle compétition, la deuxième la plus importante pour une équipe
nationale de football après la coupe du Monde. Les joueurs ont aujourd’hui des
obligations commerciales contractualisées qui leurs imposent, une fois la qualification
assurée, d’être des acteurs de ces événements mondiaux.

95
In http://www.liberation.fr/depeches/2012/05/31/euro-de-foot-aucun-membre-du-gouvernement-en-ukraine-annonce-paris_822770
(consulté le 6 juin 2012).

51
Il semble inconcevable de voir des sportifs aujourd’hui refuser, suite à une décision
politique, de participer à un tel événement. D’autant plus qu’ils savent que tous les
observateurs sportifs et commerciaux ont les yeux rivés sur ces compétitions. C’est un
aspect important qui peut leur apporter beaucoup en termes financier et médiatique s’ils
arrivent à briller pendant l’épreuve.

Le Qatar doit donc faire attention et ne pas tout miser sur le sport. Pascal Boniface
l’explique dans son article Le Qatar, hyper puissance du sport ? Selon lui, le Qatar doit
se méfier. A se voir confier l’organisation de tous les principaux événements sportifs
mondiaux, l’émirat pourrait susciter de la jalousie envers les pays vaincus et voir ses
relations diplomatiques se dégrader. « Cependant toute puissance doit connaître ses
limites et ne pas rendre trop étouffante son omniprésence. Le Qatar devrait peut-être
faire une pause [dans ses investissements sportifs]. L’investissement dans le sport était
pour lui un moyen de gagner en popularité. S’il remporte trop régulièrement
l’organisation d’évènements sportifs majeurs, il va irriter les autres nations et manquer
son objectif. Il devrait faire attention à ne pas franchir la limite séparant la jalousie de
l’irritation ou la rancœur que crée une trop forte domination ».96

96
In http://pascalbonifaceaffairesstrategiques.blogs.nouvelobs.com/archive/2011/01/29/le-qatar-hyper-puissance-du-sport.html (consulté le 6
juin 2012).

52
Conclusion

53
Ce travail de recherche sur les relations entre sports, communication et
géopolitique autour du cas du Qatar a mis en exergue le côté central que l’émirat du
Qatar souhaitait accorder aux différents sports pour exister et se faire connaître sur la
carte mondiale. Par le rayonnement sportif des événements et des clubs qu’il finance et
par le rayonnement médiatique qui accompagne le sport, le Qatar cherche à faire
évoluer son image de pays du Moyen-Orient. Ainsi, on a montré que le sport pouvait
améliorer l’image d’un pays, la changer ou même participer à sa création. Dans des
stratégies de reconnaissance à l’international, le sport peut jouer un rôle central. Les
logiques d’acteurs visent alors à associer les valeurs du sport à l’image du pays dans le
but de faire évoluer cette dernière.

Le directeur de communication du Qatar développe cette idée. Pour lui, quand on dit
Proche-Orient à une personne, elle pense terrorisme. Le Qatar ne veut pas que cette
notion soit associée à son nom. « Quand on vous dit Proche-Orient, vous pensez tout de
suite terroristes, pas vrai ? Eh bien, nos dirigeants veulent que le Qatar ait bonne
réputation ».97 Or le sport peut-être selon lui l’instrument de ce changement dans la
mesure où « le sport est le moyen le plus rapide de délivrer un message et d’assurer la
promotion d’un pays ».98 En expliquant cela, on répond à notre premier questionnement
annoncé dans l’introduction de cette étude sur l’impact que le sport pouvait engendrer
en termes d’images.

Cette image peut également être améliorée par l’organisation d’événements sportifs
mondiaux comme un championnat du Monde de handball ou de football que le pays
organisera en 2015 et 2022. Pour les accueillir correctement, il faut doter le pays de
structures sportives. Ainsi le Qatar a annoncé au moment de sa candidature à
l’organisation du mondial de football 2022 la création de dix enceintes climatisées pour
faire face aux fortes chaleurs de la région. Le pays montre alors des capacités
d’innovations importantes qui symbolisent un dynamisme scientifique et conceptuel
important. Il faut également doter le pays de structures d’accueils et améliorer les
structures urbaines pour favoriser l’arrivée et la circulation des spectateurs. Toutefois
pour connaître les retombées éventuelles positives de ces événements, il faut attendre la
fin de la compétition pour savoir, si les moyens politiques et économiques mis en œuvre
pour faire évoluer la perception du pays, ont été productifs.

97
BONIFACE Pascal, « Le Qatar se veut un modèle pour le Golfe ». Le Monde diplomatique, n°603, 2004, 1 page.
98
Ibid 97.

54
Le sport en tant que compétitions sportives mondialisées peut donc améliorer l’image
d’un pays, mais il peut également être utilisé négativement par des opposants à une
idéologie politique à l’image des événements qui se sont déroulés au moment des Jeux
Olympiques 2008 disputés à Pékin en répercussion au conflit sino-tibétain. Investir dans
le sport pour changer son image peut être un choix judicieux, mais c’est un choix
incertain au moment de la candidature ou du début du financement d’un club puisqu’il
est impossible de prévoir l’ensemble des événements qui peuvent accompagner
l’évolution quotidienne d’un club ou d’une compétition.

Notre deuxième questionnement dans cette étude portait sur le rôle que pouvait apporter
le sport dans la diplomatie internationale, diplomatie au sens d’espace public
international de négociations. On a pu voir par les historiens du sport que nous avons
convoqués que le sport pouvait servir positivement les relations inter-états. Le sport
peut-être un instrument diplomatique assurant une plus grande visibilité internationale
au pays qui l’utilise. Il peut favoriser la création de relations internationales tout autant
qu’il les suspend ou les rompt. Le principal changement qu’on a pu constater dans
l’histoire de la relation entre sport, diplomatie et image réside dans les acteurs concernés
par un éventuel boycott d’un événement sportif mondial organisé sur le sol d’un pays
opposé idéologiquement et politiquement.

Ainsi ce ne sont plus les sportifs qui boycottent le pays et la compétition mais les
dirigeants politiques. La médiatisation mondiale de ces événements est trop importante
pour l’image d’un pays. La réussite sportive et l’image d’ambassadeur qui est associée
aux sportifs semblent plus importantes que les différents idéologiques et politiques.

Le Qatar peut donc investir dans le sport pour rayonner à l’international mais ne doit
pas miser toute sa diplomatie sur ce seul instrument. La défaite de Doha, la capitale
qatarie, à l’organisation des Jeux Olympiques de 2020, est un exemple qui illustre
l’incertitude liée au sport. C’est d’ailleurs ce caractère incertain qui rend le sport si
imprévisible.

55
Bibliographie

56
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