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11/02/2018 A Châteauroux, le "pari risqué" de la gratuité des bus

A Châteauroux, le "pari risqué" de la gratuité des


bus
Un peu plus de dix ans après les premières expérimentations françaises, les communes qui ont
instauré la gratuité totale, comme Châteauroux et Aubagne, en sont à l'heure des bilans.

Le Monde.fr | 19.10.2012 à 15h23 • Mis à jour le 12.09.2013 à 03h05 | Par Delphine Roucaute (/journaliste/delphine-roucaute/)

Les trente-quatre bus de Châteauroux ont couverts 1 529 240 kilomètres en 2011. Delphine Roucaute

Un peu plus de dix ans après les premières expérimentations françaises, les communes qui ont
instauré la gratuité totale dans leurs transports en commun en sont à l'heure des bilans. Dans leur
ouvrage publié en septembre 2012, Voyageurs sans ticket. Liberté égalité, gratuité, une expérience
sociale à Aubagne, la présidente de l'agglomération du Pays d'Aubagne et de l'Etoile, Magali
Giovannangeli, et le philosophe Jean-Louis Sagot-Duvauroux, saluent avec enthousiasme
(http://www.terraeco.net/Des-transports-gratuits-En-voila,45949.html) les trois ans de la gratuité des transports à
Aubagne. De son côté, l'agglomération de Châteauroux (CAC), pionnière en la matière, revient sur
les onze années pendant lesquelles ses bus ont roulé gratuitement.

L'agglomération castelroussine fait figure de modèle parmi la vingtaine de communes françaises à


avoir instauré une gratuité partielle ou complète dans leurs transports. Onze ans après avoir avoir
proposé de supprimer la billetterie dans les bus, le maire (UMP ) de Châteauroux, Jean-François
Mayet, a réussi à faire de la gratuité une évidence dans cette agglomération aux quelque 74 000
habitants. De 7 heures à 20 heures, trente-quatre bus desservent les douze communes de
l'agglomération sans que plus personne ne s'étonne de l'absence de poinçonneuse aux côtés du
conducteur.

UNE BILLETTERIE PEU IMPORTANTE

Loin des considérations écologistes ou de la critique du "marché invisible" avancée par le


philosophe d'Aubagne, l'instauration de la gratuité à Châteauroux relevait plutôt d'une forme de
pragmatisme. L'idée est née en 2001 dans la tête du candidat UMP à la mairie de Châteauroux, ville
tenue depuis des années par des socialistes. Elle partait d'un constat simple : il fallait redynamiser
des transports en commun peu fréquentés par les Castelroussins (on comptait à l'époque 21
voyages par an et par habitant, soit un chiffre bien inférieur à la moyenne nationale des villes de
même taille, et la billetterie ne couvrait que 14 % du coût total annuel des transports en commun).
La gratuité se présentait alors comme un moyen efficace de rendre les transports plus attractifs sans
pour autant déséquilibrer le budget.

La réponse ne s'est pas fait attendre : un an après l'instauration de la gratuité, la fréquentation avait
progressé de près de 81 %. "Je ne m'attendais pas à une telle progression", s'étonne encore
aujourd'hui Paul Pluviaud, vice-président chargé des transports de la CAC. "Ces résultats ont été
permis grâce d'une part à la gratuité, et d'autre part à la refondation du réseau et la rénovation de
nouveaux quartiers" qui ont rendu les transports plus attractifs. En dix ans, le nombre de kilomètres
couverts par le réseau de bus a augmenté de plus de 42 %, et la fréquentation est passée à 61

http://www.lemonde.fr/economie/article/2012/10/19/a-chateauroux-le-pari-risque-de-la-gratuite-des-bus_1774971_3234.html 1/3
11/02/2018 A Châteauroux, le "pari risqué" de la gratuité des bus
voyages par an et par habitant (pour une moyenne nationale de 38 voyages par an et par habitant
dans les villes de moins de 100 000 habitants).

Financièrement, la transition a été assurée par une légère augmentation – de 0,5 % à 0,6 % en
2002 – du versement transport , une taxe payée par les entreprises comptant plus de neuf salariés,
et par les économies accumulées lorsque les transports étaient payants. En comparaison,
l'agglomération d'Aubagne, qui compte 103 000 habitants, a triplé son versement transport, le
faisant passer de 0,6 % à 1,8 % en 2009.

LES BUS NE SONT PAS DES TAXIS

Lorsque Jean-François Mayet a fait de la gratuité un de ses thèmes de campagne en 2001, certains
usagers ont agité le drapeau rouge du vandalisme. Au moment du passage du système payant au
système gratuit, le nombre de sièges endommagés a en effet augmenté : en 2002, 118 sièges
avaient été tagués ou lacérés, contre une dizaine l'année précédente. Pour autant, comme le note
Bruno Cordier dans le rapport sur la gratuité totale des transports collectifs urbains qu'il a établi pour
l'Ademe en janvier 2007 (http://portail.documentation.equipement.gouv.fr/documents/dri/PREDIT_0082.pdf) , "cette hausse
ne peut pas être imputée uniquement à la gratuité en tant que telle, (...) elle correspond
malheureusement à une évolution de la société. Par ailleurs, il est logique que le vandalisme
augmente quand la fréquentation augmente". A la mairie, M. Mayet relativise : "Il n'y a pas de
délinquance, mais un sentiment d'insécurité."

Du côté des conducteurs, le bilan est plus mitigé. Mehdi (le prénom a été changé) travaille dans les
bus de Châteauroux depuis douze ans. Talkie-walkie à la main, il surveille du coin de l'œil le ballet
des bus autour des trois quais du pôle Voltaire, la principale plate-forme de bus de la ville. Même si
les rapports d'argent entre les habitants et les conducteurs n'existent plus depuis dix ans, il continue
à parler de "clients". "Question d'habitude", sourit-il.

Après une augmentation des actes de vandalisme lors du passage à la gratuité, la ville a remplacé tous les sièges en
tissu par des sièges en plastique. Delphine Roucaute

S'il reconnaît que le bilan des dix dernières années est globalement positif, il est assez critique sur
la manière dont le changement s'est opéré à Châteauroux. "La transition a été difficile. Parce les
transports étaient gratuits, les gens ont cru que c'étaient des sortes de taxis : les gens nous
demandaient de les arrêter devant chez eux, et ne comprenaient pas notre refus", raconte-t-il.
Etonnamment, il regrette le rapport qu'il avait avec les "clients" quand le service était payant :
"Aujourd'hui, on fait partie des meubles, les gens oublient souvent de nous dire bonjour." Mais il
admet lui aussi que ces attitudes ne correspondent pas tant à un rapport à la gratuité qu'à une
évolution générale de la société.

Pour ce qui est de la sécurité dans les bus, des agents de la société Keolis Châteauroux – qui
exploite, entretient et conduit les bus – travaillent "main dans la main avec la police municipale",
insiste M. Pluviaud. Et si la télésurveillance a pu être envisagée, une simple visite à Blois, où le
système est installé, a persuadé la mairie de ne pas procéder à "des dépenses qui ne se justifiaient
pas". Les élus ont préféré installer dans tous les bus des sièges en plastique bleu, plus résistants
que ceux en tissu.

UN MODÈLE EXPORTABLE ?

Quant à savoir si l'expérience castelroussine est exportable dans les autres communes françaises,
la réponse du maire se fait prudente. "La gratuité est un choix. Dans les villes de moins de 100 000
habitants, je pense que c'est envisageable, mais pour le reste, je suis incapable de dire", avance M.

http://www.lemonde.fr/economie/article/2012/10/19/a-chateauroux-le-pari-risque-de-la-gratuite-des-bus_1774971_3234.html 2/3
11/02/2018 A Châteauroux, le "pari risqué" de la gratuité des bus
Mayet. Il évoque le cas de la ville voisine de Tours , où la billetterie couvre près de 47 % du coût
total des transports : "si Châteauroux avait été dans cette situation, nous ne serions sûrement pas
passé à la gratuité", assure l'élu. Dans son rapport
(http://portail.documentation.equipement.gouv.fr/documents/dri/PREDIT_0082.pdf) de 2007, Bruno Cordier se veut plus
optimiste : la gratuité serait envisageable, notamment en réduisant les budgets affectés à
l'automobile . Pour les villes de plus de 100 000 habitants, le calcul se fait plus compliqué,
notamment parce que la billetterie représente un volume beaucoup plus important, difficile à
compenser .

"Je ne suis pas un anti-gratuité, déclare Bruno Cordier. Il s'agit avant tout d'une hiérarchisation des
besoins." Pour le directeur de l'Adetec, un bureau d'études au service des politiques alternatives de
déplacement, "la gratuité est une bonne chose mais ne résout pas tout à budget constant". Il
explique que l'augmentation de la fréquentation s'obtient en grande partie grâce à une amélioration
de l'offre de transport. D'après lui, une alternative serait une tarification "sociale", peu onéreuse et
dégressive, qui a été mise en place ces dernières années dans des villes comme Dunkerque,
Grenoble ou Strasbourg .

A Châteauroux, le pari à relever ces prochaines années reste le maintien d'un réseau attractif et en
bon état, alors même que les régions se déchargent sur les communes de certaines prérogatives,
comme par exemple la prise en charge des transports périurbains, ou les transports scolaires. De
plus, M. Pluviaud constate que la gratuité a installé une forme d'exigence supplémentaire. "On est
condamné à suivre le rythme au niveau du fonctionnement et des investissements, souligne-t-il. Le
choix de la gratuité a été un pari risqué, mais c'est un beau challenge."

>> Lire aussi : "Transports : "La gratuité ne suffit pas à rendre un réseau attractif""
(/economie/article/2012/10/19/transports-la-gratuite-ne-suffit-pas-a-rendre-un-reseau-attractif_1777680_3234.html)

http://www.lemonde.fr/economie/article/2012/10/19/a-chateauroux-le-pari-risque-de-la-gratuite-des-bus_1774971_3234.html 3/3

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