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L’affaire Baby-loup (sous l’angle : les obligations contenues dans la Constitution

s’imposent-elles aux personnes privées ?)

I- Accroche
Place de la liberté de religion au travail - Affaire centrale dans la France d’aujourd’hui puisque l’on
touche à des valeurs essentielles de notre République : la question de la pratique religieuse et du
secteur éducatif, de la laïcité : cocktail explosif ! Questions pour la plupart du temps non résolues.

II- Préliminaires : Clarifier les faits de l’espèce : qu’est-ce que l’affaire


Baby loup ?
- Affaire Baby loup => de l’ordre de la « saga juridique » : multiples instances, renvoies etc.

i. Faits

Une salariée est employée par la crèche Baby Loup en qualité d'éducatrice de jeunes enfants
exerçant les fonctions de directrice adjointe. Elle porte alors le foulard. Elle bénéficie en mai 2003
d’un congé maternité suivi d’un congé parental jusqu’au 8 décembre 2008. Au cours de cette période
de congé, elle est informée par la directrice de la crèche, qu'en vertu d'un nouveau règlement
intérieur adopté, elle ne pourra plus revenir travailler avec le foulard qu'elle a l'habitude de porter. À
son retour de congé, la salariée se présente dans les locaux de l'association vêtue d'un « voile
islamique intégral », selon les termes utilisés par son employeur. Elle est alors invitée à « se
changer ». Ayant décliné l'invitation, elle est convoquée à un entretien préalable à son licenciement
et est immédiatement mise à pied à titre conservatoire. Malgré le prononcé de cette mise à pied, elle
se présente à plusieurs reprises dans les locaux de l'association et son employeur prétend alors
qu’elle fait preuve d'agressivité à l'égard de la directrice de la crèche notamment. La salariée se voit
notifier son licenciement pour faute grave. Son employeur lui reproche son insubordination et la
violation de ses obligations résultant du règlement intérieur de l'association qui impose les principes
de laïcité et de neutralité à son personnel.

S'estimant victime d'une discrimination au regard de ses convictions religieuses, elle saisit le conseil
des prud'homme de Mantes-la-Jolie, le 9 février 2009, en nullité de son licenciement et réclame une
indemnité.

1. CONSEIL DES PRUD’HOMMES : déboutement de la salariée

Le 13 décembre 2010, le conseil des prud'hommes de Mantes-la-Jolie (Yvelines) donne raison à la


directrice de la crèche estimant que la salariée licenciée a fait preuve « D'INSUBORDINATION
CARACTERISEE ET REPETEE ».

2. Arrêt confirmatif de la COUR D’APPEL DE VERSAILLES – 27 Octobre 2011


3. COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, 19 mars 2013 : casse et annule l’arrêt de la CA

La Cour de cassation estime que :

1/ « le principe de laïcité instauré par l'article 1er de la Constitution n'est pas applicable aux salariés
des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public. [Ce principe] ne peut dès lors être
invoqué pour priver [les salariés] de la protection que leur assurent les dispositions du code du
travail. »

2/ La clause du règlement intérieur imposant le respect du principe de laïcité et de neutralité n'étant,


selon la cour, ni justifiée, ni proportionnée, l'employeur ne pouvait pas s'en prévaloir pour licencier
sa salariée. La Cour de cassation conclut en considérant que le licenciement de la salariée
est « discriminatoire » et donc « nul ».

4. Arrêt confirmatif de la COUR D'APPEL DE RENVOI DE PARIS le27 novembre 2013

Confirme le jugement de 1ère instance (PH) et forge le concept d’ENTREPRISE DE CONVICTION.

L'association Baby Loup a « aux termes de ses status, [...] pour objectif

- de développer une action orientée vers la petite enfance en milieu défavorisé et d’œuvrer
pour l’insertion sociale et professionnelle des femmes sans distinction d’opinion politique et
confessionnelle »,
- en deuxième lieu que « de telles missions sont d'intérêt général »,
- et en troisième lieu qu’« au regard tant de la nécessité [...] de protéger la liberté de pensée,
de conscience et de religion à construire pour chaque enfant, que de celle de respecter la
pluralité des options religieuses des femmes au profit desquelles est mise en œuvre une
insertion sociale et professionnelle aux métiers de la petite enfance, dans un environnement
multiconfessionnel, ces missions peuvent être accomplies par une entreprise soucieuse
d’imposer à son personnel un principe de neutralité pour transcender le multiculturalisme
des personnes auxquelles elle s’adresse »,
- la cour d'appel estime que la crèche Baby Loup peut être qualifiée d'« ENTREPRISE DE
CONVICTION » ce qui l'autorise à « exiger la neutralité de ses employés ».

5. Pourvoi formé par la salariée devant l'ASSEMBLEE PLENIERE DE LA COUR DE CASSATION = 16


Juin 2014

L’affaire est examinée en urgence devant l’AP de la Cour de cassation. Rejet du pourvoi formé par la
requérante.

6. COUR DE CASSATION, ASSEMBLEE PLENIERE 25 JUIN 2014 : rejet du pourvoi formé par la
salariée

Un employeur de droit privé peut-il se prévaloir du principe de laïcité contenu dans le règlement
intérieur pour licencier une salariée portant le voile islamique? Dans quelle mesure une clause du

règlement intérieur peut-elle interdire aux salariés d'exprimer leurs convictions religieuses?
- Elle désapprouve le raisonnement de la CA de Paris en tant que cette dernière qualifie la
crèche Baby Loup d'« entreprise de conviction ».

- Elle estime en revanche que « la cour d'appel a pu déduire [de l'énoncé des dispositions du
règlement intérieur de la crèche], appréciant de manière concrète les conditions de
fonctionnement d'une association de dimension réduite, employant seulement dix-huit
salariés, qui étaient ou pouvaient être en relation directe avec les enfants et leurs parents,
que la restriction à la liberté de manifester sa religion édictée par le règlement intérieur ne
présentait pas un caractère général, mais était suffisamment précise, justifiée par la nature
des tâches accomplies par les salariés de l'association et proportionnée au but recherché ».
La Cour de cassation considère donc que la Cour d'appel « a pu retenir que le licenciement
pour faute grave de [la salariée] était justifié par son refus d'accéder aux demandes licites de
son employeur de s'abstenir de porter son voile et par [s]es insubordinations répétées et
caractérisées ».

III- Intérêt
L’étude de l’affaire Baby loup présente un intérêt certain au regard d’un cours de droit
constitutionnel comparé. De quels droits fondamentaux discute-t-on l’application ?

Définition DF => Droits protégés dans la Constitution (rang supra). Les droits fondamentaux sont des
PERMISSIONS D’AGIR auxquelles l’ensemble des autorités publiques (particulièrement le
législateur), ne peuvent pas porter atteintes (ou seulement jusqu’à un certain point).

- Principe de laïcité – article 1er de la Constitution : « La France est une République indivisible,
laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans
distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. » => corolaire
= principe de neutralité (pour s’appliquer à l’association)

 Laïcité « publique » ? Toute importation dans un cadre privé doit-elle être récusée ?
 Difficulté à définir cette notion : contresens autour de cette notion « politico-juridique »

- Liberté de conscience et de religion

 Régime posé par l’article 10 DDHC 1789 = liberté d’opinion, même religieuse + prolongé
par la loi de 1905 figurent dans les deux premiers articles.

Art. 1 : “ La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des
cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public ”.
Art. 2 : “ La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte... Pourront
toutefois être inscrites aux dits budgets (de l’Etat, des départements, des communes) les
dépenses relatives à des services d’aumôneries et destinées à assurer le libre exercice des
cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et
prisons ”...

 Une doctrine de la laïcité de l’Etat s’est développée, qui a considérablement évolué au


cours du XX° siècle.
Aujourd’hui, ces DF s’appliquent sans conteste dans un rapport vertical : L’Etat, ses collectivités
publiques sont titulaires d’obligations (charge de respecter les DF protecteurs de l’individu). Ainsi,
l’autorité publique a un devoir de neutralité face à toutes les religions et à toutes les croyances et
inversement, se doit de rendre possible l’exercice et la pratique du culte.

Certains auteurs René CASSIN, Jean RIVERO, René-Jean DUPUIS ont intégré la question de l’effet
horizontal des DF => à la dimension verticale s’ajoute une dimension horizontale => les H auraient
des obligations les uns à l’égard des autres. Selon ces auteurs, pour que ces DF soient réellement
appliqués, il faut s’attacher à les faire respecter dans les rapports entre personnes privées.

René Jean-DUPUIS => « Si désormais l’humanité a des droits sur l’Etat, elle en a aussi sur l’homme.
Elle attend de lui notamment qu’il la respecte dans les autres hommes, car toute violation de leurs
droits méconnaît les siens ».

Pour d’autres auteurs (principalement américains), la Constitution est un ensemble de normes qui
organise les pouvoirs publics (et qui ne concerne pas des rapports entre personnes privées).

C’est sous la problématique de l’effet horizontal des DF (ppe de laïcité et de liberté religieuse) que
nous allons nous intéresser à l’Affaire Baby Loup. Les personnes privées de l’espèce :
- crèche privée
- salariée licenciée (employée soumise au droit privé)

PB = > Est-ce que les juges retiennent une application horizontale des DF évoqués ? (Le principe de
laïcité et de liberté religieuse contenu dans l’article 1 de la C° s’appliquent-ils en l’espèce?)

I- LE REJET EXPLICITE DU PRINCIPE DE LAÏCITE (NEUTRALITE) DANS LES RAPPORTS ENTRE


PERSONNES PRIVEES

A- UNE APPLICABILITE EXCLUSIVE AUX MISSIONS DE SP (vs. missions d’IG)

i. EXPLICATIONS :

Cette JP reste fondée sur la volonté de ne pas étendre le principe de laïcité aux personnes privées
exerçant une mission d’IG sans lien avec les PPQ. Cette mission d’IG doit être distinguée de mission
de SP (cf arrêts).

Les critères : célèbre arrêt APREI (CE 22 févr. 2007) => faisceaux d’indice : méthode du faisceau
d'indices permet d'identifier le caractère de service public d'une activité gérée par un organisme
privé

 la mission d'intérêt général : critère finaliste fonctionnel (Duguit)


 la personne publique : critère organique (Hauriou)
 Régime juridique exorbitant du D commun : critère matériel (jèze) -> PPP

L’activité de la crèche a toutes les caractéristiques pour répondre à la mission de SP (qui entrainerait
application du ppe de laïcité).

- « développer une action orientée vers la petite enfance en milieu défavorisé et d'œuvrer
pour l'insertion sociale et professionnelle des femmes, sans distinction d'opinion politique ou
confessionnelle ».
- Elle bénéficie d'un financement alimenté par des fonds publics émanant de plusieurs
collectivités locales et de la caisse d'allocations familiales.
- La nature de cette activité correspond à celles qui sont réalisées par bon nombre de PPQ ou
par des personnes de droit privé financé par des PPQ dans le cadre de DSP.

Peu importe que l’activité menée ait un caractère d’IG => LA CONDITION
NECESSAIRE SUPPLEMENTAIRE : lien organique direct ou indirect rattachant cette association à une
PPQ n’est pas rempli !
Conformément à la position du Conseil d'Etat, la Cour de cassation ne retient que deux hypothèses possibles :

1. Soit la personne privée voit son activité directement ou indirectement liée à une personne publique et les caractères de la
mission de service public peuvent être appliqués.

2. Soit la personne privée est déliée, tant dans son organisation que dans le contrôle de son activité, des personnes publiques et
elle échappe aux missions de services publics et aux obligations liées au principe de laïcité.

ii. OBSERVATIONS :

- Refus de la CC° de rompre le lien organique établi par le CE entre SP et PPQ (malgré une
revalorisation de la JP actuelle des critères fonctionnels au détriment des critères
organiques).
- En dépit de cette évolution : Aussi détendu qu'il soit, le lien organique entre la personne
publique et la mission de service public reste déterminant pour qualifier l'activité de mission
de service public, de sorte que de près ou de loin, les obligations découlant de la laïcité
dépendent toujours du lien personne publique/service public.

A l'instar du principe de laïcité, les règles de droit public ne s'appliquent pas à certaines activités
menées par les personnes privées. Conformément à ce qu'avait énoncé la chambre sociale de la Cour
de cassation dans son arrêt de cassation du 19 mars 2013, l'assemblé plénière de la haute juridiction
judiciaire considère dans son arrêt de rejet que seules les dispositions du code du travail sont
susceptibles de régir les obligations applicables aux salariés d'une personne privée mettant en œuvre
une activité d'intérêt général sans lien avec une personne publique.

IDEE N° 2 - L’arrêt de la Cour de Cassation s’ouvre par le rappel d’une évidence : lorsque la
Constitution énonce que « la France est une République laïque », il faut comprendre que la laïcité, au
sens constitutionnel du terme, est un principe d’organisation de l’État et une philosophie de l’action
publique. Le principe s’impose aux lois de la République, à ses agents, à ses services publics, et aux
lieux où elle s’incarne. C’est tout. Son champ d’application ne s’étend pas au-delà.
 NEUTRALITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE VIS-A-VIS DE TOUTES LES
CROYANCES/RELIGIONS.

III - CRITIQUES :

- Pour la Prof Gwénaële Calvès : La Cour décide, de manière lapidaire, qu’une activité d’accueil
de la petite enfance, exercée par un employeur de droit privé même subventionné, n’est pas
une activité de service public. Dont acte. Mais il est dommage que la Cour ne présente pas le
fondement de son analyse.

- Pour le Professeur Emmanuel DOCKES – cette solution est bienheureuse => la laïcité ne doit
pas être envisagée comme un moyen de prohibition généralisée de l’expression religieuse.
Elle a au contraire la fonction de protéger la liberté d’exprimer ses croyances
religieuses/convictions philosophiques.
- Pour Stéphane MOUTON et Thierry LAMARCHE - décision non satisfaisante :

> Non prise en compte d’une série d’activités de nature privée qui répondent à une
fonction sociale = activités spé, mi-privées/mi-publiques.
> Pas de principe juridique qui permettent d’appréhender ces activités de manière
transversales. En invoquant l’article 1er C° -> la CC° s’appuie sur une norme dont la
nature juridique transcende les dimensions publiques/privées. Aurait été l’occasion
de dilater l’application du ppe de laïcité : vertue clarificatrice … (cf l’article)

B- LE REJET DE LA QUALIFICATION D’ENTREPRISE DE CONVICTION

COUR D'APPEL DE RENVOI DE PARIS le27 novembre 2013 -> forge le terme « d’entreprise de
conviction », qualificatif qui sera rejeté par l’AP (via cinq moyens). Entreprise de conviction a pour
objet de « promouvoir et de défendre des convictions religieuses, po ou philo ».

**Ces organisations, quelle que soit leur forme (syndicat, partis politiques, associations, entreprises de presse, entreprises
commerciales dans des cas plus rares, celui d’une boucherie cachère par exemple) ne sont pas des employeurs comme les
autres, dans la mesure où leur objet est spécifique : il est d’ordre idéologique ou spirituel. Ces employeurs d’un type
particulier peuvent donc (à certaines conditions) pratiquer des recrutements, décider des licenciements ou fixer des règles
de fonctionnement qui seraient considérés comme discriminatoires ou attentatoires à la liberté des salariés si on se
trouvait dans le cadre une entreprise régie par le droit commun.

CA -> « Méthode des faisceaux d’indices concordants » :

 Aux termes des statuts, l'association avait pour objectif « de développer une action orientée
vers la petite enfance en milieu défavorisé et d'œuvrer pour l'insertion sociale et
professionnelle des femmes, sans distinction d'opinion politique ou confessionnelle »

 que de telles missions sont d'intérêt général à raison, non seulement de leur mise en œuvre
« fréquemment assurée par des services publics », mais aussi de leur financement issu de «
subventions versées par l'Etat » et différentes collectivités territoriales.

Elle en déduisait la présence d'une entreprise de conviction en mesure d'exiger la neutralité de son
personnel et d'inscrire cette obligation dans son règlement intérieur.
Entreprise de tendance laïque (GAUDU).

CRITIQUES :

- Stéphane MOUTON et Thierry LAMARCHE : Mauvaise idée que d’avoir utilisé la notion
d’entreprise de conviction :

> Notion imprécise : risque d’engendrer de nouvelles sources de contentieux ; inconnue du


droit français

> Le lien entre entreprise de conviction et laïcité heurterait la conception de l’Etat républicain

« En effet, la notion de conviction engendre nécessairement un « comportement actif en


faveur d'une idéologie, d'une morale, d'une politique, d'une philosophie, voire d'une
confession » dans le but d'en préserver, protéger, voire d'en promouvoir l'influence au sein
du corps social dans lequel elle fait ou ne fait pas l'unanimité, ou du moins la majorité. Or,
la laïcité n'est pas une idéologie ou une morale porteuse de valeurs à défendre, au motif
qu'elle serait majoritaire ou minoritaire. Elle est au contraire absence de valeur et de
conviction. Comment faire de la laïcité un principe actif visant à justifier une conviction,
alors même que la neutralité qui en compose d'abord le sens repose sur une posture
passive qui commande précisément l'absence de conviction? »
Etat laïque = lieu vide (institution sans conviction au plan religieux) -> d’où capacité à
protéger, réglementer, limiter, reconnaître toutes les convictions.

- Pour la Prof Gwénaële Calvès : L’idée d’une association « de tendance laïque » n’a rien de
choquant, sauf si l’on réduit la laïcité à sa dimension juridico-politique (qu’est-ce qui
distingue une crèche de tendance laïque et une crèche de tendance laïque ???).

II- UNE JURISPRUDENCE MODE D’EMPLOI DE LA LIBERTE RELIGIEUSE EN ENTREPRISE

A- LA CONCILIATION ENTRE LES DROITS DU SALARIE ET LE POUVOIR DE DIRECTION DE


L’EMPLOYEUR (pouvoir réglementaire)

La CC évacue le pb de la laïcité pour se recentrer sur la problématique du « respect de la liberté


religieuse ». Effet de pédago de l'arrêt qui rappelle les critères pour restreindre la liberté religieuse
du salarié (lui imposer neutralité confessionnelle et po) => MODE D’EMPLOI.

Pour ne pas être liberticides (article 1121-1 Code du travail) ou discriminatoire (article 1321-3), le RI
doit satisfaire à des conditions appréciées « in concreto » :

- L’obligation de neutralité doit être « justifiée par la nature de la tâche à accomplir » (et non
pas « générale » cad s’imposant quel que soit le poste de travail occupé).

- La restriction apportée à la liberté du salarié de manifester ses convictions religieuses (ici,


port du foulard) doit être « précise » et « proportionnée au but recherché ». En l’espèce la
petite taille de la crèche et les conditions de fonctionnement de l’établissement imposait aux
salariés une polyvalence qui rendait impossible une solution « plus ciblée » : « tous les
salariés se retrouvant en relation directe avec les enfants et leurs parents ».

Sans doute cette approche nécessitera-t-elle des précisions au fil des jurisprudences à venir. Mais il
n’en demeure pas moins que les principes sont posés : sous certaines conditions, l’atteinte à la
liberté religieuse par le règlement intérieur est bel et bien possible. Toutefois, dans le cadre de
l’exercice d’un pouvoir de contrainte par une personne privée – l’employeur – sur une autre – le
salarié –, cette atteinte ne peut qu’être limitée au strict nécessaire, proportionnée et poursuivre un
but légitime.

 JP de conciliation : entre droits du salarié et pouvoir de direction de l’employeur

B- UNE PROTECTION DE LA LIBERTE RELIGIEUSE EN ECHO A LA PROTECTION DE LA CEDH

Le raisonnement tenu par la Cour de cassation renvoie à l’idée d’une stricte mise en balance
d’intérêts divergents. En d’autres termes, la Cour de Cassation n’a fait qu’une application
rigoureuse des principes encadrant le pouvoir de l’employeur et limitant les risques d’atteintes aux
droits des salariés. Or ceci fait bien sûr écho à la « logique de conciliation » (ADL du 24 janvier
2013) récemment exposée par la Cour européenne des droits de l’homme dans des affaires
relatives à la liberté d’expression religieuse au travail (v. Cour EDH, 4 e Sect. 15 janvier
2013, Eweida et autres c. Royaume-Uni, Req. n° 51671/10 et al.).

Selon la formule de la Cour européenne des droits de l’homme, si la liberté religieuse relève
d’abord du for intérieur, elle « implique » de surcroît, notamment, celle de « manifester sa
religion » et donc de l’extérioriser par des signes (Cour EDH, Ch. 25 mai 1993, Kokkinakis c. Grèce.
La formulation de l’article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme fait
pourtant directement référence à « la liberté de manifester sa religion ou sa conviction
individuellement ou collectivement ». En lien avec l’arrêt de la Chambre de sociale de mars 2013,
les décisions de la Cour européenne sont explicites.

Récemment la CEDH a estimé que le droit de manifester ses convictions religieuses devait être
apprécié comme un « droit fondamental : parce qu’une saine société démocratique doit tolérer et
encourager le pluralisme et la diversité, mais aussi parce qu’il est important qu’une personne qui a
fait de la religion un axe majeur de sa vie puisse être en mesure de communiquer ses convictions à
autrui » (Cour EDH, 4e Sect. 15 janvier 2013, Eweida et autres c. Royaume-Uni, Req. n° 51671/10
et al. § 94 – ADL du 24 janvier 2013).

La décision de la Cour de cassation en mars 2013 a le mérite de la clarté. Il ne fait donc aucun
doute que le port de signe religieux se rattache à l’exercice d’une liberté fondamentale. Partant, au
sein de l’entreprise, les restrictions aux manifestations extérieures de la foi doivent être analysées
sous le prisme d’une restriction à telle une liberté fondamentale. L’issue de l’affaire Baby Loup met
d’ailleurs en relief la jurisprudence passée de la Cour de cassation en matière de tenue
vestimentaire au sein de l’entreprise. C’est bien la célèbre décision du bermuda que chacun peut
avoir à l’esprit, où la Cour a estimé que la liberté de se vêtir à sa guise au temps et au lieu du
travail n’entre pas dans la catégorie des libertés fondamentales (Cass. Soc. 28 mai 2003, n°02-
40273). Le rapprochement des arrêts de 2003 et 2013 révèle une hiérarchisation des libertés du
salarié. Il y aurait une distinction à effectuer selon le sens que le salarié entend donner à
sa tenue vestimentaire. Le degré d’exigence en matière de justification et de proportionnalité
d’une restriction apparaît plus élevé quant au port de signe religieux, qui se rattache à une liberté
fondamentale.

Le déploiement d’une telle « logique de conciliation » qui exclut tout sacrifice excessif de la liberté
religieuse du salarié n’aurait toutefois pas été possible sans une première prise de position de la
part de la Chambre sociale : son refus de laisser le principe constitutionnel de laïcité passer les
portes de l’entreprise privée.

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