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SYNTHÈSE Bull Cancer 2006 ; 93 (10) : 1001-6

© John Libbey Eurotext

Facteurs de risque de développement d’un lymphœdème


du membre supérieur après traitement du cancer du sein
Risk factors for developing upper limb lymphedema
after breast cancer treatment

Maria ARRAULT Résumé. La fréquence du lymphœdème du membre supérieur après traitement du


Stéphane VIGNES cancer du sein est estimée entre 14 et 28 %. De nombreuses études se sont intéressées
aux facteurs de risque de développement d’un lymphœdème après traitement d’un
Unité de Lymphologie, cancer du sein. Le nombre de ganglions enlevés lors du curage axillaire et la
Hôpital Cognacq-Jay, radiothérapie externe, en particulier sur le creux axillaire, sont les deux principaux
15 rue Eugène-Millon, 75015 Paris facteurs de risque. D’autres éléments ont été également retrouvés : type de chirurgie
<stephane.vignes@hopital-cognacq-jay.fr>
(tumorectomie/mammectomie), surpoids lors de la chirurgie du sein, prise de poids
après le traitement, piqûre sur le membre, réduction de l’activité physique. L’amé-
lioration des techniques de radiothérapie, la pratique du ganglion sentinelle, le
contrôle du poids, le maintien des activités physiques ou l’abstention de piqûres sur
le membre homolatéral au cancer sont essentiels pour diminuer le risque du
lymphœdème et éviter ainsi les complications esthétiques, psychologiques et infec-
tieuses. ▲
Mots clés : lymphœdème, secondaire, cancer, sein, facteur de risque

Abstract. Secondary lymphedema occurs in 14 to 28% after breast cancer treatment. Many
studies have defined risk factors of lymphedema. Number of axillary nodes removed and
radiotherapy especially on axillary nodes are the main risk factors. Others factors have been
described such as type of surgery (mastectomy/tumorectomy), overweight at time of cancer,
weight gain after surgery, skin puncture, reduction of physical activity. Risk of lymphedema
and its complications (cellulitis, psychological and aesthetic discomfort) may be reduce by
improvement in radiotherapy methods, sentinel lymph node biopsy, weight control, maintain of
Article reçu le 20 mars 2006, level physical activity after treatment and avoidance of skin puncture on ipsilateral arm. ▲
accepté le 18 juillet 2006 Key words: lymphedema, secondary, cancer, breast, risk factor

L
e lymphœdème secondaire du membre supérieur taux lorsque le suivi est court [12]. Dans la cohorte de Guedes
après traitement du cancer du sein est une complica- Neto, 73 % des femmes qui auront un lymphœdème le
tion dont la fréquence dans la littérature est mal appré- développeront dans la première année [13]. Pour Werner
ciée en raison des différentes définitions du lymphœdème [1, et al., le lymphœdème survient avec un délai moyen de 14
2]. Le lymphœdème peut être défini, par rapport au membre mois après le traitement et 97 % des femmes l’ont avant la
controlatéral, soit par les sommes des différences périmétri- quatrième année [14]. La tendance spontanée du lym-
ques (6 mesures) de plus de 5 % [3], soit par des différences phœdème se fait vers l’aggravation volumétrique avec appa-
périmétriques supérieures à 2 ou 2,5 cm [4] ou enfin par une rition d’un épaississement et d’une « fibrose » cutanés [15], la
différence de volume de 200, voire 250 ml [5]. Sa survenue de complications esthétiques, psychologiques [16]
« meilleure » définition semble être une différence volumé- et infectieuses (érysipèles).
trique de 10 % par comparaison au membre sain [6]. Avec ce Dans cet article, nous détaillerons, d’après les études pu-
critère, sa fréquence est comprise entre 14 et 28 % dans les bliées dans la littérature, les différents facteurs de risque de
études les plus récentes [7-9]. Le délai de survenue d’un développement d’un lymphœdème du membre après traite-
doi: 10.1684/bdc.2006.0005

lymphœdème est variable, allant de la période postopératoire ment d’un cancer du sein (tableau 1).
immédiate jusqu’à plus de 30 ans après le traitement [10]. Sa
fréquence augmente avec le temps (de 1,4 % à 1 an à 11,2 % Chirurgie
à 3 ans pour Liljegren et al. [11]) expliquant ainsi son faible
Curage ganglionnaire
L’ablation des ganglions axillaires fait partie intégrante du
Tirés à part : S. Vignes traitement du cancer du sein après l’exérèse de la tumeur. Le

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M. Arrault, S. Vignes

Tableau 1. Facteurs de risque de développement d’un lymphœdème Ganglion sentinelle


du membre supérieur après traitement d’un cancer du sein.
La technique du ganglion sentinelle s’est développée pour
diminuer la morbidité du curage axillaire classique. Il s’agit
Facteurs dépendants du traitement
d’injecter un traceur lymphophile (sulfocolloïde radiomarqué
- nombre de ganglions enlevés lors du curage axillaire [6, 11,
17, 18] ou colorant bleu) au contact de la tumeur. La diffusion de ce
- mammectomie versus tumorectomie [7, 24]
traceur dans les vaisseaux lymphatiques permet de repérer le
premier relais ganglionnaire drainant la tumeur du sein et
- radiothérapie externe, en particulier axillaire [3, 26, 27]
potentiellement métastatique. En cas de négativité du gan-
- complications postopératoires (lymphocèle, lymphorrhée) [19]
glion sentinelle, le curage ganglionnaire n’est pas pratiqué.
Facteurs dépendants de la tumeur Dans une étude comportant 35 femmes, Schrenk et al. [19] ne
- tumeurs du quadrant supéro-externe [20] retrouvent pas de lymphœdème après ablation du ganglion
- taille de la tumeur [37] sentinelle comparativement aux 35 femmes ayant eu un
- envahissement ganglionnaire [18, 36] curage axillaire sans envahissement ganglionnaire histologi-
- stade de la tumeur [3, 37] que, mais le recul n’était que de 17 mois. Cependant, le
risque de lymphœdème n’est pas totalement aboli avec cette
Facteurs dépendants du patient technique. Dans une série de 303 femmes suivies en
- âge [18, 41] moyenne 19 mois, la fréquence de survenue d’un lym-
- surcharge pondérale lors de la chirurgie du cancer [9, 14, 27, phœdème après ablation du ganglion sentinelle est de 3 %
32] avec un délai d’apparition médian de 4 mois, mais de 17,1 %
- prise de poids après le traitement [32] chez les femmes ayant eu un curage axillaire après positivité
- diminution des activités physiques [31] du ganglion sentinelle [20]. Cette étude retrouve également
- voyages en avion [42] une fréquence supérieure des lymphœdèmes, après ablation
Autres
du ganglion sentinelle, pour les tumeurs du quadrant supéro-
externe par rapport aux autres localisations (5,1 versus
- injections, prélèvements sur le membre [7, 38]
0,7 %). Une autre série plus récente retrouve des résultats
- érysipèles [32]
similaires avec une fréquence d’apparition de lymphœdème
après ablation du ganglion sentinelle de 2,6 et 27 % après
curage axillaire [21]. En conclusion, la technique du ganglion
sentinelle permet de réduire sensiblement la fréquence du
curage axillaire (ou évidement) enlève les relais ganglionnai- lymphœdème mais aussi de diminuer la fréquence des dou-
leurs et des troubles sensitifs du membre supérieur [22].
res, interrompant ainsi le circuit lymphatique. Les ganglions
axillaires sont divisés en trois étages (ou niveaux) de Berg
définis selon la position des ganglions lymphatiques par Type d’intervention
rapport au muscle petit pectoral : I (axillaire inférieur), II Dans les études les plus anciennes, les interventions de type
(axillaire moyen) et III (axillaire supérieur). Seuls les niveaux I Halstedt, qui ne sont plus pratiquées actuellement, entraî-
et II sont enlevés en pratique courante. Le curage laisse en naient plus de 50 % de lymphœdèmes [23]. Le type d’inter-
place quelques millimètres de tissus sous-veineux axillaire. vention chirurgicale (tumorectomie/mammectomie) est aussi
Dans une étude composée de 381 femmes ayant un cancer considéré comme un facteur pouvant influencer la survenue
du sein de stade I sans atteinte ganglionnaire, traitées par d’un lymphœdème. Ainsi, dans l’étude de Shunemann et
tumorectomie associée, dans 184 cas, à une radiothérapie Willich [24], la mammectomie avec curage axillaire entraîne
locale, Liljegren et al. [11] ont montré que le degré de un lymphœdème dans 19,1 % des cas et dans 28,9 % en cas
dissection des ganglions axillaires influence la survenue d’association avec la radiothérapie, alors que la tumorecto-
d’une pathologie du membre supérieur (faiblesse, douleur, mie associée à un curage axillaire ne se complique que de
réduction de la mobilité de l’épaule, engourdissement) dont 6,7 % de lymphœdèmes et de 10,1 % en association avec la
le lymphœdème. Le risque augmente avec le nombre de radiothérapie. Pour Clark et al. [7], la mammectomie aug-
ganglions disséqués, avec un risque relatif de 1,11 par gan- mente ce risque par 2,2. Pour d’autres auteurs, la mammec-
glion enlevé. Ainsi, il varie de 16 % lorsque le curage touche tomie ne l’augmente pas mais aggrave seulement la sévérité
moins de 5 ganglions à 33 % lorsque celui-ci comporte plus du lymphœdème, appréciée par les différences centimétriques
de 10 ganglions après un suivi de 36 mois. Par ailleurs, il est du membre atteint par rapport au membre controlatéral [25].
plus important la première année. Herd-Smith et al. [6] ont
également estimé la fréquence du lymphœdème en fonction
du nombre de ganglions enlevés : moins de 20 (14,5 %), de Radiothérapie
20 à 30 (17,7 %) et plus de 30 (22,1 %) avec un risque relatif Le traitement du cancer du sein comprend, dans la quasi-
de 1,29 par ganglion enlevé. De plus, la fréquence augmente totalité des cas, une irradiation externe en complément de la
avec le temps. Ainsi après 1 an de suivi, 6 % des patientes chirurgie (tumorectomie ou mammectomie, curage ganglion-
développent un lymphœdème lorsque le curage intéresse naire axillaire) et éventuellement une chimiothérapie en cas
moins de 10 ganglions contre 3 % si 15 ganglions ou plus de facteurs de mauvais pronostic. L’étude de Powell et al. [26]
sont enlevés. Après 3 ans de recul, la fréquence passe respec- portant sur 727 femmes ayant un cancer du sein de stades I et
tivement à 16 et 27 % dans ces deux groupes [17, 18]. En II, traitées par tumorectomie et curage axillaire, retrouve une
conclusion, plus le nombre de ganglions enlevés est élevé, fréquence de lymphœdème (différence périmétrique de 2 cm
plus le risque de lymphœdème est important, la fréquence par rapport au membre controlatéral) de 2,9 % après un suivi
augmentant avec le temps. moyen de 72 mois. Un groupe comprenant 68 % de ces

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Lymphœdème et cancer du sein

femmes avait reçu une irradiation isolée sur le sein, l’autre (IMC > 27,2) contre 2,3 % chez les autres patientes et aucun
groupe (32 %), à la fois sur le sein et sur les aires ganglion- lorsque l’IMC est inférieur à 22,7.
naires sus-claviculaire et axillaire. Le risque de lymphœdème La prise de poids après le traitement du cancer du sein est
à 10 ans est supérieur dans le deuxième groupe (8,9 versus aussi considérée comme un facteur de risque de lym-
1,8 %). Par ailleurs, comme l’ont montré Segerström et al. phœdème. Petrek et al. [32], qui ont suivi pendant 20 ans
[27] dans une étude concernant 136 femmes traitées par 263 femmes traitées par mammectomie et curage axillaire,
mammectomie et curage axillaire, le risque de lymphœdème montrent que la fréquence du lymphœdème est supérieure
(défini par une différence de volume de 150 ml par rapport au chez les femmes dont la prise de poids depuis la fin du
membre controlatéral) est plus important après radiothérapie traitement est supérieure à 4,5 kg par rapport à celle dont le
sur les aires ganglionnaires axillaires qu’après irradiation sur poids est resté stable (60 versus 39 %). La sévérité du lym-
le sein et les aires ganglionnaires sus-claviculaires (59,6 phœdème est également liée à la prise de poids puisque 67 %
versus 16,7 %) ou qu’après chirurgie seule (20,9 %). Herd- des patientes ayant une atteinte sévère ont une augmentation
Smith et al. [3], dans une série comportant 1 278 femmes de poids de plus de 4,5 kg.
traitées par chirurgie (mammectomie : 24 %) et curage axil-
laire associés ou non à une radiothérapie locale sans irradia-
tion de la région axillaire, ont aussi montré que la fréquence Exercice physique
du lymphœdème est plus importante dans le groupe recevant
Il est très souvent recommandé aux patientes d’éviter les
une radiothérapie que dans celui traité par chirurgie seule
efforts physiques importants et/ou répétitifs et le port de
(17,9 versus 13,2 %) après un suivi de 56 mois [3].
charge lourde afin de réduire le risque de survenue de lym-
De plus, quelques auteurs ont suggéré que l’hypofractionne-
phœdème du membre supérieur. Cependant, ces conseils
ment des doses augmenterait encore le risque de lym-
sont le plus souvent empiriques. Certaines études peuvent
phœdème [27], de même que le surdosage axillaire posté-
apporter des éléments considérés comme « contradictoires ».
rieur ou les chevauchements de champs [28]. Si la
Ainsi, Johansson et al. [31], dans une enquête cas-témoins
radiothérapie est donc un facteur important de développer un
comprenant 71 femmes traitées pour un cancer du sein ayant
lymphœdème, elle diminue toutefois significativement le
développé un lymphœdème et 71 femmes témoins traitées de
risque de récidive locale et la mortalité par cancer du sein
façon similaire et qui n’en avaient pas développé, ont inter-
[29, 30].
rogé les femmes sur leur mode de vie, leurs loisirs, leur
En conclusion, la radiothérapie externe augmente le risque de
activité professionnelle et leur charge de travail quotidienne
développement d’un lymphœdème, particulièrement si elle
après le traitement du cancer et jusqu’à l’apparition du lym-
comprend le creux axillaire. Les recommandations actuelles
phœdème : les patientes atteintes d’un lymphœdème sont
proposent une irradiation de la chaîne mammaire interne en
celles qui ont significativement réduit leurs activités physi-
cas de tumeur centrale ou d’envahissement ganglionnaire
ques (vélo, marche, gymnastique...) et leurs loisirs (jardinage,
axillaire ; l’irradiation des ganglions sus et sous-claviculaires
couture) après le traitement du cancer par rapport au groupe
est indiquée en présence d’un envahissement ganglionnaire
témoin. Cette étude montre également que la fréquence de
axillaire [29]. L’irradiation du creux axillaire est de moins en
survenue d’un lymphœdème n’augmente pas en fonction de
moins pratiquée.
la charge de travail puisqu’il n’y a pas de différence significa-
tive entre l’intensité de la charge de travail professionnel dans
les deux groupes alors que la quantité des tâches domestiques
Surcharge pondérale est diminuée de façon identique. L’étude de Petrek et al. [32]
Il s’agit d’un facteur de risque important dans la survenue confirme ces données puisque l’incidence du lymphœdème
d’un lymphœdème. Dans une étude cas-témoins comprenant chez les patientes pratiquant une activité physique impor-
71 femmes dans chaque groupe, l’index de masse corporelle tante (aérobic, jogging) ou une activité professionnelle « à
(IMC) − poids/taille2 − lors du traitement du cancer est signi- risque » (port de charge lourde, risque de brûlure ou d’infec-
ficativement supérieur chez les femmes qui ont un lym- tion) n’est pas plus importante que chez les autres patientes.
phœdème par rapport à celles qui n’en ont pas (26,4 versus De plus, toutes les études, excepté une [33], ne retrouvent pas
25 kg/m2) [31]. Ce facteur de risque a été confirmé par d’association entre le lymphœdème et le membre supérieur
d’autres auteurs [27, 32]. Ozaslan et al. [9] montrent que le dominant qui est le plus sollicité par les activités quotidiennes
risque de développer un lymphœdème est de 48 % lorsque [3, 7, 17, 25, 31].
l’IMC est supérieur à 25 et de 14 % lorsque l’IMC est inférieur Par ailleurs, Johansson et al. [34] ont étudié l’influence
à 20. Wermer et al. [14] montrent également que la fréquence d’exercices physiques de faible intensité chez 31 femmes
du lymphœdème augmente avec l’IMC, mais aussi que son atteintes d’un lymphœdème secondaire du membre supé-
volume est plus important lorsque l’IMC est élevé. Cette rieur. Les patientes pratiquaient une série de mouvements du
étude, qui avait suivi pendant 5 ans 282 femmes traitées par membre supérieur avec et sans charge et le volume du
tumorectomie, curage ganglionnaire, irradiation mammaire lymphœdème était évalué par volumétrie à eau immédiate-
et parfois sus-claviculaire, montre que la fréquence de surve- ment après l’effort et à 24 heures. Les exercices avaient été
nue du lymphœdème augmente avec le poids. Ainsi, celle-ci réalisés avec et sans compression élastique. Si le volume
est de 27,4 % chez les femmes dont l’IMC est supérieur à 27,3 augmentait après l’effort (avec et sans compression élastique),
et de 12,5 % chez les femmes dont l’IMC est inférieur 27,3. il retournait aux mesures initiales après 24 heures [34]. Dans
Elle passe à 36 % lorsque l’IMC est supérieur à 29,2 contre la même optique, Harris et al. [35] ont suivi 20 femmes
12 % pour un IMC inférieur. Il n’y a pas de lymphœdème traitées pour un cancer du sein (dont 13 avaient un lym-
chez 94 % des femmes dont l’IMC est compris entre 15,6 et phœdème ou une lourdeur du membre supérieur) avant,
22,7 kg/m2. En outre, on note 9,2 % de lymphœdèmes sévè- pendant et 7 mois après un entraînement intensif pour une
res (différence périmétrique > 4 cm) chez les obèses compétition de dragon boat (sorte de canoë de grande taille).

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M. Arrault, S. Vignes

La taille du lymphœdème était évaluée par des mesures membre supérieur en ont au moins un épisode [données
centimétriques. Toutes les participantes avaient porté un personnelles]. Au membre supérieur, les portes d’entrée sont
manchon de compression pendant l’entraînement et la com- rarement retrouvées (griffures d’animaux, brûlures, soins de
pétition. Seules deux ont eu une augmentation modérée de manucure) à la différence des membres inférieurs (intertrigos
leur lymphœdème 7 mois après la compétition [35]. Un suivi interorteils). L’érysipèle atteint la zone du lymphœdème et
plus long serait intéressant afin de déterminer les conséquen- peut s’étendre au sein à partir du membre supérieur. Sa
ces à long terme des exercices physiques sur le lym- fréquence est variable, allant d’un épisode unique à de mul-
phœdème. tiples récidives nécessitant une prophylaxie anti-infectieuse
au long cours [39]. Même si cette complication est connue,
certains auteurs pensent qu’un érysipèle est un facteur de
Caractéristiques de la tumeur risque de développement d’un lymphœdème. Ainsi, dans
l’étude de Petrek et al. [32] sur les 55 femmes ayant eu au
moins un érysipèle, 23, soit 56 %, disent en avoir eu un avant
Envahissement ganglionnaire
ou lors de l’apparition du lymphœdème [32]. Il est possible
Les résultats des différentes études de la littérature sont dis- que l’érysipèle complique un lymphœdème infraclinique et
cordants. L’existence d’un envahissement ganglionnaire re- soit alors le facteur décompensant le lymphœdème.
présente un facteur de risque de développement d’un lym-
phœdème pour certains auteurs [18, 36] et non pour d’autres Complications postopératoires
[3, 26].
Peu d’études se sont intéressées à l’existence d’un lien entre
les complications postopératoires immédiates, telles que le
Stade de la tumeur
lymphocèle, la lymphorrhée, les infections postopératoires et
Les résultats des différentes études sont là encore contradic- la survenue d’un lymphœdème. En revanche, certaines évo-
toires. En effet, pour certains auteurs, le stade et la taille de la quent l’hypothèse qu’un lymphocèle pourrait favoriser l’ap-
tumeur n’apparaissent pas comme un facteur de risque de parition du lymphœdème. En effet, Schrenk et al. [19], qui
survenue d’un lymphœdème [5, 14, 17, 26, 31] alors que, montrent que la fréquence du lymphœdème est significative-
pour d’autres, ils le sont [3, 37]. Dans l’étude de Herd-Smith ment plus importante dans le groupe curage axillaire que
et al. [3], il existe un risque accru de développer un lym- dans le groupe ganglion sentinelle, montrent également que
phœdème pour les tumeurs de stade T2 par rapport aux la fréquence des lymphocèles est plus importante dans le
tumeurs de stade T1 (19,8 versus 14,7 %) [3]. Pour Goffman groupe curage axillaire que dans le groupe ganglion senti-
et al. [37], dans une cohorte de 240 patientes traitées par nelle (43 versus 5,7 %) [19]. Bijek et al. [40] confirment que
chirurgie (mammectomie ou tumorectomie) et ganglion sen- le risque de lymphocèle est plus important après le curage
tinelle ou curage axillaire suivi d’une radiothérapie locale, la ganglionnaire qu’après l’ablation du ganglion sentinelle.
taille de la tumeur est corrélée au risque de développer un Ainsi, dans son étude, 40 % des femmes traitées par chirurgie et
lymphœdème après un suivi moyen de 18 mois. curage ganglionnaire développent un lymphocèle contre 18 %
de celles traitées avec la technique du ganglion sentinelle. De
plus, dans ce dernier groupe, une ponction évacuatrice unique
Autres suffisait à tarir le lymphocèle alors que deux ponctions en
moyenne étaient nécessaires pour assécher les lymphocèles
secondaires au curage axillaire [40]. Le suivi prospectif à la
Piqûres, injections
recherche de l’apparition d’un lymphœdème dans chacun
Alors qu’il est toujours recommandé aux patientes d’éviter des groupes serait intéressant afin de déterminer s’il existe un
tout prélèvement, piqûre ou plaie sur le membre homolatéral lien entre la survenue d’un lymphœdème et un lymphocèle
au cancer du sein, ce risque a été très rarement évalué par les postopératoire. Dans une autre étude concernant 281 fem-
études. Clark et al. [7] ont suivi 188 femmes traitées par mes suivies pendant 14 mois après un traitement pour un
chirurgie avec curage axillaire ganglionnaire parfois associé à cancer du sein associant chirurgie, curage axillaire suivi
une radiothérapie et confirment ce facteur de risque. En effet, d’une radiothérapie locale et du creux sus-claviculaire asso-
31 des 170 femmes (18,2 %) indemnes de tout type de piqûre cié à une chimiothérapie en cas d’envahissement ganglion-
lors de l’hospitalisation sur le membre homolatéral au traite- naire, les auteurs ne confirment pas ce facteur de risque [25].
ment du cancer développaient un lymphœdème contre 8 des
18 patientes (44,4 %) qui avaient été « piquées ». Il s’agissait Âge
de piqûres pour des prélèvements sanguins, des injections
intraveineuses et des contrôles de glycémie capillaire [7]. L’âge n’apparaît pas comme un facteur de risque individuel
L’étude de Smith [38] rapporte le cas de 10 patientes traitées de développer un lymphœdème dans la majorité des études
pour un cancer du sein et qui avaient développé un lym- de la littérature [3, 7, 14, 18, 31, 32]. Seuls deux études
phœdème dans les suites immédiates d’une piqûre sur le montrent qu’il est un facteur de risque mais avec des résultats
membre homolatéral au cancer. Cependant les autres facteurs contradictoires. Ainsi pour Geller et al. [41], les sujets jeunes
de risque de développer un lymphœdème ne sont pas dé- sont plus à risque de développer un lymphœdème alors que,
taillés. pour Kiel et Rademacker [18], les patientes de plus de 55 ans
représentent la population à risque. L’étude de Geller et al.
[41] consistait en un interrogatoire téléphonique régulier de
Érysipèle
145 femmes sur la survenue d’un lymphœdème pendant les
L’érysipèle est la principale complication du lymphœdème. 26 mois qui avaient suivi le diagnostic de leur cancer du sein.
Trente pour cent des femmes ayant un lymphœdème du Elle retrouve que 57,7 % des femmes de moins de 50 ans ont

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Lymphœdème et cancer du sein

développé un lymphœdème contre 26,9 % des femmes de 7. Clark B, Sitzia J, Harlo W. Incidence and risk of arm oedema following
plus de 50 ans. Cependant, aucune mesure centimétrique ou treatment for breast cancer : a three-year follow-up study. Q J Med 2005 ; 98 :
volumétrique n’a objectivement évalué le lymphœdème. Kiel 343-8.
et Rademacker [18] montrent que 56 % des femmes de plus 8. Meric F, Buchholz TA, Mirza NQ, Vlastos G, Ames FC, Ross MI, et al.
de 55 ans développent un lymphœdème contre 23 % des Long-term complications associated with breast-conservation surgery and
femmes de moins de 55 ans [18]. radiotherapy. Ann Surg Oncol 2002 ; 9 : 543-9.
9. Ozaslan C, Kuru B. Lymphedema after treatment of breast cancer. Am J
Ménopause Surg 2004 ; 187 : 69-72.
10. Mortimer PS, Bates DO, Brassington HD, Stanton AW, Strachan DP,
Peu d’études se sont intéressées à l’existence d’un lien entre
Levick JR. The prevalence of arm oedema following treatment for breast
l’apparition d’un lymphœdème et le statut hormonal des
cancer. Q J Med 1996 ; 89 : 377-80.
patientes. Les rares études sur le sujet ont des résultats contra-
dictoires. Pour Van der Veen et al. [3, 5, 33], la ménopause 11. Liljegren G, Holmberg L and the Uppsala-Orebro Breast Cancer Study
serait un facteur de risque. Group. Arm morbidity after sector resection and axillary dissection with or
without postoperative radiotherapy in breast cancer stage I. Results form a
randomized trial. Uppsal-Orebro Breast Cancer Study Group. Eur J Cancer
Voyage en avion 1997 ; 33 : 193-9.
Il est possible que le voyage en avion soit un facteur de risque 12. Ball AB, Waters R, Fish S, Thomas JM. Radical axillary dissection in the
de développement d’un lymphœdème en raison d’une dimi- staging and treatment of breast cancer. Ann R Coll Surg Engl 1992 ; 74 :
nution de la pression dans la cabine. Casley-Smith et al. [42] 126-9.
ont interrogé 163 femmes avec un lymphœdème secondaire 13. Guedes Neto HI. Arm edema after treatment for breast cancer. Lympho-
du membre supérieur sur ce sujet. Parmi elles, 12 rapportent logy 1997 ; 30 : 35-6.
son apparition immédiatement après le voyage en avion. 14. Werner RS, McCormick B, Petrek J, Cox L, Cirrincione C, Gray JR,
et al. Arm edema in conservatively managed breast cancer : obesity is a major
predictive factor. Radiology 1991 ; 180 : 177-84.
Conclusion 15. Szuba A, Rockson SG. Lymphedema : anatomy, physiology and pathoge-
nesis. Vasc Med 1997 ; 2 : 321-6.
Le curage axillaire représente le principal facteur de risque de
développement d’un lymphœdème après le traitement d’un 16. McWayne J, Heiney SP. Psychologic and social sequelae of secondary
cancer du sein. La radiothérapie externe pratiquée après la lymphedema. Cancer 2005 ; 104 : 457-66.
chirurgie, en particulier lorsqu’elle comprend les aires gan- 17. Yeoh EK, Denham JW, Davies SA, Spittle MF. Primary breast cancer :
glionnaires axillaires, augmente encore ce risque. Les progrès complications of axillary management. Acta Radiol Oncol 1986 ; 25 : 105-8.
du traitement chirurgical avec l’utilisation de la technique du 18. Kiel KD, Rademacker AW. Early-stage breast cancer : arm edema after
ganglion sentinelle et l’amélioration des techniques de radio- wide excision and breast irradiation. Radiology 1996 ; 198 : 279-83.
thérapie font diminuer ce risque. La connaissance des autres 19. Schrenk P, Rieger R, Shamiyeh A, Wayand W. Morbidity following sen-
facteurs de risque permet d’envisager une réduction supplé- tinel lymph node biopsy versus axillary lymph node dissection for patients
mentaire du nombre de lymphœdèmes dont les conséquen- with breast carcinoma. Cancer 2000 ; 88 : 608-14.
ces sont à la fois esthétiques, psychologiques et infectieuses.
20. Sener SF, Winchester DJ, Martz CH, Feldman JL, Cavanaugh JA,
Les mesures à proposer doivent être personnalisées et peu-
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