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Le mathème lacanien : l’écriture de la psychanalyse

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Cartel : Hervé Castanet, Françoise Fonteneau, Victoria Horne, Pierre Streliski, Guy Briole (plus-un) .

Comment rendre compte de l’inconscient ? C’est une question à laquelle se sont heurtés Freud comme Lacan.
Freud, dans « L’inconscient » propose, pour faire avancer la théorie métapsychologique, une écriture » qui pourrait
s’émanciper de l’importance accordée au symptôme : fait d’être conscient (Bewusstheit) « (1). Lacan poussera cette
écriture jusqu’à l’épure ; le mathème.
Donc, comment transmettre ce que l’on apprend de l’expérience en psychanalyse en en faisant une écriture qui
serait » enseignable à tout le monde » c’est-à-dire scientifique, » puisque la science s’est frayé la voie de partir de
ce postulat « (2) ? Le mathème serait cette écriture, trouvée par Lacan, qui répondrait le mieux au discours
analytique et qui tendrait vers ce point de transmission. Mais, une des limitations se trouve dans ce que Lacan
indiquait déjà concernant ses schémas(3) et que souligne Jacques-Alain Miller : » la perception éclipse la structure
« (4) comme l’analyse qu’il contient et qui conduit à sa construction.
On entre dans l’enseignement de Lacan par ses écrits(5), en se souvenant que son objectif ne fut pas une
objectivation de l’enseignement, ni son adéquation à l’Université. Son objectif était le mathème, » soit, la
transmission intégrale « (6).
Cette écriture, ces formules de Lacan, n’ont pas non plus une valeur intrinsèque univoque. Elles ne peuvent être lues
qu’avec le discours qui les a faites surgir et elles restent référées au contexte dans lesquelles elles furent élaborées.
Du dit dont se soutient l’expérience analytique à l’écrit se marque déjà un serrage du discours de la psychanalyse
pour aller vers une logicisation des concepts dont la concrétion vient se matérialiser de la lettre : a, A, $, S1, S2, etc.
Ces lettres où combinaisons de lettres forment autant de mathèmes qui, loin d’être des formulations vides, ne sont
pas non plus des expressions figées de la théorie. En ce sens, le mathème est » fixion » de ce qui du réel échappe
toujours au dire.

Le mathème est-il un axiome ?


Pourquoi miser sur cet idéal, sur cette intégralité, alors que par ailleurs on sait qu’il n’y a pas de métalangage et que
la vérité ne peut que se mi-dire ? C’est que le sujet parle sans le savoir, qu’il dit toujours plus qu’il n’en sait. Il existe
une discordance du savoir et de l’être, une part d’être qui ne peut pas se savoir. Alors pourquoi Lacan est-il attiré par
ce qu’il nomme » pur mathème » ?(7) Il donne, dans « L’étourdit », quatre raisons au mathème : exclure la
métaphore ; admettre que n’importe quoi ne peut être dit ; admettre qu’il est d’abord un dire – celui de Freud, ou le
sien et que c’est ensuite transmissible ; enfin, que sa topologie n’est pas théorie mais doit rendre compte des
coupures du discours. Ce qui est une autre façon de dire qu’il faut rendre compte de l’inconscient.
Le mathème a-t-il une puissance normative, est-il un axiome ? Lacan explique que son dire ne fait pas pour lui
mathème et que ce dernier est non-enseignable avant que son dire s’en soit produit. Les mathèmes, formules,
algorithmes sont faits » pour permettre vingt et cent lectures différentes, multiplicité admissible aussi loin que le
parlé en reste pris à son algèbre »(8). L’objet a, l’invention de Lacan, qui entre dans nombre de ses mathèmes est
l’objet qu’une science analytique peut se donner. Cependant, le mathème n’est pas ce qui produit l’objet a, mais il en
est le gage, le gage inconscient.
S’il n’est pas un axiome, le mathème lacanien ne doit pas être confondu non plus avec un » signifiant transcendant
« (9). Sinon, se profilerait le risque de métalangage que Lacan tente d’éviter. Poser un mathème n’est jamais évident
ni définitif, et n’est que l’amorce d’un travail à effectuer dans le va-et-vient de l’observation de la pratique à la
réflexion théorique. Dans le Séminaire « L’Identification » Lacan parlait d’une » logique élastique « (10). Cette
élasticité n’est peut-être que ce qui correspond à ce mouvement d’ouverture et de fermeture de l’inconscient, ce
clapet imprévu que l’on a tant de mal à écrire.

Intérêt et limite du mathème


Il y a un bilinguisme foncier de la psychanalyse, entre poésie et mathématique. De là, une question : le mathème,
qui vise une transmission chiffrée, chiffrable, de la psychanalyse, est-il vrai ? La psychanalyse est en fait partagée
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entre les paroles qui se disent – la parole n’a statut que de bavardage, dit Lacan -, et un savoir, pour lequel il ajoute
que » c’est bien l’essence de la psychanalyse que de s’apercevoir que rien n’y marche « (11). » Défaut d’unitude
« (12), dit-il, qui ne le fait pas renoncer à » chercher un mathème, parce que le mathème lui n’est pas bilingue
« (13).
Le mathème est l’idéal de l’enseignement de la psychanalyse(14), mais les mathèmes » simulent une science qu’ils
n’accomplissent point « (15) car ils sont interprétables de maintes façons : du fait de son style propre, chacun
regarde, lit, le mathème – écrit pour tous -, à travers le filtre du biais de sa singularité.
On retrouve finalement avec le mathème de Lacan le pont aux ânes de l’incompatibilité entre savoir et vérité — » Ils
compatissent l’un de l’autre « (16) Lors d’une Journée des mathèmes de l’École freudienne de Paris, où foisonnèrent
des contributions embarrassées sur le fait de savoir si les mathèmes étaient ou n’étaient pas des mythes, J.-A. Miller
s’était élevé à une hauteur clinique, en rapprochant cette question de : qu’est-ce qui est transmissible d’une
psychanalyse, de l’enseignement qu’on tirait de la présentation de malades de Lacan à Sainte-Anne ? La pointe en
était que » le déchiffrement fasse énigme à son tour « (17). Et, plus récemment : » La phrase « Tout le monde est
fou » attaque la possibilité même d’un mathème de la psychanalyse « (18).

Pourquoi la formulation logico-mathématique pour la psychanalyse ?


Le Séminaire R.S.I. apporte, en 1974, une réponse à cette question. Poser cette question c’est se demander
comment être bête avec Lacan ? Les jeux signifiants, dans cette optique, ne sont pas bêtes. Au contraire, ils sont la
sophistication incarnée. Le signifiant est différentiel par définition et toujours équivoque, du registre de l’à-peu-près.
Avec le signifiant, ce n’est jamais ça ! Ce dernier ouvre à d’autres signifiants, à l’infini. L’analysant, en fin de cure, en
fait l’épreuve : il a à lâcher cet amour pour le signifiant où s’éternise son amour de transfert. Comment sait-on y faire
avec la bêtise pour ne pas louper le point de finitude de la cure ?
Dans sa seconde leçon de R.S.I., Lacan écrit le minimum, comme il dit. » Ce minimum est assez pour que vous y
reconnaissiez le nœud borroméen. Il me semble que j’ai justifié en quoi le nœud borroméen peut s’écrire, puisque
c’est une écriture, une écriture qui supporte un réel. « (19) Le nœud n’est pas une métaphore, une image ou une
représentation du réel. Le nœud est le réel. Le nœud, s’il n’est pas une représentation, une idée de la structure,
effectivement n’a pas à être pensé mais manipulé : » […] pour opérer avec ce nœud d’une façon qui convienne, il
faut que vous vous fondiez sur un peu de bêtise. Le mieux est encore d’en user bêtement, ce qui veut dire d’en être
dupe « (20). Qu’est-ce que manipuler une écriture, un trait d’écrit ? C’est, comme pour l’écriture mathématique faite
de lettres ou de » signes » algorithmiques, en inventorier les propriétés et en déduire les conséquences logiques.
La consistance du nœud est une consistance logique – nullement ontologique. C’est de l’expérience analytique qu’il
rend compte et c’est en cela qu’est son prix. Le nœud ne permet aucun dépassement, il n’inaugure aucun au-delà.
L’usage du nœud objecte à l’hypothèse, à l’idée, au chipotage obsessionnel. Choisir la bêtise, sans rejeter
évidemment la rigueur de la méthode scientifique, pour justement tirer les conséquences du matériel donné voilà ce
que Lacan s’efforce de livrer à ses auditeurs.

Le mathème et la singularité du cas


Qu’en est-il de l’utilisation du mathème en ce qui concerne la clinique ? Dans la singularité de chaque cas, pour
accomplir ce trajet, il faut traverser une cure analytique. Le terme d’une analyse, la passe, supposerait d’arriver à
savoir ce que veulent dire ces mathèmes pour soi, dans la singularité de son propre cas. En effet, par exemple, la
formule du fantasme est la relation qu’entretien le terme $ et l’objet a, mais cela ne dit pas quels sont les valeurs ni
l’articulation singulière de ces termes pour chacun. La passe permettrait donc, pour celui qui est arrivé à la fin de
son analyse, de rendre compte, de la façon particulière dont le réel en jeu s’est fait présent pour lui, la façon dont il a
cerné, de manière singulière, le savoir vidé de sens et de jouissance, pour atteindre un point de réel.
Dans son cours sur » La nature des semblants » J.-A. Miller fait valoir, » la parenté entre le nom propre et le
mathème : l’un dans l’écriture, l’autre dans la langue, ils permettent une transmission intégrale « (21). Mais, le nom
propre est avant tout un signifiant pur, qui ne signifie rien et peut alors venir à la place du manque de signifiant dans
l’Autre. Le nom propre peut se trouver alors en place de signifiant du mathème S(A barré). C’est dans ce sens, qu’à
la fin de l’analyse nous trouvons souvent, un signifiant, un nom de jouissance, un nom d’objet qui, comme le
mathème, est la réduction minimale, l’élément de structure qui écrit et condense le réel de l’être de jouissance du

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sujet dans sa singularité. La formulation logico-mathématique aura cette fonction : répudier les hypothèses,
consentir à la bêtise du réel, pour justement ne pas réduire la cure à une pure et unique logique signifiante. La
psychanalyse pas sans réel est la conséquence du choix du mathème.

(1) Freud S., « L’inconscient », Métapsychologie, Paris, Gallimard, col. Idées, 1977, p. 115.
(2) Lacan J., « Télévision », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 537.
(3) Lacan J., « D’une question préliminaire à tout traitement de la psychose », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 574.
(4) Miller J.-A., Table commentée des représentations graphiques, Écrits, op. cit., p. 903.
(5) Miller J.-A., « Entretien sur Le Séminaire« , Le bloc-notes de la psychanalyse, n°4, Genève, 1984, p. 21.
(6) Ibid., p. 24.
(7) Lacan J., « L’Étourdit », Autres écrits, op. cit., p. 472.
(8) Lacan J., « Subversion du sujet et dialectique du désir », Écrits, op. cit., p. 816.
(9) Ibid.
(10) Lacan J., Le Séminaire, livre XI, « L’identification », Leçon du 21 février 1962. Inédit.
(11) Lacan J., » Clôture des Journées « . Journées de l’École freudienne de Paris, Les mathèmes de la
psychanalyse, 31 octobre – 2 novembre 1976, Paris, Maison de la chimie, Lettres de l’École freudienne, Bulletin
intérieur de l’École freudienne de Paris, n°21, août 1977, p. 506.
(12) Ibid, p. 507.
(13) Ibid, p. 508.
(14) Miller J.-A., » Prologue de Guitrancourt « , préface à la brochure de la Section clinique, 15 août 1988. Cf.
également Klotz J.-P., » Ta pathémama, mathémata « , Actes de l’École de la Cause freudienne, n°8, Bordeaux,
1985, p. 7.
(15) Miller J.-A., » Algorithmes de la psychanalyse « , Ornicar ?, n°16, Paris, Édition Lyse, 1978, p. 22.
(16) Lacan J., » Radiophonie « , Autres écrits, op. cit., p. 440.
(17) Miller J.-A., » Enseignements de la présentation de malades « , Ornicar ?, n°10, 1977, p. 15. Texte réédité in
La conversation d’Arcachon, Agalma, Paris, Seuil, Coll. Le Paon, 1997, p. 285 – 304.
(18) Miller J.-A., « Tout le monde est fou », L’Orientation lacanienne, cours du 11 juin 2008, inédit.
(19) Lacan J., Le Séminaire, livre XX22, « R.S.I. », leçon du 17 décembre 1974, inédit.
(20) Ibid.
(21) Miller J.-A., » Sur la nature des semblants « , L’Orientation lacanienne, cours du 27 novembre 1991.

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