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Guillaume Apollinaire (II)

Esthétique d’Apollinaire

Apollinaire n’est pas un théoricien, encore moins un doctrinaire. Dans l’acte


créateur il privilégie l’émotion et l’intuition qui, pour lui, sont en relation directe
avec la vie, et exclut toute intervention de l’intelligence ou de la réflexion.

Tout principe organisateur est à ses yeux source d’académisme. C’est pourquoi il est
hostile aux écoles et à leurs manifestes, qui appellent une codification de l’art.

Il n’a cessé de rêver à un mouvement qui réunirait toutes les lignes de force qui se
dégagent d’une époque et sont supérieures aux querelles et aux rivalités des groupes
et des chapelles.

L’important pour lui est la nouveauté, la variété, non la dénomination.

La prétention des futuristes à être à l’origine de tout ce qui se faisait de neuf – ce


qu’il éstime être une injustice à l’égard des peintres français, en premier lieu des
cubistes -, leur intransigeance doctrinale, les attaques aussi que certains menèrent
contre lui le laisseront rapidement sans illusion et il reviendra à une curiosité
distante et amusée, non toutefois dépourvue de sympathie, quand il lui arrivera de
parler du Futurismo.

Il lance un nouveau mot: l’Orphisme, qu’il commente ainsi: « Le cubisme est mort,
vive le cubisme. »

Il emploie le terme « esprit nouveau ».

Il utilise le terme « Surréalisme », qu’il préfère au « surnaturalisme ».

Hostile à toute systématisation de l’art, curieux de toutes choses nouvelles.

Un point de vue fondamental est que l’art ne peut se réduire à une simple
reproduction du réel. Mais, si éloigné qu’il soit de la nature dans son œuvre, l’artiste
se doit de bien la connaître et de scruter la réalité visible pour s’en dégager sans la
trahir. Aller plus loin que la perception du réel quotidien pour atteindre à la vérité
des choses est ainsi une démarche fondamentale.

L’œuvre d’art n’est pas un reflet de la nature, elle est une réalité nouvelle qui s’y
ajoute, à la fois vraie par sa présence au monde et par ce qu’elle révèle du réel, et
fausse, puisqu’elle est fiction.

Tout au long de l’œuvre d’apollinaire se multiplient thèmes et images de la fausseté.


L’art porte donc en lui-même sa propre fin dans l’acte créateur d’une réalité
nouvelle. Il n’est pas une quête métaphysique, une explication orphique du monde
comme voulait Mallarmé. Il n’a de fonction ni morale ni politique.

Les poètes ne peuvent pas s’enfermer dans les modèles figés du passé comme le
voudraient les traditionalistes que se projeter dans l’avenir en refutant ce passé à la
manière des avant-gardes.

On ne peut prolonger, répéter le passé; mais on ne peut plus le refuser, s’en détacher.

L’œuvre de fiction

Deux recueils de contes: L’Hérésiarque et Cie et Le Poète assassiné.

L’Enchanteur pourrissant.

Thème: la « parodie d’amour », de l’amour impossible entre l’homme et la femme.

Formules apollinairiennes:
- relation de la création à la nature;
- combinaison de la liberté et de l’ordre dans l’œuvre;
- refus de l’esthétisme.

La poésie. Poésie et arts graphiques

Deux grands livres de poèmes: Alcools et Calligrammes.

De nombreux posthumes ont été réunis en volumes.

L’accord du mot et de l’image a toujours sollicité Apollinaire.

Premier thème: le mal-aimé.

Deuxième thème: réflexion sur le travail du poète, une assimilation, symbolisée par
Orphée, de la création poétique et de la recherche de la perfection à la création et à
la perfection divine.

Troisième thème: celui de la perfection divine. Orphée est un prophète du Christ, à


la manière des humanistes du XVIe siècle.

La poésie. Alcools

Parution en avril 1913.


Le peintre est le maître de la matière qu’il utilise, alors que le poète est prisonnier
des mots – c’est sinon le point de départ, au moins un moment important d’une
réflexion sur le langage poétique, et, d’une façon plus générale, sur celui des signes,
qui ne cesse de le préoccuper.

Il y supprime tous les signes de ponctuation. Cette décision brusque a été souvent
interprétée comme une volonté de faire preuve d’originalité à tout prix dans le
climat d’innovation et d’émulation de l’époque.

Il suffit de lire un de ses manuscrits pour constater qu’il use de façon très
personnelle de la ponctuation. Tantôt il la néglige totalement; tantôt il la pratique
moins en application des règles de la grammaire que pour souligner la dynamique
de la phrase comme on le fait quand on parle.

Thèmes de’Alcools:
- la fuite du temps; apporte une difficulté d’être, une interrogation sur l’identité
auxquelles la poésie tente d’apporter une réponse; le monde n’est que fuite,
effacement, la vie qu’éloignement de moments présents à jamais disparus.
- l’amour n’est jamais heureux;
- la création poétique triomphe de la misère de l’homme;
- la quête du moi, le problème d’une identité qui ne cesse de se diluer dans le passé.

Apollinaire est fasciné par le vocabulaire. Il se plaît à utiliser dans Alcools, des mots
rares.

Les enchaînements sonores, dans lesquels on aurait tort de ne voir que de simples
jeux de mots, sont un élément essentiel de sa magie verbale.

La poésie. La Chanson du mal-aimé, poème emblématique

Le poème est emblématique parce que, plus peut-être que tout autre, sa genèse, sa
composition, son écriture nous font pénétrer au cœur de la création apollinarienne
et illustrent la relation fondamentale de la vie à la poésie.

La poésie. Calligrammes

Par quel cheminement le poète en est-il venu à ces compositions où les mots et les
lettres s’organisent sur la page pour former un dessin, et que signifiaient-elles à ses
yeux?

Guillaume Apollinaire

Accusé d’un modernisme ouvert à toutes les tendances littéraires, plus ou moins
fondées. Possesseur d’un lyrisme hérité des romantiques mélancoliques et ouvreur
d’une nouvelle ère littéraire du discours poétique.

Apollinaire a mis en confusion ceux qui l’ont connu par les mythes dont l’écrivain
même s’est entouré: le mal-aimé, le héros de la guerre, le fantaisiste, le maître du
scandale, le défenseur d’une cause aussi désespérée que le cubisme.

La difficulté de l’approche du texte apollinairien est accentuée par la disponibilité


textuelle excessive de l’écrivain. Lettré très raffiné, lecteur fécond, connaisseur des
littératures antiques, classiques et modernes, il a été ouvert à la fois au folklore, à la
réalité quotidienne, au développement en galop de la technique et à toutes les
nouvelles tendances culturelles et artistiques, sans négliger les civilisations antiques
et l’art primitif des Noirs.

Le poète s’est lancé dans l’acte d’écrire avec une telle richesse d’idées et de langages
que l’œuvre qu’il a créé a l’aspect d’un collage de textes appartenant à des âges et à
des manières littéraires différentes.

Il y a deux grands noyaux intertextuels thématico-stylistiques dans son œuvre: l’un


de nature romantique et symboliste (thème de l’écoulement du temps et de la mort),
l’autre moderniste (thème de l’érotisme, de l’irruption du rêve dans la réalité, du
pouvoir prophétique du langage).

Ses deux recueil représentatifs sont: Alcools et Calligrammes.

Alcools comprend des poèmes de fin d’amour et fin de la foi. C’est la recherce de
l’Absolu d’un poète qui a perdu “l’habitude de croire”.

Comme poèmes de la destinée, Alcools sont issus du pessimisme romantique de la


fuite du temps, de l’inutilité de la remémoration dans un temps irréversible. Ils
représentent une manière d’exorciser la mort par le langage et de faire triompher la
vie comme aube et matin, comme ivresse et comme plénitude.

Alcools annonce l’activité poétique moderne.

C’est un recueil de poésie brûlante comme l’alcool, qui traduit l’ébriété d’une
conscience neuve usant des pouvoirs qu’elle se découvre sans cesse.

Les Calligrammes sont noyées dans le thème trop présent de la guerre.

Innovations topographiques déconcertantes. L’exégèse a remarqué la présence


d’une poésie de l’espace, par rapport à celle du temps que révélait le recueil
précédent.

Le désir du poète de sentir la vie par tous les sens caractérise les deux. Boire la vie
comme une eau-de-vie est une constante d’Alcools, reprise dans Calligrammes.
La position d’Apollinaire est entre la tradition poétique et la modernité. Il est un
poète conciliateur, qui veut mettre d’accord la tradition et l’innovation.

Apollinaire mise souvent dans sa création sur les effets contraires.

Il désire frayer une nouvelle voie à l’inspiration, qui doit se déployer librement et
sans contraintes; l’écrivain doit s’y abandonner, ce qui explique la multitude de voix
intérieures.

Le poète a exprimé plusieurs fois sa confiance absolue dans l’inspiration et dans


l’imagination. Il veut accéder à la vérité à partir de l’inspiration, la surprise et
l’invention.

Apollinaire présente l’invention et la surprise comme les deux principes de base de


l’art moderne, grâce auxquels on peut écrire dans tous les domaines.

Comme méthode poétique, Apollinaire adopte un jeu constant entre le continu et le


discontinu. Les poèmes se présentent comme une association d’images disparates
qui expriment le désordre de l’intérieur de l’âme.

Le lyrisme apollinairien est un lyrisme contradictoire, trouvé sous le signe de


l’innovation et de la surprise, entraîné dans les efforts du jeu désordre-ordre,
exprimant la multiplication du moi et l’effort du poète d’en refaire l’unité.

Son lyrisme particulier fait naître, avant l’aventure surréaliste, un discours qui tend
à se libérer des cadres de la pensée et qui, refermé sur le discours critique, interroge
le langage, forcé par le langage même, étant lié à la dérision et au scandale.

Apollinaire se sert du calembour.

Comme Rimbaud, il mise sur les effets de la surprise du mot dans le contexte. Le
lecteur est provoqué par des jeux textuels, par les incohérences verbales et les
ruptures syntaxiques.

L’impudeur dont le poète fait souvent preuve, surtout dans la poésie d’amour est
aussi l’impudeur de l’innovateur qui entend rafraîchir à tout prix les zones
archiconnues de l’expression lyrique en vue de libérer le poème.

Il y a chez Apollinaire une rencontre de rythmes classiques et de rythmes propres


aux chansons populaires et aux danses comme la ronde.

Il ouvre la voie par laquelle des images appartenant à la tradition poétique font
carrière dans le discours poétique moderne.

Les grands thèmes de la poétique apollinairienne sont le mal-aimé et l’enchanteur.


La notion de mal-aimé est d’une suggéstivité accrue par raport à la simple
opposition aimé – non aimé.

D’ailleurs, la technique de l’adverbe “mal” antéposé à un adjectif, très fréquente


chez Apollinaire, exprime toute menace, tout aspect maléfique de l’existence.

L’amour a chez Apollinaire le double aspect de pureté et de pornographie.

La recherche de la femme absente du mythe d’Orphée se transforme dans la


découverte de la fausseté de la femme présente. Dans toute femme, le mal-aimé
reconnaît la fausseté de l’amour même, l’être qui ment, qui s’éloigne et laisse
l’homme seul avec sa chanson abandonné.

Apollinaire démystifie le mythe de l’androgyne primordial, l’unité de la sphère des


deux corps étant brisés par le mensonge et la débauche qui s’y glissent.

Pourtant, le mal-aimé n’est pas un être tragique. Il rejette le passé et tout ce qui
aurait pu l’entraîner dans sa descente intérieure. Il est le poète qui a la confiance
dans les pouvoirs de son langage et rejette toute tentation pour se dédier à son
métier.

Chez Apollinaire la femme est tantôt la sirène, tantôt la Loreley. La femme se


déshumanise parce qu’elle est incapable d’aimer, la Loreley s’humanise par le
sentiment d’amour qu’elle éprouve. L’amante devient traîtresse, alors que la
séductrice traditionnelle, la Loreley, devient capable d’aimer.

Le mal-aimé se guérit de son mal en devenant enchanteur. Les deux thèmes sont
chez Apollinaire l’espace du jeu avec les mythes. Il est préfiguré par l’attirance pour
le mythe d’Orphée, le dompteur et l’être sensible qui veut accéder à la lumière et au
soleil par le charme de son chant.

Dans sa poésie se rencontrent les grands héros des mythes (Ulysse, Icare, Orphée,
Dionysos, Héraclès). Mais dans sa vision chaque héros mythique devient un anti-
héros et démystifie le mythe jusqu’à le rendre égal de la vie même.

La figure mythique centrale du thème de l’enchanteur est celle d’Orphée-Icare,


l’anti-héros d’une anti-recherche.

Interprétations du poème Zone:


- le poète aspire à la connaissance totale, mais tombe victime de sa connaissance tout
en entraînant la chute de celle-ci;
- recherche de la pureté de l’enfance et du temps perdu à la façon proustienne avant
la lettre;
- poème de l’errance, de la mélancolie et du retour en arrière;
- poème qui donne la plus vive impression de réalité etc.
L’anti-Orphée d’Apollinaire, qui échoue dans la recherche de l’amour et de la
connaissance, fait la conquête de la poésie.

L’aventure du mal-aimé prépare la mythologie d’Apollinaire. Un mythe nouveau,


créé par le vainqueur des sirènes, prend naissance. C’est le mythe de l’enchanteur
qui exprime chez Apollinaire l’élévation comme effet du langage compensant la
chute de la recherche gnostique.

Les expériences du langage installent le poète dans un présent qui lui fait vivre
simultanément le passé et l’avenir sous la protection du soleil. La technique du
simultanéisme lui a été inspirée par la peinture.

Le poème-conversation, l’idéogramme ou le poème-image sont autant de formes du


simultanéisme au niveau du discours.

Une écriture fondée sur l’inconscient, la surprise et le hasard permet au poète de


réinventer la poésie, ce qui s’inscrira comme principe dans la future doctrine
surréaliste.

[source Yvonne Goga, Novateurs du discours poétique français]

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