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Couv Haute-Vienne limoges st étienne_Mise en page 1 28/09/2016 16:36 Page 1

Depuis plus d’un siècle et demi, la Société Française d’Archéologie explore notre patrimoine ancien. HAUTE-VIENNE
À la visite des monuments sous la conduite des meilleurs spécialistes succède la publication dans la
collection des Congrès archéologiques de France, unique de son genre en Europe. Au fil du temps, la
ROMANE ET GOTHIQUE

HAUTE-VIENNE
formule a évolué, de la découverte d’une région à celle d’un département, d’une prospection de
caractère général à l’approfondissement d’une thématique particulière. Le congrès qui s’est tenu en
Haute-Vienne du 12 au 16 juin 2014 a ainsi été consacré à l’époque romane et gothique, âge d’or de
son architecture.
La première partie est consacrée à deux monuments prestigieux de Limoges : la cathédrale et
l’ancienne abbaye Saint-Martial, disparue du paysage urbain mais que l’archéologie commence à révéler.
L’âge d’or de
Une place de choix est réservée aux grandes églises romanes qui font la gloire du Haut-Limousin :
Solignac, Châteauponsac, Saint-Léonard-de-Noblat, Le Dorat, Saint-Junien, Saint-Yrieix-la-Perche, son architecture
Les Salles-Lavauguyon et Le Chalard. Les châteaux sont également à l’honneur, qu’ils évoquent les
fastes de la vie seigneuriale comme celui de Rochechouart ou qu’ils soient réduits à l’état de ruines
romantiques. Le tour d’horizon ne serait pas complet sans une présentation des remarquables ensembles
de maisons urbaines du Moyen Âge que conserve la Haute-Vienne, notamment à Saint-Junien et
Saint-Léonard-de-Noblat.
La richesse de l’ouvrage ne reflète pas seulement celle du patrimoine : elle résulte aussi d’une
recherche entrecroisée entre des auteurs venus d’horizons variés (historiens, historiens de l’architecture,
archéologues, responsables de la conservation et de la restauration des monuments) qui, fidèles à la
vocation de la Société française d’Archéologie, mettent leur savoir à la disposition de tous : autant
qu’un ouvrage de référence, le présent volume est une incitation à la visite.

SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’ARCHÉOLOGIE


5, rue Quinault
75015 PARIS

Tél. 01 42 73 08 07
E-mail : contact@sfa-monuments.fr
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CONGRÈS
60 € ARCHÉOLOGIQUE
DE
FRANCE CONGRÈS ARCHÉOLOGIQUE DE FRANCE
2014 Société Française d’Archéologie
Comité scientifique
Jean-Pierre Babelon, Françoise Bercé, Gabrielle Demians d’Archimbaud,
Peter Kurmann, Willibald Sauerländer, Neil Stratford

Comité des publications


Françoise Boudon, Isabelle Chave, Alexandre Cojannot, Thomas Coomans,
Nicolas Faucherre, Pierre Garrigou Grandchamp, Étienne Hamon, Denis Hayot, François Heber-Suffrin,
Dominique Hervier, Bertrand Jestaz, Claudine Lautier, Emmanuel Litoux, Emmanuel Lurin, Jean Mesqui,
Jacques Moulin, Philippe Plagnieux, Jacqueline Sanson, Pierre Sesmat, Éliane Vergnolle

Directeur des publications Jacqueline Sanson


Rédacteur en chef Éliane Vergnolle

Suivi éditorial Raymonde Courtas et Christine Flon-Granveaud


Secrétaire de rédaction Odile Boubakeur
Infographie et P.A.O. David Leboulanger

Toute reproduction de cet ouvrage, autre que celles prévues à l’article L. 122-5 du Code de la
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de reproduction ont été négociés, enfin à ceux de l’éditeur-diffuseur des publications de la Société
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Tél. librairie 01 43 26 96 73 - Fax 01 43 26 42 64
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En couverture : Limoges, cathédrale Saint-Étienne, bras nord du transept (cliché G. Cotel).


Congrès Archéologique de France
172e session
2014

Haute-Vienne romane et gothique


L’âge d’or de son architecture

Coordination scientifique : Éliane Vergnolle

Société Française d’Archéologie


Haute-Vienne romane et gothique

L’âge d’or de son architecture


Sommaire

11 La Société archéologique et historique du Limousin


Pascal Texier

Première partie
Limoges

23 Limoges, ville ducale et royale dans l’Aquitaine du haut Moyen Âge


Jean-François Boyer

La cathédrale
31 Limoges, cathédrale Saint-Étienne. Lecture archéologique de la crypte romane
Lise Boulesteix
43 Limoges, cathédrale Saint-Étienne. Le clocher : un chef-œuvre méconnu
Xavier Lhermite
57 Limoges, cathédrale Saint-Étienne. Le chevet rayonnant et le problème du gothique méridional
Yves Gallet
77 Limoges, cathédrale Saint-Étienne. Les tombeaux monumentaux (1322-1349)
Claude Andrault-Schmitt
95 Limoges, cathédrale Saint-Étienne. La façade nord du transept
Étienne Hamon

L’abbaye Saint-Martial
115 Limoges, Saint-Martial. L’abbatiale du Sauveur et les « églises de pèlerinage »
Éliane Vergnolle
141 Limoges, Saint-Martial. Les bâtiments conventuels
Xavier Lhermite

Une église dans la ville


157 Limoges, église Saint-Michel-des-Lions
Claude Andrault-Schmitt
Deuxième partie
Architectures monastiques
La présence bénédictine
177 Solignac, abbatiale Saint-Pierre
Claude Andrault-Schmitt
197 Châteauponsac, église Saint-Thyrse. L’édifice du xie siècle
Évelyne Proust et Éliane Vergnolle

L’œuvre des chanoines


219 Saint-Léonard de Noblat, collégiale Saint-Léonard
Éric Sparhubert
245 Le Dorat, collégiale Saint-Pierre
Éric Sparhubert
269 Saint-Junien, collégiale Saint-Junien
Éric Sparhubert
297 Saint-Junien, la chapelle Notre-Dame-du-Pont. Le mécénat royal au service d’une résurgence
des formes locales
Thomas Rapin
311 Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope. Architecture
Éric Sparhubert
327 Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope. Les peintures murales (entre 1150 et 1170)
Cécile Voyer
339 Saint-Yrieix, collégiale Saint-Yrieix
Claude Andrault-Schmitt
349 Le prieuré du Chalard. Une architecture entre austérité et prestige
Xavier Lhermite
369 Le prieuré du Chalard. Le cimetière médiéval
Marion Durier

Troisième partie
Châteaux et maisons
377 Sites fortifiés et demeures seigneuriales de la Haute-Vienne (xe-xviie siècle)
Christian Remy
423 L’architecture domestique urbaine en Haut-Limousin (fin xiie- début xve siècle)
Pierre Garrigou-Grandchamp
481 Le château de Rochechouart
Christian Remy et Philippe Grandcoing

519 Tables des auteurs et des sites


N INDRE

VIENNE

Le Dorat

Ga
rtempe
Châteauponsac

CREUSE

Saint-
Junien
Vienn
Saint-Léonard-
e

CHARENTE de-Noblat
Rochechouart LIMOGES

Les Salles-Lavauguyon
Solignac
Ta rdoire

Chalucet

Le Chalard
Saint-Yrieix-
la-Perche

DORDOGNE CORREZE

0 20 km

Département de la Haute-Vienne, carte des sites publiés (P. Brunello).


Limoges, cathédrale Saint-Étienne
La façade nord du transept

Étienne Hamon *

S aint-Étienne de Limoges offre l’un des plus saisissants témoignages d’une réalité qui a
tardé à s’affirmer dans l’historiographie française : les campagnes de l’époque flamboyante
ont imprimé en profondeur leur marque sur l’architecture des cathédrales gothiques françaises.
* Professeur d’histoire de l’art médiéval,
université de Lille III.

Cette église tient une place particulière dans la galerie des grands monuments représentatifs de
ce phénomène en raison de sa position géographique excentrée par rapport au noyau des
principaux chantiers français, de ses particularismes techniques mais surtout de la qualité de ses
campagnes qui se sont succédé de 1460 à 1540 environ. La façade nord du transept, bâtie entre
1515 et 1530 comme il a été depuis longtemps établi, en constitue le point d’orgue. C’est l’une
des parties de la cathédrale les plus souvent représentées dans l’iconographie moderne (fig. 1) ;
c’est dans une moindre mesure l’une des plus commentées aussi. Les remarques que lui a
consacrées Claude Andrault-Schmitt dans son ouvrage du Limousin gothique résumaient les
1. Claude Andrault-Schmitt, Limousin
enjeux d’un chantier clé dans l’histoire de l’édifice 1. À la faveur d’un colloque tenu en 2009, gothique. Les édifices religieux, Paris, 1997,
Jacques Dubois est revenu sur cet ensemble 2. Le Congrès de la Société française p. 215-239 (cathédrale). L’analyse de la façade
d’archéologie se devait de s’arrêter à son tour sur ce chef-d’œuvre. du transept occupe les p. 233 à 235 de cette
monographie.
2. La cathédrale de Limoges et les cathédrales
gothiques du midi, colloque organisé par la
La vitrine du renouveau gothique DRAC Limousin, 19-21 mars 2009.

Rappelons d’abord que cette façade n’est pas le fruit d’une campagne isolée. Sa 3. Cette date est celle d’une ordonnance de
l’évêque prescrivant la construction des « joas »
construction prend place dans un ambitieux programme de réalisations flamboyantes visant (contreforts) (François Arbellot, Cathédrale de
à l’achèvement de la cathédrale gothique et au renouvellement de son décor monumental Limoges, Histoire et description, Paris-Limoges,
1852, p. 36). L’année suivante, le chapitre,
intérieur et extérieur (fig. 2). Suspendue vers 1370 en raison de l’insécurité militaire, la avec l’accord de l’évêque, adresse une
construction de la cathédrale gothique avait repris vers 1458 dans le transept et les deux supplique au pape pour pouvoir convertir les
dernières travées de la nef 3, assez lentement d’abord, puis plus rapidement après 1493 4. fruits des églises vacantes du diocèse « ad
edifficium ecclesie » (Arch. dép. Haute-Vienne,
Elle se conclura avec l’implantation des travées occidentales de la nef, piles exceptées, sur le 3 G 17, fol. 54v et 80v ; cité par Thierry
modèle à peine modernisé de celles du chevet. Cette entreprise fut suspendue dans les Soulard, La Cité épiscopale de Limoges au
années 1540 alors que les murs et les contreforts de l’enveloppe atteignaient quelques mètres Moyen Âge : enquête autour d’une cathédrale,
thèse de doctorat, université de Paris IV, dir.
de hauteur. Elle ne reprit que trois siècles plus tard, et c’est sur ces soubassements purgés de Anne Prache, dactyl., 1994, p. 216.
leurs assises sommitales dégradées par une longue attente que la nef néo-gothique et la 4. Le 29 janvier 1493, le parlement de
travée de raccordement avec la tour vinrent s’appuyer à partir de 1876 5. Les parties hautes Bordeaux contraint l’évêque Jean II de
Barthon et son oncle Jean Ier, qui avait résigné
de la façade du transept qui n’avaient jamais été posées – pignon, pinacles et coursière en sa faveur, à verser 600 livres par an pour les
ajourée – avaient pour leur part été complétées par l’architecte diocésain Pierre Chabrol travaux, et le chapitre à y consacrer le revenu
(1812-1875), sur des projets formulés en 1845. Chabrol, en architecte consciencieux, avait d’une prébende (Arch. dép. Haute-Vienne,
1 G 730, copie du xviie siècle).
fait rouvrir les carrières de granit des environs de Saint-Jouvent exploitées par le chapitre au
5. L’achèvement de la cathédrale de Limoges au
xive siècle à 15 km au nord de la ville, ce qui eut pour effet de rendre les reprises difficiles xixe siècle, catalogue d’exposition, Limoges,
à distinguer, mais il prit soin de déposer à l’administration de nombreux attachements 1988.
figurés (fig. 3) 6. Pour mener à bien la délicate création de ces parties hautes, Chabrol 6. Médiathèque de l’Architecture et du
Patrimoine, 0082/087/2006, attachements
s’assura des conseils de l’abbé Jacques Texier (1813-1859), fin connaisseur de l’édifice, et il cotés 077975-077977, 077986-077991,
fut autorisé, en 1848, à faire exécuter à grand frais un modèle à grandeur d’exécution en 078002-078005 et 078010-078015.

Congrès Archéologique de France. Haute-Vienne, 2014, p. 95-112. 95


7. Thierry Soulard, «  Les campagnes de bois et plâtre des parties à compléter, sculptures comprises, pour guider le travail des
restauration, 1842-1852 », dans L’achèvement,
op. cit. note 5, p. 41. ouvriers. L’ensemble de ces travaux, jugés fort bien conduits par la commission des
Monuments historiques, put être achevé en l’espace de trois ans, entre 1848 et 1851 7. Le
dernier ravalement en date de la façade a eu lieu en 2007 sous la direction de Philippe
Villeneuve, architecte en chef des Monuments historiques. Il en résulte aujourd’hui une
différence de teinte des parements extérieurs entre la façade, éclaircie par cette intervention,
et les murs latéraux du transept, encore encrassés (voir fig. 9).

Fig. 1 – Limoges, cathédrale Saint-Étienne, façade nord du transept, la nef et la tour vers 1830. Lithographie
d’A. Rouargue sur un dessin de Chapuy.

96 Étienne Hamon
Fig. 2 – Limoges, cathédrale Saint-Étienne, plan avec indication des principales phases d’implantation des maçonneries. (Dessin Antoine Kostek, Univarchéo).

Dans cette longue marche du gothique flamboyant à Saint-Étienne, la façade nord se


distingue comme la création la plus complexe et la plus originale, tirant parti des contraintes
particulières que les édifices préexistants imposèrent à son maître d’œuvre. La qualité de ce
programme et la motivation pour le mener à bien étaient à la mesure des enjeux. Alors que
le portail sud était réservé au clergé (il desservait le quartier canonial), la façade nord formait
de longue date l’accès principal des fidèles à la cathédrale. C’était la « grande porte » de
l’église pour les historiens du xviie siècle. Mais à cet endroit, du côté de la Haute-Cité où
se rassemblaient les établissements religieux, deux fondations majeures faisaient obstacle à
une totale liberté de création des architectes des xve et xvie siècles : l’église Saint-Jean,
détachée de la cathédrale, qui rappelait le souvenir du baptistère antique récemment retrouvé 8. Claude Andrault-Schmit, op. cit. note 1,
p. 217.
et qui donna son nom à cette entrée de la cathédrale ; et la chapelle orientée Saint-Martial
9. La fouille programmée qui, en 2005, a mis
et Sainte-Valérie remontée à la fin du xiiie siècle sur le plan d’une absidiole romane dans la au jour le baptistère paléochrétien et l’église
travée la plus septentrionale du transept. C’est aussi à cet emplacement, semble-t-il, que se Saint-Jean au nord-est du chevet actuel de
Saint-Étienne, a montré que la façade du
dressait depuis le xive siècle un « portail neuf » 8. Et contrainte supplémentaire, la nouvelle transept du xvie siècle s’appuyait, immé-
façade devait épouser les contours du transept roman dont il avait été décidé à l’époque diatement sous le niveau du sol, sur les
fondations de la façade du transept roman, du
rayonnante de conserver les proportions marquées par l’étroitesse de ce vaisseau, large d’à moins dans sa partie gauche explorée par la
peine sept mètres contre une dizaine pour celui de la nef gothique 9. fouille.

Limoges, cathédrale Saint-étienne. La façade nord du transept 97


Fig. 3 – Limoges, cathédrale Saint-Étienne, restauration de la face ouest du transept. Détail d’un attachement
figuré de l’architecte Chabrol, 1849.

On retrouve dans ces contingences topographiques et fonctionnelles les ingrédients qui


ont assuré la réussite de la plupart des programmes de façades de transept à l’époque
flamboyante en France ; des programmes qui firent l’objet d’un soin d’autant plus grand
que, comme ici, il était pratiquement exclu de pouvoir ériger ou renouveler à l’extrémité de
la nouvelle nef un frontispice au goût ou aux ambitions du moment. Ainsi s’expliquent les
chefs-d’œuvre d’équilibre et d’harmonie de Rodez, Beauvais, Sens, Évreux, Gisors ou Senlis,
pour ne citer que les plus connues de ces façades flamboyantes de transept. Pour mener à
bien ces délicats programmes, les maîtres d’ouvrage ont dû faire appel, comme l’histoire de
ces frontispices nous l’enseigne, à des architectes appelés pour l’occasion et choisis
précisément pour leurs aptitudes à relever les défis techniques et formels que présentaient de
tels chantiers.
La façade de Limoges consacre l’aboutissement de la campagne de reprise des murs du
transept commencée à l’est et au sud à l’époque rayonnante et poursuivie à partir de la
seconde moitié du xve siècle à l’ouest et au nord, en même temps que l’érection des travées
orientales de la nef. La chronologie relative des étapes de cette vaste construction autour de
la croisée pourrait être affinée au prix d’une étude attentive du bâti. Ainsi est-il possible, à
en juger par les ruptures dans l’appareil, d’imaginer un processus de mise en œuvre du mur
ouest du bras nord du transept en deux temps : montage des supports puis, dans un second
temps, des parois avec leur réseau de remplages aveugles imitant, mais avec des graphismes
plus élaborés, les grandes fenêtres à lancettes et tympan à l’intérieur de l’église, le triforium
à l’extérieur (fig. 4, 5 et 9). L’antériorité du mur ouest de la travée extérieure du transept
– ouvert d’un petit portail – par rapport à la façade qui le ferme actuellement permet de
formuler une hypothèse : celle de campagnes flamboyantes ayant, dans un premier temps,
permis la construction sur les fondations romanes des murs gouttereaux du bras nord tout
en préservant l’hypothétique façade du xive siècle, avant que celle-ci ne soit sacrifiée au
profit de la composition actuelle qui serait venue se greffer sur les murs transversaux montés
quelques décennies plus tôt. La présence de deux tiercerons et d’une lierne renforçant le
voûtain le plus septentrional du bras nord pourrait témoigner d’une reconstruction de ce

98 Étienne Hamon
Fig. 4 – Limoges, cathédrale Saint-Étienne, intérieur du bras nord du transept.

Limoges, cathédrale Saint-étienne. La façade nord du transept 99


Fig. 5 – Limoges, cathédrale Saint-Étienne, bras nord du transept, détail de l’appareil du mur ouest.

voûtain consécutive à l’achèvement de la façade actuelle, ce qui laisserait supposer que


toutes les voûtes quadripartites du bras nord avaient été posées dès l’achèvement des murs
gouttereaux.
La chronologie absolue des étapes de la rénovation du transept est condamnée à rester
incertaine, mais on peut l’estimer plus resserrée qu’on ne l’a dit. La césure verticale lisible
dans l’appareil extérieur du mur ouest du bras nord ainsi que les différences dans le style des
graphismes entre le petit portail ouvert dans ce mur et le frontispice lui-même (voir fig. 9),
seraient les signes moins d’une longue interruption que de l’entrée en scène, sans véritable
solution de continuité, d’une nouvelle génération de bâtisseurs à la faveur de la mise en
chantier de la façade, en 1515 sans doute.

100 Étienne Hamon


Impulsions 10. Voir note 4. Les transactions en 1506,
1508 et 1510 sont mentionnées dans
Bonaventure de Saint-Amable, Histoire de
C’est ce scénario que l’histoire semble accréditer en matière de maîtrise d’œuvre. Les Saint Martial apôtre des Gaules et notamment
principaux repères chronologiques du chantier de la façade sont fournis par les armoiries de l’Aquitaine et du Limousin…, t. III,
personnelles des évêques, existantes ou disparues, placées à différents niveaux. Comme pour Limoges, 1685, p. 742 et 745.
nombre de grands chantiers contemporains, les certitudes que semble offrir cette héraldique
envahissante – une tendance plus marquée au sud qu’au nord de la Loire dont témoigne
aussi Notre-Dame de Rodez, et qui touche également la Bretagne – doivent être tempérées
par les données issues des rares textes disponibles qui révèlent une situation nettement
moins à l’avantage des prélats. Les évêques, assurément, ont pris une part déterminante
dans l’impulsion donnée au projet ; le niveau de leur engagement financier n’a en revanche
jamais suffi à en garantir la réalisation. Comme partout ailleurs, ou peu s’en faut, c’est sur
le chapitre que reposa l’essentiel de l’effort financier consenti pour embellir la cathédrale.
Les xve et xvie siècles sont en effet jalonnés d’arrêts du parlement de Bordeaux imposant
aux évêques de Limoges une contribution aux travaux régulière, à défaut d’être majoritaire,
et de transactions entre les deux parties sur l’application de ces décisions 10.
La personnalité des évêques est néanmoins à considérer avec attention pour comprendre
certaines options monumentales dans la mesure où les années de la mise en chantier de la
façade marquent un tournant institutionnel : après un siècle de mainmise sur le siège
épiscopal de la famille limousine de Barthon, la crosse et la mitre échurent en 1510, et pour
plusieurs décennies, à des prélats originaires du Val-de-Loire ou de l’Île-de-France.
L’incidence sur l’architecture de ce changement de cap ne doit pas être surestimée : à une
exception près, les évêques de cette nouvelle génération furent aussi peu empressés à
respecter les engagements consentis sous la menace de la justice et c’est le chapitre, toujours
dirigé par des doyens issus du lignage des Barthon, qui donnait la cadence.
Les historiens de l’époque moderne avaient d’ailleurs relevé, dans les registres disparus
des délibérations capitulaires, qu’en 1515 ce sont « messiers les chanoines » qui « firent
continuer l’édifice de l’église de Saint Estienne, choisirent des maistres pour présider à

Fig. 6 – Limoges, cathédrale Saint-Étienne, panneaux des vitraux de la rose nord du transept photographiés en atelier après restauration. © Région Nouvelle
Aquitaine. Service de l’Inventaire et du Patrimoine culturel. 2010.

Limoges, cathédrale Saint-étienne. La façade nord du transept 101


11. Ibid., p. 750. l’ouvrage et des chartiers pour charrier les pierres » 11. Si l’information se rapporte bien à la
12. Françoise Gatouillat, Les vitraux façade, elle laisse entendre que l’initiative de ce qui ressemble à un nouvel élan donné au
d’Auvergne et du Limousin (Corpus vitrearum,
France, Recensement IX), Rennes, 2011, chantier revint au chapitre. Elle pourrait cependant être liée à la prise de possession du trône
p. 211-212, 268, 275 et 277-278. épiscopal par René de Prie en novembre 1514. Ce personnage pouvait se prévaloir d’un
13. Bonaventure de Saint-Amable, op. cit. réseau familial très influent à la cour (il était cousin des Amboise), d’une expérience des
note 10, p. 759.
cathédrales en chantier et des fonctions prestigieuses qui l’amenaient à participer
14. Arch. dép. Haute-Vienne, 3 G 26,
fol. 38v. régulièrement aux grandes liturgies royales. Il cumulait déjà les fonctions d’évêque de
15. Sur les vitraux des chapelles de la nef (baies Bayeux, d’archidiacre de Blois en l’église de Chartres et de grand archidiacre de Bourges, et
24 et 29) et de la rose nord (baie 119), voir il avait reçu en 1506 la dignité de cardinal. Le chapitre était donc en droit d’espérer de lui
Bonaventure de Saint-Amable, op. cit. note
un soutien particulièrement efficace à ses projets.
10, p. 738 et Françoise Gatouillat, op. cit. note
12, p. 211-212, 268, 274-275 et 280. Les dais Ces espoirs furent probablement déçus puisque René de Prie mourut dès septembre
qui ornaient les vitraux des lancettes inférieures
de la rose ont fini de disparaître au xixe siècle ;
1516 et que les plus anciennes armoiries d’évêques qui décorent la façade aux côtés de l’écu
les vitraux de la rose ont été restaurés en 2007- du chapitre, celles qui occupent les médaillons des écoinçons du portail, appartiennent à
2010, ceux du tympan vitré du portail en son successeur, Philippe de Montmorency, élu le 18 octobre 1516 et installé deux ans plus
2016.
tard (voir fig. 11). Frère du futur connétable Anne de Montmorency, Philippe était issu de
l’université de Paris et il émargeait aux chapitres de Chartres, de Beauvais et de la Sainte-
Chapelle de Paris. Donc un habitué des églises en chantier. Ses armes sont pourtant le seul
indice de sa participation aux travaux, dont on ignore le niveau de l’engagement financier.
Car des trois évêques contemporains du chantier de la façade de Limoges, c’est le
troisième, imposé au chapitre par François Ier en novembre 1519, qui présente le profil
d’amateur d’art le plus attachant. Charles de Villiers de L’Isle-Adam, apparenté à son
prédécesseur, se contenta de présider à l’achèvement de travaux qu’il n’avait pas décidés.
Mais son intérêt pour la commande comme pour la célébration de la mémoire familiale,
que le vitrail commandé à Engrand Le Prince pour la collégiale de Montmorency en 1524
nous permet aujourd’hui d’apprécier, l’encouragea à soutenir l’aboutissement du projet
limougeaud, qui coïncida avec son départ pour l’évêché de Beauvais en 1530. Les textes et
l’archéologie désignent cette fois clairement l’évêque comme partenaire de tous les chantiers
importants de l’église. Ses armes « d’or au chef d’azur chargé d’un dextrochère d’argent
revêtu d’un manipule d’hermine pendant sur l’or » figurent non seulement sur une clef de
la voûte qui couvre la profonde voussure de la rose du portail ainsi qu’au-dessus du dais de
la statue de saint Jean-Baptiste du trumeau – la seule rescapée d’un programme sans doute
jamais complété. Mais on les voyait également dans d’autres lieux : à la clef de voûte de la
dernière travée du haut vaisseau de la nef ; sur celle de l’arc de la porte d’entrée à l’ouest de
la nef inachevée ; dans des vitraux du haut chœur complétés par ses soins à cette époque
(baie 112 conservée et 111 et 103 disparues) et dans la verrière d’une chapelle de la nef
consacrée à ses deux patrons, Charlemagne et Adrien (baie 27), comme à Montmorency 12.
Enfin, les chroniqueurs lui attribuent le don d’un grand chandelier de bronze placé en 1524
devant le maître-autel, à l’occasion du réaménagement du sanctuaire 13.
Un registre isolé des délibérations capitulaires pour 1527-1528 confirme que l’évêque finança
l’achèvement des parties hautes du transept et, comme l’avait supposé Françoise Gatouillat, du
vitrail de la rose. En septembre 1527, alors que l’on travaillait aux « galeries » au-dessus du portail,
le chapitre décida que la moitié des 1 200 livres données par l’évêque serait employée à la
construction, et que l’on ferait travailler sur ces crédits quatre maçons et un manœuvre en plus du
maître maçon rétribué, pour sa part, par la fabrique. Le chapitre en appela par ailleurs à la générosité
de l’évêque pour le vitrail de la rose en le priant de le faire exécuter « de plusieurs couleurs » sur le
modèle des vitraux récemment posés dans les chapelles de la nef 14. La riche palette des couleurs
des verres et des grisailles, rehaussée de jaune d’argent, qui caractérise les séraphins des 244 soufflets
et mouchettes de cette rose montre que l’évêque accéda à cette requête, confiant l’exécution à un
atelier qui mobilisa plusieurs peintres-verriers (fig. 6) 15.

102 Étienne Hamon


Exécution
À défaut de fournir des noms d’artistes, les épaves documentaires du chantier de la
façade s’accordent sur le fait que, depuis les années 1500 au moins, la fabrique entretenait
un « maître maçon » à la tête d’une équipe resserrée à une demi-douzaine de maçons
environ ; un effectif dans la norme de ces chantiers religieux médiévaux de haute technicité
mais animés d’un rythme relativement lent aligné sur les revenus ordinaires disponibles.
Surtout, ces textes nous montrent que le maître maçon de 1527-1528 était non seulement
en charge d’expertises et de missions dans les carrières, attributions usuelles d’un architecte
d’exécution, mais qu’il était aussi un concepteur. Les chanoines, qui lui confièrent également
le réaménagement du maître-autel, lui adressèrent en effet une réprimande qui en dit long
sur sa place dans la hiérarchie des fonctions sur le chantier : qu’il daigne « tenir le marteau
comme les autres maçons » 16 ! Ce reproche n’est pas sans rappeler le célèbre sermon
prononcé en 1261 par le prédicateur Nicolas de Biard, fustigeant les architectes ayant
renoncé à mettre la main à la pâte ; un bel exemple de longévité des préjugés des clercs quant
à la supériorité des arts libéraux sur les arts mécaniques.
Le maître actif en 1527-1528 était-il, comme certains historiens l’ont supposé, un
dénommé Jacques Barbe ? Ce nom, associé au titre de « maistre maçon de l’édifice de
l’esglise de Limoges », est cité dans un document de 1527 comme celui d’un ancien
propriétaire d’une maison de la rue de la Cité, mais sans que l’on sache à quelle époque il
en était le possesseur 17. Quand bien même il se confondrait avec le maître maçon actif sur
le chantier de la façade en 1527-1528, ce nom ne peut, dans l’état actuel de nos connaissances,
être rattaché à aucun autre chantier contemporain ni à aucune origine précise. Rien ne dit,
au demeurant, que le maître signalé dans les délibérations de 1527-1528 se confondait avec
le concepteur de 1515.

Imagination
C’est donc l’analyse de l’architecture qui nous livre les plus sûrs indices pour identifier
les sources de cette architecture ; une architecture respectueuse du passé, audacieuse, raffinée
et savante (fig. 7 et 8). Par sa richesse, cette composition pourrait se prêter à d’inépuisables
commentaires. Arrêtons-nous sur ses dispositions les plus significatives en signalant d’abord
la présence intrigante au bas du mur gouttereau occidental du transept, dans la travée
extérieure, d’une petite porte soulignée d’une accolade frappée des armes bûchées du
chapitre et d’un évêque (fig. 9). Il est difficile d’imaginer qu’elle puisse témoigner d’un
projet de façade à portails en retour d’équerre du type de ceux des cathédrales de Tours et
de Nantes, conçus au début du xve siècle. Elle correspond plus probablement à un accès
provisoire aménagé dans l’attente d’une façade définitive. Son style sans éclat, en dépit du
dédoublement de l’accolade qui l’encadre, plus en phase avec celui des parties flamboyantes
intérieures de la croisée qu’avec celui de la façade elle-même, milite pour ce scénario.

Une composition aux références prestigieuses


Avec son portail, son triforium et sa rose, cette composition très cohérente reprend les
formules canoniques, depuis le xiiie siècle, des façades de transept, qu’elle renouvelle avec
élégance. Ce frontispice rappelle plus particulièrement les modèles de la fin de l’époque
rayonnante à la fois très tendus et jouant sur l’épaisseur des murs pour superposer les plans, 16. « Fuit conclusum quod magister latomorum
teneat martellum ut alii latomi » : Arch. dép.
tels les portails du transept de la cathédrale de Rouen dont on retrouve ici, entre autre, le Haute-Vienne, 3 G 26, fol. 61v.
profond ébrasement de la rose et le gable soulignant la voussure extérieure. Le tympan 17. Signalé par Louis Bourdery dans Bull. Soc.
ajouré appartient quant à lui à la même tradition rayonnante tardive (cathédrale de Tours, arch hist. Limousin, vol. 44, 1896, p. 306.

Limoges, cathédrale Saint-étienne. La façade nord du transept 103


Fig. 7 – Limoges, cathédrale Saint-Étienne, vue d’ensemble de la façade nord du transept.

104 Étienne Hamon


Fig. 8 – Limoges, cathédrale Saint-Étienne, relevé photogrammétrique de la façade nord du transept. Société française de stéréophotographie,
1974. Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine, 1996/091, n° S336.

Limoges, cathédrale Saint-étienne. La façade nord du transept 105


Fig. 9 – Limoges, cathédrale Saint-Étienne, bras nord du transept, face ouest.

106 Étienne Hamon


voir fig. 13), mais ses mouchettes désignent des références plus actuelles, comme le portail
de la Trinité de Vendôme datable des environs de 1500.

La composition se joue de l’étroitesse du vaisseau transversal dont les proportions sont


héritées, on l’a vu, de celles de la cathédrale romane. Mais pour pallier l’impression
d’écrasement qu’aurait produite sa stricte inscription dans la géométrie du transept, par
rapport aux amples proportions du chevet rayonnant et de la nef flamboyante, l’architecte
a imaginé d’amplifier visuellement le frontispice. Pour ce faire, il n’a pas retenu la formule
des tourelles latérales, plébiscitée dans le nord de la France depuis la fin du xve siècle et
magnifiée à la cathédrale de Beauvais en 1500. Ici, elle aurait occulté la chapelle orientée à
l’est. Il a opté pour un encadrement de contreforts dissymétriques : au pilier cruciforme à
courtes branches s’aplatissant progressivement de bas en haut, du côté gauche, répond à
droite un contrefort d’une inhabituelle profondeur dont l’implantation oblique dilate la
façade sans masquer la nef. Le système linéaire rigoureux de mouluration de ces contreforts
participe à cette amplification.

Une architecture savante


Entre ces deux systèmes, l’équilibre qui règne dans le jeu des masses et des lignes est
d’abord servi par une technique irréprochable dont témoigne un appareil régulier et une
stéréotomie virtuose. Celle-ci se manifeste discrètement, mais fermement en raison de la
nudité du reste de la composition, dans les enroulements de moulures amorties en pinacles Fig. 10 – Limoges, cathédrale Saint-
qui gainent les piédroits du portail au revers de la façade (fig. 10). Elle s’affirme tout Étienne, transept, revers du portail nord.
particulièrement dans la présence à l’arrière du contrefort de droite, à portée de vue, d’une
surprenante cage d’escalier suspendue, rythmée de larmiers rampants diversement inclinés
(voir fig. 9). La trompe qui en porte l’encorbellement est appareillée avec un clavage à
crossettes très en avance sur les modèles qui seront proposés au milieu du xvie siècle par les
premiers traités d’architecture « à la française » illustrés 18. Un témoignage de la longévité
des traditions d’excellence de la stéréotomie dans l’architecture en granit du diocèse depuis
le début du xie siècle 19 ?

Une grammaire décorative originale


L’harmonie de la façade est également obtenue par un répertoire de motifs architecturaux
soigneusement pensé définissant un style que l’on désignait sous l’appellation « gothique
fleuri » au xixe siècle 20. Son originalité repose en grande partie sur une diversité d’effets
assumée et maîtrisée :
- Des effets de dédoublement ou de répétition : avec les accolades emboîtées du portail
et la répétition du thème au-dessus de la rose.
- Des effets de fusion avec la réunion des gables des deux arcatures médianes du triforium, 18. Par exemple, le fameux dessin illustrant le
selon un principe très proche de celui du jubé et du porche de la cathédrale d’Albi, mais livre IV du Premier tome de l’architecture de
Philibert Delorme (1567, fol. 89) représentant
dont l’origine pourrait se trouver à Rouen. le cabinet du roi ajouté au château d’Anet en
- Des effets d’alternance, avec des formes étirées de soufflets et mouchettes très serrés 1552.
19. Claude Andrault-Schmitt, « La mise en
jusqu’à brouiller la perception des lignes de force (tympan et rose) qui encadrent des formes œuvre des églises de granit en Limousin à la fin
plus trapues et aérées (coursière), ou avec des dais des voussures alternativement polygonaux du xiie siècle », dans Ex quadris lapidibus. La
et circulaires. pierre et sa mise en œuvre dans l’art médiéval.
Mélanges d’histoire de l’art offerts à Éliane
L’architecte ne se prive pas de mobiliser quelques ressorts maniéristes à l’exemple de Vergnolle, Turnhout, 2011, p. 81-91.
l’échelle démesurée donnée aux motifs végétaux qui décorent les écoinçons du portail et de 20. François Arbellot, 1852, op. cit. note 3.

Limoges, cathédrale Saint-étienne. La façade nord du transept 107


la rose (fig. 11), ou du trilobe placé en travers de la pointe interminable de l’accolade
principale au niveau de la galerie médiane, rendu méconnaissable tellement il est étiré
(fig. 12). Nous voulons croire que l’architecte n’a pu se familiariser avec de tels effets de
déformation ailleurs que dans les plus grands chantiers du Bassin parisien. Nous ne sommes
à cet égard pas loin de penser, comme Florian Meunier, que la façade de Limoges est « peut-
être la façade contemporaine la moins éloignée de l’esthétique de Chambiges »  21 telle qu’elle
s’exprime dans les cathédrales de Sens, Beauvais et Troyes, cathédrales dont les évêques de
Limoges, rappelons-le, sont ou ont été membres des collèges capitulaires.

Fig. 11 – Limoges, cathédrale Saint-


Étienne, transept, écoinçon du portail
nord.

21. Florian Meunier, Martin et Pierre


Chambiges, architectes des cathédrales
flamboyantes, Paris, 2015, p. 107. Fig. 12 – Limoges, cathédrale Saint-Étienne, façade nord du transept, partie centrale.

108 Étienne Hamon


Fig. 13 – Tours, cathédrale Saint-Gatien, façade occidentale.

Limoges, cathédrale Saint-étienne. La façade nord du transept 109


Fig. 14 – Limoges, cathédrale Saint-Étienne, vantaux du portail nord du transept.

Mais le maître d’œuvre se distingue de la plupart de ses contemporains marqués par l’art
de Martin Chambiges par le refus des effets les plus faciles : il écarte ainsi les accolades
brisées susceptibles de fixer l’attention comme c’est le cas dans les portails du transept de la
cathédrale de Senlis conçus par Pierre Chambiges, le fils de Martin, vers 1530. Au contraire,
il privilégie l’effet d’ensemble et la verticalité en remettant au goût du jour des tracés
familiers du second gothique rayonnant, ligérien en l’occurrence : la démarche est
particulièrement évidente s’agissant de la rose inscrite dans un carré curviligne posé sur la
pointe, allusion explicite aux cathédrales de Bourges et de Tours, deux modèles dont le
statut de primatiale – Limoges était suffragant de Bourges – ne pouvait qu’amplifier l’attrait
(fig. 13). À l’été 1527, au moment même où la rose fut entreprise, le chapitre envoya l’un
des siens à Bourges pour prendre conseil sur la forme à donner au nouveau maître-autel.
Celui de la primatiale homonyme venait en effet d’être rénové et de faire l’objet d’une
nouvelle consécration, le 4 décembre 1526 22.
Le maître d’œuvre de Limoges imagine aussi, dans les parties latérales au-dessus du
22. Étienne Hamon, Un grand chantier niveau du portail, un système de longues moulures verticales assez serrées, recoupées à vif
flamboyant. La reconstruction de la tour nord de par des larmiers, qui fait écho aux graphismes rectilignes un peu secs du clocher occidental.
la cathédrale de Bourges, thèse pour le diplôme
d’archiviste paléographe, 1999, t. I, p. 61.
Enfin, c’est un même souci de conservatisme ou, à tout le moins, de continuité, qui porte

110 Étienne Hamon


l’architecte à faire un usage très mesuré du vocabulaire à l’Antique, lequel était pourtant 23. Florian Meunier, 2015, op. cit. note 21.
assurément connu des artistes du chantier et des commanditaires. Il se limitera essentiellement
aux vantaux, datables de la fin du chantier, vers 1530 (fig. 14).

Conclusion
Cinq siècles après sa création, la façade nord du transept de Limoges n’a rien perdu de sa
force et de son originalité fondée sur la recomposition d’une large palette de modèles anciens
ou récents. Cet éclectisme, où dominent les sources ligériennes qui trahissent les origines et
les goûts des prélats et d’une bonne partie des membres du chapitre, dénote une vaste
culture et un profond esprit de synthèse de la part de son metteur en scène. Le fait que ce
dernier excelle également dans l’intégration d’une façade à un édifice plus ancien a dû lui
valoir une renommée comparable à celle des plus grands architectes de son temps, comme
les Chambiges pour ne citer que les plus célèbres 23. Sa création a toutefois vu le jour trop
tard pour susciter des répliques dans une région au dynamisme monumental moins affirmé
que dans le centre et le nord du royaume. Trop peu de chantiers de façades de grandes
églises ont pu être lancés en Limousin et aux alentours entre 1525 et 1540. Mais les valeurs
de virtuosité technique et d’inventivité décorative qui s’expriment ici furent suffisamment
fortes pour imposer leurs cadres à la nouvelle grammaire décorative de l’Antique, comme le
montre le jubé de Jean de Langeac des années 1533-1534. Auparavant, le dynamisme de la
société urbaine de la première partie du règne de François Ier aura offert aux Limougeauds
l’un des plus beaux témoins de la vitalité de l’architecture flamboyante jusqu’à ses derniers Crédits photographiques : les fig. 4, 5, 9, 10,
11, 12, 13 et 14 (É. Hamon) ; les fig. 3 et 8
moments ; une fin de série, peut-on penser avec le recul qui est le nôtre, mais qui s’épanouit, (Médiathèque de l’Architecture et du Patri-
admettons-le, dans un admirable bouquet final. moine) ; la fig. 6 (Ph. Rivière) ; fig. 7 (G. Cotel).

Limoges, cathédrale Saint-étienne. La façade nord du transept 111


Table des auteurs

Andrault-Schmitt (Claude) Lhermite (Xavier)


Professeur émérite d’histoire de l’art médiéval, université de Poitiers, Bureau d’études Éveha / université de Poitiers, CESCM (UMR
CESCM (UMR 7302), 77, 157, 177, 339. 7302), 43, 141, 349.

Boulesteix (Lise) Proust (Évelyne)


Doctorante, université de Poitiers, CESCM (UMR 7302), 31. Docteur en histoire de l’art médiéval, université de Poitiers, 197.

Boyer (Jean-François) Rapin (Thomas)


Docteur en histoire médiévale, université de Limoges, Membre Docteur en histoire de l’art médiéval, université de Poitiers, 297.
associé du CRIHAM (EA 4270), 23.
Remy (Christian)
Durier (Manon) Docteur en histoire médiévale, 377, 481.
Doctorante, université de Poitiers, CESCM (UMR 7302), 369.
Sparhubert (Éric)
Gallet (Yves) Maître de conférence, université de Limoges (CRIHAM/CESCM),
Professeur d’histoire de l’art médiéval, université de Bordeaux- 219, 245, 269, 311.
Montaigne / Ausonius (UMR 5607), 57.
Texier (Pascal)
Garrigou Grandchamp (Pierre) Professeur émérite à l’université de Limoges et président de la Société
Général de corps d’armée (Armée de terre), docteur en histoire de archéologique et historique du Limousin, 11.
l’art et archéologie, 423.
Vergnolle (Éliane)
Grandcoing (Philippe) Professeur honoraire, université de Franche-Comté, 115, 197.
Professeur d’histoire en classe préparatoire, 481.
Voyer (Cécile)
Hamon (Étienne) Professeur d’histoire de l’art médiéval, université de Poitiers / CESCM
Professeur d’histoire de l’art médiéval, université de Lille III, 95. (UMR 7302), 327.

Table des sites


Le Chalard Les Salles-Lavauguyon
Cimetière, 369. Église Saint-Eutrope, 311, 327.
Église, 349.
Saint-Junien
Châteauponsac Chapelle Notre-Dame du Pont, 297.
Église Saint-Thyrse, 197. Église Saint-Junien, 269.
Maisons médiévales, 423.
Le Dorat
Église Saint-Pierre, 245. Saint-Léonard de Noblat
Église Saint-Léonard, 219.
Limoges Maisons médiévales, 423.
Église Saint-Michel-des-Lions, 157
Cathédrale Saint-Étienne, 31, 43, 57, 77, 95. Saint-Yrieix
Abbaye Saint-Martial, 115, 141. Collégiale, 339.

Rochechouart Solignac
Château, 481. Église Saint-Pierre, 177.

519
PUBLICATIONS DISPONIBLES (octobre 2016)

Congrès Archéologique de France

1934 Paris t. I (t. II épuisé) 28,40 € 1983 Morbihan 52,70 € 2005 Corrèze 76,10 €
1936 Amiens 28,40 € 1984 Bas-Berry 54,80 € 2006 Lorraine méridionale 77,10 €
1959 Catalogne 28,40 € 1985 Pays d’Aix 54,80 € 2007 Finistère 76,60 €
1960 Franche-Comté 28,40 € 1986 Auxois et Châtillonnais 54,80 € 2008 Saône-et-Loire 76,10 €
1961 Maine 30,40 € 1987 Bordelais - Bazadais 54,80 € 2009 Aveyron 76,10 €
1962 Flandre 28,40 € 1988 Bourbonnais 61,90 € 2010 Nice et Alpes maritimes 60,00 €
1963 Avignon et Comtat- 1989 Quercy 61,90 € 2011 Lille, le Nord et Tournai 60,00 €
Venaissin 36,50 € 1990 Aisne (2 volumes) 85,20 € 2012 Tarn-et-Garonne 60,00 €
1964 Anjou 36,50 € 1991 Trois Évêchés 74,00 € 2013 Corse 60,00 €
1965 Savoie 28,40 € 1992 Moyenne Vallée du 2008-2014 Seine-et-Marne 60,00 €
1968 Haute Bretagne 36,50 € Rhône 58,80 € 2014 Haute-Vienne 60,00 €
1969 Agenais 36,50 € 1993 Vendée 45,60 € 2015 Côtes d’Armor (à paraitre)
1970 Gascogne 36,50 € 1994 Côte-d'Or 48,70 €
1971 Piémont 36,50 € 1995 Charente 49,70 €
1972 Dauphiné 36,50 € 1996 Comminges et Toulousain 62,90 €
1973 Pays de l’Aude 36,50 € 1997 Indre et Loire 65,90 € TABLES ALPHABÉTIQUES
1974 Bessin & Pays d’Auge 36,50 € 1998 Périgord 54,80 € Tome I (1834 - 1925) 12,20 €
1975 Velay 42,60 € 1999 Gard 78,10 € Tome II (1926 - 1954) 14,20 €
1978 Haute-Alsace 36,50 € 2000 Grande Limagne 66,90 € Tome III (1955 - 1975) épuisé
1979 Périgord Noir 36,50 € 2001 Deux-Sèvres 76,10 € Tome IV (1976 - 1990) 15,20 €
1980 Evrecin, Lieuvin, 2002 Var 73,00 € Tome V (1991 – 2000) 15,20 €
Pays d’Ouche 39,60 € 2003 Hte-Normandie 71,00 €
1981 Blésois 51,70 € 2004 Strasbourg –
1982 Albigeois 46,70 € Basse-Alsace 73,00 €

Numéros spéciaux du Bulletin monumental

L’architecture en Terre sainte au temps de Saint Louis La cathédrale de Chartres. Restaurations récentes et nouvelles
sous la direction de Nicolas Faucherre, Benjamin Z. Kedar recherches (BM2011-1) 25,40 €
et Jean Mesqui (BM2006-1) 22,40 € Le château de Fontainebleau. Recherches récentes
Beaugency. Monuments du Moyen Âge et de la (BM2012-3) 20,00 €
Renaissance (BM2007-1) 25,40 € Saint-Gilles-du-Gard. Nouvelles recherches sur un
La galerie à Paris (XIVe-XVIIe siècle) monument majeur de l’art roman (BM2013-4) 30,00 €
sous la direction de Monique Chatenet (BM2008-1) 22,40 € La cathédrale de Chartres. Nouvelles découvertes
Saint-Martin-des-Champs et la genèse de l’art (BM 2015-3) 25,00 €
gothique (BM2009-1) 24,40 € L’art roman en Italie septentrionale. État des questions
Châtillon-sur-Indre. Un château, un palais (BM 2016-1) 25,00 €
(BM2010-1) 24,40 € Jean Bologne et les jardins d’Henri IV (BM2016-3) 30,00 €

Suppléments aux Bulletins monumentaux

Le château de Tancarville. Histoire et architecture Archéologie du Son. Les dispositifs de pots acoustiques dans
Jean Mesqui, 2007, ISBN : 978-2-901837-30-5 30,00 € les édifices anciens
Saint-Philibert de Tournus, L’abbatiale du XIe siècle sous la direction de Bénédicte Palazzo-Berthelon et Jean-
Jacquet Henriet, 2008, ISBN : 978-2-901837-31-2 30,00 € Christophe Valière, 2012, ISBN : 978-2-901837-41-1 30,00 €
Le château de Saumur. Architectures du pouvoir Saint-Léonard-de-Noblat. Etudes d’architecture civile
sous la direction d’Emmanuel Litoux et Éric Cron, 2010, sous la direction de Pierre Garrigou Grandchamp et de
Véronique Villaneau-Ecalle, 2014, ISBN : 978-2-901837-48-0
ISBN : 978-2-901837-36-7, 30,00 €
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Depuis plus d’un siècle et demi, la Société Française d’Archéologie explore notre patrimoine ancien. HAUTE-VIENNE
À la visite des monuments sous la conduite des meilleurs spécialistes succède la publication dans la
collection des Congrès archéologiques de France, unique de son genre en Europe. Au fil du temps, la
ROMANE ET GOTHIQUE

HAUTE-VIENNE
formule a évolué, de la découverte d’une région à celle d’un département, d’une prospection de
caractère général à l’approfondissement d’une thématique particulière. Le congrès qui s’est tenu en
Haute-Vienne du 12 au 16 juin 2014 a ainsi été consacré à l’époque romane et gothique, âge d’or de
son architecture.
La première partie est consacrée à deux monuments prestigieux de Limoges : la cathédrale et
l’ancienne abbaye Saint-Martial, disparue du paysage urbain mais que l’archéologie commence à révéler.
L’âge d’or de
Une place de choix est réservée aux grandes églises romanes qui font la gloire du Haut-Limousin :
Solignac, Châteauponsac, Saint-Léonard-de-Noblat, Le Dorat, Saint-Junien, Saint-Yrieix-la-Perche, son architecture
Les Salles-Lavauguyon et Le Chalard. Les châteaux sont également à l’honneur, qu’ils évoquent les
fastes de la vie seigneuriale comme celui de Rochechouart ou qu’ils soient réduits à l’état de ruines
romantiques. Le tour d’horizon ne serait pas complet sans une présentation des remarquables ensembles
de maisons urbaines du Moyen Âge que conserve la Haute-Vienne, notamment à Saint-Junien et
Saint-Léonard-de-Noblat.
La richesse de l’ouvrage ne reflète pas seulement celle du patrimoine : elle résulte aussi d’une
recherche entrecroisée entre des auteurs venus d’horizons variés (historiens, historiens de l’architecture,
archéologues, responsables de la conservation et de la restauration des monuments) qui, fidèles à la
vocation de la Société française d’Archéologie, mettent leur savoir à la disposition de tous : autant
qu’un ouvrage de référence, le présent volume est une incitation à la visite.

SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’ARCHÉOLOGIE


5, rue Quinault
75015 PARIS

Tél. 01 42 73 08 07
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CONGRÈS
60 € ARCHÉOLOGIQUE
DE
FRANCE CONGRÈS ARCHÉOLOGIQUE DE FRANCE
2014 Société Française d’Archéologie

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