Vous êtes sur la page 1sur 12

POLYBE

HISTOIRE GÉNÉRALE

LIVRE VII.

traduit par Dom Thuillier

FRAGMENTS DU LIVRE SEPTIÈME.

1.

Guerre d'Hannibal.

Polybe, dans le septième livre de sort histoire, écrit que les habitants de Capoue, dans la
Campanie, amassèrent tant de richesses à cause de la bonté de leur territoire, qu'ils se
livrèrent à la volupté et au luxe le plus somptueux, au point de surpasser tout ce que l'on avait
rapporté des Crotoniates et des Sybarites devenus si célèbres par ce vice. Ne pouvant, dit-il,
supporter le poids de leur opulence, ils appelèrent Hannibal : aussi furent-ils, dans la suite,
accablés par les Romains des maux les plus pesants et les plus atroces. Les Pétélénins, au
contraire, fidèles observateurs de la foi jurée aux humains, lorsque Hannibal vint les assiéger,
lui résistèrent avec tant de courage et de constance, qu'après s'être nourris de tous les cuirs
qui étaient renfermés dans la citadelle, et avoir même consommé toutes les écorces et tous les
rejetons un peu tendres des arbres que contenaient leurs murs, après onze mois de siège, ne
recevant de secours de personne, ils en furent enfin réduits à se rendre aux Carthaginois, avec
le consentement des Romains , qui accordaient les plus grands éloges à leur fidélité. (Athenaei,
lib. XII, c. 6.) SCHWEICHAEUSER).

II.

Hiéronyme de Syracuse rompt le traité qu'Hiéron, son aïeul, avait fait avec les Romains, et fait
alliance avec les Carthaginois.

Après la conjuration qui s'était formée contre la vie d'Hiéronyme, roi de Syracuse , et après la
mort de Thrason, Zoïppe et Andranadore persuadèrent à ce prince d'envoyer, sans délai, des
ambassadeurs à Hannibal. On jeta les yeux, pour cette mission, sur Polycrète de Cyrène et
Philodème d'Argos, et on les fit partir pour l'Italie, avec ordre de traiter d'alliance avec les
Carthaginois. Le roi envoya, en même temps, ses frères à Alexandrie. Hannibal reçut
gracieusement les ambassadeurs, leur vanta fort les avantages que le jeune roi tirerait de
l'alliance qu'il projetait, et les envoya avec des ambassadeurs de sa part, qui étaient Hannibal
de Carthage, alors commandant des galères; Hippocrate et Épicide, son frère puîné, tous deux
Syracusains. Ces deux frères portaient les armes depuis long-temps sous Hannibal; ils étaient
même établis à Carthage, parce que, leur aïeul ayant été accusé d'avoir attenté à la vie
d'Agatharque, le plus jeune des fils d'Agathoclès avait été obligé de fuir hors de sa patrie. Ces
deux ambassadeurs arrivent à Syracuse, et Hannibal de Carthage fait part au roi des ordres que
lui avait donnés le général des Carthaginois. Hiéronyme, qui était déjà disposé à se lier avec ce
peuple, dit à Hannibal qu'il fallait, au plus tôt, qu'il partît pour Carthage, et il promit d'y
envoyer avec lui des ambassadeurs pour traiter, de sa part, avec les Carthaginois. On apprend
à Lilybée la nouvelle de cette alliance. Le préteur qui y était de la part des Romains, députe
aussitôt au roi de Syracuse, pour l'engager à renouveler les traités que ses ancêtres avaient
faits avec Rome. Le prince ne goûtait point cette ambassade : « Je plains fort le sort des
Romains, répondit-il; il est fâcheux qu'un méchant peuple soit taillé en pièces en Italie par les
Carthaginois. » Les ambassadeurs, étonnés d'une réponse si peu sensée, lui demandèrent sur
la foi de qui il parlait de la sorte : « C'est, dit-il, sur la foi des Carthaginois que vous voyez; c'est
eux qu'il faut accuser de mensonge, si ce que je viens de vous dire est faux. » Les
ambassadeurs répliquèrent que ce n'était pas la coutume des Romains d'ajouter foi au rapport
de leurs ennemis; qu'au reste ils lui conseillaient de ne pas enfreindre les anciens traités, et
que non seulement la justice, mais encore son propre intérêt lui commandaient de les
observer fidèlement. « Je délibérerai« sur ce sujet, reprit le roi, et je vous ferai savoir ma
dernière résolution: Mais dites-moi , je vous prie, pourquoi avant la mort de mon aïeul vous
êtes revenus à Syracuse, après que vous en étiez partis avec cinquante vaisseaux, et que vous
étiez même arrivés au promontoire de Pachynum? » En effet les Romains , quelque temps
avant cette ambassade, ayant entendu dire qu'Hiéron était mort, étaient revenus à Syracuse,
dans la crainte que le peu de respect qu'on aurait pour un roi enfant ne donnât lieu à quelque
révolution, et, informés ensuite qu'Hiéron vivait, ils avaient repris la route de Lilybée. Les
ambassadeurs avouèrent le fait, et dirent qu'en revenant à Syracuse ils n'avaient eu d'autre
dessein que de secourir sa jeunesse et de lui conserver son royaume. « Eh bien, répliqua le roi,
souffrez donc, Romains , que, pour me conserver le royaume, je change de route et que je me
rejette du côté des Carthaginois. » À ces mots, les ambassadeurs, ne doutant plus qu'il n'eût
arrêté ses projets, prirent congé de lui sans rien répondre, retournèrent à Lilybée, et apprirent
au préteur tout ce qu'ils avaient entendu. Depuis ce temps là les Romains épièrent les
démarches de ce prince, et s'en méfièrent comme d'un ennemi déclaré. Hiéronyme, ayant
choisi pour ses ambassadeurs auprès des Carthaginois Agatharque , Onégisène et Hipposthène,
les fit partir avec Hannibal de Carthage, et leur ordonna de conclure avec la république un
traité qui portait « que les Carthaginois lui fourniraient des troupes de terre et de mer, et
qu'après avoir, avec leur secours, chassé les Romains de la Sicile, il partagerait avec eux l'île de
telle sorte, que l'Himère, qui la traverse presque par le milieu, servirait de borne entre les
provinces des Carthaginois et les siennes. » Les ambassadeurs proposèrent ces conditions,
auxquelles les Carthaginois souscrivirent volontiers, et le traité fut conclu.
Hippocrate faisait assidûment sa cour à ce jeune prince, et nourrissait son es-prit de
mensonges et de flatteries. Il lui racontait de quelle manière Hannibal était passé en Italie, les
batailles et les combats qu'il y avait livrés. Il lui faisait entendre qu'il n'appartenait à personne
plus qu'à lui de régner sur toute la Sicile, premièrement parce qu'il était fils de Néréis, fille de
Pyrrhus, que les Siciliens, par choix et par inclination, avaient mis à leur tête et comme leur roi;
en second lieu, parce qu'Hiéron son aïeul y avait régné seul. Il sut enfin charmer tellement ce
jeune roi, que nul autre que lui n'en était écouté. Le caractère du prince, naturellement léger
et inconstant, avait beaucoup de part à ce défaut, mais on le doit surtout imputer à ce flatteur,
qui donnait pour aliment à sa vanité les espérances les plus ambitieuses. Agatharque négociait
encore à Carthage le traité, lorsque Hiéronyme envoya de nouveaux ambassadeurs pour y dire
qu'il prétendait régner seul sur toute la Sicile; qu'il lui paraissait juste que les Carthaginois lui
aidassent à reconquérir tous les droits qu'il avait sur cette île; mais qu'en récompense il
promettait aux Carthaginois de les aider dans l'exécution des projets qu'ils avaient formés sur
l'Italie. On sentit bien à Carthage qu'il n'y avait aucun fonds à faire sur ce prince; mais comme,
pour plusieurs raisons, il était important à la république d'avoir la Sicile dans son parti, on lui
accorda tout ce qu'il voulut; et comme il y avait déjà des vaisseaux équipés et des troupes
levées, on ne s'occupa plus que du soin de transporter au plus tôt une armée dans la Sicile.

Sur cette nouvelle, les Romains envoyèrent de nouveau des ambassadeurs au roi de Sicile pour
l'avertir de ne pas se départir des traités que ses pères avaient faits avec la république romaine.
Le roi assembla son conseil. Les habitants du pays, craignant les fureurs du prince, gardèrent le
silence. Mais Aristomaque de Corinthe, Damippe de Lacédémone et Autone le Thessalien
furent de l'avis qu'il eût dû rester dans l'alliance des Romains. Il n'y eut qu'Andranodore qui dit
que l'occasion était trop belle pour la laisser échapper, et que c'était dans cette conjoncture
seule qu'il pouvait établir sa domination dans la Sicile. On consulta ensuite Hippocrate, qui
répondit simplement qu'il était de l'avis d'Andranodore. Là se termina la délibération, et ainsi
fut prise la résolution de déclarer la guerre aux Romains. Le roi ne voulut cependant pas
rompre les traités sans donner au moins des prétextes apparents de son changement; mais il
en allégua de tels, que les Romains, loin de s'en contenter, devaient en être vraiment offensés.
Il dit qu'il observerait ces traités, pourvu qu'on lui rendît premièrement l'or qu'on avait reçu
d'Hiéron son aïeul; secondement, le blé et tous les autres présents qu'Hiéron leur avait donnés
depuis le commencement de l'alliance, et que l'on reconnût que toutes les terres et les villes
qui sont en deçà de l'Himère appartiennent aux Syracusains. On congédia là-dessus les
ambassadeurs romains, et l'assemblée se sépara. Hiéronyme ensuite fit ses préparatifs de
guerre, leva des troupes, et fit provision de toutes les autres munitions nécessaires.
(Ambassades.) DOM THUILLIER.

Situation de la ville de Léonte en Sicile.


Léonte, à regarder. sa position en général, est tournée vers le septentrion. Elle est traversée,
dans son milieu, par un vallon, dans lequel se trouvent les palais où s'assemblent les magistrats
et où la justice se rend; c'est là aussi que se lient le marché. Les deux côtés de ce vallon sont
formés par deux montagnes escarpées, dont la cime, qui présente une surface aplanie, est
couverte de maisons et de temples. Il y a deux portes, dont l'une, à l'extrémité du vallon qui
regarde le midi, conduit à Syracuse ; l'autre, à l'autre extrémité du coté du septentrion, mène
aux champs qu'on appelle Léontins, et à ces campagnes si célèbres par leur fertilité. Au pied de
l'une de ces montagnes qui est à l'occident, coule le Lisse, sur le bord et comme sous le rocher
duquel on a bâti une longue chaîne de maisons situées toutes à égale distance du fleuve: entre
ces maisons et le fleuve s'étend la place dont nous avons parlé. ( DOM THUILLIER )

Jugement de Polybe sur Hiéronyme, son aïeul Hiéron et son père Gélon.

Quelques historiens qui ont écrit la mort d'Hiéronyme, ont, pour exciter l'étonnement,
employé une profusion de descriptions verbeuses, soit qu'ils rapportent les prodiges qui ont
précédé et annoncé sa tyrannie ainsi que les maux des Syracusains, soit qu'ils fassent un détail
exagéré, à la manière des poètes tragiques, de la cruauté de son caractère, de ses actions
impies, et enfin des événements inaccoutumés et atroces qui se sont passés à sa mort; au
point que l'on croirait que ni les Phalaris, ni les Apollodore, ni aucun des tyrans qui ont existé,
ne l'ont surpassé en cruauté. Et cependant ce prince était encore enfant lorsqu'il monta sur le
trône, et il ne régna pas plus de treize mois, au bout desquels il mourut. Or, dans cet espace de
temps il a certainement pu arriver que l'un ou l'autre ait été livré à la torture; que quelques-
uns de ses propres amis ou du reste des Syracusains aient été mis à mort; mais quant à cette
cruauté particulière à Hiéronyme , quant à cette impiété inouïe qu'on lui attribue, elles sont
peu croyables. Il faut, il est vrai, reconnaître complètement qu'il était d'un caractère léger et
injuste; mais cependant on ne peut le comparer à aucun des tyrans que j'ai cités
précédemment. Les auteurs qui écrivent des histoires particulières, n'ayant à traiter que des
sujets courts et resserrés dans d'étroites limites, sont, je le crois, forcés, par la disette de faits
qui les accable, d'exagérer des choses de peu d'importance, et de faire de longs récits d'autres
faits qui ne méritaient pas même d'être mentionnés. D'autres historiens tombent aussi dans le
même défaut pal marque de jugement. Combien, avec plus de justesse et d'éloquence,
n'aurait-on pas pu écrire plutôt sur Hiéron et Gélon, en passant sous silence Hiéronyrne, de ces
réflexions, que l'on ajoute comme complément au récit historique pour remplir les livres? Ce
sujet aurait été bien plus agréable et plus utile aux hommes avides de lire et de s'instruire.

En effet, Hiéron parvint d'abord à régner sur les Syracusains et leurs alliés par son propre
mérite ; car la fortune ne lui avait donné ni la richesse, ni un nom illustre, ni aucun autre bien.
En outre, son plus grand titre à notre admiration, c'est qu'il devint roi des Syracusains par la
force seule de son génie, sans mettre à mort aucun citoyen, sans en envoyer aucun en exil et
sans faire de tort à personne.
Une chose non moins admirable, c'est que non seulement il acquit ainsi le trône, mais que ce
fut encore par les mêmes moyens qu'il le conserva. Pendant cinquante-quatre ans que dura
son règne, il procura à sa patrie une paix constante, et à lui une existence exempte de toute
crainte de conspirations, et parvint même à échapper à l'envie qui s'attache ordinairement à
tout ce qui est grand. et noble. Souvent il voulut abdiquer le pouvoir, mais il en fut toujours
empêché par tous les citoyens en masse. Comme il se montrait très libéral envers les Grecs, et
très avide de s'acquérir de la gloire chez eux., il obtint ainsi pour lui une grande célébrité et
pour les Syracusains un grand sentiment de bienveillance de la part de tous. Enfin, vivant au
milieu de toutes les délices que procure l'abondance de tous les biens et des richesses
immenses, il prolongea cependant son existence au-delà de quatre-vingt-dix ans, et conserva
tous ses sens et tous ses membres sains et valides ; ce qui; à mon avis, est la preuve la plus
certaine de tempérance.

Quant à Gélon, pendant tout le cours de sa vie, qui fut de plus de cinquante ans, il se proposa,
comme le but le plus noble qu'il put atteindre, d'imiter son père, et de ne pas faire plus de cas
des richesses, de la majesté royale, ni d'aucun autre bien, que de la tendresse et de la
confiance que l'on doit aux auteurs de ses jours. (Vertus et vices.) DOM THUILLIER.

III. Traité de paix conclu entre Hannibal et Philippe, roi de Macédoine.

Traité qu'Hannibal, général, Magon, Myrcal, Barmocal, tous les sénateurs de Carthage, tous les
Carthaginois qui servaient sous lui, ont fait avec Xénophanès l'Athénien, fils de Cléomaque,
lequel nous a été envoyé en qualité d'ambassadeur par le roi Philippe, fils de Démétrius, tant
en son nom qu'au nom des Macédoniens et des alliés.

En présence de Jupiter, de Junon et d'Apollon; en présence de la déesse des Carthaginois,


d'Hercule et d'Iolaüs; en présence de Mars, de Triton et de Neptune; en présence de tous les
dieux protecteurs de notre expédition, du soleil, de la lune et de la terre; en présence des
fleuves, des prés et des eaux ; en présence de tous les dieux que Carthage reconnaît pour ses
maîtres; en présence de tous les dieux qui sont honorés dans la Macédoine et dans tout le
reste de la Grèce; en présence de tous les dieux qui président à la guerre et qui sont présents à
ce traité, Hannibal, général, et, avec lui, tous les sénateurs de Carthage et tous ses soldats, ont
dit : « Afin que désormais nous vivions ensemble comme amis et comme frères, soit fait, sous
votre bon plaisir et le nôtre, ce traité de paix et d'alliance, à condition que le roi Philippe, les
Macédoniens, et tout ce qu'ils ont d'alliés parmi les autres Grecs, conserveront et défendront
les Carthaginois, Hannibal leur général, les soldats qu'il commande, les gouverneurs des
provinces dépendantes de Carthage, Utique, et toutes les villes et nations qui lui sont soumises,
les soldats , les alliés et toutes les villes et nations qui nous sont unies dans l'Italie, la Gaule, la
Ligurie, et quiconque, dans cette province, fera alliance avec nous. D'un autre côté, les troupes
de Carthage, Utique, toutes les villes qui sont soumises à Carthage, les alliés, les soldats, toutes
les villes et nations d'Italie, de la Gaule et de la Ligurie, et les autres alliés que nous avons et
que nous pourrons avoir dans ces provinces d'Italie, s'engagent à conserver et à défendre le roi
Philippe, les Macédoniens et tous leurs alliés d'entre les autres Grecs. Il est donc convenu que
nous ne chercherons point à nous surprendre les uns les autres, et que nous ne nous tendrons
pas de pièges ; que, sans délai, sans fraude ni embûches, nous, Macédoniens, etc., nous nous
déclarerons les ennemis des ennemis des Carthaginois, excepté des rois, des villes et des ports
avec lesquels nous sommes liés par des traités de paix et d'alliance; que nous, Carthaginois, etc,
nous serons ennemis de ceux qui feront la guerre au roi Philippe, excepté des rois, des villes et
les nations qui nous seront unis par les traités; que vous participerez, vous, Macédoniens, à la
guerre que nous faisons contre les Romains; jusqu'à ce qu'il plaise aux dieux de donner à nos
urnes un heureux succès; que vous nous fournirez ce qui nous sera nécessaire, et que vous
serez fidèles à ce dont nous serons convenus. Si les dieux nous refusent leur protection contre
les Romains et leurs alliés, et que nous traitions de paix avec eux, nous stipulerons de telle
sorte que vous soyez compris dans le traité, et à des conditions telles qu'il ne leur sera pas
permis de vous déclarer la guerre, qu'ils ne seront maîtres ni des Corcyréens, ni des
Apolloniates, ni des Épidamniens, ni de Phare, ni de Dimalle, ni des Parthins, ni de l'Atintanie;
et qu'ils rendront à Démétrius de Pharos ses parents, qu'ils retiennent dans leurs états. Si les
Romains vous déclarent la guerre ou à nous, selon le besoin, nous nous secourrons les uns les
autres, et nous ferons la même chose si quelque autre nous fait la guerre, excepté à l'égard
des rois, des villes et des nations dont nous serons amis et alliés. Si nous jugeons à propos de
retrancher ou d'ajouter quelque clause à ce traité, nous ne le ferons que du consentement des
deux parties. » (DOM THUILLIER.)

Philippe à Messène.

Après que la démocratie eut triomphé chez les Messéniens, et que les hommes les plus
illustres eurent été envoyés en exil, tandis que ceux à qui l'on avait distribué leurs biens par la
voie du sort étaient à la tête des affaires dans la ville, les anciens citoyens qui étaient restés à
Messène supportèrent avec peine de voir ces hommes jouir des mêmes droits qu'eux-mêmes.
(Suidas in Ishgogiai.)

SCWEIGH.

Gorgus le Messénien n'était inférieur à aucun de ses concitoyens par ses richesses et l'éclat de
sa naissance; pour ce qui est de son mérite comme athlète, dans sa jeunesse il avait été le plus
célèbre de tous ceux qui se disputaient la couronne dans les jeux gymnastiques. En effet, et
par la noblesse de ses formes, et par sa conduite pendant toute sa vie, et par le nombre des
couronnes qu'il avait remportées, il ne le cédait à aucun homme de son âge. Bien plus, lorsque
après s'être retiré des combats du gymnase, il s'appliqua au gouvernement de la république et
à l'administration des affaires de sa patrie, il ne retira pas une moindre gloire de ses travaux
que de sa vie passée. En effet, il se montra bien éloigné de cette ignorance et de cette rusticité
qui caractérisent presque toujours les athlètes, mais il acquit encore, dans la république, la
réputation d'un homme très habile et très prudent dans le gouvernement des affaires.
(Excerpta Valesian.)

SCHWEIGH.

Démétrius de Pharos persuade à Philippe, roi de Macédoine, de s'emparer d'Ithonie,


forteresse de Messène. - Sentiment contraire d'Aratus.

Tout fait, considéré dans le moment opportun, peut être sainement approuvé ou blâmé;
l'occasion est-elle passée, ce même fait, jugé d'après d'autres circonstances, peut souvent
paraître non seulement inadmissible, mais encore insoutenable.

Philippe, roi de Macédoine, qui voulait s'emparer de la citadelle des Messéniens, ayant dit aux
principaux de la ville qu'il désirait visiter leur citadelle st y faire un sacrifice à Jupiter, y monta
avec sa suite. Après les sacrifices, su-vant l'usage, les entrailles des victimes lui ayant été
présentées pour qu'il les examinât, il les prit dans la main, et, s'inclinant un peu, il demanda à
Aratus, en les lui montrant, ce qu'il en pensait : si elles ordonnaient de lever le siège de devant
la citadelle, ou de le continuer. Alors Démétrius, saisissant cette occasion : « Si vous ajoutez
foi , dit-il, aux rêveries des devins, il faut partir d'ici sur-le-champ; mais si vous agissez en roi
qui entend ses intérêts, vous vous rendrez maître de cette citadelle, de peur que, la laissant
aujourd'hui, vous n'attendiez en vain un autre temps pour vous la soumettre; car ce ne sera
qu'en tenant ainsi ses deux cornes que vous aurez le bœuf en votre puissance. » Il entendait
par les deux cornes, Ithome et l'Acrocorinthe, et par le bœuf, le Péloponnèse. « Et vous, Aratus,
dit Philippe en se tournant vers lui, me donnez-vous le même conseil? » Celui-ci, après avoir
réfléchi un moment, répondit qu'il n'avait qu'à la prendre, si l'on pouvait le faire sans violer la
foi qu'il avait donnée aux Messéniens; mais que si en la prenant il devait perdre toutes les
citadelles et le secours même qu'il avait reçu d'Antigonus, et par le moyen duquel il conservait
tous ses alliés (il lui insinuait par là de quelle importance il était d'être fidèle à sa parole), il prît
garde qu'il ne fût plus avantageux de laisser aux Messéniens, en éloignant ses troupes, une
preuve de sa bonne foi, qui lui attacherait non seulement cette ville, mais encore tous ses
autres alliés. Si Philippe eût suivi son inclination, il n'aurait pas craint d'aller contre la foi des
traités : il est aisé d'en juger par ce qu'il fit ensuite; mais comme, peu de temps auparavant, un
jeune soldat lui avait aigrement reproché le danger auquel il allait exposer son armée, il ne put
résister à la franchise, à l'autorité, aux instances avec lesquelles Aratus le priait de faire
attention à son avis. Il abandonna son premier dessein, et, prenant la main d'Aratus : « Eh
bien , dit-il, reprenons donc le chemin par où nous sommesvenus ! » (DOM THUILLIER )
Philippe, roi de Macédoine.

lnterrompons pour un moment le fil de notre narration pour dire un mot sur Philippe; car c'est
ici l'époque du changement fatal qui se fit dans sa conduite et dans sa manière de gouverner :
on ne peut proposer un exemple plus illustre à ceux qui, étant à la tête des affaires, cherchent
à s'instruire par la lecture de l'histoire. Né maître d'un royaume puissant et avec les plus belles
inclinations, il est connu des Grecs par ses bonnes qualités et ses défauts, et l'on connaît
également les succès qu'il a mérités par les unes et les malheurs qu'il s'est attirés par les autres.
Il monta fort jeune sur le trône. Cependant jamais roi ne fut plus aime qu'il l'était dans la
Thessalie, dans la Macédoine, dans tous les pays soumis à sa domination. En veut-on une
preuve incontestable? Pendant qu'il fit la guerre contre les Étoliens et les Lacédémoniens, il
était presque toujours hors de la Macédoine. Malgré cela, ni les peuples que je viens de
nommer, ni les Barbares voisins de son royaume, n'osèrent y mettre le pied. Que dirai-je de la
tendresse et de l'empressement qu'ont eus à le servir Alexandre, Chrysogone et tous ses
autres amis? par combien de bienfaits ne s'attacha-t-il pas en peu de temps, par les liens de la
plus vive reconnaissance, les peuples du Péloponnèse, de la Béotie, de l'Épire et de l'Acarnanie?
Si j'ose le dire, il était l'amour et les délices de la Grèce par son caractère officieux et
bienfaisant. Une marque éclatante du crédit que donne aux princes la réputation de probité et
de fidélité, c'est que les Crétois le choisirent unanimement pour chef et maître de leur île; et,
ce qui peut-être ne s'est jamais vu, tout cela s'est fait sans armes et sans combats. Mais,
depuis la conduite qu'il tint avec les Messéniens, tout changea de face; la haine qu'on eut pour
lui égala l'amitié qu'on avait eue. Il devait en effet s'y attendre :prenant des dispositions toutes
contraires aux premières et agissant en conséquence, il était naturel qu'il perdît la réputation
qu'il s'était faite, et que ses affaires n'eussent plus le même succès qu'avant son changement.
C'est ce qui lui arriva en effet, comme on verra dans la suite de cette histoire. (Vertus et vices.)

DOM THUILLIER.

Aratus.

Quand Philippe se fut ouvertement déclaré contre les Romains; et qu'il eut entièrement
changé de conduite à l'égard de ses alliés, Aratus lui proposa mille motifs, mille raisons pour le
détourner de cette entreprise; il y réussit, mais ce ne fut pas sans peine. Ici je prie mes lecteurs,
afin qu'il ne leur reste de doute sur rien, de se rappeler une promesse que nous ayons faite
dans le cinquième livre de cette histoire. En racontant la guerre d'Étolie, nous avons dit que, si
Philippe avait renversé les portiques et détruit les autres ornements de la ville de Therme, on
ne devait pas tant lui imputer ces excès, dont sa jeunesse n'était point capable, qu'aux amis
qui le suivaient; et que, comme ces excès étaient incompatibles avec le caractère doux et
modéré d'Aratus, il ne fallait en accuser que Démétrius de Pharos. Ce que j'avançais alors, je
promis de le prouver dans la suite. Or on a vu , dans ce que nous avons rapporté des
Messéniens, qu'Aratus était éloigné d'une journée, et que Démétrius était auprès du roi
lorsque ce prince commença à goûter, pour ainsi dire, du sang humain, à manquer de foi à ses
alliés, à dégénérer en tyran. Mais ce qui fait le plus sentir la différence qu'il y avait entre ces
deux conseillers, c'est l'avis qu'ils donnèrent l'un et l'autre au prince, au sujet de la citadelle de
Messène. En suivant celui d'Aratus, Philippe n'y toucha point, et par là consola, en quelque
sorte, les Messéniens du carnage qu'il avait fait dans la ville; et pour avoir écouté contre les
éoliens celui de Démétrius, il se laissa emporter à une violence qui ne lui était pas naturelle; il
se fit détester des dieux et des hommes : des dieux, en profanant leurs temples ; des hommes,
en excédant les lois de la guerre. L'île de Crète nous fournit encore une nouvelle preuve de la
sagesse d'Aratus. Tant qu'il fut consulté sur les affaires de cette île, Philippe, sans faire ni tort
ni peine à personne, vit les Crétois recevoir ses ordres avec soumission, et mit tous les Grecs
dans ses intérêts, par la douceur de son gouvernement : au lieu que, pour s'être livré à
Démétrius, il porta chez eux toutes les horreurs de la guerre, se fit des ennemis de tous ses
alliés, et détruisit la confiance qu'avaient en lui tous les autres peuples de la Grèce :- tant il est
important pour un jeune roi, do bien choisir ceux dont il doit recevoir des conseils! de là
dépend, ou le bonheur ou la ruine de ses états. C'est cependant à quoi la plupart des princes
ne daignent pas seulement penser, (Ibid.)

IV.

Antiochus prend la ville de Sardes par l'adresse de Lagoras de Crète.

Autour de Sardes, nuit et jour et sans relâche, avaient lieu des escarmouches et des combats
perpétuels; on mettait en oeuvre, de part et d'autre, toutes les ruses de guerre imaginables
pour surprendre son ennemi et l'accabler. Décrire tous les détails de cette affaire, cela serait
non seulement inutile, mais encore ennuyeux. Il y avait déjà deux ans que ce siège durait,
lorsque Lagoras de Crète, homme de guerre expérimenté, y mit fin de cette manière : il avait
réfléchi que les places les plus fortes sont souvent celles que l'on prend avec plus de facilité,
par la négligence des habitants, qui, se reposant de leur santé sur les fortifications naturelles
ou artificielles de leur ville, ne se mettent pas en peine de la garder. Il savait encore que les
places se prennent quelquefois par les endroits les plus forts, et que les assiégés croient que
l'ennemi n'entreprendra pas d'attaquer. D'après ces réflexions, quoiqu'il vît bien que Sardes
avait toujours passé pour une forteresse assez forte pour désespérer quiconque aurait tenté
de la prendre d'assaut, et dont la famine seule pouvait faire ouvrir les portes, ces difficultés ne
firent qu'augmenter son application à imaginer tous les moyens possibles d'y entrer. S'étant
aperçu que la partie du mur qui joignait la citadelle à la ville n'était point gardée, il forma le
projet de la surprendre par cet endroit, et conçut l'espérance de réussir. La preuve qu'il avait
que ce côté n'était point gardé, la voici : ce mur est bâti sur un rocher extrêmement haut et
escarpé, au pied duquel est comme un abîme où l'on jetait de la ville les corps morts des
chevaux et des bêtes de charge; là s'assemblaient, tous les jours, un grand nombre de vautours
et d'autres oiseaux carnassiers, qui, après s'être rassasiés, ne manquaient pas d'aller se
reposer sur le rocher et sur la muraille. De là, Lagoras conclut qu'il était possible que cet
endroit fût, la plupart du temps, négligé et sans garde. D'après cette pensée, la nuit il
descendait sur les lieux, et examinait avec soin comment il pourrait approcher et où il devrait
poser les échelles, et ayant trouvé, contre un des rochers, un endroit propre à l'exécution de
ses projets, il fit aussitôt part au roi de son dessein et de sa découverte. Celui-ci fut charmé de
l'espérance qu'on lui donnait ; il exhorta Lagoras à pousser jusqu'au bout son entreprise, lui
promettant que, de son côté, il ferait tout ce qui serait possible. Lapins pria le roi de lui donner
pour compagnon l'Étolien Théodote et Denis, capitaine de ses gardes, l'un et l'autre lui
paraissant avoir toute la force et toute la valeur que son projet demandait. Les ayant obtenus,
tous trois tiennent conseil , et agissant de concert, n'attendaient plus qu'une nuit à la fin de
laquelle il n'eût point de lune. Lorsqu'ils l'eurent trouvée, la veille du jour où ils devaient
exécuter leur dessein, vers le soir, ils choisirent quinze hommes de plus forts et des plus braves
de l'armée pour porter les échelles, escalader et courir le même péril qu'eux. Ils prirent trente
autres pour les mettre et embuscade à quelque distance, et ceux ci, lorsque les premier, après
l'escalade, seraient arrivés à une porte qui était proche, devaient venir à cette porte et aider
les autres à la briser. Deux mille hommes devaient les suivre, et avaient ordre de se jeter dans
la ville et de s'emparer de l'esplanade qui environne le théâtre et qui commande la ville et la
citadelle; et de peur que la vue de ce choix d'hommes ne vint à faire soupçonner quelque
chose de cette entreprise, il fit courir le bruit que les Étoliens devaient, par certain fossé, se
jeter dans la ville, et que c'était sur cet avis que l'on avait formé ce détachement pour leur
couper le passage.

Tout étant prêt pour l'exécution, dès que la lune se fut cachée, Lagoras et ses gens
s'approchent doucement des rochers avec leurs échelles, et se cachent sous une pointe qui
s'avançait sur le fossé. Le jour venu, et la garde s'étant retirée de cet endroit, pendant que le
roi envoyait, selon la coutume, des troupes en différents postes, et qu'il en assemblait et
rangeait d'autres en bataille dans l'Hippodrome, les Crétois travaillaient sans que l'on eût le
moindre soupçon de leur entreprise. Mais quand on eut appliqué deux échelles, par lesquelles
Denis et Lagoras commençaient à monter, il y eut un grand tumulte et un grand mouvement
dans le camp; car, quoiqu'on ne vit l'escalade ni de la ville ni de la citadelle, à cause de la
pointe qui s'avançait en dehors du rocher, on voyait entièrement du camp cette action hardie
et extraordinaire; les uns en étaient étonnés comme d'un prodige; les autres qui en
prévoyaient les suites, en attendaient avec une joie mêlée de crainte l'événement et le succès.
Le roi fut informé de ce bruit, et, pour détourner de l'entreprise de Lagoras l'attention, tant
des assiégés que de ses propres troupes, il fit marcher l'armée vers une porte opposée à celle
qui devait être attaquée, et qui s'appelait la porte de Perse. Achéus, qui commandait dans la
citadelle, vit cette marche, et, surpris d'un mouvement si peu ordinaire aux ennemis, il ne
savait ni en deviner le motif, ni enfin quel parti prendre. Il envoya cependant quelques troupes
à cette porte pour arrêter les ennemis; mais comme la descente était étroite et escarpée, ce
secours arriva trop tard. Aribase qui commandait dans la ville, et qui ne se doutait de rien,
marcha, de son côté, vers la porte que menaçait Antiochus, et, faisant garnir le rempart à une
partie de sa garnison; faisant sortir l'autre de la ville par cette porte, il les exhorta à arrêter les
ennemis et à en venir aux mains avec eux . Pendant tous ces mouvements, Lagoras, Théodote,
Denis et leur troupe, ayant escaladé le rocher, viennent à leur porte, qui en était proche,
renversent tous ceux qu'ils rencontrent, et brisent la porte. Aussitôt les trente autres sortent
de leur embuscade; les uns se précipitent dans la ville, les autres vont briser les portes les plus
proches. La porte abattue, les deux mille entrent dans la ville et s'emparent de l'esplanade du
théâtre. Les assiégés accourent de la mitraille et de la porte de Perse pour avertir leurs
compagnons de combattre. La porte s'ouvre pour leur retraite; quelques troupes du roi les
suivent et passent avec eux. Pendant qu'ils s'en rendent maîtres, d'autres les brisent, d'autres
se jettent dans la ville. Aribase et les assiégés s'opposent à leur passage; mais après une courte
résistance, ils se retirèrent dans la citadelle. Après quoi, Théodote et Lagoras se tinrent
toujours autour du théâtre, observant habilement tout ce qui se passait, pendant que le reste
de l'armée se répandait de tous côtés dans la ville et la soumettait au roi. Enfin , les uns
égorgeant: ceux qu'ils rencontraient, les autres mettant le feu aux maisons, d'autres encore ne
songeant qu'à piller et à faire un grand butin, toute la ville fut saccagée et ruinée. C'est ainsi
qu'Antiochus devint maître de Sardes. (DOM THUILLIER.)

V.

Polybe, dans son livre VII, appelle les Massyliens, Massyles. (Steph. Byz.)

SCHWEIGH.

Les peuples qui habitent Oricum sont situés dans la mer Adriatique, à la droite du navigateur
qui y entre. (Ibid.)

Héron et sur Gélon, son fils. — XV-XVIII. Siège de Sardes. Stratagème de Logoras. Prise de la
ville.

Vous aimerez peut-être aussi