Vous êtes sur la page 1sur 1

balles de trop

Ibrahim Souss. Il avait aussi demandé à Abou et qu'il a été arrêté pour la première fois en la révolte des pierres, ils n'avaient pu démante-
Jihad de déménager. Sa maison était trop 1954, à 18 ans, pour « militantisme nationa- ler à la base le réseau clandestin complexe mis
connue. Abou Jihad, qui venait de verser trois liste ». C'était avant la rencontre avec un élève en place par POLP, avec le concours de certains
mois de loyer d'avance à son propriétaire, avait ingénieur en génie civil nommé Yasser Arafat, mouvements musulmans. Restait une solu-
refusé. « Je déménagerai dans trois mois, c'est et un autre étudiant palestinien, Salah Khalaf, tion : frapper à la tête.
promis. » « Notre service de sécurité s'estlaissé devenu Abou Iyad dans la clandestinité. Le 13 février à Chypre, trois cadres de POLP,
endormir, depuis 1983, par le calme de la Depuis plus de trente ans, sa vie se confon- Mohamed Sultan, Mohamed Bhayss et Mar-
Tunisie, ditun ami d'AbouJihad. Les gardes du dait, en fait, avec l'histoire tumultueuse de wan Khayyali, étaient tués par l'explosion
corps ont des brioches de retraités et leur chef, POLP. Les exils successifs à Amman, à Damas, d'une voiture piégée. Contrairement au bruit
Abou el-Hol, passe ses journées à jouer au tric- à Beyrouth, à Tripoli, .à Tunis. Les missions qui avait circulé alors, ces trois Palestiniens,
trac en fumant son narguilé. » diplomatiques à Pékin, Pyongyang, Moscou. qui appartenaient à l'état-major d'Abou Jihad,
Avec ses cheveux soigneusement coiffés, sa Les visites chez les fournisseurs d'armes en n'étaient pas chargés d'acheter un bateau pour
moustache nette et ses sahariennes toujours Allemagne de l'Est, en Bulgarie, en Tchécoslo- le « voyage du retour » des Palestiniens. Ils
bien repassées, Abou Jihad, de son vrai nom vaquie, en Hongrie. Responsable militaire de étaient à Chypre pour faire le point de la situa-
Khalil el-Wazir, ressemblait plus à un fonc- l'ou; tenu par les Israéliens pour l'un des tion dans les territoires occupés. Un mois plus
tionnaire aisé qu'à un chef de guerre. Moins chefs secrets de Septembre noir, Abou Jihad ne tard, l'OLPrevendiquait le détournementd'un
coléreux qu'Arafat, plus discret qu'Abou Iyad, passait pas, au sein de la centrale palestinienne, autobus israélien près du centre nucléaire de
cet ancien étudiant en droit de l'université pour un extrémiste. Il avait été l'un des promo- Dimona, dans le Néguev. Cette opération de
d'Alexandrie, devenu guérillero professionnel, teurs de l'« accord jordano-palestinien ». Il « représailles » contre l'attentat de Chypre
préférait les soirées en famille ou la compagnie était favorable, comme Arafat, à la proclama- avait fait six morts : les trois Palestiniens du
de ses lieutenants aux mondanités diplomati- tion d'un Etat palestinien sur toute partie libé- commando et trois passagers de l'autobus.
ques de Tunis, de Bagdad ou d'Amman Il avait rée de la Palestine. En avril 1987, lors du L'opération de Tunis est-elle la réponse à celle
13 ans lorsque ses parents avaient été chassés de Conseil national palestinien d'Alger, il avait de Dimona ?
leur maison de Ramleh, près de Tel-Aviv, en déployé des efforts spectaculaires pour Une chose est sûre. Les services secrets israé-
1948. Cest dans un camp de Gaza qu'il agrandi convaincre les dirigeants du FPLP et du FDLP liens attendaient depuis longtemps l'autorisa-
de revenir au sein de POLP. Depuis le déclen- tion de tuer Abou Jihad. Atrois reprises déjà, au
chement de la révolte des pierres, dans les moins, ils avaient demandé, en vain, le feu vert
territoires occupés, cet expert en guérilla ne au gouvernement. Pourquoi l'ont-ils obtenu, il
cessait de répéter la même consigne : « Pas y a moins de deux mois ? D'abord parce que les
d'armes à feu, battez-vous avec des pierres, c'est dirigeants israéliens croient toujours qu'ils
notre meilleur argument. »En même temps, il pourront casser la révolte des pierres, sans rien
organisait des réseaux pour acheminer à l'inté- céder, en combinant une répression très dure
rieur de l'argent, des consignes, des documents. sur le terrain et des opérations ponctuelles, à
Comme toute la direction de Fou, il avait l'extérieur contre la direction du soulèvement.
été pris de court par la révolte des jeunes mais, Ensuite parce que l'armée israélienne, engluée
grâce à sa popularité et à ses talents d'organisa- dans des tâches de maintien de l'ordre qui
teur, il avait, semaine après semaine, repris le divisent ses rangs, avait besoin de renouer avec
contrôle de l'insurrection. « Nous ne devons sa légende des opérations de commando pour
pas nous contenter de pousser les Israéliens redorer son image. Enfin, parce que la dispari-
vers la table des négociations, expliquait-il, tion du plus fidèle allié de Yasser Arafat risque
quelques jours avant d'être assassiné. Nous d'ouvrir au sein de POLP une crise qui affai-
devons mener une action d'usure contre l'en- blira la centrale palestinienne.
nemi pour le contraindre à quitter nos territoi- Calcul dangereux. Dans les territoires occu-
res. Le sort de l'occupation sera décidé en pés, la nouvelle de l'opération de Tunis, loin
premier lieu surie terrain et non autour de la d'assommer les manifestants, a provoqué une
table des négociations. »En fait, c'est peut-être nouvelle flambée de violence. L'armée israé-
même un changement radical de stratégie qu'il lienne a réussi à la contenir maisvingt manifes-
s'apprêtait à proposer à la direction de l'OLP. tants sont morts en deux jours. La Syrie, où
Pour permettre à la population des territoires vivent les parents d'Abou Jihad, a tenté de
occupés, victime de la poigne de fer des militai- mettre à profit les obsèques du dirigeant pales-
res israéliens, de souffler, Abou Jihad envisa- tinien pour amorcer un rapprochement avec
gèaitde lancer des opérations armées contre des POLP, dont Israël n'a rien à attendre de bon.
objectifs militaires et contre des colonies de Les chances de la paix sont-elles plus grandes
peuplement. Les Israéliens connaissaient évi- aujourd'hui qu'avant cette nuit très douce où le
demment le rôle clé d'Abou Jihad dans la stra- commando israélien a débarqué sur le sable de
.?,- régie palestinienne. Pris devitesse eux aussi par Raouad ? .RENÉ BACKMANN •
22-28 AVRIL 1988/85

Vous aimerez peut-être aussi