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Aube-Ghorbanian Isabelle. Une lecture de l'espace dans Altazor et dans Temblor de cielo de Huidobro. In: América : Cahiers
du CRICCAL, n°6, 1989. Poésie hispano-américaine contemporaine: Vicente Huidobro et Octavio Paz. pp. 81-95;
doi : https://doi.org/10.3406/ameri.1989.950
https://www.persee.fr/doc/ameri_0982-9237_1989_num_6_1_950
Isabelle Aube-Ghorbanian
C.R.I.C.C.A.L.
Edition»
(1) Champ
In libre,
CORTANZE,
Paria, 1976,
G. (de),
p.168.HUIDOBRO-MANIFESTES-ALTAZOR-TRANSFORMATIONS,
(2) La préface a été vraisemblablement ajoutée aux aept chanta, le ton et l'écriture étant si
différents de l'ensemble du poème. Il est probable qu'elle a été écrite k peu près en même temps que
Temblor de cielo, publié en 1931 comme Altazor, ce qui ne serait pas étonnant puisque nous y retrouvons
un même système d'écriture et une même préoccupation. Ceci est fort instructif quant à l'interprétation
que nous pouvons (aire d 'Altazor et de Temblor de cielo et coriobore bien l'idée que si les deux textes ont été
publiés la même année, ce n'est pas un hasard.
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ISABELLE AUBE-GHORBANIAN
mots dans l'original, et que par ailleurs il a été publié la même année
que Temblor de cielo, en 1931, ce qui n'est sans doute pas fortuit.
D'autre part, il semble important d'attirer l'attention sur le fait que,
dans Temblor de cielo, Huidobro se sert de l'opéra de Wagner, Tristan
et Isolde, comme prétexte pour pouvoir discourir librement sur un tout
autre objet dont le véritable réfèrent textuel est "Poésie", fragment
d'une conférence lue à l'Athénée de Madrid dont le discours théorique
porte sur la poésie et sur le rôle du poète(3).
Notons que les deux poèmes sont longs, ce qui donne lieu à des
répétitions et à des redondances rendant plus facile le décodage des
textes, ensuite que l'un est en vers {Altazor ) et l'autre en prose
{Temblor de cielo ) et, enfin, que l'écriture n'est pas la même dans les
deux textes (l'absence presque totale de ponctuation et la technique du
jeu des signifiants phoniques exploitées dans Altazor ne se retrouve pas
dans Temblor de cielo) et aboutit dans Altazor à une fragmentation de
l'unité syntaxique et grammaticale, ce qui génère des difficultés pour
saisir le fil directeur du poème même s'il y existe une progression
thématique.
Alors que dans Altazor, l'isotopie globale^4) est manifestement le
poème, dans Temblor de cielo, il est plus difficile de la lire, cependant
le texte "Poésie" nous fournit tous les signes permettant sa lecture ; il
nous permet de décoder le poème et de reconnaître l'écriture comme
isotopie globalisante de celui-ci(5).
Même s'ils sont formellement différents, Altazor étant une vaste
métaphore de l'objet poétique et Temblor de cielo une allégorie de
l'écriture poétique, nous pouvons y retrouver une même unité
thématique témoignant de la préoccupation du poète : tenir un discours
sur la poésie donc parler du poète, de l'écriture, de la poésie et du poème.
Ajoutons enfin que les deux poèmes sont composés de sept parties,
que ces divisions participent de l'économie des textes et que, comme
nous le verrons par la suite, elles sont de par leur nombre, soutien
formel du sens général des textes.
Nous procéderons donc à un décryptage des poèmes à travers
l'analyse du locuteur et des isotopies structurantes (le poète-homme, le
poète-Dieu, les mots, le poème) et de leurs articulations (la mort,
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L'ESPACE DANS ALTAZOR ET TEMBLOR DE CIELO
LA BIPARTITION DE L'ESPACE
(6) Toutes nos citations sont tirées de l'édition de René de Costa, Madrid, Câtedra, 1986. Pour
plus de commodité nous utiliserons la première lettre du titre de chacun des poèmes chaque foiB que nous
ferons une citation.
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Dans Temblor de cielo, nous saisissons les deux "je" parce qu'en
deux situations opposées ; c'est ainsi que nous identifions le poète-
créateur dans la phrase :
(7) La métaphore de l'arbre est récurrente dans les textes de Hmdobro ; on la retrouve dans ses
manifestes très fréquemment
(8) Remarquons à ce propos que la représentation de la poésie par une femme est banale ; voilà
un topique très ancien que Huidobro réutilise : rappelons ne serait-ce que la muse Calliope.
(9) Ces vers :
Mi gloria esté en tus ojos
Estoy sentado en el rincon mas sensible de tu mirada (A., II, 149-151).
(10) On retrouve cette même idée de séparation du poète et de la poésie dans le chant II (49-
53/167-170) àAItazor.
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(11) Dans son texte "Je trouve...", Huidobro tient dee propos dénigrants sur les jeunes poètes et il
discourt sur les "vrais poètes".
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TUi
poète-homme
JE2 TU2
poète-Dieu
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(12) Rappelons que Hmdobro nie l'arbitraire, ce qui signifierait que les associations de phonèmes
ne sont pas fortuites.
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La marche et la chute
Dans les deux textes, nous pouvons dire que l'espace est cinétique,
celui-ci ayant pour principe fondamental le mouvement.
Perçu par le sens kinésique, par la vue et par l'ouïe, l'espace est
aussi perçu par le déplacement dont le rythme est soutenu par un double
mouvement, l'un endochronique (la chute) et l'autre exochronique (la
marche).
Ce dernier a pour point de départ le monde externe, donc matériel ;
les mots "parcourir", "courir", "marcher", "marche", "voyage",
"route", "chemin", "pèlerin" signifient un déplacement marqué par
l'effort (celui qu'exige la marche) dont l'aboutissement doit être la
mort. Ce déplacement est marqué négativement puisque le sème
dysphorique /douleur/ lui est appliqué ; en effet les mots "misérable",
"blessure", "angoisse", "anxiété" traduisent la douleur propre à toute
recherche ou à tout désir non satisfait. Ainsi dans la phrase :
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L'ESPACE DANSALTAZOR ET TEMBLOR DE CIELO
ou dans le vers :
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L'ESPACE DANS ALTAZOR ET TEMBLOR DE CIELO
Par ailleurs, la chute est liée au sentiment de peur que les sémèmes
"angoisse", "terreur", "peur", "anxiété", "effroi" réitèrent dans les
deux textes.
Mais là encore la dysphorie sémique est renversée par la charge
sémique positive de mots comme "lumière", "lumière polaire",
"étoile", "feu du crépuscule", "astres", "flot de lumière" dont la
connotation religieuse est évidente (cette lumière ténue dans
l'ensemble étant par analogie l'étoile qui guide les mages jusqu'à
l'enfant-Dieu). La chute n'est signe ni d'échec ni de déchéance
puisqu'orientée vers la lumière, elle est donc signe de succès et
d'ascension et l'idée d'extase et de vertige qui l'accompagne ne fait que
corroborer son caractère positif.
En effet, c'est grâce à la mort, indissociable de la chute, que le poète
saisit le mot pour en faire un objet poétique.
Ainsi les vers :
indexons
(17) "rose"
Rappelons
sur l'isotopie
que Rase
mondemystique
absolu. est un nom donné à la Vierge Marie, en fonction de quoi nous
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Le coït.
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La esposa nos invita a la fiesta de sus entraâas, su beso tiene gusto a labios
de Dios y ha de llevarnos mas lejos de lo que nadie puede sospechar
(T. de C. p.163)
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ha mort.
elle suggère l'échec à travers les mots "foudroyé par la hauteur", "tout
est resté en arrière" qui signifient que le poète-Dieu après avoir atteint
à l'absolu, donc après avoir créé l'objet poétique, est dépossédé de cet
objet. Par conséquent il retourne à son état de poète-homme dont le
destin est à nouveau la marche pour rejoindre le poétique, ce qui
suppose mourir à nouveau au monde matériel pour pouvoir créer.
A la perte du pouvoir créateur est associée, dans les deux textes, la
disparition de l'espérance, ce qui appuie le caractère tragique du
message final ("las esperanzas abolidas", A., IV, 267). Au premier
message euphorique succède donc un second message dysphorique, ce
qui correspond au mouvement espace absolu — > espace matériel. La
boucle se ferme donc le mouvement circulaire réglé par les médiations
mort, marche, chute, et coït, est tracé. La structure close, mise en
évidence par les médiations cycliques naissance/vie/mort, traduit
alors le caractère interne de l'espace dont nous pouvons représenter
ainsi les grands mouvements régulateurs :
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POETE-HOMME
ESPACE
la mort la marche MATERIEL
la mort
POETE-DIEU
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