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Centre Sèvres – Facultés jésuites de Paris

La quantité chez Aristote Son rôle en physique, mathématique et métaphysique


Author(s): RÉJANE BERNIER
Source: Archives de Philosophie, Vol. 62, No. 4 (OCTOBRE-DÉCEMBRE 1999), pp. 595-637
Published by: Centre Sèvres – Facultés jésuites de Paris
Stable URL: https://www.jstor.org/stable/43037783
Accessed: 14-08-2018 12:38 UTC

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La quantité chez Aristote
Son rôle en physique, mathématique et métaphysique

RÉJANE BERNIER
Université de Montréal

RÉSUMÉ : L'article présente d'abord quelques considérations épistémologiques et


rappelle que , pour Aristote , le principe de connaissance de la quantité est le
sens commun qui regroupe et unifie les données des sens propres relativement à
chacun de leurs objets. Par la suite, V étude analyse les différents modes de
quantité : discrète et concrète et montre que , en physique, c'est surtout la
quantité concrète qui joue un rôle dans l'être matériel en étant à l'origine des
déterminations des espèces de qualités : 1 ) états - dispositions et aptitudes -
inaptitudes ; 2) qualités sensibles ; 3) forme-figure. L'article soulève les
difficultés du passage de la physique à la mathématique et recherche la nature
de la quantité utilisée en géométrie. En dernier lieu, il propose une réflexion
sur l'être de la quantité et signale les difficultés soulevées par la considération
d'une part, de la quantité comme accident proposée dans les Catégories et
d'autre part, de celle de la matière composante de la substance de la théorie
hylémorphique. L'étendue au terme de l'abstraction des dimensions est-elle
autre que la matière ?

MOTS-CLÉS : Quantité. Physique. Mathématique. Aristote. Substance. Accident.

ABSTRACT : The article first presents a few epistemo logical considerations and
recalls that, for Aristotle, the principle of knowledge of the quantity is the
common meaning which regroups and unifies the data of the meanings
relative to each one of the objects. The study goes on to analyse the different
modes of quantity : discreet and concrete and shows that, in physics, it is
especially the concrete quantity which plays a role in material being, it being
at the origin of the determinations of the kinds of qualities : 1 ) states -
dispositions and aptitudes - inaptitudes ; 2) sensible qualities ; 3) form-
figure. The article raises the difficulties of going from physics to mathematics
and looks into the nature of the quantity used in geometry. Finally, it proposes

Archives de Philosophie 62, 1999

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a reflection on the being of quan


the consideration on the one h
Categories and on the other han
of the hylemorphic theory. Is
dimensions other than matter ?

KEY WORDS : Quantity. Physics. Mathematics. Aristotle. Substance. Accident .

La quantité a fait l'objet d'analyses, développées à des degrés divers, dans


plusieurs traités ď Aristote. Dès les Catégories , une de ses premières œuvres
selon la plupart des commentateurs récents, le Philosophe consacre un
chapitre (le 6e) à ce thème ; il y consacrera aussi un chapitre (le 13e du livre
A) des Métaphysiques et plusieurs passages de la Physique . A partir du
traité De la génération et de la corruption (G. & CJ, Aristote accorde à la
quantité une place de première importance dans la formation des êtres de la
nature. Il reprend longuement cette idée dans les Météorologiques . Pour lui,
la notion de quantité joue un rôle fondamental dans l'explication des phé-
nomènes terrestres. Ajoutons qu'elle joue également un rôle non négligeable
dans les traités biologiques, puisque certains textes nous permettent de
croire qu'Aristote enracinait les différences entre les espèces dans des
différences quantitatives de certains de leurs organes et considérait que la
quantité devient ainsi un élément important de l'essence des vivants (Ber-
nier, 1995). Il ne me paraît pas exagéré de dire que la notion de quantité est
omniprésente dans toutes les œuvres qu'Aristote a consacrées à la nature des
êtres du monde sublunaire.
Le but de la présente recherche est d'étudier la place qu'Aristote a faite
à la quantité au sein de ce qu'il considère comme les trois niveaux de la
science (è7uaTefjni)) : la physique ou philosophie seconde, les mathématiques
(arithmétique et géométrie) et la philosophie première. Cependant, avant
d'aborder cette analyse qui est surtout d'ordre ontologique, il me paraît
nécessaire de s'interroger sur le statut épistémologique de la quantité.
On sait qu'Aristote considérait les deux espèces de la quantité que sont le
nombre (àpiÔfjiôç) (dont le principe est l'unité, ëv) et la grandeur ((¿¿yeGoç),
comme des sensibles communs (xoivà ata07)xá), de même que le mouvement
(xivtjctiç), le repos et la figure (o^M-oO-
L'expression « sensibles communs » marque une distinction par rapport
à ce qu'Aristote appelait les sensibles propres ou spéciaux i.e. ceux qui sont
l'objet propre et direct d'un sens particulier : les sons pour l'ouïe, les
couleurs pour la vue, etc. D'après Aristote, c'est grâce à ces sensibles
propres, qui sont les qualités des corps physiques, que nous entrons en
relation avec le monde externe. Je reviendrai plus loin sur le rôle que joue la

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LA QUANTITÉ CHEZ ARISTOTE 597

quantité dans la détermination des caractères qualitatifs. Ce qu'il est imp


tant de signaler pour le moment c'est : 1) que ces qualités sont pour Aristote
des réalités objectives appartenant véritablement aux êtres matériels e
2) que la connaissance que nos sens acquièrent de ces qualités est certaine
normalement dépourvue d'erreur.
Or, d'une part, les connaissances de la physique actuelle sur la nature des
sensibles propres (odeurs, couleurs, saveurs, sons et qualités tactiles d
dureté, mollesse, chaleur, froideur, siccité ou humidité) ont invalidé la quasi
totalité des énoncés d'Aristote sur la question. D'autre part, la psychoph
siologie ainsi que la neurophysiologie de la sensation ont également jeté
discrédit sur la majorité des affirmations d'Aristote en ce qui concerne
processus propres aux différents types de sensation. En conséquence, on
saurait aujourd'hui accorder à la sensation la valeur épistémologique qu'e
avait dans la doctrine aristotélicienne.
Pour Aristote, les sensibles propres et les sensibles communs sont sensi-
bles per se (xaô'àirrà) et non pas par accident (xaroc ou[jl6s6y]xÓç). Cepen-
dant, contrairement aux sensibles propres, les sensibles communs ne sont
pas perçus par un sens en particulier mais par plusieurs sens ou, à tout le
moins, par deux d'entre eux (p. ex. pour la grandeur et la figure par la vue et
le toucher) (voir Brunschwig, 1991, spécialement p. 457-465 ; Kahn, 1966).
Aristote a explicitement affirmé (De Vâme [= D. A .], III, 1, 425al3-31) que
le sens commun est une faculté qui regroupe dans une perception commune
les données fournies par les différents sens quant à différents aspects d'un
même objet sensible. L'od'aô-rçaiç xoivy) connaît « dans une perception
d'emblée commune aux différents sens, immédiate » (Lories, 1991 : 408).
Pour Aristote, « les divers sens perçoivent les sensibles propres les uns des
autres, et non pas comme sens spéciaux mais comme formant un seul sens,
lorsque les perceptions de plusieurs sens se rencontrent sur le même objet »
(D. A ., III, 1, 425a30-425bl) '
La théorie aristotélicienne du sens commun et des sensibles communs a
fait l'objet, dans les dernières décennies, de nombreuses analyses de psycho-
physiologie et de philosophie (Slakey, 1961, Kahn, 1966, Hamlyn, 1968,
Graeser, 1975, Modrák, 1987, Lories, 1991, Brunschwig, 1991, Everson,
1995). Ces différents auteurs admettent que pour Aristote, le sens commun
ne constitue pas un sixième sens et n'a pas d'organe propre. Quoique le cœur
soit, pour le Philosophe, le centre de toutes les sensations des différents sens
propres 2, contrairement à ce qu'ont soutenu auparavant Alcméon et Platon

1. « Sight and touch converging on a shape allow shape to emerge as an indépendant


perceptual object (cf. 425b 4-11). Although perceived through sight and touch, shape is
perceived kath'auto by the common sense » (Modrak, 1987 : 64).
2. 11 faut souligner que les voies de transmission au cœur de la passion subie par les organes
de la périphérie ne sont pas spécifiées (Modrak, 1987 : 73).

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(voir Lloyd, 1975), il ne sau


l'organe du sens commun. D'a
cipe » de la sensation. Pour Mo
common sense includes a psyc
nent ». Avec le sens commun
qui a une activité unifiée (ibid
Contrairement à ce qui se pr
peut arriver que le sens commu
des sensibles communs. C'est
commun, voyant du jaune, croi
encore lorsqu'on estime la gra
sans tenir compte de l'éloigne
objets perçus plus petits qu'il
Graeser (1975), la possibilité
implique une synthèse de ter
elle est relative à la perceptio
tion, l'association ou l'unifica
racine l'erreur.
La Scolastique a conservé la distinction aristotélicienne des sensibles
propres et communs. Au xvne siècle cependant, avec Descartes, la situation
change et l'expression « sensibles seconds » désignera désormais les sensibles
propres d'Aristote (couleurs, sons, etc.) alors que l'expression « sensibles
premiers » désignera la grandeur, le nombre, la figure, etc. qui étaient les
sensibles communs d'Aristote.
On ne peut certes nier que la critique cartésienne de la valeur de la
sensation constitue un bouleversement de la thèse épistémologique aristoté-
licienne. Descartes reconnaît que l'on reçoit d'abord les sensations des
qualités sensibles mais il soutient qu'il faut les mettre en doute et admettre
qu'elles ne sont peut-être que des illusions. Toutefois, il est important de
souligner que la thèse ontologique d'Aristote n'est pas en opposition avec
celle de Descartes. En effet, quand Aristote considère la couleur comme une
qualité sensible propre, il veut dire qu'elle est perçue en premier lieu,
directement par la vue et que dans un objet, ce sont d'abord ces qualités
sensibles qui sont perçues, avant que ne soit identifié le sujet qu'elles
déterminent ; mais le fait que les qualités sensibles soient les premières
connues ne signifie pas qu'elles existent avant les autres sensibles. Au
contraire, Aristote sait fort bien que chacune de ces qualités sensibles
propres existe dans une grandeur, une quantité, laquelle appartient elle-
même à une substance à titre d'accident. Pour Aristote, aucune qualité

3. Kahn rappelle ici (1966 : 75) le parallélisme entre la doctrine de Descartes et celle
d'Aristote : « Both philosophers connect the soul with the body as a whole ; and both recognize
its special relationship to a central organ ».

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LA QUANTITÉ CHEZ ARISTOTE 599

propre n'est antérieure ontologiquement aux qualités communes quoiqu


chaque qualité propre le soit épistémologiquement car les sensibles com
muns sont dérivés (áxoXouOouvToc) des sensibles propres. Modrak (1987 : 78)
soutient qu' Aristote a cependant rejeté toute réductibilité des qualités
sensibles aux sensibles communs.
Si les sensibles communs sont connus après les sensibles propres, c'est
qu'ils sont perçus au-delà des différentes perceptions des sensibles propres.
La vue voit la couleur, mais aussi la surface de l'étendue ou du corps où
inhère la couleur, ou encore l'objet d'où provient le bruit ou l'odeur. Dans
toute la pensée d'Aristote, les sensibles propres présupposent toujours un
sensible commun et une substance. Il est intéressant de remarquer dans une
étude de la quantité (grandeur et nombre), que celle-ci est perçue par le sens
commun avant d'être connue par l'intellect, ce qui aura une conséquence
importante lorsqu'il s'agira d'établir la distinction entre physique et mathé-
matique.
Alors que pour Aristote, la connaissance des sensibles communs peut
être erronée, on sait que pour Descartes, la notion d'étendue, saisie par
intuition, est la première idée claire et distincte - donc fournissant une
connaissance certaine. D'après Descartes, nous pouvons douter de toutes
nos connaissances des qualités sensibles propres, mais pas de celle de
l'étendue ; selon lui, aucun corps matériel n'existe sans étendue. La position
cartésienne du rôle de l'étendue dans les êtres de la nature mériterait
elle-même une analyse particulière ainsi que celle de John Locke qui a
consacré l'opposition des sensibles primaires (grandeur, etc.) aux sensibles
secondaires (qualités sensibles telles que couleurs, odeurs, etc.) qui a per-
duré dans la philosophie postérieure.

Ces remarques préliminaires étant faites, nous pouvons maintenant voir


comment Aristote conçoit les deux espèces de la quantité.
Dans les Catégories , Aristote distingue la quantité discrète, nombrable
(nombre et logos 4) et la quantité continue, mesurable (grandeur). La quan-
tité continue désigne la ligne, la surface, le solide, le lieu et le temps (Caí., 6,
4b20-24). Les parties de la quantité mesurable ont une position les unes à
l'égard des autres, alors que les parties de la quantité nombrable ont un ordre
les unes à l'égard des autres, mais n'ont pas de position (ibid.). Selon
Aristote, la quantité n'a pas de contraires (Cat., 6, 6a26-27).
Albert le Grand avait déjà signalé l'absence d'une définition de la quan-
tité chez Aristote mais estimait que la division de la quantité en discrète
(nombre) et continue (grandeur) remplace la définition dans la mesure où
elle est accompagnée d'une énumération complète. D'après O'Brien (1978 :
32), l'énumération d'Aristote est complète et épuise les emplois possibles de

4. Pour la traduction et la signification du terme logos , voir O'Brien (1978 : 29-32).

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la quantité : « La quantité con


réunissent en une limite comm
par le nombre, où les partie
dans le temps, ou bien par le
temps, mais discrètes l'une d

I. La quantité dans l

A. La quantité discrète

Comme le logos n'est pas l'o


aspect de la quantité mention
nombre.
Dans la Physique , Aristote
ment théorique. Il a clairem
nombre « que nous utilisons
qui est nombré ». Le nombr
nombré est composé d'unité
mesure. O'Brien (1978 : 35)
serait une quantité contin
quantité discrète.
L'élément de base de toute
pas vraiment un nombre (Mài
qui elle, constitue le nombre
Chaque genre doit avoir une u
doit être un attribut comm
1088a8-ll). Ainsi, en musique
« pour la grandeur, le doigt, l
rythmes, le battement ou la
c'est un poids déterminé » (
la lettre (Mét., 1,1, 1053al3).
1, 1, 1052b20sq.) soutient qu
et que la quantité qua quanti
« L'unité de mesure est tou
Mét., I, 1, 1052bl6 et 1053a
une propriété de la quanti
nombre), au point (en géom
indivisibilité absolue, Aristo
seulement, car « tout cont
1053a24). Ainsi, « dans la m
insécable » (ibid., 1052b32-3

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LA QUANTITÉ CHEZ ARISTOTE 601

unité conventionnelle distincte de l'unité ontologique constituée par un


totalité et correspondant à une « propriété transcendantale ».
Quelle place faut-il faire aux nombres dans la physique d'Aristote ? On
doit tout d'abord comprendre qu'Aristote ne leur a pas reconnu une exis
tence séparée, à la façon de Platon (voir J. Annas, 1975 : 99), ni non plus à la
façon des Pythagoriciens il n'a conçu les nombres comme étant l'essence d
êtres. Pour lui, « un nombre est toujours un nombre de certaines choses
(Mář., N, 5, 1092b 19-20).
En physique, le nombre ne fait pas l'objet d'une analyse détaillée de la
part d'Aristote et quoique son usage soit indispensable, le nombre est plut
un instrument au service de la connaissance de l'être physique. O'Brien
souligné une difficulté de la conception aristotélicienne du nombre. Selo
lui, « le vrai problème (qui) est plutôt de savoir comment ce qui est pour nous
un moyen de mesure ou de calcul peut être considéré comme étant lui-même
une quantité, alors qu'on aurait pensé que la quantité devrait être plutô
Y objet du calcul » (1978 : 34). Essentiellement, l'étude du nombre relève d
l'arithmétique. C'est plutôt la quantité concrète, la grandeur continue qu
sont la ligne, la surface, le solide, le lieu et le temps (Caí., 6, 4b20-24) qui fon
l'objet des livres de la physique.
Pourtant, dès le début des mathématiques, une relation étroite a été
établie entre les notions de nombre et d'étendue ; elle témoigne d'un pre
mier effort pour penser le nombre en fonction de l'espace, et réciproqu
ment. Les Pythagoriciens représentaient les nombres par des points groupés
de manière à former des figures, de sorte que les nombres pouvaient êtr
linéaires, plans ou solides. Il s'agissait d'une arithmo-géométrie (voir P.-H
Michel, 1957).
Au début du ive siècle avant J. C., Eurytus de Tárente dessinait avec des
cailloux colorés les contours extérieurs de la chose à définir et obtenait ainsi
en les comptant le nombre constitutif de l'essence de cette chose. Ainsi, la
figure était exprimée par un nombre correspondant ; pour l'homme,
par exemple, c'était 250 (Aristote, Mét ., t. 11, p. 833, n. 2 de Tricot 5).
Aristote n'a adhéré ni au platonisme ni au pythagorisme. Cependant, on
peut probablement déceler une influence du platonisme et du pythagorisme
dans le fait de considérer que ce sont les rapports quantitatifs entre les
parties des éléments ou des composants qui constituent l'essence des êtres
corporels. « Par exemple, pour la chair ou l'os, la substance au sens de
matière est constituée par un nombre : c'est, par exemple, trois parties de

5. Pour les Pythagoriciens, Y occasion était identifiée avec le nombre 7, le juste avec le 5, ou
avec le 4 ou le 9 et le mariage avec le 5 (somme du premier nombre pair et du premier nombre
impair) (n. 1 de Tricot, p. 734 du tome II de Mét.). « Le nombre Sept présentait, pour les
Pythagoriciens, une importance particulière, car c'était, de toute la Décade, le seul qui ne fût ni
produit, ni facteur » (n. 3 de Tricot, p. 838 de t. II de Mét.).

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Feu et deux de Terre » (Mář.


formelle, c'est le rapport des
d'un nombre, mais d'une " ra
corporels ou n'importe quoi »
Aristote a exposé dans G . & C
proportion des composants d
rapport à la matière constitué
développé cette thèse dans
animaux , en insistant sur le
déterminer différentes qualit
dans G. & C. l'idée que le se
subissent l'action du chaud et d
ment de cette idée dans les Mét
joué par le sec et l'humide et su
qui « déterminent, combinent
qui ne le sont pas, les humidi
amollissent » ( Météor IV, 1, 3
nécessaire, selon Aristote, qu
formés de terre et d'eau {Mét
formés d'un mélange d'eau et d
de l'une et de l'autre » (Météo
qualité des corps dépend de la
la matière des corps (Météor.
Dans la mesure où les corps so
éléments impliqués (eau, terre
sert à fonder les propriétés des
en partie de la quantité discrète
distingue nettement, à partir
tués d'eau, de terre ou d'un m
grande proportion) ou de ter
proportion) ou encore d'un m
En physique, le rôle de la quan
1) l'unité joue un rôle de mes
quantités respectives des élémen
corporels de la nature. Dans la
pas perçus de façon immédia
analytique et les composants
des propriétés que possèdent
fonction des composants. Or
qu'Aristote reconnaît dans les
ble appartiennent à la quantit
Le passage de la quantité discr

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LA QUANTITÉ CHEZ ARISŤOTE 603

la spatialité (cf. M. Isnardi-Parente, 1987 : 272) aussi bien au niveau


physique qu'à celui de la géométrie. Fidèle à la démarche ď Aristote po
la connaissance des objets du monde de la nature est antérieure à cell
objets mathématiques, examinons d'abord la conception aristotélicien
la quantité concrète et ensuite, les propriétés des corps qui possèdent
quantité.

B. La quantité concrète

Cette quantité peut être continue (lorsque les extrémités de ses parties
sont une seule chose), contiguë (lorsque les extrémités sont ensemble) et/ ou
consécutive (lorsqu'il n'y a aucun intermédiaire du même genre entre les
extrémités) (. Phys ., VI, 1, 231a22-23). Au sens strict, la continuité appartien-
dra surtout aux corps simples et aux homéomères, tant animés qu'inanimés.
Les parties anhoméomères, de natures différentes, (p. ex. les organes com-
posés de différents tissus) peuvent être contiguës les unes aux autres. Elles
sont aussi consécutives. On peut cependant considérer l'organisme comme
une unité, une totalité, et en ce sens toutes ses parties seront continues (cf.
Phys., V, 3). La continuité de la quantité des êtres physiques peut donc être
soit celle des parties, soit celle du tout.
D'après les Catégories (6, 5b 11), la quantité n'a pas de contraires. Elle
est, par contre, susceptible d'augmentation et de diminution. Ce type de
changement est différent, pour Aristote, de la génération, car celle-ci est
accompagnée de la destruction de la substance tandis que dans les cas
d'augmentation et de diminution, la substance persiste et est modifiée
uniquement selon sa quantité et éventuellement ses qualités. Dans son étude
des éléments, le G. & C., Aristote est aux prises avec le problème posé par le
fait qu'une certaine quantité d'eau engendre une quantité d'air d'un volume
supérieur à celui de l'eau. Ici intervient la notion de densité avec laquelle
Aristote n'est pas très à l'aise en raison du fait qu'il nie l'existence du vide
entre les parties. Selon lui, les contraires, tels que rare et dense, chaud et
froid, ont une matière une et « la génération se fait de l'existence en puis-
sance à l'existence en acte » (Phys., IV, 9, 217a23-24). Ainsi, c'est la même
matière qui est à l'origine d'un corps, grand ou petit. La génération va tantôt
de la grandeur à la petitesse, tantôt de la petitesse à la grandeur. Une masse
devient moindre ou plus grande parce que sa matière est en puissance ceci ou
cela (Phys., IV, 9, 217a26sq.). « Aussi la grandeur et la petitesse d'une masse
ne se développent pas par addition de quelque chose à la matière, mais parce
que la matière est en puissance l'une et l'autre ; ainsi c'est la même chose qui
est dense et rare, et pour ces deux qualités, il n'y a qu'une matière » (Phys.,
IV, 9, 217b8-ll). Pour Aristote, « ... si de l'air se forme à partir de l'eau, ce ne
sera pas parce que l'eau se transforme, mais parce que la matière de l'air sera

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abritée dans l'eau comme dan


les corps, la matière est « un
que différente au point de v
compte qu'il s'agit bien ici de
différente lorsqu'il s'agit d'u
7rpcí>TY) uXÝ) n'est pas un co
toutefois l'isoler par la définit
croissance et celle de l'altér
Commentary , p. 119), Dans
qualités sont inséparables (G
Les phénomènes d'augmenta
formations d'une substance
321a22-24). Alors que le cha
des éléments (donc de l'addit
joue un rôle de forme de l
quantité que constitue l'aug
ment la substance. Aristote a
et l'animé et soutient que les p
précisément, la substance q
appartiennent exclusivement a
La croissance dépend de la
l'assimilation cesse, généralem
faut signaler qu'Aristote a d
ceux de nutrition 6 qui exigen
que si la matière qui s'ajoute
alors que si elle est une quan
mentation (G. & C.9 1, 5, 332a
la référence à l'âme nutritiv
plus adéquate du phénomène
de l'âme primitive ou comm
(0pe7TT txÝ)), la faculté qui dir
trice (yevvyjTixT]) (cf. D. A .,
La croissance, particulièreme
l'ontogenèse, i.e. de la semen
de l'âme nutritive que Joach
Cette âme joue un rôle de « st

6. Aristote remarque que pour le vi


transporte le sang maternel. Après l
le lait maternel puis par les aliment
7. La même idée est exprimée dan
quantité, l'aliment est un accroissa
l'aliment est nourriture ».

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LA QUANTITÉ CHEZ ARISTOTE 605

est cause efficiente de la croissance et de la diminution (ibid.). « The form is


the soul : but it is manifested in the matter as a " figure ", a " structur
plan " or a " scheme of proportions " which limits or measures the matter »
(Joachim, Comm., p. 130 8 ; cf. D. A., II, 4, 416al6-17). C'est l'âme nutrit
qui est à l'origine des processus de transformation de l'aliment en substan
du vivant. C'est donc elle qui voit à la formation, dans les organismes divers
des différents organes jusqu'à ce que ceux-ci aient formé des structur
capables d'exercer leurs fonctions vitales respectives (Joachim, Comm
p. 131 et De la génération des animaux [= G. A.], II, 4-5, 740b9sq.)
d'assurer, en fin de compte, la reproduction (Joachim, Comm., p.
lorsque la taille adulte est atteinte. On voit ici que les relations entre
grandeur et la figure sont très étroites. La figure propre à chaque structure
limite la grandeur (i.e. la quantité) de chaque partie de l'organisme et de
totalité.
Puisque « tout point perceptible du corps grandit ou diminue »(G. &C
I, 5, 321bl4-15), il convient de se demander comment s'accroît la grande
chez le vivant. D'après Aristote, chacune des parties - et le tout - s'accr
dans les 3 dimensions : « The growth of the whole is a uniform proportiona
expansion of its " figure " or 64 structural plan " » (Joachim, Comm.,
129). Ce qui s'accroît, ce sont les parties homéomères 9 (G. & C., I,
321bl7-18 et Joachim, Comm., p. 129). Aristote a cependant remarqué qu
au cours de l'ontogenèse, les organes peuvent se développer à des rythm
différents. Cela donne lieu à l'allométrie que l'on peut observer entre
formes embryonnaires, juvéniles et adultes (cf. Bernier, 1995, p. 28-32).
Signalons enfin qu'Aristote a su distinguer les phénomènes de crois
sance d'autres phénomènes plus passagers où le même organe peut être
tantôt plus grand, tantôt plus petit et peut changer de forme, « car les part
se dilatent sous l'influence de la chaleur et à l'inverse se contractent sous
l'effet du froid et se modifient » (Le mouvement des animaux [= Mvt. A.],
701b 13- 16). D'après Aristote, ces transformations sont des altérations ; elles
sont donc de l'ordre de la qualité et non pas de l'ordre de la quantité.
Certains textes mettent nettement en évidence l'étroite relation qui
existe entre la quantité concrète, la grandeur et la configuration. J'étudierai
cette relation plus en détail par la suite. Je voudrais maintenant étudier les
différentes propriétés ou qualités qui appartiennent à la quantité concrète, la
grandeur.
Dans le chapitre 8 des Catégories , Aristote distingue 4 espèces de
qualités : 1) les états et dispositions ; 2) les aptitudes et inaptitudes ; 3) les

8. Il faut remarquer que le texte du G. & C. est particulièrement obscur.


9. Aristote est conscient du renouvellement des tissus de l'organisme. Il sait que les parties
matérielles ne durent pas et en conséquence, il soutient que la nourriture atteint chaque partie
en tant que forme.

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606 R. BERNIER

qualités sensibles ; 4) les form


celle qui comprend la form
continue) ; par contre, en ra
la proportion des composant
espèces de qualités à la quant
pour les besoins de l'analyse so
certaines qualités sensibles, pa
ne soient pas sans relation ave

1. Rôle de la quantité dans la


aptitudes et inaptitudes

Il convient de grouper sous


d'une part et les aptitudes e
facettes d'une même réalité.
constituantes, des réalisation
propriétés qui sont à l'état
l'actualisation de ce qu'Ari
corps à subir telle action ou à
les états et les dispositions,
nature des composants. C'est
aptitudes) qui nous révèle qu
L'espèce de qualité qui trait
en tant que qualité, de dével
dans les Catégories , où Aris
connaissance et la vertu pos
disposition, le chaud et le f
désigne une situation stable
une situation passagère. Il r
l'âme et Y Éthique de Nicom
distinction dans la Physique
pourtant, le livre IV est ent
aujourd'hui lès « états de la m
On peut comprendre que le
des dispositions passagères
température de l'eau 10. Mai
sait que l'état solide ou liqui
lement dépendant de la tem

10. Je reviendrai plus loin sur la


qualités sensibles.

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LA QUANTITÉ CHEZ ARISTOTE 607

qu'extrinsèque au corps. Il sait aussi qu'à la même température, les corps


sont pas tous dans le même état, ce qui met en évidence le fait que chac
d'eux a une température critique de fusion, solidification, vaporisation.
Si l'on tient compte que l'état désigne un caractère qui n'est peut-êtr
pas permanent mais est à tout le moins constant ou stable, je crois que l
peut dire que l'état des corps solides ou liquides est celui qu'ils ont lorsqu
sont dans les conditions normales de température. Si la distinction entre éta
et disposition repose sur le caractère constant ou passager, il me semble
les conditions normales de température constituent un caractère consta
alors qu'une haute température obtenue artificiellement pour effectuer, par
exemple, une fusion constitue un caractère passager. Dans le monde tech
logiquement peu avancé de la Grèce du ive s. av. J. C., les conditio
constantes étaient les conditions normales et non pas celles produites p
une intervention de l'homme. De sorte que les corps qui, dans les conditi
normales, sont solides le sont comme dans un état et il en est de même pour
les liquides. Cela semble correspondre à ce qu'Aristote appelle l'état natur
(r/jç cpuaecoç) et qu'il distingue de l'état corrompu qui s'en éloigne mais
pourtant constitue, dans le cas des vivants, leur fin. En effet, Aristote estim
que la fin de tous les composés naturels est la décomposition, la corrupti
la putréfaction (destruction naturelle) qui est à l'origine d'autres êtres s
par des semences, soit en rendant possible la génération spontanée.
L'état solide des corps peut être produit soit sous l'action de la chaleu
qui élimine toute l'humidité que contient un corps, soit sous l'action d
froid qui élimine toute la chaleur et entraîne la condensation ( Météor, ;, IV,
383al3-19 ; cf. IV, 8, 385a22-26). Pour savoir quelle est la cause de
solidification, on dissout le corps en question. Ce qui est solidifié par le froi
est à base d'eau (Météor., IV, 10, 388bl0-ll) (p. ex. la glace, le plomb, le
cuivre) et est dissout par la chaleur alors que ce qui est solidifié par la chaleu
est à base de terre (argile, fromage, nitre, sel) (Météor , IV, 10, 388b 12- 13)
est dissout par l'eau (humide froid) (Météor., IV, 5, 383al-4 ; cf. IV, 7,
384b2-6). Enfin, si les corps sont solidifiés par le froid et le chaud, c'est qu'i
contiennent de l'eau et de la terre (Météor., IV, 10, 388bl5-17). Ce sont
corps les moins solubles (Météor., IV, 7, 384b6-7).
Le tableau suivant résume les exemples fournis par Aristote dans le
livre IV des Météorologiques. On voit que, à peu d'exceptions près,
exemples sont tirés de données strictement empiriques et nullement d'expé-
rimentations. Le niveau de la physico-chimie et des techniques métallurg
ques de l'époque explique probablement cette déficience. On peut douter,
effet, que la métallurgie du ive s. avant J. C. ait permis d'obtenir des
températures suffisantes pour que les corps normalement à l'état solid
puissent atteindre la phase gazeuse.

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608 R. BERNIER

Corps Action du chaud Action du froid Composants

§ § a g Se
8 § .s a -S g g

« ö.S « «5
*c ha 3faJ ha g «5 J
"O -ÏÏ O ° T3 .ss -73
fi 2 3 Oh ;fi s

eau - - eau

vins, breuvages aromatisés eau et terre


lessive, petit lait - eau
urine, vinaigre - eau
sang - - terre, eau, air
co .
-a lait . - - - terre et eau
jr sperme - terre, eau, air
huile - - - eau, air
poix, cire - terre, eau, air
vif argent, poix, glu - terre, eau, air
miel - terre, mélange
moût - - terre, mélange

mous argile - - terre, terre et eau


glace, neige, etc. - * eau
pierres (or, argent - - eau et terre
cuivre, étain, plomb) - eau et terre
verre - eau et terre

fromage - terre
w pierre pyramique - - eau et terre
¿fi
-S pierre ponce - - eau et terre
o
en

durs terre, boue - terre et eau


fer, corne, ongle, - - - terre et eau
os, tendon, poil, feuilles, - terre et eau
écorce, ambre, myrrhe, - terre
légumineuses, blé - terre
nitre, sel - terre et eau
bois - - terre et air

Analyse d
d'après l

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LA QUANTITÉ CHEZ ARISTOTE 609

Pour Aristote, tous les corps homéomères et anhoméomères du m


sublunaire sont solides ou liquides. L'état gazeux a été peu étudi
Aristote quoiqu'il ait reconnu qu'il y a « passage de l'état gazeux à l'
aqueux, et de l'état aqueux à l'état terreux » {Météor., IV, 2, 380a23
Même le cas de l'eau fait problème. Dans le G. & C., Aristote suppos
transformation directe de l'eau en air sans considération de la phase v
Dans Météor, ; (1, 3, 340b23-27), tout en respectant l'idée développée dans
& C. que tout est formé à partir des 4 éléments, Aristote fait place autou
la terre et au-dessous de l'air (ou mélangé avec l'air) à la vapeur hum
froide provenant de l'eau. Comme le fait remarquer P. Louis {Météor.
p. 27, n. 4) : « Aristote distingue l'eau qui est à la surface de la terre ou d
la terre, et l'humidité supérieure (ávco), autrement dit celle qui se forme
la basse atmosphère (nuages, pluie, brouillard) ». En plus de cette exha
humide provenant de l'eau qui est sur et dans la terre, sous l'action
chaleur du soleil, et qui produit une vapeur froide {Météor., I, 4, 341b
qui donne la brume, le brouillard, les nuages, la pluie, la rosée, la g
blanche, la grêle, la neige, la glace {Météor., 1, 9-12), Aristote admet auss
la terre, sous la même action de la chaleur du soleil, produit une exha
sèche (c'est une sorte de fumée) {Météor., 1, 4, 341bl0). Cette exhala
sèche est à l'origine des vents, des éclairs et du tonnerre à l'extérieur
terre ; mais si ce gaz reste à l'intérieur de la terre il peut donner naissan
tremblements de terre, aux raz de marée et aux éruptions volcaniq
{Météor., II, 9, 370a27-33).
La liquéfaction, tout comme la solidification, peut dépendre de l'a
du froid ou du chaud. En effet, « se liquéfier, c'est d'une part, deven
l'eau par condensation, et d'autre part c'est fondre en parlant d'un
solidifié » {Météor., IV, 5, 382b28-29).
Examinons d'abord le cas de la liquéfaction par condensation. Cel
fait suite à une évaporation. La vapeur est définie comme « une sécr
humide qui, sous l'action d'une chaleur brûlante, part d'un liquide e
transforme en air et en souffle » {Météor., IV, 9, 387a24-26). En prin
« sont vaporisables les substances qui renferment de l'humidité » {Mé
IV, 9, 387a23). Aristote parle de la vaporisation d'un corps ligneux
l'évaporation d'un corps gras qui produisent de la fumée que, d'autre part
oppose à la vapeur. P. Louis signale {Météor., t. II, p. 158, n. 7 de la p. 61)
le texte de 387a23sq. est parfois incohérent : « Il paraît certain en tout ca
le mot Oupuaaiç recouvre à la fois la vaporisation, l'évaporation, la volatil
tion, l'émission de fumée et même, dans une certaine mesure, la distillati
Toutes ces nuances échappaient aux contemporains ď Aristote ». En fa
seuls corps dont Aristote donne des exemples de vaporisation réelle
l'eau et le vin (à l'exception du vin doux). Pour lui, ce sont les seuls c
dont les vapeurs sont véritablement susceptibles de condensation.

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610 R. BERNIER

Aristote parle pourtant de


les exhalaisons sont congelé
(exhalaison humide qui prov
non-métalliques (exhalaison
roches (réalgar, ocre, minium
par une concentration de po
378a21-26). Ces roches ne son
or, cuivre). Ceux-ci viennen
suivie d'une congélation (mai
l'eau). Ils sont composés de
Aristote n'a cependant pas p
son humide qui produit les mé
étape du cycle de l'eau (Mét
ce dernier : de l'état liquide
nouveau à l'état liquide sous l'e
le refroidissement se poursu
nouveau en fusion si la chale
En ce qui concerne la liqué
sieurs reprises la fusibilité d
étain, plomb, verre, pierre
fait place à la possibilité qu
atteindre un état gazeux. Le
concerne ces corps sont la p
Il serait possible de poursui
fondement, les aptitudes-ina
logiques. Aristote y énumèr
l'aptitude et l'inaptitude. Les v
non fusible, malléable et no
flexible et non flexible, cassab
ou non à recevoir des emprein
et incompressible, étirable e
non fissile, sécable et inséca
aplatissable, combustible et i
(IV, 8, 385al0-18). Aristote e
expliquant chacune d'elles pa
Quoique les exemples préc
empruntés aux corps inanim
nature d'un corps à la propo
Au contraire, Aristote l'emplo
Il y a quelques années, Ber
éléments matériels (boue, vas
êtres produits par génération

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LA QUANTITÉ CHEZ ARISTOTE 611

ne joue aucun rôle spécifiant. Chez les organismes engendrés par reprodu
tion végétative ou sexuée, la situation est différente et le principe psychique
joue un rôle de plus en plus spécifiant au fur et à mesure que l'on s'élève dans
la hiérarchie des vivants. Cependant, Aristote a toujours soutenu que l'âm
de chaque vivant correspond à un corps d'une nature déterminée (D. A.,
2, 414*22).
Plus récemment (Bernier, 1995, sp. p. 19-22), j'ai rappelé comment
Aristote tente de rendre compte de la formation des parties homéomères
animées en montrant le rôle qu'y jouent l'eau, la terre, l'air et le feu. Je me
permets de citer un passage de cet article :

D'après Aristote, le cœur est le premier organe formé ; il est le principe des
vaisseaux [Des parties des animaux (= P. A.), II, 9, 654bll] et il élabore le sang
[II, 1, 647b 5-6]. Les fibres du sang sont d'origine terreuse et le sérum, qui est
tout le reste du sang, est d'origine aqueuse [P.A., II, 4, 650b 18]. Du sang se
forment les chairs qui se condensent sous l'action du froid [G. A., II, 6, 743a
8-10] ; puis les tendons et les os se forment des chairs par dessèchement de
l'humidité, sous la chaleur [G. A., II, 6, 743al7-18]. La peau se forme par
dessèchement de la chair [G. A., II, 6, 743b5-7] : ongles, poils et cornes viennent
de la peau [G. A., II, 6, 745a20-21].
Le sang est également à l'origine des résidus que sont la graisse et le suif qui sont
les corps huileux qui participent de l'air et du feu [P.A., II, 5, 651a 20-25]. Le suif
est terreux avec peu d'eau car il se fige [P.A., II, 5, 651a27-29]. Semblable à la
graisse et au suif est la moelle des os, provenant également du sang [P.A., II, 6,
651a22-24]. Le sang produit aussi, après coction, le résidu séminal, tant chez la
femelle que chez le mâle, à cette différence près que chez la femelle, en raison
d'un degré de chaleur inférieur à celui qui existe chez le mâle, le résidu est moins
pur [G. A., 1, 19, 728al8-21], de sorte qu'il ne peut transmettre la forme. (Bernier,
1995, p. 21).

Aristote avait remarqué que certaines parties de l'organisme ont des


propriétés différentes lorsqu'elles sont intégrées au corps et lorsqu'elles en
sont séparées, par exemple le sang est fluide dans le vivant mais il se coagule
dès qu'il s'écoule du corps. Ce sont d'une part la chaleur intrinsèque à
chaque vivant et d'autre part l'organisation même des homéomères et des
anhoméomères qui permettent de rendre compte de ce phénomène.
Aristote a distingué dans le cas de l'homme les aptitudes intellectuelles
et morales qui exercent leur activité sans le secours d'aucun organe (D. A.,
II, 1, 413a5-7) et celles qui exercent leur action par un organe corporel
comme les puissances végétatives (de nutrition, accroissement, reproduc-
tion) et les puissances sensitives (sensibilité, appétit, locomotion). Il est
impossible de faire ici une revue complète de toutes les aptitudes du vivant
corporel. Je me contenterai de rappeler la nécessité, pour Aristote, que les
organes soient composés du - ou des - élément(s) le plus adéquat(s) à
l'exercice de leurs fonctions (voir Bernier, 1995, p. 193) et d'examiner

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612 R. BERNIER

brièvement le cas des puiss


des organes corporels donc
Aristote a toujours soutenu
et le sensible. Or comme les
plus loin), il est nécessaire
éléments. Le tact est lié à la
vue à l'eau, l'odorat au feu
La sensation implique un c
de l'organe. Pour Aristote, al
et/ ou eau) et que l'odorat tie
diaire peut être l'air ou l'eau)
contact direct avec la chair (
(1991 : 450-453) soutient qu
sujet et que le livre III, 13 d
contact) représente une p
Aristote considère la chair co
sensoriel situé près du cœ
variation d'opinion entraîne
et supprimerait la question d
l'un d'eux (vue ou toucher)
Il me paraît superflu de p
aptitudes. L'identification d
propriétés peut paraître tr
ou au bio-chimiste moderne
cuivre, l'étain fondent à la ch

11. La position d'Aristote est dif


l'odorat qui est associé à l'eau et à l
organes des sens.
12. Etant donné que l'organe des s
connaissait lui-même. Il a répondu
entre le sens et la qualité de l'objet
de l'organe. Si l'objet possède les q
senti.
13. Voir Sorabji (1971, spéc. p. 69
Aristote dans la définition du touc
part, et Johansen (1996) pour ce
(1996).
14. D'autres auteurs ont également tenté d'établir une évolution de la pensée d'Aristote à
ce sujet. Selon Kahn (1966, p. 47 et 51) le D.A. serait antérieur aux Parva Naturalia et aux
traités biologiques RA. et G. A. Selon cet auteur, le D.S. serait la continuation du D.A. Slakey
(1961) dans son étude de la perception dans le D.A. et le D.S. a soutenu qu'Aristote est passé
d'une position où la perception n'est que le changement de l'organe sous l'action du sensible
(chaleur, couleur, etc.) sans véritable phénomène psychique, à une position où il établit une
distinction entre l'effet du sensible sur le corps qui est le « medium » de la perception et son effet
sur l'âme qui est la perception même (D.S., 436b7).

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LA QUANTITÉ CHEZ ARISTOTE 613

en vertu du fait qu'ils se solidifient au froid que l'on peut dire que l'urine, le
vinaigre, la lessive, le sérum du sang sont, eux aussi, à base d'eau ( Météo
IV, 10, 389a7-ll). On doit dire que le mode de raisonnement que l
physico-chimistes expérimentalistes d'aujourd'hui utilisent est assez sem
blable à celui qu'employait Aristote : aller des propriétés à l'identification du
corps. Sauf que le tableau des éléments comporte aujourd'hui 110 élémen
(offrant la possibilité de synthèses innombrables) alors qu'Aristote n'e
possédait que 4 pour rendre compte de tous les corps de la nature, tan
animés qu'inanimés. Le jeu de toutes les combinaisons possibles des
éléments était rendu encore plus difficile par le fait que deux d'entre e
sont des éléments passifs (sec et humide) alors que les deux autres (froid
chaud) sont actifs. Aujourd'hui, personne ne reconnaîtra de valeur scien
fique aux explications proposées par Aristote, p. ex., celles relatives à
formation des métaux et des roches non-métalliques par les exhalaisons
l'eau et de la terre. Ce qui est intéressant, c'est l'idée de base qui demeur
valable : la quantité des composants est à l'origine des propriétés.

2. Rôle de la quantité dans la détermination des qualités sensibles

Dans les Catégories , ch. 8, Aristote caractérise les qualités sensibles


comme les causes des modifications des organes sensoriels. Etant donné q
pour lui, ces qualités sensibles possèdent une existence objective, comme
l'ai mentionné plus haut, elles nous révèlent certains aspects de la nature
convient donc de se demander si chaque corps matériel possède l'ensemb
des qualités sensibles. Aristote répond par la négative.
Les seules qualités sensibles universelles i.e. qui appartiennent à tous l
corps y compris les corps simples que sont les quatre éléments, sont l
qualités tactiles : chaud et froid, sec et humide et, conformément à l'id
exposée précédemment, il est normal que la proportion des éléments da
un mixte soit à l'origine des qualités tactiles de ce mixte.
Les autres qualités sensibles n'appartiennent pas à l'universalité des
êtres corporels. Selon Aristote, les éléments mêmes seraient insipides
inodores et seul le mélange a de la saveur. La pierre et l'or sont insipides
inodores ; les scories des métaux n'ont pas d'odeur alors que le bois est
odorant et a de la saveur ; le bronze et le fer sont odorants ; l'argent et l'éta
ont plus d'odeur que certains métaux et moins que d'autres (D. S.,
443a9-21). De même, les qualités sonores n'appartiennent pas à la totali
des corps matériels. Alors que l'airain et tous les objets durs et lisses so
sonores, i.e. qu'ils peuvent produire un son en acte dans le milieu interm
diaire à l'objet sonore et à l'ouïe, l'éponge et la laine, elles, sont insonore
(. D . A ., II, 8, 419b6-9).

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614 R. BERNIER

Le cas de la couleur pourrai


couleur appartienne à l'univ
appartienne à tout corps qui
corps (D. S., 3, 439a30). Comm
sont diaphanes (D. A ., II, 7,
mêmes. La couleur est vue à travers eux.
Chez les corps qui les possèdent, les qualités sensibles oscillent entre les
contraires : blanc et noir, doux et amer (tant pour le goût que pour l'odorat),
aigu et grave. Entre les extrêmes, se situent les intermédiaires. La qualité
sensible d'un corps dépend de la proportion des extrêmes qui le constituent,
par exemple du doux et de l'amer. D'où viennent le doux et l'amer ? Aristote
ne le dit pas. Il semble que ce soient des propriétés émergentes qui appa-
raissent avec les mixtes.
On doit donc considérer deux niveaux de détermination quantitative des
qualités sensibles : 1) celui des qualités tactiles des éléments composants ; 2)
celui des autres qualités sensibles, celles qui apparaissent avec les mixtes :
odeurs, saveurs, sons, couleurs. J'examinerai successivement chacun de ces
deux niveaux.
1. Dans les éléments . Dans G. & C . (II, 2, 329b9), Aristote privilégie,
dans la composition des corps sensibles, les qualités d'ordre tactile. A la suite
des Présocratiques et de ses contemporains, Aristote accorde une impor-
tance particulière aux qualités tangibles en raison du fait qu'elles sont les
qualités du corps en tant que corps : le chaud et le froid, le sec et l'humide (D.
A., II, 11, 423b26-28). Elles sont les qualités des éléments : eau (froid), air
(humide), terre (sec) et feu (chaud). Selon lui, « ni la blancheur et la noirceur,
ni la douceur et l'amertume, ni aucune autre opposition sensible ne constitue
un élément » (G. & C ., II, 2, 329bl0-12).
Le chaud et le froid, le sec et l'humide sont les qualités primaires alors
que les autres qualités tactiles en sont dérivées : le fin relève de l'humide,
l'épais du sec, le mou se rattache à l'humide, le dur et le solide relèvent du
sec. Le mouillé relève de l'humide. Toutes les différences peuvent être
ramenées aux 4 premières qualités : chaud, froid, sec, humide (G. & C., II, 2,
329b31-330a29). Ces qualités se définissent par les actions qu'elles exercent
et qu'elles subissent (G. & C., II, 2, 329b21-23). Au contraire, le lourd et le
léger ne sont ni actifs ni passifs (G. & C., II, 2, 329bl9-20).
J'ai déjà signalé (Bernier, 1995) que les qualités attribuées à chacun des
éléments étant généralement doubles (p. ex. chaud-sec ou chaud-humide),
Aristote utilise tantôt l'une des qualités des éléments, tantôt l'autre. Ainsi,
alors que l'humide est souvent attribué à l'air, dans Mètèor ;, il appartient à
l'eau. « Parmi les éléments c'est à la terre que s'applique plus spécialement le
terme de sec, et à l'eau celui d'humide. C'est pourquoi tous les corps sans
exception qui sont délimités ici-bas ne peuvent l'être sans terre et sans eau.

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LA QUANTITÉ CHEZ ARISTOTE 615

Suivant que l'un des deux éléments l'emporte, chaque corps se présente
avec la qualité correspondante » ( Météor. ;, IV, 4, 382a3-4) et plus loin
« Parmi les qualités des corps, celles qui nécessairement appartiennent e
premier lieu au corps délimité, sont la dureté et la mollesse. Car ce qui e
fait de sec et d'humide est nécessairement dur ou mou. Est dur ce dont la
surface rigide ne se laisse pas enfoncer ; est mou ce qui cède... » (Météor., IV,
4, 382a8-10).
La totalité des êtres matériels possède donc l'une ou l'autre des qualités
de chaud et de froid, de sec et d'humide. Dans le cas des mixtes, les qualités
tactiles reflètent, d'après Aristote, les qualités des constituants.
Aristote avait déjà soutenu dans G. & C. la distinction entre les éléments
actifs (chaud et froid) et les éléments passifs (sec et humide). Dans les
Météorologiques , il applique de façon systématique l'opposition matière-
forme à l'opposition éléments passifs / éléments actifs. Si Aristote considère
que ce sont le chaud et le froid qui jouent un rôle actif dans l'être corporel
alors que le sec et l'humide jouent un rôle passif, c'est parce que ce sont le
chaud et le froid qui sont à l'origine des corps et qui produisent soit la
génération, soit la corruption, ainsi que les états des corps, comme je l'ai
montré plus haut. Dans un grand nombre de textes, Aristote considère le
chaud et le froid comme étant la cause d'un corps soit en éliminant l'humi-
dité soit en desséchant un solide, par exemple un os ou de l'argile, etc. De
même, c'est le froid qui congèle les exhalaisons et forme les métaux et les
pierres non-métalliques. Aristote utilise souvent l'idée de détermination par
le froid ou par le chaud ; ainsi dit-il que le sec et l'humide qui sont contenus
dans la terre et l'eau « sont déterminés par le froid » (Météor., IV, 11,
389a31-32) ou par le chaud. Qu'est-ce que cette détermination : est-ce une
action productrice ou une qualification inhérente ? Le froid externe qui
refroidit l'eau jusqu'à la congeler devient aussi à ce moment une caractéris-
tique intrinsèque de la glace. La même question se pose en ce qui concerne la
chaleur. Comment distinguer la chaleur qui produit et la chaleur inhérente à
ce qui est produit ? C'est que, pour Aristote « dans tous les corps qui sont
passés au feu, il reste toujours de la chaleur en plus ou moins grande
quantité » (Météor., IV, 11, 389b3-5).
Aristote distingue la chaleur interne ou intrinsèque et la chaleur externe,
provenant du milieu. Dans le chapitre 1 du livre IV des Météorologiques , il
considère surtout la chaleur du vivant, celle qui opère la digestion, la
coction, la maturation, etc. C'est la chaleur interne qui détermine la consis-
tance du corps par son action sur la matière : la solidité des os, le caractère
fluide du sang, etc. C'est également elle qui assure la maturation des fruits
dont le terme est la production de la semence, fin du végétal. Pour Aristote,
en effet, la fin de tous les composés naturels est la décomposition, la
corruption, la putréfaction (destruction naturelle). Mais il soutient aussi que

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616 R. BERNIER

la putréfaction est une corr


chaleur étrangère ( Météor
Il me semble y avoir une c
comme cause active alors qu'
aux éléments passifs que so
élément comme lui-même c
pour le feu, la matière serait l
la matière serait également le
pas possible de considérer le
du froid non plus que de cons
sec et de l'humide. Je crois qu
pas au niveau des élément
homéomères, car la générati
donné le sec et l'humide
sont
suite, ce sera le chaud et le f
humide. En un tel cas, le cha
de forme puis celui de sujet
contraires de King (1956), Ch
l'interprétation traditionnel
des qualités sensibles est la m
chaud et le froid jouent succe
sujet.
L'opposition entre les éléments passifs et les éléments actifs ne peut
exister qu'au niveau des homéomères, corps complexes dans lesquels
entrent généralement les quatre éléments. Les éléments passifs jouent alors
le rôle de matière par rapport à la forme, mais il est également possible de
dire qu'ils jouent souvent le rôle de matériau au sens moderne du mot en
raison du fait qu'ils sont les seuls corps « simples » identifiés à l'époque.
2. Dans les homéomères . Tout comme la proportion des qualités tactiles
(du chaud ou du froid et du sec ou de l'humide) qui constitue un corps
simple fait qu'il est l'un ou l'autre des deux extrêmes, ainsi en est-il pour le
cas des homéomères. Que le corps soit simple ou complexe ne modifie pas le
principe qui régit les qualités sensibles : elles sont toujours relatives à la
proportion des qualités des éléments constituants.
Par contre, les homéomères permettent l'émergence de qualités sensi-
bles qui n'existent pas chez l'élément : saveur, odeur, son, couleur. Kucharski
(1954) a fait une intéressante étude du rôle de la proportion des parties dans
les couleurs, les saveurs et les sons chez Aristote. Il signale, par exemple, que
dans le cas des couleurs, le Philosophe croit qu'il peut y avoir un mélange de

15. Ces auteurs soutiennent que la notion de matière première n'appartiendrait pas à
Aristote mais proviendrait de la tradition postérieure. Pour eux, la matière première désigne les
éléments. Je reviendrai plus loin sur la question.

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LA QUANTITÉ CHEZ ARISTOTE 617

blanc et de noir (les contraires dans le genre des couleurs) selon


proportion de 3/2 ou 3/4 (D. S., 3, 439b25-28). Il peut aussi y avoir
mélange selon une différence arithmétique (ibid., 440b 18-21). Les cou
les plus agréables sont les couleurs en nombres proportionnels ( ibid ., 44
3). Les parties qui, par excès ou défaut, n'ont aucun rapport numériqu
incommensurables ( ibid ., 439b29-31 ; voir aussi Sorabji, R., 1972).
Les saveurs seraient formées par un mélange du doux et de l'amer
des rapports commensurables ou incommensurables qui sont à l'origi
caractère agréable ou désagréable de la sensation (D. S., 4, 442al
Kucharski (1954 : 376) suppose qu'Aristote se serait inspiré des accord
intervalles musicaux pour élaborer son idée de commensurabili
d'incommensurabilité. Il parle même (ibid. : 375) d'une « loi quantit
générale régissant tous les mélanges ». Selon lui (ibid., p. 383), cette
quantitative « est calquée sur la théorie de la musique, d'inspiration p
goricienne, telle qu'elle s'est constituée dans le ive siècle ». Toujours
Kucharski (ibid. : 384-385), il s'agirait, de la part d'Aristote, « d'une t
tive très hardie de ramener des phénomènes qualitatifs hétérogène
appartenant à des classes différentes à un schème explicatif commu
plus remarquable, c'est que l'explication imaginée pour en rendre ra
consiste au fond à réduire la qualité à la quantité, en substituan
différentes qualités de même genre un mélange de composants ident
dont le rapport est variable ».
Il semble cependant qu'Aristote ait limité à sept les espèces des différe
tes qualités 16. Il existe 7 espèces de saveurs. Les contraires (saveurs simpl
sont le doux et l'amer. Le salé dérive de l'amer. L'âpre, l'âcre, l'aigre,
sont des saveurs intermédiaires (D. S., 4, 442al7-19 ; cf. D. A ., I
422b 10- 16).
Les 7 espèces d'odeurs ont comme extrêmes le doux (par exemple le
et le safran) et l'amer et comme intermédiaires l'aigre, l'âcre, l'acide,
tueux (D. A ., II, 9, 421a26-30) 17. Pour Aristote, les odeurs tirent leurs n
des saveurs (D. A., II, 9, 421a31-bl) car l'odeur et la saveur sont à peu p
même affection (D. S., 3, 440b 28-29) 18.
Pour les couleurs (voir Kucharski, 1954), les contraires sont le blanc et
noir (liés, d'après Sorabji, 1972 : 293, le premier au feu et le second à la te
et les intermédiaires sont le fauve, l'écarlate, le pourpre, le vert et le ble
S., 4, 442a20-25). En ce qui concerne les sons, les contraires sont l'aigu
grave (cf. D. A ., II, 8, 420a30-31 ; D. A ., II, 11, 422b23-25) et les inte

16. On peut s'interroger sur la signification de ce nombre sept qui était un nombre-c
pythagorisme.
17. L'énumération varie dans le D.S. où Aristote parle des odeurs douces, rudes, f
grasses, fétides (D.S., 5, 443b9-10).
18. Voir à ce sujet Johansen (1996).

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618 R. BERNIER

diaires dépendent des diffé


1972 : 295), tout comme les
Dans les cas du goût, de l
correspond à un seul couple d
Aristote a distingué les qua
5., 3, 439b23-27) qui sont : le
le léger, le dur et le mou, le
et le fin (G. & C ., II, 2, 329
En conclusion, on remarq
nature ont toutes comme sou
corps qu'elles qualifient.

3. Rôle de la quantité dans l

Puisque les notions de form


et de continuité, elles ne relè
nombrable mais bien plutôt
Le rapport entre la quanti
figure-forme est ontologique
ces notions ne peuvent êtr
Catégories (6, 4b20sq.), Ar
dont les parties ont une posi
surface, le solide, le lieu et le
La continuité peut porter
cas de la ligne ; sur deux dim
surface ou superficie, sur tr
ou épaisseur) et c'est le cas
grandeur, dit Aristote (Du
Toute grandeur implique d
implique une grandeur qu
demander comment Aristot

19. « Les théoriciens grecs de l


consonant que la quarte, la quinte
plusieurs octaves, par la somme d
somme de l'octave ou de plusieurs o
rapports sont commensurables (auf
des couleurs ou des saveurs ; ils son
àvápLioCTTOv) dans le cas des sons
20. O'Brien (1978 : 27) a voulu
employée par les traducteurs. Selon
appartiennent à la physique alors
seraient réservés à la géométrie.

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LA QUANTITÉ CHEZ ARISTOTE 619

pertinent qu'il considère que c'est la figure qui donne à toute chose
qualification et que tout être a une figure. C'est par la figure que la grandeu
est connue.

De même que la quantité discrète a fait l'objet d'une part, de l'ar


tique et de la théorie des nombres et d'autre part, de la physique, par l
des nombres des composants des corps physiques, ainsi la quantité c
(grandeur et étendue) fera également l'objet de la géométrie et de la
que. Aussi bien en géométrie qu'en physique, deux questions se pos
comment Aristote définit-il la forme-figure ; 2) quelle est l'origin
forme-figure ?
Dans le but de respecter la démarche aristotélicienne, qui pren
bases dans la connaissance du monde sensible, j'examinerai ces deu
tions telles qu'elles relèvent de la physique, pour voir ensuite conne
sont traitées en mathématiques.
1. Définition de la forme-figure dans l'être physique . Aristote e
explicite sur le sujet. On trouve toutefois dans l'étude du lieu que
considérations intéressantes. Aristote commence (. Phys ., IV, 2) par
les conceptions de ses prédécesseurs, surtout Platon, selon lesquelle
semble être, en un premier sens, la forme de chaque corps ou encore, e
deuxième sens, la matière du corps, i.e. l'étendue entre les formes.
soutient que « le lieu ne saurait être ni la matière ni la forme, m
différent de ce qu'il contient ; car la matière et la forme sont parties c
tuantes de ce qui est dans le lieu » (Phys., IV, 3, 210b29-31). Il rej
deux conceptions comme définition du lieu mais il s'en inspire cep
pour préciser la notion de figure du corps. Ainsi apparaissent les no
contenant (p. ex. amphore) et de contenu (le vin) comme constituant un
(amphore de vin). Mais « autre est la définition du contenant, autre
contenu » (Phys., IV, 3, 210bl6).
Le lieu n'est rien de la chose, mais est « l'enveloppe première de
il est le lieu » (Phys., IV, 4, 210b34-211al). Il faut distinguer l'env
détachée du corps et qui est simplement en contact avec le corps (le
l'enveloppe non détachée du corps, continue avec lui. Si l'envelopp
détachée, le corps est immédiatement à l'intérieur de la surface ext
cette enveloppe qui n'est pas plus grande que le corps mais lui est égale
les extrémités des choses en contact sont jointes » (Phys., IV, 4, 211
« Les extrémités de ce qui enveloppe et de ce qui est enveloppé so
mêmes... ce sont là deux limites mais non du même être ; la forme
chose, le lieu, du corps enveloppant » (Phys., V, 4, 211b 10- 14). Fina
le lieu est défini comme la limite du corps enveloppant, alors que l
enveloppé est celui qui est mobile par transport (Phys., V, 4, 212a5-
loin, le lieu est défini comme la limite immobile immédiate de l'en
(ibid., 212a20-21). « Le lieu paraît être une surface et comme un va

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620 R. BERNIER

enveloppe. En outre le lieu e


(ibid., 212a2830).
La figure d'un corps appar
renferme la grandeur du corp
Il faut maintenant voir co
forme. Rappelons que pour
actifs (le chaud et le froid) et
admettre que, puisque « l'hu
reçoit facilement les limites
naturelles bien tracées mais n
& C ., II, 2, 329b29-31), seul
je l'ai montré plus haut (p. 607
sous l'action de la chaleur q
corps, soit sous l'action du f
condensation (réf. aux Mété
chaud ou le froid qui reçoiv
emprunte ses exemples de fig
la grandeur mesurable selon
profondeur - ou l'épaisseur
connues que de façon déri
contenu.

Aristote a peu traité de la figure des corps inanimés, probablement


que ceux-ci sont des homéomères dont toutes les parties sont ident
où se justifie mal l'existence d'une configuration plutôt que d'une autr
figure ne peut alors apparaître que sous l'action d'agents externes
même : pluie, vents, érosion, etc. Le Philosophe admet cependan
surface de l'eau au repos est sphérique (Z). C., II, 4, 287b4-14) parce
se rassemble autour du centre.
Ce n'est vraiment que dans le cas des êtres animés que la figure prend
toute son importance. Cette figure provient de la nature même du vivant et
est en très étroite relation avec le milieu où vit l'animal (et possiblement aussi
les plantes), car pour Aristote, l'organe est tel en vue de la fonction qu'il doit
exercer. C'est donc surtout dans les traités biologiques qu' Aristote traite de
la figure.
2. Origine de la forme-figure chez le vivant . L'étude précédente des
phénomènes d'augmentation et de diminution de la quantité concrète chez
le vivant (p. 604-605) a déjà mis en évidence le rôle de l'âme. Aristote dans le
Z). A . (spécialement II, 4), a analysé les 3 fonctions de nutrition, accroisse-
ment et reproduction que possède tout vivant (exception faite de la dernière
pour certains organismes nés par génération spontanée). Joachim a proposé,
je l'ai signalé, une interprétation fort intéressante du contrôle que l'âme
exerce sur le développement à la fois quantitatif et morphologique des

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LA QUANTITÉ CHEZ ARISTOTE 621

organes. Pour lui, l'âme est exprimée dans la matière par la figure, le p
structural ou le type de proportions des organes et de l'organisme. On pe
signaler que cette interprétation dépasse les textes d'Aristote mais je cr
cependant que ceux-ci la justifient. Aristote dit bien, en effet, que c'est l'âm
qui contrôle la forme des organes afin que ceux-ci soient en mesure d'exercer
leurs fonctions vitales y compris la reproduction.
Aristote a cependant établi une profonde distinction entre les organis
mes apparus par génération spontanée et ceux nés par reproduction asexu
ou sexuée. Dans leur article de 1989, Bernier et Chrétien ont analysé le r
que jouent la forme et la matière chez les différents vivants. Elles ont mont
que, au niveau des organismes produits par génération spontanée, l'âme e
le principe de vie, mais que c'est la nature des éléments matériels constituant
le vivant qui détermine la nature du vivant. Le principe psychique n'est
spécifique ni spécifiant. La situation change lorsque l'on s'élève dans la
hiérarchie des vivants. A partir des organismes qui se reproduisent, il y a un
continuité entre l'organisme souche et les êtres engendrés et cette continuit
spécifique est assurée par l'âme qui joue alors un rôle spécifiant aussi bie
dans les cas de reproduction asexuée que dans ceux de reproduction sexué
En ce qui concerne les organismes qui apparaissent spontanémen
Aristote n'a pas véritablement traité les problèmes que présente leur mo
phogenèse. On ne trouve pas non plus d'explication relative aux limitatio
de la quantité. « On n'a, par exemple, aucune information relative à la
quantité de matière nécessaire pour la production d'un organisme donné.
fait qu'un limon bourbeux produise des huîtres et un limon sablonneux d
conques ne nous donne pas la raison de la production d'un organisme uniq
plutôt que de plusieurs organismes, ni la raison de la dimension (ou de
quantité de matière) de l'organisme produit. Pourquoi les puces sont-el
minuscules et les anguilles sont-elles de dimension respectable alors qu'el
sont, selon Aristote, également produites par génération spontanée » (Be
nier et Chrétien, 1989 : 22). Rappelons que la plupart du temps, ces organ
mes ne se reproduisent pas.
D'autre part, chez les organismes qui se reproduisent, que ce soit de
façon asexuée ou sexuée, la morphogenèse est dirigée par l'âme « primaire
ou végétative. L'âme qui intervient dès les toutes premières étapes
l'ontogenèse est toujours forme spécifique du vivant qu'elle anime et c'e
elle qui dirigera ici le développement du bec de tel oiseau, là les glande
mammaires de tel mammifère (différentes, p. ex. chez la jument et la truie),
etc. C'est donc l'âme qui est à l'origine des formes vivantes.
J'ai déjà examiné l'ontogenèse du vivant et je renvoie à mon article d
1995 où j'ai analysé le rôle de la quantité dans la détermination de
structure de l'organisme. J'ai signalé combien Aristote était conscient d
l'allométrie que présentent les structures morphologiques, soit au cours

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622 R. BERNIER

l'ontogenèse, soit chez les re


genre (voir Bernier, 1995 ;
l'idée de différences selon le
moins ne relèvent pas de la
particulièrement aux notions
remarqué (Bernier, 1995 : 31
giques impliquent toutefois de
en partie de la position des pa
d'après Aristote, appartient
Ce qu'il faut chercher à com
structuration propre d'un or
gie particulière. Il faut prend
qui constituent un organe (e
cet organe (p. ex. seul le liqu
peut former les os). Ces é
l'organe 21 . Mais il faut égale
considère que tel organe a tell
p. ex. les os doivent être ri
Jusque-là, il n'y a pas d'oppo
Dans le cadre d'une biologie
été modifiés au cours des si
adaptés à un milieu donné, i
pas un « but à atteindre » ou
logique mais bien plutôt de
donc de mutations non orie
mais dont la sélection ne co
Dans le cadre de la biologie
ment différente car les espèc
stables. Comment faut-il al
formation des organes et, en
parler d'une finalité intention
connaissance d'un but à atte
d'atteindre cette fin ? Une
l'organisme végétal ou anim
dans l'hypothèse où une Inte
en fonction d'une fin à réal
difficulté surgit toutefois pou
pas appel à une création. La

21. Mais cette âme utilise les mat


croit que les animaux qui vivent dan
alors que, au contraire, les oiseaux
Aristote, De la respiration , 13, 47

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LA QUANTITÉ CHEZ ARISTOTE 623

n'en est pas une de créature à créateur mais de mobile à moteur. Pour
Aristote, et la matière et les formes sont éternelles. Il est donc difficile
parler de finalité intentionnelle quoique certains commentateurs aient c
possible de le faire, mais cela déborde les cadres de la physique et débouc
sur une théologie naturelle. La finalité conçue par Aristote correspond à
finalité de fait dont a parlé Cuénot (1941) : la constatation d'un lie
harmonieux entre une structure et une fonction. Dans un contexte fixiste
comme celui qu'imagine Aristote, où les espèces sont stables et éternelles,
une telle finalité ne peut présenter aucune valeur explicative. La stabilité des
espèces supprime la question de la construction des structures qui ont
toujours été et seront toujours adaptatives. L'âme qui dirige la construction
des formes à un moment donné est spécifiquement identique aux âmes des
individus passés de cette même espèce éternelle. On n'a donc pas de vérita-
ble réponse à la question de l'origine de la forme-figure, ni dans le cas de la
génération spontanée puisqu'Aristote ne traite pas de la morphogenèse des
organismes qu'elle produit, ni dans les cas de reproduction asexuée ou
sexuée puisque les espèces sont éternelles. La finalité est constatée, mais il
est impossible de savoir si la cause finale a joué quelque rôle dans l'élabora-
tion des formes des vivants. Le fait de soutenir l'éternité de la matière et de
la forme ne permet pas d'expliquer un type particulier d'organisation.
Comme Aristote considère que les variations individuelles soit quantita-
tives, soit qualitatives (altérations) n'affectent pas la forme spécifique au
point de la modifier, il n'offre de véritable explication ni des formes ni des
structures.

L'idée de donner à la cause finale une antériorité par rapport à la ca


matérielle est inacceptable. L'être est donné en bloc, dans sa globalit
totalité. L'âme primitive dirige la construction de la forme-figure à la fois
fonction de ce qu'elle est, de la matière qu'elle informe et des foncti
qu'elle doit exercer.

II. De la physique à la géométrie

Il est nécessaire de distinguer, dans l'analyse aristotélicienne de la form


figure des corps matériels, ce qui relève d'une connaissance physique e
qui relève d'une connaissance mathématique. Aristote a souvent pris com
exemple d'une figure susceptible des deux types de connaissance, le cam
propriété physique qui appartient essentiellement au nez, i.e. qui impl
forcément ce support matériel (voir Balme, 1984), et la concavité (ou
courbe géométrique) qui n'implique pas un support matériel particulie
qui peut, p. ex. appartenir à la ligne aussi bien qu'au nez camus.

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624 R. BERNIER

L'étude de la figure relève en


second temps (selon un or
relève de la physique parce
ment. Je l'ai signalé plus haut
façon considérable au cours d
changement morphologiqu
physique sont ancrées dans l
géomètre sont abstraites du
de la physique ou philosophi
duelles mais conserve la ma
figure physique est perçue gr
abstraction d'une couleur part
surface ou de corps colorés. La
tion de toutes les qualités se
qu'Aristote appelle la « mat
Philippe, 1948, Hussey, 1983
Selon Mueller (1970), ce qui
bles est le quantitatif et le con
3, 1029al2-18 le fondement
(étendue ayant une, deux ou t
(rectilinéarité, triangularité, e
le principe d'individuation d
que ce qui est atteint au term
individuantes (la matière int
La matière intelligible ne peut
qu'au sens de « sujet » indi
longueur, la largeur et la pr
individuelles. De plus, il m
matière intelligible qui soit p
objets géométriques, opposé
Jones 23.
Les trois dimensions du quantitatif (longueur, largeur, profondeur)
sont, d'après Mueller (1970), des propriétés plus fondamentales que les
autres propriétés. Cet auteur en conclut donc (1970 : 166) qu'Aristote aurait
considéré la dimension (ou peut-être l'étendue ou à tout le moins le continu)

22. Il existe également plusieurs articles sur la philosophie des mathématiques d'Aristote
qui débordent le cadre de mon analyse de la grandeur. Je renvoie le lecteur intéressé à Mueller,
1970, Hussey, 1991, White, 1993, Lear, 1982, Mansion, 1946, Annas, 1987, Barreau, 1992,
Granger, 1969.
23. Cleary (1994 : 59) a examiné la possibilité que la matière intelligible joue un tel rôle
d'individuation, mais il semble toutefois l'exclure car elle lui paraît entrer en conflit avec
certaines positions d'Aristote.

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LA QUANTITÉ CHEZ ARISTOTE 625

comme étant à la base des autres propriétés sensibles du monde physique 24.
Quoique le géomètre considère les propriétés géométriques comme sépar
des choses physiques, les objets géométriques n'en sont pas moins d
composés de ces propriétés et de la matière intelligible, comprise comm
l'étendue. Nous ne voyons pas l'étendue pure, mais toujours l'étend
avec une certaine forme. L'étendue pure est atteinte de façon rationnelle
c'est sur elle que, d'après Mueller, les propriétés géométriques sont imp
sées, ce qui fait que les objets qui en résultent sont plus intelligibles q
sensibles. Annas (1975 : 30) trouve que cette distinction proposée p
Mueller, entre l'objet (étendue) et les propriétés qui lui sont imposées, e
intéressante mais constitue une reconstruction qui outrepasse les textes
Philosophe.
Aristote a voulu fonder sa distinction de la physique et des mathémat
ques sur les degrés d'abstraction. Il existe plusieurs études relative
l'abstraction comme source des différents niveaux de connaissance. Voir
spécialement Philippe (1948), Mansion (1946), Cleary (1985), Annas (1987)
et Modrak (1989). L'abstraction des qualités sensibles individuelles permet
d'obtenir la notion de solide ou de corps à 3 dimensions (profondeur, largeur,
longueur). L'abstraction de la profondeur où de l'épaisseur nous laisse avec
la surface, à deux dimensions (largeur et longueur) ; par la suite, l'abstrac-
tion de la largeur conserve la dimension unique (longueur) de la ligne. Enfin,
l'abstraction de toute dimension permet d'atteindre le point (cf. Mueller,
1970 : 166 ; Hussey, 1991).
D'après Mansion (1946) et également d'après Annas (1987), l'abstrac-
tion n'est pas un critère suffisant pour distinguer physique et mathémati-
ques car le même intelligible, la matière étendue conserve la corporéité, ce
qui aurait comme conséquence que les mathématiques et particulièrement
la géométrie ne constituent pas une science distincte de la physique car
« l'étendue, en effet, qu' Aristote appelle grandeur (fiéysOoç) est sous-jacente
à tous les effets et à toutes les déterminations dont traite le géomètre, et c'est
en même temps un attribut commun à tous les corps de la nature » (Mansion,
1946 : 144). De sorte que « la tentative ď Aristote en vue de fonder la
distinction du physique et du mathématique sur les degrés d'abstraction
apparaît comme avortée » d'après Mansion (1946 : 169).
Etant donné que chez Aristote, les mathématiques comprennent l'arith-
métique et la géométrie, mon analyse devrait reprendre ici les principaux
éléments de la première partie de la section précédente consacrée à la
quantité discrète et traitant du nombre. Je renvoie le lecteur à ces quelques
pages qui contiennent l'essentiel en ce qui concerne le thème de mon analyse
et, pour un traitement plus approfondi de la question, à Heath (1949). Cette

24. Panza (1992) croit au contraire que pour Aristote le concept de continuité serait
antérieur à celui d'objet continu.

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626 R. BERNIER

précision étant faite, nous


l'origine de la figure en géo

A. Définition de la figure e

Heath (1949 : 89) signale q


tion universelle de la « figur
différentes variétés de figu
n'y a pas de figure en dehors
tives » (D, A ., II, 3, 414b21
Pour Mueller (1970), la dé
matière et la forme. Les lig
minée, i.e. la matière sur laqu
ce qui produit les figures
triangle, le cube, etc. Cette
parfois cette étendue (mati
ment matériel alors que la fi
est le genre des figures plane
ou telle surface, ou tel solide
(Méi., A, 28, 1024a36-b4, tr
Dans l'ordre de la grandeu
qu'il a 3 dimensions et est di
cas des autres grandeurs (D
premier et parfait parce qu'e
autres solides sont limités p
sphère est « la figure où tous
du centre » ( Mét ., Z, 8, 10
Au niveau des surfaces, c'es
à toutes les autres figures de
alors que les autres figures
286bl3-18 ; Heath, 1949 : 16
Les notions de surface et d
vement du corps les dimen
n'a ni profondeur ni largeur.
1949 : 193).

Bi Origine de la figure en géométrie

Après avoir tenté de cerner la notion de figure en géométrie, il faut se


poser la question de son origine, de ses principes. Je l'ai dit en traitant du
nombre, mais il en est de même en ce qui concerne les figures, Aristote ne
croit pas à leur existence séparée, contrairement à Platon (voir Robin, 1963 ;
Hussey, 1983).

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LA QUANTITÉ CHEZ ARISTOTE 627

La position d'Aristote en ce qui concerne les principes de la figure


loin d'être claire comme plusieurs l'ont souligné, particulièrement M
(1970). La question est discutée en référence au cadre platonicien des
Platon a-t-il soutenu l'existence d'Idées des figures géométriques ? D'
Ross, il l'aurait d'abord admis et ensuite atténué sa pensée en en faisan
« quasi-idées ». Aristote fait souvent référence à des intermédiaires
l'Idée et les êtres sensibles, qui seraient des substances intelligibles
des mathématiques). Mais d'après Cattanei (1995), il rejette cette thès
démarche d'Aristote n'est pas facile à suivre et d'après M. Isnardi- Pa
(1987 : 267), on ne peut expliquer comment les longueurs, surfa
solides, postérieurs aux Nombres, peuvent exister.
Aristote examine les thèses de ses contemporains : Platon, Speus
Xénocrate afin de voir comment est construite la grandeur. Il rappell
d'après certains, la ligne, la surface et le solide seraient produits à partir
espèces du Grand et du Petit : par exemple, ils forment les lignes du Lon
du Court, les surfaces, du Large et de l'Etroit, les solides, du Haut et du B
toutes choses qui sont des espèces du Grand et du Petit » (M
M, 9, 1085a7-12, trad. Tricot). D'après Tricot (note 3, p. 247 de tome
Mář.), Aristote aurait compris dans cette perspective que « la génération d
Grandeurs idéales se fait à partir d'un principe matériel (une espèce
Dyade indéfinie du Grand et du Petit) et d'un principe formel, analo
l'Un premier ». Mais Mueller (1970 : 256), pour sa part, soutient qu'Ar
aurait rejetté l'idée de considérer le Grand et le Petit comme étant
principes matériels.
D'après Xénocrate, « ceux qui reconnaissent l'existence des Idé
construisent les grandeurs à partir de la matière et du Nombre idé
longueurs, à partir de la Dyade, les surfaces, à partir probablement d
Triade, les solides, à partir de la Tétrade » (Mář., N, 3, 1090b20-23).
Isnardi- Parente affirme (1987 : 272) qu'il n'est possible de passer du nom
idéal aux grandeurs que si l'on ajoute la spatialité.
Mais ces considérations abstraites ne nous permettent guère de c
prendre comment est produite la grandeur, qu'elle soit continue, con
ou de succession.
Au départ, Aristote exclut que la ligne soit constituée de points ( Phys
IV, 8, 215bl9 ; IV, 11, 220al8-21 ; V, 6, 231a21-232a22) car les points ne
peuvent être ni continus, ni en contact, ni consécutifs les uns aux autres
puisqu'ils sont indivisibles. Or, pour Aristote, la grandeur continue est
divisible à l'infini en parties toujours divisibles (Phys., V, 6, 232b24-25) 25.
(On sait qu'il rejette la théorie atomiste.) Selon lui, il y aurait donc contra-

25. Pour ce qui concerne la notion de divisibilité infinie chez Aristote, voir Lear (1979-
1980) et plus récemment, Bolotin (1993). Pour une analyse de la continuité en Physique , VI,
voir Bostock (1995).

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628 R. BERNIER

diction à ce que le point so


continu au point, ni en con
(Phys., VI, 1, 231a26-27 ; cf
Il ne peut non plus être cons
entre les points alors que l
(Phys., VI, 1, 231a26-231bl0
la grandeur. Le point a cepe
1949 : 89). Il peut être une
231b9) ou une division de la
n'est faite de points, la sur
(Heath, 1949 : 174).
On peut alors se demande
n'est pas une succession de
qui soutiennent que ce n'
engendrer la ligne et être
mouvement engendre la su
comme semble l'accepter He
qu'Aristote accepte cet éno
Mueller (1970 : 166) a si
concerne co le point n'est pas
tés relatives à l'origine des
la physique car l'objet de re
superficie et le solide) exis
Granger (1969) et Barreau (
tote, dans son analyse du co
Hussey (1991 : 133) résum
(1970), « between a Platoni
Platonist ontology. Aristot
Mueller's words) « objects
perfectly fulfill given condi
but « is not willing to con
constructions dependant on h
White, 1993).

III. De l'être de la quantité

Cette analyse a rappelé que chez Aristote, dans la mesure où la grandeur


est sensible, elle est connue par le sens commun. La quantité continue,
perceptible selon 1, 2 ou 3 dimensions mais connue abstraction faite des
caractères individuels, est objet de la physique qui étudie la matière sensible
soumise au mouvement. Connue abstraction faite des qualités sensibles,

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LA QUANTITÉ CHEZ ARISTOTE 629

mais selon ses trois dimensions, i.e. en tant que matière intelligible, l
grandeur continue, sujet des propriétés géométriques, est l'objet de
géométrie. Mais la géométrie ne pose la question de l'être de la quantité
dans le contexte de la théorie platonicienne des Idées. Pour Aristote, ni l
nombres ni les figures n'ont une existence « idéale » au sens platonicien.
peut donc se demander avec Cleary (1994) de quelle discipline relève la
connaissance ontologique de la grandeur.
Un texte important pour la réflexion ontologique est précisément cel
de Mét ., Z, 3, 1029al6-18, mentionné dans la section précédente et qu
m'apparaît opportun de rappeler. Aristote y affirme que « si nous supp
mons la longueur, la largeur et la profondeur, nous voyons qu'il ne reste rie
sinon ce qui est déterminé par ces qualités : la matière apparaît do
nécessairement, à ce point de vue, comme la seule substance ». Ce texte,
Schofield (1972 : 99) a considéré comme « an inept glose », a été abondam
ment commenté. L'opinion de Schofield n'a pas été partagée par les co
mentateurs (cf. Stahl, 1981) dont les principaux sont Mueller (1970) et
Sorabji (1988). D'après ce dernier auteur, aucune des différentes interpré
tions qui ont été proposées de ce texte n'est totalement satisfaisante ; ce
défendue par Simplicius lui paraît la plus acceptable.
Se fondant sur un texte de Phys ., IV, 2, 209b6-12, où, dans son étude du
lieu, Aristote distingue l'étendue (SiàaxìQfxa) qui est définie par la form
(p. ex. une surface, s7U7ue8ov ou une limite 7répoc<;) et la grandeur ([iiyeOoç),
commentateur du VIe s. a.D. pense que l'étendue est identique à la matiè
première ou au sujet premier d'Aristote. Cette étendue pourrait recevoir une
longueur, une largeur et une profondeur déterminées ; elle peut être pensée
sans ses déterminations, mais cela ne signifie pas qu'elle existe sans se
dimensions. Aristote lui-même, en Phys. IV, 2, 209b6-9 compare la mati
à l'étendue : toutes deux sont indéterminées et indéfinies. Elles deviennent
déterminées par la forme. Pour Simplicius, la matière première peut être une
étendue indéfinie (Siáarrjjjia ou SiáaTaaLç) et ne pas avoir de grandeur
(fiiyeeoç).
Ce que, en certains textes, Aristote appelle matière correspond exacte-
ment à ce que, en d'autres textes, il appelle étendue. Si l'on veut arriver aux
principes de l'être matériel, on peut abstraire aussi bien des qualités sensi-
bles que des dimensions individuelles et spécifiques, mais on ne peut se
passer de l'étendue. La matière ou l'étendue reçoit ses déterminations de la
forme. L'étendue n'existe pas sans qualification, pas plus que la matière
première. L'étendue est toujours l'étendue de quelque chose, d'une nature.
Même au niveau des éléments, l'étendue de l'eau ne se confond pas avec celle
du feu, de la terre ou de l'air. Aristote nous dit que ce sont les qualités
élémentaires qui donnent existence à la matière première. Dans le cas du
vivant c'est la forme qui détermine la grandeur et lui donne sa configuration.

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630 R' BERNIER

J'ai signalé plus haut l'impo


donner telles structures et te
Une conséquence importan
l'étendue matérielle (i.e. la m
Simplicius distingue la dime
dère comme substance (oùai
ítzXcúç) qui est un accident (a
Philopon a également consid
catégorie substance et non
repose sur le fait que si l'éten
appartenir à la catégorie sub
Le texte de Mét , Z, 3, 102
montre bien qu' Aristote s'est
au sein de l'être de la natu
dimensions, cela met en évi
quantité. La tentation est gran
est identique à la substance
cette possibilité lorsque, dan
quantité par accident, il sout
tés par soi, les uns le sont c
des déterminations et des ét
1020al7-22).
D'après Sorabji (1988 : 8), l'idée de Simplicius de considérer l'étendue
comme le sujet dernier des propriétés d'un corps est parfaitement viable.
Sorabji soupçonne cependant qu' Aristote n'aurait pas consciemment pensé
que l'étendue puisse jouer les différents rôles de la matière première, i.e. 1)
être le sujet (Ù7roxeifjievov) fondamental des propriétés d'un corps et 2) être le
sujet, persistant dans le changement, d'un ensemble de propriétés. Insistant
sur le fait que, pour Aristote, l'étendue continue, au-delà des dimensions
(longueur, largeur, profondeur) est, tout comme la matière première dépour-
vue de toute forme, inexistante et imperceptible, Sorabji examine cependant
les difficultés que présente cette identification de l'étendue et de la matière
première. Il en conclut qu'elles impliqueraient la modification de certaines
thèses d'Aristote mais qu'elles ne sont pas insurmontables et que, en fin de
compte, cette identification serait parfaitement défendable.
Je crois que les remarques de Sorabji sont justes et qu' Aristote n'a pas
explicité l'identification de la matière et de l'étendue. S'il l'avait fait, il se
serait rendu compte de l'aporie que présente sa thèse de l'étendue comme
accident. Il y a effectivement des difficultés à poser une matière (substance
ou composante de la substance) au-delà de la grandeur continue considérée
comme accident. On se demande alors ce qu'est la matière si elle n'est pas la
grandeur continue.

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LA QUANTITÉ CHEZ ARISTOTE 631

La démarche d'Aristote permet de croire que la matière est l'étendue


elle ne peut à la fois être substance ou composante de la substance
accident. S'il y a identification de la matière et de l'étendue, il est nécessaire
d'accorder à l'étendue un niveau ontologique supérieur à celui d'acciden
Mais la distinction substance-accident ne correspond pas à une réalité ont
logique, mais à une catégorie épistémologique. La notion de substance e
exigée pour expliquer le changement ; elle est déjà elle-même inférée (Ber
nier,1995 : 6-7). La seule substance qui existe est celle de l'être individué avec
tous ses accidents.
On peut faire l'économie de la notion de matière comme principe de la
substance et la remplacer par celle d'étendue, qui reçoit ses déterminations
de la forme. L'étendue, au-delà de la longueur, largeur et profondeur,
correspond à la matière. Les qualités (i.e. les accidents) qui déterminent la
grandeur déterminent alors directement le sujet des accidents au lieu d'être
des accidents d'accidents. Sans aller aussi loin, Mueller admet que la dimen-
sion (ou l'étendue ou la grandeur) serait à la base des autres propriétés
sensibles du monde physique (voir section précédente). Poser une substance
au-delà de la grandeur constitue en quelque sorte une réification d'une
substance dépourvue d'accidents qu'Aristote a d'autre part rejetée.
Dans son analyse de la matière, Aristote insiste surtout sur la relation de
la matière à la forme plutôt que sur celle qu'elle pourrait avoir avec la
grandeur. C'est davantage par l'analyse de la quantité que par celle de
matière qu'est mise en évidence la difficulté suscitée par la considération de
la quantité comme accident. En effet, la quantité concrète - la grandeur
continue - nous conduit à nous interroger sur le sujet de cette grandeur
continue et à voir, comme le dit Aristote, qu'il n'y a rien au-delà d'elle, si ce
n'est la matière. C'est elle qui reçoit les déterminations de la forme.
La relation accident-substance est autre que la relation matière-forme.
La première cherche le sujet qui perdure au-delà des différents changements
accidentels (quantitatifs, qualitatifs, locaux). La deuxième cherche le sujet
qui reçoit les changements substantiels. Mais nulle part, Aristote n'a précisé
à partir de quel moment se fait la démarcation entre les changements
accidentels et les changements substantiels. Tous les animaux de la même
classe (traduisons genre) qui diffèrent par le plus et le moins du bec, des
ailes, des pattes ou de tout autre partie de leur anatomie, constituent des
espèces différentes, i.e. des substances différentes. Or, elles diffèrent par
leurs quantités. On pourrait en dire autant des qualités qui sont caractéris-
tiques de chaque espèce, p. ex. acuité de la vision, de l'ouïe, de l'olfaction,
locomotion rapide ou lente, richesse de l'imagination, puissance de l'intui-
tion, etc. Je crois que l'introduction des notions de matière et de forme, en
marge de celles d'accident et de substance, constitue une aporie. Ces deux
couples sont mal intégrés par Aristote. Il y a un double emploi de la matière

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632 R. BERNIER

(soit substance, soit composa


l'accident quantité).
Une explication à cette ap
proposée par certains comm
Graham (1995), selon laquelle
de la Physique . Selon Graha
font aucun emploi de la notion
(1971) qui veut que dès le Prot
L'hylémorphisme n'existait
celui des Topiques ou des An
le concept et le terme appar
auteur, à partir de l'analyse
théorie hylémorphique. D'ap
se trouve au livre 1, ch. 7 où
type de changement impliqu
voir les accidents contraire
accidentel, Aristote en vient
de recevoir les formes substan
qui reçoit les déterminations
matière perturbe la doctrin
« rock-bottom subject » (Dan
sujet ultime de la substance. L
de l'utilité ou de l'inutilité
l'introduction de l'hylémo
concerne la matière qu'en ce q
de l'autre avec les accidents qu
n'apporte à la connaissance d
La première notion de su
substance comme le sujet de
dents et s'inscrit dans un co
substance n'est pas développée
ne signifie que l'être par soi,
quantité et les 4 espèces de q
inhérents à la substance. A par
matière et de forme, il devien
qui distingue d'une part matiè
Si des difficultés surgissent

26. Je renvoie à l'article de Dancy


notion de matière comme sujet et d
sens la matière est substance, en u
déterminée. Dancy s'oppose toute
constitue selon lui « a verbal inconsi

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LA QUANTITÉ CHEZ ARISTOTE 633

quantité et matière, des difficultés analogues pourraient également êtr


soulevées en ce qui concerne les relations de la forme-figure (accident de
quatrième espèce chez Aristote) et de la forme substantielle. En effet,
figure-forme n'est pas sans relation avec la forme substantielle. Le princi
formel de l'être, par exemple le principe vital de l'éléphant, est en mêm
temps à l'origine de la morphologie propre à l'éléphant. Or la forme-figu
est chez Aristote un accident de la substance, distincte de la forme substan-
tielle, elle-même qualité, mais qualité essentielle.
Dans un article récent, Hubert (1995) s'appuie sur deux textes d'Aristot
( Phys ., IV, 2, 209b4 et G. A ., 1, 5, 320a29-31) pour soutenir que la matière
corps est aussi matière de la grandeur. « Grandeur et corps sont donné
ensemble et ont une même matière dont ils ne sont séparés que logiqu
ment » (1995 : 615). La détermination du corps est la grandeur (ibid. : 634
Hubert (ibid.) reconnaît que « c'est à la notion de matière... que la doctri
aristotélicienne doit toute sa fécondité et sa force synthétique ».
Aussi importante que soit la notion de matière dans l'œuvre d'Aristote
il m'apparaît nécessaire d'être conscient des apories qu'elle suscite. Il ne
m'appartient pas de proposer une solution à ces difficultés ni d'esquisser
une théorie de l'être matériel qui pourrait rejoindre les données de
physique d'aujourd'hui.
J'ai surtout insisté ici sur l'aporie soulevée par les relations entre la
quantité concrète et la matière. Ce n'est pourtant pas le seul aspect de
quantité qui soulève des problèmes. Je rappelle que dans le G. & C. (II,
333b9-ll), la proportion des composants dans un corps (qu'il s'agisse des
qualités primaires des corps simples ou des corps simples qui constituent
mixte), proportion qui nous ramène à la quantité discrète et au nombr
joue, d'après Aristote, le rôle de forme de l'être (voir p. 602 et Bernier, 1995)
Il serait intéressant de faire une étude chronologique des conceptions
d'Aristote quant aux rapports du composé matière-forme et des accident
quantité et qualité et d'examiner de façon détaillée la place accordée
chacun de ces accidents au fur et à mesure que la doctrine se développe.
faudrait voir si, à partir du moment où Aristote soutient l'hylémorphisme, i
est possible de déceler des nuances dans sa conception de la quantité comm
accident. On ne peut que regretter que l'ouvrage collectif récent dirigé p
W. Wians (1996), consacré à l'évolution philosophique d'Aristote, n'ait p
fait place au problème analysé ici.

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