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Genre, sexualité & société

17 | 2017
Intimités numériques

Perspectives queer et féministes pour un regard


critique sur l’intimité dans les médias numériques
Queer and Feminist Analyses of Intimacy in Digital Media

Maude Gauthier et Élisabeth Mercier

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/gss/3950
DOI : 10.4000/gss.3950
ISSN : 2104-3736

Éditeur
IRIS-EHESS

Ce document vous est offert par Université Paris 8

Référence électronique
Maude Gauthier et Élisabeth Mercier, « Perspectives queer et féministes pour un regard critique sur
l’intimité dans les médias numériques », Genre, sexualité & société [En ligne], 17 | 2017, mis en ligne le
01 juin 2017, consulté le 18 décembre 2018. URL : http://journals.openedition.org/gss/3950 ; DOI :
10.4000/gss.3950

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Perspectives queer et féministes pour un regard critique sur l’intimité dans ... 1

Perspectives queer et féministes


pour un regard critique sur
l’intimité dans les médias
numériques
Queer and Feminist Analyses of Intimacy in Digital Media

Maude Gauthier et Élisabeth Mercier

1 De quelles manières l’intimité se conçoit-elle aujourd’hui sur Internet et sur les réseaux
socionumériques ? Comment les médias numériques rendent-ils possible et
interviennent-ils sur différentes formes d’intimité ? Comment ces médias participent-ils à
(re)définir la notion même d’intimité, ses domaines et ses frontières ? Ce dossier
thématique propose d’explorer les expériences vécues et les discours sociaux autour de
l’intimité dans le contexte numérique. Plus spécifiquement, c’est à partir de perspectives
féministes et queer qu’il pose un regard critique sur les transformations contemporaines
de l’intimité qui sont opérées par et à travers les médias numériques. Cet ancrage
théorique permet, d’une part, de réfléchir aux enjeux liés au genre et à la sexualité qui
sont au cœur du « problème » actuel des intimités numériques. D’autre part, il permet
d’explorer ces enjeux sans reproduire une vision normative de l’intimité qui en
invisibiliserait ou en reconduirait les inégalités. Ainsi, ce dossier rend compte des
tensions qui caractérisent le rapport entre l’intimité et les médias numériques, alors que
ces derniers permettent notamment l’autoreprésentation et la reconnaissance des
minorités sexuelles et de genre tout en participant de la reproduction de corps et
d’identités cisgenres et hétéronormatifs. Il se penche également sur les possibilités de
transformations des normes de l’intimité qui sont offertes par ces médias, par exemple à
travers l’exposition de pratiques habituellement perçues comme relevant du domaine
« privé », et la multiplication des expressions du désir et des formes de relationnalité.
2 Ce dossier s’inscrit dans un champ de recherche plus large qui croise l’intimité et les
médias numériques. Depuis plus d’une décennie, des chercheur-e-s examinent les impacts

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du numérique sur la conception de l’intimité (voir par exemple Hjorth, Lim, 2012), tandis
que d’autres se préoccupent des impacts sociaux d’une intimité désormais « surexposée »
(Tisseron, 2001) médiatiquement. Cela dit, le terme « intimité » est polysémique et sa
conceptualisation varie considérablement dans la littérature. Dans ses définitions les plus
communes, l’intimité est conçue tantôt comme une relation interpersonnelle
(Laurenceau, Rivera, Schaffer, Pietromonaco, 2004), tantôt comme un rapport à soi
(Plummer, 2003). Plusieurs recherches sur les intimités numériques abordent ainsi
l’expression identitaire, les relations personnelles, les liens communautaires et les autres
formes de socialité que les technologies de communication rendent possibles (voir par
exemple Granjon, Denouël, 2010 ; Pascoe, 2011). D’autres encore s’intéressent aux
relations intimes qui peuvent se développer avec la technologie elle-même, que ce soit à
travers la prise de selfies (Duguay, 2016 ; Lee, 2005) ou l’usage de sex toys avec contrôle à
distance et prothèse tactile (Levy, 2007).
3 Les intimités numériques sont également étudiées en regard des nouvelles possibilités
offertes par les médias et les technologies sur le plan de la corporéité et de la subjectivité
(Lafontaine, 2003). Ici, la notion d’un sujet individuel qui posséderait « son » intimité
propre, son espace intérieur, son corps, est remise en question par sa participation
numérique, par l’appropriation et le partage de ses données personnelles qui prend place
dans un contexte néolibéral. L’intimité numérique est alors pensée comme un lieu
d’entrepreneuriat où l’intimité est commercialisée, monétisée par une culture
corporative. Ainsi, des travaux récents se penchent sur les propriétés des médias
numériques permettant la génération et l’usage de données pour la quantification de soi,
ainsi que l’appropriation commerciale de celles-ci (Nafus, Sherman, 2014 ; Ouellet,
Ménard, Bonenfant, Mondoux, 2015).
4 En somme, les intimités numériques réfèrent aux multiples façons par lesquelles les
médias et les technologies numériques permettent de « faire » l’intimité (Orton-Johnson,
Prior, 2013). Il s’agit avant tout d’une intimité du soi, qui passe par la révélation et la
représentation de soi médiatisée par le numérique pouvant « générer un sentiment
passager d’intimité entre des gens qui étaient jusque-là étrangers les uns aux autres ou
développer l’intimité d’une relation déjà établie et ayant débuté en coprésence physique »
1
(Jamieson, 2013, 18). Les intimités numériques désignent un ensemble de connexions
humaines caractérisées par la révélation de soi et l’échange d’information à propos
d’expériences quotidiennes souvent banales, qui produisent ces sentiments de proximité
et de familiarité (Crawford, 2009). Ainsi, nous concevons la notion d’intimité numérique
d’un point de vue dynamique, comme un processus mobile d’attachement et un ensemble
diversifié de connexions qui importent dans nos vies et qui sont rendues possibles par les
médias numériques.
5 Notre conception emprunte à la critique féministe queer de l’intimité (voir le numéro de
Critical Inquiry sur l’intimité dirigé par Lauren Berlant, 1998, avec les contributions de
Laura Kipnis et Eve Kosofsky Sedgwick, entre autres) son opposition à une vision statique
et hétéronormative de l’intimité, ainsi qu’à la division public/privé sur laquelle celle-ci
repose. Cette perspective critique est particulièrement pertinente dans le contexte où les
médias numériques ouvrent de multiples possibilités de connexions intimes, comme la
formation de publics et les relations secrètes, anonymes ou illicites (Baym, 2010). Les
formes dominantes de l’intimité (comme le couple et la famille) sont généralement
associées à une intimité épanouissante (caractérisée par l’amour, entre autres) et sont
constituées par rapport à un extérieur menaçant et anxiogène (Butler, 1993). Dans le

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cadre de ce dossier, cet extérieur est donc celui des médias numériques et les nouvelles
formes d’intimité qu’ils permettent, suscitant des résistances et des inquiétudes quant au
changement de l’ordre social (Smart, 2007 ; Lahad, Madsen, 2015).
6 La question des intimités numériques est généralement problématisée sous l’angle de la
production d’une « nouveauté » dans nos conceptions et nos vécus de l’intime. Bien
entendu, cette nouveauté est toute relative, puisque les technologies numériques sont
présentes dans nos vies depuis un bon moment déjà. Reste que les intimités numériques
soulèvent plusieurs débats, touchant notamment à la conjugalité et à la famille (Smart,
2007 ; Lardellier, 2014), ainsi qu’à la sexualité de certains groupes sociaux comme les
jeunes (Pascoe, 2011). Les médias socionumériques sont régulièrement au cœur de
controverses publiques, voire de paniques morales, où ils sont tenus responsables de
différents « maux sociaux » : divorce, infidélité, intimidation, revenge porn, sexting et
hypersexualisation chez les jeunes (Chun Hui Kyong, Friedland, 2015 ; Karaian, 2014 ;
Mercier, 2016). Le potentiel d’exposition, par les médias numériques, d’une intimité qui
les précéderait, est supposé être à l’origine de ces maux. Cette exposition publique vient
en effet troubler la définition normative de l’intimité, au sens de ce qui devrait demeurer
privé (sexualité, secrets, intériorité).
7 De ce fait, c’est d’abord pour leurs critiques de la distinction public/privé que les
perspectives féministes et queer sont mobilisées dans ce dossier. Rappelons que les
féministes se sont employées dès les années 1960 à démontrer que le personnel est politique
par un travail « de politisation de l’espace privé, de l’intime, de l’individualité » (Dorlin,
2008, 14). Les théories queer ont quant à elles montré comment la division hégémonique
public/privé sert la culture hétéronormative en reléguant l’intimité au privé et en
refusant la pertinence du sexe comme mode de médiation, de participation et de
représentation légitime dans l’espace public (Berlant, Warner, 2002). Les approches
féministes et queer nous permettent ainsi de jeter un regard critique sur les conceptions
traditionnelles de l’intimité qui l’associent à la sphère privée, c’est-à-dire à la domesticité,
aux relations interpersonnelles ou à une sexualité à l’abri des regards d’autrui, en plus de
l’ancrer dans des pratiques, des institutions et des représentations culturelles qui
valorisent l’hétérosexualité et les expressions identitaires cisgenres (Jackson, 2006).
8 Ces approches nous servent également à montrer comment, en brouillant les frontières
traditionnelles entre public et privé, les médias numériques produisent une nouvelle
sphère publique (Chun Hui Kyong, Friedland, 2015). Les espaces numériques sont
« publics » parce que leur accès, sur Internet et par le biais de technologies comme
l’ordinateur portable et le téléphone intelligent, est généralement plutôt ouvert et qu’ils
sont des lieux d’élaboration d’idées, de débats ou de partage entre des individus qui
peuvent se considérer comme étant des égaux. À l’instar de l’espace public habermassien,
l’espace public numérique fait en partie l’objet d’une sexualisation normative, reposant
sur un double mouvement de privatisation de la sexualité et de sexualisation de la
personnalité (Cervulle, 2014), qui peut venir entraver la représentation et la participation
des minoritaires. À l’inverse, ces mêmes médias numériques offrent des plateformes et
des outils pouvant servir à l’organisation de contre-publics minoritaires (Fraser, 1992 ;
Warner, 2002). La citoyenneté intime (Plummer, 2003 ; Berlant, 1997) qui les caractérise
réfère à la perméabilité croissante des discours publics et des pratiques intimes, c’est-à-
dire que certains enjeux relevant de la vie quotidienne, de l’éthique et des choix
personnels se trouvent publicisés et débattus dans ces espaces numériques, qui
apparaissent comme des outils de mobilisation politique permettant de se rallier autour

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d’une cause. En effet, des publics spécifiques au Web se forment autour d’enjeux sociaux
comme le #mariagepourtous (Cervulle, Pailler, 2014).
9 Ces publics et communautés en ligne, formés par des pratiques d’exposition de soi et des
dynamiques interactionnelles spécifiques aux médias socionumériques, sont, entre
autres, des lieux de construction de savoirs et d’expertises militants féministes et queer.
Notamment, des militantes féministes se saisissent des médias numériques et des réseaux
sociaux comme des outils de mobilisation, de diffusion d’informations, d’actions et de
prises de paroles publiques (Blandin, 2017), mais aussi, voire surtout, afin de tisser des
liens et des réseaux à différentes échelles (Jouët, Niemeyer, Pavard, 2017). De plus, par les
possibilités d’échanges, de production de significations et de représentations qu’ils
offrent, ces espaces numériques s’avèrent particulièrement utiles pour la reconnaissance
sociale ou intersubjective (Granjon, Denouël, 2010) des minorités sexuelles et de genre,
c’est-à-dire pour la « confirmation sociale d’un rapport positif des sujets à eux-mêmes »
(Voirol, 2005, 60). Les personnes trans, par exemple, peuvent y trouver la possibilité
« d’extirper leur condition du registre de la pathologie [et de] se reconnaître comme
elles-mêmes en trouvant des vis-à-vis qui partagent leur expérience et adoptent ou
construisent avec elles un point de vue dans lequel elles peuvent se reconnaître »
(Pastinelli, Déry, 2016, 154).
10 Si les médias numériques offrent un potentiel de prises de paroles minoritaires et de
visibilités queer (Duguay, 2016), ils servent aussi, en revanche, à la validation et au
renforcement des normes sexuelles et de genre. Cela se produit, par exemple, à travers
l’expression de genre conforme, les attaques sexistes, homophobes, transphobes,
grossophobes, le slut-shaming et autres formes d’humiliation sur des plateformes comme
Facebook et Instagram (voir les travaux de Bivens, 2015 à propos de la binarité du genre
sur Facebook). De plus, tant les représentations médiatiques que les anxiétés sociales et
les mesures de prévention autour de ces phénomènes ont tendance à reproduire certaines
inégalités sociales. Par exemple, les discours entourant le partage non-consensuel
d’images à caractère sexuel en ligne (revenge porn) ou la cyber-intimidation se
concentrent généralement sur les corps de jeunes femmes blanches, hétérosexuelles,
cisgenres et de classe moyenne à aisée (Karain, 2016). Les intimités numériques
reproduisent ainsi des tensions entre capacitation et normalisation, contestation et
adhésion face aux normes du genre et de la sexualité.
11 Ce dossier thématique interroge les intimités numériques contemporaines sous l’angle du
genre et de la sexualité, terrain privilégié pour en examiner les tensions, les
reconfigurations et les rapports de pouvoir. En effet, tant l’identité de genre que la
sexualité sont traditionnellement conçues comme relevant du privé et de l’intériorité et,
à ce titre, elles mettent en lumière les tensions que le numérique suscite en permettant
de nouvelles formes d’intimités, publiques, extériorisées, mobiles. À partir de
perspectives féministes et queer, les articles du dossier nous invitent ainsi à réfléchir aux
normes de l’intimité, de la sexualité et du genre telles quelles sont produites et
transformées dans le contexte numérique. Il peut s’agir de l’établissement de nouvelles
normes ou du renforcement des normes existantes (Marignier), tout comme des
transformations des relations intimes et des catégories relationnelles (Rambukkana,
Gauthier). Les articles abordent également les questions de l’expression identitaire et des
liens communautaires (Balleys) et touchent des thèmes comme la commercialisation de
l’intimité et l’(auto)contrôle du corps des femmes (Lavoie-Moore).

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12 L’article de Claire Balleys traite du processus de construction identitaire des adolescentes


en ligne. L’auteure a recours aux travaux de Judith Butler (2006) sur le genre pour poser
la question suivante : « que faut-il faire pour faire fille ? ». Si le genre relève a priori de
l’identité personnelle, de l’intimité, on ne le « fait » jamais seul-e mais toujours avec et
pour les autres. Partant de ce constat, Balleys propose une analyse des performances de la
féminité par des adolescentes sur le site de partage vidéo YouTube. Les résultats de son
enquête ethnographique montrent comment la mise en scène de soi et le partage de ce
qui relève habituellement de l’intime par des jeunes youtubeuses se comprend à la fois en
termes de construction identitaire personnelle et de reconnaissance sociale. Autrement
dit, la reconnaissance sociale et la validation par un public de pairs est une dimension
essentielle de la socialisation genrée et de l’identification de genre de ces jeunes filles.
L’intimité numérique s’inscrit donc dans une quête de reconnaissance et permet d’ancrer
les pratiques des adolescentes dans une expérience commune de la féminité, c’est-à-dire
de faire exister un genre commun hétéronormé. En effet, l’article de Balleys montre
comment la féminité est performée et ritualisée de manière conforme par les
adolescentes sur YouTube, notamment en termes de contrôle sur soi, de domesticité et
d’hygiène.
13 Noémie Marignier s’intéresse, quant à elle, au forum jeuxvideo.com qu’elle approche
comme un dispositif de production et de sanction d’une masculinité hégémonique
hétérosexuelle. Son article emprunte à Eve Kosofky Sedgwick (2008) le concept de
« panique homosexuelle » afin de saisir les particularités de ce forum en ligne qui valorise
l’homosocialité et l’établissement de liens intimes entre ses membres masculins, tout en
proscrivant l’homosexualité. Marignier propose ainsi une analyse des interactions entre
les membres du forum qui cherchent à déterminer si certaines pratiques sexuelles et
intimes performées entre amis sont réellement une preuve d’homosexualité ou si elles
peuvent être considérées comme de la simple « entraide » entre garçons hétérosexuels.
Ces interactions prennent parfois, voire souvent, la forme d’un « trollage » qui rend
difficile de cerner les « vraies » limites entre homosexualité et hétérosexualité. Les
pratiques de trollage créent un trouble énonciatif qui entretient le flou entre pratiques
homosociales et homosexuelles, ce qui produit en retour une division entre les
internautes qui savent et ne savent pas la « vérité » de l’homosexualité. De ce trouble
énonciatif émerge la figure du « sachant », dépositaire de la masculinité hégémonique
hétérosexuelle.
14 L’article de Myriam Lavoie-Moore aborde l’usage des technologies de quantification de soi
par les femmes dans la gestion de leur fertilité. Plus spécifiquement, il porte sur Kindara,
une application de quantification du cycle de la fertilité qui peut être utilisée soit comme
un moyen de contraception alternatif, soit comme un outil d’aide à la conception.
L’intimité se conçoit ici à travers la révélation de soi qui est exigée par les modes de
partage de cette application : le partage obligatoire de données personnelles aux autres
membres de la communauté dans les discussions en ligne et le « partage » de ces données
avec la compagnie. Cet article s’ancre par ailleurs dans une analyse du pouvoir en termes
d’(auto)contrôle du corps des femmes et à travers la notion d’«  empowerment
informationnel  ». L’auteure analyse le double mouvement de la reproduction d’un sujet
féminin devant respecter sa «  nature  » reproductive et de la promotion d’un idéal de
contrôle de soi informationnel, c’est-à-dire de domination de cette même nature par ce
type d’application. Elle souligne en même temps comment ces idéaux d’empowerment et de
réalisation de soi par la maternité contribuent au sentiment d’impuissance des femmes

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incapables de concevoir un enfant, qui se perçoivent dès lors comme incapables de


contrôler leur corps.
15 Enfin, l’entretien de Nathan Rambukkana et Maude Gauthier sur l’adultère à l’ère
numérique interroge la diversité des relations et la commercialisation de l’infidélité sur
Internet. Dans cet entretien, Rambukkana et Gauthier saisissent l’occasion de
l’hypermédiatisation du site d’infidélité Ashley Madison pour explorer la question des
non-monogamies. Les auteur-e-s se demandent ce que les pratiques numériques et
commerciales « font » à l’intimité. A priori, l’infidélité en ligne et les discours sociaux qui
l’entourent semblent remettre en question les normes de l’intimité (la monogamie, la
relégation à la sphère privée, etc.), alors qu’en réalité, le cas Ashley Madison montre la
reproduction du privilège masculin et monogame basé sur l’idée de vie privée (l’adultère
est alors envisagé comme une « non-monogamie domestiquée »). La visibilité donnée aux
pratiques non-monogames est inséparable du fonctionnement de ce type de site aux
pratiques d’affaires parfois malhonnêtes, qui a fait scandale lorsqu’il a été piraté en 2015.
Au final, l’entretien touche au contexte numérique contemporain au sein duquel la
distinction entre « virtuel » et « réel » ou « actuel » ne tient plus de par la place
grandissante qu’occupent les technologies dans l’intimité et la sexualité.

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NOTES
1. “either generating a fleeting sense of intimacy between hitherto strangers or developing the
intimacy of an already established relationship that began with co-presence”, notre traduction.

INDEX
Keywords : intimacies, digital media, heteronormativity, communities, bodies
Mots-clés : intimités, médias numériques, hétéronormativité, communautés, corps

AUTEURS
MAUDE GAUTHIER
Chercheuse postdoctorale
Department of Sociology, Lancaster University (UK)
gauthier.maude@gmail.com

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ÉLISABETH MERCIER
Professeure adjointe
Département de sociologie, Université Laval (Canada)
elisabeth.mercier@soc.ulaval.ca

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