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INTRODUCTION GENERALE A L’ECONOMIE

Dossiers de Travaux Dirigés

Dossier de TD n° 8
La crise économique actuelle

Cours d’Antoine d’Autume, Jean-Pierre Laffargue et Nicolas Canry

Année universitaire 2010-2011


Dossier 8. La crise économique actuelle

1) « Lettre de l’OFCE », n° 314, Octobre 2009. Partie « A la recherche de la croissance perdue .


Perspectives 2009-2010 pour l’économie mondiale. », p.1-5.

2) Bulletin du FMI, Décembre 2009. « Europe : une reprise à vitesses multiples », entretien avec
M. Belka, Directeur du département Europe du FMI.

3) Alternatives Economiques, n° 283, Octobre 2009. « Crise financière : l’erreur du G20 »,


entretien avec André Orléan.
Crise financière : l'erreur du G20

Alternatives Economiques - n°283 - Septembre 2009

Entretien avec André Orléan : directeur de recherches au CNRS et directeur


d'études à l'EHESS

La crise d'aujourd'hui est en fait des plus classiques: elle s'explique par l'inefficience des
mécanismes de marché pour réguler la finance. L'analyse et les propositions d'André
Orléan, directeur de recherches au CNRS et directeur d'études à l'EHESS.

La crise actuelle est spécifique par son ampleur, mais peut-on dire qu'elle est spécifique
dans ses causes?

Non. Ce qui me frappe, au contraire, c'est son caractère tout à fait classique. Elle trouve son
origine dans une bulle immobilière associée à une bulle du crédit: une configuration souvent
observée dans le passé et dont on sait qu'elle est très perturbatrice. Les mécanismes de base
en sont bien connus: l'augmentation du prix de l'immobilier, parce qu'elle provoque une sous-
estimation du risque hypothécaire, favorise le crédit, ce qui stimule en retour la demande de
logement et nourrit puissamment la hausse des prix.

Comment expliquer le développement de telles bulles?

Elles mettent en lumière un fait essentiel: l'inefficience de la concurrence en matière financière.


Sur les marchés de biens ordinaires, quand les prix s'écartent de la vraie valeur des biens, le jeu
de l'offre et de la demande provoque un retour automatique à l'équilibre. Par exemple, lorsque le
prix dérive à la hausse, la demande s'affaiblit, ce qui pousse alors le prix à la baisse. Tout le
problème est que, sur les marchés d'actifs, ce mécanisme ne fonctionne pas: quand les prix
augmentent, cela peut produire l'augmentation de la demande, et non sa baisse! C'est ce que
l'on a observé dans l'immobilier. Parce que la montée du prix permet de dégager des plus-
values et donc du rendement, elle attire de nouveaux investisseurs, qui nourrissent la demande
et stimulent à nouveau la hausse des prix. Il s'ensuit la formation d'une croissance auto-
entretenue des prix, encore appelée "bulle", qui vient contredire la thèse selon laquelle la
concurrence financière serait stabilisante. L'inefficience de la concurrence est à l'origine de
toutes les crises financières. Les marchés financiers ne savent pas s'autoréguler.
Cela signifie-t-il que les investisseurs sont irrationnels?

Nullement. L'enjeu, pour un investisseur, consiste à prévoir les prix futurs. C'est cela qui importe
pour lui et non pas ce qu'il pense du niveau des vraies valeurs. S'il anticipe que le marché va
monter, il achète. S'il estime qu'il va baisser, il vend, indépendamment de sa propre conviction
sur la surévaluation ou la sous-évaluation des actifs. Ce comportement mimétique qui consiste à
s'aligner sur l'opinion moyenne est parfaitement rationnel individuellement, mais peut se révéler
désastreux collectivement puisqu'il provoque des bulles, et que ces bulles finissent par éclater.
Même l'acteur qui a parfaitement identifié une bulle a intérêt à la suivre tant qu'il ne prévoit pas
le déclenchement imminent du krach. Le marché est donc intrinsèquement inefficient puisque le
jugement de chacun n'engendre pas un optimum collectif, comme le voudrait la théorie libérale.

Loin d'insister sur la nature classique de la crise, les analystes mettent plutôt l'accent sur ce qui
est propre à la situation financière de ce début du XXIe siècle, comme par exemple la
titrisation...

Cette manière d'appréhender la crise me semble inappropriée car elle perd de vue l'essentiel, à
savoir l'origine des déséquilibres. Elle se trouve dans l'instabilité propre aux marchés d'actifs. Il
est dans leur nature de produire des évolutions de prix excessives. Telle est la source du mal.
On n'a d'ailleurs pas attendu l'invention de la titrisation pour connaître des bulles financières!
Notons que notre hypothèse d'instabilité explique aussi bien l'excès baissier que l'excès
haussier. Quand les prix baissent, la chute des rendements, loin de faire repartir la demande
comme le voudrait l'hypothèse d'efficience financière, provoque un mouvement de fuite des
investisseurs qui accentue encore la pression baissière. Seule l'intervention d'acteurs extérieurs
à la finance, à savoir la puissance publique, a pu stopper la chute vertigineuse des prix, preuve
manifeste de l'incapacité du système financier à s'autoréguler.

Est-ce à dire que le contexte financier contemporain, par exemple la titrisation ou les
insuffisances des agences de notation, n'a joué aucun rôle?

Il est un aspect crucial de la crise des subprime qui nécessite, pour être élucidé, qu'il soit tenu
compte du contexte institutionnel: son intensité. En effet, ce double mécanisme de bulle
immobilière et de bulle du crédit ne produit pas nécessairement une dévastation planétaire. Il
aurait pu conduire à une crise localisée sur le seul marché immobilier des Etats-Unis. S'il en a
été autrement, cela tient à l'interconnexion générale des marchés financiers, produit de la
libéralisation des trente dernières années. Celle-ci a homogénéisé le comportement de tous les
acteurs, faisant en sorte que banques et investisseurs adoptent des stratégies de plus en plus
similaires; d'où la diffusion généralisée des crédits subprime et des produits structurés.

Or on sait depuis Darwin que la capacité d'adaptation d'une espèce dépend de la diversité de
son patrimoine génétique. Lorsque tous les individus sont identiques, ils peuvent tous périr suite
au même choc. En l'occurrence, l'interconnexion généralisée des marchés et le jeu de la
concurrence ont créé une situation où tous les acteurs avaient en quelque sorte le même
patrimoine génétique! Résultat: quand la bulle des subprime a éclaté, elle n'est pas restée
cantonnée à quelques acteurs spécialisés sur le marché du crédit immobilier étatsunien, mais
elle a touché toute la finance mondiale sans que quiconque n'ait développé des stratégies
immunisantes. Tous sont morts ou presque.

Pour résumer, la crise s'explique par l'inefficience des mécanismes de marché pour réguler la
finance, inefficience dont les conséquences sont aggravées par la mondialisation et la
libéralisation financière de ces dernières décennies...

Tout à fait. Un diagnostic qui s'oppose radicalement au diagnostic dominant, et notamment à


celui formulé par le G20, qui voit la crise comme résultant d'une série de dysfonctionnements.
On nous explique par exemple que la titrisation était opaque, que les produits structurés étaient
difficilement évaluables, que les agences de notation étaient déficientes, que les systèmes de
rémunérations poussaient à prendre des risques excessifs, que les normes comptables étaient
procycliques, que les autorités de régulation n'assumaient pas leurs responsabilités ou encore
que les banques centrales n'ont pas vu la bulle. Toutes les institutions auraient fauté sauf une,
étrangement, le marché lui-même, qui se trouve exonéré de toute responsabilité. S'il a mal
fonctionné, cela ne tient nullement à des déficiences qui lui seraient intrinsèques, mais au fait
qu'on lui a livré des produits mal dessinés, trop opaques. En conséquence, selon le G20, tout
doit être transformé à l'exception de la concurrence financière, dont "l'intégrité" doit être
préservée. Elle demeure, dans le projet du G20, comme le mécanisme central qui organise
l'allocation du capital à l'échelle planétaire. On n'ose pas, ou on ne veut pas, remettre en cause
l'idée que le marché disposerait de capacités régulatrices intrinsèques.

Mais tous ces dysfonctionnements ont tout de même joué un rôle...

Evidemment, mais ils sont eux-mêmes un produit de la concurrence financière qui incite ces
agents, ces institutions à adopter les comportements qu'on leur reproche aujourd'hui, des
comportements qui ne sont pas exogènes au fonctionnement des marchés.

Pouvez-vous expliquer plus précisément?

On peut donner deux exemples. Prenons tout d'abord le cas des agences de notation. Pourquoi
n'ont-elles pas bien noté les produits structurés? La réponse donnée aujourd'hui consiste à dire
qu'il y aurait eu un conflit d'intérêts: puisque les offreurs de produits structurés payaient la
notation, les agences étaient incitées à minimiser les risques. Cela n'est pas faux, mais le
problème est bien plus profond! Le véritable enjeu tient à la nature même de l'évaluation
financière. Dans le cas de la bulle immobilière, par exemple, la question est de savoir à quelles
conditions pouvait-elle être identifiée a priori. C'est là un point tout à fait essentiel pour qui veut
éviter que la crise actuelle se renouvelle.

L'analyse en termes de dysfonctionnement des institutions retient l'idée que l'on pourrait faire en
sorte que les erreurs passées soient évitées à l'avenir (sans que l'on nous dise d'ailleurs
pourquoi il en serait ainsi). Ma conviction est, au contraire, qu'il n'y a aucune raison de penser
que les agences de notation ne referont pas les mêmes erreurs demain du fait même de la
difficulté de leur métier: la valorisation de tout actif financier suppose une certaine représentation
de ce que sera l'évolution économique future. Or, en cette matière, nos connaissances sont
insuffisantes. Comme le soulignait John Maynard Keynes, le futur est radicalement incertain. Si
l'on considère la conjecture d'avant 2007, il apparaît que les raisons qui ont conduit la majeure
partie des acteurs financiers à repousser l'hypothèse d'une bulle immobilière étaient solidement
fondées. Je ne suis pas sûr qu'on puisse faire beaucoup mieux, même une fois que seront
résolus les conflits d'intérêts que connaissent les agences de notation. On peut montrer que
c'est l'ensemble de l'opinion financière qui était favorable à ce laxisme des notations.

Un autre exemple: on nous dit aujourd'hui "il faut de nouvelles régulations", comme s'il y avait eu
une erreur dans la régulation, voire pas de régulation du tout. En réalité, il y avait bien une
régulation, et la bonne question, là encore, est de comprendre pourquoi elle n'a pas fonctionné.
Car le problème majeur n'était pas que les banques avaient développé des "véhicules"
d'investissement échappant au contrôle des régulateurs, qui leur permettaient d'abriter hors
bilan des produits structurés à risque. Il tenait plutôt au fait que les régulateurs croyaient dans
les vertus de la liquidité financière, de la libéralisation des marchés et estimaient que les risques
liés aux produits abrités par ces véhicules d'investissement étaient finalement pris en charge de
manière efficiente par les marchés grâce à leur interconnexion. Là où je vois la cause de la
crise, eux estimaient avoir la solution permettant de l'éviter. Et comme ils ne semblent pas avoir
changé d'avis, on ne voit pas pourquoi ils réguleraient mieux à l'avenir.

A vous entendre, on peut imaginer que vous ne croyez guère à la possibilité d'introduire une
surveillance macroéconomique prudentielle permettant d'identifier les bulles en cours de
formation?

Aussi longtemps que l'on restera dans le cadre d'une finance mondialisée, non. Sauf à vouloir
imposer des règles extrêmement rigides du type limitation à 10% du volume annuel de crédits
distribués, des règles qui seraient nécessairement fortement contestées au nom de la
croissance et de l'emploi...

Que peut-on donc faire?

Dès lors qu'on admet que les marchés financiers sont intrinsèquement instables, la seule
solution qui peut mettre un terme à l'instabilité financière serait de les supprimer! Mais les
marchés ont aussi une utilité: ils assurent la circulation du capital entre secteurs et entre
régions. Si le capital était totalement immobilisé, l'investissement et la croissance en seraient
freinés. Il faut donc faire un compromis entre les coûts et les avantages de la liquidité, ce que
Keynes appelait le "dilemme de la liquidité". Ma proposition, puisque les bulles sont
consubstantielles à la finance, est de les cantonner afin d'en limiter les effets. Et pour y parvenir,
de rétablir du cloisonnement dans les activités financières.

Différentes solutions sont possibles. Dans les années 1930, le Glass Steagall Act avait séparé
les activités des banques de dépôt et des banques de financement et d'investissement, afin que
les errements des secondes ne se répercutent pas sur les premières. Pour ma part, je serais
favorable à un cloisonnement des activités financières par métiers, en distinguant par exemple
l'immobilier, le crédit à la consommation, le financement des entreprises... Une telle réforme
localiserait les difficultés. Elle aurait aussi un autre effet, de nature socio-économique: elle
réintroduirait de la logique professionnelle, de la logique de métier, dans le comportement des
acteurs. De nouvelles finalités seraient ainsi mises en avant qui viendraient concurrencer la
toute puissance du rendement financier.

Les conséquences pourraient en être importantes, car cette exclusivité de la valeur abstraite a
encouragé la démesure des comportements financiers. Il faut casser cette abstraction et
contraindre les acteurs à intégrer d'autres critères d'évaluation, d'autres visions du monde.
Enfin, dans la mesure où la puissance de la finance est proportionnelle à la liquidité, le
cloisonnement aurait pour effet de l'affaiblir notablement, rendant ainsi plus difficiles ses
stratégies de contournement. Cela contribuerait à rétablir l'autorité du régulateur sur le régulé,
alors qu'aujourd'hui c'est ce dernier qui fait la loi. Segmenter la finance est la seule manière d'en
reprendre le contrôle en en limitant la toute puissance.

Cet entretien est issu de l'intervention réalisée par André Orléan lors du récent Forum de
la Républiques des idées, organisé à Grenoble du 8 au 10 mai 2009, sur le thème
"Réinventer la démocratie" ( http://www.repid.com/ ). Alternatives Economiques était
partenaire de cette manifestation.

Un entretien approfondi avec André Orléan est paru dans le n° 43 de L'Economie


politique, juillet 2009 ( http://www.leconomiepolitique.fr/ ).

Propos recueillis par Philippe Frémeaux

Notes

(R1)

* Dernier ouvrage publié: De l'euphorie à la panique: penser la crise financière, éd. Rue d'Ulm, 2009 (voir
notre note de lecture dans Alternatives Economiques n° 282, disponible dans nos archives en ligne

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