I. Généralités
D’origines apostoliques, les orthodoxies plongent, dés le
premier siécle, leurs racines dans le compost spirituel de
l’Eglise chrétienne primitive et nous offrent, 4 travers la
transmission donnée depuis les apdtres, la présence puissante
et accessible de la réalité vivante du christianisme essentiel.
Aprés la Pentecéte, pendant plusieurs siécles, VEglise chré-
tienne primitive s’est développée de fagon discréte et invisi-
ble a travers ses diverses manifestations culturelles, suivant
les lieux ot les ap6tres ont pu diffuser la Connaissance. Si
les documents concernant ces époques de catacombes et de
persécutions sont, par la force des choses, assez rares, on a
pu comprendre le foisonnement des groupes gnostiques et
des communautés orthodoxes, autour de leurs évéques et de
leurs penseurs, comme une diversité créative et extrémement
utile quant 4 la diffusion des secrets fondamentaux de
VEveil, de la Transfiguration et de la Réintégration. Par la
méme, les écrits de certains Péres ont-ils pu montrer qu’il
subsistait une discipline de I’ Arcane, et que se poursuivaient
des transmissions orales de la doctrine ; aussi, Basile de
Césarée, dans son fameux Traité sur le Saint Esprit, témoigne-
t-il trés justement de cette tradition : « Parmi les doctrines et
les dogmes observés dans lEglise, les uns, nous les tenons
de I’enseignement écrit, les autres, de la tradition des
Apétres ; ils ont été diffusés chez nous dans le mystére et
nous les avons admis. Les deux ont la méme validité, et per-
21somne ne me contredira qui a ne serait-ce qu’ une petite expé-
rience des usages ecclésiastiques. Si nous renoncions aux
usages non écrits, croyant qu’ils n’ont pas la méme validité,
nous amoindririons l’Annonce qui nous fut faite dans ce
qu’elle a de central et nous rendrions sa proclamation un nom
vide de sens. Par exemple (pour parler d’une chose trés
connue et répandue), l’habitude de ceux qui placent leur
espoir dans le Seigneur Jésus-Christ de faire le signe de la
croix, qui nous I’a enseigné par écrit ? Se tourner vers
l’Orient pour prier, quelle écriture nous 1’a enseigné ? Les
paroles de I’Epiclése pendant I’Eucharistie, quel saint nous
les a transmises par écrit ? Car, nous ne nous limitons pas a
ce qui est mentionné par I’Evangile ou I’Apétre, mais nous
disons aussi d’autres paroles, avant et aprés, les considérant
comme trés puissantes pour ce Mystére, paroles que nous
reciimes de la transmission non écrite. Nous bénissons |’eau
du baptéme et I’huile de la chrismation et le baptisé lui-
méme, sur la base de quel document ? La triple immersion,
d’ou nous vient-elle ? Et le reste autour du baptéme : renon-
cer a Satan et a ses anges, par exemple, de quelle Ecriture
provient-il ? N’est-ce pas ? Comment done (se demandent
certains) se fait-il qu’on célébre ouvertement par écrit ce
qu’il n’est méme pas permis de regarder aux non-initiés ?
Parmi d’autres raisons de l’existence d’une transmission non
écrite, il y a celle-ci : la con-naissance des doctrines serait
banalisée et finalement de l’enseignement non public et indi-
cible, que nos Péres ont gardé dans le silence, le retirant par
1a au scrutin et a l’examen, parce qu’ils savaient que la sain-
teté des Mystéres se préserve dans le silence méprisé par la
multitude, si elle n’était pas soumise a I’étude polémique.
Car les doctrines sont tues et les dogmes publics. Une autre
facon d’assurer le silence est le flou dont use I’Ecriture ren-
dant difficilement compréhensible la fagon dont les doctrines
font bénéficier les participants. C’est pour cela que nous prions
22tous vers l’Orient, mais nous sommes peu nombreux a savoir
que nous cherchons ainsi la partie originelle, le jardin que
Dieu planta en Orient. Nous prions seulement debout le jour
Un du Sabbat, le Dimanche, mais nous ne savons pas tous
pourquoi. C’est non seulement pour nous rappeler ainsi, par
notre position pendant la priére du jour de la Résurrection,
de la grace qui nous a été donnée, et ainsi nous induit 4 cher-
cher les choses suprémes en tant que co-ressuscités avec le
Christ ; mais c’est aussi parce que nous préfigurons ainsi le
siécle a venir. Les autres jours, par contre, nous montrons en
acte par la génuflexion et le relévement que nous sommes
tombés 4 terre 4 cause du péché et avons été rappelés au ciel
par l’amour de notre Créateur. Mais je n’aurais assez d’une
journée entiére, si je voulais expliquer tous les mystéres non
écrits de I’Eglise ; je tairai donc le reste. »
De cette période antique et douteuse, il nous est parvenu
surtout le témoignage trés précieux de Denys |’ Aréopagite.
Les luthériens et, plus tardivement, certains novateurs cher-
cheront a affaiblir son influence en contestant largement I’au-
thenticité de ses ceuvres, mais c’était sans envisager la
possibilité que ses travaux aient pu étre transmis clandesti-
nement pendant une trés longue période et aient pu étre
reproduits et, en quelque sorte, adaptés par diverses commu-
nautés, en diverses époques et en divers lieux. Quoi qu’il en
soit, les écrits de ce pére des péres de |’Eglise restent de nos
jours un témoignage fondamental de la spiritualité chré-
tienne. De cette pensée qui reste une référence importante
aux gnostiques actuels je cite une formidable pensée tirée du
Traité de la Théologie Mystique, au chapitre V, ot l’on
pourra reconnaitre l’ Abraxas de la Gnose immémoriale :
« Voici encore ce que nous disons en élevant notre langage :
Dieu n’est ni ame, ni intelligence ; il n’a ni imagination, ni
opinion, ni raison, ni entendement ; il n’est point parole ou
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