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> PROBLEMATIQUE
« L’intéressant avec des galeries d’art et les musées est qu’ils déforment automatiquement le
temps, qu’il s’agisse d’une distorsion du lieu, ou qu’il s’agisse d’un nouvelle endroit sans qu’il soit
nécessairement la question de distorsion ». (1)
L'exposition et ses confins sont explorés et traversés par une pluralité de pratiques
artistiques et curatoriales en diverses fins : détournement, appropriation, effacement, destruction,
abolition, révision etc. La complexité de la question soulève des interrogations variées. La réflexion
sur ce sujet est inépuisable. Donner des réponses possibles à cette question est intéressant autant
pour les artistes que pour les curators.
Félix Fénéon s'est baladé avec son musée mobile personnel dans les poches intérieures de sa veste,
Robert Filliou montrait son musée dans un chapeau, Harald Szeemann place son Musée d'Obsessions
dans sa mémoire, Hans Ulrich Obrist a proposé le Nanomusée. Brian O'Doherty, en particulier crée
Aspen 5+6 qui était à son époque une exposition dirigée et miniaturisé par l'artiste. Mais aujourd'hui
cette boite blanche obtient un statut muséologique, grâce à son contenu historique.
Les problématiques engagées dans ces recherches partagent assez souvent deux
questionnements communs : l'espace d'exposition ainsi que son contexte architectural dans lequel
s'inscrivent la pratique artistique et la légèreté physique de l'exposition. Peut-être le cas d'Harald
Szeemann n'est-il pas approprié si l'on parle de l'espace architectural. Cependant je crois que l'on
peut en débattre, car son Musée d'Obsessions est situé dans son cerveau qui, en soi, est une
architecture organique bien prédéfinie.
Je souhaite, par ma proposition, répondre à Brian O'Doherty sur Aspen 5+6, mais également
je me réfère à son ouvrage anthologique de la critique de l'espace d'exposition Inside The White
Cube.
Dans son travail Brian O'Doherty a soulevé des questions qui sont propres à l'espace
d'exposition en tant que contexte d'expérimentation et présentation plastique. L’ambiguïté et la
diversité de son approche artistique nous laisse déterminer qui est en réalité Brian O’Doherty ? Un
artiste ? Un critique ? Un curator ? Ou les trois à la fois ? Quand on regarde Aspen 5+6 le contenu
d'une exposition et sa possibilité d'être déterminée dans un espace aussi réduit qu'une boite de
20.32 x 20.32 x 5.08 cm. Les œuvres introduites dans la boite Aspen couvraient un champ
pluridisciplinaire de l'expression artistique et de recherche scientifique. Mary Ruth Walsh le décrit
ainsi :
"La boite, si on peut l'appeler la boite pensante, est constituée de six "mouvements" comme
chapitres. Ils sont placés dans le sommaire en deux registres : constructivisme, structuralisme,
conceptualisme, tradition de la pensée paradoxale, objets et entre catégories." (3)
Aspen était un magazine multimédia réalisé entre 1965 et 1971. Chaque numéro présenter
une compilation de travaux artistiques, philosophiques, poétiques, souvent agencés par les artistes.
Phyllis Johnson initiateur du projet a invité Andy Warhol, Dan Graham, George Maciunas, Brian
O'Doherty etc. Pendant ces six années, dix numéros sont apparus, dont le Aspen 5+6 en 1967,
considéré aujourd'hui, par son auteur, comme une exposition jamais montrée. La volonté de
O'Doherty est de mettre le contenu de ces deux numéros dans une boite blanche qui manifeste un
départ sur l'interrogation de White Cube, ce qu’il développera quelques années après.
Dans l'histoire, les artistes ont voulu à la fois entrer dans un musée et en sortir en claquant la
porte. La norme spatiale de l'exposition, l'impeccable White Cube, produit des réactions tout à fait
opposées. Les Situationnistes ont toujours cherché l'abolition d'un système muséographique
d'exposition. Par contre le Pop Art l'embrasse à bras ouverts. Je crois qu'aujourd'hui la question
d'entrer ou de sortir d'un musée, d'une galerie, d'une institution, en bref d'un White Cube n'est plus
importante. Les artistes sont préoccupés par des questions différentes, celles d’être dans le
dynamisme de recherche et d'expérimentation continue, très simplement d'être reconnu pour leur
travail en tant que chercheur. The Black Box Project Museum donne sens à cette volonté en
produisant la possibilité de dialogue perpétuel sur les questionnements divers. Chaque exposition qui
va faire partie de ce musée aura le statut d'un morceau ayant pour but de devenir une compilation
muséographique, une façon de chroniquer la création artistique actuelle.
L'ouvrage anthologique Inside The White Cube, où O'Doherty dissèque avec une précision
scientifique, l'histoire de l'espace d'exposition est toujours pertinent aujourd'hui, car le White Cube
est encore l'espace d'exposition par excellence dans lequel le contexte artistique se réalise, comme
dans une sorte de "paysage vierge".
Je crois que le White Cube est aujourd'hui démystifié. Malgré tout, la boite blanche reste
comme une sorte d’incertitude perpétuelle que l'on prend très souvent avec des pincettes. La norme
physique que nous donne le White Cube n'est pas adaptée à la perception des œuvres numériques.
Le White Cube nécessite une "repensée" de sa blancheur en proposant la noirceur totale de The
Black Box Project Museum/Memoria.
Mon questionnement est basé sur la perspective que nous laisse le White Cube. Comment l’adapter
pour des médiums, qui ont besoin d'un univers de lecture propre à eux ?
Qu'est-ce que le modernisme et le postmodernisme laissent en héritage comme forme d'exposition ?
Quel type d'altération peut-on encore lui faire subir ?
J’envisage The Black Box Project Museum comme une forme de protocole spatial d'exposition, une
sorte de modulation, qui tente de se développer avec des problématiques multiples. Memoria est le
nom de la première exposition inscrite dans la perspective de mise en place d'un musée facilement
transportable, d'un musée dans un disque dur.
Premièrement ce qui sera proposé aux artistes est de réaliser une œuvre numérique, voir
"virtuelle". Toutes sortes de médias numériques seront mis en valeur : son, vidéo, photographie,
animation 2D ou 3D, Web, lumière. Les pièces seront stockées dans un disque dur qui servira de
cerveau de l'exposition, ce qui fait de lui une exposition en elle même.
En même temps, cet espace virtuel obtient un nouveau rôle : celui de diffuseur introduit dans un
ordinateur, fait sur mesure, pour pouvoir manipuler toutes les œuvres simultanément. Le statut de
l'ordinateur est défini en tant que simple exécutant mécanique, comme un lecteur de bande
magnétophonique.
Deuxièmement l'espace de l'exposition sera traité en noir sans aucune lumière naturelle,
sans aucun éclairage artificiel sauf celui des œuvres. Les murs seront peints en noir, le sol couvert
d'une moquette noire avec des coussins noirs pour mieux accueillir le public et donner une
convivialité au spectateur.
Le nom du musée The Black Box Project Museum, est lié à la nature de la boite noire dans
l'aviation, donc un système qui possède la possibilité d'entrer (input) et de sortir (output) des
données. La propriété qui définie en réalité la fonction du black box, est l'invisibilité de son
fonctionnement intérieur par son utilisateur. Ce terme n'est pas seulement utilisé dans l'aviation,
mais également nous retrouvons son application en programmation informatique, physique,
finances, cryptographie, psychologie etc. On peut comparer sa fonctionnalité avec celle d’un
transistor, Internet ou un humain. Chez les behavioristes, la notion du black box devient métaphore
pour designer l'incompréhension du fonctionnement de la conscience et de la pensée humaine. Dans
la programmation ce terme désigne un logiciel ou un algorithme fermé à l'inspection et au visionnage
par son client. A l’inverse du fonctionnement de la black box, le système du white box ou clear box,
est défini le plus souvent par des logiciels Open Source.
Est-ce que le White Cube et le Black Box Project sont des analogues fonctionnels de boîte
blanche et boîte noire ? The Black Box Project Museum contient deux parties : l’une qui est le disque
dur (moyen d'archiver et de diffuser des expositions) et l’autre, l'aménagement spatial créé
singulièrement pour chaque exposition, en fonction des œuvres.
La première partie opère comme une véritable black box, avec la possibilité d'enregistrer
(input) et de sortir (output) des données. Le rôle de ce système d'enregistrement est de contenir et
conserver toutes ces données liées à l'exposition. Pour des raisons de sécurité de diffusion, deux
copies supplémentaires seront faites du disque dur original. Afin de diffuser son contenu, un serveur
est nécessaire. Cependant le seul vrai objet physique de ce projet est le disque dur lui même.
La deuxième partie, prend sens en tant que surface enrobée du White Cube. Ce qu’offre cet
espace blanc, est la possibilité infinie de revêtement, un module qui se tient perpétuellement ouvert
à de nouvelles transformations et comme le décrit O'Doherty :
"Quel genre de chose est ce White Cube, que le modernisme a délivré au postmodernisme ;
Une boite avec le mur susceptible, un endroit ou l'espace est tourbillonné ; Donc c'est un espace de
telle sensibilité, qu'il en est névrotique. Toutefois maltraité, ce White Cube, semble chanceler comme
un homme droit dans la routine de farces et peu importe combien de fois il est frappé sur la tête, il
réapparait ainsi avec son sourire blanc sans heurts, désireux de plus d'abus ". (5)
L'aménagement spatial des expositions dans le The Black Box Project Museum, se dispose
comme un module à l'intérieur d'un module, un espace de perceptibilités avancé, pour des oeuvres
numériques, que le White Cube ne peut leurs offrir.
The Black Box Project Museum ne mets pas seulement en question la + ou le rapport avec
l'espace d'exposition, mais aussi la présentation du medium artistique. Le rapport qui se crée entre
l'objet d'art et le spectateur est intéressant à interroger, car l'objet n’existe que dans son aspect
numérique, voire virtuel. Le seul objet physique de ce projet reste l'exposition même ; l'ensemble de
toutes les œuvres agencées dans l'espace d'exposition. Le dialogue spectateur/exposition s’ouvre sur
les notions de trace et d’immatérialité de l'œuvre. L'expérience reste très contextuelle et liée
fortement à la spatialisation. Ralph Rugof écrivait :
« …ainsi les expositions collectives empreintes des qualités de l’Installation Art : au lieu de
nous donner la possibilité de contempler des objets isolés, elles nous impliquent dans une narration
insaisissable que l’on construit nous même lors de l’exposition ». (6)
Frances Yates débat aussi, de ce qui est possiblement une quatrième famille de style
mnémonique, la Méthode de Loci (en latin espace ou endroit). En réalité il s'agit d'une multitude de
techniques qui se basent sur la mémorisation des enjeux spatiaux, de repères, qui permettent de
"réanimer" le contenu mémorisé. Par exemple, cette méthode est utilisée pour créer le plan visuel
de sa propre maison. Selon Yates cette "technique" a été connue par les anciens. Elle donne
l'exemple de Simonide de Céos, qui a réussi à identifier les victimes après un incendie, en se
remémorant les places occupées par les convives du dîner royal. Elle note aussi que, la Méthode de
Loci, a été présentée et décrite dans des ouvrages de Rhétorique, Logique et Philosophie au dix-
neuvième siècle. Cette technique est encore principalement utilisée chez les spécialistes de la
mémoire.
Les savants de toutes époques ont utilisé leur mémoire pour stocker grandes quantités
d'informations. Aujourd'hui, nous utilisons les systèmes manuscrits/imprimés et électroniques. La
mémoire manuscrite/imprimée inclue les livres, les publications périodiques et les bibliothèques. La
mémoire électronique est composée d’ordinateurs, de bases des données, de logiciels informatiques,
des réseaux Internet et d'autres dispositifs "artificiels".
Les techniques mnémoniques "anciennes" sont encore présentes dans la société
contemporaine. Lors de la préparation de l'exode tibétain, les savants monastiques ont intensifié les
pratiques de mémorisation des anciens textes, pour arriver à conserver de l'anéantissement, leurs
culture et apprentissages millénaires. Les premiers exilés, avant et après l'occupation chinoise en
1959, ont été des bibliothèques organiques, qui avaient comme mission d’assurer la continuité de
leur existence culturelle. Ces pratiques sont encore d'actualité, malgré le fait que la communauté
tibétaine avait assimilé l'avancé numérique. La question, sur la différence et la précision des deux
systèmes, reste ouverte. La manière dont les deux systèmes activent la mémoire stockée, est à la fois
semblable et différente. Paradoxalement un ordinateur est créé, d'un certain point de vu, comme un
analogue du cerveau humain. Cependant pour activer des données mémorisées, il procède de façon
directe, mathématique et logique, alors que le cerveau humain accède à la mémoire plutôt de
manière associative.
" L'espace aujourd'hui n'est pas seulement un endroit dans lequel les choses se font ; les
choses font l'espace." (7)
> BIBLIOGRAPHIE et REFERENCES
Livres:
(4) Brian O’Doherty : Inside The White Cube – The Ideology of the Gallery Space.
Edité par: University of California Press, Berkley. Page 45, texte originalement en anglais traduit par
l’auteur.
(6) Ralph Rugof : You Talking to Me? “On Curating Group Shows that Give You a Chance to Join the
Group” – Publié dans recuille d’essais “What Makes a Great Exhibition?”, Edité par Paula Marincola
pour Philadeplhia Exhibition Initiative; Page 48.
(7) Brian O’Doherty : Inside The White Cube – The Ideology of the Gallery Space.
Edité par: University of California Press, Berkley. Page 39, texte originalement en anglais traduit par
l’auteur.
Harald Szeemann : Ecrire des expositions ; publié par Lettre Volée 1996
Textes Web :
(3) Mary Ruth Walsh : Art and Writing - A labyrinth in a Box : Aspen 5+6 ; publié sur :
http://www.ncad.ie/faculties/visualculture/research/thoughtlines/mwalsh.shtml,texte originalement
en anglais traduit par l’auteur.
Conférences:
(5) Brian O’Doherty: tiré et retranscrit de la conférence In / Out the White Cube Today
à l'INHA à Paris 15/11/2008.